Accueil > Les commissions d'enquête > Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015

Jeudi 19 mai 2016

Séance de 11 heures

Compte rendu n°26

Présidence de M. Georges Fenech, Président

– Audition, à huis clos, de M. Jérôme Léonnet, chef du service central du renseignement territorial (SCRT)

La séance est ouverte à 11 heures.

Présidence de M. Georges Fenech.

Audition, à huis clos, de M. Jérôme Léonnet, chef du service central du renseignement territorial (SCRT).

M. le président Georges Fenech. Nous accueillons ce matin M. Jérôme Léonnet, chef du service central du renseignement territorial (SCRT). Monsieur le directeur, nous vous remercions d'avoir répondu à la demande d'audition de notre commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Nous poursuivons avec vous nos investigations dans le domaine du renseignement, en nous intéressant à l'état de la menace terroriste et à l'organisation du renseignement territorial.

Cette audition, en raison de la confidentialité des informations que vous êtes susceptible de nous délivrer, se déroule à huis clos et n'est donc pas diffusée sur le site internet de l'Assemblée nationale. Néanmoins, conformément à l'article 6 de l'ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, son compte rendu pourra être publié en tout ou partie, si nous en décidons ainsi à l'issue de nos travaux. Les comptes rendus des auditions qui auront eu lieu à huis clos seront au préalable transmis aux personnes entendues afin de recueillir leurs observations. Ces dernières seront soumises à la commission, qui pourra décider d'en faire état dans son rapport. Conformément aux dispositions de l’article précité, « sera punie des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ».

Conformément aux dispositions du même article, je vous demande de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

M. Jérôme Léonnet prête serment.

Monsieur Léonnet, les auteurs des attentats de janvier et novembre 2015 étaient-ils connus du renseignement territorial ? Avaient-ils fait l'objet d'une surveillance par le passé ? Le renseignement territorial avait-il été destinataire d'informations sur les personnes en question ? Le cas échéant, par quel(s) service(s) ?

Quelles ont été les actions entreprises par le renseignement territorial après la commission des attentats de janvier et novembre 2015 ? A-t-il contribué – et si oui, comment – à localiser les familles et les proches des protagonistes ? Disposait-il déjà d'informations sur ces personnes ?

Plus généralement, quel est l'état de la menace ? Comment l'intensité de celle-ci a-t-elle évolué depuis janvier 2015 ? Depuis novembre 2015 ?

Comment le renseignement territorial est-il organisé à l'échelon central et local ? Les attentats perpétrés en 2015 l'ont-ils conduit à modifier son organisation ?

Combien de personnes le renseignement territorial suit-il à ce jour ? Comment ce chiffre a-t-il évolué depuis le début de l'année 2015 ?

Pensez-vous que le rattachement du renseignement territorial à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) demeure pertinent ? Comment la place de la gendarmerie au sein du renseignement territorial a-t-elle évolué au cours de la période récente ?

Les méthodes de travail des agents du renseignement territorial ont-elles évolué depuis janvier 2015 ? Estimez-vous que le renseignement territorial dispose des outils juridiques et techniques nécessaires pour mener à bien ses missions ?

Quel usage faites-vous des techniques de renseignement prévues par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement ?

Quel regard portez-vous sur les antennes de renseignement territorial mises en place récemment par la gendarmerie au sein de ses brigades territoriales ?

Quelles raisons conduisent au passage d'une surveillance par le renseignement territorial à une surveillance par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ? En d'autres termes, comment un individu surveillé passe-t-il du « bas du spectre » au « haut du spectre » ?

Quel est l'état de la coopération entre le renseignement territorial et la sécurité intérieure ? Quelle est la nature des informations échangées ? Par quels canaux ? Selon quelle fréquence ? L'intensité de l'échange d'informations a-t-elle évolué depuis les attentats de janvier 2015 ?

Quel est l'état de la coopération entre le renseignement territorial et les autres services de renseignement, notamment le renseignement pénitentiaire ?

Quelle est la plus-value de la participation du renseignement territorial à l'Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT) ? Quels bénéfices le renseignement territorial en retire-t-il ?

Quelle est la plus-value de la participation du renseignement territorial à l'état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT) ? Quels bénéfices le renseignement territorial en retire-t-il ?

Quelle utilisation le renseignement territorial fait-il du FSPRT ? Quel regard portez-vous sur l'utilité de ce fichier ?

Quelle est la plus-value de la participation du renseignement territorial à la cellule Allat mise en place au sein de la DGSI ?

Le renseignement territorial et l'autorité judiciaire échangent-ils des informations ?

M. Jérôme Léonnet, chef du service central du renseignement territorial (SCRT). La montée en puissance du SCRT est récente. En 2008, une réforme essentielle a opportunément désigné un leader en matière de renseignement antiterroriste en France – la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) devenue aujourd’hui DGSI –, car la situation antérieure à 2008 s’avérait davantage concurrentielle que collaborative entre les services. Cette réforme de 2008 a laissé affaiblie la nouvelle sous-direction de l’information générale par rapport à l’ancienne direction centrale des renseignements généraux (DCRG), puisque l’effectif de cette dernière comptait 3 500 personnes quand celui de l’information générale ne dépassait pas 1 600 agents. L’information générale, ancêtre du renseignement territorial (RT), souffrait d’un grave problème capacitaire, que les différentes missions d’inspection n’ont eu de cesse de signaler. En outre, en 2008, on a oublié la gendarmerie nationale, qui, fort légitimement compte tenu du déploiement de l’arme dans l’ensemble du territoire, souhaitait accéder à la mission de renseignement dans son acception la plus large. Entre 2008 et 2012, on a progressivement renforcé les moyens et les effectifs de l’information générale, puis on a accueilli les premiers gendarmes en 2012.

En 2012, le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, a lancé une réflexion sur le travail de l’information générale visant à renforcer quantitativement et qualitativement le service. Après une préfiguration en 2013, cette démarche a abouti à la création du RT en mai 2014. On a reconnu, à cette occasion, la mission du RT, notamment par le retour de l’appellation « renseignement » qui, pour les agents, revêtait une grande importance. Le nom de renseignement territorial présente la double vertu d’affirmer le travail de renseignement et l’ancrage territorial du service. En 2014, pour la première fois, le SCRT s’est doté d’une doctrine de fonctionnement et d’emploi, étape essentielle car on avait souvent reproché aux Renseignements généraux (RG) de faire un peu tout et n’importe quoi, sans guide et sans domaine de compétence défini – contrairement, sur ce dernier point à la direction de la surveillance du territoire (DST). Ce document balaie l’ensemble des thématiques que le SCRT traite.

Le SCRT a totalement intégré le concours de la gendarmerie au fonctionnement du service ; ainsi, un colonel de gendarmerie a été nommé adjoint du chef du SCRT en mai 2014. En outre, on a confié le commandement de deux divisions du service central et de trois services départementaux du RT à des officiers de gendarmerie. Un commissaire de police a été désigné à la sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Depuis mai 2014, toutes les productions écrites du RT affichent le double sigle de la police et de la gendarmerie nationales et sont transmises en temps réel aux échelons central et territoriaux de la gendarmerie nationale.

L’effectif du RT atteignait 1 622 personnes en 2008, 1 870 en 2010, 1 880 en 2012, 1 976 en septembre 2014, et s’élève à 2 350 aujourd’hui. La force du RT ne réside pas, contrairement aux services du premier cercle de la communauté du renseignement, dans son échelon central, mais dans ses implantations dans le pays. Ainsi, seuls 150 de ses 2 350 agents sont affectés en centrale.

Nous avons développé deux nouvelles spécialités au RT : une division se trouve chargée de la veille sur internet et une autre effectue de la recherche, de la surveillance et de l’appui.

L’antiterrorisme n’appartenait pas au cœur du métier de l’information générale à sa création. En 2008, le pilotage du renseignement antiterroriste a été confié à la DCRI, devenue la DGSI. En revanche, l’information générale avait à connaître de la prévention du terrorisme sous trois aspects : la lutte contre les dérives urbaines, l’économie souterraine et la criminalité organisée par la surveillance du parcours de petits délinquants pouvant, comme Mohamed Merah, devenir terroriste ; le suivi des grandes religions dont l’islam de France, a conduit le RT à travailler avec des imams modérés, qui font l’objet d’attaques et de tentatives de déstabilisation de la part de prêcheurs salafistes et qui aident le service à obtenir le signalement de personnes en voie de radicalisation ; enfin, la plateforme de signalement de l’UCLAT permet d’indiquer au RT les cas de radicalisation. En septembre 2014, le RT était amené à s’intéresser à moins d’une centaine de radicalisés, ce chiffre ayant atteint 476 au 1er janvier 2015 et s’élevant aujourd’hui à 3 600.

Le suivi de la radicalisation, qui mobilisait 5 % des capacités du service et qui en absorbe aujourd’hui 40 %, s’inscrit dans la répartition des compétences avec la DGSI. Dès qu’un individu que nous suivons a le début d’un lien, même faible, avec un réseau terroriste ou commence à émettre l’idée de vouloir partir en terre de djihad, le dossier est transmis au bureau de liaison de la DGSI au sein du service central du RT – la DGSI est également présente au sein du RT dans l’ensemble des zones de défense et dans les grands centres. Entre le RT et la DGSI, la situation se révèle bien plus vertueuse qu’une simple liaison de coordination, puisque le RT ouvre l’ensemble de sa production, dès la réalisation de celle-ci, à la DGSI. Cette dernière évoque les sujets qu’elle considère relever de son domaine de compétence.

Les 3 600 signalements de radicalisation appartiennent au bas ou au milieu de spectre et non à son haut. Néanmoins, de 700 à 800 personnes présentent, à nos yeux et à titre individuel, des fragilités telles qu’un passage à l’acte violent, comme ceux de Bertrand Nzohabonayo à Tours et de Moussa Coulibaly à Nice, est envisageable. Nous avons développé une large palette d’outils pour assurer notre mission : contact avec les personnes signalant la radicalisation – parents, milieu professionnel ou scolaire –, suivi en lien avec les services de sécurité publique et de gendarmerie nationale d’une personne inquiétant son entourage, et, pour les profils des plus inquiétants, travail en milieu fermé reposant sur de la surveillance humaine et technique dans le cadre de ce qu’autorise la loi.

Les effectifs du RT ont été fortement renforcés en 2015, le plan de lutte contre le terrorisme couvrant les années 2015, 2016 et 2017 ayant prévu de doter le RT de 350 policiers et de 150 gendarmes supplémentaires – 162 policiers nous ont déjà rejoints en 2015. À la fin de l’année 2017, le RT devrait comprendre entre 2 650 et 2 700 personnes. La priorité du RT résidant dans son maillage territorial, nous avons implantés des antennes du renseignement territorial dans des brigades de gendarmerie. Cette évolution me paraît essentielle, car elle nous permet d’étendre le maillage du renseignement territorial dans les zones de gendarmerie. Le rattachement à la sécurité publique nous oblige à veiller à développer notre action avec la gendarmerie ; cet effort s’avère quotidien, et l’un de mes adjoints, membre de la gendarmerie, consacre une bonne partie de son temps à entretenir les liens d’échange et de coopération avec son arme d’appartenance. Le bilan des premières antennes du RT dans les brigades de gendarmerie, créées en 2015, s’avère très positif.

M. le président Georges Fenech. On en a visité une à Marseille.

M. Jérôme Léonnet. Nous allons en ouvrir 25 cette année et 25 autres en 2017.

Nous avons reçu l’autorisation de recruter des contractuels, élément important pour notre service, car nous avons besoin du concours de hauts potentiels universitaires, de traducteurs et d’informaticiens. Ils ne sont que sept à ce jour, mais ils constituent un apport notable pour le RT, et nous en recruterons d’autres à l’avenir.

La doctrine de fonctionnement et d’emploi du RT était très généraliste, si bien que j’ai souhaité que l’on élabore une annexe spécifique sur la radicalisation visant à donner aux services territoriaux des outils, des pistes et une méthode de travail. Nous sommes souvent confrontés à des radicalisés de moyen spectre, pour lesquels il convient de mener des entretiens administratifs plutôt que de s’épuiser en surveillance ; l’annexe comprend ainsi une trame destinée aux agents conduisant ces entretiens. Cela permet parfois de mettre en veille des dossiers, même si on ne les clôture jamais du fait de la fragilité manifestée par les personnes en voie de radicalisation. Ces personnes, à l’instar de celles entraînées dans des dérives sectaires, sont extrêmement vulnérables, mais peuvent parfois se sortir de cette spirale infernale.

Nous avons organisé deux séminaires consacrés à la radicalisation, dans lequel tous les chefs de service et leurs adjoints ont écouté nos recommandations et celles de la DGSI sur le sujet de la radicalisation (mai 2015 - mars 2016).

En 2015, deux agents du RT ont intégré la cellule Allat (DGSI) à temps plein, le chef du dispositif étant un lieutenant-colonel de gendarmerie, ancien adjoint du chef de la division de la radicalisation et formé pendant plus d’une année. Notre production est totalement ouverte à la DGSI, et il nous manquait ce lien opérationnel pour traiter certains dossiers susceptibles d’entrer dans le domaine de compétence de la DGSI, sans que cette dernière puisse trancher définitivement la question. La cellule Allat représente le lieu idéal pour évoquer ces dossiers et assurer un passage de relais fluide ente le RT et la DGSI.

Nous avons également ouvert en septembre 2015 trois nouveaux services zonaux de recherche et d’appui (SZRA) à Bordeaux, Rennes et Metz, qui sont venus compléter le dispositif créé un an auparavant avec la division nationale de recherche et d’appui et les trois SZRA de Lille, Lyon et Marseille. Nous allons en outre instaurer un groupe de recherche et d’appui à Toulouse, après ceux déjà en place à Strasbourg et à Nice. La capacité du RT dans le domaine de la recherche et de l’appui s’élève à 200 agents.

Un décret du 27 juillet 2015 a intégré la prévention du terrorisme dans le champ des attributions du RT, ce qui nous a permis d’obtenir de nouveaux moyens techniques.

En décembre 2015, un décret d’application de la loi relative au renseignement a permis au RT, dans le cadre de la prévention du terrorisme, d’avoir accès, en plus des moyens classiques de renseignement technique – interceptions de sécurité et données de connexions –, aux nouvelles techniques de renseignement que sont les interceptions International mobiles subscriber identity (IMSI), le balisage, les sonorisations et les vidéos.

Le RT n’avait pas accès à l’intégralité du fichier TAJ (traitement des antécédents judiciaires) dans les départements, mais un décret a levé cet obstacle, notamment, élément essentiel, pour les procédures en cours. Lors d’une filature d’un individu, on prend un risque si l’on ignore la nature d’une procédure en cours le concernant. Par ailleurs, le RT souhaitait être associé au traitement du Passenger name record (PNR), ce qui nous a été accordé.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Monsieur Léonnet, êtes-vous favorable à l’intégration du SCRT dans le premier cercle de la communauté du renseignement ? Tout le monde reconnaît la nécessité de voir le renseignement territorial monter en puissance ; le processus est en marche, mais ne faudrait-il pas passer un cap quantitatif et qualitatif ? Le Premier ministre a veillé à la progression des effectifs du SCRT, mais l’intégration au premier cercle représenterait une avancée qualitative.

Ne conviendrait-il pas de créer, à l’image de la DGSI et de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), une direction générale du renseignement territorial afin de rendre le RT plus puissant et de lui conférer un plus grand rayonnement ?

La gendarmerie réalisant du renseignement territorial, ne pourrait-on pas resserrer encore davantage les liens entre la SDAO et le SCRT ? Que pensez-vous d’un éventuel rapprochement entre les deux structures ?

Nous nous sommes déplacés à Lille et à Marseille où la gendarmerie s’est montrée très satisfaite du nouveau fichier FSPRT, vos services nous ont fait part de leur satisfaction en la matière et les services de la DGSI ont avoué ne pas lui reconnaître d’intérêt pour eux. Quelle est votre opinion sur ce fichier ? Vos services l’utilisent-ils et de quelle manière ? Comment évaluez-vous l’articulation entre l’EMOPT et l’UCLAT ?

On oppose artificiellement le renseignement humain au renseignement technique ; vous avez rappelé que le RT s’appuyait sur des hommes comme les imams modérés dont vous avez parlé, mais quelle est la situation du renseignement humain dans votre service ?

M. Jérôme Léonnet. La montée en puissance capacitaire, l’intégration de la prévention du terrorisme dans le champ de compétence du RT, la proximité du SCRT avec les services du premier cercle et sa présence dans la cellule Allat démontrent l’effectivité d’un rapprochement avec la notion de premier cercle qui n’existait pas il y a encore deux ans. La réflexion est incontournable, mais il faut veiller à ce qu’un rattachement du RT au premier cercle ne crée pas de blocages dans le service. Nos effectifs comptent des gens qui ne pourraient pas obtenir les tests d’habilitation au plus haut niveau ; je ne souhaite pas qu’une intégration au premier cercle induise une impossibilité d’accueillir des profils indispensables pour suivre un épisode de malaise dans le monde agricole ou un mouvement social classique. Ces agents, anciens de directions départementales de la sécurité publique ou des renseignements généraux (RG), ont une culture de travail différente de celle du premier cercle. Comme celles de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP), les missions de la SCRT le conduisent à évoluer dans des milieux à la fois ouverts et fermés ; si l’un de ces aspects l’emportait sur l’autre, un déséquilibre se créerait. En outre, les services du premier cercle classifient l’ensemble de leur production, y compris interne, alors que le RT a besoin de fluidité et d’écrire rapidement pour rendre compte de situations ; cela ne signifie pas bien entendu que nous ne classifions pas les sujets confidentiels. Les contraintes plus fortes entourant l'appartenance au premier cercle pourrait entraîner une difficulté pour le SCRT.

Les RG rencontraient de nombreuses difficultés à obtenir les informations de terrain, notamment dans les zones de compétence de la sécurité publique. Tous les matins, de 8 à 9 heures, tous les chefs du RT participent à la séance d’information quotidienne de l’ensemble de l’activité de la veille et de la nuit de la sécurité publique. Le lien est le même avec nos camarades de la gendarmerie, et la SDAO nous transmet toutes les informations. Ce matin, j’ai ainsi reçu des points sur les blocages de transporteurs routiers émis par la gendarmerie comme par la sécurité publique ; cela m’a permis de disposer très rapidement d’un tableau complet de la situation dans tout le pays. L’autonomisation du RT pourrait induire, comme cela avait été le cas pour les RG, une moindre fluidité des échanges entre le RT et les services de police et de gendarmerie. Le RT doit se trouver au plus près des services de terrain.

M. le rapporteur. Le degré de la menace a engendré un décloisonnement, si bien que la transformation du SCRT en direction générale ne ferait pas perdre d’informations à votre service.

M. Jérôme Léonnet. Lorsque les RG existaient, les brigades d’information de voie publique (BIVP), composées d’agents habiles, agissaient dans le domaine du renseignement sur le terrain au profit de la sécurité publique, dans des domaines comme le lien avec les manifestants ou l’anticipation des manifestations. Les prévisions de ces brigades s’avéraient souvent bien précises. Dans ces matières du renseignement quotidien hors terrorisme, un petit incident pouvant passer inaperçu peut s’avérer important, si bien que le lien avec la sécurité publique est évident. Le RT n’est pas omniscient, il a développé une coopération avec les services de sécurité publique, qui nous transmettent tous leurs éléments ; le SCRT se charge de faire le tri et bénéficie ainsi d’une grande richesse d’informations. La sécurité publique s’est totalement appropriée le RT et y consacre beaucoup de moyens : les renforts se trouvent très souvent gagés sur les effectifs de la sécurité publique et cette dernière utilise 78 % de son budget dédié à la formation est destiné au RT, soit plus des trois quarts de cette ressource pour 2 500 agents alors qu’elle en compte 65 000. La sécurité publique apporte beaucoup au RT et celui-ci, même s’il ne peut pas tout prévoir, lui fait bénéficier d’une proximité très utile, par exemple, pour la gendarmerie, au barrage de Sivens ou le week-end dernier à Pont-de-Buis. Nos notes parviennent immédiatement aux services de police et de gendarmerie et avant même d’arriver sur mon bureau.

La SDAO est un service très efficace pour remonter de l’information. Toutes les informations du terrain dans les zones de gendarmerie ne me sont pas forcément transmises en direct, mais tous les éléments de la SDAO me parviennent en direct. Cela fait souvent doublon avec les renseignements déjà en ma possession, mais, depuis ma prise de fonctions en septembre 2014, il n’y a jamais eu d’informations perdues entre la gendarmerie et le SCRT – toutes nos notes, sans exception, leur sont transmises. D’ailleurs, l’un de mes meilleurs commissaires travaille à la SDAO et l’un des meilleurs officiers de gendarmerie est au SCRT ; l’un comme l’autre sont totalement intégrés dans les dispositifs de chaque service. L’été dernier, le général Sauvegrain a pris ses congés et le commissaire de police du RT placé à la SDAO a assuré l’intérim du poste ; cela prouve la confiance qui règne entre les deux services. Je ne méconnais cependant pas l’importance pour la gendarmerie nationale de se voir reconnaître une place à part dans le renseignement. Le RT essaie de la lui donner en employant 198 gendarmes, même si j’espère que ce chiffre progressera, notamment dans des secteurs compliqués ; parmi les sept divisions du service central, deux sont pilotées par un officier de gendarmerie, l’adjoint du chef de la division de la radicalisation est un gendarme, et le RT est représenté par un gendarme dans la cellule Allat, qui constitue le saint des saints.

La création de l’EMOPT répondait à la nécessité d’assurer un vrai contrôle de la manière dont les services associés traitaient le sujet de la radicalisation, dont l’importance n’a cessé de croître depuis l’été 2014. Il fallait s’assurer que le réseau préfectoral, qui pilote le dispositif d’évaluation et de suivi, et l’ensemble des services de renseignement travaillaient bien ensemble sur la radicalisation pour que tous les cas le méritant soient suivis. Suite au déploiement de la plateforme de signalement, le FSPRT permet de recenser les différents signalements. Il constitue un atout pour le RT car le fichier de prévention des atteintes à la sécurité publique (FPASP) du SCRT n’appréhende que les risques d’atteintes à la sécurité ; on n’entre pas dans le FPASP un individu signalé par son milieu professionnel car il ne serre plus la main aux femmes ou ne mange plus de cochon à la cantine sans avoir procédé à une évaluation préalable. Il n’en restera pas moins signalé au sein du FSPRT car il importe qu’un traitement dédié aux questions de radicalisation le garde en mémoire.

Qui plus est, les services du RT étaient beaucoup trop mobilisés par la fabrication des tableaux de suivi, que le FSPRT effectue en temps réel. En mars 2016, j’ai organisé un nouveau séminaire où tous les services départementaux du RT ont tous accepté que ce fichier remplace les tableaux d’évaluation et de clôture, ce qui se concrétisera en juillet prochain. Le FSPRT sera donc pour le RT un outil de comptabilisation dans le domaine de la radicalisation.

Monsieur le rapporteur, vous ne pouvez pas me faire plus plaisir que de rappeler l’intérêt de faire principalement reposer le travail de renseignement sur de l’humain. Je viens de la culture de la DST qui privilégie le renseignement humain sur toute dimension technique. Malgré les possibilités offertes par la loi, jamais nous ne lancerons de dispositifs techniques sans disposer au départ d’une validation humaine.

Nous avons refondé le code de traitement des sources au début de l’année 2015, car mon expérience à l’IGPN m’a montré la nécessité d’appliquer un traitement rigoureux des sources humaines, car on met en jeu des informations importantes et la destinée des collaborateurs et de leurs sources. On apprend à traiter avec méthode des sources humaines, cette tâche n’est pas innée et doit être contrôlée. Dans ce domaine, le RT a réalisé un travail considérable. En outre, pour combattre l’idée selon laquelle le renseignement technique peut tout faire, on impose aux départements une recherche systématique de sources humaines. Ces dernières nous apportent, dans tous les secteurs d’action du RT, les meilleures informations, celles qui débouchent sur des surveillances humaines et techniques.

M. le rapporteur. Bon nombre de personnes auditionnées par la commission ont affirmé qu’il était difficile de pénétrer dans certains quartiers pour y déposer des balises et déployer un dispositif de surveillance. Rémunérez-vous des sources pour des affaires de terrorisme ? Si tel n’est pas le cas, est-ce que cela serait utile ?

M. Jérôme Léonnet. On le fait déjà en suivant le dispositif en vigueur dans la police nationale, à savoir l’immatriculation centralisée des sources par la police judiciaire (PJ).

M. le rapporteur. En matière de terrorisme, les rémunérations des sources sont-elles élevées ou non ? Avez-vous besoin de davantage de moyens pour cette dépense ou les problèmes de recrutement et de formation rendent-ils inutile une progression de ce poste budgétaire ?

M. Jérôme Léonnet. Le recrutement de sources humaines est une priorité car la prévention du terrorisme, compétence récemment reconnue au RT, nous a conduits à réorienter le travail de certaines de nos sources à la fin de l’année 2014 et au début de 2015 ; il nous reste de la marge pour accomplir davantage et il y a lieu de recruter davantage de sources humaines opérant dans ce champ, ce que nous sommes en train de faire.

M. le rapporteur. Vous n’avez pas de problème budgétaire ?

M. Jérôme Léonnet. Pas pour l’instant. Je peux rémunérer les sources qui doivent l’être, les émoluments restant modestes puisqu’ils ne dépassent pas quelques dizaines d’euros sauf pour quelques gros coups où l’on peut donner quelques centaines d’euros. Nous avons d’abord recruté dans les quartiers, certaines des sources de ces milieux nous permettant aujourd’hui de déployer des opérations de prévention du terrorisme. À Lyon et à Strasbourg, on a récemment pu judiciariser des affaires à partir d’informations provenant de sources du RT et transmises à la DGSI et à la PJ.

M. François Lamy. La force des RG résidait dans son maillage territorial, animé par un tissu humain composé, entre autres, d’élus et de membres d’association. La fusion d’une partie des RG avec la DST a brisé cette architecture ; dans l’Essonne, tout ce qu’avaient construit les RG a disparu et n’a pu bénéficier au RT. Avez-vous retrouvé la qualité de la toile élaborée les RG ?

Avez-vous déjà mis en place une structure réunissant l’ensemble des services travaillant dans les quartiers ? Lorsque j’étais ministre de la ville, seul le préfet des Bouches-du-Rhône avait instauré une telle cellule réunissant des délégués du préfet, des responsables de centres sociaux et les services de police. Est-ce que ces groupes ont essaimé dans le pays et, si tel n’était pas le cas, envisagez-vous d’opérer cette structuration ?

Pouvez-vous mener un travail analysant les ressorts de la radicalisation ? On parle toujours des quartiers – une récente polémique a concerné l’existence ou non de quartiers comme celui de Molenbeek en France –, mais je rappelle que les frères Kouachi ont été élevés en Corrèze. Je ne suis pas sûr que la surreprésentation des musulmans dans certains quartiers urbains suffise pour affirmer que ces zones constituent un terreau favorable au terrorisme. Parvenez-vous à déterminer les causes poussant un individu faisant du trafic dans un quartier sensible à basculer dans la radicalisation puis dans le terrorisme ?

M. Meyer Habib. Monsieur le directeur, la progression du nombre de personnes radicalisées suivies par vos services – de 476 en janvier 2015 à 3 600 aujourd’hui – est sidérante. Après les attentats de janvier 2015, près de 20 000 tweets ont affirmé « Je suis Kouachi » ou « Je suis Coulibaly » : j’avais dit à ce moment-là que ces 20 000 personnes devaient être contrôlées, arrêtées et mises en garde à vue pour apologie du terrorisme. Vous avancez le chiffre de 3 600, mais ces personnes sont peut-être 36 000 voire 360 000. Comment s’assurer que les mailles du filet sont assez denses ? Yassin Salhi, qui a décapité son patron dans l’Isère, n’était pas suivi par les services.

M. le rapporteur. Il l’avait été, mais il était sorti des radars.

M. Meyer Habib. On a décuplé nos moyens, mais il n’est pas certain que ce soit suffisant.

La dimension humaine du renseignement prime, et il s’avère nécessaire que de nombreuses personnes accompagnent l’utilisation des nouvelles technologies. Des rémunérations de sources ne dépassant pas quelques dizaines d’euros sont insuffisantes ! En Israël, le Shabak, qui est le service de sécurité intérieure, déploie une technologie très performante et salarie des sources infiltrées pour prévenir les attentats. L’imam Chalghoumi est protégé par la police car il reçoit des menaces ; des dizaines et des dizaines d’imams devraient être en contact régulier avec la police. Cela ne ferait pas d’eux des délateurs, mais on ne peut pas se taire face au terrorisme.

Que fera-t-on si l’on subit trois, quatre, cinq ou six attentats simultanés ? J’espère que cela n’arrivera pas, mais si tel était le cas, que pourrait-on faire de plus ? Où en sommes-nous de la politique de contrôles, notamment dans les aéroports ? Cette question se pose avec acuité aujourd’hui avec la disparition d’un avion parti de Roissy vers Le Caire.

Un quart des radicalisés sont des convertis – un peu moins chez les hommes et un peu plus chez les femmes : quelles actions mettez-vous en œuvre pour suivre cette population ?

Comment qualifierez-vous la coopération de votre service avec la DGSE pour suivre les personnes quittant la France pour une zone de djihad ?

M. Jérôme Léonnet. Monsieur Lamy, on a évidemment beaucoup perdu du tissu développé par les 3 500 agents des RG. Nous nous efforçons de retrouver l’intégralité de ce réseau, et l’on dispose d’atouts que les RG n’avaient pas, le premier d’entre eux étant l’appui de nos camarades de la sécurité publique. L’ensemble des instances partenariales, des associations locales, des bailleurs sociaux travaillent ouvertement avec nous et ne mettent aucun obstacle à l’action du RT, au contraire.

Cette action de terrain nous permet de recruter des sources, et l’on bénéficie de nos très bonnes relations avec l’ensemble du tissu associatif pour trouver ces personnes dont la tâche est très particulière. Lorsqu’un chef du RT prend ses fonctions, je le reçois et lui demande de développer des contacts avec tous les partenaires. Compte tenu de la mission et du cahier des charges du RT dans l’organisation actuelle de la lutte antiterroriste, la présence au plus près du terrain et les liens avec l’imam, le bailleur local et l’association de quartier s’avèrent essentiels. Grâce à cela, on peut avoir des contacts voire recruter des sources.

La forte émergence de la radicalisation – quelques dizaines de cas en 2014, 476 au début de l’année 2015 et 3 600 aujourd’hui – nous empêche d’être totalement lucides sur le phénomène, et je m’efforce de demander un point hebdomadaire sur les dossiers emblématiques. On dispose néanmoins de quelques certitudes : le cocktail associant la délinquance, les contacts en milieu carcéral et la radicalisation s’avère très dangereux ; en outre, l’association entre la fragilité mentale diagnostiquée ou non – et la radicalisation se révèle également menaçante. On considère que 700 à 800 personnes radicalisées sont dangereuses, dont 150 relèvent du domaine psychiatrique. Nous sommes en train de développer nos échanges avec la médecine psychiatrique, après des années de difficultés ; les agences régionales de santé (ARS) et les médecins ont pris conscience que lorsqu’une personne cessait ses soins ou cherchait à échapper à un diagnostic tout en développant une terminologie religieuse, il fallait donner l’alerte. Parmi les 3 600 personnes, des profils se dessinent et des situations se recoupent, comme la fragilité des mineurs et l’inquiétude des parents face à la conversion d’un enfant n’ayant pas évolué dans un milieu culturel musulman ; on a connu des cas comparables lorsque l’on a étudié les sectes. Dans la radicalisation, on va de la simple dérive sectaire au pré-terrorisme. Tous les cas sont uniques, et je recommande de rencontrer une personne signalée, lorsque, comme dans la grande majorité des cas, elle n’est pas dans une démarche conduisant au terrorisme qui oblige à agir en milieu fermé. Ces entretiens n’ont pas toujours d’issue favorable car un profil fragile le restera ; en outre, des contractuels, dont une psychologue, travaillent avec nous sur la déradicalisation.

M. François Lamy. Y a-t-il des territoires plus exposés au phénomène de la radicalisation ?

M. Jérôme Léonnet. À partir de l’échantillon du RT, on constate que les personnes suivies sont plus nombreuses dans l’Est, dans le Nord, à Marseille, à Montpellier et à Toulouse qu’ailleurs et notamment que dans le grand Ouest. Les raisons sont d’ordre culturel, social et économique. Le département le plus touché par ce phénomène est le Nord.

Je ne commenterai pas la formule de « Molenbeek à la française », mais nous travaillons dans des territoires où l’islam militant cherche à peser sur la structure associative et économique des territoires. En lien avec nos camarades de la PJ, de la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF), de la DGSI et de la gendarmerie, nous déployons des actions opérationnelles ciblées visant à empêcher toute prise en main d’un territoire, comme à Trappes. La cellule Allat nous permet de travailler avec les services du premier cercle ; agir avec le service de traitement du renseignement et de l’action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin) lorsque l’on soupçonne des financements délictueux se révèle très efficace.

Monsieur Meyer Habib, dans un cas signalé sur trois, on évalue au final que la personne n'est pas radicalisée, mais inquiète son environnement familial ou professionnel. Je me concentre sur les profils dont le passé délinquant et la fragilité, exprimée par exemple sur les réseaux sociaux par des prises de position démentielles méritent un suivi poussé, sans épuiser la capacité du RT dans le traitement de cas assez simples, que d’autres structures comme l’Éducation nationale ou les organismes sociaux peuvent gérer. Le fichier FSPRT est riche de 13 000 signalements, dont beaucoup sont suivis par des services qui ne sont pas ceux de l’État. À l’époque de la parution du rapport parlementaire sur les sectes, on a découvert l’étendue de l’emprise sectaire. Certains de nos concitoyens sont fragiles, et nous devons surveiller sur leur évolution, mais ils ne basculeront pas forcément dans le terrorisme.

Le RT a connu une phase de renforcement significatif, puisque les effectifs sont passés de 1 800 à 2 600 en trois ans, cette progression est difficile à digérer. Nous devons en effet former les gens et leur donner des missions claires. La capacité du service a été largement entamée par la mission de suivi de la radicalisation, qui absorbe 40 % de notre activité contre 5 % il y a peu. Cette proportion est lourde, surtout lorsque des événements du type malaise agricole ou journées nationales d’action contre le projet de loi relatif au travail nous mobilisent. Lors d’un séminaire de la sécurité publique, j’ai félicité les 101 chefs RT, dont plus de soixante sont des commandants de police, que l’on peut joindre à tout moment, samedis et dimanches compris et qui sont capables de parler aussi bien de radicalisation que de manifestations classiques. Le RT a pris conscience des attentes placées en lui dans ce domaine sensible et son engagement se révèle total. On continuera de progresser, car on affine nos analyses, on écrit beaucoup, on est très lu et on échange beaucoup avec la DGSI. Le RT doit continuer de prendre en compte des signaux faibles et de les évaluer pour déterminer ceux qui doivent être vraiment suivis des autres. Le SCRT aide également la DGSI qui se trouve en première ligne dans la lutte contre les réseaux radicaux, notamment en mettant en œuvre de la surveillance dans des cas de quasi-terrorisme.

On commence toujours par verser de modestes rémunérations à nos sources, car on recrute dans les quartiers et non dans des réseaux terroristes ou à l’étranger. En partant du quartier, on peut parfois arriver à l’étranger ; ainsi, le SCRT mène actuellement une opération avec la DGSI et la DGSE où une personne, recrutée dans un quartier, se projettera, à l’étranger. Cet individu pourra énormément apporter aux services du premier cercle, qui lui verseront une rémunération incomparable avec les quelques dizaines d’euros perçus après son recrutement par le SCRT.

Les liens avec la DGSE sont fluides grâce à Allat et aux échanges que l’on entretient ; j’ai été reçu par le directeur général de la sécurité extérieure, et nos deux structures conduisent ensemble un travail opérationnel et documentaire. Les gens du RT qui s’occupent de radicalisation ont besoin d’une petite culture dans le domaine de l’islam ; on a accès à beaucoup d’études publiques sur le salafisme et le tablighi. En revanche, c’est la DGSE qui nous transmet les informations relatives à l’évolution de telle école ou de tel courant de pensée en Égypte ou en Arabie saoudite.

M. Meyer Habib. Des imams, comme Hassen Chalghoumi nous mettent en garde de ne pas installer de nouvelles mouvances ou des courants proches des Frères musulmans et de Tariq Ramadan au Conseil français du culte musulman (CFCM).

M. Jérôme Léonnet. Là réside tout le problème que nous rencontrons avec les salafistes : leur discours condamne le terrorisme, mais il véhicule l’idée d’une autre République. Le RT assiste à toutes les conférences et réunions du type du congrès de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) au Bourget pour appréhender et répercuter la situation. Dans sa conception la plus rigoriste, la religion musulmane développe des messages qui, sans être de nature terroriste, ne me paraissent pas compatibles avec les valeurs républicaines, et le rôle du SCRT consiste à le dire et à l’écrire. Beaucoup d’éléments que nous transmettons irriguent les réflexions et les réactions des autorités politiques ; ainsi, les récents propos du Premier ministre sur les salafistes se nourrissent des écrits du SCRT et de la DGSI alertant sur leur volonté de remplacer le code pénal par la charia.

M. Serge Grouard. Les 3 600 personnes que vous suivez sont-elles signalées ou suivies ? On a entendu un chiffre global de 10 000 personnes radicalisées. Qui suit les autres et comment s’opère la répartition entre les services ? Parmi ces 3 600 individus, vous avez affirmé que 700 à 800 étaient potentiellement dangereuses. La police renforce-t-elle vos effectifs pour assurer leur suivi ? Celui-ci est-il physiquement permanent ? Élaborez-vous un compte rendu permanent de la surveillance de ces personnes ?

Je rejoins les propos de M. Meyer Habib : face à cette menace, nouvelle et massive, on s’adapte et vous faites le maximum avec les moyens qui vous sont alloués. Ainsi, on se rassure, mais je me demande si on ne se leurre pas. On n’arrivera pas à ficher et à suivre toutes les personnes potentiellement dangereuses, et la commission doit réfléchir aux réponses à apporter à ce défi. Ces chiffres m’inquiètent, car il n’a pas fallu beaucoup de monde pour organiser la tuerie du Bataclan : combien de Bataclan se cachent dans cette population radicalisée ?

Lorsque vous avez évoqué les relations que vous tissez localement pour remplir votre mission, vous n’avez pas parlé du maire. J’ai été maire d’Orléans pendant quinze ans et jusque récemment : je connais ces problèmes et la situation des quartiers difficiles. Certaines villes ont mis en place des systèmes de prévention et de médiation comme les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) et les groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) qui permettent d’aller au-delà des contacts, car le point fondamental réside dans le suivi. Les CLSPD, qui réunissent la police, les services du maire, les services sociaux et l’Éducation nationale, assurent un suivi permanent lorsqu’ils fonctionnent, ce qui n’est pas le cas partout dans le pays. Monsieur le directeur, êtes-vous d’accord avec moi pour reconnaître qu’un chaînon manque localement ? En effet, votre service ne fait hélas pas partie de cette structuration locale – ou indirectement par la voix du directeur départemental de la sécurité publique.

Monsieur le directeur, avez-vous des signaux non pas faibles, mais forts ?

M. Jérôme Léonnet. Le FSPRT gère 13 000 signalements, ce qui correspond à l’intégralité de ceux recensés par l’UCLAT depuis le printemps 2014. Le RT est le chef de file dans 3 600 dossiers. Les autres cas sont suivis par les services de sécurité, sociaux, associatifs et de l’Éducation nationale présents autour de la table de la réunion hebdomadaire, présidée par le préfet et où l’on évalue et répartit les profils et où rend compte de leur suivi.

L’intérêt de ce dispositif local, consacré par la création de l’EMOPT, est d’amener le préfet à piloter personnellement l’évaluation de tous les dossiers de son département. Devant la progression du phénomène, il était nécessaire de savoir quel service traitait quelle question afin de vérifier que tout était couvert : là réside la plus-value de l’EMOPT.

Les 3 600 individus suivis par le RT ne méritent pas tous une attention soutenue. Quant aux 700 à 800 les plus radicaux, l’effectif de 2 350 personnes du SCRT ne nous permet d’assurer que moins d’une dizaine de dispositifs de surveillance active au même moment. Cependant, le suivi s’effectue également grâce à l’ensemble des relais dont nous disposons. Si une personne radicalisée vient de sortir de prison, est proche de milieux délinquants et développe une attitude inquiétante qui le place dans le vivier des 700 à 800 individus, on demande à la brigade anti-criminalité (BAC) de prendre attache avec ses contacts habituels pour connaître l’évolution de la personne. On développe également des systèmes de sonnettes avec son milieu professionnel ou familial. Une femme a récemment signalé que son mari sortant de prison était dangereux ; on a travaillé avec elle jusqu’au moment où on a vu que l’on pouvait lever le doute avec lui. On les a rencontrés ensemble et on s’est aperçu que le cas de cet individu relevait plutôt de la médecine. On a donc d’abord compté sur ce premier atout qu’est le contact avec la personne qui signale une menace. Les capacités du RT sont avant tout dédiées aux cas très lourds, sur lesquels on travaille avec la DGSI et la PJ.

Monsieur Grouard, je suis tout à fait d’accord avec vos propos sur les maires. Quand je reçois un chef RT qui prend son poste, je lui demande d’aller voir le maire, interlocuteur le plus important avec le préfet et le procureur de la République.

M. Serge Grouard. C’est le maire qui connaît la réalité, et non le préfet et le procureur. J’ai quinze ans d’expérience de maire, et je peux vous signaler tous les cas à Orléans. Comparez avec ce que vous diront le préfet et le procureur, et vous verrez que mon tableau s’avérera bien plus exhaustif !

M. Jérôme Léonnet. En termes de connaissance du territoire, vous avez tout à fait raison, et c’est pour cela que le contact avec l’autorité municipale, la présence parfois dans les instances de la ville et le lien permanent avec les services municipaux sont si importants. Cela est valable partout, et je n’ai pas d’exemples d’endroits où le RT n’aurait pas de relations fluides avec les maires. Une convention entre l’Association des maires de France (AMF) et les services de l’État sur la déradicalisation sera signée cet après-midi à Matignon, et le RT sera présent. Celui-ci participera également à la table ronde sur la déradicalisation organisée à l’occasion du prochain congrès de l’AMF. Le maire est le premier à pouvoir signaler une évolution dans un quartier et à orienter les services du RT vers tel ou tel interlocuteur.

M. le président Georges Fenech. Monsieur le directeur, les auteurs des attentats de janvier et de novembre 2015 étaient-ils connus du renseignement territorial ?

M. Jérôme Léonnet. Non, si ce n’est qu’Amedy Coulibaly avait été mentionné dans un document du service comme membre d’une bande de l’Essonne dans les années 2005.

M. le président Georges Fenech. Monsieur Léonnet, nous vous remercions pour cette intéressante audition.

La séance est levée à 12 heures 45.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christophe Cavard, M. David Comet, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Georges Fenech, M. Serge Grouard, M. Meyer Habib, M. François Lamy, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Pierre Lellouche, M. Alain Marsaud, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Julie Sommaruga

Excusés. - M. Jean-Jacques Cottel, Mme Lucette Lousteau