Accueil > Les commissions d'enquête > Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015

Jeudi 2 juin 2016

Séance de 9 heures

Compte rendu n°33

Présidence de M. Georges Fenech, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur

La séance est ouverte à 9 heures.

Présidence de M. Georges Fenech.

Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur.

M. le président Georges Fenech. Monsieur le ministre, nous vous remercions d’avoir répondu à la demande d’audition de notre commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Nous avons entendu hier le garde des sceaux et le ministre de la défense, et nous achevons avec vous cette semaine d’auditions ministérielles. Je précise que nous entendrons, le 16 juin prochain, Mme la secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes. Nous avions commencé nos travaux en recevant des victimes, témoignant ainsi de notre intérêt pour elles ; symboliquement, nous souhaitons les conclure autour de cette même préoccupation.

Monsieur le ministre, nous avons déjà eu l’occasion de vous entendre au début de nos travaux, le 7 mars dernier, et nous étions convenus que vous reviendriez devant la commission d’enquête pour aborder plus spécifiquement les questions relatives au renseignement. Vous savez que nous avons entendu les responsables des différents services concernés : leurs témoignages ne laissent pas parfois de nous interroger en ce qui concerne la coopération et surtout la coordination entre eux.

Cette audition sera l’occasion pour vous de dresser un premier bilan de la loi du 24 juillet 2015, mais elle nous permettra également de faire le point sur les résultats de la lutte antiterroriste, sur l’emploi des forces de sécurité intérieure, et sur le nouveau schéma national d’intervention que vous avez présenté en avril dernier.

Je rappelle que cette audition, ouverte à la presse, est diffusée en direct sur la chaîne parlementaire, et qu’elle fait l’objet d’une retransmission, en direct également, sur le site internet de l’Assemblée nationale. Son enregistrement sera disponible pendant quelques mois sur le portail vidéo de l’Assemblée, et je vous signale que la commission d’enquête pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui sera fait de cette audition. Nous avons en effet décidé que d’une manière générale, et quand cela ne soulèvera pas de difficulté pour les personnes entendues ou au regard de la confidentialité des informations recueillies, nos auditions seraient ouvertes à la presse, car nous devons mener cette enquête dans toute la transparence.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relatif aux commissions d’enquête, je vais vous demander, monsieur le ministre, de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Bernard Cazeneuve prête serment.)

Monsieur le ministre, lors de votre première intervention vous aviez pu vous exprimer longuement dans un propos liminaire qui avait duré plus d’une heure. Dans l’intérêt de notre commission d’enquête, il serait souhaitable que nous disposions d’un temps suffisant après votre présentation initiale pour aborder toutes les questions. Cela ne vous empêche évidemment pas de développer comme vous le souhaitez les points qui vous paraissent importants.

Notre commission d’enquête arrive au terme de ses travaux, et nous remettrons notre rapport au début du mois de juillet. Je saisis cette occasion pour rendre hommage aux hommes et aux femmes qui relèvent de votre ministère, dont l’abnégation et, parfois, l’esprit de sacrifice honorent notre pays. Je pense en particulier au commissaire de la BAC, que nous avons auditionné, qui n’a pas hésité, au péril de sa vie, le 13 novembre 2015, à entrer dans le Bataclan pour neutraliser l’un des trois terroristes qui s’y trouvaient.

Monsieur le ministre, notre commission d’enquête doit établir l’existence d’éventuelles failles, d’éventuels dysfonctionnements. Force est de constater qu’aucun responsable de haut niveau n’a fait l’objet de remise en cause sur le plan professionnel depuis les attentats du mois de janvier 2015. Je rappelle que nous parlons d’attentats qui ont fait cent quarante-sept morts et des centaines de blessés sur l’ensemble du territoire à l’occasion des journées tragiques de janvier et de novembre. Nous nous demandons s’il n’y a aucune responsabilité, qu’elle soit administrative ou politique, concernant ce qu’il faut bien appeler l’échec de nos services de renseignements qui n’ont pu empêcher ces événements.

Nous devons la vérité aux victimes, à leurs familles, et aux Français sur les conditions dans lesquelles les attentats de janvier et novembre 2015 ont pu être perpétrés, sur ce qui n’a pas fonctionné. Je rappelle que le 13 novembre 2015, nous avons subi le plus grand nombre de victimes sur le sol français depuis la Seconde Guerre mondiale. Il faut apporter des réponses et faire des propositions utiles dans l’esprit transpartisan qui a été celui de cette commission d’enquête depuis le début de ses travaux. Elle n’a été animée que par le souci de la vérité, et par celui de permettre une meilleure efficacité de nos services dans l’avenir.

Qui pourrait prétendre, monsieur le ministre – je ne pense pas que cela sera votre cas –, que les attentats de 2015 ne sont pas un échec collectif, même si chacun comprend en ce domaine que le risque zéro n’existe pas ? Le Premier ministre, lui-même, déclarait le 9 janvier 2015 : « Il y a une faille bien évidemment. Quand il a dix-sept morts, c’est qu’il y a eu des failles. » Que dire alors, après les attentats du 13 novembre au Bataclan, à Saint-Denis, et sur les terrasses des cafés-restaurants de Paris ?

Après quelque deux cents heures d’auditions, et des déplacements à l’étranger – nous revenons d’Israël où je sais que vos services vont chercher une coopération efficace –, notre commission d’enquête est bien décidée à passer nos failles au crible, et à faire des propositions fortes pour y remédier. Vous-même, d’ailleurs, avez commencé à tirer les conséquences de ces événements, tant pour la nouvelle organisation du renseignement que s’agissant des doctrines d’emploi de nos forces d’intervention et de secours.

Pour une meilleure clarté de votre intervention, je propose d’aborder dans un premier temps les questions relatives au renseignement et à la coopération européenne en la matière. Dans un deuxième temps, nous pourrions en venir aux nouvelles doctrines d’emploi des forces d’intervention et de secours.

Pour ce qui concerne les questions relatives au renseignement, on entend souvent dire qu’il est facile de refaire le film a posteriori. Mais c’est précisément notre mission pour essayer de comprendre ce qui s’est produit. Nous nous posons une question essentielle : alors que la quasi-totalité des auteurs des attentats de janvier et de novembre 2015 étaient connus de nos services, comment ont-ils pu échapper à tous les radars et commettre leurs attentats en plein Paris ?

Vous connaissez les cas qui nous ont été soumis, et qui sont les plus emblématiques. Samy Amimour, le terroriste abattu sur la scène du Bataclan par le commissaire de la BAC que j’évoquais, avait été auditionné par la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), en octobre 2012. Cette année-là, il avait été placé sous contrôle judiciaire, et il avait échoué dans un projet de départ vers la Syrie où il s’est finalement rendu en septembre 2013 avec Ismaël Omar Mostefaï. Ce dernier faisait lui-même l’objet d’une fiche S, mais il avait pu quitter le territoire national.

Chérif Kouachi avait été arrêté pour avoir participé à la filière de recrutement djihadiste dite « des Buttes-Chaumont ». Il avait séjourné dans un camp militaire en Irak. Il s’était radicalisé en prison entre 2005 et 2008, avant de réapparaître, en 2013, dans l’enquête relative à la tentative d’évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem, condamné comme artificier de l’attentat du RER Saint-Michel de 1995.

Il y a également son frère, Saïd Kouachi, dont les services de renseignements savaient qu’il était allé s’entraîner au Yémen, en 2011, au côté d’Al-Qaïda, et qu’il faisait l’objet d’un mandat de recherche depuis le 7 janvier 2015.

Enfin, citons le cas d’Abdelhamid Abaaoud, qui a pu circuler en 2015, en Europe, alors qu’il avait été localisé à Athènes – nous avons pu le vérifier sur place –, juste avant l’assaut de la cellule de Verviers en Belgique.

À l’évidence, c’est un échec. Les grands chefs de vos services l’ont dit eux-mêmes au cours de leurs auditions. Vous en avez tiré les conséquences immédiatement après la décapitation perpétrée à Saint-Quentin-Fallavier par Yassin Salhi qui avait échappé à toute surveillance alors qu’il avait été fiché par les renseignements généraux (RG) de 2006 à 2008 pour s’être radicalisé dans sa ville natale de Pontarlier. Je crois que c’est à la suite de cet événement tragique que vous avez pris la décision de créer l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT), sur lequel vous voudrez bien nous apporter quelques précisions. Nous avons en effet découvert, au cours de nos travaux et de nos déplacements en province, l’extrême complexité de l’organisation du renseignement français, qui peut faire craindre un défaut de coordination ou, en tout cas, une déperdition d’information.

Je rappelle, pour mémoire, le nom des principaux services que nous avons auditionnés et qui disposent chacun de leur propre fichier : la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), le service central du renseignement territorial (SCRT), la sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) de la gendarmerie nationale, la sous-direction anti-terroriste (SDAT) de la direction centrale de la police judiciaire, la direction du renseignement militaire (DRM), la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP), et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). Je le répète, tous ces services utilisent leur propre ficher – certains se recoupent, mais ce n’est pas toujours le cas.

Il existe également plusieurs cellules de coordination que nous avons pu visiter : l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), le coordonnateur national du renseignement auprès du Président de la République, et, désormais l’EMOPT, sans compter les cellules de coordination interservices, qu’il s’agisse par exemple des cellules Allat ou Hermès. Au point où nous en sommes, on peut se demander s’il ne faudrait pas un « super-coordonnateur » pour coordonner les coordonnateurs, tant le millefeuille est complexe. Le chef de l’antiterrorisme israélien que nous avons rencontré avant-hier nous a avoué qu’il ne savait toujours pas aujourd’hui qui était son interlocuteur en France !

Monsieur le ministre, pouvons-nous continuer à entretenir ces querelles de chapelles en France ? Ne faut-il pas rationaliser et hiérarchiser le renseignement sous un seul commandement, comme l’on fait les Américains après le 11 septembre, en créant notamment une base commune du renseignement. Le sénateur Philippe Dominati, dans le rapport d’information qu’il a consacré au renforcement de l’efficacité du renseignement écrivait, en octobre 2015 : « L’éclatement de l’architecture administrative actuelle se traduit par une déperdition de moyens et un risque de conflit d’attribution entre les services. »

Je vous cède la parole, monsieur le ministre, après avoir sans doute été un peu long, mais il était important que nous fassions part des premiers résultats de nos travaux.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, si j’ai bien compris, vous faites long dans votre propos introductif, et vous me demandez de faire court dans le mien. Je répondrai aux questions que vous venez d’évoquer, et, bien entendu, je le ferai en étant libre de mon propre propos, parce que je tiens à rendre compte de l’activité des services qui sont sous ma responsabilité avec un esprit qui n’est pas tout à fait le vôtre. Vous partez en effet du principe qu’il y a des failles, et que vous estimez que votre commission doit le démontrer. Moi je pars du principe que seule la vérité compte – et j’entends la dire devant votre commission. C’est de la vérité, c'est-à-dire des faits, que l’on déduit l’existence de failles, et non à partir de failles que l’on présuppose, que l’on doit ensuite articuler les faits.

Je m’assigne cette méthode, car j’ai sous ma responsabilité des services qui donnent le meilleur d’eux-mêmes, et que je lis sur les activités qu’ils conduisent des choses extrêmement approximatives. L’exercice qui consiste a priori à pointer des failles avant que l’on ait démontré leur existence est extraordinairement facile. Dans la responsabilité qui est la mienne, et compte tenu de la complexité du sujet que nous avons à traiter, je n’entends pas, parce que c’est mon honneur et celui de mes collaborateurs, les laisser mettre en cause sans les défendre lorsque ce qui est dit les concernant n’est pas juste.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je vais m’employer à répondre de façon extrêmement méticuleuse à tous les sujets que vous avez évoqués, ce qui me permettra de remettre un certain nombre de faits à leur place.

J’ai déjà eu l’occasion, en me présentant une première fois devant les membres de votre commission d’enquête, le 7 mars dernier, de vous dire qu’il me semblait à la fois tout à fait normal et absolument sain et nécessaire que le Parlement puisse examiner dans le détail l’action menée par les pouvoirs publics face aux sanglants attentats de janvier et novembre 2015 tant dans l’urgence, que dans l’histoire de l’antiterrorisme.

Il y aurait en effet une certaine naïveté à considérer que ce que font les services aujourd’hui ne résulte que des décisions prises à partir de 2012. Ils sont impactés par des décisions qui s’inscrivent dans le temps long de l’histoire de l’antiterrorisme, et qui ont été prises par tous les gouvernements, quelle que soit leur sensibilité politique, ce qui doit appeler chacun à l’humilité.

Je veux donc remercier à nouveau les membres de la commission d’enquête pour les travaux importants qu’ils conduisent, et leur dire le respect que ces travaux nous inspirent. Je souhaite y contribuer pour ma part de façon aussi utile que possible, et c’est dans cet esprit que j’ai remis ce matin même à votre rapporteur, le document de synthèse que les services du ministère de l’intérieur ont consacré à leur « retour d’expérience » à la suite des attentats des mois de janvier et novembre 2015.

La première audition à laquelle vous avez bien voulu me convier nous avait déjà permis, me semble-t-il, d’éclaircir un certain nombre de points concernant des sujets extrêmement importants pour la protection des Français face au risque terroriste. Je pense, en particulier, à la coordination générale des moyens engagés en cas d’attentat, aux procédures d’enquête, à l’organisation des opérations de secours aux victimes, ou encore à la mobilisation des forces d’intervention.

Ce dernier sujet a du reste évolué depuis lors, puisque j’ai présenté le 19 avril dernier, comme vous le savez, un nouveau schéma d’intervention des forces spécialisées en cas d’attaque terroriste. Il a pour objectif de garantir la cohérence et l’unité des forces, et, surtout, de permettre une intervention plus rapide, en tout point du territoire, en cas de tuerie de masse. C’est pourquoi ce schéma prévoit en particulier la création de nouvelles antennes du RAID et du GIGN permettant d’assurer une couverture optimale de notre territoire.

À la suite de ma première audition, vous avez également, comme cela était prévu, interrogé plusieurs responsables des forces de sécurité. Vous connaissez le sang-froid et le professionnalisme avec lesquels ils ont réagi face aux épreuves exceptionnelles que notre pays a connues. Je vous remercie de leur avoir rendu hommage. Au cœur de la tragédie, avec les femmes et les hommes placés sous leurs ordres, ils ont accompli leur mission avec un sens du devoir qui m’inspire une très grande gratitude et, pour ce qui me concerne, un immense respect. Je ne doute pas que les échanges qu’ils ont eus avec les membres de votre commission d’enquête auront été placés sous le signe des mêmes sentiments, et qu’ils auront contribué eux aussi à éclairer votre réflexion.

J’en viens au sujet sur lequel vous avez souhaité m’entendre de nouveau : la politique du renseignement. Elle constitue un autre volet fondamental de la politique globale de notre pays pour lutter avec efficacité contre la menace terroriste. À nouveau, il est essentiel que le Parlement soit pleinement informé des orientations retenues par le Gouvernement dans ce domaine.

Certes, à l’évidence, certaines informations particulières concernant telle ou telle opération, ou la mise en œuvre de telle ou telle technique, ne peuvent être publiquement discutées sans que nous courions le risque de perdre en efficacité, voire de faciliter les projets de nos adversaires. Mais ce principe de discrétion ne saurait être invoqué pour vous empêcher d’examiner les objectifs que poursuit notre politique du renseignement, les méthodes qu’elle emploie, et les moyens sur lesquels elle s’appuie. Le grand débat qui a précédé l’adoption de la loi du 24 juillet 2015 relative à notre politique publique du renseignement a ainsi déjà permis d’engager au sein du Parlement des discussions extrêmement riches et utiles.

Avant d’en venir aux mesures que le Gouvernement a adoptées pour permettre à nos services de renseignement de répondre au nouvel état de la menace terroriste, je voudrais vous faire part de deux réflexions préalables qui ont trait l’une et l’autre à l’efficacité qui est prêtée ou non à nos services. Ce sera une manière de répondre aux questions que vous avez posées.

D’abord, il me semble parfois que les questions de renseignement suscitent, plus que d’autres, des jugements à l’emporte-pièce fondés sur des informations tronquées, souvent mal interprétées, et des approximations que l’on a d’autant plus intérêt à évoquer que l’on sait qu’elles recueilleront toujours un écho maximal dans la presse.

Ainsi, lorsqu’un attentat se produit, la première question que se posent de nombreux observateurs avant même que les conditions de cet attentat n’aient été déterminées est : « Où est la faille des services ? »

Pour en rester aux faits, les attentats de novembre 2015 ont résulté d’une action terroriste coordonnée, d’après les premières informations dont nous disposons, par Abdelhamid Abaaoud, qui était belgo-marocain – il n’avait donc pas la nationalité française –, et qui ne résidait pas en France – il vivait en Syrie. Cet individu a pris pour complices des personnes dont la plupart étaient, elles aussi, belgo-marocaines. Certaines évoluaient à proximité de lui en Syrie ; elles sont arrivées en Europe par l’île de Leros, en Grèce, où leurs empreintes ont été prises sous de fausses identités. Abdelhamid Abaaoud a également enrôlé des complices vivant en Belgique, cachés dans des appartements conspiratifs où ont été préparés les attentats. Enfin, il a également trouvé le concours de deux Français, Samy Amimour, qui était parti en Syrie en 2013 après avoir violé son contrôle judiciaire, ainsi que Omar Mostefaï. Ces deux Français sont revenus en Europe dans les mêmes conditions que les autres auteurs des attentats de novembre, en utilisant vraisemblablement de faux papiers, et en franchissant plusieurs frontières.

Je veux rappeler que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) n’a pas pour mission d’enquêter sur des ressortissants étrangers opérant à l’étranger, tous ceux qui connaissent bien ces sujets le savent. Quant aux terroristes, y compris les Français Amimour et Mostefaï, qui ont traversé de nombreux pays de l’Union européenne avant de perpétrer leurs crimes en France, je confirme solennellement devant votre commission d’enquête qu’aucun service de renseignement, ni aucun service de police des pays en question ne les a signalés. Les services américains, eux non plus, ne les ont pas identifiés lorsqu’ils ont traversé l’Europe centrale, bien qu’ils disposent de moyens très puissants qui justifient de la qualité de notre coopération avec eux.

Il est donc pour le moins réducteur d’imputer aux services de sécurité intérieure français, et à eux seuls, un défaut de vigilance ou de clairvoyance, compte tenu de la complexité de ce qui s’est passé et que je viens de relater. À bien des égards, c’est l’absence d’un système d’alerte européen et d’une coordination efficace des services européens, j’y reviendrai tout à l’heure, qui a été mise en évidence en novembre dernier, et qui appelle des réactions extrêmement fortes et des initiatives efficaces dont la France…

M. le président Georges Fenech. Monsieur le ministre, pardonnez-moi de vous interrompre : pour la clarté de cette audition, pourrions-nous arrêter sur le cas de Samy Amimour, que vous venez d’aborder …

M. le ministre. Monsieur le président, si vous le voulez bien, et pour la clarté de mon propre propos, je souhaiterais pouvoir aller jusqu’au bout de ma démonstration. Ce serait courtois à mon égard ; je me mettrai ensuite, bien entendu, à la disposition de votre commission pour répondre à la totalité des questions qu’elle souhaite poser. Je n’ai pas du tout l’intention de m’y soustraire,…

M. le président Georges Fenech. Monsieur le ministre, je souhaite véritablement…

M. le ministre. …mon propos repose sur une cohérence, et je pense qu’il serait tout à fait courtois de me laisser aller jusqu’à son terme, si vous acceptez de respecter les convenances.

M. le président Georges Fenech. Monsieur le ministre, il ne s’agit pas de courtoisie : il s’agit de mener cette audition avec le maximum d’efficacité et j’entends bien pouvoir le faire. Je cède la parole à M. le rapporteur pour que nous puissions développer le cas de Samy Amimour.

M. le ministre. Monsieur le président, j’ai moi-même été président d’une commission d’enquête parlementaire, et je n’ai jamais procédé ainsi, par respect et par courtoisie pour les personnes auditionnées.

M. le président Georges Fenech. Monsieur le ministre, puisque vous voulez mener ces débats, faites-le sous le regard des Français qui nous regardent !

M. le ministre. Monsieur le président, je ne souhaite pas conduire les débats. Je souhaite simplement pouvoir aller jusqu’au bout de mon propos, et lorsque cela sera fait, je tiens – ce qui est normal, vous m’avez invité pour cela –, à répondre à toutes vos questions et à pouvoir le faire dans le détail, question par question.

M. le président Georges Fenech. Moi, je maintiens ma position, monsieur le ministre. Je pense qu’il sera plus utile, puisque vous venez d’expliquer que la plupart des auteurs des attentats ne relevaient pas de la surveillance de vos services, mais de celle des services étrangers, d’évoquer immédiatement le cas de Samy Amimour, qui nous interpelle.

M. le ministre. Monsieur le président, je n’ai pas dit cela du tout. J’ai indiqué qu’on aurait tort d’imputer à la seule direction générale de la sécurité intérieure une responsabilité compte tenu du parcours effectué par les individus en cause, de leur origine, de leur nationalité, et du fait qu’aucun service de renseignement ne nous a communiqué, avant les attentats, d’information les concernant, alors qu’ils avaient traversé de nombreux pays. Voilà ce que j’ai dit précisément.

J’ai, bien entendu, l’intention de répondre à vos questions. Soucieux néanmoins d’apporter une information complète à la commission d’enquête, et n’entendant pas être dans la confusion, je vous demande d’avoir la courtoisie de me laisser aller au bout de mon propos. Si l’objectif n’est pas d’avoir un propos clair, mais d’entretenir une polémique avec moi, vous perdez votre temps car, encore une fois, j’essaie simplement d’aller au bout de mon propos pour la clarté de nos échanges. Cela dit, si vous voulez que je réponde à vos questions et que je range mes feuilles, je le ferai volontiers, mais je le regretterai tant pour nos débats, qu’au nom des principes de courtoisie qui, généralement, président au déroulement des commissions d’enquête parlementaire.

M. le président Georges Fenech. Monsieur le ministre, je crois que vous n’avez pas perçu à quel point cette commission a travaillé dans un esprit transpartisan. Tous les collègues présents peuvent en témoigner : chacun a pu s’exprimer librement avec le seul souci de la vérité et de la transparence. S’il s’agit de vous rassurer, je le répète : il n’y a aucune recherche de polémique avec qui ce soit, et certainement pas avec vous dont nous connaissons parfaitement le sens des responsabilités et le souci de la transparence. Que ce soit bien clair !

Vous souhaitez aller jusqu’au bout de vos propos ; je trouve que c’est un peu préjudiciable à l’intérêt de nos échanges mais, puisque vous insistez, je vous laisse le faire. De grâce, qu’ils ne soient pas trop longs, cependant, afin que nous puissions tous vous poser les questions qui nous brûlent les lèvres depuis maintenant quatre mois que nous travaillons.

M. le ministre. Monsieur le président, vous aurez tout le temps de poser des questions puisque, par respect pour le Parlement, j’ai réservé toute ma matinée à cette audition de manière à pouvoir être absolument complet. Vous n’avez aucune inquiétude à avoir : vous aurez des réponses extrêmement précises sur tous les sujets que vous avez bien voulu évoquer.

J’en viens donc à ma seconde réflexion sur les « failles » supposées des services. Il est extrêmement rare que soient évoqués les attentats qui n’ont pas eu lieu, précisément parce que nos services de renseignement ont arrêté ceux qui les planifiaient avant même qu’ils puissent être commis. Je veux sur ce sujet apporter des informations sur des événements qui se sont produits depuis ma précédente audition par votre commission. Je pense à l’arrestation de Reda Kriket à Argenteuil, qui a porté à quinze le nombre des attentats déjoués depuis 2013 grâce au travail minutieux de nos services – dont sept depuis janvier 2015.

Par ailleurs, toujours depuis janvier 2015, 335 individus impliqués d’une façon ou d’une autre dans des filières djihadistes ont été interpellés par la DGSI. Parmi eux, 173 ont été mis en examen, et 130 ont été écroués. D’une manière générale, la DGSI est saisie, en propre ou avec la police judiciaire, du suivi de 271 dossiers judiciaires concernant 1 183 individus en raison de leur implication dans des activités liées au terrorisme djihadiste. C’est cette activité intense de nos services de renseignement intérieur qui permet, jour après jour, d’éviter que de nouveaux attentats soient commis. Il me semble important de ne jamais l’oublier.

Cependant, ce constat ne signifie pas, bien entendu, que notre dispositif de renseignement ne doive pas être réformé, renforcé, adapté à l’évolution de la menace terroriste qui a frappé notre pays en 2015. Bien au contraire, le Gouvernement s’est attaché à agir simultanément sur quatre terrains : la réorganisation de nos services de renseignement, afin de couvrir l’ensemble du spectre et de mieux partager l’information ; la modernisation du cadre juridique dans lequel agissent nos services face à un adversaire qui adapte en permanence sa stratégie et ses moyens d’action ; le renforcement continu des moyens d’action de nos services sur le plan matériel et humain, et la recherche d’une coordination plus efficace des services européens spécialisés ainsi que le renforcement des instruments dont ils disposent.

Je veux aujourd’hui revenir devant vous sur les principales décisions que nous avons prises depuis le début du quinquennat, et surtout depuis janvier 2015, pour renforcer nos capacités de renseignement intérieur, qu’il s’agisse de la surveillance du « haut du spectre », confiée à la DGSI, ou bien de la détection des signaux faibles de radicalisation, tâche décisive qui revient désormais au service central du renseignement territorial (SCRT) et aux autres acteurs du « deuxième cercle ».

Pour leur donner une pleine et entière capacité d’action, et par là même corriger certains effets négatifs engendrés par la réforme de 2008, il nous fallait tout d’abord rationaliser l’organisation de nos services. Dès 2013, nous avons commencé à réformer en profondeur l’architecture générale de notre dispositif, lequel repose désormais sur une articulation extrêmement claire et dynamique entre le « premier cercle » du renseignement intérieur, et le « deuxième cercle » composé principalement, s’agissant des services de renseignement, du service central du renseignement territorial (SCRT), de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP), et de la sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) de la gendarmerie nationale.

Nous poursuivions alors deux objectifs complémentaires, qui sont aujourd’hui pleinement atteints : d’une part, achever la transformation de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) en direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), et d’autre part, et c’est très important compte tenu des préoccupations que vous avez exprimées, monsieur le président, recréer un véritable service de renseignement de proximité en milieu ouvert.

Sur le premier point, les choses sont faites depuis la publication du décret du 30 avril 2014 portant création de la DGSI et la plaçant directement sous l’autorité du ministre de l’intérieur, à l’instar des autres grandes directions générales du ministère. Nous avons ainsi parachevé la réforme de 2008, dans ses aspects les plus pertinents, pour aller dans le sens d’une plus forte intégration et d’une plus grande coopération entre les services. La DGSI est désormais un acteur pleinement consacré du renseignement français, placé à égalité avec la DGSE, et siégeant dans les conseils de défense que le Président de la République réunit régulièrement. Par ailleurs, son autonomisation lui a permis de gagner en fluidité dans son organisation, et, par là même, en efficacité dans son action. Il lui est désormais possible de procéder aux recrutements dont elle a besoin, notamment en analystes, en linguistes ou en ingénieurs et en informaticiens.

Surtout, dès 2012, et il s’agit du deuxième pilier de notre réforme, le Gouvernement a remis sur pied un service de renseignement territorial digne de ce nom, en prise directe avec les évolutions profondes de la société, notamment dans les quartiers où s’est enkystée une délinquance de plus en plus poreuse à l’influence des réseaux djihadistes. C’était là une priorité absolue. La réforme conduite en 2008 avait supprimé les renseignements généraux (RG), sans pour autant leur substituer un nouveau modèle permettant la détection des signaux faibles. Elle avait donc affaibli la possibilité de détecter ces derniers sur les territoires. Elle avait réduit nos capacités de renseignement en milieu ouvert et, par là même, nos moyens de détection des phénomènes de radicalisation.

Par souci de clarté et pour expliciter notre propre démarche, je veux revenir brièvement sur la logique qui a présidé à la réforme de 2008 – laquelle a débouché sur la création de la DCRI –, et sur les effets qu’elle a provoqués sur le renseignement à moyen terme.

La fusion de la direction de la surveillance du territoire (DST) et des RG pour créer la DCRI a provoqué une désorganisation de notre dispositif de renseignement intérieur. Elle l’a affaibli en méconnaissant les spécificités de ces deux services complémentaires. Chacun sait parfaitement ici que la disparition des RG a constitué un facteur d’affaiblissement. Elle nous a amputés d’un service composé de policiers habitués à travailler sur le terrain et à partager leurs informations avec les autres services de sécurité. À partir de 2008, le maillage territorial assuré par les RG a été systématiquement réduit dès lors que ces derniers ont été en partie absorbés par la DCRI. Plusieurs dizaines de leurs implantations locales ont alors été fermées, au détriment du renseignement en milieu ouvert tel qu’il se pratiquait sur l’ensemble du territoire national.

En dehors de la DCRI, dont la vocation était dès lors exclusivement centrée sur les menaces du « haut du spectre », le reste du renseignement intérieur a ainsi été réduit à un simple service d’information générale, la sous-direction de l’information générale, en charge, pour l’essentiel, des phénomènes économiques et sociaux, ainsi que de la surveillance du hooliganisme. Ce service n’avait aucune attribution en matière de terrorisme, ni pour le « bas du spectre » ni pour la détection des signaux faibles, et il ne disposait pas des outils techniques nécessaires au renseignement. L’accès aux principaux fichiers de police lui était même interdit.

La réforme de 2008 reposait sur des diagnostics qui méritaient d’être revisités, notamment concernant la nature et l’évolution des menaces susceptibles de nous frapper. Nous avons donc, dès 2012, au lendemain des attentats de Toulouse et de Montauban, décidé de recréer un véritable service de renseignement de proximité. Entamé dès 2012, ce processus a débouché, en mai 2014, sur la création du service central du renseignement territorial (SCRT), dont le positionnement a été renforcé par rapport à celui des RG. Ses attributions ont été élargies pour lui permettre de retrouver pleinement ses compétences d’appui à la prévention du terrorisme, notamment par la détection en amont des signaux faibles de radicalisation. C’est la raison pour laquelle son maillage a été renforcé, en métropole comme en outre-mer, pour densifier le réseau de ses capteurs. De même, nous avons décidé de développer des relais du renseignement territorial dans les compagnies ou les brigades de gendarmerie ainsi que dans les commissariats de police, à chaque fois que cela se révèle nécessaire.

Par ailleurs, pour mieux prendre en compte le caractère diffus de la menace djihadiste ainsi que les phénomènes de porosité entre délinquance et terrorisme, priorité a été donnée à la coopération et au partage de l’information entre les différents services. Coordonner davantage est apparu comme une exigence. Nous avons ainsi consolidé l’articulation entre le « premier cercle » et le « deuxième cercle », dont le décret du 11 décembre 2015 a fixé la composition, principalement le SCRT et la DRPP, cette dernière couvrant le ressort territorial de la préfecture de police, à Paris et dans l’agglomération parisienne. À cet égard, l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) joue bien sûr un rôle décisif d’analyse et de synthèse. L’UCLAT ne constitue pas un service « opérationnel », et l’échange d’informations entre services « de terrain » passe par des relations directes, notamment par la constitution de bureaux de liaison et de coordination.

De surcroît, comme vous l’avez indiqué dans vos propos introductifs, monsieur le président, j’ai pris la décision, après le drame survenu au mois de juin 2015, à Saint-Quentin-Fallavier, de créer un état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT), afin de renforcer encore davantage la coopération entre les services. Je tiens à préciser que, sans la création préalable du SCRT, jamais l’EMOPT n’aurait pu voir le jour, dans la mesure où celui-ci s’appuie sur le fichier de traitement des signalements, de la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), largement alimenté par les agents du renseignement territorial.

Vous avez posé une question très importante à laquelle je souhaite apporter une réponse précise – ce sujet a également été abordé dans le rapport du sénateur Dominati. N’y a-t-il pas trop de structures de coordination ?

En matière de renseignement, il existe plusieurs sujets de coordination qui ne relèvent pas des mêmes logiques, même si in fine, l’ensemble de toutes les informations recueillies doivent être assemblées afin que l’on puisse comprendre de façon extrêmement fine ce qui se passe en matière de terrorisme.

Il faut analyser les phénomènes de radicalisation. On peut partir d’individus identifiés, mais il faut aussi recourir aux chercheurs et à l’université qui permettent d’avoir en permanence une réflexion « rétro-prospective » sur les phénomènes de radicalisation et l’émergence d’activités, d’actions et de groupes terroristes. L’analyse géopolitique et internationale est également indispensable. Elle justifie que soit maintenue une relation constante entre les services intérieurs et extérieurs. Il faut aussi assurer le suivi des individus eux-mêmes. Si chaque service suivait les individus relevant de sa compétence, il n’y avait pas de lieu où l’ensemble des services du ministère de l’intérieur pouvait effectuer le suivi individualisé de chaque cas, et échanger des informations de manière à bien identifier le passage d’un individu du « bas vers le haut du spectre ». Nous n’avions pas non plus de structure qui, sur le fondement de cette analyse individualisée et de ces échanges, permette d’identifier les risques s’attachant à tel ou tel individu en raison de son activité professionnelle ou de son réseau relationnel.

C’est la raison pour laquelle j’ai mis en place ce dispositif : les représentants des grandes directions se retrouvent au sein de l’état-major au plan central. Cet état-major est dupliqué au plan local. Il permet au préfet, sur la base des signalements des services, et de signalements effectués auprès de la plateforme téléphonique installée Place Beauvau, au mois d’avril 2014, de disposer d’une liste exhaustive des personnes à suivre, et d’échanger toutes les informations disponibles sur ces dernières.

Il n’y a donc pas de dispositif de coordination redondant : ce qui relève de l’analyse géopolitique, de l’analyse rétro-prospective des phénomènes de radicalisation, et du suivi individualisé de chaque cas est confié à l’EMOPT, et permet, dans une articulation parfaite avec l’UCLAT, lieu de l’analyse des phénomènes de radicalisation, d’avoir, Place Beauvau, un dispositif complet de suivi. Bien entendu, ce travail que nous effectuons Place Beauvau, cette organisation spécifique, qui donne satisfaction aux préfets – je pense que vos visites dans les territoires l’ont montré – et, désormais, aux services – la constitution du fichier a été laborieuse mais, maintenant que c’est chose faite, son utilisation opérationnelle est extrêmement efficace –, nous permet aussi de faciliter nos relations avec certains autres acteurs du renseignement comme la DNRED, la DGSE ou TRACFIN.

Je souhaite dire un mot de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, qui donne à nos services un cadre légal moderne et cohérent adapté aux nouvelles menaces, aux mutations technologiques les plus récentes, et à l’évolution du droit national et international. Pour la première fois dans l’histoire de la République, ce cadre fixe des règles d’emploi claires des techniques de renseignement afin de protéger les agents qui y ont recours, tout en garantissant le respect des libertés individuelles. La loi renforce ainsi les indispensables dispositifs d’évaluation de l’action des services.

Je signale d’ailleurs à votre attention, car c’était une demande du Parlement, que les décrets d’application ont été publiés, dans leur quasi-totalité, dans des délais très rapides, entre le 28 septembre 2015 et le 29 janvier 2016, pour ceux nécessitant divers avis. Nous allons ainsi pouvoir très vite commencer à mettre en œuvre des innovations telles que le fichier des antécédents judiciaires terroristes (FIJAIT), lequel sera installé dès le début du mois de juillet, de même que nous avons commencé, dans une logique de décloisonnement et de partage de l’information, à élargir l’accès administratif au traitement des antécédents judiciaires ainsi qu’aux données de connexion, pour les services qui en avaient besoin et ne pouvaient jusqu’à présent y accéder.

Nous avons considérablement renforcé les moyens humains mis à disposition des services de renseignement. Entre 2007 et 2012, les services de sécurité intérieure ont perdu 13 000 emplois, et cela n’a pas été sans conséquence sur l’activité des services de renseignement qui ont eux-mêmes perdu de la substance. Durant la même période, les crédits de fonctionnement hors titre 2 ont diminué de 17 %. Depuis le début de ce quinquennat, nous les avons augmentés d’autant, ce qui permet d’accroître les effectifs, d’équiper en matériels nouveaux les services de renseignement qui en avaient grandement besoin, mais aussi de moderniser les infrastructures informatiques. En la matière, je pense au dispositif de contrôle CHEOPS, utilisé dans les aéroports, qui est absolument indispensable pour l’identification des terroristes lors de leur franchissement des frontières extérieures, et qui n’avait pas fait l’objet d’investissements depuis de nombreuses années. Les augmentations de crédits que je viens d’évoquer permettent sa remise à niveau.

Depuis 2013, un plan spécifique a été initié pour renforcer les effectifs de la DGSI, qui concerne 432 effectifs en dehors des plans particuliers de renforcement des moyens du ministère de l’intérieur dans le cadre de la lutte antiterroriste. Il est accompagné d’un effort budgétaire sur crédits hors titre 2 pour un montant de 12 millions d’euros par an.

Le plan de lutte antiterroriste a conduit au mois de janvier 2015 à augmenter cet effort de 1 400 emplois répartis de la manière suivante : 500 emplois dans le renseignement intérieur, 500 emplois dans le renseignement territorial pour redonner de la densité à nos réseaux de capteurs, 100 emplois au sein de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, 130 emplois au sein de la direction centrale de la police judiciaire dans le domaine de la lutte contre la cybercriminalité. Cela permet de renforcer considérablement les moyens de nos services dans le cadre de la lutte antiterroriste.

Je veux également rappeler que certaines des 5 000 créations nettes d’emplois annoncées par le Président de la République lors de la réunion du Congrès, à Versailles, le 16 novembre 2015, viendront conforter significativement les effectifs de nos services de renseignement. Ces derniers diversifient par ailleurs le recrutement de leurs agents : ils ont désormais la possibilité d’avoir recours à des recrutements contractuels, ce qui permet de faire entrer dans les services des analystes, des universitaires qui travaillent en croisant les données afin d’avoir une meilleure perception de ce que sont les risques réels.

Sur le plan des capacités technologiques de surveillance et de recueil de renseignement, nous avons également consenti un effort important, dans le cadre du plan de renforcement des moyens d’équipement, d’investissement et de fonctionnement. Au titre du plan de lutte antiterroriste de janvier 2015, ce sont 233 millions d’euros sur trois ans qui ont été ouverts, dont 90 millions d’euros pour la modernisation et le renforcement des infrastructures et applications informatiques.

Avant de conclure, je veux dire un mot du débat qui se déroule dans la presse concernant l’opposition entre l’investissement dans les ressources humaines et l’investissement dans la technologie. Certains considèrent que nous avons trop investi dans cette dernière, que nous faisons un renseignement trop technologique qui ne donne pas les résultats qu’il devrait faute de ressources humaines ; d’autres estiment au contraire que la formation de nos ressources humaines vieillit, et que nous devrions investir davantage en faveur de la technologie. En fait, les chiffres que je viens de vous présenter en matière de recrutement et d’investissement pour les crédits hors titre 2 montrent que nous investissons à la fois en faveur de l’un et de l’autre. Si nous ne faisons pas les deux à la fois, nous perdrons incontestablement en substance.

Je répondrai dans un instant à la question que vous m’avez posée sur Amimour et Mostefaï de façon extrêmement précise, car je ne veux pas qu’il y ait de frustration, mais je souhaite préalablement évoquer la dimension européenne de nos sujets.

J’ai montré tout à l’heure la complexité du parcours des terroristes, et j’ai évoqué les conditions dans lesquelles ils étaient entrés sur le territoire européen. Daech a récupéré des milliers de passeports vierges en Irak et en Syrie, et s’est doté d’une véritable usine du faux document. Il n’est pas exclu, puisque cela s’est déjà produit, que d’autres commandos puissent entrer sur le territoire de l’Union européenne, munis de faux documents, pour nous frapper et commettre de nouveaux attentats, en profitant des flux migratoires et de la détresse de ceux qui sont persécutés en Irak et en Syrie.

Les contacts que votre commission d’enquête a eus au niveau européen vous l’auront confirmé : la France mène une action extrêmement déterminée pour que des mesures soient prises, le plus rapidement possible, afin d’éviter cela, même si l’Europe met trop de temps à prendre des décisions – et, quand elle les a prises, trop de temps à les appliquer.

Premièrement, il nous paraît indispensable de mettre en place un contrôle puissant aux frontières extérieures de l’Union européenne. Cela suppose la montée en puissance de l’agence européenne FRONTEX, et cela implique également que lorsque les étrangers arrivent sur le territoire, un contrôle extrêmement efficace et solide soit pratiqué avec l’interrogation systématique du système d’information Schengen (SIS). C’est la raison pour laquelle nous avons demandé et obtenu la modification de l’article 7-2 du code frontières Schengen, qui permet désormais de consulter le SIS pour les ressortissants de l’Union qui en franchissent les frontières extérieures. Cette modification risque cependant d’être altérée par la proposition de l’Union européenne relative au dispositif de frontière intelligente, entrée et sortie, qui préconise une application à tous sauf aux ressortissants de l’Union. Nous aurions donc une contradiction complète entre ce que l’Union européenne a acté à la demande de la France pour modifier l’article 7-2, et ce qu’elle propose de mettre en place concernant le dispositif entrée-sortie.

Deuxièmement, pour être interrogé avec efficacité, le SIS doit nécessairement être alimenté par tous les pays de l’Union européenne de la même manière. Tel n’est pas le cas aujourd’hui. La France est actuellement le pays qui alimente le plus le SIS. S’il n’est pas alimenté de façon homogène et identique par les autres membres de l’Union, son interrogation au moment du franchissement des frontières extérieures n’aura pas d’intérêt. Cela conduira, de nouveau, pour le coup, à des failles et à des pertes en ligne.

Troisièmement, nous devons connecter le SIS aux autres fichiers criminels et aux autres fichiers. Je pense au SLTD – pour Stolen or Lost Travel Documents – d’Interpol, ou au fichier d’empreintes digitales EURODAC dont le règlement de l’Union européenne ne permet pas l’utilisation à des fins de sécurité. Ce dernier point constitue un énorme problème lorsque l’on sait que deux des kamikazes du Stade de France sont entrés dans l’Union grâce à des empreintes prises à Leros, posées sur de faux passeports sur lesquels ils apparaissaient sous de fausses identités. Il est donc fondamental d’utiliser EURODAC à des fins de sécurité intérieure, de même qu’il est essentiel que nous disposions d’une task force européenne composée de nos meilleurs spécialistes de la lutte contre les faux documents, car, encore une fois, tout ce que je viens de dire n’a de sens que dès lors que les documents interrogés sont les bons, et que si l’on peut identifier ceux qui ne le sont pas – nous pourrons alors neutraliser les terroristes dès l’instant où ils entrent en Europe.

Je veux enfin insister sur la directive armes à feu. Si nous ne parvenons pas à modifier la directive de 1991 afin d’obtenir davantage de marquages, ainsi que l’intensification de l’éradication des armes et de la lutte contre la vente d’armes à feu sur le net, l’efficacité de notre action en matière de lutte antiterroriste sera obérée.

Voilà ce que je souhaitais dire. J’en viens à Mostefaï et Amimour. Il s’agit de deux cas différents. Bien qu’étant tous les deux ressortissants français…

M. le président Georges Fenech. Merci pour ce très long exposé des réformes en cours ainsi que de celles passées puisque vous avez longuement rappelé les circonstances de la réforme de la DCRI.

En ce qui concerne l’EMOPT, nous nous sommes demandé si sa création était nécessaire, et s’il n’aurait pas mieux valu, plutôt que d’ajouter une nouvelle structure, élargir le domaine de l’UCLAT. Vous avez souligné que la création du FSPRT, le fichier de l’EMOPT, avait été laborieuse. Ce qui nous a surpris, c’est que la DNRED ne connaissait même pas l’EMOPT il y un mois et que la DGSE était incapable de donner la signification de l’acronyme.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Il nous a été indiqué, notamment par la DGSI, qu’à partir du moment où Samy Amimour avait été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire, le suivi par les services de renseignement avait cessé. N’y a-t-il pas là un « trou dans la raquette » ?

M. le ministre. Il ne faut pas considérer comme une faille ce qui est l’application du droit. Aucun service ne peut faire autre chose que d’appliquer la législation en vigueur.

M. le président Georges Fenech. Le droit peut avoir des failles.

M. Pierre Lellouche. On peut changer le droit. Nous sommes là pour ça.

M. le ministre. Absolument. Je me contente de vous dire ce qu’est l’état du droit et ce que j’en déduis.

Dès lors qu’un individu est placé sous contrôle judiciaire, et qu’il fait par conséquent l’objet d’interceptions judiciaires, il n’est pas possible de procéder à des interceptions de sécurité administratives. Cela résulte de la séparation des pouvoirs, qui empêche les autorités administratives de perturber les enquêtes judiciaires. Dans le débat sur la loi « Renseignement » et dans celui sur l’état d’urgence, nous avons eu des discussions sans fin, avec des parlementaires de toutes sensibilités, sur la nécessité pour le juge judiciaire de conserver, s’agissant de dispositifs attentatoires aux libertés, la totalité de ses prérogatives. Les mesures de police administrative étant considérées comme des dispositifs attentatoires aux libertés car elles interviennent sans que soient réunies la totalité des preuves qui seraient mobilisées dans une procédure judiciaire, je ne suis pas sûr qu’une modification du droit en la matière puisse se faire sans réviser la Constitution. En tout état de cause, il ne faut pas interpréter ce retrait d’un service de renseignement intérieur comme une faille mais comme une application du droit.

M. le président Georges Fenech. Personne ne l’a fait ici.

M. le ministre. D’autres l’ont fait, par exemple dans la presse.

M. le président Georges Fenech. Notre presse est libre.

M. le ministre. Cela a été dit aussi par des responsables politiques.

Nous avons appliqué le droit. Quand des individus présentant un risque terroriste sont placés sous contrôle judiciaire, nous ne sommes plus armés pour assurer leur suivi. C’est incontestablement un problème.

M. le rapporteur. Il est paradoxal qu’une personne mise en examen pour des affaires de terrorisme ne soit plus suivie par nos services de renseignement qui luttent contre le terrorisme. Notre Commission fera des propositions en la matière.

M. le ministre. J’indique que la mise en place du FIJAIT obligera ceux qui font l’objet d’un contrôle judiciaire ou d’une condamnation à signaler leurs déplacements. Nous nous sommes donc déjà dotés de moyens nouveaux qui permettront de corriger pour partie les imperfections de notre droit.

M. Pierre Lellouche. Pour un terroriste, le mieux, finalement, est de se faire mettre en examen pour le braquage d’une station d’essence car les services de renseignement cesseront alors de l’écouter ! Ce sujet doit être traité, mais il y avait dans le cas d’Amimour un autre dysfonctionnement, à savoir que le contrôle judiciaire n’a pas été véritablement assuré. Alors qu’on lui avait retiré son passeport, Amimour est allé déclarer la perte de ce document à la préfecture et reçu un autre passeport, avec lequel il est parti en Syrie avant de revenir en France. Cela fait beaucoup, à côté des failles européennes que vous avez pointées à juste titre. Je rapportais hier un texte sur les mesures de contrôle de Schengen, qui sont très défaillantes, mais nous avons des « trous dans la raquette » en interne aussi.

M. Alain Marsaud. Dans les procédures de contrôle judiciaire, notamment en cas d’obligation de pointer au commissariat ou à la brigade de gendarmerie, le service où pointe la personne mise en examen pour terrorisme n’est pas forcément au courant de la dangerosité de cette personne, qui est traitée comme n’importe quel individu sous contrôle judiciaire de droit commun, et un défaut de pointage n’est pas toujours signalé immédiatement. Il faudrait donc que la dangerosité soit connue au lieu où se fait le pointage.

M. le ministre. Ce que dit Pierre Lellouche serait en effet très préoccupant si son passeport avait été rendu à Samy Amimour pendant son contrôle judiciaire. C’est ce que j’ai lu en plusieurs occasions, alors que c’est totalement faux. Amimour a été placé sous contrôle judiciaire en octobre 2012 mais avait demandé le renouvellement de son passeport en mars. Il n’y avait en mars aucune raison de ne pas lui délivrer son passeport. J’en parle d’autant plus volontiers que c’est un gouvernement de droite qui était alors aux responsabilités. Il n’est pas permis de refuser un document d’identité de façon discrétionnaire.

Il faut en effet, monsieur Marsaud, que la communication entre les services soit totale afin d’éviter ce type de dysfonctionnement. C’est précisément la raison pour laquelle j’ai créé l’EMOPT, au sein duquel se réunissent tous ceux qui ont à connaître de la situation de chaque individu porté au FSPRT, et où l’information circule.

La nature de l’activité terroriste à laquelle nous sommes confrontés est un phénomène extrêmement nouveau. J’essaye de faire en sorte que les mailles du filet soient aussi fines que possible, afin que personne ne passe au travers, mais ce n’est pas parce que l’on essaie de faire au mieux que l’on est garanti de toujours bien faire. Sur les deux points en question, ma réponse est précise : la chronologie dans le premier cas et le dispositif que j’ai mis en place pour éviter que ce type de situation se perpétue dans le second.

M. le rapporteur. Trois autres questions, monsieur le ministre, la première sur l’articulation entre l’UCLAT et l’EMOPT. Pourquoi avoir créé une nouvelle structure, plutôt que de déplacer l’UCLAT, actuellement au sein de la DGPN, auprès de vous-même en tant qu’unité de coordination de la lutte antiterroriste ?

Lors de nos déplacements à Lille et Marseille, les services de renseignement, en particulier la SDAO et le SCRT, ont souligné l’utilité et l’efficacité du FSPRT. Ne faut-il pas aller plus loin ? Chaque service de renseignement a son propre fichier. Certains alimentent le FSPRT, à l’instar de la DGSI, mais d’autres, y compris dans le premier cercle, ni ne l’alimentent ni n’y ont accès. Ne conviendrait-il pas de créer une base commune, avec différents niveaux d’habilitation, accessible à l’ensemble des services du premier cercle, voire à certains services du second ?

Enfin, nous avons constaté une volonté forte de la gendarmerie d’aller plus loin en matière de renseignement. La gendarmerie couvre la moitié du territoire et de la population et fait déjà partie du second cercle du renseignement. Ne peut-on envisager la création d’une direction générale du renseignement territorial par la fusion de la SDAO et du SCRT ? Cela permettrait, après la disparition des RG, de remailler le territoire avec le renseignement territorial.

M. le ministre. Il fallait créer l’EMOPT parce que nous avions des exemples d’individus passant du bas au haut du spectre ou vice-versa dont le suivi m’apparaissait, compte tenu du niveau de menace, trop aléatoire faute d’une méthode et d’un dispositif permanent. L’EMOPT, c’est, plus qu’une structure, une méthode conduisant l’ensemble des services du ministère de l’intérieur pouvant avoir à connaître de l’activité d’individus radicalisés ou engagés dans des activités à caractère terroriste à échanger des informations de manière permanente, de façon que personne n’échappe aux radars.

Mettre en place une telle méthode au sein de l’UCLAT présentait des avantages et des inconvénients. Le rôle de l’UCLAT n’est pas d’assurer un suivi individualisé. Nous aurions risqué de compromettre son travail d’analyse des phénomènes de radicalisation et de terrorisme. Comme les sujets sont connexes, j’ai cependant souhaité que les deux travaillent ensemble, et je n’exclus pas une intégration à terme.

J’ai également souhaité que l’EMOPT regarde ce qui se passe dans certains secteurs professionnels où peuvent se trouver des individus radicalisés. C’est grâce à son travail d’identification que nous avons pu interdire l’accès aux aéroports à un certain nombre d’individus présentant des risques. L’intérêt opérationnel de l’EMOPT est avéré.

Que certains services ne connaissent pas l’EMOPT ou son sigle n’est pas forcément choquant. Je ne connais pas tous les dispositifs de coordination ni tous les acronymes des autres ministères. Ce qui compte, c’est que l’information récupérée par l’EMOPT soit portée à la connaissance des autres ministères lorsque nous sommes ensemble en réunion. L’échange est constant sur les noms posant problème. Les autres services ne connaissent peut-être pas l’acronyme mais ils connaissent les signalements.

En outre, à ma demande le FSPRT est depuis trois semaines accessible à certains services : la direction de l’administration pénitentiaire (DAP), la DGSE, la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD). Depuis trois semaines au moins, ces services doivent donc savoir ce que signifie l’acronyme.

M. le rapporteur. L’UCLAT administre le FSPRT et l’EMOPT assure le suivi individualisé des personnes : ce sont deux structures différentes en deux lieux différents. N’aurait-il pas mieux valu prévoir une seule structure ?

M. le ministre. Cela ne se passe pas ainsi. L’UCLAT me fournit des analyses et l’EMOPT, qui encore une fois n’est pas une structure mais une méthode de travail, rassemble autour d’Olivier de Mazières des personnes issues des services pour assurer un suivi en continu des individus portés au FSPRT. Ce travail est relayé par les correspondants de ces services du ministère sur le territoire puisque, depuis avril 2014, se réunissent régulièrement autour des préfets et des procureurs l’ensemble des services du ministère pour un suivi localisé. L’UCLAT et l’EMOPT ne sont pas dans les mêmes locaux mais ils se réunissent chaque semaine autour de mon cabinet et de moi-même pour agréger la totalité des données. La connexion est permanente.

Une fusion des fichiers est problématique. Les informations dont nous disposons sont classifiées et tous les services ne sont pas habilités à recevoir ce type d’informations. Par ailleurs, la constitution d’un fichier immense pose des problèmes au Conseil d’État et à la CNIL. Cela dit, l’absence de fichier unique n’empêche nullement la communication entre services ; vous avez évoqué la cellule Allat, il y en a d’autres. Nous avons fait le choix du pragmatisme.

La SDAO et le SCRT sont des structures complémentaires et nous craignons qu’une fusion prive la gendarmerie de sa capacité de renseignement sans améliorer pour autant le renseignement territorial. Le SCRT exploite les renseignements concernant tous les domaines de la vie institutionnelle, économique et sociale, et étudie les faits de société susceptibles de remettre en cause les valeurs républicaines, telle que les dérives sectaires et les phénomènes de repli communautaire et identitaire. Il centralise le renseignement et réalise des synthèses au profit des autorités gouvernementales et administratives. En tout, 200 gendarmes servent dans ses rangs : 40 au niveau central, 160 dans les services locaux. Dans le cadre du plan de lutte antiterroriste, 100 militaires de plus renforceront le SCRT.

La SDAO joue un rôle central dans la gestion des événements en zone gendarmerie, grâce à deux structures indispensables. Le premier pilier en est le centre d’opérations et de renseignement de la gendarmerie, qui suit en direct l’ensemble des opérations conduites par les gendarmes, plus de 8 000 par jour, soit 2,9 millions par an. Le second pilier est le centre d’analyse et d’exploitation, qui joue un rôle d’anticipation. Il ne faut pas reproduire ce qui a été fait en 2008. Je tiens à maintenir tous les capteurs ouverts sur le territoire national. Ce qui n’empêche pas d’introduire, comme nous l’avons fait, des gendarmes dans le SCRT de manière à créer les conditions d’un rapprochement entre les structures.

M. Christophe Cavard. Un tournant a eu lieu en France en 2012, avec l’affaire Merah, puis avec l’année noire qu’a été 2015.

Il ressort de nos auditions que la DGSI est devenue le chef de file de la coordination des services de renseignement, au moins sur le territoire national. Comment cette coordination se passe-t-elle concrètement ?

Nous avons par ailleurs été alertés sur le fait que des notes blanches produites par les services de renseignement ne sont pas toujours transmises au pôle antiterroriste. À l’inverse, quand il se passe quelque chose, le pôle est tout à coup bombardé de notes blanches. Quelle est votre analyse ?

Comment se passe la coordination du renseignement au plan mondial et européen ? Des officiers de liaison du monde entier se croisent à Europol mais ils n’y traitent guère du terrorisme. N’y aurait-il pas intérêt de prévoir une réorganisation de ces moyens au plan européen ?

M. Pierre Lellouche. Si Amimour a été placé sous contrôle judiciaire en octobre, il est parti l’année suivante en Syrie. Le ministère de l’intérieur sait-il comment il est parti ? La chronologie n’ôte rien à la pertinence de la question que je posais sur cette personne qui relevait de la surveillance de vos services.

Dans la mesure où il y a eu une certaine tension au début de la réunion ce matin, je tiens à dire que ce ne sont pas du tout des querelles partisanes qui nous animent au sein de cette Commission. Nous cherchons à assurer à nos concitoyens une sécurité sinon totale du moins maximale, en tirant les leçons des événements, sans a priori politique. Je suis de ceux qui ont demandé que les travaux soient à huis clos, de façon que nous puissions parler sans détour avec les décideurs et qu’il n’y ait pas de grand exposé sur qui a été responsable de quoi. Cette audition est publique et vous avez tout à fait le droit de parler quarante minutes ; vous êtes d’ailleurs sans doute dans votre rôle en faisant cela.

Vous avez indiquez que vous ne partiez pas des failles mais des faits. Quand un attentat terroriste fait 150 morts, c’est un échec. Quand le crime a été commis, le système a été défaillant. La gageure, en matière terroriste, consiste à défaire les attentats avant qu’ils se produisent. Il ne s’agit pas pour nous de remettre en cause la qualité et le dévouement des hommes, car nous avons au contraire de la gratitude et du respect pour tous ceux qui servent notre pays, mais, face à 147 morts, onze attaques contre la France en 2015, on est en droit de se demander ce qui ne va pas. Vous étiez sur la défensive, pointant du doigt les Européens ou la réforme des RG de 2008.

Nous savons qu’il existe deux formes d’attaques contre notre pays : il y a, d’une part, des gens qui se radicalisent tout seuls, soit en prison soit devant leur écran, et vont poignarder un soldat ou un policier – c’est typiquement le genre de choses qui se produisent aussi en Israël et sont très difficiles à prévenir – et, d’autre part, des opérations complexes téléguidées par des cerveaux à Mossoul, à Raqqah, dans les Émirats ou en Arabie saoudite, avec des artificiers quelque part en Belgique ou ailleurs et la piétaille des soldats qui commettent les attentats en France. Il faut que les services français soient capables de travailler ensemble et avec leurs homologues européens.

On sait que quelque 5 000 Russes sont aujourd’hui en Syrie, des Tchétchènes, et il y a des Tchétchènes en France aussi. Quelque 5 000 citoyens européens se trouvent en Syrie ou en Irak, dont au minimum 1 600 Français. Invoquer le fait que nos services ne peuvent surveiller des citoyens non français n’est pas une bonne réponse ; il faut être capable de travailler sur l’ensemble du spectre, en sachant que plus nous serons efficaces à Raqqah ou Mossoul au plan militaire, plus nous risquons de voir revenir ces gens en grand nombre.

Hier, j’ai rapporté, à ma demande, une convention sur l’agence de Strasbourg qui gère Eurodac, VIS, Schengen, SIS 2, et devra gérer tous les autres systèmes qui vont théoriquement arriver. Cela ne fonctionne pas. Nous donnons nos fiches S au système Schengen mais les autres, à commencer par les Belges, ne le font pas. Un Big Bang européen doit avoir lieu. Cela dépend de la volonté politique du Gouvernement français. Il est entré, sans contrôle, 1,8 million de personnes en Europe l’an dernier, dont des terroristes qui ont frappé en France. Les systèmes de contrôle ne fonctionnent pas. Il faut, je vous rejoins, des contrôles biométriques. Tout est à faire mais nous sommes au point mort au plan européen. Cela fait des mois que j’entends dire qu’il y aura Frontex ou que SIS 2 va être renforcé, mais rien ne se passe. Il a fallu cinq ans pour mettre le PNR en place. À ce rythme, nous subirons de nombreux autres attentats.

En dehors du fait que la coordination européenne doit progresser, des questions se posent aussi sur le fonctionnement interne de nos services, à la suite d’affaires concernant des citoyens français, tels que Coulibaly ou les frères Kouachi, des gens radicalisés en prison, qui ont été écoutés et dont les écoutes ont été interrompues. Avez-vous les moyens d’écouter les gens ? Pourquoi les écoutes des frères Kouachi ont-elles été interrompues ? Si ces écoutes ne donnaient rien, s’est-on demandé si c’était parce qu’ils utilisaient d’autres moyens de communication ?

Ce ne sont pas des critiques politiques, mais je suis inquiet devant l’ampleur du problème, le nombre de gens concernés, les dispositifs inexistants en Europe et les moyens que je trouve perfectibles du côté français.

Il se pose aussi la question des opérations : comment utiliser la force, qui doit l’utiliser… Est-il raisonnable de demander aux militaires de faire un travail de police ?

M. Georges Fenech. Merci d’avoir rappelé que nous ne faisons pas de politique dans cette Commission.

M. Meyer Habib. Les travaux de cette Commission sont en effet conduits dans un esprit non partisan.

Vous avez, monsieur le ministre, tenu une réunion le 19 avril à Beauvau et pris l’initiative de réorganiser les services. Lors d’une première audition, vous avez indiqué que vous étiez favorable à un changement de doctrine d’intervention, et vous avez essayé de le mettre en place, en prévoyant en particulier une intervention sur les lieux en vingt minutes maximum. Vingt minutes, cela reste beaucoup. Entre le début des coups de feu au Bataclan et le premier tir de la police, il s’est passé moins de quinze minutes, mais cela a suffi à faire près de cent morts. Ne pourrait-on prévoir que le primo-intervenant ait la possibilité et même le devoir de tirer ? Avec la guerre que nous connaissons aujourd’hui, il faut aller plus loin.

L’aéroport Charles de Gaulle n’est pas suffisamment sécurisé, ainsi que l’écrasante majorité des aéroports en Europe. Nous avons passé une demi-journée à l’aéroport Ben-Gourion. Il y a aujourd’hui à Charles de Gaulle des militaires et plus de policiers, mais on ne peut rien faire contre quelqu’un qui viendrait se faire exploser avec une valise piégée. Il faut un premier cercle hermétique à quelques kilomètres de l’aéroport, avec un contrôle de toutes les voitures par des hommes et des caméras examinant les plaques minéralogiques.

Il faut en outre contrôler le personnel de l’aéroport et le catering à destination des avions : l’empoisonnement d’un pilote peut transformer un avion en arme de destruction massive. Ne convient-il pas également d’envisager la présence d’un policier en civil armé dans chaque avion d’Air France ? Les terroristes du 11 septembre 2001 n’étaient pas armés mais ils ont détourné des avions pour en faire de véritables bombes.

Je suis député, entre autres, de Franco-Turcs. Contrairement à ce que peut penser Mme Merkel, je considère que le fait de supprimer les visas, comme le souhaite à tout prix M. Erdogan, pour les ressortissants turcs est une très mauvaise idée.

Enfin, je suis inquiet de la doctrine d’une partie des Frères musulmans, telle qu’on la trouve au sein de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). Même s’ils ne sont pas dans leur écrasante majorité des gens dangereux, leur discours est parfois contraire aux valeurs de la République et à notre pratique de la laïcité. Si le danger n’est pas immédiat, la question doit tout de même être traitée dès à présent.

M. le président Georges Fenech. Il vaut mieux, monsieur le ministre, réserver votre réponse sur les forces d’intervention, qui feront l’objet d’une seconde série de questions.

M. le ministre. Son rôle de chef de file conduit la DGSI à centraliser les informations en matière de sécurité intérieure. Elle a besoin pour cela de recueillir des informations émanant d’autres services que ceux du ministère de l’intérieur. C’est dans cet esprit qu’a été créée la structure Allat. Des mouvements suspects sur des comptes bancaires, par exemple des déclenchements de crédits à la consommation, peuvent révéler, chez certains publics, l’intention de commettre des actes terroristes ou une volonté de départ, et des relations avec Tracfin ou les douanes sont à ce point de vue très utiles.

Ce ne sont pas les services qui sont destinataires des notes blanches ; ils en sont les émetteurs, à destination des juges. Lorsque, dans le cadre de mesures de police administrative, le juge administratif doit apprécier la pertinence de ces mesures, les services lui communiquent des notes blanches en appui de la mesure prise par l’administration.

M. Christophe Cavard. Les notes blanches ne parviennent pas toujours au juge et notamment au pôle antiterroriste, nous a-t-il été dit. En revanche, elles arrivent toutes d’un seul coup lors d’un événement dramatique.

M. le ministre. La difficulté, c’est que les notes blanches permettent de communiquer des informations sur le fondement desquels une décision de police administrative a été prise mais que la communication de certains éléments peut obérer les enquêtes ultérieures. C’est pourquoi il est prévu dans la loi relative au renseignement une formation spécialisée du juge administratif du Conseil d’État, qui pourra connaître de la totalité des informations. Le juge administratif est désormais aussi exigeant sur les mesures de police administrative que le juge judiciaire sur les mesures concernant des individus judiciarisés ; il faut s’adapter à cette jurisprudence.

Il est nécessaire de renforcer la coopération au sein d’Europol. Nous déléguons dans cette organisation nos meilleurs policiers et communiquons l’ensemble des informations dont nous disposons pour lutter contre les organisations internationales du crime. Nous sommes parmi les pays européens les plus enclins à conforter Europol dans son rôle.

M. Pierre Lellouche. Un des points examinés lors de l’examen du système Schengen, c’est qu’Europol consulte très peu les systèmes d’information européens : de mémoire, ce sont 740 consultations par an. Est-ce parce que ces systèmes ne sont pas bons ? Il n’existe même pas de classification « terroriste » à l’intérieur du système Schengen.

M. le ministre. Je commencerai par répondre à vos autres questions.

En ce qui concerne, tout d’abord, l’état d’esprit qui est le mien, je n’ai jamais dit que cette Commission poursuivait des objectifs politiques ou partisans, mais si vous m’expliquez tous que ce n’est pas le cas je vais finir par avoir des doutes. J’ai simplement souhaité pouvoir aller au bout de mon propos car j’estime utile de profiter de ces échanges pour vous communiquer les informations dont je dispose. Je ne suis pas du tout sur la défensive, mais j’ai l’obsession des faits car, sur ces questions extrêmement complexes, il y a trop d’approximations.

Ma position ne consiste nullement à dire que la France n’a rien à se reprocher et que tout est la faute de l’Europe. J’ai expliqué ce que nous avions fait et à faire en France en matière de renseignement, comme recruter des contractuels pour analyser la masse d’informations et mieux appréhender la réalité des risques, un domaine dans lequel nous avons beaucoup de retard. Je souhaite simplement que les sujets que nous traitons soient les vrais sujets. Dans votre question, monsieur Lellouche, vous en avez pointé beaucoup.

Les sujets sur lesquels nous sommes en retard au plan européen sont nombreux. Sur ces sujets, la France est très déterminée et active. Il a été question du contrôle aux frontières pendant des années et il ne s’est effectivement rien passé, mais nous venons justement de prendre une décision et nous avons débloqué des financements : nous avons décidé d’augmenter de 250 millions d’euros le budget de FRONTEX. C’était une demande de la France. C’est une première étape mais cela ne suffira pas, et c’est pourquoi j’ai proposé de déléguer 120 policiers de la police aux frontières – nous sommes même prêts à aller jusqu’à 200 – en Grèce, pour garantir que les contrôles seront effectués. Une grande confiance n’exclut pas une petite méfiance. J’ai également délégué quatre-vingts personnes à l’EASO (European Asylum Support Office).

Ce que vous avez dit sur le SIS est juste. Nous avons obtenu lors de l’avant-dernier Conseil JAI la connexion des fichiers : SIS, SLTD, EURODAC… Nous nous battons pour que la décision soit appliquée.

M. Pierre Lellouche. Vous pourriez expliquer ce qui s’est passé à Cambrai le lendemain de l’attaque du 13 novembre, quand la gendarmerie a arrêté Abdeslam en train de remonter vers la Belgique et interrogé le fichier Schengen. Cela montre la déroute des systèmes d’information européens.

M. le ministre. Il faut que le Système d’Information Schengen – je l’ai dit dans mon propos introductif – soit alimenté de façon homogène et identique par tous les pays de l’Union européenne. Si le fichier est incomplet et qu’une personne n’y est pas signalée comme présentant un risque terroriste, le consulter ne sert à rien.

La France signale des individus comme radicalisés ou terroristes. Le fichier donne la conduite à tenir ainsi que le motif de cette conduite à tenir, ce qui permet d’appeler la vigilance des services de contrôle. Nous alimentons beaucoup le SIS 2, avec tout le débat que cela suscite sur les fiches S. On me demande maintenant de contrôler les fiches S à l’entrée des « fan zones » afin d’empêcher les personnes d’y pénétrer, mais si vous informez quelqu’un qu’il fait l’objet d’une fiche S à l’entrée d’une « fan zone », vous pouvez supprimer ces fiches car elles n’auront plus d’intérêt en termes de suivi et de renseignement. Les pays qui voient ces débats chez nous ne sont pas incités à alimenter le SIS. C’est aussi pourquoi la consultation du SIS à Cambrai ne fait pas apparaître le caractère terroriste de la personne arrêtée.

Le SIS 2 est alimenté par les vingt-six États membres de l’espace Schengen ainsi que par la Roumanie, la Bulgarie et le Royaume-Uni. Les combattants étrangers sont spécifiquement signalés, à travers l’article 36-3 du SIS, par des données issues du renseignement. L’article 37-2 prévoit par ailleurs un signalement pour la répression d’infractions pénales et la prévention du crime, alimenté par les services judiciaires. Des progrès doivent être faits en ce qui concerne l’alimentation du fichier.

Les frères Kouachi ont été mis sur écoute dans le cadre d’interceptions de sécurité administratives, autorisées par la CNCIS, pendant quelque quatre ans. Ces interceptions n’ont rien donné. Compte tenu de ce fait, la CNCIS a indiqué, dans sa dernière autorisation, que ce serait la dernière si celle-ci ne donnait toujours rien. C’est ce qui s’est passé.

M. Pierre Lellouche. Vous savez que notre Commission a contredit la version de M. Calvar sur ces écoutes.

M. le président Georges Fenech. Pour que les choses soient bien claires : la CNCIS n’a jamais refusé une autorisation ?

M. le ministre. M. Delarue s’est exprimé sur ce sujet. La CNCIS n’a pas eu à dire non car elle a indiqué que ce serait sa dernière autorisation si celle-ci ne permettait pas d’obtenir quelque chose.

M. Pierre Lellouche. Ce n’est pas une décision que la CNCIS peut prendre. Elle n’a pas à contrôler l’opportunité.

M. le président Georges Fenech. C’est un élément nouveau, et important, que vous apportez. Nous avons entendu hier le garde des sceaux hier et n’avons pas eu cet élément.

M. le ministre. Ce sont les informations dont je dispose.

En ce qui concerne Coulibaly, le problème, que nous avons commencé à régler avec le garde des sceaux, est qu’il faut une plus grande communication entre le renseignement pénitentiaire et le renseignement intérieur. Lorsque les individus sortent de prison, nous devons être systématiquement informés de ce qu’a été leur comportement, de manière que le renseignement intérieur prenne le relai du renseignement pénitentiaire. L’insuffisante coordination entre les deux est une faille.

M. le président Georges Fenech. Comment se traduit la continuité entre milieu fermé et milieu ouvert ?

M. le ministre. Par deux choses : d’une part, la montée en puissance, voulue par Jean-Jacques Urvoas, du renseignement pénitentiaire et, d’autre part, une articulation entre la chancellerie et le ministère de l’intérieur par laquelle la chancellerie, quand des individus dangereux sortent de prison, en informe l’intérieur afin que celui-ci prenne le relai. Et nous avons introduit l’administration pénitentiaire dans les groupes d’évaluation locaux autour de ce qui se fait avec l’EMOPT, de manière à fluidifier la communication.

En ce qui concerne la sécurité dans les aéroports, nous avons pris de nouvelles dispositions. Nous avons d’abord considérablement renforcé les effectifs et les moyens. Au-delà des unités de forces mobiles et les militaires de Sentinelle, signalons une augmentation des effectifs de la police aux frontières, une modernisation des équipements pour améliorer l’efficacité du contrôle, et l’interrogation du SIS sur les aéroports. Nous avons également renforcé les moyens de la gendarmerie des transports aériens (GTA), de la compétence de laquelle relèvent l’espace des pistes et le contrôle autour des avions. Cela nous a d’ailleurs récemment permis de faire assez rapidement le point s’agissant de l’avion d’EgyptAir au départ de Paris. Nous avons notamment une idée très précise des personnes qui sont intervenues, car nous avons clarifié les compétences de chacun et mis en place des dispositifs garantissant la traçabilité de l’intervention des acteurs sur les aéroports afin de pouvoir être informés et améliorer les dispositifs préventifs.

M. le président Georges Fenech. Avant d’aborder la question des forces d’intervention, nous souhaiterions un éclaircissement. Vous avez déclaré que d’ici à la fin du quinquennat, et en ajoutant les 900 postes supplémentaires créés dans le cadre du plan de lutte contre l’immigration clandestine, ce sont 9 000 emplois qui auront été créés dans la police et la gendarmerie. Or le rapport de la Cour des comptes sur l’exécution budgétaire fait état de 240 298 ETP en 2011 et de 239 470 en 2015, soit une réduction du nombre d’ETP de 828. Ce n’est pas cohérent avec les augmentations que vous annoncez, mais sans doute quelque chose nous échappe-t-il.

M. Olivier Marleix.  Sur la question des effectifs, je vous donne bien volontiers acte, Monsieur le ministre, de votre volonté de renforcer ces effectifs, au moins depuis 2015, notamment dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme – 500 emplois supplémentaires par an sur trois ans. Cependant, la Cour des comptes montre qu’en réalité cet effort est quelque peu contrebalancé par des départs à la retraite plus nombreux que prévu dans la gendarmerie – près de 400 départs à la retraite. Quelle que soit votre bonne volonté, notamment en cette année 2015 et probablement encore en 2016, quel que soit l’effort particulier fait pour renforcer les moyens du renseignement, le solde global des effectifs des forces de l’ordre montre au moins une inertie, une difficulté dans l’exécution. Le président, l’a dit, la Cour des comptes dénombrait, dans ses rapports annuels de performance, 239 470 ETP à la fin de l’année 2015, alors qu’il y en avait 240 298 en 2011. Je parle bien d’emplois consommés, pas de plafonds d’emplois. Voilà qui n’est pas tout à fait cohérent avec les chiffres sur lesquels vous aimez communiquer, que vous nous avez rappelés.

Je voudrais prolonger la question du rapporteur sur la réforme du renseignement – « votre » réforme. Vous n’hésitez pas, monsieur le ministre, à être sévère avec vos prédécesseurs, à l’exception de votre prédécesseur immédiat – prudence que je peux comprendre. Aujourd’hui, le service du renseignement territorial est intégré à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) et, dans nos départements, les fonctionnaires du renseignement territorial sont sous l’autorité des directeurs départementaux de la sécurité publique. Cependant, avec votre réforme du renseignement, qui est aussi celle de votre prédécesseur, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) est devenue autonome par rapport à la direction générale de la police nationale (DGPN). Autrefois, le directeur général de la police nationale coordonnait l’ensemble des informations : ce que vous avez appelé vous-même le haut du spectre, qui émanait de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), et le bas du spectre, qui émanait des services territoriaux de renseignement. Aujourd’hui, le haut du spectre relève de la DGSI, et le bas du spectre du service territorial de renseignement, intégré à la sécurité publique. Votre réforme n’a-t-elle pas créé un hiatus qui justifie, finalement, la création de cet état-major opérationnel pour la prévention du terrorisme (EMOPT), aujourd’hui seul à même d’assurer cette coordination autrefois faite assez naturellement par le directeur général de la police nationale ? J’aurais voulu quelques éléments prospectifs sur la question. D’un point de vue structurel, ce cloisonnement entre DGSI et DGPN sera-t-il vraiment approprié à terme, lorsque le ministre de l’intérieur ne s’occupera plus forcément quotidiennement des questions qui nous préoccupent aujourd’hui ?

M. le ministre. Monsieur le député, je ne reprendrai pas le débat que nous avons eu au moment de l’examen de la loi de finances initiale mais je vous ferai parvenir cet après-midi une note extrêmement complète qui montre qu’il n’y a pas décalage entre les chiffres de la Cour des comptes et les miens. Simplement, des crédits ont été transférés d’une ligne à l’autre et l’on travaille sur des périmètres différents. C’est pourquoi les chiffres consolidés sont ceux que vous citez.

Un chiffre confirmera notre sincérité budgétaire : lorsqu’en 2012, vous avez quitté le pouvoir, il y avait 500 élèves dans les écoles de police par an – je me rends d’ailleurs cet après-midi à celle d’Oissel – il y en a aujourd’hui 4 600, et l’on peut en dire autant pour la gendarmerie. Nous avons multiplié par dix le nombre d’élèves dans les écoles. À la fin du quinquennat, 9 000 postes nouveaux auront bel et bien été créés dans les services de police et de gendarmerie. Je vous remets d’ores déjà un document budgétaire extrêmement précis du ministère de l’intérieur, qui en détaille la ventilation, qui précise les emplois créés et exécutés, les évolutions budgétaires et les crédits hors T 2.

Autonomie de la DGSI ou pas, la coordination s’impose, monsieur Marleix. Les échanges d’information réguliers entre les services ne sont effectivement pas dans la culture du ministère de l’intérieur. Ils ne sont possibles qu’avec un pilotage très serré, avec l’organisation d’échanges d’informations. Je n’ai pas créé l’EMOPT parce que nous avons créé la DGSI. Dans le contexte actuel, nous aurions eu besoin d’organiser ce dispositif d’échange d’informations même dans une configuration comme celle qui existait avant la création de la DGSI ou avant la réforme du renseignement territorial de 2008. Et je suis absolument convaincu que les ministres de l’intérieur qui me succéderont, quelle que soit leur sensibilité politique, veilleront, face à une telle menace terroriste, à ce que l’échange d’informations soit continu et organisé.

M. le président Georges Fenech. Nous arrivons aux questions relatives aux forces d’intervention et de secours.

Nous avons suivi, de l’extérieur, une simulation à la gare Montparnasse – vous nous y aviez invités, mais nous n’avons pu nous y rendre. Vous avez revu les doctrines d’emploi des primo-intervenants, notamment en équipant les brigades anticriminalité et les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) dits « Sabre » de matériel adapté pour leur permettre d’intervenir immédiatement sans attendre l’arrivée des forces d’élite. Quel est le niveau d’implication sur l’ensemble du territoire de ces forces, qui existent déjà mais dont le rôle et la définition ont changé ? Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ?

Nous n’arrivons pas vraiment à comprendre ce que la remise en cause du critère de territorialité d’intervention des trois forces – BRI, RAID et GIGN – change vraiment. La BRI de Paris n’est-elle plus la seule qui puisse intervenir dans sa zone de compétence territoriale ? Comment cette intervention première s’organisera-t-elle entre GIGN et RAID ? Il y a forcément une logique, mais quelle est-elle précisément ?

Question beaucoup plus générale, souvent posée : ne pourrait-on pas imaginer une force d’élite unique ?

M. Pierre Lellouche. Au sujet des forces d’intervention, vous avez pris toute une série de décisions, monsieur le ministre, mais nous aimerions savoir ce qu’il en est aujourd’hui de votre doctrine. Tout d’abord, du point de vue du système de commandement, que se passe-t-il en cas d’attaque ? Il y eut beaucoup de flottement, le 13 novembre – des chefs de service nous ont dit avoir appris les événements en écoutant BFM. La question est-elle réglée ? Nous avons par ailleurs noté, au début, des rivalités entre forces d’intervention spécialisées. Vous y avez sans doute mis bon ordre, mais la question de M. président de la commission d’enquête est extrêmement pertinente : pour plus d’efficacité, ne faut-il pas une seule force, comme dans d’autres pays ?

Que prévoyez-vous, ensuite, en ce qui concerne la préparation des forces de police « de base », celles qui arrivent tout de suite et évitent un grand nombre de morts ? Je vous rappelle qu’un héros a changé la donne au Bataclan. Ne faut-il pas créer une sorte de « super-BAC » dotée de moyens de nature à éviter un grand nombre de morts dans les premières minutes, décisives ?

J’en viens à l’opération Sentinelle. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les conditions d’emploi des soldats n’étaient pas franchement claires, y compris devant le Bataclan. Sans doute avez-vous aussi réglé cela mais, comme je l’ai dit hier soir au ministre de la défense, je n’en reste pas moins réservé au plus haut point sur l’utilisation des soldats pour des opérations de ce type : ils ne sont pas faits pour cela, ce n’est pas leur métier. Il faut évidemment rassurer et prendre des mesures de sûreté immédiates, mais, à terme, ce n’est pas jouable d’utiliser, pour surveiller des aéroports ou monter la garde dans les rues de Paris, des soldats habituellement en mission en Afghanistan ou au Mali. Ils ne sont pas formés pour ce travail de police. En outre, nous ne leur rendons pas service : le temps d’entraînement de nos forces militaires, à qui il est ainsi beaucoup demandé, se trouve en effet réduit.

Par ailleurs, il a fallu plus de deux heures ou deux heures et demie avant que les forces de secours n’interviennent au Bataclan. La doctrine d’emploi des forces de secours va-t-elle changer ? Je sais que vous y avez beaucoup travaillé : pouvons-nous aujourd’hui être à peu près sûrs qu’il n’est plus possible d’entrer dans Paris pour mitrailler des terrasses et d’en repartir sans être neutralisé ? Pardon de vous poser la question aussi directement, mais ce sont précisément ces faits extrêmement choquants qui se sont produits et qui ne sont pas pensables dans d’autres capitales. De même, saurait-on réagir autrement en cas de prise d’otages dans un bâtiment accueillant du public ? Disant cela, je n’entends nullement prononcer un réquisitoire. Il est normal qu’un certain temps d’adaptation soit nécessaire à une démocratie en paix, lorsqu’elle est confrontée à de tels événements.

Tel est le sujet qui nous a occupés ces derniers mois, et qui vous occupent en permanence. Cela implique de revoir la formation des hommes, leur équipement, leur commandement. Il ne doit plus être possible que quelques types armés de kalachnikovs aient le temps de tuer des dizaines et des dizaines de personnes, avant de quitter la capitale.

M. le ministre. Je suis très soucieux de dire la vérité aux Français. Quel que soit le gouvernement et quelque dispositif qu’il mette en œuvre, il ne pourra garantir, en France ou ailleurs en Europe, qu’on ne peut entrer dans une capitale avec des armes. À moins d’instaurer un contrôle généralisé, cela pourra toujours arriver. Il est important d’expliquer rigoureusement et précisément toutes les dispositions prises pour éviter que cela ne se produise mais, pour ma part, je ne prétendrai jamais, ni devant votre commission ni devant les Français, que les meilleures précautions nous apporteront cette garantie. La liberté de circulation qui règne en France et en Europe n’empêche pas de contrôler des véhicules susceptibles de contenir des armes mais, à moins de contrôler en permanence tous les véhicules sur tous les axes routiers et dans toutes les rues des capitales, je ne vois pas comment garantir que de tels événements ne se reproduiront pas.

Nous pouvons lutter résolument contre le trafic d’armes pour qu’il n’y ait aucune arme dans les véhicules circulant dans les capitales d’Europe ; nous nous y employons et vous savez que j’ai engagé un combat au sein de l’Union européenne pour la modification de la directive 91/477 relative au trafic d’armes. Nous pouvons également nous mobiliser pour que nos forces de sécurité soient rééquipées, dotées de moyens modernes qui leur permettent de réagir en cas de tueries de masse ; c’est notre devoir de le faire, et nous le faisons. Nous pouvons aussi développer nos moyens de renseignement de manière à mieux connaître la réalité des intentions de ceux qui entrent sur le territoire de l’Union européenne avec des objectifs criminels, même si nous sommes confrontés – la vérité m’oblige à le dire – au chiffrement des messages, problème considérable pour tous les services de renseignement.

Mais je ne peux affirmer que les événements que nous avons connus ne pourront plus se produire en France ou dans d’autres pays européens. Je ne veux pas mentir aux Français, et je suis peut-être le mieux placé pour savoir qu’il peut y avoir d’autres attaques en dépit de l’activité très intense des services et des dispositions que nous prenons. Nous sommes face à des groupes barbares, déterminés, qui veulent nous livrer une guerre à tout prix et sont prêts à utiliser tous les moyens de la dissimulation pour y parvenir, en France et ailleurs. Le principe de réalité, de lucidité, d’humilité me conduit donc à dire que nous devons tendre à ce que vous demandez, nous devons faire le maximum d’efforts pour y parvenir, mais je ne peux rien garantir devant cette commission : le faire serait mentir et prendre le risque d’être démenti ultérieurement par les faits.

Je reviens sur le dispositif que nous avons arrêté. Mon objectif est de faire en sorte, dès lors que des tueries de masse sont possibles, que l’État soit organisé pour pouvoir intervenir dans les délais les plus brefs afin que le maximum de vies soit épargné. Nous n’étions pas en situation de le faire, pour plusieurs raisons. D’abord du fait d’un sous-équipement des PSIG et des brigades anticriminalité, dont nous avons vu le 13 novembre qu’elles sont parfois les premières en mesure d’agir – vous avez souligné à juste titre le courage des policiers de la BAC. J’ai donc pris des mesures en ce sens. Mais j’ai constaté au cours des derniers mois, notamment après l’affaire de l’Île-Saint-Denis et la très grave blessure dont a été victime le policier Yann Saillour de la BAC de Saint-Denis, que les décisions que j’avais prises de rééquiper ces BAC et ces PSIG, en changeant leurs moyens de protection, leurs casques, leurs armes, en les dotant de véhicules neufs, en permettant l’embarquement du HK G36, qui s’inscrivaient dans des procédures budgétaires classiques, impliquaient des délais trop longs. Nous avons donc décidé de mettre en place des procédures d’urgence pour que toutes les BAC et tous les PSIG soient équipés des nouveaux matériels avant la fin de ce mois de juin – la plupart le sont d’ores et déjà. Sans ces équipements, les primo-arrivants n’étaient pas en situation de faire le travail.

Je vous raconte une anecdote qui m’a beaucoup marqué et qui m’a poussé à tout accélérer en matière d’équipement des BAC et des PSIG. Lorsque je me suis rendu au chevet de Yann Saillour, j’ai vu un de ses collègues, qui avait un gilet pare-balles dans un état effrayant. Il m’a dit : « Monsieur le ministre, ce gilet ne me protège de rien, mais je le mets quand même car il est la seule garantie, s’il m’arrive quelque chose, que mon épouse pourra bénéficier de tout l’accompagnement social prévu et percevoir ma pension. » Quand vous êtes ministre de l’intérieur, que vous entendez cela, que vous voyez le niveau de sous-équipement des BAC et des PSIG, fruit d’années de non-investissement, vous ne pouvez que décider d’agir très vite pour les rééquiper.

S’agissant des forces d’intervention spécialisées, nous avons procédé à deux changements. Pour faire face à une tuerie de masse, il faut un réseau dense de forces spécialisées qui permette d’intervenir rapidement sur la totalité du territoire national. Il y avait vingt-deux unités d’intervention spécialisées : j’ai décidé d’en créer sept supplémentaires – quatre de la gendarmerie et trois de la police nationale – pour qu’avec les 750 unités d’intervention intermédiaire, c’est-à-dire les BAC et les PSIG, l’ensemble du territoire national soit couvert. C’est grâce à l’augmentation des effectifs que nous avons pu prendre une telle mesure. J’ai proposé d’autre part que ce soit la force la plus proche du territoire où se produit la tuerie de masse qui intervienne. Il y a eu sur ce point un débat, qui résulte d’une incompréhension totale du dispositif. Vous avez remarqué que j’ai placé des antennes du GIGN en zone police et des antennes du RAID en zone gendarmerie. L’idée est non pas d’organiser une compétition entre la BRI, le GIGN et le RAID mais de faire en sorte que la force la plus proche du lieu concerné intervienne ; il s’agit donc d’une clarification et non d’une mise en concurrence, comme j’ai pu le lire. L’objectif est d’avoir plus de forces, mieux réparties sur le territoire national, avec des règles d’engagement, sous l’autorité des préfets de zone, qui permettent de faire travailler les forces ensemble en évitant toute concurrence.

Il est un troisième sujet que j’ai souhaité traiter. Pierre Lellouche évoquait la guerre des polices… Je n’ai aucune naïveté et je sais que, malgré toute l’énergie que je déploie pour que cette réalité appartienne au passé, nombreux seront mes successeurs qui auront encore à lire des articles sur ce sujet. Cela fait partie de la culture d’une maison et, malgré de grandes améliorations, la maison s’emploiera à garder un peu de ce travers pour ne pas cesser d’être elle-même. Peut-être faudra-t-il des générations de ministres de l’intérieur pour parvenir à changer tout cela. Soyons humbles. Qu’ai-je proposé aux forces ? Toutes ont des compétences éminentes, mais dans certains secteurs précis certaines ont des compétences que n’ont pas les autres – je ne m’étendrai pas plus sur la question dans le cadre d’une audition publique, mais je peux communiquer ces éléments à la commission d’enquête, sous réserve qu’ils ne soient pas publiés pour ne pas compromettre l’efficacité de nos forces. J’ai donc demandé une analyse sectorielle et segmentaire de ces compétences, de manière que, notamment sur le territoire de Paris, une force puisse intervenir plutôt qu’une autre si elle dispose de la compétence requise pour garantir l’efficacité de l’intervention. J’ai également souhaité que nous puissions, en cas de tueries de masse et d’attentats multisites, engager toutes les forces indépendamment de leurs compétences géographiques, à Paris notamment, pour éviter des morts, et empêcher les auteurs des crimes de repartir. C’était l’objet de l’opération que nous avons menée gare Montparnasse. Voilà, très précisément et très concrètement, ce que nous faisons.

Pourquoi ne l’avons-nous pas fait auparavant ? Parce que nous avions jusqu’à présent procédé à des recrutements et des allocations de moyens budgétaires dans le cadre des procédures budgétaires de droit commun. Or je ne pouvais pas répartir sur le territoire national des effectifs que je n’avais pas. Ce sont les décisions de janvier 2015 de rehaussement significatif de nos effectifs, à hauteur de 1 500 postes, et les crédits débloqués qui m’ont permis de prendre, dans des délais très courts, des mesures indispensables pour lutter efficacement contre le terroriste. Il est faux de dire que ces décisions sont le résultat d’une réaction de l’exécutif aux attentats de novembre. Si en janvier 2015, et dès 2012 sur certains points, le Gouvernement n’avait pas pris la décision d’augmenter significativement les moyens des services de police et de renseignement, je ne serais pas aujourd’hui en situation d’organiser les choses comme je viens de les décrire.

M. le président Georges Fenech. Vous nous apprenez quelque chose qui me paraît très important, sur les capacités spécifiques de certaines unités, plus appropriées pour tel ou tel type d’attentat. Des distinctions sont donc opérées entre nos trois forces d’élite – je le comprends parfaitement.

À l’Hyper Cacher, vous avez mobilisé la force d’intervention de la police nationale (FIPN), qui a permis au RAID de mener l’opération. Pourquoi ne pas l’avoir fait au Bataclan, étant entendu que les uns et les autres peuvent avoir des capacités spécifiques ? Je ne mets pas en cause la qualité de la BRI, brigade antigang au départ, mais il y avait 1 500 personnes à l’intérieur du Bataclan. Pourquoi l’autorité de tutelle – vous-même, avec le préfet de police et le directeur général de la police nationale – n’a pas tenu compte de ces capacités spécifiques pour mobiliser la FIPN ?

M. Meyer Habib. Je vous ai bien écouté sur ce point, monsieur le ministre, mais la réponse ne me paraît pas suffisante. Je fais la distinction entre les événements de l’Hyper Cacher – il s’agit d’une prise d’otages, non d’une tuerie de masse, et on dispose d’un peu de temps pour attendre l’arrivée des forces d’intervention – et ceux du 13 novembre. Au Bataclan, et aux terrasses des cafés, c’était un massacre immédiat, qui ne laissait pas une seconde pour appeler BRI, RAID ou GIGN. Chaque minute qui passait entraînait plus de morts. La plupart des victimes ont été touchées dans le premier quart d’heure. Dans pareil cas, il n’y a qu’une seule solution : les primo-intervenants, qui seront peut-être des policiers « de base », doivent pouvoir y compris au péril de leur vie, évaluer la situation, aller au contact et tirer. On pourrait aussi imaginer que les fonctionnaires de police soient autorisés à rentrer chez eux avec leur arme à la fin de leur service.

Les mesures que vous avez prises vont dans le bon sens, mais ne seront utiles que si nous ne sommes pas en présence d’une tuerie de masse.

M. le ministre. Sur ces sujets, soyons extrêmement précis sur les conditions de droit et sur ce que nous faisons. Je ne veux pas qu’on donne le sentiment qu’en France on laisse les gens se faire tuer sans réagir.

En cas de tuerie de masse, demain, l’intervention des forces de l’ordre doit être immédiate et maîtrisée. On ne sait jamais en pareil cas si l’auteur des faits est équipé d’explosifs ni s’il existe un risque d’effets collatéraux. Intervenir, ce n’est pas simplement tirer sur des tireurs sans évaluer les conséquences : il faut un certain niveau de professionnalisme et des protocoles d’engagement précis ; sinon, nous ajouterons des mots aux morts.

Quel dispositif préconisons-nous pour répondre à la préoccupation que vous venez d’exprimer, M. Meyer Habib ? D’abord, nous avons articulé autour des préfets de zone et des préfets de département un dispositif extrêmement précis qui répartit les compétences. Les plus proches, qui ne sont pas forcément toujours armés pour faire face à une tuerie, c’est-à-dire les primo-arrivants, doivent sécuriser la zone, évaluer le risque, le comportement des personnes, et appeler immédiatement les brigades anti-criminalité et les PSIG. BAC et PSIG sont positionnés sur le territoire national de manière à pouvoir arriver le plus rapidement possible et sont désormais équipés de moyens qui leur permettent de faire face, dans l’attente de l’arrivée des forces spécialisées si leur mobilisation est justifiée par une prise d’otages, un risque de surattentat, etc. Tout cela fait l’objet de protocoles précis et implique une maîtrise opérationnelle totale. Je vous rappelle, monsieur le député, qu’une disposition adoptée lors du récent examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, définit très précisément les conditions dans lesquelles les policiers peuvent engager le feu en cas de tuerie de masse. Ces mesures, protectrices des policiers, leur permettent d’intervenir dans des conditions beaucoup plus solides que celles qui prévalaient jusqu’à présent. Ces nouvelles conditions de droit, l’articulation entre primo-intervenants, primo-arrivants et forces spécialisées, le renforcement des forces spécialisées et des équipements des BAC et des PSIG doivent répondre à la préoccupation que vous exprimez.

Aujourd’hui, un policier qui intervient sur le site d’une tuerie de masse peut, compte tenu des dispositions législatives adoptées, ouvrir le feu pour faire cesser cette tuerie. Nous avons remaillé le territoire avec l’implantation des forces spécialisées et nous avons rehaussé le niveau d’équipement. Que signifie alors « aller plus loin » ?

Le président Fenech est revenu sur la question de l’intervention des différentes forces – BRI, RAID, etc. Les services du ministère de l’intérieur ont fourni une chronologie extrêmement précise de l’intervention. Le délai de deux heures et demie ne correspond pas à la réalité. J’ignore ce que votre commission fera des éléments que nous lui avons transmis. Je crois que vous vous êtes rendus, mesdames et messieurs, au Bataclan, où vous avez pu reparler avec les responsables du RAID et de la BRI. Ils ont montré que la BRI avait fait ce qu’elle avait à faire, et que, s’il avait été possible en la circonstance de sauver davantage de vies, bien entendu nous l’aurions fait. Votre commission a eu connaissance de toutes les informations dont nous disposions.

Y a-t-il des compétences spécialisées que nous aurions pu mobiliser ? Pas à cette occasion-là, mais cela peut arriver. Je ne veux pas m’attarder sur ce sujet publiquement mais je peux vous recevoir, monsieur le rapporteur, monsieur le président pour vous donner des exemples concrets que je vous demanderai de ne pas rendre publics – leur divulgation rendrait très difficiles l’action des forces spécialisées. Oui, chacune des forces a des compétences que les autres n’ont pas. Et si ces compétences doivent être mobilisées dans des conditions d’intervention particulières, je pense qu’il vaut mieux faire bloc.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, j’ai invité les trois patrons des services spécialisés à venir me voir, sans les directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie nationale, sans le préfet de police de Paris. Je leur ai dit que, certes, il était possible de perpétuer la tradition de la « guerre des services », mais que le pays était confronté à une menace terroriste extrême et que les Français attendaient que la République les protège des terroristes. Dès lors que celle-ci parvient à le faire, ils ne se demanderont guère quelle entité spécialisée l’aura permis. Notre devoir ce n’est pas d’être forts séparément ou de prouver que tel peut être plus fort que tel autre : c’est d’être forts ensemble. Comme chacune des trois forces est excellente dans son domaine, soyons capables de mobiliser la force la plus à même d’intervenir dans un contexte particulier. Les autorités du ministère de l’intérieur, au premier rang desquelles moi-même, doivent pouvoir faire intervenir la bonne force au bon moment. Peu importe si le cas de figure est très marginal, il peut se révéler utile d’agir ainsi – la zone géographique concernée ne doit pas nous l’interdire.

M. le président Georges Fenech. Je vous ai interrogé sur la possibilité d’une force unique mais M. le rapporteur veut préciser la question.

M. le rapporteur. Monsieur le ministre, vous aviez écarté l’idée d’une fusion des trois forces, d’un « grand soir » en la matière. Cependant, ne pourrait-on envisager une telle fusion à l’avenir ?

Par ailleurs, l’unité de coordination des forces d’intervention (UCOFI) a été créée il y a quelques années. Avez-vous prévu de lui donner un plus grand rôle, par exemple en matière de formation ? Je sais qu’il existe d’ores et déjà des modules de formation communs, notamment entre la BRI et le RAID. Une montée en puissance de l’UCOFI est-elle envisageable pour éviter cette guerre des polices que nous avons sentie ?

Enfin, nous savons qu’un certain nombre d’exercices se déroulent pour faire face à d’éventuelles tueries de masse ou d’éventuels multi-attentats. Combien y en a-t-il eu depuis le 15 novembre ?

M. le ministre. En effet, monsieur le rapporteur, l’UCOFI monte sensiblement en puissance. Je lui ai précisément demandé de préfigurer la réforme que j’ai envisagée et de le faire en mobilisant les trois forces, les deux directions générales et la préfecture de police de Paris, de manière que la proposition ait été suffisamment préparée en amont. Il ne s’agit pas de décréter une meilleure coordination, encore faut-il la préparer pour que sa mise en œuvre ne soit pas un échec, auquel cas tout n’aura été que discours ou impulsion sans lendemain. L’UCOFI a été le maître d’œuvre de ce travail, l’ensemblier et l’interlocuteur des forces, auxquelles j’ai demandé d’articuler davantage leurs missions. C’est également à l’UCOFI que j’ai demandé de faire l’inventaire, en liaison avec les trois forces, des capacités rares dont j’ai parlé. C’est à elle de faire des propositions pour que je puisse prendre des décisions. Tout n’est pas achevé, mais ce travail progresse de manière très significative – sans compter que beaucoup de ce que je souhaitais voir mis en œuvre est déjà gravé dans le marbre.

Une fusion des trois forces n’aurait de sens que si elle permettait une amélioration générale par rapport à l’existant. Si des disparités de culture et de statut conduisent à remplacer trois forces qui marchent par une seule qui ne fonctionne pas, au plaisir bref d’avoir procédé à la fusion succéderont des difficultés opérationnelles pour l’éternité. Le grand soir est toujours très à la mode, il est toujours présenté comme la solution à tout. Je suis, pour ma part, extrêmement pragmatique et prudent. Je souhaite que les forces puissent travailler ensemble. Pour y parvenir, organisons-les de façon optimale, sur le territoire national et en termes de compétences. Je souhaite que les éventuels conflits cessent, et je dépense beaucoup d’énergie pour faire passer le message. Si cela fonctionne, nous passerons à une étape supérieure, mais, face à la menace terroriste actuelle, ne courons pas le risque de nous retrouver avec une force unique moins efficace que nos trois forces actuelles.

Ma démarche, extrêmement pragmatique, a consisté à répartir ces forces, à les faire monter en gamme en leur donnant des équipements et des effectifs supplémentaires, à redéfinir leurs conditions d’emploi, pour faire face aux conditions particulières de tueries de masse dans les grandes villes ou la capitale, ou pour mener des interventions sectorielles segmentées, avec la mobilisation de compétences spécifiques. Compte tenu du temps de maturation de ces différents sujets, ce n’est certainement pas moi qui mènerai cette fusion, qui pourra faire l’objet d’une réforme ultérieure si les conditions sont réunies ; nous avons déjà fait beaucoup de réformes.

Mme Françoise Dumas. Pour avoir participé à un certain nombre de déplacements à l'étranger, je peux témoigner de la très bonne appréciation dont bénéficient les services français ; ils y sont souvent loués. Ainsi, en Israël, les services de la police israélienne se félicitent de la qualité des relations qu’ils entretiennent avec nos services. D’une certaine façon, c’est extrêmement rassurant et je tenais à le souligner.

Je reste persuadée que la prévention et la permanence des personnels sont les deux outils d’une lutte efficace. C’est d’ailleurs ce qu’on nous a répété partout – Israël a, malheureusement, une expérience très ancienne en la matière. Grâce à la prévention, on peut agir à la source avant que les faits ne soient commis. Et rien ne remplace la relation humaine, qu’il s’agisse de renseignement ou de coordination entre les différents services, elle est plus importante que la technique. De même, la permanence des personnels sur le terrain est un atout. Vous vous êtes donné les moyens d’y parvenir. Vous avez en partie répondu aux questions que je me posais à propos du schéma d’intervention, au plus près du terrain, avec les BAC et PSIG. Quel est votre avis sur le niveau de la menace, en France et en Europe ? Comment la percevez-vous ? Les Français doivent s’habituer à cette notion de risque permanent, qui implique un plus grand civisme de la part de tous.

M. Christophe Cavard. Nous aimerions connaître votre sentiment sur le partage de la gestion de la sécurité avec le personnel de sociétés privées, notamment dans le cadre de l’Euro 2016. Les modes opérationnels des terroristes pourraient évoluer et nos services travaillent sur cette question, mais jusqu’à quel point notre sécurité intérieure peut-elle s’appuyer aussi sur des personnels qui, s’ils travaillent très bien, ne sont pas spécifiquement formés pour faire face à ces menaces ?

Quant à la question des primo-arrivants, une intervention trop rapide, directe, sur le théâtre d’actes terroristes, ne présente-t-elle pas des risques ?

Mme Anne-Yvonne Le Dain. J’aimerais en savoir plus sur la répartition des forces sur le territoire national, notamment dans le sud de la France, où des faits graves ont été commis il y a quelques années, sans parler du fait que beaucoup y sont tentés par un départ pour le djihad.

M. Pierre Lellouche. Une question me taraude depuis le début de nos travaux. Aux États-Unis, à la suite des travaux de la commission dite « du 11 septembre », les institutions ont été repensées, notamment le département de la sécurité intérieure des États-Unis.

Notre ministère de l’intérieur a son histoire, et exerce toutes sortes de métiers. Malheureusement, nous allons être confrontés pendant des décennies au terrorisme. Le ministère de l’intérieur ne devrait-il donc pas devenir le ministère de la sécurité intérieure, en laissant de côté un certain nombre de tâches plus administratives, qui touchent aux collectivités territoriales. Ne doit-il pas évoluer pour se concentrer sur la sécurité intérieure, du renseignement aux opérations, tandis qu’une autre instance piloterait le travail des collectivités, l’organisation des élections et ce qui relève, en réalité, d’un autre métier ? Il me semble qu’il gagnerait grandement en efficacité.

M. le président Georges Fenech. Monsieur le ministre, peut-être pourrez-vous conclure en évoquant la sécurité des « fan zones » ?

M. le ministre. Tout d’abord, le niveau de la menace reste extrêmement élevé, compte tenu du fait que 2 000 de nos ressortissants sont, de près ou de loin, concernés par les activités des groupes terroristes en Irak et en Syrie – 1 000 s’y sont rendus, dont certains sont morts et d’autres sont revenus. Par conséquent, le niveau de la menace terroriste est plus élevé qu’il ne l’a jamais été. Par ailleurs, ceux qui cherchent à nous frapper utilisent des moyens de dissimulation permis par une technologie qui a conduit les gouvernements de l’Union européenne à adapter les moyens des services de renseignement mais qui complique aussi considérablement le travail de ces services. Je pense à l’utilisation de faux documents et de moyens cryptés, à la dissimulation par le chiffrement des échanges et des conversations en vue de la commission d’actes terroristes, à l’utilisation de multiples puces ou de téléphones prépayés, à la possibilité de diffuser sur internet une propagande bien faite qui marque les esprits. Tout cela contribue à ce que la menace soit élevée. En outre, l’efficacité des frappes en Syrie peut conduire ceux qui sont frappés à vouloir intensifier leurs attentats.

Cette menace plus élevée que jamais mobilise entièrement le ministère de l’intérieur. Cela me conduit parfois à rappeler chacun à ses responsabilités lorsque des commentaires sont faits sur les forces de sécurité, par exemple dans le cadre des conflits sociaux actuels. Je souhaite que les forces de sécurité soient irréprochables, et aucun acte qui pose problème n’est laissé sans suite, mais je n’accepte pas pour autant qu’elles soient l’objet de campagnes. Mises à rude épreuve, elles font, avec les services de renseignement, un travail considérable pour assurer la sécurité des Français. Ce sont les mêmes forces qui protègent les édifices publics et, parfois, sont chargées du maintien de l’ordre ; n’étant pas extensibles à l’infini, nos effectifs sont l’objet d’énormément de sollicitations. Dans ce contexte, j’essaierai toujours de faire prévaloir les principes de sagesse et de responsabilité sur l’outrance. Cela me conduit à être extrêmement rigoureux sur chaque sujet. S’il y a des manquements parmi les forces de sécurité, il faut prendre toutes les dispositions, et l’inspection générale de la police nationale (IGPN) fait un travail remarquable, mais les manquements de quelques-uns ne doivent pas conduire à des campagnes qui nuisent à la réputation de tous les autres, qui sont en première ligne. C’est très injuste, et tout à fait irresponsable. Là aussi, la vérité doit conduire à convoquer d’autres arguments et développer d’autres discours.

L’Euro se rapproche. Si, sous le prétexte que la menace est élevée, nous y cédons en cessant d’être nous-mêmes, alors nous organisons la victoire des terroristes. Aucun gouvernement ayant la passion de la France et de la République ne le ferait, qu’il soit de droite ou de gauche. Mais, dès lors que nous prenons la décision de rester nous-mêmes, il faut bien entendu que nous prenions toutes les précautions. Les « fan zones » sont sécurisées par une mobilisation exceptionnelle de nos services dans un contexte où ils sont déjà très sollicités. Cela implique chaque maire de chaque ville, et l’ensemble des maires, regroupés dans une association présidée par Alain Juppé. Je dois présenter avec lui la semaine prochaine, devant la commission des lois, les dispositions que nous avons prises en vue de la sécurisation de l’Euro 2016. Sachez que des forces significatives seront mobilisées – près de 90 000, incluant d’ailleurs les agents de sécurité privée. Les clauses contractuelles sur lesquelles la France s’est engagée en 2009 seront scrupuleusement respectées. À ces engagements de notre pays devant les instances du football s’ajoutent des précautions supplémentaires que nous avons prises compte tenu du contexte. Je détaillerai devant la commission des lois la répartition de ces 90 000 personnes entre les unités de forces mobiles et le reste de la sécurité publique, entre sécurité publique et sécurité privée. Je reviendrai sur la répartition des compétences entre les stades, les fans zones et le reste des espaces, sur lesquels s’exerce une compétence spécifique de chaque organisation et de chaque structure.

En ce qui concerne les agents de sécurité privée, notamment pour l’Euro, 100 % de précautions sont prises pour veiller à l’efficacité du dispositif et éviter son contournement. Cela garantit l’efficacité de notre action, qui a mobilisé beaucoup de moyens et beaucoup de services au sein du ministère de l’intérieur.

Comment les forces sont-elles réparties dans le sud de la France, madame Le Dain ? Je vous remets, ainsi qu’au président et au rapporteur, une carte précise de la répartition des forces sur le territoire national. Vous aurez ainsi une réponse détaillée.

Monsieur Lellouche, je pense que l’efficacité de notre action de lutte contre le terrorisme dépend de notre capacité à faire en sorte que le ministère de l’intérieur soit le ministère de la sécurité mais aussi celui de l’État. J’entends par là : le ministère de l’organisation territoriale de l’État et de ce qui exerce une autorité sur elle dans les territoires, par conséquent le ministère des préfets. Ceux-ci sont fortement mobilisés sur les enjeux de la lutte antiterroriste, tout comme les administrations des préfectures. Je prendrai des exemples très concrets : les services des préfectures qui assurent le contrôle des armes ou sont chargés de la lutte contre la fraude à l’identité sont absolument stratégiques pour la lutte antiterroriste. Le périmètre du ministère de l’intérieur peut être l’objet d’une réflexion politique, intellectuelle, au cours des prochaines années, mais, si on me demande mon avis au moment où je quitterai mes fonctions, je préconiserai surtout que le ministère de l’intérieur soit non pas simplement celui de la sécurité mais celui de l’État, en incluant la dimension sécurité des missions du ministère de l’intérieur. L’articulation entre la place Beauvau, les préfets, les territoires et l’administration territoriale est déterminante pour le succès de la lutte antiterroriste, y compris en matière de sécurité civile. Les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), les militaires de Nogent-le-Rotrou, tout cela doit rester entre les mains du ministère de l’intérieur, avec un souci d’efficacité absolue. Par ailleurs, je tiens beaucoup à ce que le ministère de l’intérieur reste celui des valeurs et des libertés publiques. Notre action en matière de sécurité doit être constamment guidée par le souci des libertés publiques.

M. le président Georges Fenech. Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier de nous avoir consacré trois heures. Avec votre audition se terminent presque nos travaux. Il nous reste à nous rendre à Washington, et à entendre votre collègue secrétaire d’État aux victimes. Symboliquement, il nous a paru important en effet de terminer par son audition, comme il nous avait paru important de commencer par celle des victimes. Nous avons toujours eu à l’esprit le travail de vérité dû aux victimes et aux Français. Soyez assuré également que précision et rigueur – vous avez employé les termes à plusieurs reprises – feront la qualité des travaux du rapporteur, dont je tiens aussi à saluer le dévouement, de même que je salue celui de tous les membres de la commission d’enquête ici présents. Au-delà de la précision et de la rigueur, je demanderai au rapporteur, mais je suis certain qu’il le fera, d’être animé par le courage et l’audace, car il s’agit de la sécurité de nos compatriotes.

La séance est levée à 12 heures 05.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. David Comet, M. Jacques Cresta, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Georges Fenech, M. Meyer Habib, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Luc Laurent, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Pierre Lellouche, M. Olivier Marleix, M. Jean-René Marsac, M. Alain Marsaud, M. Sébastien Pietrasanta, M. Jean-Michel Villaumé

Excusée. - Mme Lucette Lousteau