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JEUDI

19 FEVRIER 2015

Séance de 9 heures 

Compte rendu n° 1

Présidence de
M. Claude BARTOLONE Président

Mission de réflexion sur l’engagement citoyen et l’appartenance républicaine

Audition, ouverte à la presse, de M. Martin Hirsch, président de l’Institut du service civique, ancien président de l’Agence du service civique, d’Emmaüs France et de l’Agence nouvelle des solidarités actives

    L’audition débute à neuf heures dix.

    M. le président Claude Bartolone. Je suis heureux d’ouvrir, en cette journée un peu compliquée sur le plan politique, les travaux de notre mission de réflexion sur l’engagement citoyen et l’appartenance républicaine, et je remercie chaleureusement les collègues ici présents, issus de tous les groupes politiques de notre assemblée, d’y participer. En votre nom, mes chers collègues, je salue les représentants de deux grandes fondations politiques de notre pays, la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation pour l’innovation politique, à qui j’ai proposé de s’associer à nos travaux. Ces deux fondations réaliseront conjointement une vaste étude d’opinion, étude qui sera menée en deux temps en partenariat avec l’institut Harris Interactive : tout d’abord à travers un état des lieux de l’opinion dont nous disposerons rapidement ; ensuite par un regard porté sur les propositions qui émergeront de nos travaux.

    C’est le Président de la République qui, lors de ses vœux aux corps constitués et aux bureaux des assemblées, a souhaité confier au Parlement cette réflexion portant, selon ses propres mots, « sur toutes les formes d’engagement et sur le renforcement de l’appartenance républicaine ». Nous sommes ici dans le prolongement du grand élan républicain du 11 janvier. Ce jour-là, un grand appel à la réaffirmation des valeurs fondatrices de notre société a été lancé, qui nous engage tous. Je ne veux faire aucune confusion ni aucun raccourci : notre mission n’est pas une réponse à la folie meurtrière qui a touché notre pays en janvier, puis le Danemark il y a quelques jours. Ne cherchons pas de causalité directe entre un certain délitement du lien civique et du sentiment d’appartenance à la communauté républicaine et des dérives criminelles. Du reste, certains des terroristes ou de leurs proches n’avaient-ils pas, apparemment, bénéficié des promesses de la République ?

    Notre mission n’est donc pas un outil de lutte contre les terroristes. Si nous sommes là, c’est pour répondre à une attente forte de la communauté nationale quant à des valeurs partagées et, surtout, traduites en actes. Car le mal qui atteint notre société est ancien ; il se nomme ségrégation – je l’appelle souvent « assignation à résidence » – et touche des millions de nos compatriotes. Cette ségrégation, sociale, éducative, professionnelle et culturelle, se manifeste aussi, bien entendu, dans le logement : c’est elle qui mine la promesse républicaine, qui génère démobilisation, déception et repli.

    Comme l’a souligné le Président de la République, la solution « passe par la mobilisation de toutes nos institutions : l’éducation, la justice, la police, avec tous les outils de l’intégration, […] qu’il […] convient de faire vivre ». Pour cela, l’État républicain, garant des droits et de la cohésion nationale, doit pouvoir compter sur la participation et l’engagement citoyens. Nous avons collectivement la responsabilité, élus nationaux et locaux, de redonner toute sa place à l’expression des citoyens engagés. La promesse d’égalité républicaine, pour se renouveler et se concrétiser de nouveau, a besoin, à côté des politiques publiques, d’actions citoyennes collectives. Les idées de coopération, d’engagement, de participation et de construction collective ne doivent plus être entravées.

    Notre contrat républicain, en effet, n’est plus crédible dès lors qu’un jeune reste assigné à la pure reproduction sociale et spatiale de sa famille. De plus, la question de l’engagement croise celle de la participation des citoyens à la décision et au contrôle de l’action publique. Comment aider ces actions citoyennes à émerger, comment les soutenir, les conforter, leur permettre de se structurer puis d’aboutir ? Ce sont là les grandes questions que nous aurons à nous poser.

    J’aimerais également vous dire dans quel état d’esprit j’aborde cette mission. Nous sommes beaucoup, ici, à avoir d’ores et déjà réfléchi aux thèmes dont il est question, à l’instar de beaucoup nos collègues – dont nous évoquerons les travaux – au cours des années précédentes ; mais si nous voulons donner un prolongement concret à nos propres travaux et répondre ainsi à la demande du Président du République, nous devons être capables, dans le court délai qui nous est imparti, de présenter une quinzaine de propositions rapidement opérationnelles.

    Après les heures sombres de ce début d’année, l’engagement citoyen prend une dimension nouvelle : celle d’une citoyenneté active à tous les âges de la vie, au service d’une France solide et solidaire, d’une société juste, fraternelle et responsable.

    Il est sans doute inutile de présenter Martin Hirsch, première personnalité auditionnée par notre mission. Nous l’entendrons d’abord, bien entendu, en sa qualité de président de l’Institut du service civique, dont l’ambition est de faire fructifier les talents, mais aussi d’ancien président de l’Agence du service civique, d’ancien Haut-commissaire à la jeunesse – fonctions dans lesquelles il a porté un message fort en faveur du volontariat – et d’ancien président d’Emmaüs France, dont il a structuré l’organisation dans les secteurs de l’action sociale et de l’économie solidaire.

    M. Martin Hirsch, président de l’Institut du service civique, ancien président de l’Agence du service civique, d’Emmaüs France et de l’Agence nouvelle des solidarités actives. Je suis très honoré, monsieur le président, d’inaugurer les travaux de cette mission de réflexion consacrée à un sujet qui me tient particulièrement à cœur, la promotion et la reconnaissance de l’engagement étant des enjeux essentiels pour répondre aux défis de la société.

    Dans un livre consacré à ce thème et publié il y a un peu plus de deux ans, je m’étais livré à un exercice de politique-fiction en énumérant dix décisions qu’un Président de la République pourrait prendre : la proclamation de l’engagement comme grande cause nationale ; la constitution d’un Conseil national de l’engagement, présidé par le Président de la République et réunissant des parlementaires, des partenaires sociaux, des collectivités territoriales et des représentants la société civile, dans l’esprit du Conseil national de la Résistance ; le vote d’une loi aux termes de laquelle tout citoyen adulte devrait, par période de cinq ans, cent jours d’engagement au service de l’intérêt général, sous plusieurs formes possibles ; la mobilisation des grands services publics – de l’éducation, de l’emploi, des hôpitaux et du social –, dans le cadre de ce que l’on pourrait appeler une « réserve citoyenne », afin d’associer des engagés à leur fonctionnement ; la possibilité, pour les fonctionnaires arrivés à l’âge de la retraite, de prolonger, moyennant une petite indemnité, leur activité sous une forme différente – tutorat ou autre – durant un ou deux ans à mi-temps dans leur administration ou dans une autre ; la mise en place dans les communes de bureaux qui, tenus par des volontaires – par exemple en service civique –, orienteraient les candidats à l’engagement ; la constitution d’une réserve senior ; le développement du service civique ; la création d’une fondation pour l’engagement qui, mobilisant des fonds privés, montrerait que l’engagement peut aussi concerner les plus aisés ; enfin, la tenue d’une comptabilité qui mesurerait l’impact de l’engagement sur la croissance, les finances publiques et, plus généralement, les évolutions macroéconomiques, a fortiori si l’on dépasse les millions de bénévoles et les dizaines de milliers de volontaires.

    Ces différentes pistes me paraissent encore d’actualité, surtout si l’on entend prolonger le grand sursaut d’il y a un mois et demi. L’engagement, qui participe d’une citoyenneté pleine et accomplie, se définit en effet comme le don de temps, de compétences ou d’argent à une cause d’intérêt général, autrement dit dépassant les intérêts particuliers, professionnels, familiaux et privés. Il mobilise des qualités essentielles, telles que la solidarité et la prise de risques, le goût du collectif et le désintéressement. Un lien doit par ailleurs être établi entre les initiatives des pouvoirs publics, puissants dans notre pays, et celles de la société civile, elle aussi puissante, mais qui ont tendance à se neutraliser l’un l’autre. Le service civique, dont nous fêterons bientôt ici même le cinquième anniversaire, repose d’ailleurs sur cette idée d’un financement et d’une promotion, par les pouvoirs publics, des initiatives de la société civile, notamment des associations.

    La promotion de l’engagement, sous toutes ses formes, est donc à mes yeux une mission légitime des pouvoirs publics ; la République a toujours eu besoin de l’engagement, par exemple à travers la conscription et au moment de sa création, lorsqu’il s’agissait de la défendre contre des ennemis extérieurs. Même si le climat est désormais plus pacifique, le concours des citoyens au service de la nation me paraît toujours d’actualité.

    On constate d’ailleurs, dans la société, un fort désir en faveur de l’engagement. La question de savoir si le service civique devait être obligatoire ou volontaire avait animé les débats parlementaires : l’idée retenue fut que, sans forcer l’envie d’engagement, on devait lui permettre de s’accomplir. Les faits nous ont donné raison, puisque le nombre de candidats au service civique est très supérieur au nombre de missions financées. Dès lors, on s’est demandé si ce n’étaient pas plutôt les pouvoirs publics eux-mêmes qu’il fallait obliger à répondre à l’ensemble des demandes. L’envie de s’engager touche d’ailleurs toutes les catégories de la population, et pas seulement les jeunes ; d’où l’importance de favoriser le passage à l’acte.

    Selon moi, l’universalité du service civique n’implique donc pas son obligation, même si l’on peut imaginer de lier la citoyenneté à une forme d’engagement obligatoire, sans pour autant le transformer en une corvée.

    La loi du 10 mars 2010, dans laquelle beaucoup d’entre vous se sont impliqués, prévoit que le service civique, même fondé sur le volontariat, s’adresse à l’ensemble des catégories de jeunes et non à ceux-là seuls qui pourraient y être portés par leur milieu ou, à l’inverse, par leurs échecs dans la recherche d’un emploi ou dans leurs études. L’idée d’un brassage républicain ne consiste pas à obliger tout le monde à s’engager dans la même pièce, le même régiment, la même association, mais à convaincre toutes les catégories de jeunes à participer à la même aventure collective, ce qui suppose des canaux d’information et de communication adaptés. Par le fait, la cartographie des volontaires ayant effectué un service civique reflète fidèlement celle de la jeunesse elle-même : on y trouve autant de bacheliers, de non-bacheliers, de diplômés du supérieur et d’habitants des zones urbaines sensibles. On reproche parfois au service civique de n’accueillir qu’un quart de jeunes issus des banlieues, mais on oublie qu’un quart des jeunes seulement vit dans les banlieues… On pourrait bien entendu porter cette proportion à un tiers mais, si elle devait atteindre 80 %, cela reviendrait à faire du service civique un dispositif réservé aux seuls jeunes de banlieue, donc déclassant. La valorisation et l’attractivité du service civique exigent qu’il s’adresse à toutes les catégories de jeunes : c’est d’ailleurs ce qui le différencie des dispositifs ciblés. Ce faisant, il est aussi valorisant pour un jeune qui, sorti d’une école de commerce, s’engage pendant six mois pour 573 euros mensuels que pour celui qui aura surtout été attiré par cette rémunération faute d’avoir trouvé un emploi ailleurs. C’est à cette condition que le service civique restera perçu comme un acte d’engagement et non comme un palliatif à l’échec. À Grenoble, après les émeutes du quartier de la Villeneuve, un dispositif de service civique a été créé, qui s’adressait aussi bien aux jeunes de ce quartier qu’aux enfants de cadres des grandes entreprises grenobloises.

    Même si l’idée est un peu une « tarte à la crème », l’engagement prend également sens à travers sa reconnaissance : avoir offert son temps et ses compétences à une cause d’intérêt général doit aussi servir à trouver un emploi, à se former et à s’intégrer. La loi de 2010 dispose ainsi que les établissements d’enseignement supérieur sont tenus de valoriser, dans les cursus qu’ils proposent, l’engagement dans un service civique. Nous avions conscience, bien entendu, qu’une disposition législative ne suffirait pas à atteindre cet objectif ; d’où la création, à mon initiative, de l’Institut du service civique, destiné à aider les différents acteurs – établissements d’enseignement supérieur et entreprises – à assurer une reconnaissance de l’engagement. La chose est désormais possible grâce à un concours que les jeunes peuvent passer à la fin de leur service civique – sur la base de critères non académiques tels que la motivation et la définition du projet –, et qui leur permet d’obtenir le titre de lauréat de l’Institut du service civique, titre qui n’aurait naturellement pas grand sens sans le partenariat signé entre l’Institut et une centaine d’établissements d’enseignement supérieur, parmi lesquels l’École des hautes études commerciales (HEC), les instituts d’études politiques – dont Sciences-po Paris depuis une semaine –, les instituts du travail social, un grand nombre d’universités et des écoles d’ingénieurs. Dans ces établissements qui ont accepté de jouer le jeu, le titre de lauréat de l’Institut du service civique vaut admissibilité. C’est notamment le cas, au terme d’une expérience qui a duré deux ans, pour les instituts du travail social, dont le concours, très sélectif et incluant une épreuve de culture générale, ne laisserait aucune chance, sans le dispositif que je viens de décrire, à certains jeunes ayant effectué un service civique. Bref, même si l’on a connu une situation d’échec scolaire précoce, on garde ses chances, à travers l’Institut du service civique, d’intégrer un établissement tel que Sciences-po Paris, jusqu’alors interdit à celui qui aura eu la malchance de rater son passage en cours préparatoire après être sorti de maternelle.

    Le service civique permet à des jeunes de se révéler et d’accéder à la reconnaissance en vertu, non de critères subjectifs, mais des services qu’ils ont rendus. Je suis frappé par le nombre de jeunes qui, à cette occasion, s’entendent dire « merci » pour la première fois de leur vie, qui pour avoir apporté des livres à une personne âgée, qui pour avoir participé à l’organisation d’un festival dans sa commune, qui pour avoir proposé son aide à une personne admise dans un service d’urgence à l’hôpital. C’est le manque de reconnaissance et le sentiment d’inutilité qui font le lit du ressentiment, passion délétère pour la société ; ils touchent d’ailleurs bien d’autres catégories que les jeunes : on les trouve, parfois, chez certains agents publics, par exemple. Notre objectif est de porter à 1 000, dans les deux ans qui viennent, le nombre de jeunes titulaires du diplôme de l’Institut du service civique. En tout état de cause, la reconnaissance de l’engagement est un enjeu fondamental.

    Le lien entre le service civique et les valeurs citoyennes est bien entendu étroit, mais on peut encore le resserrer ; c’est pourquoi nous avons mis en place une formation civique et citoyenne, au cours de laquelle les jeunes sont tenus d’aller passer leur brevet de secouriste – dans un pays où le nombre de personnes capables de faire les premiers gestes de secours est très inférieur au nombre de défibrillateurs installés dans les lieux publics. Les moyens alloués à ces formations sont néanmoins trop limités, et certaines perches n’ont pas été tendues. Un jeune en service civique doit avoir droit aux rites, cérémonies et hommages républicains, ainsi qu’à la connaissance des actions publiques locales. Cela ne demande pas beaucoup de moyens, mais une implication plus forte des acteurs. Le symbole ultime a été atteint, de ce point de vue, avec la présence, en tête et en queue de cortège, de cent jeunes volontaires en tenue bleu-blanc-rouge au défilé du 14 juillet 2013 : l’hommage que la nation rend à ceux qui la servent peut en effet, au-delà des forces armées, concerner des engagés civils. Ces jeunes, venus de métropole et d’outre-mer, ont passé une semaine à se préparer auprès des militaires, à apprendre La Marseillaise et Le Chant des Partisans, s’appropriant ces chants dans un contexte qui, cela va sans dire, a un impact considérable pour eux.

    L’Institut a mené, auprès de 2 000 jeunes – dont 1 000 ayant effectué un service civique et 1 000 autres tirés au sort –, une enquête sur l’appartenance républicaine. Il s’agissait, d’une part, de recueillir le sentiment des uns et des autres sur la phrase : « On ne se sent plus chez nous ici », et, d’autre part, de leur demander s’il fallait considérer l’autre comme une menace ou comme une opportunité. Or les résultats variaient du tout au tout selon que les jeunes avaient ou non accompli un service civique, les premiers se sentant bien mieux intégrés. Nous serions donc coupables de ne pas tirer ce fil.

    Un premier cadre a été fixé pour développer l’engagement. Pour ma part, je suis un fervent partisan du service civique sous sa forme actuelle – six mois d’engagement avec une indemnité – que l’on pourrait éventuellement élargir, pour peu que cela ne porte pas atteinte à un système qui répond aux besoins des jeunes, des associations et des collectivités. Celles-ci, soit dit au passage, se sont très peu mobilisées puisque 90 % des jeunes ont effectué leur service au sein d’une association alors que l’on attendait une répartition moitié-moitié. D’autres formes de service civique sont envisageables, par exemple dans le cadre d’une mission discontinue – de quelques heures par semaine durant deux ou trois ans, pour un volume d’heures équivalent à un service continu – ou d’une alternance avec les études.

    Mme Isabelle Le Callennec. J’ai beaucoup apprécié, monsieur le président, l’expression « citoyenneté active à tous les âges de la vie ». Je connais bien Martin Hirsch, avec qui j’ai lancé sur mon territoire l’expérimentation du service civique, dont je fais une promotion quotidienne et assidue. Je me félicite enfin que les jeunes engagés dans un service civique soient désormais représentatifs de la jeunesse dans son ensemble, car ce n’était pas le cas au départ.

    S’agissant des freins, la promotion doit être assurée non seulement auprès des jeunes mais aussi des structures d’accueil, encore trop peu nombreuses au regard des candidatures.

    Je puis témoigner que les jeunes sortent changés d’un service civique, qu’il serait donc utile d’ouvrir à l’ensemble de la jeunesse française. Le raccourcissement des délais permettrait-il d’accepter davantage de demandes ? Le coût n’est-il pas également trop élevé ? Si les jeunes accomplissent leur service civique près de chez eux, ils n’ont pas de logement à payer ; dans le cas inverse, la collectivité doit assumer un coût supplémentaire.

    J’avais salué la formation civique et citoyenne dès sa création. Des jeunes d’Ille-et-Vilaine, qui avaient défilé sur les Champs-Élysées le 14 juillet, sont revenus transformés de cette expérience. Il faut insister sur cet aspect qui doit être l’occasion, dans le cadre d’un service limité à six mois, de faire passer certains messages. Cela explique d’ailleurs les résultats de l’enquête que vous avez évoquée.

    M. Michel Herbillon. Permettez-moi, monsieur le président, de vous féliciter pour la création de cette mission de réflexion, qui porte sur un enjeu crucial. Je forme cependant le vœu que nos travaux aboutissent à des propositions concrètes et faciles à mettre en œuvre. Celles-ci doivent avoir pour objectif la lutte contre la relégation, dont les élus de banlieue que nous sommes tous deux, monsieur le président, constatent chaque jour les progrès. Sans doute devrions-nous faire aussi du benchmarking, comme on dit en patois val-de-marnais (Sourires), auprès d’autres pays, afin de nous inspirer d’expériences qui y sont mises en œuvre.

    N’oublions pas l’autre enjeu de notre mission, le développement de l’appartenance citoyenne. Comment, monsieur Hirsch, favoriser le brassage républicain, qui permet à des jeunes de tous milieux de se retrouver ensemble suffisamment de temps et de partager certaines valeurs ? Quelles initiatives peut-on prendre pour passer à la vitesse supérieure, dans le cadre du service civique ou d’autres dispositifs, afin de donner à ces jeunes la République en partage ? Notre société est totalement en panne sur ce point. En tant que maire, j’ai pris des initiatives qui ont porté leurs fruits, mais cela suppose un travail de longue haleine. Vous appelez la République à dispenser plus largement ses honneurs ; mais les barbares à l’origine des attentats du mois de janvier les avaient reçus, non pas en préfecture mais à l’Élysée même : vous voyez donc que cela ne suffit pas.

    Toutes les demandes, avez-vous ajouté, ne sont pas satisfaites ; autrement dit, il faut débloquer des crédits. D’ailleurs, si les collectivités n’ont pas toutes répondu à l’appel, c’est aussi pour des raisons de coût, vous le savez bien.

    Le service militaire avait sans doute des défauts, mais il permettait au moins à des jeunes de toutes origines de vivre ensemble pendant un an. Sans appeler à son rétablissement, je crois nécessaire d’inventer des formules alternatives ; faute de quoi on peut nourrir les plus vives inquiétudes quant à l’évolution de notre société.

    M. Éduardo Rihan Cypel. J’ai beaucoup apprécié votre exposé, monsieur Hirsch, d’autant que vous l’avez introduit en énumérant dix propositions concrètes, qui demeurent d’une grande actualité et sont de nature à promouvoir l’esprit public et l’appartenance républicaine. Comme vous, je constate une tension entre le délitement de cet esprit et la volonté d’engagement de nos concitoyens, pas seulement des plus jeunes : en témoignent notre tissu associatif, riche de ses centaines de milliers de bénévoles, la solidarité qui s’exprime notamment lors de catastrophes naturelles et, faut-il le rappeler, la grande mobilisation citoyenne du 11 janvier dernier. La volonté de s’engager est un soubassement de la société française encore mal reconnu : notre mission – je souscris sur ce point aux propos de Michel Herbillon – doit y remédier à travers des propositions concrètes.

    Promouvoir l’appartenance républicaine, c’est d’abord donner aux jeunes le sentiment de leur utilité : l’impression de ne servir à rien engendre de profondes souffrances, qui elles-mêmes peuvent avoir des conséquences très lourdes. Ce besoin de reconnaissance passe par des actes simples que vous avez fort bien décrits ; des enquêtes montrent qu’il concerne, au-delà de la jeunesse, la société française dans son ensemble. Dans ma ville de Torcy, des chantiers d’insertion accueillent des jeunes qui, par cette expérience, changent le regard qu’ils portent sur eux-mêmes et sur ce dont ils sont capables au service de la collectivité.

    Je me suis prononcé à plusieurs reprises en faveur d’un service civique obligatoire, qui n’impliquerait cependant aucune logique répressive. Il me paraît en effet légitime que nos concitoyens donnent à la République, à un moment donné de leur vie, un peu de ce qu’ils en reçoivent. En ce sens, votre proposition d’appeler tout citoyen à consacrer un peu de son temps, tous les cinq ans, au service de l’intérêt général me paraît intéressante ; elle fait au demeurant écho à l’un des fondements de notre civilisation, puisque l’obligation de servir la collectivité existait chez les Grecs et les Romains. Le caractère non obligatoire du service civique ne justifierait-il pas une telle disposition ? L’une des grandes conquêtes de la Révolution est aussi de permettre à ceux qui n’ont pas la chance de naître en République de devenir citoyens français – ce qui fut mon cas.

    Je veux terminer par un message d’espoir. Beaucoup de petites initiatives fleurissent au sein de la société civile sans que la République y prête attention : ces formes de micro-engagement ne gagneraient-elles pas à être elles aussi mieux reconnues ?

    M. Yves Blein. Je reprendrai volontiers à mon compte vos dix propositions. Vous avez soulevé le problème des capacités d’accueil, visiblement insuffisantes au regard du nombre de jeunes qui désirent s’engager. Maire d’une petite commune, j’ai imposé que les jeunes accueillis en service civique représentent 5 % des effectifs des agents communaux, lesquels se montent à deux cents au total, pour cent vingt équivalents temps plein. Cela ne pose aucun problème d’organisation et, hormis les tickets restaurants, monsieur Herbillon, le coût est nul pour la commune : ce n’est donc qu’une affaire de volonté. Appliquer le même ratio aux 5,5 millions de fonctionnaires reviendrait à ouvrir 350 000 possibilités d’accueil.

    Le service civique est et doit rester fondé sur le volontariat ; mais ne pourrait-on envisager, une fois la majorité atteinte, un service obligatoire d’une durée limitée à trois ou quatre semaines, dans une logique de réciprocité entre droits et devoirs ? Cela permettrait aux jeunes d’être associés, dans un contexte de brassage social, à des expériences collectives et d’avoir un temps de réflexion sur la République.

    Enfin, en tant que Haut-commissaire, vous aviez publié un Livre vert qui fut salué comme un outil de promotion de la vie associative : quelles mesures pourrait-on prendre pour favoriser l’engagement de tous les Français au sein de celle-ci ?

    Dernière remarque : des mesures concrètes et faciles à mettre en œuvre ne correspondent pas forcément aux enjeux de cette mission, qui doit s’attacher à une réflexion de long terme.

    Mme Julie Sommaruga. Comment inciter les collectivités à s’impliquer davantage dans le service civique ?

    Avez-vous dressé un bilan sur l’ouverture aux formations et à l’emploi ?

    En l’absence d’obligation, comment impliquer, au moins une fois dans leur vie, ceux qui sont les plus éloignés des valeurs de l’engagement ? Lors du débat sur la refondation de l’école, j’avais par exemple préconisé la mise en œuvre de stages en association pour les collégiens, sur le modèle des stages en entreprise.

    M. Christophe Cavard. Je me félicite également de la création de cette mission de réflexion, et je remercie Martin Hirsch d’être venu nous faire part de son expérience.

    Quel rôle les services publics – centraux et territoriaux – vous paraissent-ils devoir jouer en faveur de l’engagement citoyen ? Des dispositifs complémentaires au service civique sont-ils envisageables ? Le Parlement est en train de débattre du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit « NOTRe », qui redéfinit un certain nombre de compétences territoriales : quel lien pourrait-on faire entre celles-ci et les mesures destinées à favoriser l’engagement chez les jeunes ?

    D’autre part, quel regard portez-vous sur les dispositifs européens, jusqu’à présent très ciblés sur certaines catégories de population ? Puisque l’on parle d’élargir le ciblage, que pourrait-on améliorer de ce point de vue ? La République prend sens également au-delà des frontières nationales, dans un échange avec les autres pays.

    Enfin, si le service civique devenait obligatoire, quelle forme cette obligation devrait-elle prendre ? Quid, alors, de la durée du service ?

    M. Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès. Je vous remercie, monsieur le président, de nous avoir invités à participer aux travaux de cette mission qui nous semble venir à point nommé et revêtir la bonne forme.

    Monsieur Rihan Cypel et monsieur Blein ont évoqué une tension entre le volontariat et l’obligation ; à mon sens, il faut plutôt parler d’une tension entre, d’une part, une vision libérale de la société qui, en accordant la primauté à l’autonomie individuelle, conçoit l’engagement comme un acte volontaire, et, d’autre part, une vision plus républicaine qui, en mettant face à face les droits et les devoirs, penche pour un engagement obligatoire. Entre les deux, l’équilibre est difficile à trouver ; et vous-même avez oscillé, monsieur Hirsch, puisque, tout en défendant un service civique volontaire, vous plaidez en faveur d’une obligation de servir cent jours par période de cinq ans. Pourriez-vous préciser ce qui, au-delà de l’aspect financier, doit respectivement relever de l’obligation et du volontariat ? Enfin, seriez-vous favorable au vote obligatoire ?

    M. Sébastien Denaja. Vos analyses ont fini par me convaincre de la nécessité d’un service civique volontaire. Ne pensez-vous pas, cependant, que le discours est un peu culpabilisant pour la jeunesse, tenue pour seule responsable du délitement républicain ? Le service civique ne pourrait-il viser d’autres publics que les 18-25 ans ? Je pense notamment à ceux dont les liens avec la République ont pu se distendre, comme les détenus : ne pourrait-on imaginer, pour ceux d’entre eux qui sont au seuil de la réinsertion et qui ont perdu leurs droits civiques, par exemple, un service civique obligatoire ? Celui-ci pourrait-il s’adresser à d’autres catégories de personnes, tout au long de leur vie ?

    Enfin, la création d’un statut d’association d’utilité civique, assorti des mêmes avantages fiscaux que les associations d’utilité publique, serait-elle de nature à stimuler les financements via les dons de nos concitoyens ? Ne serait-il pas temps, au demeurant, de toiletter le dispositif des associations d’utilité publique, ce dernier critère apparaissant douteux dans certains cas ? Cela permettrait au passage de réorienter certains financements vers des associations d’utilité civique.

    Martin Hirsch. Toutes ces questions sont très importantes.

    Obligation ou pas ? Je soutiens qu’il est totalement prématuré de penser à rendre le service civique obligatoire : nous tuerions tout simplement le système si nous prenions une telle mesure avant d’avoir pu satisfaire toutes les demandes qui nous sont faites. Tuer le système au moment où il grandit serait commettre un infanticide. On pourrait justifier de le rendre obligatoire si les jeunes ou certaines catégories de jeunes ne voulaient pas le faire. Actuellement, nous avons des candidats de toutes les catégories. Une fois le système développé et toutes les demandes satisfaites, peut-être devra-t-on aller plus loin. On peut voir l’obligation d’engagement comme un idéal, d’où ma proposition d’engagement systématique et obligatoire. Mais pour le service civique, il ne faut pas se poser la question de l’obligation avant d’avoir atteint les limites du volontariat – et nous sommes bien en deçà.

    En revanche, en réponse à Gilles Finchelstein, je reconnais que nous ne sommes pas allés assez loin sur la question du vote obligatoire. Nous parlons de signes républicains, d’appartenance, de République en partage. La faculté de voter est un devoir. Qu’une moitié du corps électoral n’accomplisse plus ce devoir pose un vrai problème de fonctionnement démocratique. Nous devons étudier cette idée d’obligation de vote pour toutes les élections démocratiques, y compris les élections professionnelles auxquelles je suis sensible en tant que dirigeant d’un établissement qui compte 100 000 personnes. L’abstention fait courir un risque très sérieux à la démocratie ; celui qui ne s’est pas déplacé un dimanche peut voir les choses lui échapper par inadvertance. De grandes démocraties comme la Belgique, le Brésil ou l’Australie ont rendu le vote obligatoire et il me semble que cette question est tout à fait d’actualité.

    Comment faire pénétrer les valeurs de l’engagement dès l’école ? Faut-il prévoir un stage en association sur le mode de celui qui existe en entreprise ? Pour ma part, je propose de permettre que l’engagement d’un jeune dans une association, un club de sport ou autre puisse être validé dans le cursus scolaire, comme une matière ou au moins sous forme d’appréciations. Pourquoi ne pas en faire l’une des épreuves facultatives du bac ? Le jeune de dix-sept ou dix-huit ans devrait pouvoir présenter ce qu’il a fait en faveur de l’intérêt général devant un jury, et avoir ainsi la possibilité de grappiller quelques points supplémentaires.

    Les collectivités territoriales ne peuvent pas invoquer des raisons financières : quand elles prennent un jeune en service civique, il leur reste à supporter un coût de 100 euros par mois, ce qui est très faible. Pourquoi se sont-elles peu engagées ? Peut-être ont-elles eu l’impression que ce n’était qu’un dispositif de plus en direction des jeunes, ou considéré qu’il était plus facile de passer par l’intermédiaire des associations. Or, j’y insiste, l’implication des services publics, de la société civile et des volontaires est cruciale. La collaboration des volontaires – qu’ils soient jeunes ou moins jeunes – aux services publics l’est tout autant.

    Cette collaboration peut être perçue comme une menace : on peut craindre que ces volontaires ne viennent pallier le manque de moyens pour embaucher des fonctionnaires, des agents dans les hôpitaux et les collectivités territoriales. Il faut prévenir cette critique, comme nous le faisons dans les hôpitaux, en expliquant que certaines tâches ne correspondent pas forcément à des emplois de professionnels, que les volontaires et les bénévoles peuvent être associés à la prise en charge globale des malades. Nombre de grands services étaient assurés par la charité et les associations avant d’être professionnalisés et pris en charge par le service public. Peut-être pouvons-nous réintroduire le volontariat sans affaiblir les services publics.

    Pour ma part, je suis favorable à la réappropriation des services publics, via l’instauration d’une journée des services publics, même si cela fait un peu gadget. Nous faisons une journée porte ouverte dans les hôpitaux pour montrer que le service public est le service du public. C’est l’occasion pour chacun de s’engager et de participer aux grands choix qui les concernent ou à leur fonctionnement. Il ne s’agit pas de prendre la place des agents publics : dans les services d’urgence, les jeunes volontaires ne s’improvisent pas infirmiers, urgentistes ou brancardiers ; ils apportent du temps, de la présence et une humanité qui s’ajoute à celle des professionnels.

    Comment faire pour que les nombreuses initiatives d’engagement spontané soient reconnues ? Avec une douzaine de personnalités, dont François Chérèque, François Soulage, l’ancien président du Secours Catholique, et la présidente de l’Association départementale d’insertion (ADI), j’ai proposé au Président de la République une action dénommée « la France s’engage ». Il s’agit de labelliser, d’encourager et de soutenir des initiatives de la société civile qui peuvent transformer la société.

    Ces initiatives se heurtent souvent à des cadres réglementaires ou juridiques extrêmement contraignants, créés pour des raisons parfaitement justifiées lorsqu’il s’agit des activités des entreprises, mais beaucoup moins adaptées à certaines actions de la société civile par nature un peu dérogatoires. C’est ainsi que cent citoyens, qui se seront réunis autour d’une idée, vont se heurter à une règle générale qui n’est pas faite pour l’innovation venant de la société civile. Cela décourage les engagements.

    On pourrait imaginer que le citoyen s’adresse à son parlementaire et lui demande un droit à dérogation pour une initiative d’intérêt général qui se heurterait à tel ou tel article du code de l’urbanisme ou du code de l’action sociale. On pourrait imaginer que le Parlement ait, chaque année, la possibilité de repousser les murs de la réglementation pour favoriser des initiatives d’intérêt général. Cela bousculerait, au bon sens du terme, certaines rigidités qui nuisent à des engagements d’une très grande force.

    Il ne s’agit pas d’opposer la société civile à l’organisation publique ; il s’agit de savoir comment l’organisation publique peut s’adapter aux initiatives d’une société civile à laquelle elle demande toujours de se plier à ses règles. Les agents publics pourraient accepter ce type d’initiatives plutôt que d’en rester au constat habituel : « c’est une bonne idée et c’est bien dommage qu’elle ne puisse pas se concrétiser ». Ces dizaines de milliers d’initiatives sont un signe de vitalité, un atout pour notre pays.

    M. le président Claude Bartolone. Nous vous remercions de vos réponses, et si vous pensez devoir les compléter par une contribution écrite, nous sommes demandeurs.

    L’audition s’achève à dix heures vingt.

    .——fpfp——

Membres présents ou excusés

    Mission de réflexion sur l’engagement citoyen et l’appartenance républicaine

    Réunion du 19 février 2015 à 10 heures.

    Présents. – M. Yves Blein, M. Jean-Jacques Candelier, M. Christophe Cavard, Mme Marianne Dubois, M. Sébastien Denaja, M. Razzy Hammadi, M. Michel Herbillon, Mme Isabelle Le Callennec, M. Bernard Lesterlin, M. Eduardo Rihan-Cypel, Mme Julie Sommaruga.

    Excusés. – M. Guillaume Bachelay, Mme Françoise Dumas, M. Jacques Krabal, M. Didier Quentin.