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Commission d’enquête chargée d’établir un état des lieux et de faire des propositions en matière de missions et de modalités du maintien de l’ordre républicain, dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Jeudi 22 janvier 2015

Séance de 9 heures 40

Compte rendu n° 5

Présidence de
M. Noël Mamère Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Thomas Andrieu, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’Intérieur 2

–   Présences en commission 9

L’audition débute à neuf heures quarante.

M. le président Noël Mamère. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Thomas Andrieu prête serment)

M. Thomas Andrieu, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’Intérieur. Je commencerai par replacer la question du maintien de l’ordre et de l’emploi de la force dans l’état du droit, qui protège la liberté constitutionnelle de manifester. Est considéré comme manifestation un groupe de personnes qui utilisent la voie publique pour exprimer une volonté collective. Le terme est donc défini par un fait matériel – la présence de personnes sur la voie publique – et par une intention politique – celle de délivrer un message. La manifestation peut être mobile ou non.

Le régime juridique de la manifestation, qui s’applique aussi bien aux veilleurs, qu’aux zadistes ou aux anti-corrida, et aux flash mob qu’aux free parties, est libéral. La liberté de manifestation est mentionnée pour la première fois en tant que telle dans un décret-loi de 1935 relatif au maintien de l’ordre public, dans un contexte politique particulier. Une décision du Conseil constitutionnel datant de 1995 la consacre comme une des facettes du droit d’expression collective des idées et des opinions. La Constitution ne cite pas la liberté de manifestation, qui est toutefois rattachée à la liberté d’expression, à l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le régime qui s’applique aux manifestations – comme aux associations – est celui de la déclaration, mais l’administration ne peut interdire une manifestation même non déclarée que si celle-ci peut entraîner des troubles graves, et que l’administration ne peut la gérer avec les moyens dont elle dispose. C’est donc un raisonnement en deux temps qui amène l’administration, puis le juge – avec un contrôle entier de proportionnalité – à vérifier que l’interdiction est justifiée. Répétons-le : une manifestation qui reste pacifique et ne trouble pas l’ordre public ne peut être interdite pour le simple motif qu’elle n’aurait pas été déclarée, et seul le motif d’ordre public justifie l’interdiction.

Autre signe du principe de liberté qui entoure la manifestation : la violation d’une interdiction est peu sanctionnée. Seuls ceux qui auraient dû déclarer la manifestation sont passibles de sanctions pénales. Les participants encourent seulement une amende pour non-respect d’arrêté de police, en vertu de l’article R610-5 du code pénal.

Enfin, on ne peut recourir à la contrainte pour faire exécuter un arrêté de police tendant à interdire la manifestation. Même si l’arrêté d’interdiction pris par un préfet ou un maire est légal et proportionné, on ne peut utiliser la contrainte pour disperser les manifestants dès lors que la manifestation est pacifique et ne trouble pas l’ordre public.

En revanche, à la différence de la manifestation, l’attroupement ne constitue pas l’exercice d’une liberté publique. On ne lui reconnaît pas de finalité politique. Son seul critère de définition est matériel. C’est un rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans des lieux publics, qui est susceptible de troubler l’ordre public. Aux termes de la loi, le trouble n’a pas à être constaté. Il suffit que l’on sente venir.

Non seulement le code de la sécurité intérieure permet la dispersion de l’attroupement, mais il fait obligation à l’autorité publique de mettre fin à des troubles éventuels. Il faut toutefois, après deux sommations sans effet, une décision administrative de l’autorité compétente, la première décision d’emploi de la force n’étant pas laissée à l’appréciation de la seule autorité opérationnelle. L’article R-211-21 du code de la sécurité intérieure réserve la décision au préfet du département ou au sous-préfet, au maire ou à l’un de ses adjoints, au commissaire de police, au commandant de groupement de gendarmerie départementale ou, mandaté par l’autorité préfectorale, au commissaire de police ou à l’officier de police chef de circonscription.

La décision, qui ne revient en aucun cas au commandant direct des opérations, doit se prendre au plus près du terrain, sachant que les circonstances sont extrêmement fluides et que, ces dernières années, la gravité des violences a augmenté. En même temps, l’autorité – qualifiée d’autorité civile, bien que la décision puisse incomber à un gendarme ou à un policier de haut rang – doit avoir un regard distancié sur les événements. C’est une autorité suffisamment élevée qui recourt à l’usage de la force.

Cette tension, qu’on retrouve dans tout sujet d’ordre public, est au cœur de la réflexion du ministère de l’Intérieur. C’est probablement sur ce chaînage qu’un travail peut être fait. À la différence de ce qui se passe dans les autres États, il faut en France que les forces de l’ordre reçoivent un ordre exprès pour se servir des armes à feu.

Le régime libéral des manifestations fait que les conséquences pénales sont très mesurées. Je ne peux citer aucun exemple récent de condamnation pour manifestation illicite ni d’amende pour participation à une telle manifestation. En revanche, le régime des attroupements est répressif. Le fait de participer à un attroupement en étant porteur d’une arme constitue une infraction à part. La provocation directe à un attroupement armé est également réprimée, et plus encore si elle est suivie d’effet. L’objectif principal de la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, adoptée en 2010, étant la préservation de l’ordre public, une personne qui dissimule intégralement son visage lors d’un attroupement peut être punie d’amende.

Les infractions de droit commun commises dans ce cadre concernent l’entrave à la liberté du travail ou à la circulation. Le fait de se débarrasser d’objets sur la voie publique est également répréhensible. L’outil pénal existe et peut être employé, pourvu qu’on ait identifié l’auteur de l’acte. Les outils de police judiciaire prennent alors tout leur sens : contrôle d’identité – contrôle d’identité de police judiciaire si l’on soupçonne une infraction, contrôle d’identité de police administrative en amont dans des zones où l’on sent que des troubles peuvent survenir –, vérification d’identité, interpellation et placement en garde à vue.

Je reviendrai si vous le souhaitez sur les fichiers de police utilisés pour prévenir ce type de troubles.

L’action de l’administration vis-à-vis des manifestants doit être claire, qu’il s’agisse des sommations ou de l’enchaînement qui conduit à l’usage de la force, lequel est placé sous le signe de la plus stricte proportionnalité. Tout cela doit être bien expliqué aux personnes qui participent à la manifestation ; ce point est sans doute susceptible d’amélioration. Enfin, dans la chaîne de commandement, il faut résoudre l’équation qui impose à la fois de rester proche du terrain où tout va très vite et de conserver une distance pour savoir s’il faut ou non lâcher prise.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Les textes et les procédures relatifs à l’expression des libertés publiques et au maintien de l’ordre sont-ils adaptés aux nouveaux phénomènes de revendication, notamment ceux qui se caractérisent par l’occupation durable de sites privés ? Celle-ci ne constitue-t-elle pas une occupation illicite, relevant du droit de l’expulsion ? Faut-il harmoniser ces domaines du droit ou mieux adapter l’encadrement juridique ?

Les dispositions du code de la sécurité intérieure suggèrent qu’une manifestation interdite ou non déclarée ne bascule pas automatiquement dans le régime de l’attroupement. Est-ce une faille juridique ou une bonne application du principe de liberté ? Sur ces questions très précises, nous vous adresserons peut-être un questionnaire écrit, afin d’évoquer en détail la notion d’interdiction, le dialogue et la coopération avec les organisateurs, ainsi que l’information préalable du public et le renseignement.

Quelle est la responsabilité de la puissance publique, s’il est avéré que celle-ci a insuffisamment prévenu la situation, ce qui a causé des dommages aux personnes ou aux biens ? Quelle est celle des organisateurs ? Leur définition juridique est-elle assez claire ? Comment appréciez-vous les spécificités du modèle français, qui impose de concilier maintien de l’ordre et expression des libertés publiques ? Dans ce domaine, quels enseignements peut-on tirer des autres démocraties ?

M. Daniel Vaillant. Compte tenu de la complexité de ces matières, il serait effectivement utile que nous puissions vous interroger par écrit. Dans le cas des rave et des free parties, qui posent la question d’une occupation illicite de l’espace, l’obligation de la déclaration a permis la responsabilisation, qui a réduit le nombre de décès. La responsabilité des organisateurs constitue un principe essentiel, sachant que l’autorité est sur le fil du rasoir : elle prend un risque tant en autorisant la manifestation qu’en l’interdisant.

Notre régime est libéral, au sens philosophique du terme, sans pour autant être libertaire, de même que chacun est favorable à la sécurité, en se défendant de toute attitude sécuritaire. Lors d’une manifestation, le port de certains insignes – par exemple de croix gammées – justifie l’intervention de la force publique, de même que les appels à la violence. Quelles sanctions encourent des manifestants qui appellent à la violence contre les forces de l’ordre ?

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Dans quel cadre juridique s’inscrit l’activité des zadistes, puisqu’on ne peut pas la rattacher à la liberté de manifester ? Il me semble que, sur le terrain, les représentants des forces de l’ordre sont tenus d’arborer leur matricule ; est-ce bien le cas ?

M. Olivier Marleix. Je suis frappé par la différence entre le régime juridique qui s’applique aux manifestations politiques et celui qui régit les manifestations récréatives, sportives ou culturelles. Bien que les unes et les autres soient rattachées au même article 211-1 du code de la sécurité intérieure, les secondes s’inscrivent dans un cadre plus contraint. Un maire qui en organise dans sa commune engage sa responsabilité de manière très lourde. Il est traduit devant un tribunal correctionnel en cas d’accident, par exemple si, lors d’une course cycliste, il manque à un carrefour des gilets de signaleurs. J’ai le sentiment que notre arsenal juridique est assez déséquilibré.

J’ai consulté ce matin le site de plusieurs préfectures. Pour organiser une loterie – démarche assez innocente –, il faut renvoyer un formulaire CERFA très détaillé. Pour organiser une manifestation culturelle sur une zone classée Natura 2000, il faut remplir un formulaire de huit pages dans des délais contraignants. La manifestation à caractère économique ou social s’organise de façon beaucoup plus rapide, avec en quelque sorte une « inversion » de la charge de la responsabilité : dès qu’une manifestation à caractère politique tourne mal, on s’en prend à l’autorité politique, au préfet ou au ministre de l’Intérieur, qui l’a laissée se dérouler. Notre commission d’enquête s’inscrit aussi dans cette logique. Sans aller jusqu’à instaurer un régime d’autorisation, ne faudrait-il pas aller un peu plus loin dans l’encadrement des manifestations, dans ce que l’administration demande aux manifestants, voire établir un régime de responsabilité plus étendu pour les organisateurs, à une époque où l’on considère de plus en plus que les interlocuteurs de l’autorité publique sont quasiment aussi légitimes que celle-ci ?

Mme Nathalie Nieson. Comment réagissez-vous face aux zadistes, qui semblent ne laisser à l’autorité que deux solutions : procéder à une évacuation ou accepter l’occupation illégale d’un terrain, qui devient ainsi une zone de non-droit ?

M. Hugues Fourage. Comment responsabiliser les organisateurs ? Existe-t-il un guide que l’on pourrait remettre aux organisateurs de manifestation ? Serait-il souhaitable d’en rédiger un ? Comment la chaîne de commandement appréhende-t-elle le principe de proportionnalité, qu’il est difficile d’appliquer face à la provocation ?

M. le président Noël Mamère. Sur la chaîne de commandement, il serait intéressant de connaître les pistes que vous pourriez proposer. Sachant que le maintien de l’ordre s’effectue sur la voie publique, comment appréhender les événements de Sivens, qui se sont déroulés sur un terrain privé ? L’intervention des forces de l’ordre relève-t-elle alors de la réquisition ? Récemment, des manifestations ont été interdites à la demande du préfet de police, confirmée par le juge administratif. La décision du préfet et l’interprétation du juge se fondent-elles sur les mêmes motifs ?

M. Thomas Andrieu. À ces questions très complexes, j’essaierai de faire une réponse qui ne soit pas que juridique. En matière d’ordre public et de police administrative, le droit public est infiniment réaliste. L’ordre public est une notion concrète, matérielle. Le trouble se constate, et il appelle qu’on agisse dans l’urgence. « Lorsque la maison brûle, a dit un grand commissaire du Gouvernement au Conseil d’État, on ne demande pas l’autorisation d’appeler les pompiers : on les appelle. »

Le système déclaratif que j’ai rappelé est libéral, au sens philosophique – et non libertaire –, il a vocation à canaliser mais, au bout du compte, l’urgence prime. En d’autres termes, que la manifestation soit ou non déclarée, le trouble est le seul critère réel considéré par le préfet pour savoir s’il doit disperser les gens ou laisser commencer la manifestation. Celui-ci préfère souvent laisser se dérouler une manifestation juridiquement interdite ou des rave parties qui ne respecteraient pas la loi de 2001, si l’interdiction risque de susciter une réaction violente de la part d’un grand nombre de personnes. La jurisprudence l’admet parfaitement : elle est réaliste, concrète et matérielle.

La vraie difficulté, dans ce système, est de responsabiliser les organisateurs, qu’on ne parvient pas toujours sinon à identifier, du moins à qualifier juridiquement, ce qui permet de diriger contre eux une action administrative ou pénale. Si le régime qui s’applique aux rave parties ou aux spectacles et activités culturelles est devenu plus fort, plus exigeant, c’est parce qu’on sait à qui l’on s’adresse. Les rave parties sont désormais un univers structuré dont on connaît les organisateurs. Le défaut d’organisation caractérise les zadistes, qui par essence refusent cette notion ou font de l’absence d’organisation une stratégie politique, une stratégie de combat.

Pour l’instant, le phénomène des zadistes n’est pas une catégorie juridique, mais peut-être le législateur va-t-il s’en emparer.

M. le président Noël Mamère. C’est un terme derrière lequel on peut mettre beaucoup de choses, de même qu’on peut mettre beaucoup de choses derrière « Charlie ».

M. Thomas Andrieu. L’occupation de vastes terrains privés sur lesquels séjournent des personnes s’opposant à l’action de la puissance publique suscite plusieurs interrogations. Est-on totalement démuni au regard de l’application du cadre juridique de l’attroupement ? Non, car l’attroupement se déroule sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public, notion qui peut inclure les vastes terrains privés dont l’accès est assez facile. Seul le juge pénal est compétent pour trancher cette question, mais celle-ci ne me semble pas fermée.

D’autre part, le code de procédure civile prévoit une procédure judiciaire d’évacuation des terrains, qui ne nécessite pas de cibler un organisateur. Ce régime juridique étant mal connu, nous informons les préfets de son existence : on peut demander l’évacuation d’un terrain privé devant le juge civil, alors même qu’on n’est pas en mesure de notifier sa décision à une personne en particulier. Quand la décision de justice est prise, le concours de la force publique peut être accordé, même si l’occupation des lieux est pacifique et, hors de toute procédure, ne justifierait pas d’action de maintien de l’ordre public.

Je rappelle que le concours de la force publique, hors du maintien de l’ordre public, ne peut être accordé que sur décision judiciaire, mais qu’en vertu de la séparation des pouvoirs, le préfet est tenu de faire exécuter les décisions de justice. Il serait en faute s’il ne le faisait pas. L’occupation non violente doit donc se traiter par une décision de justice préalable : une décision administrative pour le domaine public, une décision judiciaire pour les terrains privés.

La question de la responsabilité doit être examinée sous l’angle des organisateurs et de la puissance publique. Il faut pouvoir identifier un interlocuteur si l’on veut créer un régime équivalent à celui des rave parties et des manifestations culturelles. À cet égard, la difficulté est non juridique mais matérielle. De son côté, la puissance publique serait en faute si elle laissait se dérouler des troubles sans intervenir, sauf si elle peut justifier que son intervention aurait créé des troubles supplémentaires. Elle serait également en faute si elle faisait un usage exagéré de la force – ce qui reste difficile à apprécier.

Je ne suis pas compétent pour répondre sur la formation des policiers, mais, dans les écoles de police ou de gendarmerie, les fondements de la procédure pénale et du maintien de l’ordre sont deux piliers de l’enseignement, certaines unités étant spécialisées sur ces questions.

Monsieur Vaillant m’a interrogé sur les messages qui peuvent être diffusés, les insignes qui peuvent être arborés ou portés, les mots qui peuvent être prononcés lors d’une manifestation. Certaines provocations sont sanctionnées par la loi de 1881, qui n’appellent pas de réponse pénale immédiate telle que la comparution immédiate, la mise sous écrou ou la garde à vue. Mais il existe aussi dans le code pénal de nombreuses infractions caractérisées comme « provocation », par exemple la provocation à la violence directe, qui sont sanctionnées pénalement et permettent des interpellations immédiates.

La question des insignes est plus délicate. Cet été, des manifestants ont arboré le drapeau d’organisations reconnues comme terroristes par le droit européen. Sur le plan juridique, il est compliqué de sanctionner le port d’un drapeau, s’il ne s’accompagne pas de slogans ou d’un message direct. En revanche, l’appel à la violence verbal ou écrit est réprimé fermement.

Sur ces questions passionnantes et compliquées, je suis disposé à me lancer, si vous le souhaitez, dans un exercice écrit complémentaire.

M. le président Noël Mamère. Nous vous ferons parvenir un questionnaire. Le but de notre commission d’enquête est de formuler des propositions, en vue d’améliorer le maintien de l’ordre et son exécution, dans le respect des libertés.

M. le rapporteur. Nous devons connaître précisément l’état du droit, sa mise en œuvre, ses limites et la façon dont il doit évoluer pour s’adapter aux situations rencontrées sur le terrain. La responsabilité des organisateurs est une question intéressante : elle fait apparaître une difficulté pratique et rien ne serait pire que d’instaurer un cadre juridique qui ne s’appliquerait qu’à ceux qui jouent le jeu. Peut-on créer un mécanisme de responsabilité civile solidaire des organisateurs à l’encontre des fauteurs de troubles, afin de permettre une action récursoire de l’État, qui est civilement responsable des dommages causés par un attroupement ? Certains pays ont-ils tenté des expériences dans ce sens ? Quel en est le bilan ?

M. Thomas Andrieu. Je ne dispose pas d’éléments de droit comparé. La responsabilité solidaire des fauteurs de troubles pose la question matérielle de l’identification des organisateurs et des personnes que l’on voudrait responsabiliser – sauf à dire que tous ceux qu’on arrête dans un champ sont collectivement responsables du désordre général. La démarche serait inconstitutionnelle en matière pénale. Qu’en est-il en matière civile ? Je vérifierai si le législateur peut retenir cette option.

M. le président Noël Mamère. Je puis rapporter sur ce point mon expérience de faucheur volontaire. Quand j’ai été arrêté, avec quelques autres, nous nous sommes transformés en délateurs, en nommant ceux qui avaient été photographiés, parce que nous voulions tous comparaître, mais la procédure n’impliquait pas de désignation collective. La justice a refusé notre démarche, préférant sélectionner selon son bon plaisir une partie des manifestants, qui ont été traduits au pénal et au civil. Les plus connus ont payé le plus cher, ce qui me semble assez normal.

M. le rapporteur. C’est la rançon de la gloire !

M. le président Noël Mamère. C’est en tout cas un cas de figure intéressant. La manifestation, qui n’avait pas été autorisée, s’était déroulée devant les appareils photos des gendarmes.

M. Hugues Fourage. L’action civile solidaire pose la question de l’assurance des organisateurs, quand ceux-ci sont identifiés. L’absence d’assurance constituerait-elle un obstacle au droit de manifester, et par conséquent une entrave à l’exercice d’une liberté fondamentale ? C’est dans ce sens-là qu’il faut faire porter l’analyse.

M. Thomas Andrieu. Vous soulevez la question de la proportionnalité entre plusieurs libertés constitutionnellement protégées. L’obligation d’assurance, qui représente une atteinte à la liberté contractuelle, existe dans le droit français. La considérer comme une atteinte à la liberté du droit de manifester me semble peut-être excessif. C’est un point que je vérifierai.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Je réitère ma question : lors d’une manifestation, les représentants de la force publique sont-ils tenus d’arborer leur matricule ? Cela peut constituer un élément de garantie s’il survient un incident entre un manifestant et un représentant des forces de l’ordre.

M. Thomas Andrieu. Le port du numéro d’identification est obligatoire depuis le 1er janvier 2014 pour toutes les forces de police et de gendarmerie en tenue, non seulement lors des opérations de maintien de l’ordre mais au quotidien.

M. le rapporteur. Cette obligation s’applique-t-elle aussi aux unités mobiles ?

M. Thomas Andrieu. Oui. Les caractères sont suffisamment grands pour être lisibles à une distance de deux mètres. La mesure, qui est essentielle pour améliorer les rapports entre la police et la population, accompagne le développement du recours à la vidéo. À l’avenir, les caméras piétons tourneront chaque fois que le dialogue s’engagera entre un citoyen et la police urbaine ou que celle-ci procédera à une interpellation. Le recours à la vidéo sera également développé, voire systématisé, lors des opérations de maintien de l’ordre, dans un but de renseignement ou pour déterminer a posteriori, pour des besoins judiciaires, le comportement des manifestants ou des forces de l’ordre. Cette voie, dans laquelle nous sommes engagés, sécurisera tout le monde.

M. le président Noël Mamère. Je vous remercie.

L’audition s’achève à dix heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Réunion du jeudi 22 janvier 2015 à 9 h 30

Présents. - Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Guy Delcourt, M. Hugues Fourage, M. Jérôme Lambert, M. Noël Mamère, M. Olivier Marleix, Mme Nathalie Nieson, M. Pascal Popelin, M. Daniel Vaillant

Excusés. - M. Jean-Paul Bacquet, M. Pascal Demarthe, Mme Clotilde Valter