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Commission d’enquête chargée d’établir un état des lieux et de faire des propositions en matière de missions et de modalités du maintien de l’ordre républicain, dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Jeudi 5 mars 2015

Séance de 8 heures 30

Compte rendu n° 15

Présidence de
M. Noël Mamère Président

–  Table ronde, ouverte à la presse, réunissant cinq commandants (BELGACIMI, GOMEZ, GUILLOU, LE MABEC, LE MOUEL) de compagnies républicaines de sécurité (CRS) étant intervenus à Notre-Dame-des-Landes. 2

–   Présences en commission 12

L’audition commence à 8 heures 40.

Table ronde, ouverte à la presse, réunissant cinq commandants de compagnies républicaines de sécurité (CRS) étant intervenus à Notre-Dame-des-Landes (commandants Mohammed Belgacimi, Christian Gomez, Roland Guillou, Éric Le Mabec, et René-Jacques Le Moël).

M. le président Noël Mamère. Messieurs, soyez les bienvenus. La commission d’enquête sur les missions et modalités du maintien de l’ordre a été créée à la suite des événements tragiques survenus à Sivens. Nous n’avons évidemment pas le droit d’empiéter sur l’enquête judiciaire en cours, mais nous cherchons à savoir comment s’opère le maintien de l’ordre dans notre pays, et comment il pourrait être amélioré.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de bien vouloir prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Les commandants Mohammed Belgacimi, Christian Gomez, Roland Guillou, Éric Le Mabec, et René-Jacques Le Moël prêtent serment.)

M. Pascal Popelin, rapporteur. Messieurs, les unités que vous commandez ont récemment connu des réorganisations, notamment en termes d’effectifs. Quel impact cela a-t-il eu sur votre organisation interne et sur l’efficacité de vos missions ?

Les équipements et les armements dont vous disposez sont souvent au cœur des débats. Nous serions heureux de recueillir, à ce sujet, l’avis des utilisateurs que vous êtes.

Quelles sont les conséquences des missions de longue durée sur le fonctionnement des compagnies ? Lors de ces missions, qui peuvent durer plusieurs jours ou plusieurs semaines, des consignes doivent être transmises, et des relèves organisées. Il faut aussi gérer la fatigue. En outre, la présence continue sur le terrain implique que se noue une relation avec les personnes que vous êtes amenés à rencontrer, ce qui peut avoir des inconvénients et des avantages. L’évolution des modes de protestation crée aussi sans doute pour vous de nouvelles contraintes. Faut-il y répondre en modifiant votre organisation ou en changeant la façon dont sont engagés les effectifs ?

Avant, avec ou après les vôtres, il est parfois fait appel à des unités qui, contrairement aux CRS, ne sont pas spécialement formées au maintien de l’ordre. Que pensez-vous de cette mixité ? Le préfet de police de Paris nous a indiqué que les unités de police judiciaire participaient quasiment systématiquement aux opérations de maintien de l’ordre se déroulant dans la capitale afin d’interpeller les personnes qui commettent des infractions ou des délits. Comment leurs interventions s’articulent-elles avec votre action ? Cette mixité existe-t-elle dans d’autres cadres ? Le cas échéant, fonctionne-t-elle bien ?

Commandant Roland Guillou, CRS 32 du Havre. Les effectifs ont récemment diminué. Aujourd’hui, une unité de service général de CRS, telle que celle que je commande, comprend environ 132 personnels actifs dont les trois cinquièmes sont affectés à des emplois d’ordre public, soit 81 ou 82 personnels.

Cette baisse des effectifs n’altère en rien notre modus operandi. Nous nous adaptons en obéissant aux mêmes règles qu’auparavant. Nous accomplissons nos missions sans transformer notre mode de fonctionnement.

Il va de soi que, en tant que gestionnaire, je préférerais disposer d’un effectif plus nombreux lors des opérations d’ordre public délicates. Toutefois, celles-ci sont rares et, la plupart du temps, les manifestations sont très paisibles. En général, les CRS ne sont présents qu’en deuxième ou troisième rideau, car les autorités civiles, notamment préfectorales, estiment que la gradation de l’intervention doit d’abord engager des personnels en civil, puis des personnels en tenue du commissariat.

M. le président Noël Mamère. Quelles différences avez-vous constatées entre les opérations ponctuelles que vous menez habituellement lors de manifestations généralement paisibles, et votre intervention à Notre-Dame-des-Landes, site d’occupation longue ? Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous êtes confrontés pour maintenir l’ordre dans le respect de la liberté d’expression ?

Mme Nathalie Nieson. En plus de la durée, le cas de Notre-Dame-des-Landes se caractérise probablement par la dispersion géographique des lieux d’occupation. Cela modifie-t-il votre approche du maintien de l’ordre ?

Commandant Christian Gomez, CRS 40 de Plombières-lès-Dijon. La CRS 40 s’est rendue à deux reprises à Notre-Dame-des-Landes. Nous étions placés sous l’autorité du colonel commandant la gendarmerie départementale, et sous les ordres d’un lieutenant-colonel de la gendarmerie mobile. Si nous évoluons principalement en zone urbaine, nous sommes aussi entraînés pour agir en zone rurale où nous ne rencontrons aucun problème particulier. Nos entraînements ont lieu sur des sites très adaptés et divers : villages de combat ou forts militaires, friches industrielles…

Le cas de Notre-Dame-des-Landes présente des différences avec celui des manifestations de grande ampleur au cours desquelles nous avons l’habitude d’intervenir. Il n’est pas facile d’évaluer le nombre des personnes présentes sur les sites occupés, et l’intervention en pleine campagne rend difficile leur localisation. Les réunions préparatoires organisées par la gendarmerie et les dossiers fiables, complets et détaillés dont nous disposons atténuent toutefois les difficultés. Les indications topographiques et les clichés photographiques permettent d’évoluer dans de bonnes conditions de jour comme de nuit. Sur le théâtre d’opérations, l’adaptation de mon unité a pu être immédiate.

M. le président Noël Mamère. À Notre-Dame-des-Landes, vous interveniez en soutien de la gendarmerie mobile, sous son autorité hiérarchique ?

Commandant Christian Gomez. Nous sommes placés sous l’autorité du préfet du département et mis à la disposition du colonel commandant le groupement de gendarmerie qui est l’autorité habilitée à décider de l’emploi de la force, le concepteur du service. Nous sommes temporairement placés sous ses ordres pour toutes nos actions. Selon le nombre des forces présentes, un échelon intermédiaire, un lieutenant-colonel de la gendarmerie, anime et commande des CRS ou des gendarmes mobiles. Lorsque plusieurs unités de CRS sont engagées, il est parfois mis en place un commandement de groupe de compagnies.

M. Noël Mamère. Les dossiers dont vous disposez comportent des photographies : y trouve-t-on celles de manifestants ?

Commandant Christian Gomez. Ces dossiers d’ambiance comprennent des informations topographiques et des planches photographiques des lieux sur lesquels nous sommes amenés à nous rendre. En l’espèce, il s’agissait de photos des axes routiers par lesquels devaient passer les engins de travaux publics que nous étions chargés d’aider à cheminer jusqu’à des bâtiments à démolir. En aucun cas ces dossiers très complets relatifs au déroulement des opérations – rôle de chaque unité, chronologie de l’opération… – ne comportent de photographies d’individus – je n’en ai en tout cas jamais vu.

M. le rapporteur. Dans un cas comme celui de Notre-Dame-des-Landes, les unités sont-elles engagées dans leur entier ? Combien de temps restent-elles sur place ? Qu’en est-il des détails pratiques comme l’hébergement ?

Les modes d’organisation du commandement semblent variables. Ne rencontrez-vous jamais de problèmes d’articulation à ce niveau ?

Commandant Christian Gomez. Il n’y a jamais de problème dans l’articulation du commandement pour la simple et bonne raison que les rôles de chacun sont très précis : le colonel commandant le groupement de gendarmerie est le patron de l’ensemble du dispositif, il a sous ses ordres des officiers de gendarmerie qui commandent les escadrons des forces mobiles de gendarmerie et, parfois, lorsque plusieurs unités de CRS interviennent, un chef de groupement opérationnel qui est soit un commissaire de CRS, soit un commandant fonctionnel qui n’est pas commandant de compagnie. Lors de la première intervention des CRS à Notre-Dame-des-Landes, on a compté jusqu’à douze unités commandées par un commandant fonctionnel.

Commandant René-Jacques Le Moël, commandant à l’échelon fonctionnel de la direction zonale des CRS Ouest. Nous sommes un service spécialisé à vocation nationale, ce qui se traduit par le fait que, la plupart du temps, les compagnies arrivent sur les lieux d’une opération au dernier moment. Évidemment, les missions sont préalablement étudiées du niveau conceptuel à celui de la compagnie. Il revient au groupement opérationnel de préparer la mission en amont. Nous assurons le soutien logistique et la conception d’un dossier qui comporte des éléments contextuels – présentation de l’événement, présence d’opposants, dangerosité… – et une déclinaison de la mission globale au niveau de l’unité qui se voit assigner ses propres objectifs.

M. le rapporteur. Combien de temps dure en général la mission ?

Commandant René-Jacques Le Moël. Cela peut dépendre de la situation. Dans l’hypothèse où la mission se prolonge, le groupement opérationnel est chargé d’assurer la relève de l’unité sur le terrain.

Commandant Mohammed Belgacimi, CRS 19 de La Rochelle. Les missions sont généralement très brèves. Ma compagnie s’est par exemple rendue trois fois à Notre-Dame-des-Landes pour des missions d’une seule journée. Nous n’assurons pas de présence en continu sur le terrain ; les compagnies se relèvent à un rythme très rapide et n’effectuent que des opérations ponctuelles.

M. le rapporteur. Êtes-vous venus en appui de forces présentes en continu, ou la rotation des compagnies est-elle une règle générale ?

Commandant Mohammed Belgacimi. La rotation est la règle générale : aucune ne reste en permanence sur la mission.

M. le président Noël Mamère. Je crois que les compagnies de gendarmes mobiles assurent des missions sur le plus long terme.

Commandant Mohammed Belgacimi. Je ne suis pas en mesure de vous le confirmer.

M. le président Noël Mamère. Vous ne vous parlez pas beaucoup ?

Commandant Mohammed Belgacimi. Tout se passe très bien entre nous sur les missions, mais nous n’avons pas beaucoup l’occasion de nous rencontrer entre unités. Le travail est préparé en amont : nous arrivons avec une mission ponctuelle et précise à effectuer. Nous n’avons pas l’occasion d’échanger à ce stade avec les unités de gendarmerie, même si, en amont, des rencontres ont pu avoir lieu. À Notre-Dame-des-Landes, la veille des opérations, tous les commandants assistaient à une réunion préparatoire avec les services de police et de gendarmerie.

M. Guy Delcourt. Il y a quelques semaines, nous avons entendu le général Bertrand Cavallier, ancien commandant du Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier, en Dordogne. Les CRS disposent-elles d’un centre de formation équivalent ?

Le général Bertrand Cavallier estime que les forces spéciales devraient intervenir de façon assez précoce sur des sites comme Sivens ou Notre-Dame-des-Landes, et qu’il serait préférable que les unités départementales de gendarmerie restent dans leurs cantonnements. Partagez-vous ce point de vue ?

J’ai bien compris que vous intervenez en force d’appui en milieu rural. Qu’en est-il en milieu urbain ?

M. Philippe Goujon. Sera-t-il possible de disposer de l’un des dossiers de préparation que vous évoquiez ?

M. le rapporteur. Nous ferons cette demande au ministère.

M. Philippe Goujon. L’organisation et les pratiques des CRS, qui constituent un modèle pour nombre de nations démocratiques, sont fondées sur une approche traditionnelle du maintien de l’ordre. Or nous sommes confrontés aujourd’hui à de nouveaux défis. Votre formation et les moyens dont vous disposez, parfaitement adaptés hier, ne le seront peut-être plus demain. Comment évoluerez-vous pour passer d’un maintien de l’ordre à l’autre ?

Les actes violents sont de plus en plus nombreux – vous comptez sans doute davantage de blessés dans vos rangs. Votre organisation et la réglementation sont-elles adaptées à cette situation ? Dans le schéma classique, vous deviez maintenir les manifestants à distance et assurer leur dispersion. Aujourd’hui, sans parler de guérilla urbaine, vous pouvez vous retrouver au contact de personnes prêtes à employer des méthodes violentes pour se maintenir sur le territoire où elles sont retranchées.

Comment qualifieriez-vous votre lien avec l’autorité civile ? Avez-vous parfois le sentiment d’être livrés à vous-même ? Souhaiteriez-vous qu’elle soit plus présente, qu’elle donne des instructions plus claires, qu’elle vous encadre davantage ?

Les sommations telles qu’elles existent aujourd’hui ne devraient-elles pas évoluer afin d’être mieux comprises par les manifestants – je pense à une solution plus visuelle ou sonore ?

Comment se répartissent vos missions entre maintien de l’ordre et sécurisation par exemple ?

Commandant Éric Le Mabec, CRS 25 de Pau. Les unités de CRS sont destinées à gérer le maintien de l’ordre le plus sensible, notamment par la gradation de l’emploi de la force. Elles doivent faire preuve d’une cohésion maximale et maîtriser leurs interventions. Il est donc indispensable que les personnels soient parfaitement entraînés et pleinement informés de la législation relative aux moyens utilisés et aux manœuvres.

Au niveau de la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS), la formation individuelle et collective est déclinée sur plusieurs centres de formation, à Dijon, Toulouse ou Rennes. Nous y envoyons en stage les fonctionnaires des différents services pour garantir une uniformité de la formation, particulièrement utile lorsque les unités sont regroupées. Un système de formation interne aux unités est également mis en œuvre avec ses référents, et ses sites d’entraînement de tous types.

Commandant Christian Gomez. Environ vingt-cinq jours de formation sont dispensés annuellement, notamment sur trois périodes bloquées de trois jours, dites « de recyclage de l’unité », auxquelles sont accolées des journées d’entraînement technique. Ces périodes permettent de travailler les techniques et la cohésion de l’unité. D’autres journées éparses d’entraînement technique ou d’entraînement au tir peuvent être organisées par section au sein des unités en fonction des besoins de chacun. Au total, nos personnels bénéficient d’une trentaine de journées de formation annuelles.

Malgré le très fort besoin en emploi, la direction centrale s’attache à bloquer ces périodes afin de garantir la qualité de la formation du personnel. L’emploi est évidemment prioritaire, mais on ne badine pas avec la formation.

M. le rapporteur. Je me permets de revenir sur la question des matériels et des moyens, puisque vous les évoquez. Ont-ils évolué ? Vous paraissent-ils adaptés à l’évolution de vos missions ?

Commandant René-Jacques Le Moël. Le directeur central a voulu que les périodes de formation soient sanctuarisées, ce qui témoigne de l’importance qu’elle revêt pour lui.

Le port et l’utilisation des divers équipements mis à notre disposition sont soumis à une habilitation initiale et à un recyclage régulier afin de vérifier le niveau technique des personnels qui les servent.

Nos matériels me paraissent parfaitement adaptés – mes camarades qui sont en unités vous répondront mieux que moi sur le sujet. Ils sont en tout état de cause parfaitement maîtrisés. Ils évoluent aussi régulièrement avec les risques auxquels nous pouvons être exposés et au fur et à mesure des réponses que l’on trouve face à la menace.

M. le président Noël Mamère. De quel type de matériel les CRS sont-ils équipés ?

M. le rapporteur. La question des lanceurs de balles de défense (LBD) est régulièrement posée. D’autres équipements dont on parle beaucoup, comme les Flash-Ball, sont en dotation dans des unités qui interviennent avant, après ou avec vous, sans être spécialisées dans le maintien de l’ordre. Cela me permet de revenir sur le problème de la mixité des interventions.

M. le président Noël Mamère. La question relative à l’équipement est d’actualité puisque s’ouvre aujourd’hui un procès pour des blessures graves infligées par un tir de Flash-Ball.

Commandant Roland Guillou. Les personnels dont nous devons assurer la sécurité disposent de moyens de protection comme les casques de maintien de l’ordre avec des visières, les lunettes balistiques protégeant des éclats éventuels, les gilets pare-balles, les gilets tactiques avec des coques de protection au niveau des épaules, les gilets pare-coups, les jambières…

Les moyens employés dépendent de la nature de la mission. S’il ne se produit rien durant une manifestation, certains matériels ne sont pas sortis. En cas d’usage, tout se fait sur instruction du commandant de compagnie. Dès le départ, sont établies des fiches de perceptions de moyens et d’armement désignant nominativement les personnels concernés pour chaque équipement. La mise à terre de ces moyens, et a fortiori leur usage, seront, quoi qu’il arrive, décidés par le commandant de la force publique.

Les CRS ne disposent pas de Flash-Ball, mais de lanceurs de balles de défense…

M. le président Noël Mamère. Qui peuvent aussi être dangereux !

Commandant Roland Guillou. Je le reconnais. C’est pourquoi les personnels qui les utilisent sont spécialement formés. Leur nombre est limité – quarante-huit fonctionnaires sont habilités – car il faut avoir suivi une formation d’une journée et subi un examen de passage. Ceux qui ne réussissent pas ne sont pas équipés.

L’usage du LBD est permis dans des situations bien précises. En tout état de cause, un CRS ne peut en faire usage que s’il en reçoit l’instruction pour viser une personne bien déterminée dans des conditions strictes : cette personne doit impérativement se trouver à plus de dix mètres – en deçà, le tir serait trop dangereux – et seul son tronc peut être visé, à l’exclusion du visage et des parties génitales.

La discipline, la cohésion et la formation propres aux unités spécialisées – qu’il s’agisse des compagnies républicaines de sécurité ou des escadrons de gendarmes mobiles –, commandées par des officiers responsables dont le maintien de l’ordre est le métier principal, ont pour conséquence que les personnels ne font pas n’importe quoi.

La mixité n’existe pas. Il nous arrive de travailler à côté d’autres forces, mais le commandant de CRS commande ses effectifs, et le chef d’escadron les siens. L’autorité supérieure agit éventuellement en tant qu’organisateur.

M. le rapporteur. Hormis la présence éventuelle d’officiers de police judiciaire ou de policiers qui procèdent à l’interpellation des casseurs, des unités non spécialisées peuvent aussi être engagées pour exercer des missions de maintien de l’ordre.

M. le président Noël Mamère. Et il s’agit sans doute des cas qui posent le plus de problèmes. Depuis le début de nos auditions, nous constatons que certains personnels, comme les CRS et les escadrons de gendarmerie mobile, sont parfaitement formés au maintien de l’ordre public et qu’ils appliquent une doctrine rigoureuse qui n’a pas varié depuis longtemps. Les accidents, et ce qu’il faut bien appeler les bavures, se produisent lorsqu’il est fait appel à des personnels moins formés.

M. le rapporteur. On nous a répondu que les formations existaient aussi pour ces personnels, mais elles sont sans doute moins poussées que les vôtres. Nous ne faisons à ce stade que nous poser des questions.

Commandant René-Jacques Le Moël. Je ne peux répondre que pour ce qui concerne les CRS.

Notre structure est pyramidale. L’utilisation des moyens, extrêmement encadrée, fait l’objet d’un compte rendu ultérieur. Lorsque nous donnons des instructions, toutes nos conversations sont enregistrées et peuvent être exploitées. Par ailleurs, les interventions sont filmées. Cela offre en effet une alternative à l’interpellation immédiate qui pourrait parfois être contre-productive : il peut être préférable de remettre des images à l’autorité judiciaire qui procédera à des interpellations par la suite.

M. Guy Delcourt. Même si nous savons relativiser les images que diffuse la télévision, nous avons constaté que, après une intervention incontrôlée de la brigade anti-criminalité (BAC), certaines manifestations ont dégénéré. Est-ce sur votre instruction que la BAC intervient pour des interpellations ?

Commandant Mohammed Belgacimi. Les autres services ne sont en aucun cas sous notre autorité. Les interventions effectuées en marge des manifestations par les personnels des commissariats ou d’autres services relèvent du directeur de service présent, le plus souvent le directeur départemental de la sécurité publique ou son représentant. Elles ont toute leur utilité pour traiter les groupes à risque qui posent des problèmes, cassent, agressent…

M. Michel Ménard. Combien y a-t-il de compagnies de CRS au total ?

Après le drame de Sivens, le ministre de l’Intérieur a pris la décision d’interdire l’usage des grenades offensives. Existe-t-il des moyens performants et modernes dont vous ne disposeriez pas et qui seraient utiles au maintien de l’ordre ?

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Le temps consacré annuellement à la formation montre que la maîtrise et la compétence sont essentielles, mais je crois utile de poser la question de la réaction instantanée de la personne humaine. Dans le feu de l’action, le sentiment de peur, le danger peuvent provoquer des réactions individuelles très fortes. Cet aspect est-il traité lors des formations ? Apprend-on à gérer ses sentiments et son corps en situation ? La réaction humaine est au cœur du problème. Je ne doute pas que vous mettez tout en œuvre pour la canaliser, mais peut-être progresserons-nous encore dans ce domaine si vous nous en dites plus sur l’aspect psychologique des formations ?

Mme Clotilde Valter. Vous êtes en première ligne pour le maintien de l’ordre lors des manifestations. Estimez-vous que l’intervention simultanée de forces non spécialisées, dont vous avez dit l’utilité, peut, malgré tout, créer une certaine perturbation ? Si l’autorité décisionnaire apprécie mal la situation de terrain, que vous êtes les plus à même de connaître, son choix d’impliquer d’autres forces peut avoir pour effet de faire dégénérer les choses. Dispose-t-elle des informations qui lui permettent de coordonner l’action sans erreurs et d’anticiper correctement les événements ?

Commandant Mohammed Belgacimi. Nous sommes disciplinés et nous obéissons à l’autorité civile présente sur le terrain. Sauf urgence et cas grave – si, agressés, nous ne pouvons pas tenir nos positions –, nous ne modifions pas le dispositif prévu. Nous ne sommes pas directement associés aux interventions qui s’effectuent à sa marge. Tant que l’on ne nous demande pas de bouger, nous ne bougeons pas. Cohésion et discipline, c’est comme cela que se traite le maintien de l’ordre.

M. Guy Delcourt. Les interventions des autres forces sont-elles décidées en coordination avec vos unités, ou l’autorité civile décide-t-elle, sans concertation avec vous, de faire intervenir la BAC par exemple ?

Mme Clotilde Valter. J’imagine que les CRS qui tiennent le dispositif sur le terrain sont les mieux à même de sentir la situation et d’estimer le risque de perturbation supplémentaire que fait courir l’intervention d’autres forces. L’autorité civile n’est peut-être pas autant que vous en mesure d’anticiper les effets collatéraux et le désordre que ses décisions peuvent provoquer ?

Commandant Christian Gomes. Tout au long de l’opération, nous rendons compte de l’évolution de la situation au commandant du groupement opérationnel ainsi qu’au responsable de l’autorité civile – présent sur les lieux en cas d’usage de la force –, auquel nous proposons, en qualité de commandants de la force publique, des modus operandi dont il n’aurait pas forcément décidé seul : si l’autorité civile conserve la maîtrise des moyens mobilisables, nous jouons, à ses côtés, un rôle de conseiller technique. Entre les acteurs de terrain que nous sommes, le commandant de la force publique et les décideurs, le contact est donc permanent : il est très rare que ces derniers n’aient pas une connaissance précise de la situation.

Commandant Roland Guillou. Le maintien de l’ordre public n’étant pas une science exacte, le facteur humain y revêt en effet une grande importance. Cela dit, les réactions individuelles n’ont pas cours dans nos unités. Les personnels qui les intègrent, s’ils proviennent d’autres directions où l’on autorise l’usage individuel de certaines armes, sont formés à notre culture : le CRS n’est jamais un « gardien lambda » ; il fait partie d’un groupe au sein d’une section elle-même rattachée à une demi-compagnie, la compagnie dans son ensemble étant placée sous l’autorité d’un commandant. Au demeurant, les moyens sont attribués en fonction des capacités de chacun : si quarante-huit fonctionnaires doivent être formés à l’usage du LBD, on les choisira bien entendu parmi ceux qui ont la meilleure maîtrise d’eux-mêmes. Pour les éventuels « excités », passez-moi l’expression, il existe des postes de conducteur de véhicule… (Sourires.)

À la différence des forces mobiles regroupées au sein de compagnies ou d’escadrons comprenant chacun jusqu’à une dizaine d’unités, comme à Nantes ou à Notre-Dame-des-Landes, les unités comme la nôtre ont un contact direct avec l’autorité civile, à laquelle elles peuvent donc proposer des solutions, y compris s’il s’agit d’éviter des moyens dont l’usage a pu être autorisé, telles des grenades. Un bond offensif de quinze mètres, par exemple, permet de faire reculer les manifestants de cinquante ou soixante mètres – puisque, a priori, nul n’a envie d’affronter des unités de CRS lourdement équipées.

Bien entendu, des erreurs sont toujours possibles et la tâche est loin d’être simple ; mais nos troupes sont bien formées et composées de personnes aguerries aux missions délicates. Cette expérience, fortifiée au fil de notre carrière et de notre progression hiérarchique, nous sert pour apprécier au mieux les situations. Le maintien de l’ordre relève de l’humain : on ne gère pas une manifestation en Corse de la même façon qu’en Bretagne. Revêtu de l’uniforme de CRS, je représente la force publique, mais je n’en demeure pas moins un citoyen qui, résidant en Bretagne, peut engager avec les manifestants une discussion sur les problèmes d’un territoire qu’il connaît bien : cela permet souvent d’apaiser des tensions, par exemple avec des agriculteurs ou des pêcheurs que, le lendemain des événements, je pourrai croiser dans la rue. Notre objectif est bien entendu d’éviter les incidents et les blessés, aussi bien de notre côté que du côté des manifestants, dont certains peuvent être des proches, des familles ou des enfants. Qui me dit qu’un jour, je ne me retrouverai pas en face de mes propres enfants lors d’une manifestation qu’une minorité aura fait dégénérer ? Notre but est d’assurer le maintien de l’ordre de façon responsable : nos compagnies, républicaines, agissent dans le cadre de la légalité.

Commandant René-Jacques Le Moël. Le responsable du service n’est jamais seul : la plupart du temps, un responsable de l’autorité civile, le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP), un représentant des CRS et un autre de la gendarmerie sont présents dans la salle de commandement ; chacun apporte sa pierre à l’édifice. Le commandant de l’unité de terrain peut aussi faire part de son ressenti si une instruction lui paraît peu adaptée.

La DCCRS dispose par ailleurs d’un outil remarquable avec le système autonome de retransmission d’images pour la sécurisation d’événements, dit « SARISE », sorte de car-régie qui, doté de caméras asservies, recueille des images tout au long de l’opération. Il permet donc au DDSP et au préfet de prendre la bonne décision au bon moment.

Quant à l’aspect humain, tout est strictement encadré au sein de nos unités : du commandant jusqu’à l’agent qui lancera le projectile, les personnels ont suffisamment d’expérience pour contrôler leurs réactions.

Commandant Christian Gomes. Comme le rappelait le commandant Guillou, notre principal souci, d’un bout à l’autre de l’opération, est d’éviter les blessés dans nos rangs comme chez les manifestants. La chose est évidemment beaucoup plus simple si la manifestation est tranquille que si elle vient à dégénérer, comme à Quimper fin 2013 ou à Nantes en février 2014, d’autant que nous sommes conduits à déployer des moyens relativement lourds. Aussi retardons-nous, autant que faire se peut, l’emploi de la force : nous sommes entraînés à subir des pressions fortes, voire des agressions physiques, et à recevoir des projectiles de toutes natures, qu’il s’agisse d’objets contondants ou incendiaires, ou d’acide. Ces entraînements, bien qu’ils n’occupent que vingt-cinq jours par an, sont conçus pour nous mettre au plus près de la réalité. La discipline n’est pas moins essentielle : on l’a dit, nul, au sein de nos compagnies, ne peut prendre l’initiative d’une riposte individuelle.

Outre que la sécurité même des manifestants nous conduit à différer cette riposte, parfois pendant plusieurs heures – comme à Quimper en 2013 –, les moyens employés restent souvent très en deçà de ceux qui nous sont autorisés par la loi. Notre expérience nous permet de relativiser les situations de violence et de ne riposter qu’avec mesure.

M. Hugues Fourage. Certaines opérations de maintien de l’ordre sont plus difficiles que d’autres, compte tenu de l’intensité croissante de la violence dans certaines zones. Percevez-vous alors une tension psychologique au sein de vos unités avant leur entrée en mission, par exemple à Sivens ou à Notre-Dame-des-Landes ? Pouvez-vous être conduits à faire des choix dans la mobilisation de certains personnels ?

Le responsable du groupe opérationnel, avez-vous rappelé, décide en lien avec l’autorité civile ; mais un groupe est par définition composé d’individus. Si l’un d’eux vous paraît flancher, pouvez-vous aller jusqu’à l’écarter des opérations, au moins provisoirement ?

Commandant Éric Le Mabec. Une unité de CRS réunit des hommes qui, au-delà de leurs missions ponctuelles de maintien de l’ordre, vivent ensemble deux cents jours par an. La cohésion entre eux dépasse donc le cadre professionnel ; elle nous aide pour constituer des groupes sur la base de compétences techniques, mais aussi par affinités. Des liens d’amitié contribuent aussi, d’ailleurs, à la reconnaissance du lien hiérarchique.

Dans nos formations, nous rappelons aux fonctionnaires les conséquences judiciaires auxquelles les exposent des ripostes individuelles spontanées ; reste que, au cours de déplacements d’une durée moyenne de trois semaines, des défaillances individuelles peuvent intervenir, que nous nous efforçons de déceler en dehors des opérations. Notre système de relève permet aussi de remplacer des fonctionnaires sans porter atteinte au dispositif opérationnel. Si un responsable constate que l’un des fonctionnaires flanche, il décide alors de le mettre à l’abri pour préserver la sécurité de son groupe.

M. le rapporteur. Les explications du commandant Gomes m’avaient suggéré une question à laquelle vous venez en partie de répondre. Les modalités d’emploi de la force, dans les conditions remarquables que vous avez décrites, n’excluent donc pas, si je vous ai bien compris, la légitime défense, seul cas de figure où une réaction individuelle devient admissible au regard du droit.

Commandant Christian Gomes. La légitime défense, visée par les articles L. 122-5 et L. 122-6 du code pénal et souvent évoquée en interne, n’est pas opposable par le fonctionnaire dès lors qu’il se trouve au sein d’une unité placée sous commandement légitime : elle ne joue que si le fonctionnaire se retrouve isolé au cours d’une opération – ce qui peut arriver.

M. Guy Delcourt. Je m’en voudrais d’omettre une question d’actualité, bien qu’elle n’ait pas de lien direct avec l’objet de notre commission d’enquête. Beaucoup de personnels, entend-on dire, sont épuisés par le maintien du plan Vigipirate à son niveau le plus élevé. Quel est votre sentiment sur ce point ? Qu’adviendrait-il si, conjointement, étaient décidées des opérations de maintien de l’ordre de grande ampleur ?

Commandant Christian Gomes. On évoque souvent la fatigue des personnels, fortement mobilisés depuis les attentats de janvier, notamment dans le cadre des missions de garde statique devant des bâtiments sensibles. De fait, le taux d’emploi est plus élevé que d’habitude, mais notre système de gestion interne permet aux fonctionnaires d’étaler leurs congés sur toute l’année, et pour les durées qu’ils souhaitent ; de sorte que le pourcentage des congés reste le même de janvier à décembre. La récupération physique des personnels s’en trouve évidemment facilitée.

M. le président Noël Mamère. Messieurs, je vous remercie.

La table ronde s’achève à dix heures cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Guy Delcourt, M. Hugues Fourage, M. Philippe Goujon, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Noël Mamère, M. Michel Ménard, Mme Nathalie Nieson, M. Pascal Popelin, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Jean-Paul Bacquet, M. Jean-Pierre Barbier, M. Pascal Demarthe, M. Boinali Said