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Commission d’enquête chargée d’établir un état des lieux et de faire des propositions en matière de missions et de modalités du maintien de l’ordre républicain, dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Jeudi 19 mars 2015

Séance de 8 heures 30

Compte rendu n° 17

Présidence de
M. Noël Mamère Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du Droit au logement 2

–   Présences en commission 10

COMMISSION D’ENQUÊTE CHARGÉE D’ÉTABLIR UN ÉTAT DES LIEUX
ET DE FAIRE DES PROPOSITIONS EN MATIÈRE DE MISSIONS
ET DE MODALITÉS DU MAINTIEN DE L’ORDRE RÉPUBLICAIN,
DANS UN CONTEXTE DE RESPECT DES LIBERTÉS PUBLIQUES
ET DU DROIT DE MANIFESTATION, AINSI QUE DE PROTECTION
DES PERSONNES ET DES BIENS

L’audition débute à huit heures quarante.

M. le président Noël Mamère. Monsieur Ayraud, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, de lever la main droite et de dire : « je le jure ».

(M. Jean-Baptiste Eyraud prête serment.)

M. le président Noël Mamère. Monsieur, nous vous proposons d’intervenir pendant une dizaine de minutes sur votre vécu, de nous faire part de vos observations et de vos propositions, s’agissant du maintien de l'ordre dans notre pays.

Nous ne sommes pas en mesure de diffuser les images que vous avez apportées, mais vous pouvez les verser au dossier. Elles seront intégrées dans notre rapport comme élément de votre audition.

M. Jean-Baptiste Eyraud. L’association « Droit au logement » (DAL) intervient en faveur des mal-logés et des sans-logis, dans le cadre d’une action collective, de manifestations qui peuvent prendre plusieurs formes : manifestations de rue classiques, campements, occupations ponctuelles en direction d’acteurs du logement pour les amener à prendre en compte la situation des ménages en difficulté de logement, ou occupations ponctuelles d’immeubles vacants pour encourager les pouvoirs publics à recourir à des réquisitions.

Je précise que, conformément aux statuts de l’association, notre action est non-violente. Nous n’avons donc jamais utilisé la violence à l’encontre des forces de l’ordre. La non-violence fait d’ailleurs partie des consignes que nous donnons à nos adhérents : ils risqueraient de se retrouver au commissariat, voire au tribunal correctionnel ; en outre, les procédures pénales étant très longues, c’est autant de temps qui ne peut pas être consacré à la défense des personnes mal logées ou sans logis. Pour autant, nous ne nous considérons pas en conflit avec la police, qui fait le travail que lui demandent les autorités.

Mais l’inverse n’est pas vrai. Dans les années quatre-vingt-dix, il nous arrivait assez fréquemment d’avoir à affronter des violences policières et d’aller devant l’Inspection générale des services (IGS), en ayant pris soin de nous munir de preuves visuelles. De fait, l’utilisation de matériel vidéo permet de faire connaître les brutalités policières et surtout, de se défendre lorsque que les militants eux-mêmes sont accusés d’être à l’origine des violences – ce qui nous est arrivé au moins deux fois.

En mai 1997, à l’occasion de l’occupation d’un immeuble vacant place d’Iéna, à laquelle participaient, notamment, le professeur Léon Schwartzenberg, Mgr Gaillot et Albert Jacquard, quatre militants qui étaient sortis de l’immeuble pour discuter avec les forces de l’ordre ont été brutalisés .Par la suite, ces militants ont été poursuivis pour violences sur agent. Comme nous avions produit des images, une enquête a été ouverte et un policier a finalement reconnu avoir fait un faux témoignage devant le tribunal correctionnel de Paris ; au sein du commissariat, il avait en effet été demandé de faire en sorte que des charges soient retenues contre ces quatre militants afin de « criminaliser » notre mouvement. C’est ainsi qu’en 2000, une décision d’appel condamna des policiers et des officiers de police sur la base de ces faits et de ces faux témoignages.

En décembre 2012, à l’occasion d’une manifestation déclarée devant la préfecture de la région Île-de-France, la police nous a encagés – parce que la visite du ministre de l’Intérieur tombait au même moment. Une telle façon de faire, qui met en cause notre liberté de manifester, est pour nous particulièrement humiliante et dégradante. Il arrive donc que, lorsque deux policiers laissent un espace, l’un d’entre nous se faufile pour exprimer notre désaccord et dénoncer la pratique. À cette occasion, j’ai été personnellement brutalisé : je suis sorti du rang, un policier m’a repris, m’a jeté, une fois, deux fois et finalement, il a glissé à la suite d’un geste maladroit. Pourtant, il n’y avait aucune violence de ma part. À ma grande surprise, il a porté plainte contre moi. Quelques semaines plus tard, j’ai été convoqué au commissariat. J’ai montré les images qui me mettaient hors de cause, tout en refusant le prélèvement d’ADN, mettant en avant – on était en janvier 2013 – que je n’étais pas un délinquant sexuel. Finalement, l’affaire s’est tassée. J’ai été convoqué à nouveau le lendemain, et cela s’est traduit par un non-lieu.

De manière générale, pendant une douzaine d’années, nous n’avons pas déclaré les manifestations que nous organisions sur les trottoirs, et cela ne posait pas de problème. Mais en 2007 et 2008, les autorités préfectorales nous ont demandé de faire des déclarations préalables, et nous nous y sommes mis progressivement. Comme le DAL lance une ou deux initiatives par mois, voire davantage, il était fastidieux de se déplacer à chaque fois à la préfecture de police. Heureusement, en regardant un peu attentivement les textes, nous avons compris qu’il suffisait de procéder à cette déclaration par courrier, par fax ou par mail.

La loi nous oblige donc à faire une déclaration de manifestation. C’est ensuite au préfet, ou au maire, de décider s’il autorise ou non la manifestation. Il peut refuser s’il considère qu’il y a un risque de trouble à l’ordre public, sur la base de textes qui ont été pris après la tentative de coup d’État de février 1934, place de la Concorde.

Ainsi, dans les années quatre-vingt-dix, des policiers ont été mis en cause devant le tribunal correctionnel de Paris pour violences excessives. Plusieurs ont été condamnés pour violences excessives à notre égard, en général à la suite d’une première enquête débutant à l’IGS. Cela nous a permis d’établir des relations relativement convenables avec les autorités de police, c’est-à-dire sans violences. Il arrivait, bien sûr, que l’on se plaigne de coups de pieds donnés à des mères de famille, de chaussures écrasées, d’insultes, mais on peut dire que les choses s’étaient un peu calmées par rapport ce que l’on avait connu au début de notre existence.

Dans le courant des années 2000, nous avons continué de la même façon, en produisant des images, mais cela n’a jamais donné lieu à des poursuites. En réalité, toutes les actions que nous avons engagées pour violences excessives ont été classées sans suite. En outre, la procédure a changé puisque l’on doit maintenant systématiquement passer par l’Inspection générale des services quand on met en cause une autorité de police. Finalement, on se sent moins protégé que dans les années quatre-vingt-dix par rapport à d’éventuelles violences policières.

L’affaire de 2013 est révélatrice de mon propos. En octobre, l’autorité de police nous a évacués à plusieurs reprises, parfois assez violemment, de nos campements, alors que nous avions fait des déclarations en bonne et due forme. Le samedi 19, notamment, la police nous a encerclés et au moment où nous allions quitter la place de la République, nous y a empêchés en nous encageant. Cela a donné lieu à des violences car des manifestants se sont assis par terre, refusant de se retrouver insérés dans le dispositif. Certaines personnes ont été plus ou moins blessées. L’épisode a été filmé. Il est toujours possible de trouver des éléments d’information sur Internet, mais nous pourrons vous laisser une clé USB. L’affaire s’est arrêtée là. 11 personnes sont allées porter plainte à l’IGS et, le 24 mars 2014 nous avons reçu un avis de classement sans suite.

Cette affaire va au-delà des violences policières qui ont été commises. Elle pose la question de la légitimité de l’intervention des forces de l’ordre, dans la mesure où nous avions fait des déclarations préalables et nous étions en règle avec la loi.

Peu de temps après, nous avons saisi le tribunal administratif pour demander que soit respectée notre liberté de manifestation. Le tribunal nous a donné raison, et a enjoint à la préfecture de police de nous laisser manifester pour faire connaître la situation des mal-logés. Nous nous sommes alors réinstallés sur la place de la République jusqu’à ce que des discussions s’établissent avec les autorités. Celles-ci ont été chargées de reloger dans un délai de six mois des familles qui attendaient en vain depuis plusieurs années.

Dans la façon d’intervenir des forces de police, on a bien senti que des instructions avaient été données. Sur cette place de la République, elles sont intervenues à plusieurs reprises pour nous évacuer : une première fois, alors que nous étions sur place, un père de famille s’est fait arracher l’oreille ; une deuxième fois, nous sommes partis parce que nous avons bien senti que nous allions nous faire malmener ; et une troisième fois, à l’occasion de ce rassemblement du 19 octobre, nous avons compris que les forces de police voulaient nous faire peur. À ce moment-là, les policiers semblaient disposer d’une certaine marge de manœuvre. Par ailleurs, ils agissaient de manière illégale, puisque nous avions procédé aux déclarations nécessaires. Reste que tout cela s’est soldé par un décision de classement.

Encore une fois, nous avons le sentiment que les moyens de recours devant la justice sont plus difficiles aujourd’hui que dans les années quatre-vingt-dix. Cela peut paraître paradoxal, mais c’est à cette conclusion que nous conduit notre pratique quotidienne.

Maintenant, la violence à laquelle nous sommes confrontés est relative. Ce sont des coups de pied, des coups de poing donnés en dessous, parfois des étranglements, mais on ne sort pas les matraques et il n’y a pas d’intervention frontale. Ce ne sont pas les brutalités que l’on on a pu connaître à Sivens ou ailleurs. En revanche, certaines opération de maintien de l’ordre en milieu urbain, dans le cadre d’initiatives non violentes, déclarées et reconnues légales par les autorités judiciaires, peuvent être considérées comme disproportionnées – et s’avérer illégales.

En conclusion, ce n’est pas du maintien de l’ordre par rapport à un trouble général causé à l’ordre public. C’est un maintien de l’ordre politique par rapport à un mouvement social. On est davantage dans le cadre d’une répression d’origine politique.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Nous avons souhaité vous entendre en raison de la diversité des actions que vous pouvez être amené à initier. Cependant, le périmètre des investigations de notre commission d’enquête concerne le maintien de l’ordre républicain, et non l’ensemble de l’action de la police et de la gendarmerie dans l’exercice de ses missions de sécurité publique. Je vous poserai plusieurs questions.

Avez-vous été confrontés à des unités spécifiquement dédiées au maintien de l’ordre, CRS et gendarmes mobiles, ou bien à des effectifs de sécurité publique plus traditionnels ?

Ces évènements sont-ils intervenus au moment de la dispersion d’une manifestation, moment connu et généralement convenu avec les autorités ? Sont-ils liés à une intervention destinée à mettre fin à une occupation, à la suite d’une décision de justice et en raison d’un refus d’obtempérer ? S’agit-il de violences exercées a priori ?

Si j’ai bien compris, vos relations avec les autorités de police et les autorités préfectorales sont convenables sans être franchement amicales. Vous nous avez dit que, maintenant, votre stratégie consistait à privilégier la procédure de la déclaration préalable. Mais j’imagine qu’elle ne peut pas convenir à toutes les actions que vous menez : si vous décidez d’aller occuper tel ou tel immeuble, vous n’allez pas le dire aux pouvoirs publics car il en va du succès de l’opération. Considérez-vous que le fait de procéder à cette déclaration préalable facilite le déroulement de votre initiative, parce qu’il permet une concertation et l’adaptation du dispositif de maintien de l’ordre qui est alors mis en place ? Ou considérez-vous que c’est plutôt une source de difficulté supplémentaire à la concrétisation de votre action ?

Enfin, vous avez insisté sur le caractère non violent de votre association. Avez-vous eu parfois à gérer la présence d’éléments radicaux, donc d’éléments extérieurs, lors des actions initiées par votre association ? Si oui, comment procédez-vous ?

M. le président Noël Mamère. Monsieur Eyraud, vous nous avez expliqué que pendant longtemps, vous n’aviez pas eu besoin de déclarer vos manifestations, puis qu’on vous avait demandé de le faire. En outre, vous nous avez parlé d’encagement, ce procédé qui consiste à cerner des manifestants et à les empêcher de quitter un lieu. Ce n’est pas conforme à la doctrine du maintien de l’ordre, au respect de la liberté d’expression et du droit à manifester. Considérez-vous donc que, dans ce pays, la liberté d’expression et le droit à manifester sont en train de se dégrader ?

M. Éric Straumann. Vous avez vingt-cinq ans d’expérience. La couleur des gouvernements a-t-elle, selon vous, une incidence sur l’encadrement des manifestations ? Pensez-vous que les conditions d’encadrement se soient durcies depuis 2012 ?

M. le président Noël Mamère. Il est exact que les manifestations que vous organisez n’ont rien à voir avec les manifestations du type de Sivens, où l’on a envoyé des gardes mobiles, qui sont spécifiquement formés au maintien de l’ordre. Cela dit, le nombre de manifestations qui ont lieu en milieu urbain et qui n’entrent pas dans le périmètre strict du maintien de l’ordre sont mille fois plus nombreuses que les manifestations sur lesquelles nous avons à nous pencher.

M. le rapporteur. En dehors des « zones à défendre », dont on a beaucoup parlé dans notre commission, les occupations peuvent faire l’objet d’opérations de maintien de l’ordre qui ne sont pas forcément menées – et c’est pour cela que j’ai posé la question – par des unités spécifiquement dédiées au maintien de l’ordre.

Notre champ de compétences ne se réduit pas au rôle joué par les CRS et les gendarmes mobiles, il s’étend à la nature de l’opération qui est menée et demandée. Et ce n’est pas la même chose de veiller au bon déroulement d’une initiative sur la voie publique, que de faire exécuter une décision de justice.

M. le président Noël Mamère. La formation des personnels chargés du maintien de l’ordre a son importance. Je me suis très trouvé très souvent en face de personnels qui n’étaient pas formés comme le sont, par exemple, les gardes mobiles.

M. le rapporteur. C’est bien pour cela que j’ai demandé à M. Eyraud à quels personnels ils étaient confrontés.

M. Jean-Baptiste Eyraud. Nous avons à faire généralement aux forces de sécurité parisienne, et plus rarement à des gardes mobiles ou à des CRS. Mais cela arrive et je peux vous en donner deux exemples.

En 2007, alors que nous campions rue de la Banque, les autorités envoyèrent un piquet de gardes mobiles pour nous empêcher de nous réinstaller sur la chaussée. À l’époque, il n’était pas nécessaire de faire de déclaration préalable pour mener ce genre d’initiative. Depuis dix-sept ans, nous organisions des campements sans que cela pose de problèmes particuliers. Mais l’autorité préfectorale a décidé de dresser des procès-verbaux et de nous assigner devant le tribunal correctionnel pour avoir abandonné des déchets et des encombrants sur la voie publique. Nous avons été condamnés à 12 000 euros d’amende, mais nous sommes allés en appel et l’association a été relaxée. La cour d’appel a en effet considéré que les tentes n’étaient pas des encombrants. Il est clair que la préfecture avait cherché, par ce biais, à neutraliser notre action.

En revanche, le 19 octobre 2013, place de la République, c’est à des CRS que nous avons été confrontés.

Maintenant, est-ce que les relations, les modes d’intervention et les comportements sont différents selon les corps de police qui interviennent ? Je ne saurais pas vous le dire. Notre sentiment est plutôt que ce sont les officiers qui donnent le ton.

M. le rapporteur. Dans le cadre d’une manifestation, l’engagement de la force publique doit répondre à une instruction donnée par le préfet ou son représentant.

M. Jean-Baptiste Eyraud. En 2007, nous nous sommes aperçus que les commissaires, sur le terrain, n’étaient plus fiables. Nous avions pris l’habitude de discuter avec le commissaire qui se trouvait sur place et la plupart du temps, on parvenait à un accord. Mais les relations ont changé, sans doute parce que l’organisation préfectorale a été modifiée, que le poste de commandement central et l’observation vidéo ont pris plus d’importance. Les instructions sont maintenant directement données par le représentant du cabinet ou du préfet, qui n’est pas forcément sur place, mais qui, de la préfecture, regarde ce qui se passe.

De fait, nous avions remarqué à plusieurs reprises que lorsque nous concluions un accord avec le commissaire, dix minutes après, celui-ci revenait dessus. Nous avons compris que cela se passait au-dessus et qu’il fallait trouver le moyen de s’entendre avec l’autorité supérieure. Nous le déplorons car pour nous, le commissaire est celui qui a l’autorité sur le terrain. Cela va à l’encontre de notre conception de l’organisation du maintien de l’ordre républicain.

Ensuite, il arrive en effet que l’on procède à une évacuation à la suite d’une occupation d’immeuble. Nous ne contestons pas et, en règle générale, nous partons, même si la décision d’évacuation ne nous paraît pas légale : dans un immeuble, il y a de nombreux dangers – par exemple, de chute dans les escaliers – et nous voulons éviter qu’il y ait des blessés. La plupart du temps, d’ailleurs, l’évacuation s’organise avec les autorités sur place.

Il n’en va pas de même des campements. Je vous l’ai dit, avant 2007, il n’était pas nécessaire de faire de déclaration préalable quand on organisait un campement sur le trottoir ou sur une place. À partir de cette date, nous y avons été fortement incités, et nous avons fini par le faire. Le campement est ainsi devenu une forme de manifestation sans parcours, une manifestation statique.

Il suffit de se reporter à une déclaration de campement pour s’en convaincre. En voici un extrait :

« Objet : déclaration de manifestation, place de la République, du 21 octobre 14 heures, au lundi 28 octobre 19 heures.

« Nous organisons, le 21 octobre, à partir de 14 heures, une manifestation statique. Cette initiative a pour objet d’exprimer les conditions d’existence des familles, etc. À cette fin, nous prévoyons des prises de parole, etc. »

Cela me rappelle un épisode sur lequel je souhaite revenir. L’autorité préfectorale s’est rendu compte que nous avions fait une déclaration de manifestation pour le 19 octobre, et qu’elle ne nous avait pas opposé de refus. Nous prenons soin, en effet, de déposer une déclaration au minimum quatre jours avant la manifestation, de sorte que l'autorité puisse nous répondre dans des délais raisonnables, qui nous permettent ensuite, en cas de refus, de contester devant le tribunal administratif.

M. le rapporteur. Ce type de refus vous est-il souvent opposé ?

M. Jean-Baptiste Eyraud. En l’occurrence, le 20 octobre, un dimanche soir, un officier de police judiciaire (OPJ) s’est présenté chez moi pour me signifier l’interdiction de manifester le lendemain, le 21 octobre. Nous disposions ainsi une base juridique pour pouvoir contester. Le 31 octobre, le tribunal administratif a reconnu notre droit de manifester, même de manière statique. Il a donc écarté les arguments du préfet selon lequel « l’occupation du domaine public routier n’est autorisée que si elle a fait l’objet d’une autorisation de voirie ». Ainsi, nous avons pu nous réinstaller librement sur la place de la République, non sans avoir déclaré préalablement les modalités, le périmètre et la durée de l’installation.

Enfin, nous n’avons jamais rencontré de problème particulier à l’occasion des manifestations de rue. Celles-ci ne se terminent jamais par des barricades. Il faut préciser que le public du DAL est majoritairement composé de femmes et de mères de familles, qui sont très préoccupées par les problèmes de logement. Il n’y a jamais eu de débordement.

Un jour, des éléments radicaux s’étaient joints à une manifestation. Elles ont fait elles-mêmes leur service d’ordre et les ont fait partir.

M. le rapporteur. Ils n’étaient pas trop méchants !

M. Jean-Baptiste Eyraud. Nous n’avons jamais été agressés par des mouvements racistes ou d’extrême-droite.

M. le rapporteur. Je pensais à des personnes qui ne sont pas forcément concernées par l’objet de la manifestation, qui ont envie de casser des vitrines ou de provoquer la police et qui s’insèrent dans le mouvement en pourrissant la vie de ceux qui sont venus manifester pacifiquement. Y avez-vous été confrontés ?

M. Jean-Baptiste Eyraud. Nous ne sommes pas très nombreux. Nos manifestations rassemblent 2 000 à 3 000 personnes maximum, parfois 5 000, exceptionnellement 10 000. Leur taille modeste nous permet de mieux maîtriser ce qui se passe. D’ailleurs, la préfecture de police sait bien que dans nos manifestations, il n’y a pas de débordement. Au bout d’un certain moment, on annonce que c’est terminé et on se disperse. Il faut dire que maintenant, tout est annoncé, écrit, en quelque sorte programmé.

M. le rapporteur. Mais par exemple, les coups de pied dont vous nous avez parlé, sont-ils donnés au moment de la dispersion de la manifestation, ou au cours d’une opération ?

M. Jean-Baptiste Eyraud. Cela dépend.

M. le président Noël Mamère. Je suppose que cela dépend de la fébrilité du moment…

M. Jean-Baptiste Eyraud. À une certaine époque, les autorités de police cherchaient à anticiper les actions que nous allions conduire et sur lesquelles nous n’avions pas fait de déclaration préalable. Ainsi, il y a quinze ans, accompagnés d’ailleurs du professeur Léon Schwartzenberg, nous sommes allés au Conseil régional pour demander que l’on construise davantage de logements sociaux. Les Renseignements généraux nous suivaient dans le métro et nous entendions, au-dessus, les sirènes de police. Nous nous doutions bien que nous allions retrouver les forces de police à la sortie. Comme nous le faisions souvent, une fois dehors, nous avons couru pour essayer d’arriver avant elles. Des policiers sont sortis de leurs cars et se sont précipités en courant pour nous attraper. C’était très dangereux, et nous avons d’ailleurs dit à la préfecture de police qu’elle devait contrôler ses hommes et trouver d’autres modalités. De notre côté, nous avons fait attention, et cela fait longtemps qu’on ne nous suit plus en surface. Le développement des téléphones portables dans le métro y est sans doute pour quelque chose.

À quel moment ont lieu les incidents dont je vous ai parlé ? Ce peut-être au moment où l’on arrive, une fois que l’on est arrivé, ou quand on s’en va.

M. le rapporteur. Vous visez des manifestations déclarées ?

M. Jean-Baptiste Eyraud. Oui. Je vous parle des interventions des forces de police qui ont eu lieu place de la République.

M. le rapporteur. Je voudrais confronter la théorie à votre pratique. Imaginons que vous participiez, place de la République, à une manifestation qui n’a pas été interdite. Vous nous dites que vous risquez, dans ce cadre, d’être confrontés à une intervention des forces de sécurité publique – ou de maintien de l’ordre – qui peut se traduire par des violences, alors même que cette manifestation se déroule conformément à ce qui avait prévu – et déclaré – au départ.

Selon la doctrine du maintien de l’ordre républicain, les forces de sécurité, qui doivent se tenir à distance, sont là pour réguler, canaliser la manifestation et s’assurer que la vie se déroule le plus normalement possible. On ne peut recourir à la force qu’à partir d’un moment où il y a eu non-respect de la loi – voies de fait, exactions, dégradations, etc. – ou de consignes de dispersion, après sommations.

Ce que vous vivez parfois n’est donc pas conforme à cette doctrine. J’aimerais savoir à quel moment et comment cela se produit. Il est inacceptable, de mon point de vue de républicain, de refuser, par exemple, de se disperser à la fin d’une manifestation. Mais il est tout autant inacceptable que quelque citoyen que ce soit, dans une manifestation qui n’a pas été interdite, soit bousculé et prenne ne serait-ce qu’un coup de pied …

M. Jean-Baptiste Eyraud. …ou soit encagé. Nous pourrons vous transmettre des documents ou des images qui se réfèrent à cette période.

Les faits qui se sont déroulés place de la République remontent à 2013, époque où, manifestement, la préfecture de police considérait que l’installation d’un campement ne pouvait être que tolérée. C’est pourquoi la déclaration de manifestation du DAL a été remise en cause par les autorités de police, qui ne nous ont pas signifié pour autant d’interdiction de manifester, nous privant ainsi de toute possibilité de contester cette interdiction.

Dans un deuxième temps, un de nos voisins, magistrat à la retraite, nous a aidés. Il est allé discuter avec le commissaire en faisant valoir que nous avions fait une déclaration de manifestation dans les délais, et que les autorités ne l’avaient pas interdite. Voilà pourquoi, le 20 octobre, au lendemain de ces brutalités policières, on nous a signifié en bonne et due forme, une interdiction de manifester pour le 21. Mais celle-ci n’était pas justifiée puisque le tribunal administratif a contesté les arguments de la préfecture de police.

Depuis, nous n’avons pas installé de campement de longue durée. Je ne saurais donc pas vous dire quelle sera la doctrine de la préfecture de police si cela se reproduit. Mais cela risque de se reproduire très prochainement puisque, malheureusement, la situation du logement continue à se dégrader. Dans ce cas, et si votre commission d’enquête siège toujours, nous vous tiendrons au courant.

Enfin, j’aurais tendance à penser que le traitement n’est pas le même selon la sensibilité politique du gouvernement en place. Mais en réalité, je ne le sais pas.

Entre 2002 et 2012, nous avons connu des moments difficiles, des personnes ont été blessées et la procédure a été modifiée. Depuis cette réforme, dès lors que l’on met en cause un policier, il faut passer par l’IGS ; celle-ci fait une pré-enquête, et ce n’est qu’à l’issue de cette pré-enquête que le parquet est saisi et donne un avis de non-lieu ou de poursuite. Auparavant, on pouvait saisir directement le parquet sans passer par l’IGS. Notre sentiment est que les policiers sont aujourd’hui mieux protégés qu’avant, dans le cadre des manifestations que l’on a conduites et des difficultés que l’on a pu rencontrer.

Cela dit, les premières violences policières que l’on a connues remontent à juillet 1992, sous un gouvernement de gauche, celui de Pierre Bérégovoy. Ce jour-là, on avait installé des matelas devant un immeuble vide ; au moment de l’intervention de la police, les matelas ont volé avec les bébés dessus ! Nous-mêmes en avons été surpris.

Je ne suis donc pas sûr qu’il y ait de grandes différences selon le gouvernement en place. Les évènements de 2013 se sont déroulés sous le gouvernement Ayrault. Nous verrons ce qui se passera avec le gouvernement Valls.

Je terminerai sur une remarque, qui est peut-être hors sujet. Un immeuble, un hôtel de chibanis, vient d’être évacué par la police pour des raisons de sécurité. Or la façon dont la préfecture de police procède est toujours vécue, en tout cas par les personnes évacuées, comme brutale et agressive, alors même qu’il s’agit de les protéger.

Nous pensons qu’il faudrait modifier les pratiques lorsqu’il y a évacuation pour péril – risque d’effondrement, d’incendie ou insalubrité. Il faudrait éviter d’envoyer, au petit matin, une centaine de policiers toquer aux portes en demandant aux habitants de prendre leurs affaires et de « dégager », puis de les embarquer dans des cars sans qu’ils sachent où ils sont emmenés. Même s’il y a urgence, il y a moyen de mieux les préparer. Ce sont souvent des gens aux origines modestes, pour une bonne part des migrants, qui ressentent très mal ces modalités d’intervention et d’évacuation.

M. le président Noël Mamère. Merci, monsieur Eyraud, d’avoir accepté de nous répondre.

L’audition prend fin à neuf heures quarante.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Guy Delcourt, M. Noël Mamère, Mme Nathalie Nieson, M. Pascal Popelin, M. Éric Straumann

Excusés. - M. Jean-Pierre Barbier, M. Pascal Demarthe, M. Hugues Fourage, M. Boinali Said