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Commission d’enquête chargée d’établir un état des lieux et de faire des propositions en matière de missions et de modalités du maintien de l’ordre républicain, dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Jeudi 26 mars 2015

Séance de 8 heures 30

Compte rendu n° 20

Présidence de
M. Philippe Doucet, Vice-président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Lambert, préfet hors classe, sur la formation des préfets et des sous-préfets en matière, d’une part de maintien de l’ordre public, et d’autre part, d’animation du renseignement territorial 2

–  Présences en commission 12

COMMISSION D’ENQUÊTE CHARGÉE D’ÉTABLIR UN ÉTAT DES LIEUX
ET DE FAIRE DES PROPOSITIONS EN MATIÈRE DE MISSIONS
ET DE MODALITÉS DU MAINTIEN DE L’ORDRE RÉPUBLICAIN,
DANS UN CONTEXTE DE RESPECT DES LIBERTÉS PUBLIQUES
ET DU DROIT DE MANIFESTATION, AINSI QUE DE PROTECTION
DES PERSONNES ET DES BIENS

L’audition commence à huit heures trente-cinq.

M. Philippe Doucet, président. Monsieur le préfet, vous avez été chargé par le ministre de l’Intérieur, le 9 décembre 2014, d’une mission d’expertise relative à la formation des préfets et des sous-préfets en matière, d’une part, de maintien de l’ordre public, et, d’autre part, d’animation du renseignement territorial. Vos travaux entrent parfaitement dans le champ d’investigation de la présente commission d’enquête, constituée le 3 décembre 2014, après les événements de Sivens, et chargée de faire des propositions pour améliorer les modalités du maintien de l’ordre républicain.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve, notamment, des dispositions de l’article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel. Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu’elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Christian Lambert prête serment.)

M. Christian Lambert, préfet hors classe. La liberté de manifester est un droit absolu qu’il est essentiel de préserver. Tout citoyen a le droit d’exprimer son opinion et de contester dans le cadre prévu par les lois de la République. Toutefois, le code de la sécurité intérieure permet la dispersion d’un attroupement et fait obligation à l’autorité publique de mettre fin aux troubles éventuels.

Le ministre de l’Intérieur m’a confié une mission particulière sur les conditions dans lesquelles la formation des membres du corps préfectoral, préfets et sous-préfets, pourrait être améliorée en matière de conduite des opérations d’ordre public, compte tenu des nouveaux types de risques auxquels ils sont exposés, afin qu’ils puissent y réagir efficacement.

Pour mener à bien cette mission, je me suis notamment appuyé sur les compétences d’un groupe de travail restreint associant des représentants du Conseil supérieur de l’administration territoriale de l’État, de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale, de l’Inspection générale de la police nationale, de la direction générale de la gendarmerie nationale, de la direction générale de la police nationale, et de la direction des ressources humaines et du corps préfectoral.

J’ai également mené une centaine d’entretiens auprès de directeurs de l’administration centrale du ministère de l’Intérieur, de responsables de centres publics de formation, de représentants de l’autorité judiciaire, de préfets et de sous-préfets. Pour cette dernière catégorie, j’ai questionné 58 préfets dont l’ensemble des 13 préfets nommés pour la première fois en 2014, ainsi que tous les préfets de zones métropolitaines.

Le maintien de l’ordre public constitue une fonction régalienne de l’État. Il relève exclusivement du ministère de l’Intérieur. Il est placé par la loi sous la responsabilité du préfet du département. Enfin, il s’inscrit dans le cadre du régime des libertés publiques et se caractérise par un encadrement rigoureux de l’emploi de la force.

Le préfet, dans son département, est le dépositaire de l’autorité de l’État. Il a la charge de l’ordre public, de la sécurité et de la protection des populations. Toutes les situations à risques pouvant, à un moment ou à un autre, dégénérer, le préfet, premier échelon de la réponse de l’État, doit pleinement s’engager en matière d’ordre public, d’animation et de coordination du renseignement à l’échelon territorial. Cet engagement lui permet de connaître, d’anticiper, de prendre des décisions claires et efficaces, et d’assumer pleinement ses responsabilités.

La professionnalisation dont il est question passe par quatre axes prioritaires : l’amélioration des formations ; l’implication personnelle des préfets en matière d’ordre public, de sécurité et d’animation et de coordination du renseignement territorial ; une articulation renforcée entre le préfet et l’autorité judiciaire ; la mise en place d’un appui méthodologique national dédié prenant la forme de la création d’une cellule de conseil et d’analyse en matière d’ordre et de sécurité publique auprès du secrétaire général du ministère de l’Intérieur.

Aucun préfet ne peut faire l’impasse sur la compétence de l’ordre public, dans la mesure où elle exige une prise de responsabilité personnelle et constitue l’un des vrais marqueurs du métier. En outre, la gestion de l’ordre public comporte une dimension psychologique incontournable : l’exercice du maintien de l’ordre n’est pas une science exacte.

La vocation première du maintien de l’ordre est de permettre l’exercice des libertés publiques et le droit de manifester son opinion en toute sécurité.

Notre modèle, fondé sur l’acceptation d’une « démocratie de rue », se caractérise par l’acceptation d’un certain degré de désordre public dans le cadre de l’expression de la contestation, sous le contrôle des forces de sécurité. Mais cette liberté de manifester implique que les manifestants eux-mêmes respectent la loi et renoncent à l’exercice de la violence.

La liberté de manifestation s’inscrit donc dans un cadre juridique précis qui soumet les organisateurs à une obligation de déclaration préalable auprès de l’autorité administrative compétente. Cette dernière peut prendre des mesures restreignant cette liberté de manifester, allant même jusqu’à l’interdiction en cas de risque important établi de trouble à l’ordre public. Cette mesure doit néanmoins rester exceptionnelle. Le maintien de l’ordre républicain a donc pour objet de prévenir les troubles afin de ne pas avoir à les réprimer. Il comporte des mesures préventives avant tout, et, si l’ordre public est troublé, des mesures destinées à le rétablir de manière proportionnée.

Les forces de l’ordre ne sont autorisées à faire usage de la force face aux manifestants que dans certaines circonstances exceptionnelles. Cet usage est soumis à des conditions de nécessité et de proportionnalité. Le respect de ces principes, le souci d’apaisement face aux foules qu’elles doivent protéger, guident l’action de nos forces de sécurité.

Le maintien de l’ordre relève de l’autorité civile, responsable de la préparation et de la mise en œuvre des mesures adaptées. Les préfets et les sous-préfets font partie au premier chef des autorités civiles responsables de l’emploi de la force pour la dispersion des attroupements. Sur place, ils évaluent en temps réel le dispositif et sa pertinence.

L’exercice du droit de manifester en toute sécurité nécessite la connaissance du corpus juridique et un contrôle de l’action menée sur le terrain. Les forces de l’ordre ainsi que l’autorité civile représentant l’État sur le terrain doivent bénéficier d’un parcours de formation adapté, tant sur le plan juridique que sur le plan opérationnel. J’ai ainsi remis au ministre de l’Intérieur, le 3 mars dernier, un rapport sur la formation des membres du corps préfectoral.

Sur la base des recommandations du rapport, un parcours de formation adapté aux différentes étapes de la carrière a été mis en place : la formation des sous-préfets et des directeurs de cabinet est renforcée dès la prise de poste, tandis que les préfets nouvellement nommés bénéficient d’un cycle de consolidation de leurs compétences juridiques et opérationnelles.

Les services du ministère de l’Intérieur, de l’École nationale supérieure de police, les centres de formation à l’ordre public comme les unités spécialisées de la police et de la gendarmerie seront sollicités à cette fin. Les retours d’expérience seront systématisés et partagés. Dans le même esprit, le Centre des hautes études du ministère de l’Intérieur (CHEMI) et l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) organiseront régulièrement des séminaires consacrés à ces matières.

Ces formations, initiales ou continues, accorderont une place particulière à la qualité du renseignement territorial pour mieux anticiper la physionomie des manifestations, favoriser le dialogue avec les organisateurs, prévenir les incidents et assurer ainsi, dans les meilleures conditions possibles, la sécurité des participants, la protection du public et la préservation des biens.

Ces mesures participent de la démarche engagée par le ministre de l’Intérieur depuis plusieurs mois pour mieux prendre en compte les exigences du maintien de l’ordre en assurant à tous le droit inaliénable à l’expression.

Ainsi, le parcours de formation des nouveaux préfets s’articule autour de sept phases :

- avant sa prise de poste, une immersion de quarante-huit heures auprès d’un préfet de zone expérimenté. Cette phase est déjà appliquée auprès des préfets de Rennes, de Lyon et de Bordeaux ;

- la participation à un « retour d’expérience » sur un événement d’ordre public majeur avec le préfet concerné et, à l’issue, la diffusion d’une fiche réflexe à l’ensemble du corps préfectoral ;

- la participation à une session de formation spécifique organisée par l’École nationale supérieure de la police (ENSP), portant sur les enjeux de la régulation de l’ordre public. La première session va se tenir à la fin du mois d’avril à Lyon ;

- la participation à un séminaire mixte préfets-procureurs de la République portant sur la judiciarisation de l’ordre public. Le premier séminaire se déroulera le 30 juin à l’INHESJ ;

- en outre, d’autres immersions sont prévues dans les centres de formation des unités spécialisées de la police et de la gendarmerie nationale. La première session aura lieu les 19 et 20 mai prochains ;

- des séminaires thématiques relatifs au renseignement territorial et au renseignement intérieur seront organisés en juillet et en septembre par le CHEMI ;

- concernant les sous-préfets assurant la fonction de directeur de cabinet, leur formation fait l’objet d’une refonte totale : elle passe de deux jours et demi à trois semaines, à raison d’une semaine théorique et de deux semaines en immersion au sein des services de polices et de gendarmerie.

La mission de la cellule de conseil et d’analyse en matière d’ordre et de sécurité publique auprès du secrétaire général du ministère de l’Intérieur, consiste notamment à suivre la mise en œuvre de toutes ces opérations.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Puisque vous avez été, au cours de votre carrière, des deux côtés de la barrière, vous avez sans doute un vécu intéressant à nous faire partager.

Le contrôle des opérations du maintien de l’ordre par les autorités civiles prévaut en France, alors qu’en Allemagne, par exemple, ou dans les démocraties de common law, l’autonomie de la police est en la matière bien plus grande. D’après votre expérience et au terme du travail récent que vous avez effectué, ce principe en vigueur en France est-il accepté et assumé ? Comment a-t-il évolué et comment pourrait-il encore évoluer ?

Le système des réquisitions écrites, par exemple, a disparu. Nous n’avons noté, au cours des différentes auditions auxquelles nous avons procédé, aucune demande de retour en arrière, d’une part parce que la suppression des réquisitions écrites a permis une certaine fluidité dans le déroulement des manœuvres et, d’autre part, parce que les nouveaux moyens de communication assurent aux autorités chargées de mettre en œuvre le maintien de l’ordre, une « traçabilité » des instructions données par les autorités civiles. Quel est votre sentiment sur le sujet ?

Enfin, le corps préfectoral est-il demandeur du type de formation que vous avez exposé ou bien s’y montre-t-il réticent ?

Je souhaite, dans un deuxième temps, vous interroger sur le renseignement territorial. D’aucuns estiment que l’intégration des renseignements généraux au sein de ce qu’est devenu la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) a entraîné une perte de savoir-faire, un éloignement du terrain et une moindre remontée des informations au niveau préfectoral. Je fais bien ici référence à la période précédant la création de la direction générale du renseignement intérieur Partagez-vous cette analyse et, au-delà des mesures annoncées par le ministre de l’Intérieur, faut-il aller encore plus loin dans le renforcement des moyens alloués au renseignement territorial – en tant qu’il contribue, en amont, à l’organisation des opérations de maintien de l’ordre ?

Troisième point, et j’ai là bien conscience de dépasser le cadre de votre mission, je reviendrai sur la question de l’articulation entre les forces spécialisées dans le maintien de l’ordre – compagnies républicaines de sécurité (CRS) et gendarmes mobiles – et des forces amenées à remplir des missions de maintien de l’ordre alors que ce n’est pas leur spécialité – forces de sécurité publique, sécurité urbaine, gendarmerie territoriale. On a parfois en effet le sentiment que les difficultés surviennent, que le protocole de mise en œuvre de l’usage de moyens de force n’est pas respecté, précisément quand ce sont des forces non spécialisées qui sont réquisitionnées. Quel est votre point de vue sur cette articulation et en particulier sur la formation des unités non spécialisées utilisées dans des opérations de maintien de l’ordre ?

Nous avons en outre été confrontés à la question de l’interpellation. Les unités chargées du maintien de l’ordre estiment qu’il ne leur revient pas d’interpeller, que cela complique leur manœuvre. Le préfet de police nous dit avoir des dispositifs mixtes avec des personnels spécifiquement dédiés à l’interpellation aux abords de la manifestation pour tous ceux qui commettraient des voies de fait, détruiraient le mobilier urbain, perpétreraient des violences perturbant les manifestants pacifiques eux-mêmes. Que pensez-vous de l’éventuelle généralisation de la présence de forces spécialement dédiées à l’interpellation ?

M. Christian Lambert. La répartition des rôles entre le préfet et le commandant opérationnel est centrale. Les opérations se déroulent bien lorsque chacun reste à sa place. Il faut maintenir le système français sous sa forme actuelle : le préfet définit les objectifs, les effets à produire sur le terrain et s’appuie sur le responsable des forces qui, lui, choisit les moyens à employer ; le préfet ne s’immisce donc pas dans la manœuvre opérationnelle. C’est l’autorité civile – c’est-à-dire le préfet ou la personne mandatée par lui – qui décide à quel moment il peut être fait usage de la force, et c’est le commandant de la force publique qui la met en œuvre. Les rôles sont ainsi bien établis. L’ordre public est un métier et il faut donc le laisser au responsable commandant la force publique – nous insistons beaucoup sur ce point au cours de la formation des préfets et des sous-préfets.

J’en viens aux réquisitions. Elles ne sont pas nécessaires quand la préparation a été faite dans de bonnes conditions. Le préfet doit connaître et anticiper et, à cette fin, il a besoin de différentes sources de renseignement, qu’il s’agisse du service central du renseignement territorial (SCRT), éventuellement du service du renseignement intérieur, ou encore de ses sources propres qui peuvent être les organisateurs, les secrétaires généraux de différents syndicats. Les réquisitions paraissent d’autant moins nécessaires du fait de l’évolution des moyens technologiques. Quand la vidéo protection assure un maillage complet, la place du préfet n’est pas forcément sur le terrain mais dans la salle de commandement où il peut évaluer en permanence son dispositif et donner éventuellement de nouvelles instructions. On dispose dès lors d’une « traçabilité » suffisante.

Pour ce qui est de la formation, monsieur le rapporteur, elle est demandée par les préfets. Ils sont en effet conscients du défi que représente la sécurité sous ses différentes formes. Nous nous rendrons à Nantes les 2 et 3 avril prochains pour, avec le préfet de région, le préfet de zone et des préfets volontaires, travailler sur les dispositifs, analyser les nouvelles méthodes de contestation. Vous l’avez en effet souligné : à côté des manifestants pacifiques, nous avons des casseurs et nos préfets se rendent bien compte de l’évolution nécessaire en matière de maintien de l’ordre.

J’en viens au renseignement territorial. Il a été remis en place. Nous en avons en effet besoin aux échelons local, régional et zonal. Comme c’était le cas pour les renseignements généraux, son travail est vaste et la part sociale de ce travail est très importante : le préfet a besoin de retours et d’une analyse permanente et doit pour cela entretenir des relations personnelles avec ses chefs de service de renseignement. Ce n’est en effet pas la veille d’une manifestation qu’il faut se mettre à tisser des liens. Dans cette perspective, le SCRT, composé de policiers et de gendarmes, fonctionne bien.

En ce qui concerne l’articulation entre forces spécialisées et forces locales, je rappelais à l’instant qu’à côté des manifestants pacifiques, nous avions des casseurs. Or les unités mobiles – gendarmes mobiles ou CRS – restent sans doute moins souples d’emploi, leurs moyens de protection ne leur permettant guère de courir après des individus qui quittent la manifestation pour aller casser des vitrines à quelques centaines de mètres de là. En 2009, quand j’étais directeur du cabinet du préfet de police de Paris, nous avons fait évoluer notre dispositif et mis en place les unités de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC), composées de policiers en tenue à même de se déplacer rapidement et de policiers en civil.

Ensuite, quand il est procédé à une interpellation, la notification des droits doit être faite immédiatement. Au cours de mon travail d’information et d’expertise, j’ai rencontré de nombreux procureurs qui ont confirmé ce que j’avais pu constater en occupant mes différents postes : la conduite au commissariat d’une personne interpellée est une perte de temps et, bien souvent, le fait de ne pouvoir lui notifier ses droits dans les délais impartis empêche toute poursuite. Il faut donc prévoir, pour une notification immédiate, la présence sur le terrain d’une petite unité judiciaire dédiée. On peut également, pour éviter certains troubles, ne pas procéder à l’interpellation immédiatement, auquel cas le système de vidéo-enregistrement permet, sous l’autorité du procureur, l’identification des fauteurs de troubles.

Forces spécialisées et forces locales sont donc complémentaires. Pour ces dernières, si j’ai évoqué la DOPC à Paris, des expériences sont également menées en province comme à Toulouse où, sous l’autorité du préfet, a été constituée une unité de marche, composée de policiers – en tenue – de la compagnie de sécurisation et d’intervention (CSI) –, évoluant souvent en dehors de l’itinéraire prévu de la manifestation, là où se dirigent les casseurs, de policiers en civil pour procéder aux interpellations, de policiers du renseignement territorial qui doivent filmer toutes les scènes possibles, enfin d’une petite unité judiciaire. Chacun a sa formation, chacun a sa feuille de route. Une formation est donnée aux policiers des services territoriaux, dans les départements et dans les zones. Cette évolution s’impose du fait des nouveaux risques encourus.

Je n’ai pas noté de non-respect des protocoles, monsieur le rapporteur. Je le répète : le maintien de l’ordre est un métier. Certains l’exercent en permanence, les gendarmes mobiles et les CRS, d’autres non, et nous sommes en train de les former, notamment au sein des CSI.

J’y insiste, nous avons besoin de judiciariser le maintien de l’ordre. Il est important que, dans la préparation d’événements d’importance, le procureur soit mis le plus tôt possible dans la boucle. Une réunion préparatoire est nécessaire avec le préfet, le procureur, des représentants des forces de l’ordre – forces d’intervention et renseignement – et, éventuellement, les organisateurs déclarés. Or de plus en plus de manifestations ne sont pas déclarées et il est donc parfois très difficile d’établir un lien avec des organisateurs.

M. le rapporteur. La disparition des renseignements généraux (RG) a-t-elle conduit à tarir la source d’informations dont pouvait disposer le préfet ? Car si les manifestations déclarées présentent peu de difficultés, ce n’est pas le cas des manifestations spontanées, pour certaines de nature à porter atteinte à la sécurité publique et aux institutions de la République.

M. Christian Lambert. La dissolution des renseignements généraux, remplacés par la sous-direction de l’information générale (SDIG), a posé un problème. En effet, une partie des fonctionnaires des RG est partie à la DGSI et une autre partie est restée à la sécurité publique. Or, tout comme le maintien de l’ordre, le renseignement est un métier. Il a donc fallu former des fonctionnaires. Dans un tel contexte, il a été difficile pour un préfet – je songe ici à mon expérience en tant que directeur de cabinet à la préfecture de police – d’évaluer, par exemple, le nombre de manifestants venant des départements.

Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Manuel Valls, a bien compris la difficulté et, de la SDIG, nous sommes passés au SCRT , lequel dépend de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP). Le SCRT a repris les structures et l’organisation d’un service de renseignement. Le directeur central adjoint chargé du renseignement territorial est d’ailleurs un pur produit des renseignements généraux de la préfecture de police. Les bons retours dont nous disposons nous permettent de doser l’utilisation des unités mobiles. Nous commençons donc à ressentir l’effet positif de la réforme.

Le rôle du préfet dans l’animation et la coordination du renseignement territorial est d’autant plus important qu’outre l’ordre public, d’autres problèmes se posent comme la prévention de la radicalisation, la lutte contre le djihadisme… Aussi le préfet doit-il veiller à la complémentarité de ces deux services de renseignement dans son département.

Au total, la période difficile est passée, comme le montrent les notes d’ambiance sur les quartiers difficiles. La valeur acquise du renseignement territorial nous permet de travailler en amont, étant entendu que c’est de l’échelon départemental qu’il faut partir pour remonter ensuite à l’échelon national – comme c’était le cas avec les renseignements généraux.

Mme Marie-George Buffet. Vous avez rappelé, dans votre propos liminaire, que le maintien de l’ordre n’était pas une science exacte, d’où l’importance de la chaîne de commandement. Les commandants des forces opérationnelles que nous avons auditionnés ont souligné l’ambiguïté, parfois, des consignes données par l’autorité civile. Vous avez certes répondu au rapporteur que vous ne souhaitiez pas en revenir aux réquisitions écrites mais, dans la formation que vous donnez à l’autorité civile, insistez-vous sur la nécessaire clarté des consignes ?

Ensuite, vous avez indiqué que la présence de l’autorité civile sur le terrain n’était pas toujours nécessaire, le préfet, ou son représentant, pouvant se révéler plus utile dans les lieux de commandement. Or il se trouve que de nombreuses personnes auditionnées ont insisté sur la nécessité de la présence du préfet ou de son représentant au milieu des forces opérationnelles pour leur donner des consignes. Pouvez-vous revenir sur ce point ?

Vous avez abordé la question des casseurs que nous connaissons depuis plusieurs décennies. Ma préoccupation concerne davantage de nouveaux groupes de manifestants, qui viennent parfois de l’étranger et se mêlent à des manifestants pacifistes et démocrates. Comment mieux cerner ces groupes, évaluer leur importance, analyser leur comportement et comment agir pour qu’ils ne remettent pas en cause le bon déroulement des manifestations pacifiques ? Je souhaite connaître votre avis sur les propositions émises à cet égard : rendre obligatoire la concertation préalable – j’ai en la matière un doute puisque l’on a du mal, souvent, à trouver les organisateurs de ces groupes –, interdire des individus de manifestation un peu de la même manière que certains sont interdits de stade – procédé qui a montré son efficacité.

Enfin, comment améliorer le rapport entre l’autorité civile et l’autorité opérationnelle, d’une part, et les organisateurs des manifestations démocratiques de l’autre ? Comment pourrait-on mettre en commun les expériences de ces deux parties afin de se montrer plus efficaces contre les agissements des groupes en question ?

M. Christian Lambert. La formation que nous sommes en train de mettre en place est destinée à renforcer la chaîne de commandement. Chacun doit rester à sa place et, je le répète, le préfet n’est pas là pour, d’un point de vue opérationnel, diriger la manœuvre. La clarté des consignes doit venir du travail des réunions préparatoires que doit présider le préfet. Ensuite, pendant l’événement, il ne faut jamais négliger l’aspect politique de l’action du préfet. Il est donc nécessaire que, pendant les événements, l’autorité civile se rapproche des forces opérationnelles. Il paraît en effet de plus en plus difficile, compte tenu des nouvelles technologies, d’imaginer un préfet rester dans son bureau et se contenter d’une liaison téléphonique au moment des événements. Le préfet doit se montrer très réactif et, pour cela, se trouver au cœur de l’événement.

En agglomération – nous l’avons fait à Rennes, à Nantes, à Toulouse, sans parler bien sûr de Paris – le préfet, grâce à la vidéo protection, est véritablement informé en direct. Il ne perturbe pas, comme c’était le cas auparavant, par des coups de fil permanents le directeur départemental de la sécurité publique ou son collègue de la gendarmerie pour demander des nouvelles. Or il a besoin en permanence, je l’ai dit, de réévaluer ses instructions. Aussi, en zone urbaine, la chaîne de commandement ne pose-t-elle aucun problème. C’est plus difficile en zone rurale où nous ne disposons pas des mêmes moyens techniques. Il est ici, en revanche, nécessaire qu’une autorité civile soit sur place non, certes, pour diriger les troupes mais pour établir un lien permanent avec le préfet et avec les organisateurs s’il y en a. Cette autorité civile a donc un rôle de contrôle et un rôle politique. Au total, il importe que l’autorité civile soit au cœur de l’événement.

Pour ce qui concerne les casseurs et les nouveaux groupes, nous en revenons, madame la députée, au renseignement. Le renseignement intérieur a des liens avec les services de renseignement européens. Ces groupes qui vont d’une ville ou d’un pays à l’autre font l’objet d’un suivi qui nous permet de préparer un dispositif à la mesure de ce qui nous attend. Grâce aux interpellations, grâce au travail de vidéo protection réalisé par les services, nous cernons de mieux en mieux le comportement de ces groupes.

Vous m’avez ensuite interrogé sur l’éventualité de rendre obligatoire la concertation préalable. Il s’agit de créer les conditions d’un dialogue permanent entre les autorités et les organisateurs et, dans cette perspective, l’autorité civile comme le renseignement ont un rôle important à jouer – ce n’est pas au responsable de la force publique d’entretenir ce lien particulier. Ce lien doit être cultivé sur le long terme par le préfet, donc, aussi, en dehors de l’événement. Or, dans certains cas, nous n’avons pas d’interlocuteur et il faut dès lors évaluer la menace, les risques, d’où, ici encore, le rôle important du renseignement sous toutes ses formes. Si les risques sont établis, le préfet peut interdire la manifestation.

J’en viens à l’interdiction de manifestation. Vous savez, du fait de vos fonctions ministérielles passées, madame Buffet, que les interdictions de stade se sont révélées bénéfiques, permettant de ramener le calme dans pas mal d’endroits. Mon avis personnel est que l’adoption d’un système similaire d’interdiction de participer à des manifestations pour des individus reconnus comme des casseurs, aiderait certainement les forces de l’ordre.

M. Philippe Goujon. À quel type de personnels la formation dont il est ici question est-elle destinée : préfets, sous-préfets, administrateurs… ? Pensez-vous qu’elle devrait être élargie à d’autres personnels administratifs et même, peut-être, aux magistrats ? Cette formation doit-elle par ailleurs être prévue dans le cursus des écoles qui forment les fonctionnaires ?

Ensuite, en matière de maintien de l’ordre, vous avez évoqué une sorte de dichotomie entre Paris et la province et, en effet, les camions à eau sont employés en province mais pas à Paris, la vidéo protection est pour sa part utilisée à plein dans la capitale mais pas ailleurs. Un module spécifique est-il dès lors prévu pour la formation au maintien de l’ordre à Paris et à destination de quel public ?

Les instructions données par l’autorité civile aux forces spécialisées vous paraissent-elles suffisamment précises, claires, adaptées ou bien faudrait-il prévoir un cadre plus rigide pour améliorer le processus de maintien de l’ordre ?

Je poserai pour finir une question un peu plus périphérique concernant le projet de loi sur le renseignement. Les violences collectives qui peuvent troubler la paix publique – on pense évidemment bien plus ici au « zadistes » qu’aux manifestants pacifiques – peuvent permettre l’emploi de moyens de renseignement spécialisés – vous voyez à quoi je fais allusion. Ces moyens vous paraissent-ils adéquats ?

M. Christian Lambert. La formation est donnée dans un premier temps aux 101 préfets et, plus précisément, à tous les préfets nouvellement nommés – soit 6 à 15 chaque année. Ainsi, la semaine dernière, un préfet a été nommé dans le Morbihan. Avant sa prise de poste, il est parti en immersion à la préfecture de Rennes – préfecture de zone –, après quoi il suivra une formation continue comportant des modules à la fois d’ordre public et de renseignement territorial. La formation concerne ensuite ceux qui, au quotidien, sont en lien avec les services de sécurité, à savoir les directeurs de cabinet. Je l’ai déjà mentionné : la formation était de deux jours et demi, elle passera à trois semaines dont une de formation théorique et deux auprès de la préfecture, des forces de police et des forces de gendarmerie.

Quand j’ai fait valoir au ministre de l’Intérieur qu’il fallait judiciariser l’ordre public, cela signifiait que les procureurs devaient mieux connaître les problèmes relatifs à la voie publique et aux manifestations. C’est pourquoi, avec l’INHESJ, nous avons mis en place un programme commun qui débutera avant l’été prochain.

Les questions liées à l’ordre public sont déjà très présentes dans le cursus des écoles qui forment les fonctionnaires, de même que dans le cadre de la formation continue. Du reste, la France a toujours été une référence en matière de maintien de l’ordre.

J’en viens à la dichotomie que vous avez évoquée entre Paris et la province. On compte dans la capitale une moyenne de 13 à 14 manifestations par jour, déclarées ou, quelquefois mais de plus en plus souvent, non déclarées. Sont engagées la gendarmerie mobile et les CRS d’un côté, et, de l’autre, les unités de la préfecture de police que sont les compagnies d’intervention de la DOPC qui sont très bien formées. Il est évident que la topographie de Paris et le maillage vidéo permettent une réaction très rapide mais Paris, siège des institutions, demande un traitement très rigoureux du maintien de l’ordre.

Les instructions de l’autorité civile, je le répète, et c’est l’un des objectifs de la formation, sont claires si le travail préparatoire – impliquant les services de renseignement, les organisateurs et les responsables des unités mobiles – est bien mené. Ces instructions peuvent être réévaluées au cours de l’événement mais devront toujours rester précises.

Enfin, concernant le projet de loi sur le renseignement, à côté de manifestants pacifiques, je l’ai déjà dit, d’autres viennent pour casser ou provoquer de sérieux problèmes aux organisateurs eux-mêmes. Les techniques doivent pouvoir prévenir des comportements constituant des infractions très graves à l’ordre public, comportements destinés à déstabiliser l’État.

M. le rapporteur. Dans le cadre de nos travaux, quand nous nous sommes rendus à Lunebourg, en Allemagne, on nous a suggéré que le maintien de l’ordre à la française, qui certes a fait ses preuves, pourrait s’ouvrir davantage aux sciences sociales, comme c’est le cas à l’étranger. Ainsi, à Lunebourg, nous ont reçus le chef de la police, son adjoint, le responsable de la voie publique – et un sociologue qui dirige un service qui permet d’être informé sur le comportement des foules, sur l’évolution des moyens sociaux... Qu’en pensez-vous ?

Tout autre question et qui va faire débat au sein de la commission : celle de l’emploi de certains moyens tels les flash ball et les lanceurs de balles de défense – les unités de maintien de l’ordre étant dotées des uns et pas des autres. Or les blessures graves que l’on peut constater à l’issue des manifestations sont souvent le fait de l’emploi de ces moyens. Selon certains, ces outils – ces armes – sont en contradiction avec la doctrine française du maintien de l’ordre reposant sur la mise à distance et sur une appréhension de la foule dans sa globalité. Le lanceur de balles de défense, en effet, visera une personne en particulier. Je souhaite connaître votre point de vue et ne voyez dans ma question, à ce stade, aucun parti-pris, aucune idée arrêtée : il arrive au rapporteur de devoir se faire l’avocat du diable.

M. Christian Lambert. Au cours de la préparation d’un événement, le préfet est libre de faire venir qui il souhaite. Le groupe de travail commun police et gendarmerie nationales visant à améliorer la doctrine du maintien de l’ordre, mis en place par le ministre de l’Intérieur, comprend des sociologues et des universitaires d’autres disciplines.

La conception française du maintien de l’ordre consiste, il est vrai, à tenir le plus possible à distance les manifestants. Quand tout se passe conformément au travail préparatoire à l’événement, c’est fort simple. Mais certains éléments poussent au débordement et les grenades lacrymogènes ont pour but de continuer de maintenir à distance forces de l’ordre et manifestants. Leur utilisation est par conséquent nécessaire dans certains cas mais très réglementée – le ministre de l’Intérieur a donné des instructions précises sur le lancement de grenades lacrymogènes instantanées.

En ce qui concerne le lanceur de balles de défense, le cadre de son utilisation est également très précis. S’il est respecté, il ne doit pas y avoir de problème. Le policier ne s’en sert vraiment que s’il se sent menacé.

M. Philippe Doucet, président. Je vous remercie, monsieur le préfet, pour vos réponses qui enrichiront la réflexion des membres de la commission.

L’audition se termine à neuf heures quarante.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Marie-George Buffet, M. Philippe Doucet, M. Philippe Goujon, M. Meyer Habib, M. Jérôme Lambert, M. Pascal Popelin, M. Daniel Vaillant

Excusés. - M. Jean-Pierre Barbier, M. Gwenegan Bui, M. Guy Delcourt, M. Hugues Fourage, M. Boinali Said