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Commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Mardi 10 mars 2015

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 31

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Présidence de M. Éric Ciotti, Président

– Table ronde réunissant les représentants des syndicats des personnels actifs de la police : Alliance police nationale (M. Jean-Claude Delage, secrétaire général, M. Benoît Barret, délégué général) ; Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI) (M. Jean-Marc Bailleul, secrétaire général, M. Christophe Dumont, secrétaire national) ; Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN) (Mme Céline Berthon, secrétaire générale, M. Jean-Luc Taltavull, secrétaire général adjoint) ; Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP) (M. Olivier Boisteaux, président, M. Jean-Paul Mégret, secrétaire national) ; Synergie officiers (M. Patrice Ribeiro, secrétaire général, Mme Sophie Da Pozzo, conseillère technique) Unité SGP Police – FO (M. Nicolas Comte, secrétaire général adjoint, M. Jérôme Moisant, secrétaire national, M. Francis Sauvadet, référent de la DGSI au titre du syndicat ; Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Police (M. Philippe Capon, secrétaire général, M. Olivier Varlet, secrétaire général adjoint)

La séance est ouverte à 10 heures 30.

Présidence de M. Eric Ciotti, président.

M. le président Éric Ciotti. La création de la présente commission d’enquête a été demandée au mois de septembre dernier après le retour controversé, en tout cas difficile, de trois djihadistes passés par la Turquie et qui, attendus à Paris, ont en fait atterri à Marseille – vous devez vous en souvenir.

Son champ de travail a été élargi, malheureusement, depuis ce qui s’est passé les 7, 8 et 9 janvier. Nous clôturerons nos auditions dans un peu plus d’un mois pour rendre un rapport fin mai. Il est bien entendu essentiel pour nous que vous participiez à l’élaboration des propositions que nous serons amenés à formuler.

Nous ne souhaitons pas que la commission s’érige en censeur, en donneur de leçons ou encore qu’elle se transforme en outil d’investigation.

Je vous rappelle que cette table ronde se réunit à huis clos. Si, donc, elle n’est pas ouverte à la presse, elle fera néanmoins l’objet d’un compte rendu qui vous sera préalablement soumis et qui sera publié.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre d’une commission d’enquête de déposer sous serment. Elles doivent jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Les personnes auditionnées prêtent serment.)

Mme Céline Berthon, secrétaire générale du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN). Il serait bon que nous recherchions des propositions plutôt que des responsabilités. La lutte contre le terrorisme islamiste, ou le djihadisme, nous implique tous. Cette lutte n’est assurément pas une science exacte et, quel que soit le degré de mobilisation des policiers et des services de renseignement, nous savons tous que nous ne pourrons jamais tout empêcher et que la survenance d’un fait ne sera pas nécessairement la traduction d’une faillite du système ou d’un manquement de la part de policiers ou de représentants des services de renseignement.

Nous nous accordons tous sur l’acuité du phénomène et, pour y faire face dans les meilleures conditions, nous devons disposer des moyens juridiques et matériels adéquats. Les récentes annonces du Gouvernement en matière de renforcement des moyens accordés aux services judiciaires et de renseignement étaient attendues parce qu’indispensables ; elles n’en restent pas moins insuffisantes. Nous escomptons une montée en puissance des moyens juridiques des services de renseignement. Vous reconnaîtrez en effet qu’il est pour le moins surprenant que ces derniers aient moins de possibilités que les réseaux sociaux, que l’interconnexion des fichiers constitue encore un tabou en France ; la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) est une « enquiquineuse » – je le dis comme je le pense – pour les services de renseignement et de police, alors même que, dans chacune de ces entités, nous disposons de professionnels animés par la volonté de remplir leurs missions et d’assurer la sécurité du pays. Il serait donc important d’inverser la tendance et de redonner des moyens élémentaires aux services de renseignement.

J’appelle par ailleurs votre attention sur le fait qu’en créant un tamis de plus en plus fin, on aboutit à un nombre de profils à risque très important – on évoque plusieurs milliers de personnes – sans qu’on ait toutefois la capacité matérielle de les « traiter », de les neutraliser durablement ou de procéder à leur déradicalisation après incarcération ou à la suite d’une interdiction de sortie de territoire. La police et les services de renseignement ne disposent pas de toutes les solutions.

Nous sommes convaincus que la lutte contre le terrorisme passe par la mobilisation des services spécialisés – judiciaires et de renseignement –, mais il convient de ne pas oublier la police du quotidien, en particulier les primo-intervenants. Les événements du mois de janvier ont mis en évidence la fragilité de ces derniers dans ce type de situation – que nous vivrons à coup sûr à nouveau. Au-delà du savoir-faire des unités d’intervention telles que Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion (RAID), les brigades de recherche et d’intervention (BRI) ou les groupes d’intervention de la police nationale (GIPN), qui ont montré leur professionnalisme là où elles ont été amenées à intervenir, les policiers primo-intervenants seront toujours confrontés à la nécessité de fixer une situation face à des individus à la logique meurtrière. Notre préoccupation de chefs de service est de donner à ces policiers d’abord la capacité de se défendre puis celle de réagir dans un cadre juridique qui les protège. Or, le cadre juridique en vigueur ne le permettant pas, il faut l’adapter à cette fin.

En somme, nous entendons veiller aux moyens des services de renseignement, à leur articulation, à l’efficacité des services judiciaires mais aussi à la protection et aux conditions d’intervention des policiers qui resteront les premiers à intervenir à l’occasion de ce type de tuerie.

M. Jean-Marc Bailleul, secrétaire général du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI). Nous regrettons que nos propositions – les plus pratiques qui soient – ne fassent pas partie des priorités annoncées par le Gouvernement. Je pense notamment à l’accès des services de police aux fichiers de la sécurité sociale, des caisses d’allocations familiales, du Trésor public, de l’administration de la justice – notamment pour suivre les individus qui sortent de prison –, fichiers qui peuvent faciliter l’enquête et confirmer un diagnostic de radicalisation et d’éventuel financement. La lutte contre le terrorisme implique qu’on brise certains tabous. Il s’agit d’éviter de regretter d’avoir eu à marchander pour obtenir des renseignements jugés essentiels mais qui devraient être communiqués naturellement dans le cadre de l’enquête.

Même si l’évolution législative va dans le bon sens en matière de mise sur écoutes, nous devons avoir la faculté de réagir. Comme l’a souligné Mme Berthon, plus on aura identifié d’individus à risque, plus il nous faudra de moyens pour les surveiller. Il ne faut pas qu’ils puissent commettre un acte terroriste sous prétexte que nous n’aurons pas eu les moyens de les poursuivre. C’est pourquoi il faut éviter de constituer un fichier dont la lourdeur nuirait, en fin de compte, à l’efficacité des forces de police.

Un bilan doit être réalisé sur les réformes du renseignement de 2008 et 2012. Il ne s’agit pas de rechercher des responsabilités, mais force est de reconnaître que ces réformes n’ont pas remis le renseignement en ordre de marche, notamment du fait du démantèlement de la direction centrale des renseignements généraux, à cause duquel on a perdu, pour une grande part, la faculté de réaliser du renseignement de proximité, essentiel à la collecte de données et à leur exploitation. La réforme de 2012 a créé le service central du renseignement territorial (SCRT), rattaché à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), mais, en dépit de l’arrivée de renforts et de précisions doctrinales, on voit bien les limites du système.

Ce n’est en effet pas la création d’antennes du renseignement territorial, composées chacune de deux gendarmes qui ne sont pas géographiquement rattachés aux services du renseignement territorial, qui nous rassure. Nous pensons que le renseignement se pratique collectivement et non par le biais de binômes d’agents isolés d’autres forces. Le renseignement est un tout. Aussi la création de 25 antennes du renseignement territorial ne va-t-elle pas, à nos yeux, dans le bon sens. Par exemple, dans la ville de Lunel, il y a eu des dysfonctionnements : les gendarmes disposaient de renseignements qu’ils n’ont pas communiqués au service de renseignement territorial départemental. On ne peut pas admettre cela au vu du risque encouru. En matière de renseignement, plutôt que la concurrence entre les services, c’est la transparence, dans les deux sens, qui s’impose. De même, il faut éviter la transmission des informations au degré supérieur en court-circuitant le chef de service départemental. Bref, le travail à Lunel aurait pu être meilleur si les services s’étaient fait confiance dans l’échange d’informations.

L’ensemble des services de renseignement doivent faire partie de la « communauté » du renseignement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui pour le SCRT, ni pour la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP). C’est le partage des informations et d’une même méthodologie qui conduira à un meilleur fonctionnement du renseignement.

Il est par ailleurs nécessaire, il y a été fait allusion, de simplifier les procédures en matière de renseignement mais également en matière pénale. Voilà des années que nous demandons au législateur un allégement de la procédure pénale qui n’a fait que s’alourdir au gré des réformes imposées par l’Europe. Dès lors, les policiers, en particulier les primo-intervenants, passent beaucoup de temps à s’occuper de la procédure au détriment de leur présence sur la voie publique, qui leur permettrait de recueillir des informations auprès des commerçants, des bailleurs sociaux, des écoles... C’est pourquoi nous sommes vraiment favorables à l’établissement d’une procédure à l’anglo-saxonne, beaucoup plus orale qu’écrite, afin de dégager du temps pour l’enquêteur.

Nous devons ensuite établir des fichiers plus performants, car leur état ferait rire nos collègues européens s’ils en prenaient connaissance : ces fichiers sont inadaptés, ils ne permettent pas aux enquêteurs, d’un bout à l’autre de la France, de prendre connaissance de tous les détails d’une fiche concernant un individu, du fait, sans doute, de garde-fous imposés par la CNIL – alors que nous devrions nous montrer au moins aussi efficaces que les terroristes, aujourd’hui plus rapides que nous grâce aux réseaux sociaux. Ce n’est pas politiquement correct de le reconnaître mais cette demande émane des enquêteurs sur le terrain.

On a créé depuis trois ans des cellules de coordination pour faciliter le partage du renseignement entre la sécurité intérieure et le renseignement territorial et la sous-direction opérationnelle créée par les gendarmes. La création même de cellules de coordination montre bien que quelque chose ne va pas. Le renseignement est une matière qui ne se divise pas et tous les services devraient être beaucoup plus proches les uns des autres. C’est pourquoi nous étions plutôt favorables à l’instauration d’une grande direction générale du renseignement.

M. Jean-Paul Mégret, secrétaire national du Syndicat indépendant des commissaires de police. Nous avons besoin de dispositifs juridiques permettant de légaliser des pratiques qui sont aujourd’hui bloquées, comme la pose de balises, la sonorisation de véhicules, d’appartements…

Nous craignons que les pratiques contreviennent à des textes devenus très compliqués dans tous les domaines. Ainsi le keylogger judiciaire a-t-il été autorisé par la loi il y a déjà un certain temps mais il ne peut pas fonctionner parce que la Chancellerie et la CNIL se renvoient la balle, personne n’osant mettre en place un dispositif jugé, de façon parfaitement idéologique, liberticide. Alors que ce système est en vigueur dans de nombreux pays, alors qu’il est, en France, prévu par la loi, nous restons l’arme au pied face à des individus radicalisés qui vont certes au combat armés d’une kalachnikov et de grenades mais qui, dans la vie, sont des adeptes des réseaux sociaux, dont ils ont parfaitement compris les avantages pour protéger leur anonymat.

Il faut savoir que la CNIL a totalement paralysé de grandes institutions, de grandes entreprises qui, même dans le cadre de réquisitions judiciaires, refusent désormais de répondre aux services d’enquête. C’est vous dire à quelles difficultés – a fortiori plus importantes – on se heurtera avec les services de renseignement. Auparavant, si vous vouliez identifier le domicile d’un individu ou les personnes qu’il allait voir, une réquisition adressée à EDF permettait d’obtenir la liste des habitants d’un immeuble. Dorénavant, à la suite des remontrances de la CNIL, EDF explique être dans l’impossibilité de vous répondre. Il faut donc formuler une demande pour chaque nom pour savoir si l’individu que vous avez ciblé dans une enquête demeure à l’adresse considérée. Or, quand on considère la masse d’individus à traiter, c’est impossible. Les évolutions jurisprudentielles et les évolutions pratiques conduisent aujourd’hui les enquêteurs à la paralysie.

Nous sommes très nombreux à dresser le bilan de ce qui s’est fait depuis 2007 et à nous poser la question, par exemple, de savoir si les renseignements généraux avaient bel et bien vocation à disparaître – réforme qui date des années 2007-2008 alors que nous sommes en 2015. Le regroupement, il faut le reconnaître, a présenté des avantages. Reste que, compte tenu des menaces actuelles, nous ne devons pas regarder en permanence dans le rétroviseur mais tâcher de lancer des réformes structurelles puisque les services ont besoin de se mobiliser sur des cas concrets et ont besoin, compte tenu du nombre d’individus concernés, de se consacrer aux dossiers.

Les soucis du monde du renseignement sont à l’image de ceux du monde policier : des textes contraignent l’activité des services – on a déjà évoqué le cas des primo-intervenants ou la procédure pénale. Tout est fait pour mettre des bâtons dans les roues des policiers et des gendarmes, pour leur faire perdre un temps précieux en avis divers, en procès-verbaux de pure forme et chronophages, si bien que les forces de sécurité se consacrent malheureusement plus à la forme qu’au fond.

Or les événements récents nous conduisent tous à redonner priorité au fond. Une augmentation des effectifs ne saurait résoudre les problèmes puisque, de toute façon, ces effectifs, il faudra bien les former – et, puisqu’il s’agit de former des spécialistes, quelques mois ne suffiront pas. Il nous faudra certainement, avant tout, changer les pratiques pour qu’un fonctionnaire puisse produire mieux sans être bloqué par certains dispositifs. La police nationale a pourtant fait des efforts de traçabilité permettant de prouver la bonne foi des officiers de police judiciaire de tous grades et de tous corps. Malgré ces efforts, nos collègues sont toujours en butte aux mêmes obstacles juridiques, ce qu’ils comprennent de moins en moins.

M. Patrice Ribeiro, secrétaire général de Synergie officiers. Comme j’ai l’habitude de ne jamais me substituer à un professionnel, j’ai demandé à ma collègue Sophie Da Pozzo, chef de groupe à la DGSI, qui traite notamment les individus de retour du djihad, de m’accompagner afin d’éclairer la commission d’enquête sur les questions pointues qui pourront être posées.

La menace à laquelle nous sommes confrontés est nouvelle par son ampleur, son aspect protéiforme et du fait de la très grande porosité – et qui ira croissant – entre l’islamo-banditisme et les filières djihadistes, entre des voyous relevant de la criminalité organisée et des fondamentalistes plus ou moins sincères dans leurs convictions.

La situation fait éclater au grand jour les difficultés que nous rencontrons depuis des années, tant dans le domaine du renseignement que dans le domaine judiciaire : arsenal juridique inadapté, obtention de renseignements et accès aux fichiers rendus difficiles à cause de cette peur très française que la police, tel Big Brother, pourrait vérifier, en croisant les fichiers, ce que chacun prend comme médicaments. Or nous en sommes loin puisque, comme l’a rappelé Jean-Paul Mégret, nous ne pouvons même pas savoir combien il y a d’individus dans un immeuble.

Nous sommes peut-être le seul pays d’Europe où des femmes peuvent partir faire le djihad en Syrie, revenir déclarer une grossesse ou une naissance à la caisse d’allocations familiale, puis repartir pour la Syrie. Nous sommes vraiment très en retard en matière de croisement de fichiers, de nouvelles technologies, même si l’on sait bien que la technologie a toujours de l’avance sur le travail de la police. Ainsi certaines applications comme Viber ou WhatsApp sont-elles inécoutables et intranscriptibles et que des individus qui conversent via ces messageries ne peuvent être ni suivis ni écoutés.

Il faut instaurer un référent dans les commissariats car on ne peut plus tolérer ces « guéguerres », chaque service dit spécialisé ayant un tel sentiment d’appropriation qu’il ne désire rien partager avec personne. Compte tenu de l’ampleur de la menace, il faudra donc avoir des correspondants dans les brigades de gendarmeries et dans chaque commissariat. Une partie du travail devra peut-être être déléguée à la sécurité publique puisque, on l’a évoqué, la formation des personnels qui vont être recrutés mettra du temps. En attendant, des blocages peuvent être levés comme l’accès aux fichiers, le renforcement des moyens – nous avons des pistes concernant la saisie et l’exploitation des biens et avoirs criminels, procédés qui semblent simples ailleurs mais très compliqués en France.

Il convient également de réduire la discordance entre les services de renseignement et les services judiciaires, ceux-ci pouvant plus facilement mener certaines actions comme la sonorisation de véhicules, la pose de balises. Selon une décision très récente de la Cour de cassation, écouter deux personnes mises en garde à vue est déloyal et n’a pas à entrer dans le cadre d’une procédure – or, si vous vous trouvez au milieu de deux ou trois voyous dans une cellule de garde à vue, vous ne pouvez pas vous dire autre chose que ce que vous vous diriez dans un véhicule ou un appartement que nous aurions sonorisé.

Nous payons le prix des obstacles mis sur notre route par la CNIL, par tous ces gens qui vivent hors sol. À mon avis, malheureusement, nous en paierons à nouveau le prix dans les semaines ou les mois qui viennent. On ne pourra pas dire que nous n’aurons pas prévenu. Jusqu’à présent, nous prêchions dans le désert puisque ces questions restaient dans la sphère policière. De votre côté, vous pouvez, par une modification de la législation, faciliter notre travail en ce qui concerne, par exemple, les réquisitions auprès des grands opérateurs de téléphonie avec lesquels nous avons d’importantes difficultés et qui facturent à des prix prohibitifs des opérations qui ne leur coûtent rien ; vous mettriez ainsi de l’huile dans les rouages et feriez en sorte que nous soyons mieux protégés.

M. le président Éric Ciotti. N’hésitez pas à nous faire part, par écrit, de propositions très concrètes.

M. Philippe Capon, secrétaire général de l’UNSA Police. Nous vous ferons parvenir des contributions au titre de l’UNSA Police mais également au titre de la Fédération autonome des syndicats du ministère de l’intérieur (FASMI), ainsi que le travail réalisé avec nos collègues du SCPN.

La police estime qu’il est nécessaire de se doter de moyens humains comme matériels. À l’occasion des différentes réformes engagées ces dernières années, nous nous sommes rendu compte qu’on avait perdu un certain nombre de « sachants », de collègues qui travaillaient dans la filière du renseignement, en particulier aux renseignements généraux. Nous estimons, sans vouloir nous faire critiques au-delà du raisonnable, qu’en créant la sous-direction de l’information générale (SDIG), on a fait des collègues issus des RG les « concierges » du renseignement, auxquels ne sont pas forcément confiées les missions les plus intéressantes… Beaucoup ont quitté ces filières du renseignement, lesquelles constituent vraiment un métier qui doit offrir un vrai déroulement de carrière – ce qui n’est pas forcément le cas actuellement : pour obtenir de l’avancement, on est parfois obligé de quitter le renseignement.

Nous sommes par ailleurs préoccupés par le manque d’effectifs et par le fait que le recrutement annoncé par le Premier ministre et le ministre de l’intérieur aura pour effet de diminuer le nombre de primo-intervenants sur la voie publique. En effet, à chaque fois que nous allons récupérer un fonctionnaire dans le renseignement, on va en enlever un sur la voie publique pendant un an ou un an et demi. On va ainsi perdre 1 100 fonctionnaires primo-intervenants alors que la voie publique est déjà quasiment exsangue en la matière.

Nous sommes favorables à une doctrine du renseignement englobant l’ensemble des services. Nous plaidons également pour une coopération interservices et pour la coordination du renseignement, qui peut faire défaut tant elle se révèle compliquée, entre, notamment, la DGSI – dont il faut d’urgence renforcer les groupes de surveillance –, le SCRT, qui dépend de la DGPN, l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), sans oublier la DRPP qui jouit d’une certaine autonomie. Du fait de cette complexité, les échanges d’informations entre les différents services ne vont pas de soi.

Nous demandons en outre que le secret défense soit la règle pour tous les agents travaillant dans le renseignement avec l’octroi, pour eux, de moyens sécurisés, d’une protection, la distinction entre l’intervention et la surveillance étant bien opérée – notons que nous ne disposons pas, en province, de groupes de filature spécialisés.

En matière de filature et de surveillance, nos collègues prennent de nombreux risques personnels – le cas de la sonorisation a déjà été évoqué. Ils manquent d’une protection juridique. Le travail avec les opérateurs– le problème que nous rencontrons avec EDF a été mentionné tout à l’heure – est parfois impossible, comme avec Numéricâble.

Un grand nombre de collègues policiers affectés dans le renseignement totalisent entre 1 000 et 4 000 heures supplémentaires ; elles ne sont pas payées et ne sont quasiment plus récupérables vu l’intensité du travail en ce moment, ce qui conduit à une certaine démotivation, renforcée par de longues missions au cours desquelles les policiers en sont parfois de leur poche pour l’hébergement et les repas.

Nous souhaitons qu’une formation spécifique soit donnée au sein d’une académie du renseignement que pourrait intégrer l’ensemble des policiers travaillant dans le renseignement, qu’ils viennent de la DGSI, du SCRT ou autres.

Il convient en outre d’améliorer l’interconnexion des fichiers car, aujourd’hui, le policier est obligé de consulter tous les fichiers pour obtenir des renseignements – c’est à la fois inefficace et chronophage.

La coopération avec les services pénitentiaires doit elle aussi être renforcée.

Je ne reviens pas sur internet, partageant tout ce qu’ont dit mes collègues.

J’insiste, reprenant le début de mon intervention, sur la fidélisation du savoir et des collègues dans le renseignement. En effet, la présence de policiers qui ont la mémoire du renseignement fait cruellement défaut aujourd’hui – absence qui pourrait en partie expliquer certains problèmes survenus ces derniers mois ou ces dernières semaines.

M. Nicolas Comte, secrétaire général adjoint d’Unité SGP Police – Force ouvrière (FO). Je présente les excuses d’Henri Martini, secrétaire général, qui est souffrant et n’a pu venir. Je suis accompagné de Francis Sauvadet, qui exerce à la DGSI.

Les événements de ces derniers mois nous ont rappelé le degré de la menace, sur lequel les différents ministres concernés reviennent souvent. Or, aujourd’hui, on s’aperçoit que les fonctionnaires des services de renseignement, au sein de la police nationale, n’ont pas toujours les moyens de remplir dans les meilleures conditions la mission qui leur est confiée. Les services sont insuffisamment adaptés sur les plans matériel, technique, juridique. On manque, en France, d’une véritable culture du renseignement, tâche uniquement confiée à des services spécialisés qui, parfois, ne sont pas pris en considération comme ils devraient l’être.

Des réformes ont été menées et la création de la DGSI a vocation à remédier à cela. Or, aux fonctionnaires qui travaillent dans le renseignement et qui doivent à tout prix se faire parfaitement discrets, on confie le même matériel qu’aux autres fonctionnaires de la police nationale – mêmes radios, mêmes armes… –, ce qui ne pose pas de problème quand on porte l’uniforme, mais ce qui se révèle plus compliqué quand on ne doit pas apparaître. Surtout, une lourde responsabilité repose sur eux : on leur demande de ne pas manquer la bonne cible, de détecter toutes les menaces possibles, alors que, dans le même temps, on ne leur donne pas les moyens juridiques de remplir cette mission. Aussi nos collègues doivent-ils prendre eux-mêmes la décision d’être efficaces, quitte à se retrouver dans l’illégalité, ou bien prendre la décision de rester dans le strict cadre de la loi, au risque d’être inefficaces avec les conséquences que l’on sait.

Il faut par conséquent doter les effectifs travaillant dans le renseignement de moyens juridiques adaptés. Évoluant dans la sphère de la police administrative, nos collègues sont en effet beaucoup moins outillés que ceux opérant au sein des services de la police judiciaire. Nombreux sont les individus qui doivent être surveillés dans le cadre de la menace djihadiste et il est clair que la surveillance humaine ne peut concerner chacun d’eux. On entend souvent dire qu’une personne surveillée vingt-quatre heures sur vingt-quatre mobilise vingt-cinq fonctionnaires. C’est purement théorique : comment font les dix fonctionnaires d’une direction départementale ? Ils s’adaptent. Des possibilités techniques de suppléer à la surveillance humaine ou de la renforcer existent – encore faut-il être doté de ces possibilités et, une fois doté, encore faut-il obtenir le droit d’en user.

Les fonctionnaires qui travaillent au sein de la sécurité intérieure ont beaucoup moins de possibilités que les fonctionnaires qui relèvent de la sécurité publique, notamment pour ce qui concerne l’accès aux fichiers. Aussi, si l’on est gardien de la paix, brigadier, brigadier-chef, officier au sein d’un service de la sécurité intérieure, on ne peut accéder à certains fichiers regroupés au sein du système de circulation hiérarchisée des enregistrements opérationnels de la police sécurisés (CHEOPS), puisque son accès est limité pour bon nombre de nos collègues relevant de la sécurité intérieure.

Il en va de même en ce qui concerne les rapports avec d’autres administrations. L’accès à certaines données comme les cartes d’identité, les passeports, dépend du bon vouloir des préfectures concernées. Heureusement, nombreux sont les fonctionnaires d’autres administrations qui font bon accueil aux policiers, mais ce n’est pas toujours le cas. C’est pourquoi les accès devraient être systématisés et tout ne devrait pas être fondé sur les relations qu’ont pu nouer nos collègues. On pourrait étendre ces considérations aux données fiscales et bancaires, vraiment indispensables à un travail efficace.

Autre gros point noir : la téléphonie – une nébuleuse inaccessible. La France compte plus de deux cents opérateurs qui vendent des numéros de téléphone. Les individus à surveiller possèdent parfois de dix à quinze puces. Nos collègues mettent parfois plusieurs mois pour identifier un numéro, et encore ne peuvent-ils le faire si on leur répond qu’il est impossible d’identifier le titulaire du numéro ou si le titulaire de la ligne se nomme, par exemple, « Azerty », comme les premières lettres d’un clavier, ou encore « Ministère de l’intérieur »… Autrement dit, aucun contrôle n’est exercé par les opérateurs. Il faut donc pouvoir s’assurer d’un vrai contrôle et de retours rapides. On compte en effet trop de filtres ; trop d’explications doivent être données à chaque étape pour obtenir des informations par le biais de la téléphonie. En outre, nous sommes l’un des rares pays d’Europe à payer les réquisitions téléphoniques. Les opérateurs gagnent de l’argent avec ces réquisitions ! Quand des marchés sont ouverts, les opérateurs sont prêts à payer des milliards d’euros pour y avoir accès. Il devient pour nous urgent de faire en sorte que les conventions passées avec eux stipulent que les réquisitions soient gratuites. Dès lors que la justice ou la sécurité nationale sont en jeu, fournir gratuitement les données requises doit faire partie de la mission de service public des opérateurs. Il n’est pas normal que cela nous coûte une somme aussi importante. Il faut savoir qu’à chaque fois que nos collègues formulent des demandes, la chaîne administrative fait bien comprendre qu’elles doivent être motivées car elles ont un coût.

M. Jean-Claude Delage, secrétaire général du syndicat Alliance police nationale. Avant l’installation de cette commission parlementaire, notre organisation avait créé une cellule chargée de réfléchir sur la manière dont le renseignement doit fonctionner, une question très importante pour les syndicats de la police, quel que soit leur niveau. Sur la voie publique, les primo-intervenants sont essentiellement des gradés et des gardiens du corps d’encadrement et d’application. Par manque d’effectifs ou de stratégie policière, ils sont souvent accompagnés par des adjoints de sécurité qui se retrouvent exposés en première ligne dans ces situations de danger.

Nous avons rédigé un petit livret d’une cinquantaine de pages que nous allons vous remettre, qui résume nos réflexions et nos analyses et contient quelques propositions ; il reproduit aussi la circulaire du ministre de l’intérieur sur les cellules de suivi dans les préfectures. M. Bernard Cazeneuve, que je considère comme un homme honnête et compétent, a pu constater qu’il était très difficile de mobiliser ses propres services : en février dernier, il a rappelé à l’ordre les nombreuses préfectures qui n’avaient toujours pas créé de cellule de suivi pour la prévention de la radicalisation et l’accompagnement des familles, conformément à la circulaire du 19 mai 2014.

S’agissant des effectifs, nous nous réjouissons que le Premier ministre ait décidé de débloquer des postes budgétaires sur trois ans, afin de renforcer les services de renseignement. Cela étant, nous ne sommes qu’à moitié satisfaits car, en attendant que les recrues sortent des écoles, au bout d’un an au minimum, ces fonctionnaires affectés au renseignement vont être pris dans d’autres services. Ces transferts vont donc dégarnir les services de sécurité publique ou de police aux frontières, c'est-à-dire les premiers à intervenir sur la voie publique.

Pour compenser les transferts pendant cette période de recrutement exceptionnel de quelque 1 100 fonctionnaires dans le renseignement, nous avons proposé d’utiliser un important vivier : des milliers d’adjoints de sécurité connaissent le terrain car, pour la plupart, ils ont passé plus de trois ans dans la police nationale où ils ont accompagné des gradés et des gardiens. Il semble que le ministre ait demandé à l’inspection générale de l'administration (IGA) ou à l'inspection générale de la police nationale (IGPN) d’étudier notre proposition. Ce pourrait être une solution temporaire au manque d'effectifs lié aux transferts vers les services de renseignement. N’oublions pas que les personnels transférés n’ont pas forcément une connaissance du domaine du renseignement, même s’il s’agit de policiers aguerris, et que nombre d’entre eux devront être formés avant d’être totalement opérationnels.

Monsieur le président, vous connaissez parfaitement les questions de sécurité sur lesquelles vous travaillez depuis de nombreuses années. Monsieur le rapporteur, vous êtes élu d’une ville, qui est aussi la mienne, où les questions de radicalisation sont prégnantes. D’ailleurs, même des villages peuvent être touchés par des formes de radicalisation et de fondamentalisme. Comme l’a dit Patrice Ribeiro, ces voyous qui assassinent sont souvent sans foi en plus d’être sans loi : ils se servent de l’islam – dont la vocation naturelle ne me semble pas être de prôner le djihad – comme d’un prétexte. Cependant, si les djihadistes n’ont souvent pas grand-chose à voir avec la foi et avec le prophète, cette radicalisation existe.

Depuis une vingtaine d’années, nous avons l’habitude d’être traités d’affreux réactionnaires par certains, toujours les mêmes. Au préalable, je précise donc que nous sommes des policiers républicains et non pas des extrémistes factieux qui pensent à déstabiliser la République, en défendant des idées attentatoires aux libertés.

Néanmoins, nous sommes des syndicalistes policiers. Dans les médias, j’ai pu aller assez loin, disant qu’il faudrait peut-être imaginer un Patriot Act à la française ou la création d’une base de données communautaire rassemblant des informations personnelles sur les passagers des compagnies aériennes, sur le modèle du Passenger Name Record (PNR). Peut-être faudrait-il que les parlementaires, de quelque bord qu’ils soient, s’interrogent sur ces questions ? En tant que policiers et citoyens, nous attendons des réponses efficaces à la guerre déclarée aux gens de ce pays qui veulent vivre en paix – qu’ils soient athées ou membre d’une religion ou d’une autre – par ceux qui ont décidé d’attaquer l’État de droit.

Ces propositions syndicales nous attirent des critiques, venant la plupart du temps de la gauche, au motif que ces mesures seraient attentatoires aux libertés. Assumant la position d’Alliance, je pense que, face à des situations exceptionnelles, il faut adopter des mesures exceptionnelles voire d’exception. Il appartient aux élus de la nation de faire preuve d’imagination pour empêcher l’extrémisme sous toutes ses formes dans la République.

Pour en revenir à vos travaux, je trouve que la création de cette commission d’enquête – qui n’a pas dû être facile – est une bonne chose, mais je regrette que son intitulé, un peu limité, suggère une surveillance des filières en amont alors qu’il faut aussi surveiller après, notamment en prison.

M. le président Éric Ciotti. En fait, il s’agit de suivi.

M. Jean-Claude Delage. À notre avis, il faut agir avant, pendant et après, et nous préoccuper notamment des relations que doit entretenir la police avec la justice, qui a aussi des cellules de prévention de la radicalisation et ses problèmes d’effectifs. Avant d’en venir à des propositions plus concrètes, je voudrais insister sur cet aspect philosophique : si la République française n’admet pas la nécessité de mesures d’exception techniques et juridiques pour faire face à cette guerre exceptionnelle, les policiers vont avoir du mal à lutter.

Nous avons retenu quelques thèmes majeurs : les interceptions de sécurité, la téléphonie et les fadettes, les réseaux sociaux, les sources, les croisements de fichiers, les bureaux de liaison, les fiches de postes, la formation qualifiante.

Le schéma des interceptions de sécurité n’est pas adapté et il faut revoir les procédures d’autorisation, le nombre d’interceptions, etc.

La téléphonie, les fadettes et les réseaux sociaux ont déjà suscité nombre de commentaires.

Pour ma part, je voudrais insister sur les sources. Certaines personnes, sans doute mal informées, viennent encore parler à la police, notamment sur des questions aussi sensibles que celles-là. Ces sources ne sont pas assez protégées, en particulier par l’anonymat de leur témoignage. Si elles courent un risque, elles vont se tarir : plus personne ne viendra apporter un quelconque renseignement ou concours aux forces de sécurité. Cette réflexion sur les sources émane à la fois de fonctionnaires de terrains de la DGSI ou du SCRT, et de fonctionnaires qui participent à la mission du renseignement en étant parfois hors de la police ou de la gendarmerie nationale.

Le croisement des fichiers est aussi un thème récurrent et tous les fonctionnaires de terrain se plaignent de ne pouvoir travailler avec le système actuel.

S’agissant des bureaux de liaison, l’administration en a créé un entre la DGSI et le SCRT qui, à notre avis, devraient être plus imbriqués qu’ils ne le sont. Dans le SCRT, des collègues s’occupent d’islamisme radical et ils sont parfois habilités au secret défense. La création d’un bureau de liaison est une bonne chose, mais les collègues du SCRT se plaignent de n’avoir souvent aucun retour concernant les informations qu’ils ont données, ce qui peut poser des problèmes de fonctionnement.

Je ne vous parlerai pas des fiches de postes, qui relèvent de l’organisation interne.

Au chapitre de la formation qualifiante, je vais citer le général Favier, ce qui ne m’arrive pas souvent. Dans un entretien accordé à l’agence AEF Sécurité globale, il parle de manière lucide de ce qu’il conviendrait de faire, notamment à propos des primo-intervenants : « Les gendarmes qui sont dans les brigades doivent être associés à ce recueil de renseignements, à cette lutte contre la radicalisation, à la détection des signaux faibles. »

Ce point, très intéressant, devrait être mis en application dans la police nationale, car beaucoup de policiers qui travaillent dans des directions non spécialisées – commissariats d’arrondissement de Paris, commissariats de sécurité publique de province, police aux frontières – sont toute la journée au contact de signaux faibles lors de leurs patrouilles, tout comme les gendarmes dans leurs brigades. Il faut donc former au renseignement et à la détection les policiers qui vont en patrouille sur la voie publique et qui sont les premiers au contact des signes faibles de radicalisation. M. Jean-Marc Falcone, le directeur général de la police nationale, l’a probablement préconisé, mais je n’ai pas lu d’entretien qu’il aurait donné.

M. le président Éric Ciotti. Nous le recevons demain.

M. Jean-Claude Delage. J’espère qu’il dira la même chose, car c’est fondamental. La formation qualifiante doit être améliorée et généralisée. Et s’il faut évidemment rapprocher la gendarmerie et la police, il faut aussi essayer de faire en sorte que le SCRT puisse se sentir dans la famille du renseignement.

Venons-en à notre « marronnier » : la sortie du renseignement territorial de la DCSP. Le nouveau chef du SCRT, Jérôme Léonnet, est un homme qui connaît et aime le renseignement où il a œuvré pendant une bonne partie de sa carrière, même s’il a effectué des passages dans d’autres domaines. C’est mieux que de voir arriver quelqu’un qui n’y connaît rien mais qui est bombardé chef de service parce qu’il fallait lui trouver une place. Néanmoins, nous continuons à le répéter : tant que le SCRT dépendra du directeur central de la sécurité publique, certains renseignements, remarques et signalements, ne remonteront pas à l’échelon supérieur. Lorsqu’un directeur central de la sécurité publique lit que la radicalisation perdure dans l’une des cités de son secteur, il a tendance à transformer la note ou à l’empêcher d’arriver à bonne destination, et le fonctionnaire qui l’a rédigée est un peu démotivé.

Dernier point : en matière de renseignement, de sécurité publique ou de lutte contre tel ou tel trafic, il faut avoir des agents motivés. Le plan Vigipirate est actuellement en vigueur, et personne ne peut contester la nécessité de protéger des bâtiments, même si je persiste à penser – et mes propos concernant Charlie Hebdo ont fait polémique – que la police nationale ne peut pas garder tous les locaux qui pourraient être menacés. Dans la situation particulière que nous vivons actuellement, nous avons heureusement le concours de l’armée – grâce à une décision politique qui n’a sûrement pas été facile à prendre – sans lequel la plupart des collègues des forces de sécurité intérieure de la police nationale et de la gendarmerie seraient mobilisés pour garder des bâtiments, et indisponibles pour assurer la sécurité des Français. Si le concours de l’armée s’arrête, il ne sera plus possible d’assurer le plan Vigipirate actuel.

À notre avis, la garde statique de bâtiments, sauf cas très particuliers et très ciblés, n’est pas une mission prioritaire pour les fonctionnaires de police. D’autres moyens peuvent être utilisés – le concours d’entreprises privées de sécurité, l’installation de sas, etc. – en fonction de la cible à protéger et du niveau de la menace. En revanche, la protection des personnes doit être assurée, mais nous devons nous poser certaines questions : qui protéger ? Pendant combien de temps ?

Pour avoir des fonctionnaires motivés, il faut une carotte. Aujourd’hui, les policiers – les gradés et les gardiens qui sont sur le terrain, en particulier – sont très fatigués, même s’ils savent l’intérêt et l’importance de leur mission. Il faut assouplir le système. Comment donner encore plus envie de retourner au travail à quelqu’un qui y passe déjà beaucoup de temps ? Il existait un système d’heures supplémentaires, baptisé « optimisation opérationnelle », à l’époque de Claude Guéant. Ce système d’optimisation opérationnelle permettait aux policiers qui le souhaitaient de faire des heures supplémentaires, et donc d’améliorer la capacité opérationnelle de la police, en contrepartie d’une rémunération horaire supérieure. Un tel système permettrait aux policiers qui ont envie de faire plus – même s’ils sont déjà beaucoup utilisés –, de ne pas faire plus pour rien. Cela motiverait les troupes.

M. le président Éric Ciotti. Nous allons passer aux questions, en commençant par celles de MM. Goasguen et Pueyo.

M. Claude Goasguen. Madame Da Pozzo, vous vous occupez particulièrement des djihadistes qui sont revenus. Quelles relations entretenez-vous avec le pôle terroriste, avec l’administration pénitentiaire et avec les juges qui se prononcent sur l’éventuelle libération de ces djihadistes ? Quels sont vos besoins et vos difficultés ?

M. Joaquim Pueyo. Je m’interroge pour ma part sur la coordination du renseignement entre les prisons, les services et la société civile. La culture du renseignement s’est peut-être affaiblie en France, au cours des dernières années. Le renseignement est efficace si la société civile y participe, dans le respect des règles déontologiques qui s’imposent. Il ne faut pas opposer la police et la justice, ni remettre systématiquement en question la CNIL, même si son rôle peut engendrer des lourdeurs. Je suis favorable à l’évolution du renseignement – nous allons en débattre prochainement à la faveur d’un texte de loi – et au renforcement de ses moyens techniques et juridiques.

Il y a quinze jours, je suis allé avec le président Ciotti au Danemark où les policiers mettent en place des programmes de déradicalisation. Lorsqu’un renseignement intéressant leur parvient – de leurs services, des services sociaux ou des services éducatifs –, ils se réunissent et décident de suivre la personne concernée. Qu’en pensez-vous ? Pourrait-on s’inspirer de cette expérience ?

Mme Sophie Da Pozzo, conseillère technique du syndicat Synergie-Officiers. En ce qui concerne l’administration pénitentiaire, nous sommes dépendants des magistrats qui sont eux-mêmes assez débordés. Nous n’avons pas d’accès au fichier de l’administration pénitentiaire, alors que cela pourrait nous aider dans le cadre de nos recherches. Dans le cas de Charlie Hebdo, dont j’ai géré une partie du dossier pour la DGSI, on nous a demandé d’analyser l’environnement des frères Kouachi, ce qui impliquait de retracer leur passé carcéral. En n’ayant pas accès au fichier de l’administration pénitentiaire, je vous laisse imaginer la difficulté : les quelques fonctionnaires pénitentiaires qui géraient ledit fichier étaient harcelés de demandes venant de différents services de police.

M. Claude Goasguen. Pourquoi ne passiez-vous pas par les magistrats du pôle antiterroriste pour y avoir accès ?

Mme Sophie Da Pozzo. Ils ont effectivement accès à ce fichier, mais ils étaient tous en cellule de crise et également débordés par les demandes, notamment parce que trois services étaient conjointement saisis de cette enquête : la section antiterroriste (SAT), la sous-direction antiterroriste (SDAT) et la DGSI. Ils devaient répondre à de nombreux interlocuteurs tout en ayant à multiplier les comptes rendus à leur hiérarchie.

Dans le suivi des djihadistes, nous n’avons aucun accès au juge des libertés et de la détention (JLD). Nous n’avons pas de nouvelles directes des personnes placées en détention provisoire. J’ai appris la prochaine libération de certains détenus grâce aux écoutes dont fait l’objet la femme de l’un d’entre eux et grâce à la presse. Les liaisons que nous pouvons avoir avec l’administration pénitentiaire sont totalement informelles.

M. Claude Goasguen. Ce que vous décrivez est invraisemblable. Quand nous les avons interrogés, les magistrats du pôle antiterroriste nous ont d’ailleurs fait la même réponse que vous. Un détenu va pouvoir sortir au prétexte qu’il a une perspective de réinsertion sociale quand il raconte qu’un employeur – un copain quelconque – va l’embaucher comme menuisier. En réalité, vous l’avez suivi pendant des mois, voire des années, et vous n’êtes même pas au courant de cette éventuelle possibilité de réinsertion. Cela ne peut pas durer ! Je vous remercie pour cette contribution importante.

Mme Céline Berthon. Pour ma part, je voudrais préciser que la CNIL n’est pas notre ennemie, car les services de police représentent l’État et leurs personnels sont démocrates et républicains. Cela ne nous pose aucune difficulté de nous soumettre à un contrôle, mais encore faut-il que le bon sens prévale. Quand nous ne sommes plus en mesure de réaliser certains actes élémentaires qui contribueraient à l’efficacité de l’action de l’État, c’est qu’il y a un problème. La CNIL pourrait jouer son rôle en étant moins asphyxiante despotique pour les services de police, qui ont actuellement l’impression de faire l’objet d’une présomption de culpabilité permanente.

S’agissant de la déradicalisation, je pense que tout ce qui contribue à une approche globale doit être encouragé. Cela étant, ce n’est pas aux policiers de s’assurer de la déradicalisation des individus : non seulement nous n’avons pas les compétences requises mais, en plus, nous avons beaucoup d’autres choses à faire. Nous avons affaire à des individus dont les motivations sont extrêmement variables et multiformes : certains sont des déséquilibrés mentaux, d’autres sont désespérés, d’autres sont victimes d’emprise mentale. Je pense que les policiers qui sont autour de cette table et ceux qu’ils représentent n’ont pas la prétention de savoir déradicaliser un individu.

M. Joaquim Pueyo. Tel n’était pas le sens de ma question car je sais très bien que ce n’est pas le rôle de la police. Je voulais avoir votre point de vue sur la démarche de déradicalisation et sur le travail de coordination qu’elle suppose. Le renseignement se pratique partout et pas seulement dans les prisons. Une coopération minimale est nécessaire entre la police et la société civile.

Mme Céline Berthon. La police est plutôt exemplaire, notamment en ce qui concerne sa participation aux dispositifs récemment créés, alors que d’autres acteurs peuvent se montrer suspicieux sauf quand leur responsabilité peut être engagée. Dans ce dernier cas, ils peuvent alors se mettre à tout signaler, sans filtrer. Les policiers de l’UCLAT, de la DRPP, de la DGSI ou du SCRT expliquent qu’ils ont à gérer des signalements concernant des individus qui ne sont pas vraiment en phase de radicalisation. Le service social les signale pour ne pas avoir à s’en occuper : une fois que le signalement arrive à la plateforme de l’UCLAT, c’est le problème de la police.

Nous ne refusons pas la coopération mais elle suppose d’avoir les outils pour mettre en musique tous les capteurs de renseignement. Prenons la consultation des fichiers de police. Certains policiers des services de renseignement, le SCRT par exemple, n’ont pas l’habilitation judiciaire qui leur permettrait d’accéder à certains fichiers, parce que la CNIL ne l’autorise pas.

En outre, quand il effectue une recherche, le policier doit saisir quinze fois le même nom dans quinze fichiers différents pour avoir quinze réponses. Il ne peut pas entrer un nom et obtenir la liste de tous les fichiers où ce nom figure. Et je ne parle que des fichiers auxquels les services de police ont accès. Imaginez la manne d’informations qui existe dans l’ensemble des fichiers détenus par l’État. Nous ne demandons pas à avoir accès à tout et à tout prix. Il faudrait que, quand nous nous intéressons à un individu, nous puissions avoir un point d’entrée : partant d’un nom, le système nous indiquerait s’il y a des réponses positives dans tel ou tel fichier, ce qui nous permettrait d’aller chercher l’information au bon endroit. Nous nous privons trop de possibilités d’accès. Il existe des intermédiaires mais, comme nous, ils sont asphyxiés par la masse. C’est une question d’incapacité collective, pas de mauvaise volonté.

M. Christophe Dumont, secrétaire national du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI). Des outils existent qui pourraient nous permettre de répondre à deux des problèmes soulevés – la carence de coopération avec la justice, la déradicalisation –, encore faut-il les mettre correctement en œuvre. S’il ne faut pas regarder trop longtemps dans le rétroviseur parce que l’actualité nous oblige à aller très vite, il ne faut pas non plus nous priver de regarder ce qui a fonctionné par le passé.

La déradicalisation repose sur la détermination de profils. Un policier qui exerce une mission de renseignement doit prendre du temps pour définir un profil et remarquer, par exemple, qu’un jeune qui a grandi dans une banlieue donne une signification politique à des actes criminels qu’il a commis après avoir fait certaines rencontres.

Comment remédier aux carences en matière de coopération avec les services judiciaires ? Alors que les renseignements généraux ont laissé la place à la sous-direction de l'information générale (SDIG) qui a elle-même disparu au profit du SCRT, il me semble important de revenir aux fondamentaux de la coopération. Le renseignement de proximité, glané par le SCRT ou la DRPP, va permettre d’alimenter le dossier lors la phase de coopération judiciaire, c'est-à-dire lorsque la justice sera saisie. Tout d’abord, ce travail de renseignement de proximité, effectué en amont, doit être la priorité des services concernés : ceux-ci doivent être dégagés des autres missions fondamentales de sécurité publique, et le SCRT doit être détaché de la DCSP. Ensuite, tous les services à mission de renseignement doivent fonctionner comme une chaîne logique, en développant une coopération fondée sur les discussions et surtout sur une consultation des fichiers qui soit traçable, pour en garantir la sécurité. Tous ces services à mission de renseignement doivent constituer une entité cohérente, fondée sur le partage des moyens et des ressources. Il s’agit d’unifier les services qui existent au sein d’une communauté nationale du renseignement.

M. le président Éric Ciotti. Nombre de vos interventions portent sur la coordination des différents services de renseignement, leur degré d’autonomie ou leur intégration dans un cadre plus large. Le SCRT ne devrait plus faire partie de la DCSP, dites-vous, monsieur Dumont. Où doit-il être, selon vous ? En suivant votre logique, nous en viendrions à recréer une direction autonome, comme les renseignements généraux dans le modèle antérieur qui ne présentait pas que des avantages, notamment en matière de coordination : deux systèmes très concurrentiels et qui se parlaient assez peu.

La création de la DCRI visait précisément à gommer cette ignorance réciproque, volontaire ou non. Si on revient à un tel système, la DGSI doit-elle être la structure de rattachement du renseignement territorial ? Quelle place les gendarmes doivent-ils occuper dans ce système ? Quel modèle d’organisation du renseignement du terrain préconisez-vous ? C’est l’un des sujets sur lesquels nous devrons nous pencher. Les événements incitent à favoriser la coopération et la coordination. Des progrès ont été accomplis par la DCRI puis la DGSI, malgré les dégâts collatéraux dont vous avez été témoins. Comment les corriger ? Quelle serait, selon vous, l’organisation optimale ?

M. Jean-Paul Mégret. Avant de répondre à votre question, j’aimerais revenir à la CNIL. Les textes fondateurs de la CNIL, qui datent de janvier 1978, n’ont pas prévu la quantité de traitements de fichiers numériques désormais rendus possibles par internet. La CNIL est donc très en retard en termes de big data, si vous me permettez cet anglicisme. Sur sa tablette ou son smartphone, un simple particulier qui consulte un site peut se voir proposer des croisements de fichiers que les services de l’État, pourtant tracés et légalement investis, n’ont pas le droit de faire. Cet énorme hiatus montre que ce texte très ancien – que la CNIL ne fait qu’appliquer – n’est pas adapté à internet. Si nous en restons là, nous resterons bloqués à une époque où les fichiers étaient gérés manuellement. Il est très difficile de ne pas prendre en compte les progrès du numérique et les croisements de données que chacun peut faire à titre privé, de manière quasi automatique.

Quant à la déradicalisation à la danoise, elle a montré ses limites, notamment parce qu’elle se pratique quasi exclusivement en milieu ouvert, ce que nous ne pouvons cautionner pour la France.

Quelle serait l’organisation optimale ? N’oublions pas trop vite les dysfonctionnements qui existaient à l’époque de la DCRG, une organisation qui était un peu en déshérence depuis 1995, suite aux évolutions du suivi politique et sociétal pour lequel elle avait été initialement créée. Il paraissait légitime de vouloir un dispositif beaucoup plus technique, avec des garanties qu’ont successivement offertes la DCRI puis la DGSI.

En ce qui concerne les relations entre le renseignement territorial et la DGSI, il s’agit moins de se préoccuper d’histoires de concurrence entre directions que de savoir comment parvenir à gérer la masse des données qui remontent lors de réunions et de partenariats locaux, y compris en provenance de l’éducation nationale. Cette masse est telle qu’elle est difficilement traitable, même quand les antennes locales du renseignement territorial et la DGSI se partagent la tâche.

Nous sommes, par exemple, informés que certains parents empêchent leurs enfants de participer à des fêtes d’écoles maternelles ou primaires, afin qu’ils n’écoutent pas de musique. La famille n’est pas forcément dans un processus djihadiste, mais nous devons nous en assurer. Le plus désespérant est que, même si nos effectifs augmentaient de manière exponentielle, cette masse d’informations serait encore difficilement traitable : les signaux arrivent de toutes parts et une menace succède à une autre. Quand le traitement judiciaire, à partir de la garde à vue, ne se solde pas par une incarcération, il faut poursuivre la surveillance en milieu ouvert. En l’état actuel des choses et des menaces, tous les services de police et de gendarmerie coopèrent mais ils sont incapables de tout traiter.

M. le président Éric Ciotti. Nous avons bien compris. Concrètement, dans quelle hiérarchie mettez-vous le renseignement territorial ? S’il sortait de la sécurité publique, à quelle structure devrait-il être rattaché ?

M. Jean-Claude Delage. Avant de répondre sur le positionnement du renseignement territorial, je voudrais parler de légitime défense. Dans la dépêche de l’agence AEF Sécurité globale, le général Favier dit également : « Face à une situation de solo djihad, les unités élémentaires doivent être en mesure de pouvoir faire usage de leurs armes pour y mettre un terme le plus vite possible. » Je profite de l’occasion qui m’est donnée, suite à la proposition que vous avez présentée sur la légitime défense, pour dire que cette question va continuer à se poser pour les policiers sur le terrain, notamment en matière de lutte contre le « solo djihad » – les actions menées par des individus isolés – et des événements tels que ceux qui se sont déroulés en France ou au Danemark. Les policiers ne sont pas suffisamment armés, ni techniquement ni juridiquement, pour pouvoir lutter efficacement. Nous espérons que le Parlement français va nous donner davantage de moyens et dans un délai très raisonnable.

M. le président Éric Ciotti. Le débat aura lieu le 25 mars en commission des lois et le 2 avril dans l’hémicycle.

M. Jean-Claude Delage. Je ne doute pas que tous les parlementaires français en comprendront tout l’intérêt.

M. le président Éric Ciotti. Je ne garantis pas l’adoption du texte, mais nous aurons au moins le débat.

M. Jean-Claude Delage. Peu importe. Tous les policiers français, sur le terrain, attendent une modification des textes sur la légitime défense. C’est bien que tout le monde l’entende, après chacun est libre de son vote.

S’agissant du rattachement du renseignement territorial, nous pouvons vous renvoyer une proposition que nous avions faite il y a très longtemps. Parmi 110 propositions d’Alliance – remises à M. Manuel Valls en octobre 2012, puis à M. Bernard Cazeneuve plus récemment – figure celle de recréer une direction générale du renseignement. Au cas où cette proposition ne serait pas retenue car elle nécessite la remise en place de structures, nous proposons des solutions intermédiaires, comme celle qui consisterait à créer une direction centrale du renseignement territorial. On nous oppose qu’il faudrait encore créer un poste de directeur. Des postes de préfet et de directeur, il s’en crée tous les jours et nous n’en sommes plus à un près. On peut d’ailleurs en supprimer un autre pour respecter les contraintes budgétaires.

On peut comprendre les réticences à créer une direction qui rappellerait la direction centrale des renseignements généraux. Cela étant, certains journalistes ne semblent pas avertis de sa disparition : dans Le Parisien, j’ai encore vu la référence à une note sur les dysfonctionnements de l’hôpital public en France qui est attribuée aux renseignements généraux.

Une troisième idée consisterait à créer un service central du renseignement territorial qui pourrait être fonctionnellement – et politiquement – rattaché au directeur général de la police nationale. Le renseignement serait ainsi géré par le directeur général de la police nationale et non plus le directeur central de la sécurité publique qui peut être tenté de ne pas tout analyser.

M le président Éric Ciotti. Que pensez-vous d’un double rattachement à la direction générale de la police nationale et à la direction générale de la gendarmerie nationale ?

M. Jean-Claude Delage. Les gendarmes occupent une place dans le renseignement territorial mais, contrairement à d’autres, nous ne prônons pas leur entrée au sein de la DGSI. Pour l’heure, les gendarmes font – et plutôt bien pour la plupart d’entre eux – du renseignement territorial. Quand la direction centrale des renseignements généraux a disparu, ils ont même créé les « RG » de la gendarmerie. Nier le principe de réalité serait stupide : les gendarmes travaillant dans le renseignement, nous pensons qu’il faut mieux organiser les choses pour améliorer la coopération entre les services.

Mme Céline Berthon. Notre position est un peu différente. J’ai posé en préambule qu’il ne s’agissait pas de rechercher les responsabilités et qu’il n’y avait pas lieu de faire le procès du renseignement territorial qui, dans la gestion de cette crise, a su faire preuve de son savoir-faire, d’adaptation et de réaction. Nous sommes confrontés à un phénomène qu’il faut détecter à partir de signaux extrêmement faibles. La sécurité publique est la maison de la police du quotidien. Ses agents intervenant sur tous les territoires et dans tous les domaines, elle doit intégrer cette culture du renseignement afin d’être à même de traiter et de mettre très tôt à disposition des informations susceptibles d’être utilisées par un service de renseignement. Nous sommes dans une période où il est important de ne pas fragiliser les organismes.

Au cours des six ou sept dernières années, les services de renseignement ont été soumis à un rythme très soutenu de réformes, parfois quelque peu brouillonnes, parfois dans la précipitation, qui n’ont pas toujours conduit aux meilleurs résultats. Comme l’a dit mon collègue Jean-Paul Mégret, il faut se souvenir des difficultés et des questionnements qui existaient avant 2008, et qui ont pu expliquer le choix de la sécurité publique. Il ne faut pas recréer des frontières supplémentaires entre des métiers et des maisons au moment où il est important de partager l’information afin qu’elle devienne un renseignement exploitable pour le but que l’on se fixe. Effectivement, il existe aujourd’hui des dispositifs de coordination qui ont fait la preuve de leur efficacité. Certes, cela constitue un investissement – dont on ne peut divulguer ici les montants, mais, en proportion, la DGSI représente plusieurs milliers de personnes et bientôt le SCRT en représentera autant ; si l’on rapporte ce nombre à celui des personnes qu’il est nécessaire de mettre dans ces bureaux, je ne suis pas sûre que ce soit chronophage ni coûteux à l’extrême ; je crois au contraire que c’est un investissement très intéressant. Sortir le renseignement territorial de la DCSP incitera en outre celle-ci à recréer sa capacité d’anticipation opérationnelle, car elle ne pourra pas se couper de cette réalité.

M. Patrick Mennucci, rapporteur. J’ai été frappé de constater qu’il existe un questionnement dans ce pays au sujet du lien existant entre la justice et le renseignement, et cela, je l’ai entendu des deux parties, des procédures judiciaires pouvant pâtir de défauts d’informations. Le problème de la circulation de l’information doit être un sujet central de notre rapport et faire l’objet de propositions. Le travail avance puisque demain la commission des Lois doit désigner un rapporteur sur le projet de loi relatif au renseignement et le texte sera présenté à l’Assemblée nationale au cours du mois prochain. Ce que vous nous avez dit aujourd’hui au sujet des téléphones et des fichiers constituent autant de sujets sur lesquels ce texte permettra de progresser. Publié en mai 2013, le rapport de la commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés, dont MM. Cavard et Urvoas étaient respectivement président et rapporteur, faisait déjà état des mêmes préoccupations au sujet des relations avec la CNIL. Ce rapport ne dit pas que cette institution soit de mauvaise volonté ; il dit que des évolutions sont nécessaires. La question n’est pas d’opposer les services de police et de renseignement à la CNIL : la balle est désormais dans le camp du législateur qui doit faire en sorte que cette institution dispose des autorisations et des moyens nécessaires. C’est un des éléments qui devront être traités dans notre rapport.

Par ailleurs, j’ai entendu évoquer des problèmes d’avancement dans le renseignement, mais aussi le fait que les enquêteurs judiciaires ne seraient pas assez nombreux, avec un effectif limité à 200. Est-ce vrai ? Pourquoi faut-il quitter le renseignement pour faire carrière dans un autre service ?

M. le président Éric Ciotti. Certains représentants de l’autorité judiciaire compétente en matière de terrorisme nous ont indiqué qu’en matière de police judiciaire l’effectif au sein de la DCPJ, de la DGSI, de la DRPP et de la SDAT est insuffisant puisqu’il s’élève à 200 personnes.

Mme Sophie Da Pozzo. Nous sommes 60 à la DGSI, à peu près autant à la SDAT et probablement moins à la SAT. Il y a un problème de coordination et de circulation de l’information entre ces trois entités. La DGSI me semble être la mieux qualifiée pour effectuer le travail de centralisation nécessaire car nous possédons la plus importante base de données. De fait, toutes les personnes adressées par le parquet aux juges d’instruction qui les suivent font l’objet d’un criblage à la DGSI.

M. le président Éric Ciotti. Ainsi, la part judiciaire du travail de la DGSI, si elle n’est pas sa vocation première, reste très importante et mériterait une meilleure dotation en moyens humains ?

Mme Sophie Da Pozzo. Compte tenu de l’augmentation continue du volume global des saisines, nous avons besoin de plus de moyens humains. La coordination entre les services de renseignement et les services judiciaires pose aussi problème. La DGSI fait du renseignement en amont, mais, nos agents n’ayant que très difficilement accès aux fichiers, en cas d’urgence ils judiciarisent prématurément des situations qui ne devraient pas encore l’être afin de bénéficier d’une réaction rapide des services judiciaires. Elle a, certes, accès à certains fichiers, mais pas à tous, notamment pas à ceux des caisses d’allocations familiales ou du fisc. Parfois, avec un bon interlocuteur, et en fonction des régions concernées, le délai peut descendre jusqu’à trois ou quatre jours. Cependant, il m’est arrivé d’attendre trois semaines pour obtenir des renseignements de base concernant des personnes revenant de Syrie ou sur le point de partir, et que l’on nous presse d’interpeller !

Par ailleurs, lorsqu’un individu doit être placé entre les mains de la justice, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), dont je ne conteste pas l’utilité, refuse que des interceptions concernant l’intéressé soient pratiquées. Or, dans un service juridique comme le mien, placé au cœur d’une agence de renseignement, les structures de renseignement pourraient effectuer le travail « périphérique » et, le cas échéant, traduire des personnes devant la justice. Cela représenterait un gain de temps considérable et les magistrats sont en accord avec cette démarche.

M. Philippe Capon. En ce qui concerne les gradés gardiens de la police nationale qui forment le corps d’encadrement et d’application, leurs problèmes d’avancement proviennent du déroulement de carrière. Ils ne peuvent pas toujours obtenir une promotion dans la direction où ils se trouvent, ils sont parfois obligés d’en changer. Cela est dû au fait que certains services ne proposent pas assez de postes et qu’ils sont gérés, à l’échelon national, par la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN). Apporter une réponse à cette question permettrait de fidéliser les agents dans leur poste.

Par ailleurs, je tiens à signaler, qu’au sujet du service central du renseignement territorial, notre position est la même que celle de nos collègues du SCPN. Enfin, en réponse à M. Delage, je tiens à préciser que, si la question de l’auto défense concerne tous les policiers, tous n’en ont pas pour autant la même conception.

M. Francis Sauvadet (Unité SGP Police-FO). Je souhaiterais apporter le témoignage d’un policier provincial de la DGSI. Je suis surpris de constater qu’une évolution doctrinale majeure de notre direction ne soit pas plus discutée. Je veux parler de la judiciarisation. Aujourd’hui, nous traitons judiciairement une partie des dossiers qui ne nous étaient pas dévolus auparavant. Cette évolution est très importante.

Cela étant dit, pour répondre à votre question, il pourrait y avoir, dans les tribunaux de grande instance (TGI), un magistrat, et un seul, qui s’occuperait des problématiques de l’antiterrorisme. Le problème qui a été évoqué à l’instant n’est que parisien. Le parquet antiterroriste et la DGSI travaillent en proximité puisque tout le monde est à Paris ou Levallois. Mais lorsque l’on est à Clermont-Ferrand, dans le ressort de la prison de Moulins-Yzeure ou ailleurs, quels sont nos interlocuteurs ? A qui s’adresser si l’on veut obtenir, non pas un contrôle, mais simplement une discussion ? Faut-il se rapprocher des juges parisiens, ou essayer de travailler localement ? Au quotidien, nous n’avons pas d’interlocuteurs attitrés au sein des services judiciaires.

Pour avoir travaillé aux renseignements généraux, je connais bien le travail qu’on y fait et j’affirme que, si le renseignement territorial n’a pas les moyens d’accomplir sa mission, la DGSI n’aura pas non plus les moyens d’accomplir la sienne. Les gens qui y travaillent sont semblables aux orpailleurs : nous sommes là pour sortir la pépite, mais le sable, c’est le RT qui va le chercher au fond de la rivière. Les signaux faibles qui ont été évoqués représentent un travail quotidien. J’ignore où il faut placer dans l’organigramme les gens qui font ce travail, mais il faut les protéger. La réalité, c’est que tout repose sur l’appétence du directeur départemental de la sécurité publique pour la matière. S’il s’y intéresse, on a un service de RT qui fonctionne ; sinon les agents se contentent d’être une brigade d’intervention sur la voie publique, font éventuellement du maintien de l’ordre à l’occasion de problèmes sociaux, mais plus du tout du renseignement.

À la DGSI, nous allons chercher du renseignement sans annoncer notre raison sociale : il ne faut être ni vu ni reconnu. Les agents du renseignement territorial, eux, annoncent la couleur, ils font du renseignement ouvert ; il ne faut donc pas tout leur demander. À Paris, le renseignement ouvert peut se comprendre, mais dans une ville de province ou un petit village, on ne peut pas demander à un collègue qui suit une manifestation d’aller, deux jours après, surveiller un individu en voie de radicalisation : il serait tout de suite identifié. Il faut donc faire des choix et, si l’on souhaite créer des unités de recherche, ne faire travailler ceux qui les composent qu’à couvert.

M. Jean-Marc Bailleul. Nous touchons là aux réalités du terrain. Notre préférence allait à une grande direction du renseignement regroupant l’ensemble, y compris le renseignement territorial. Mais nous avons constaté que d’autres options avaient été retenues, au motif que, vis-à-vis des autres services européens, un regroupement global serait compliqué – c’est la position constante de la DGSI. Il faut donc poser la question de l’autonomie financière comme moyen de reconnaissance, celle des formations communes, mais aussi celle de la gestion des carrières. À titre d’exemple, lorsqu’un officier est adjoint d’un gendarme, il sera promu au grade de commandant ; s’il est adjoint d’un commandant de police, il sera seulement capitaine !

Dans les petites unités de renseignement territorial, il sera délicat de surveiller la manifestation locale et d’aller, le lendemain, « planquer » devant une petite mosquée susceptible de former des extrémistes. C’est pour cela que nous voulions un rattachement à la direction générale : pour éviter la confusion des missions et des genres. La communauté du renseignement peut y répondre, ainsi que l’indépendance financière et les stages de formation commune. De fait, il y a de plus en plus de mosquées. Or il n’y a pas d’agents de la DGSI dans tous les départements de France. Il y a, certes, des services de sécurité intérieure, mais dont les effectifs sont parfois insuffisants. À Manosque, par exemple, il y a deux agents : un actif et une administrative ; comment pourraient-ils faire du travail de renseignement de qualité dans le cadre de la DGSI ? Le problème de la police, et maintenant de la gendarmerie, c’est que l’on travaille en tuyaux d’orgue. Le fait que la gendarmerie ait créé sa propre sous-direction de l’anticipation opérationnelle pose aussi problème ; il aurait fallu créer une coordination entre les deux services. Il serait temps que ceux qui travaillent la même matière le fassent ensemble ; ils sont déjà au sein du même ministère, il me semble que nous pouvons aller plus loin. J’ai bien aimé l’image de l’orpaillage, et si l’on ne permet pas au renseignement territorial de rapporter un tas de sable et de cailloux, on aura du mal à trouver la pépite.

M. le président Éric Ciotti. Je vous remercie pour cette audition très instructive et très importante. Le projet de loi relatif au renseignement va venir. C’est un autre débat dans lequel nous reprendrons nos positions classiques et sur lequel je déposerai des amendements. Le texte donne un cadre administratif au renseignement, mais reste muet, par exemple, sur l’interconnexion des fichiers. Il s’agit d’un débat plus large, que nous aurons en commission. Nous intégrerons vos propositions dans notre rapport et il reviendra au législateur de les reprendre ou non.

Nous savons que vous exercez votre mission dans les conditions tendues. Vous avez évoqué la question de Vigipirate et vous êtes soumis à une sollicitation opérationnelle importante qui, d’ailleurs, ne pourra pas durer éternellement. Je tiens, à travers vous, à rendre hommage à tous ceux qui, aujourd’hui, dans la police, s’acquittent de cette lourde tâche.

La séance est levée à 12 heures 30.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Éric Ciotti, M. Claude Goasguen, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. François Loncle, M. Patrick Mennucci, M. Jacques Myard, M. Sébastien Pietrasanta, M. Joaquim Pueyo

Excusés. - M. Christophe Cavard, M. Patrice Verchère