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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 4 juillet 2012

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Gilles Carrez, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur la certification des comptes de l’État – exercice 2011 –, sur le rapport relatif aux résultats et à la gestion budgétaire de l’exercice 2011 et sur le rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques

–  Présences en réunion 23

La Commission procède à l’audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur la certification des comptes de l’État – exercice 2011 –, sur le rapport relatif aux résultats et à la gestion budgétaire de l’exercice 2011 et sur le rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques.

M. le président Gilles Carrez. Au moment d’entamer notre première audition, que nous consacrerons à M. le Pemier président de la Cour des comptes – preuve de la qualité et de la constance des relations que la Commission entretient avec la Cour –, je voudrais que nous ayons une pensée pour notre collègue Olivier Ferrand, qui était encore parmi nous jeudi dernier. C’est une grande perte non seulement pour sa famille, pour ses amis, mais aussi pour notre commission.

C’est une « trilogie » que vous nous présentez aujourd’hui, monsieur le Premier président, composée du rapport sur l’exécution des comptes 2011, de l’acte de certification des comptes, nouvelle mission de la Cour depuis la loi organique de 2001, et du rapport que vous consacrez chaque année à la situation et aux perspectives des finances publiques.

Dans ce dernier rapport, la Cour s’inscrit dans la continuité des analyses consacrées en février et en mai à la situation des finances publiques, dont elle reprend le message : celui de la nécessaire maîtrise de nos dépenses publiques.

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le Président, monsieur le rapporteur général, Christian Eckert, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi de m’associer, à titre personnel, à la tristesse suscitée par la disparition brutale d’Olivier Ferrand, dont l’annonce nous a tous bouleversés.

Je vous remercie d’avoir, pour la première audition de la Commission des finances de la législature, choisi d’entendre la Cour des comptes. Vous le savez, l’une des missions de notre juridiction est de vous faire part de ses constats, analyses et préconisations sur la situation des comptes de l’État et, plus largement, sur celle des finances publiques. À travers les rapports prévus par la loi organique relative aux lois de finances, mais aussi les enquêtes que vous nous demandez chaque année, les travaux d’évaluation des politiques publiques que nous vous livrons, ainsi que les rapports publics thématiques, référés et rapports particuliers dont vous prenez connaissance, la Cour remplit sa mission d’assistance au Parlement pour le contrôle de l’action du Gouvernement.

Je suis accompagné de Raoul Briet, président de la première chambre et président de la formation interchambres « Exécution du budget et comptes de l’État », de Jean-Marie Bertrand, président de chambre et rapporteur général de la Cour, de Denis Morin et François Ecalle, conseillers maîtres, qui ont, avec d’autres magistrats, préparé ce rapport.

L’audition de ce matin permet à la Cour de vous livrer son analyse destinée à nourrir le débat d’orientation des finances publiques. Le rapport sur les finances publiques inclut cette année, conformément à une demande du Premier ministre, une évaluation détaillée des risques pesant sur la fin de la gestion 2012 et des enjeux qui sont associés, pour les années suivantes, au respect de la trajectoire de retour à l’équilibre des comptes publics. Dans le cadre de la procédure contradictoire, le Gouvernement a eu connaissance d’une version provisoire du rapport dès le 22 juin. Il a donc pu tirer parti de cette analyse avant de prendre les arbitrages qui lui reviennent et d’élaborer le projet de loi de finances rectificative que vous examinerez très prochainement et qui sera soumis à votre approbation.

La Cour n’a pas eu l’occasion de vous présenter les deux travaux qu’elle a livrés à l’attention du Parlement en mai et que j’ai eu l’occasion de présenter devant la Commission des finances du Sénat : l’acte de certification des comptes pour 2011 et le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de 2011. Je vous présenterai donc de façon très synthétique les enseignements qu’il convient d’en tirer pour l’État. Ensuite, j’élargirai l’analyse à toutes les administrations publiques en 2011, dans l’esprit du rapport sur les finances publiques publié avant-hier. Puis je vous présenterai les enjeux de la conduite du redressement pour 2012, 2013 et les années suivantes.

Avant tout, je souhaite insister sur l’enjeu que représente pour la France, à ce moment de son histoire, le retour à l’équilibre durable de ses comptes publics. N’ayant pas assuré depuis plus de trente ans l’équilibre de ses comptes – ne serait-ce qu’une année, même en période de forte croissance –, la France est entrée dans la crise avec une dette trop élevée et des comptes en déficit structurel. Au cours des dix années qui ont précédé la crise, nos engagements européens de redressement des comptes n’ont quasiment jamais été tenus. Maintes fois, le retour à l’équilibre de nos comptes a été annoncé et sans cesse différé, alors que les contextes économiques étaient dans certaines circonstances favorables à un tel rétablissement. Cette situation a nui à la crédibilité de la France à l’égard de ses partenaires européens.

Au plus fort de la crise, en 2009, le déficit public a atteint le niveau historique de 142 milliards d’euros, soit 7,5 % du PIB. La dette a vivement progressé et devrait dépasser, à la fin de l’année 2012 ou au début de 2013, 90 % du PIB. Ce niveau d’endettement est dangereux pour notre pays, pour son économie comme pour ses finances publiques. En effet, le risque d’un emballement de la dette ne peut être écarté. La crise des dettes souveraines en Europe montre que ce risque n’est pas théorique. Lorsqu’elles sont avérées, de telles situations conduisent les États concernés à des choix économiques et sociaux drastiques et à un renoncement douloureux à leur souveraineté.

Afin que ce risque ne se concrétise pas, il convient que la France respecte la trajectoire de financement qu’elle s’est fixée et qui passe par un déficit de 4,4 % du PIB en 2012 puis, depuis le programme de stabilité de janvier 2010, par un déficit de 3 % du PIB en 2013, pour atteindre l’équilibre en 2016 ou 2017. D’autres raisons militent pour un retour à l’équilibre rapide des comptes publics. La première est le niveau atteint par la charge d’intérêt des administrations publiques, soit 52,6 milliards d’euros. Il prive notre pays d’importantes marges de manœuvre qui lui manquent particulièrement en période de crise. Plus le redressement sera tardif, plus il sera difficile à conduire : si agir a un coût, ne pas agir en aura un, selon nous, encore plus grand, parce qu’entre-temps, la dette et la charge d’intérêt auront continué à progresser. Enfin, le niveau de la dette pose une question d’équité entre les générations, cette dette finançant pour l’essentiel des dépenses de fonctionnement dont rien ne justifie que la charge soit transférée sur les générations les plus jeunes.

L’analyse de la Cour a montré qu’en 2010, les deux tiers du déficit public étaient indépendants de la crise et présentaient un caractère structurel. Ce déficit structurel, hérité du passé, était déjà de 3,5 % du PIB en 2007 ; il était très proche de 4 % du PIB en 2011. Ces quatre points de PIB, soit 80 milliards d’euros, représentent le chemin à parcourir d’ici à 2016 ou 2017 pour garantir un retour à l’équilibre des comptes, indépendamment de la conjoncture économique.

Avant d’analyser la situation de l’État en 2011, puis celle des administrations publiques dans leur ensemble, je voudrais vous résumer brièvement le contenu de l’acte de certification des comptes de l’État en 2011.

La certification vise à apporter une assurance raisonnable sur la régularité, l’image fidèle et la sincérité des états financiers – bilan, compte de résultat, tableau des flux de trésorerie, annexes – de la comptabilité générale de l’État. Celle-ci se distingue de la comptabilité budgétaire, qui, elle, n’est pas certifiée. Elle est fondamentale pour apprécier l’évolution des passifs et des engagements de l’État, ainsi que celle de ses actifs, au-delà de l’annualité budgétaire. À titre d’illustration, elle donne des informations sur diverses obligations supportées par l’État et regroupées sous le poste de provisions pour risques et charges, qui s’établissent à 114 milliards d’euros au 31 décembre 2011. Ces obligations donneront lieu, de manière probable, à des décaissements futurs en 2012 et sur les exercices suivants, par construction non pris en compte dans l’exécution budgétaire de 2011. De la même manière, est présenté pour la première fois cette année dans les comptes, à la demande de la Cour, un tableau synthétique des principaux engagements hors bilan de l’État. Vous y verrez le caractère très divers des engagements pris par l’État vis-à-vis de tiers, et le volume des engagements relatifs aux retraites des fonctionnaires, aux garanties, et à certains dispositifs d’intervention.

La Cour certifie qu’au regard des règles et principes comptables qui lui sont applicables, le compte général de l’État de l’exercice clos le 31 décembre 2011 et arrêté le 10 mai 2012 est régulier et sincère, et donne une image fidèle de la situation financière et du patrimoine de l’État, sous sept réserves, substantielles, comprenant soixante et onze points significatifs d’audit, contre soixante-six au 31 décembre 2010.

Des progrès ont été constatés sur la comptabilisation du patrimoine immobilier de l’État, qui ont permis à l’administration de fiabiliser les données physiques du parc immobilier – telles que les surfaces ou l’état des biens – enregistrées dans le système d’information. Toutefois, aucune des sept réserves substantielles que la Cour avait formulées sur les comptes de 2010 n’est levée cette année.

La réserve relative aux passifs d’intervention a été étendue cette année aux autres passifs non financiers et aux engagements hors bilan. Elle porte sur des problèmes récurrents d’exhaustivité du recensement par l’administration des passifs et engagements hors bilan, concernant notamment les garanties apportées par l’État. La réserve relative aux immobilisations financières s’est, elle aussi, alourdie cette année d’un désaccord sur le statut comptable des établissements publics de santé.

Pour conclure en ce qui concerne l’acte de certification, l’année 2011 a marqué un net essoufflement de la trajectoire d’amélioration de la qualité des comptes de l’État engagée depuis 2006. La Cour avait pris en 2007 le parti initial de certifier les comptes de l’État, malgré les insuffisances qu’elle avait retracées sous la forme de treize réserves substantielles. Cette démarche d’accompagnement implique une amélioration continue de la qualité des comptes de l’État, année après année. Pour l’essentiel, tel n’a pas été le cas en 2011, la dynamique de progrès ayant connu un ralentissement marqué. Dès lors, si ce ralentissement devait se poursuivre en 2012 – et j’ai eu l’occasion de le dire le 30 mai dernier devant la Commission des finances du Sénat –, la Cour ne s’interdirait pas de réévaluer sa position initiale.

Le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire permet de préciser cette analyse pour le budget de l’État en 2011 et d’en tirer des enseignements. Je vous en livre maintenant brièvement les points les plus saillants.

Ce rapport compare l’exécution budgétaire aux prévisions de la loi de finances initiale, à celles des quatre lois de finances rectificatives votées en 2011 et aux dispositions de la loi de programmation des finances publiques pour la période 2011-2013. Sont annexées à ce rapport soixante analyses, détaillées par mission budgétaire, qui font le point sur l’exécution des crédits de chaque secteur ministériel en 2011 et qui vous sont très directement destinées.

Trois messages principaux ressortent de cette analyse.

Le premier est que l’amélioration du solde budgétaire est réelle et incontestable, mais que le niveau du déficit demeure toujours très élevé. Cette amélioration du solde – la première depuis 2007 – était attendue pour deux raisons. La première est la relative amélioration de la situation économique d’ensemble : la croissance a été de 1,7 % en 2011. La seconde est la fin des dépenses budgétaires exceptionnelles qui avaient marqué les exercices 2009 et 2010. Je fais ici référence à trois initiatives : le plan de relance, les investissements d’avenir et la réforme de la taxe professionnelle.

En 2011, le déficit du budget de l’État s’est élevé à 90,7 milliards d’euros, soit 4,55 % du PIB. Il a diminué de 58 milliards par rapport à celui de 2010, mais, pour apprécier à son juste niveau l’ampleur de cette amélioration, il convient naturellement de neutraliser l’effet en 2010 des trois éléments exceptionnels que je viens d’évoquer. Dans ce cas, l’amélioration s’est élevée à 14 milliards d’euros seulement.

Pour la première fois depuis des années, la programmation et l’exécution budgétaires ont été caractérisées par le souci constant de respecter la trajectoire de redressement. Je veux dire par là qu’alors que la conjoncture économique évoluait, les lois de finances rectificatives se sont efforcées de ne pas dégrader la prévision de déficit fixée à l’origine. Ainsi, en cours de gestion, les abondements de crédits ont été dans toute la mesure du possible compensés par des annulations symétriques, et les mesures fiscales décidées en cours de gestion ont visé à augmenter le produit des impôts et non à le réduire.

Le deuxième message est qu’il importe de rester très vigilant, car le niveau du déficit 2011 reste, comme vous le savez, très supérieur aux niveaux atteints avant la crise. En outre, l’évolution positive constatée en 2011 intègre des éléments exceptionnels que la Cour évalue à 2,5 milliards d’euros environ. Ceux-ci ont contribué positivement au solde en 2011, mais ils pourraient jouer en sens inverse en 2012. Surtout, ce qui doit être retenu est que l’amélioration du déficit repose pour l’essentiel sur un redressement des recettes fiscales, qui confirme le rebond observé en 2010, qui a directement et principalement contribué à la réduction du déficit.

L’évolution des dépenses a quant à elle connu un net ralentissement, dans le respect des normes de dépenses fixées pour 2011. La progression quasi-mécanique des dépenses de personnel a fortement ralenti en 2011. Cependant, alors que, d’une part, les effectifs ont diminué de 32 000 emplois et, d’autre part, qu’il n’y a pas eu d’augmentation générale de la rémunération principale des agents de l’État du fait du gel du point d’indice, la masse salariale a tout de même augmenté de 0,48 % à périmètre constant. Pour expliquer cela, la Cour note l’importance des retours catégoriels associés à la réduction des effectifs, l’effet des déroulements de carrière et la dynamique des heures supplémentaires.

En ce qui concerne les dépenses d’intervention, la loi de programmation des finances publiques affichait des objectifs très ambitieux en prévoyant une réduction de 10 % de ces dépenses à l’horizon 2013 par rapport à 2010. L’exécution 2011 apparaît conforme aux prévisions de la loi de finances initiale. Cependant, par rapport à 2010, elle traduit tout au plus une stabilisation en volume des dépenses d’intervention, qui de surcroît ne peut être mesurée avec précision. La diminution de cette catégorie de dépenses passe par des réformes structurelles des dispositifs eux-mêmes.

Enfin, la Cour a examiné dans quelles conditions avait été appliqué l’objectif consistant à imposer aux opérateurs de l’État les mêmes règles que celles qui s’imposent aux administrations afin de réduire les dépenses destinées à leur financement. Selon les informations partielles dont dispose la Cour, les dépenses des opérateurs auraient poursuivi leur dynamique sans connaître de ralentissement substantiel.

La prudence qui inspire mon propos met en exergue notre troisième message, celui de la nécessité de se doter d’outils performants de mesure, de budgétisation et de suivi des périmètres de dépenses désignés par le rapport annexé à la loi de programmation des finances publiques comme étant soumis à des objectifs chiffrés : personnels, intervention, dépenses fiscales, opérateurs, car ces outils ont une importance essentielle. La fixation de ces objectifs, qui contribuent à la conduite du redressement des comptes publics, ne connaît pas encore une traduction opérationnelle satisfaisante en raison des insuffisances des outils disponibles.

J’en viens maintenant au contenu du rapport rendu public avant-hier. Il comprend un point sur la situation d’ensemble des administrations publiques. L’année 2011 a représenté une première étape dans le redressement des comptes publics. Le déficit public s’est établi à 5,2 % du PIB, soit 103 milliards d’euros. Le déficit structurel s’est replié de 0,9 point de PIB, principalement par l’effet de mesures fiscales. Les comptes 2011 se situent sur la trajectoire de redressement des comptes publics.

Toutefois, la France n’a pas rattrapé son retard par rapport aux autres pays européens qui eux-mêmes sont engagés dans la voie de la réduction des déficits, souvent à un rythme plus rapide que le nôtre : à 4 % du PIB, le déficit structurel de 2011 se situe au-dessus de la moyenne des autres États membres de la zone euro, qui s’élève à 3,2 % ; il demeure très supérieur au déficit structurel allemand, de 0,8 %. Dorénavant, les niveaux d’endettement français et allemand divergent, et c’est une évolution nouvelle et inquiétante : en France, la dette continue d’augmenter, le niveau de déficit étant encore le double de celui qui permettrait de stabiliser la dette.

J’aborde maintenant ce qu’il est convenu d’appeler « l’audit des comptes en 2012 », réalisé à la demande du Premier ministre.

La France s’est engagée en avril dernier à revenir à un déficit de 4,4 % du PIB en 2012, après 5,2 % en 2011. La Cour a cherché à apprécier, selon les souhaits du Gouvernement, si cet objectif de 4,4 % pouvait être tenu au regard des informations disponibles à ce stade de l’année et sans prendre en compte les mesures décidées après le 6 mai 2012 – je tiens à insister sur ce dernier point. L’analyse de la Cour montre que le respect de la trajectoire pour 2012 impose des mesures rapides de correction, en raison de moins-values probables de recettes.

S’agissant en premier lieu des dépenses, les travaux conduits par la Cour ont identifié des risques de dépassement sur certaines dépenses de l’État, notamment les dépenses de personnels et d’opérations extérieures du ministère de la défense, les dépenses de logement, en particulier l’aide personnalisée au logement, ou les dépenses relatives à l’allocation adultes handicapés, et plus largement les dotations pour l’emploi et la solidarité.

Au total, les risques de dépassement peuvent être estimés à un niveau compris entre un et deux milliards d’euros, sur un total de 275 milliards d’euros hors dette et pensions. Un tel niveau de risque ne se démarque pas de ceux couramment identifiés en cours d’année, à l’occasion des exercices précédents. Ces risques peuvent et doivent être résolus en gestion par le jeu des annulations et des redéploiements de crédits.

Si les possibles dépassements ne sont pas d’une ampleur exceptionnelle, ils s’appliquent toutefois à un budget qui avait déjà donné lieu à un resserrement des contraintes par la loi de finances rectificative de mars dernier. Le respect des normes de dépenses fixées suppose une grande vigilance afin que les dépassements identifiés ne soient pas couverts par des ouvertures de crédits mais par la mobilisation de la réserve de précaution, dont le montant actuel est de 5 milliards d’euros environ. Cela rend nécessaire un accroissement de cette réserve pour permettre le pilotage fin de l’exécution. En cette matière, nos observations sont récurrentes.

Concernant les recettes, la Cour a identifié des risques importants de moins-values, qui appellent sans tarder des mesures correctrices. Ces risques sont d’une double nature. D’une part, des hypothèses de calcul trop favorables ont été adoptées pour l’évaluation initiale du produit des prélèvements obligatoires. Il s’agit notamment des hypothèses d’élasticité, c’est-à-dire des estimations de la façon dont le produit d’un impôt évolue en fonction de la croissance. À ce stade de l’année, il est difficile d’évaluer l’impact de cette surestimation : la Cour la situe dans une fourchette comprise entre 3 et 7 milliards d’euros pour l’ensemble des recettes des administrations publiques.

D’autre part, le scénario macroéconomique retenu en avril reposait sur un niveau de croissance de 0,7 %, en phase avec les prévisions des organismes internationaux. En raison de la dégradation récente de la conjoncture, ce scénario est devenu trop optimiste. Les dernières prévisions de l’INSEE situent le taux de croissance pour 2012 à 0,4 %, ce qui réduit mécaniquement les prévisions de recettes de trois milliards d’euros supplémentaires – le Gouvernement a décidé de retenir le chiffre de 0,3%. Au total, les recettes pourraient donc être inférieures de 6 à 10 milliards d’euros au montant prévu dans le programme de stabilité.

Avant d’aborder les enjeux de l’année 2013, je souhaite évoquer deux contentieux perdus par l’État devant les juridictions européennes. Leurs conséquences en comptabilité nationale devraient peser surtout sur l’exercice 2013, à hauteur de 5,75 milliards d’euros, et 2014, pour 1,75 milliard d’euros, soit au total 7,5 milliards d’euros. La Cour juge anormal que les informations qui avaient conduit en 2011 à provisionner l’un d’eux, qui porte sur la fiscalité des OPCVM, en comptabilité générale n’aient eu de traduction ni dans les lois de finances pour 2012 ni dans le programme de stabilité.

Au total, le respect de l’objectif de déficit de 4,4 % du PIB en 2012 suppose de compenser un manque à gagner de recettes de 6 à 10 milliards d’euros. Face à ces risques identifiés, des mesures nouvelles doivent être rapidement prises, en recettes et en dépenses. J’ai compris que vous les examineriez très rapidement dans le cadre de la loi de finances rectificative.

J’en viens maintenant aux perspectives pour l’année 2013 et pour les années suivantes.

La Cour a quantifié les efforts à accomplir selon quatre scénarios de croissance, allant de 0 % à 2 %. Dans l’hypothèse de 1 % de croissance, afin d’atteindre les 3 % de déficit, la marche sera plus haute que les années précédentes : après 0,9 point de réduction du déficit structurel en 2011 et 1,2 point en 2012, l’effort structurel à réaliser serait de 1,6 point en 2013, soit 33 milliards d’euros, compte non tenu de l’impact budgétaire des contentieux dont j’ai parlé, à hauteur de 5,75 milliards d’euros. Cet effort peut sembler important ; il est cependant de même ampleur que celui que la France a réalisé pour se qualifier pour entrer dans l’union monétaire en 1997, dans un contexte économique certes quelque peu différent.

Se pose la question du partage de cet effort entre réduction du poids des dépenses publiques et recettes supplémentaires. Le rapport présente plusieurs hypothèses. La Cour a toujours considéré que le levier de la maîtrise des dépenses devait jouer un rôle essentiel. Mais si l’on retient l’hypothèse d’un partage égal entre mesures sur les recettes et mesures sur les dépenses, ce sont 16,5 milliards d’euros d’économies qui devront être réalisées par rapport à l’évolution tendancielle des dépenses. Un tel effort reviendrait à stabiliser en volume les dépenses publiques dans leur ensemble, c’est-à-dire à faire en sorte qu’elles n’évoluent pas plus vite que l’inflation. Par comparaison, en 2012, en dépit de l’application des normes de dépenses et de la réduction des effectifs de fonctionnaires de l’État, la dépense publique totale dans son ensemble devrait croître en volume de 0,5 %.

L’effort imposé aux administrations publiques ne doit pas reposer sur le seul État mais doit être partagé avec les autres catégories, c’est-à-dire les régimes de protection sociale obligatoire et les collectivités territoriales. La Cour évoque, dans le rapport, différentes modalités de répartition de cet effort global. L’un de ces scénarios prévoit une croissance des dépenses des administrations de sécurité sociale de 1,2 % en volume et une stabilisation en valeur des dépenses de l’État, ce qui conduirait à un durcissement des normes de dépenses appliquées en 2012. Les dépenses des collectivités territoriales seraient stabilisées en volume.

La croissance des dépenses des collectivités, hors impact des compétences transférées par l’État, a été très rapide au cours des dernières années, même si elle s’est infléchie en 2010, avant de repartir à la hausse en 2011. Hors transferts de compétences, leurs effectifs se sont accrus de plus de 260 000 postes depuis 2002, dont près des trois quarts concernent les communes et intercommunalités. Cette croissance doit être mise en regard de l’évolution des effectifs de l’État sur la même période qui, après avoir diminué de l’ordre de 25 000 agents entre 2002 et 2007, ont décru de 150 000 agents depuis cette date.

Le seul instrument d’action de l’État à l’égard des collectivités territoriales consiste à freiner l’évolution de ses concours, qui, avec cent milliards d’euros, représentent près de la moitié des ressources des collectivités. La moitié de ces concours, soit cinquante milliards d’euros, sont aujourd’hui gelés en valeur. Cela fait désormais peser une contrainte plus forte sur l’évolution de leurs dépenses, plus particulièrement celles des régions et des départements, ceux-ci n’ayant pas les mêmes marges de manœuvre pour augmenter leurs recettes. La Cour recommande une poursuite de ce gel, tout en proposant de moduler l’évolution des dotations en fonction des catégories de collectivités, en renforçant relativement la contrainte qui pèserait sur les communes et les intercommunalités.

L’accroissement des dépenses des collectivités au cours des deux dernières décennies a été financé par une hausse concomitante des impôts locaux, réduisant ainsi la capacité contributive des ménages et rendant plus difficile des augmentations d’impôts en faveur des autres administrations publiques, qu’il s’agisse de l’État ou de la sécurité sociale. Cela montre que la gestion d’ensemble des finances publiques appelle désormais l’élaboration de règles partagées relativement à l’évolution des dépenses et à la répartition des recettes. À cette fin, un pacte de stabilité pourrait être conclu entre l’État et les collectivités territoriales afin d’engager celles-ci dans le respect de la trajectoire globale définie pour le pays. Dans cette même perspective, le champ des lois de financement de la sécurité sociale pourrait être élargi à l’assurance chômage et aux régimes de retraites complémentaires pour devenir des lois de financement de la protection sociale obligatoire.

Si l’effort doit porter sur toutes les administrations publiques, il doit également concerner toutes les catégories de dépenses.

La masse salariale constitue à cet égard un enjeu budgétaire majeur. En effet, ces dépenses, y compris les pensions, représentent 13,2 % du PIB, toutes administrations confondues. Le respect de la trajectoire de redressement des comptes publics implique que la masse salariale de l’État soit stabilisée en valeur. Les différents leviers utilisables pour parvenir à ce résultat sont présentés selon quatre scénarios. Selon les calculs de la Cour, seule une baisse des effectifs est à même de fournir des marges de manœuvre en matière de politique salariale, qu’il s’agisse de la valeur du point, du déroulement de carrière ou des mesures catégorielles.

S’agissant des dépenses d’intervention, il convient avant tout de développer une démarche d’évaluation de l’efficacité et de l’efficience de l’action publique dans ce domaine. Les politiques d’intervention sont aujourd’hui partagées entre l’État et les diverses collectivités publiques, avec un enchevêtrement des compétences qui nuit à leur efficacité, par exemple en matière de formation, de logement ou d’emploi. Cela suppose de s’interroger sur l’articulation entre les divers acteurs et dispositifs d’intervention, dont le nombre dépasse 1 300. Des marges de manœuvre peuvent aussi être trouvées pour améliorer l’efficacité économique et le ciblage social des dispositifs publics de solidarité.

À la différence de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, de telles évaluations supposent d’associer toutes les parties prenantes et de faire partager les diagnostics et les réformes envisagées, tout en adoptant un pilotage politique fort pour mener à bien ces projets. De même, étant donné l’écheveau de nos politiques publiques, source de complexité et de gaspillages, l’acte III de la décentralisation qui a été annoncé doit être avant tout l’occasion d’une clarification des compétences entre État et collectivités territoriales, ainsi qu’entre ces collectivités elles-mêmes, avec le souci premier d’améliorer l’efficience des politiques concernées.

Les dépenses de transfert concernent aussi la sécurité sociale. Le rééquilibrage des comptes sociaux doit être assuré en priorité : la Cour a régulièrement rappelé que l’existence même d’une dette sociale constitue une anomalie profonde, car ces dépenses n’ont pas de raison d’être reportées sur les générations futures.

Le système de retraite ne devrait pas connaître le retour à l’équilibre prévu par la réforme de 2010, en raison de prévisions trop optimistes, notamment en matière d’évolution de la situation de l’emploi. Ainsi, le déficit annuel de l’ensemble des régimes de retraite pourrait être supérieur à 10 milliards d’euros à l’horizon 2020. La question du rééquilibrage des comptes devra donc prochainement être examinée.

S’agissant de l’assurance maladie également, les efforts doivent être amplifiés. En effet, la poursuite de la croissance des dépenses d’assurance maladie au rythme annuel de 3 %, sans l’apport de recettes nouvelles conduirait à un retour à l’équilibre en 2024 seulement. La Cour recommande de fixer un taux moins élevé et de rechercher davantage de gains d’efficience dans le système de soins. Ainsi, si ce taux de croissance était ramené à 2,5 %, le retour à l’équilibre serait atteint en 2018.

Pour ce qui est enfin des dépenses d’investissement, l’ampleur des engagements envisagés ou déjà pris doit conduire à réexaminer leur compatibilité avec le retour à l’équilibre des comptes publics. Il importe désormais de mieux choisir les investissements publics, pour ne retenir que ceux qui auront fait la preuve de leur utilité, notamment au regard du relèvement de la croissance potentielle de l’économie. En janvier dernier, en particulier, la Cour a appelé à reconsidérer le programme de développement de lignes ferroviaires à grande vitesse retenu dans le volet « transports » du Grenelle de l’environnement, qui entraînerait 166 milliards d’euros de dépenses publiques nouvelles.

L’augmentation des recettes est inévitable pour compléter l’effort, vu son ampleur. Elle devrait jouer dans le processus de redressement un rôle sensiblement moins important que la réduction du poids des dépenses et décroissant dans le temps. Pour des raisons d’efficacité économique, elle doit reposer principalement sur l’élargissement de l’assiette des prélèvements existants plutôt que sur des hausses de taux. Il faut donc poursuivre et amplifier la réduction et la suppression des niches fiscales et sociales : les rapports de la Cour fournissent de multiples exemples de niches pouvant être supprimées – ainsi les réductions d’impôts en faveur de l’investissement outre-mer, ou le taux réduit de TVA sur la restauration – ou dont les plafonds pourraient être abaissés comme la réduction et le crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile.

Si la réduction des niches ne suffisait pas à dégager les recettes attendues – j’insiste sur cette condition –, il pourrait être nécessaire d’augmenter le taux d’impôts à assiette large, c’est-à-dire la CSG ou la TVA, la première étant adaptée au rééquilibrage des comptes sociaux, dont la Cour souligne, une nouvelle fois, le caractère absolument prioritaire. Une telle augmentation devrait avoir un caractère temporaire, et s’effacer au fur et à mesure du rééquilibrage des comptes publics et de la montée en puissance des économies sur les dépenses. Au moment de faire des choix, il sera important de prendre garde, en voulant réduire un déficit, à ne pas en aggraver un autre, celui de la compétitivité.

Après 2013, l’effort de redressement devra se poursuivre, à un rythme moindre, afin de garantir le retour à l’équilibre structurel en 2016 ou 2017, que l’Allemagne est en passe d’atteindre dès 2013.

La France se trouve à la veille d’une profonde transformation dans la conduite de ses finances publiques, sous l’effet des nouvelles règles européennes adoptées depuis 2011. La prise en compte de celles-ci est loin de se réduire au débat sur la règle de retour à l’équilibre structurel à moyen terme – ce qu’on appelle la règle d’or. En effet, la série de dispositions qui a été adoptée conduira la France, dans le respect des pouvoirs du Parlement, à réviser la façon dont il élabore et suit les textes budgétaires.

Ces nouvelles règles européennes appellent également des progrès dans la qualité de nos comptes publics. Afin de progresser dans la fiabilité des comptes et dans leur harmonisation entre les différentes catégories d’administrations publiques, la démarche de certification gagnerait à être élargie. La Cour recommande la mise en œuvre concrète de la certification des comptes des hôpitaux publics déjà décidée par le législateur, ainsi que la mise en place d’une expérimentation de la certification des comptes de celles qui le souhaiteraient parmi les plus grandes collectivités territoriales.

En conclusion, la France est loin, depuis plusieurs décennies, d’être considérée comme exemplaire dans la gestion de ses finances publiques. La Cour insiste sur l’importance du strict respect de l’objectif de réduction du déficit à 3 % en 2013, à juste titre considérée comme une année charnière pour le redressement des comptes publics de la France. La discipline qu’exige le respect de cette trajectoire est sévère. Elle suppose une évolution en profondeur des modalités de l’action publique : gouvernance partagée entre administrations publiques, application généralisée de normes de dépenses, réforme en profondeur des méthodes d’allocation des moyens et remise en cause de certaines missions de l’État, revue des politiques d’intervention, clarification des compétences partagées entre l’État et les collectivités territoriales, évaluation indépendante de l’utilité des investissements. Si l’effort structurel prévu en 2013, de l’ordre d’un point et demi de PIB, sera certes difficile, il est réalisable. La France l’a fait par le passé, et, en 2012, l’Italie et l’Espagne devraient, de leur côté, réduire leur déficit structurel de près de trois points, soit un effort double.

Le redressement suppose la mobilisation de tous les acteurs publics. Il doit être réalisé sans étouffer la croissance. En contribuant à une meilleure prise de conscience de ces enjeux par les citoyens et les décideurs, en fournissant des pistes utiles à l’action, la Cour des comptes assure déjà la fonction de comité budgétaire indépendant dont les nouvelles règles européennes prévoient la mise en place prochaine dans les pays de la zone euro. Elle est à la disposition du Parlement pour jouer son rôle d’analyse et de conseil indépendant.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Vous avez parlé de continuité, monsieur le président Carrez, mais j’observe que certains chiffres contenus dans ce rapport sont en contradiction avec les prévisions du gouvernement précédent : je pense notamment aux évaluations à mi-parcours de l’exercice 2012.

Vous avez évoqué, monsieur le Premier président, une surévaluation des recettes de l’impôt sur les sociétés – IS –. Pourtant, le cinquième acompte, versé en décembre 2011 par les entreprises réalisant plus de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires, étant calculé sur le bénéfice fiscal de l’année en cours, le Gouvernement disposait d’un indicateur du niveau de ce bénéfice en 2011. Il est donc anormal que les lois de finances rectificatives qui se sont succédé à un rythme accéléré au cours des derniers mois de la législature n’aient pas intégré ces surestimations de recettes au titre de l’IS. On pourrait également évoquer la TVA.

On peut également s’étonner de ce que le coût des contentieux communautaires relatifs à la fiscalité des OPCVM et au précompte mobilier n’ait pas été budgété, alors qu’il pourrait être de l’ordre de sept milliards d’euros au cours du ou des prochains exercices.

Il est par ailleurs quelque peu surprenant, monsieur le Premier président, que vous soyez dans l’incapacité d’évaluer le coût budgétaire – vous évoquez une incertitude de plusieurs milliards d’euros – de la réforme de la taxe professionnelle intervenue en 2010 : il faudra bien un jour en finir avec ce serpent de mer. Je suggère, monsieur le président de la Commission, que nous envisagions la création d’une mission d’information consacrée à ce sujet, afin d’évaluer le coût budgétaire de cette réforme et le gain pour les entreprises – s’il y en a un. On s’aperçoit en effet qu’à l’issue de cette réforme, qu’on nous avait présentée comme une suppression de la taxe professionnelle, beaucoup d’entreprises, parmi les plus petites, paient plus d’impôts qu’auparavant.

J’ai cru comprendre que certains investissements annoncés par le gouvernement précédent ne connaissent pas le moindre début de financement : je pense notamment au Grand Paris ou aux infrastructures ferroviaires.

Enfin, comme vous l’avez souligné, la nécessaire redéfinition des missions de l’État devra être différente de la RGPP telle qu’elle existe aujourd’hui, c’est-à-dire sans vision politique de la clarification et de la répartition des missions de l’État, entre celles qu’il souhaite exercer, soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire d’opérateurs, publics ou privés, et celles qu’il souhaite transférer à des partenaires tels que les collectivités territoriales – les modalités de ce transfert et des ressources correspondantes devront être définies clairement.

M. Hervé Mariton. La fierté du travail accompli ces dernières années ne nous empêche pas, monsieur le Premier président, de partager votre volonté de vigilance quant à la trajectoire des finances publiques, qu’il s’agisse de la maîtrise des déficits, de la dette ou de la gouvernance. Notre décrochage avec nos partenaires allemands en matière d’endettement ne saurait trop inciter nos collègues de la majorité d’aujourd’hui à faire preuve de sagesse et de prudence.

Votre constat, monsieur le Premier président, de la solidité de la stratégie menée ces dernières années a dû quelque peu décevoir nos collègues de la majorité, qui s’attendaient à trouver dans le travail de la Cour de quoi nourrir une critique en règle de l’héritage.

Et puisque vous évoquez le caractère contradictoire des travaux de la Cour, j’aimerais savoir si vous avez sollicité l’avis du gouvernement précédent sur ce travail.

Par ailleurs, la Cour a constaté une amélioration du solde budgétaire réel, et noté que la programmation et l’exécution budgétaires avaient respecté la trajectoire de redressement.

Alors que la Cour appelle au partage de l’effort en matière de maîtrise de la dépense et de mobilisation des recettes, que doit-elle dire d’un collectif qui prévoit sept milliards d’impôts nouveaux et seulement 90 millions d’économies, pour compenser 90 millions de dépenses supplémentaires dans l’éducation nationale ? Il me semble qu’il y a là, monsieur le Premier président, l’occasion d’évaluer l’efficacité de vos préconisations en matière d’équilibre.

J’ai été très heureux d’entendre notre collègue Eckert se convertir aux vertus de la réforme de l’État dont il appelle à la poursuite, fût-ce sous un autre nom que celui de RGGP : celle-ci n’a jamais eu le caractère systématique, aveugle et stupide que vous lui prêtez, monsieur le rapporteur général, même si toute politique publique est perfectible.

Les enquêtes menées ici même et par la Cour sur les effectifs des collectivités locales devraient conduire celle-ci à distinguer entre communes et intercommunalités, ces dernières étant souvent à l’origine de l’explosion des effectifs.

Il était intéressant d’entendre les mises en garde de la Cour relativement à l’impact d’une augmentation de la TVA sur la compétitivité au moment où le Gouvernement et la majorité s’apprêtent à défaire la TVA sociale.

Vous semble-t-il conforme à la règle que nous ne soyons pas saisis d’un PLFSS rectificatif, alors que nombre des mesures annoncées par le Gouvernement impactent les finances sociales ? Si tel est le cas, la règle ne mériterait-elle pas d’être changée ?

M. Pierre-Alain Muet. Le rapport de la Cour des comptes nous apprend que c’est à partir des années 2007-2008 que la France a laissé filer son déficit budgétaire, à la différence des autres pays de la zone euro, notamment de l’Allemagne. En 2005, France et Allemagne connaissait un déficit similaire, mais alors que l’Allemagne ramenait son déficit à zéro avant d’aborder la crise de 2008, la France se payait le luxe de faire des cadeaux fiscaux. En distinguant dans son rapport entre solde structurel et solde conjoncturel, la Cour démontre que même si la crise n’avait pas eu lieu, notre déficit budgétaire serait resté supérieur aux normes européennes, et c’est la raison pour laquelle notre dette a explosé. C’est à cause des politiques menées ces dernières années que notre pays a connu pendant cinq ans un déficit budgétaire excessif, ce qui ne s’était jamais vu dans notre histoire.

La Cour note également que le solde primaire est à 2,6 % en 2011, alors que la moyenne européenne est de 0,7 : nous sommes le seul pays qui continue à financer la charge de ses emprunts par le déficit.

Par ailleurs, en dépit de la volonté affichée par l’ancienne majorité de réduire les dépenses fiscales, la Cour relève, cette fois dans son rapport de mai 2012, que celles-ci sont passées de 69,1 en 2009 à 70,1 milliards d’euros en 2010.

La Cour rappelle que la réduction de 1,9 point du déficit budgétaire en 2011 résulte pour 0,8 point de la fin de mesures temporaires : le passage de 148,8 à 90,7 milliards d’euros de 2010 à 2011 résulte pour l’essentiel de l’extinction du plan de relance et des investissements d’avenir. Nous avons été quelques-uns à faire remarquer que l’inscription au budget de sommes considérables au titre des investissements d’avenir avait aussi pour but de faire baisser le déficit de façon fictive au cours des années suivantes.

J’aimerais que la Cour nous précise le risque de surévaluation de l’élasticité des impôts qu’elle évoque, ainsi que celui d’une révision de la croissance à la baisse.

Je souhaiterais également que vous nous apportiez quelques précisions sur l’absence d’intégration en loi de finances ou en loi de finances rectificative du coût des contentieux communautaires de la France, alors que ce coût était bien connu, notamment celui du contentieux relatif au régime fiscal des OPCVM.

Je veux souligner par ailleurs qu’aucune des sept réserves substantielles de la Cour n’a été levée.

j’appelle enfin la majorité sortante à faire preuve d’un peu plus de modestie : alors qu’elle souhaitait réduire à zéro le déficit structurel du budget de l’État, nous sortons de cinq ans de déficits structurels compris entre 3,3 et près de 5 %. Aucun gouvernement dans notre histoire n’a laissé de déficits structurels d’une telle ampleur.

M. Charles de Courson. Il est un peu triste d’entendre la Cour des comptes répéter, année après année, ce que les esprits qui s’intéressent aux finances publiques savent fort bien.

La certification des comptes, dont on ne se soucie guère, est une affaire sérieuse, tant la qualité des comptes va se dégradant. Notre pays a ainsi prêté, de façon directe, 11,4 milliards d’euros à la Grèce, mais, au total, la facture se montera à 61 milliards, sans qu’aucune provision n’ait été inscrite à cet effet. Or chacun sait que la Grèce ne remboursera, au mieux, que le tiers de ses dettes. Pourriez-vous nous donner votre sentiment sur l’impact de ces mécanismes de soutien, qui concernent aussi quelques autres pays ?

Pour l’exercice 2012, la Cour observe que les dépenses sont tenues, à 2 milliards d’euros près, somme assez faible en comparaison des 370 milliards du budget de l’État ; du reste, la mobilisation de la réserve devrait y pourvoir. S’agissant des recettes, en revanche, il manque 10 milliards d’euros, compte tenu notamment du plus faible rendement de l’impôt sur les sociétés – IS –. Selon vous, la surévaluation initiale du produit de cet impôt, de même que de la TVA, était-elle prévisible à la date du vote ?

Quant aux prévisions pour 2013, vous dites tout haut ce qu’une bonne partie de la classe politique ne veut pas entendre : sans réduction des effectifs, on ne pourra augmenter les salaires des fonctionnaires. Quelle est votre analyse, notamment sur l’aspect catégoriel et l’éventuelle revalorisation du point d’indice, dans l’optique d’une stabilisation des effectifs ? Celle-ci suppose en effet qu’à l’exception de l’éducation nationale, de la sécurité et de la justice, tous les autres ministères restent soumis à la règle du « un sur deux ».

Vous préconisez aussi d’élargir les pouvoirs du Parlement, pour ce qui concerne les collectivités territoriales et même une partie de la protection sociale – ce qui nécessiterait peut-être une loi organique. Sur les 100 milliards d’euros de transfert de l’État vers les collectivités, beaucoup encouragent à la dépense. Quels mécanismes faudrait-il modifier pour l’éviter ?

Mme Eva Sas. Le groupe écologiste partage votre appréciation sur la charge de la dette et considère, lui aussi, que l’accroissement de cette dernière revient à faire peser le coût de notre niveau de vie sur les générations futures. Nous nous interrogeons néanmoins sur l’impact économique des politiques budgétaires actuelles, notamment pour 2013.

Quelle est l’appréciation de la Cour sur les risques macroéconomiques, en termes d’emploi et d’activité – et, par voie de conséquence, de recettes fiscales –, liés aux réductions de dépenses publiques dans l’ensemble des pays européens ?

M. Nicolas Sansu. Je souscris aux propos de M. Muet : le déficit structurel est dû à l’insuffisance des recettes. Le président de notre commission ne disait-il pas, à l’époque où il en était le rapporteur général, que si l’on avait maintenu le niveau des recettes de l’année 2000, les exercices 2006 et 2007 auraient été équilibrés, sinon excédentaires, et ceux des années 2008 à 2010 se seraient maintenus sous le seuil des 3 % de déficit ?

La Cour recommande une économie de 33 milliards d’euros pour l’an prochain. Toutefois, je rappelle que l’évasion fiscale, que n’évoque pas votre rapport, est estimée, selon un récent rapport du Sénat, entre 30 et 50 milliards d’euros, et que la fortune des 0,2 % de personnes les plus riches de la planète s’élève, au total, à 39 000 milliards de dollars.

Le rapport de la Cour reste également silencieux sur la charge de la dette, qui représente un peu plus de 50 milliards d’euros : ne pourrait-on la diminuer, qu’il s’agisse des prêts consentis à l’État ou aux collectivités locales ? La Réserve fédérale américaine – FED – a prêté aux banques à un taux de 0,01 %, contre 1 % pour la BCE – ce qui, au demeurant, n’empêche pas des refinancements à des taux prohibitifs pour certains pays. L’Italie et l’Espagne ont réduit leurs déficits, certes, mais à quel prix pour les populations ?

Pour les collectivités, vous proposez qu’à la fermeture du robinet de la taxe professionnelle s’ajoute celle des dotations de l’État. Selon le groupe GDR, c’est par une grande réforme fiscale que l’on trouvera les milliards d’euros qui nous manquent, et non, pour paraphraser M. Chérèque, par une rigueur de gauche qui succéderait à la rigueur de droite.

M. le président Gilles Carrez. M. Cahuzac et moi avions demandé à la Cour, il y a deux ans, un rapport sur l’évolution de la masse salariale de l’État, car celle-ci continuait de progresser en dépit du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Ce rapport, présenté par M. Babusiaux, montrait que les retours catégoriels s’étaient avérés plus importants que prévu et qu’il fallait compter avec la garantie individuelle de pouvoir d’achat - GIPA –. Selon le rapport que vous présentez aujourd’hui, monsieur le Premier président, à effectifs constants et même avec le blocage du point d’indice, cette masse salariale augmentera forcément d’au moins 1,6 % par an, sous les effets conjugués de la GIPA, du glissement vieillesse technicité – GVT – et de différentes mesures catégorielles. « Cette évolution tendancielle à effectifs constants », écrivez-vous, « n’est guère compatible avec le respect de la norme zéro valeur des dépenses de l’État. » Pourriez-vous préciser ce point ?

Par ailleurs, vous soulignez qu’entre 1999 et 2008, les effectifs des collectivités locales ont augmenté à hauteur de 350 000 agents à structure constante, soit environ 35 000 par an, dans les communes et intercommunalités pour l’essentiel. « L’évolution des dotations sous enveloppe », indique le rapport, « pourrait donc être différenciée selon les catégories de collectivités », notamment « en élargissant sensiblement l’enveloppe normée », dont le périmètre, je le rappelle, atteint 70 milliards d’euros. La Cour ne reprend-elle pas, sur ce point, les propositions déjà anciennes du ministère des finances afin d’inciter les communes à une gestion plus rigoureuse ? Incluez-vous le fonds de compensation pour la TVA - FCTVA – dans l’élargissement de cette enveloppe normée ?

Votre rapport met aussi en évidence que la loi de programmation pluriannuelle de décembre 2010 a été respectée jusqu’alors, tout en soulignant que nos finances publiques, notamment notre déficit primaire, sont plus dégradées que celles de beaucoup de nos voisins, qui ont engagé des mesures de consolidation. Notre pays devrait prochainement ratifier le pacte de stabilité budgétaire, dont l’article 5 prévoit la règle d’or. Êtes-vous favorable à une réforme de notre Constitution en ce sens ?

M. Didier Migaud. Il ne m’appartient pas de commenter la lecture que chacun peut faire de notre rapport.

Si l’on ne considère que les encaissements et décaissements, monsieur le rapporteur général, le coût de la réforme de la taxe professionnelle est passé de 7,3 milliards d’euros en 2010 à 2,8 milliards en 2011, compte tenu du surcroît d’IS induit par cette réforme. Toutefois, si l’on compare les montants nets dus au titre de la taxe professionnelle en 2009 avec ceux des impôts qui l’ont remplacée en 2010, le coût est estimé à 5,7 milliards d’euros, compte tenu du supplément d’IS. Si cette mesure a eu un coût pour l’État, elle lui a aussi rapporté. Nous nous tenons bien entendu à votre disposition si vous souhaitez des analyses complémentaires.

Notre pays fait l’objet de deux contentieux fiscaux au niveau européen, sur le précompte mobilier d’une part et sur les organismes de placement collectif en valeurs mobilières – OPCVM – de l’autre. Pour le premier, la facture est de l’ordre de 4 milliards d’euros, dont 1,1 milliard ont déjà été payés en 2010-2011. Les dépenses afférentes à l’ensemble des contentieux ont été provisionnées en comptabilité générale à hauteur de 6,3 milliards d’euros, 900 millions ayant été inscrits dans le budget pour 2012 et 2 milliards dans le programme de stabilité. L’impact budgétaire pour 2012 – 1,5 milliard – a été provisionné ; il devrait atteindre 5,75 milliards en 2013-2014, même si tout dépend des futures décisions.

M. le président Gilles Carrez. Les 500 millions d’euros liés au contentieux des frégates de Taiwan ont été inscrits dans le budget en juillet 2011, car le jugement de la cour d’appel était alors définitif. Il faut distinguer entre les procédures d’engagement et de paiement, donc d’inscription dans le budget, qui n’intervient qu’au terme de la procédure judiciaire.

M. Didier Migaud. En tout état de cause, il manque 600 millions d’euros dans le budget pour 2012 ; mais il y aura aussi un impact budgétaire, je le répète, en 2013 et 2014.

La Cour a travaillé comme elle en a l’habitude, monsieur Mariton. Nous avons contredit avec les directions concernées sur les trois rapports, dans le cadre de la continuité de l’État pour ce qui est du dernier rapport. Nous avons contredit avec les ministres de l’ancien Gouvernement, sur la certification des comptes et l’exécution budgétaire de 2011. Nous avons également contredit avec le Gouvernement s’agissant du dernier rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, ce dernier ayant d’ailleurs décidé de ne pas répondre aux observations et constats de la Cour. Quant aux arbitrages, ils relèvent bien entendu des autorités politiques et de la représentation nationale.

M. Hervé Mariton. Et sur l’absence de PLFSS rectificative ?

M. Didier Migaud. Je vous invite à poser cette question au Gouvernement.

Je n’ai pas d’observations particulières à formuler sur les commentaires de M. Muet. Quant aux contentieux, je vous renvoie aux pages 59 et 60 de notre rapport.

S’agissant de la certification des comptes, monsieur de Courson, les choses se sont améliorées depuis la première année, puisque le nombre des réserves a été ramené de treize à sept. En 2011, l’effort de clarification nous a semblé moindre, si bien que nous avons formulé davantage d’observations. Toutefois, nous restons dans une démarche constructive avec les services, la mise en place de Chorus pouvant au demeurant expliquer certaines difficultés. La certification est évidemment du plus grand intérêt, notamment parce qu’elle ne peut que consolider la position française dans les échanges internationaux.

M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes. Le cas de la Grèce est évoqué dans l’acte de certification des comptes de 2011 ; nous avons eu, sur ce point, des échanges nourris avec le ministère des finances. Début avril, le directeur général du Trésor nous a adressé une lettre d’affirmation selon laquelle, au moment de la clôture des comptes, le provisionnement du prêt consenti à la Grèce n’était pas justifié ; à cette date, je le rappelle, les marchés avaient salué le retour à bonne fortune de la Grèce, qui venait de voir sa dette privée rééchelonnée.

Bien entendu, cette situation ne nous satisfait pas ; aussi le directeur général du Trésor nous a-t-il indiqué qu’elle donnerait lieu à un réexamen complet à la fin de cette année. Rappelons également que le prêt consenti à la Grèce est assorti de garanties au bénéfice des États, notamment celles qui en font des créanciers prioritaires. Mais rien n’indique, bien sûr, que ces garanties suffisent à empêcher un rééchelonnement de la dette grecque.

M. Didier Migaud. Selon la Cour, la surévaluation des recettes de l’IS était prévisible, dans la mesure où l’hypothèse d’élasticité n’a pas été revue en dépit de l’apparition d’indices qui incitaient à relativiser l’optimisme du niveau d’abord retenu. Quant à la croissance elle-même, il est vrai que le point de vue des conjoncturistes a pu varier au cours de l’année.

Pour ce qui est de la masse salariale, nous avons élaboré plusieurs scénarios vous permettant d’atteindre les objectifs annoncés : avec une croissance de 1 %, le respect des 3 % de déficit représente un effort de 33 milliards d’euros. Il incombe bien entendu au Gouvernement et au Parlement de faire le partage, d’une part, entre économies et recettes – même si le redressement est plus durable dès lors que l’on agit sur la dépense et que les ajustements, jusqu’alors, ont essentiellement porté sur les recettes –, et, d’autre part, entre les différentes administrations publiques : non seulement l’État, qui ne peut assumer tout l’effort, mais aussi la sécurité sociale et les collectivités territoriales.

Quoi qu’il en soit, la maîtrise des dépenses implique celle de la masse salariale, laquelle, à effectifs constants et malgré un gel du point d’indice, augmente de 1,6 % par an, compte tenu d’autres éléments de rémunération – GIPA, GVT et déroulement de carrière. Les seules marges en la matière passent donc par des réductions d’effectifs.

L’enveloppe normée en faveur des collectivités est d’environ 50 milliards d’euros, hors FCTVA ; la Cour est bien entendu à votre disposition, monsieur le président, pour réfléchir à une évolution de son périmètre. Reste que la contrainte est plus forte pour les régions et les départements que pour les communes ou intercommunalités, pour lesquelles le rapport de l’Observatoire des finances locales montre qu’il existe des marges de manœuvre. L’État peut donc décider de conduire une politique différenciée.

Comme l’a suggéré M. de Courson, un meilleur pilotage des finances publiques serait nécessaire. Celui-ci peut d’abord se faire dans un cadre contractuel avec les collectivités, mais il faudra sans doute, à terme, passer par une loi organique.

Mme Sas a insisté sur l’impact économique des politiques budgétaires actuelles. L’effort de redressement peut évidemment avoir des conséquences sur l’activité. Mais plus on attendra, plus le prix à payer par nos compatriotes risque d’être élevé, la charge de la dette augmentant mécaniquement à proportion de cette dernière, avec un emballement possible des taux ; en ce cas, l’effort peut nous être imposé par nos créanciers et nos partenaires européens. La Cour n’entend évidemment pas tenir un discours d’austérité : elle rappelle le contexte, afin de permettre aux autorités politiques de mesurer les avantages et les inconvénients des orientations qu’elles fixent.

M. Sansu a évoqué d’autres pistes pour économiser les 33 milliards d’euros qui manquent. La Cour a seulement mis ce chiffre en évidence, les autorités politiques ayant à décider des arbitrages pour l’atteindre. Il faut néanmoins comparer ce qui est comparable : si les taux d’intérêt peuvent être très faibles pour des emprunts à court terme, ils sont naturellement plus élevés pour les emprunts à moyen terme. Les taux de la BCE concernent des prêts à très court terme, mais lorsque les banques prêtent à leur tour aux pays, elles le font à plus long terme.

Quant à la règle d’or, il appartient, là encore, au pouvoir politique d’en décider. La Cour insiste seulement sur la nécessité de règles, même si les adopter ne suffit pas : il faut encore les respecter, ce que notre pays, en multipliant les dépenses fiscales afin de contourner les normes de dépense budgétaire, n’a pas toujours fait. En toute hypothèse, une loi de programmation nous semble devoir s’imposer aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale. En particulier, une éventuelle règle d’or devrait s’imposer aux comptes sociaux, tant il nous semble anormal de faire reposer le financement de dépenses courantes sur les générations futures. Les générations qui dépensent doivent elles-mêmes assurer les financements qui correspondent, sinon aux investissements, du moins aux dépenses courantes.

M. Éric Woerth. Ce rapport est tout à fait salutaire, même si je regrette qu’il n’ait pu tenir compte des dépenses déjà engagées par le nouveau Gouvernement. Quoi qu’il en soit, celui-ci a manqué son objectif, qui était de faire de l’audit de nos comptes publics un boomerang renvoyé à l’ancien Gouvernement. Or le rapport montre que l’endettement est lié à la crise, en dépit d’une augmentation du déficit structurel lié essentiellement à la baisse des prélèvements obligatoires, que nous avions décidée avant la crise afin de contribuer à la croissance.

Le niveau des prélèvements obligatoires étant déjà très élevé, l’effort doit essentiellement porter sur les dépenses, que le Gouvernement Fillon, après en avoir à juste titre élargi les normes, avait contenues, notamment lors de la dernière année. Les principales marges de manœuvre résident dans le contrôle de la masse salariale – mais le Gouvernement n’en prend pas le chemin – et les concours aux collectivités locales, que l’ancienne majorité avait commencé de réduire, sous le feu des critiques socialistes. Il convient aussi de diminuer les dépenses d’intervention, dont les dépenses sociales qui en constituent la majeure partie
– le Gouvernement découvrira que c’est plus simple à dire qu’à faire –, et de mettre à contribution les opérateurs, qu’il s’agisse des dépenses salariales ou des dépenses d’intervention.

Quant à la révision générale des politiques publiques, il apparaît que le Gouvernement actuel la poursuivra, même s’il en change le nom.

Enfin, sur les retraites, le déficit sera supérieur aux prévisions. La raison en est simple : l’effort portait pour une moitié sur les mesures d’âge et pour une autre moitié sur des éléments macroéconomiques, dont des ressources supplémentaires et, parmi elles, un swap de taux vieillesse / Unedic que la situation de l’emploi actuelle ne permet pas de réaliser.

Des mesures équilibrées seront donc nécessaires, dont nous déciderons, je n’en doute pas, avec l’esprit consensuel qui caractérise cette commission.

Mme Karine Berger. Le solde structurel de notre pays s’est catastrophiquement dégradé au cours des cinq dernières années : le rapport de la Cour est très clair sur ce point. Quelles sont les causes d’une telle situation ? Pourquoi n’a-t-elle pas été corrigée ? Comment les dépenses publiques, dénoncées comme le mal absolu par la précédente majorité, ont-elles pu passer de 52,6 % en 2007 à 56 % en 2011 ? Le déficit structurel tient-il à un excès de dépenses publiques ou aux baisses d’impôt consenties à quelques-uns ?

Mme Valérie Pécresse. J’ai lu avec bonheur les passages du rapport qui soulignent les efforts de redressement accomplis par le précédent Gouvernement, notamment en matière de réduction du déficit structurel. J’ajoute que le rapport ne fait aucun pronostic sur l’évolution de ce déficit à l’horizon de 2012, date à laquelle nous nous étions engagés à le ramener à 3 % du PIB. La Cour confirme-t-elle cette évolution vertueuse de nos comptes publics de 2010 à 2012 ?

Je remercie également la Cour d’avoir rappelé l’effort considérable accompli par le précédent Gouvernement en matière de maîtrise des dépenses. Sur ce plan, il convient de distinguer entre dépenses de fonctionnement, dépenses sociales – lesquelles ont évidemment augmenté avec la crise – et dépenses d’investissement, notamment d’avenir.

Si le déficit, initialement prévu à 5,7 %, s’est finalement établi à 5,2 %, monsieur le Premier président, c’est que l’élasticité des recettes fiscales a été bien meilleure que nous l’escomptions, notamment en raison du maintien des recettes de TVA. En préparant le budget pour 2012, le précédent Gouvernement avait donc estimé que la situation autorisait ces calculs d’élasticité que vous jugez trop optimistes. Peut-être, au demeurant, aurons-nous de bonnes surprises à la fin de l’année, la direction du budget ayant coutume de faire des notes alarmistes en juin ou juillet sur les prévisions de rentrées fiscales, afin d’inciter à la modération des dépenses, ce qui est bien entendu tout à l’honneur de cette grande administration. Mais ne craignez-vous pas que, dans le climat d’incertitude actuel et face aux promesses de dépenses du nouveau Gouvernement, les investisseurs ne se montrent prudents, ce qui aurait des répercussions négatives sur les rentrées fiscales ?

La Cour des comptes préconise des ajustements budgétaires qui n’affectent pas la compétitivité. A-t-elle conduit une réflexion sur les hausses d’impôt, les baisses de dépenses ou les suppressions de niches fiscales qui pourraient nuire à la compétitivité de notre pays ? Distinguez-vous entre les dépenses sur la base de ce critère d’utilité à la compétitivité de la France ? Je pense par exemple aux investissements d’avenir ou à ceux qui concernent les infrastructures du Grand Paris.

Enfin, monsieur le Premier président, ne pensez-vous pas que le refus de se doter d’une règle d’or nationale, dont l’application serait appréciée par notre Conseil constitutionnel reviendrait, de façon subreptice, à transférer une part de notre souveraineté à Bruxelles qui serait la seule autorité capable de contrôler le budget de la nation ?

Mme Valérie Rabault. Monsieur le Premier président, le rapport, page 108, évoque l’impact des garanties publiques sur notre dette, notamment celles accordées à Dexia. Auriez-vous des précisions complémentaires à ce sujet ?

M. Jean-Pierre Gorges. Je tiens à féliciter le Premier président pour ce rapport et son objectivité désormais légendaire.

M. Muet ou Mme Berger donnent l’impression d’être encore en campagne : ont-ils compris qu’ils avaient gagné les élections ? Les comptes doivent être aussi sincères que possible, bien entendu ; à cet égard, monsieur le Premier président, le discours de politique générale de M. Ayrault vous a-t-il semblé répondre aux questions que pose la Cour sur la situation de notre pays ?

M. Pascal Terrasse. Le rapport de la Cour solde en effet les comptes de l’année 2011. Mais, en tant que parlementaire, je veux le faire pour les dix dernières années – qui ont vu se succéder pas moins de huit ministres des finances –, car elles expliquent la situation actuelle. En 2007, lors de son discours de politique générale, le Premier ministre avait évoqué une France « en faillite » ; faut-il rappeler que le ministre des finances sortant s’appelait alors Nicolas Sarkozy ?

En 1997, lorsque la gauche est revenue aux affaires, la situation était comparable à celle d’aujourd’hui. Le déficit du commerce extérieur atteignait 97 milliards d’euros et le nombre de chômeurs, 3 millions. Nous avions alors rétabli l’équilibre des comptes – y compris sociaux –, au point qu’en 2001, on parlait de « cagnotte ».

Devons-nous, aujourd’hui, nous résigner face aux déficits abyssaux ? Je ne le crois pas. Il nous faudra évidemment prendre des mesures d’ordre structurel. Et si je devais faire un reproche à la Cour, ce serait de n’avoir pas dit un mot sur les réformes institutionnelles qui nous permettront d’améliorer le pilotage des dépenses publiques, afin de les rendre plus efficaces.

Nous interrogerons le Gouvernement sur l’éventualité d’un PLFSS rectificative, monsieur Mariton ; c’est en ce domaine que nous trouverons vraisemblablement des sources d’économies.

Enfin, ce sont sans doute les dépenses fiscales qui, depuis des années, ont pesé le plus lourdement sur le déséquilibre de nos comptes : M. le Premier président pourrait le rappeler, comme l’avait fait son prédécesseur M. Séguin.

M. Philippe Vigier. Que pensez-vous de la progression des dépenses d’assurance maladie, estimée à 2,5 % par le programme de stabilité alors que la pente actuelle semble plutôt avoisiner les 4 % ? Que préconise la Cour ?

Au regard des 33 milliards d’euros d’économies nécessaires, quelle est, entre l’augmentation de la TVA – piste abandonnée par le Gouvernement – et celle de la CSG, la solution qui pénalise le moins la croissance et le pouvoir d’achat des classes moyennes ?

M. Jean-Louis Gagnaire. Sous la précédente législature, nous avons entendu de façon récurrente que les collectivités locales étaient responsables de l’augmentation des déficits. On constate aujourd’hui qu’il n’en est rien, mais peut-être faudrait-il le préciser dans les futurs rapports.

L’endettement des collectivités n’est au demeurant pas de même nature que celui de l’État puisqu’il tient, pour une bonne part, aux investissements qui soutiennent l’activité économique.

Par ailleurs, le « point zéro » pour la comparaison des indices semble faire débat. Je suggère, pour ma part, l’an 2000 et le passage à l’euro, qui ne correspond à aucune échéance électorale : on pourrait alors mesurer, sur une période longue, les évolutions du commerce extérieur, du chômage et de la dette publique, mais aussi le rôle de l’action publique sur ces indices.

M. Woerth vient de faire acte de rémission, mais je rappelle que la précédente législature avait été inaugurée avec la loi TEPA, qui a plombé nos comptes publics.

Enfin, monsieur le Premier président, votre rapport évalue à 330 millions d’euros, soit un tiers des économies générées par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, la part des heures supplémentaires et des primes de mobilité dans l’accroissement de la masse salariale de l’État en 2011. S’agit-il de données brutes ou nettes ? Les heures supplémentaires font en effet l’objet d’exonérations fiscales dont il faudrait tenir compte, car elles révéleraient un coût au moins deux fois plus élevé pour nos finances publiques.

Mme Arlette Grosskost. Malgré la réforme de la taxe professionnelle, le taux de marge des sociétés a atteint son plus bas niveau depuis 1986. De surcroît, la prévision de croissance a été revue à la baisse, ce qui affectera les carnets de commandes.

L’augmentation des prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises ne saurait évidemment améliorer cette situation, et les incantations en faveur du patriotisme économique ne suffiront pas à créer de la richesse. Vous préconisez par ailleurs des prélèvements à assiette large, comme la TVA. Dans ce contexte, la suppression annoncée de la TVA sociale vous paraît-elle pertinente ?

M. Régis Juanico. Le principal mérite du rapport de la Cour est de rendre plus visible l’ardoise cachée du précédent Gouvernement. Celle-ci est lourde. Elle tient à l’accumulation de cinq années de déficits structurels, qui ont porté la charge de la dette à près de 50 milliards d’euros ; à la sous-estimation des prévisions de croissance, laquelle représente un coût de 6 à 10 milliards en 2012 ; aux contentieux européens, enfin, pour une facture non provisionnée d’environ 7,5 milliards d’euros entre 2013 et 2014, et de 600 millions dès 2012.

Le rapport insiste sur l’évaluation des politiques publiques, allant même jusqu’à préconiser une revue des politiques d’intervention. Comment entendez-vous articuler ce travail d’évaluation de la Cour avec les outils dont dispose le Parlement, en particulier le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques et la Mission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée ?

M. Jean-François Lamour. La règle d’or, dont vous avez rappelé la nécessité, doit être inscrite dans notre Constitution ; j’ai d’ailleurs déposé un projet de résolution en ce sens. Toutefois, cette condition nécessaire est encore insuffisante.

Vous avez aussi invité les collectivités territoriales à faire des efforts pour réduire leurs dépenses, notamment en ce qui concerne la masse salariale – question qui se pose aussi pour l’État. Ne doit-on pas faire la distinction entre les emplois liés aux transferts des compétences au titre des lois de décentralisation, ceux consécutifs à la nécessaire résorption d’un certain nombre d’emplois précaires et le surplus : ceux qui n’étaient pas nécessaires pour assurer la bonne gestion de ces collectivités ?

De plus en plus souvent, les collectivités gèrent des équipements via des délégations de service public, lesquelles constituent des augmentations dissimulées de leur masse salariale. À cet égard, je ne souscris pas à votre remarque selon laquelle la règle d’or doit s’appliquer sur le fonctionnement beaucoup plus que sur l’investissement. Qui dit investissement dit ensuite fonctionnement, monsieur le Premier président. Si le fonctionnement s’effectue en régie directe, on peut avoir une vraie étude d’impact sur l’augmentation de la masse salariale ; mais ce n’est plus guère le cas avec les DSP. Avez-vous réfléchi à ce problème ?

M. Laurent Grandguillaume. Page 127 du rapport, on peut lire que « le Parlement n’a pas eu communication des rapports d’audit. Les documents budgétaires ne lui ont par la suite pas permis d’évaluer l’impact financier des réformes mises en œuvre, malgré les demandes qu’il a formulées en ce sens. »

Le contrôle de l’exécutif ne touche-t-il pas à la gouvernance ? Dans sa sagesse, le Parlement aurait sans doute pu éviter certains excès. Ne devrait-il pas, selon vous, être davantage associé au pilotage des réformes budgétaires ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Ce rapport est intéressant car, en plus d’une analyse du passé, il contient des éléments prospectifs. Vous anticipez, compte tenu de prévisions que vous jugez trop optimistes, une dégradation du déficit des régimes de retraite. Cette analyse tient-elle compte des dernières mesures adoptées par décret par le nouveau Gouvernement ?

M. Didier Migaud. Je ne suis malheureusement pas en mesure de répondre à toutes vos questions, car je suis attendu par la Commission des finances du Sénat.

Beaucoup de réponses figurent déjà dans le rapport lui-même, dont nous comprenons que les parlementaires n’aient pas encore eu le temps de l’analyser en détail ; mais nous espérons que ce travail vous sera utile dans le cadre du prochain débat d’orientation budgétaire. La Cour est bien entendu à votre disposition, notamment pour le travail d’évaluation des politiques publiques, même si, ses moyens étant limités, il nous faudra hiérarchiser les sujets.

Agir efficacement sur la dépense suppose des constats partagés entre le Parlement, le Gouvernement et les fonctionnaires eux-mêmes, afin d’évaluer au mieux le rapport entre coût et efficacité. Il convient donc d’élargir l’exercice de la révision générale des politiques publiques.

Certains éléments n’ont pas été pris en compte dans ce rapport, madame Dalloz, puisqu’ils sont intervenus après le 6. Au reste, M. Woerth a répondu à votre question sur les possibles déficits de nos régimes de retraite à l’horizon 2018 ou 2020.

Quant à l’évolution de la masse salariale, monsieur Gagnaire, nos analyses sont formulées en données brutes.

Sur Dexia, nous serons en mesure de vous présenter un rapport cet automne.

Par ailleurs, si l’objectif de 4,4 % de déficit est tenu, cela aura évidemment des conséquences sur le déficit structurel, de sorte que celui-ci pourrait être ramené à 3 % à la fin de l’année. Ce faisant, il resterait toutefois encore très supérieur à celui de l’Allemagne, voire du déficit moyen des pays de la zone euro.

Beaucoup des questions que vous m’avez posées pourront l’être aux ministres que vous vous apprêtez à auditionner.

M. le président Gilles Carrez. Merci, monsieur le Premier président. En effet, votre rapport et votre intervention préparent utilement cette prochaine audition.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 4 juillet 2012 à 9 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Dominique Baert, M. François Baroin, Mme Karine Berger, M. Xavier Bertrand, M. Étienne Blanc, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Gaby Charroux, M. Jérôme Chartier, M. Pascal Cherki, M. Alain Claeys, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Carole Delga, M. Jean-Louis Dumont, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, M. Alain Fauré, M. Olivier Faure, M. Jean-Claude Fruteau, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Claude Goasguen, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, Mme Arlette Grosskost, M. Régis Juanico, M. Jérôme Lambert, M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Patrick Lebreton, M. Dominique Lefebvre, M. Marc Le Fur, M. Patrick Lemasle, M. Jean-François Mancel, M. Thierry Mandon, M. Hervé Mariton, Mme Sandrine Mazetier, M. Pierre-Alain Muet, M. Patrick Ollier, M. Michel Pajon, Mme Valérie Pecresse, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Pascal Terrasse, M. Thomas Thévenoud, M. Philippe Vigier, M. Laurent Wauquiez, M. Éric Woerth

Assistaient également à la réunion. - M. Christophe Castaner, Mme Monique Iborra, M. Marcel Rogemont, M. Boinali Said, M. Lionel Tardy

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