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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 25 juillet 2012

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 11

Coprésidence de M. Gilles Carrez Président de la commission des Finances
et de
de M. François Brottes Président de la commission des Affaires économiques

–  Audition, commune avec la commission des Affaires économiques, ouverte à la presse, de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport concernant l’État et le financement de l’économie

–  Présences en réunion 22

La Commission entend, en audition commune avec la commission des Affaires économiques, M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport concernant l’État et le financement de l’économie.

M. le président Gilles Carrez. François Brottes, président de la commission des Affaires économiques, et moi-même, avons le plaisir d’accueillir M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, à propos du rapport de la Cour sur « L’État et le financement de l’économie ».

La croissance économique, la compétitivité de nos entreprises, les leviers dont dispose l’État pour les favoriser sont au cœur des débats budgétaires présents et à venir, notamment à travers le volet fiscal d’incitation à l’épargne et au financement des acteurs économiques. Dans un contexte de mondialisation et de crise financière, nous avons tout intérêt à réfléchir à l’amélioration des conditions de financement de notre économie, en particulier de nos entreprises. Nous sommes en effet confrontés à plusieurs questions : à celle des dettes souveraines, qu’il est de plus en plus difficile de financer dans un certain nombre de pays de l’Union ; à celle des normes prudentielles imposées aux banques et aux compagnies d’assurance, normes qui ont un impact direct sur le financement des entreprises ; à celle de la réduction extrême des marges budgétaires dont dispose aujourd’hui l’État...

Le rapport que M. Migaud s’apprête à nous présenter est à cet égard du plus haut intérêt car il constitue une somme à peu près exhaustive sur les leviers et sur les canaux de financement qui s’offrent à nous. Je remercie vivement la Cour des comptes pour ce document qui fera référence et, j’en suis certain, contribuera à orienter nos débats dans les prochaines semaines.

M. le président François Brottes. Je salue également M. le Premier président de la Cour des comptes et remercie M. le président de la commission des finances d’avoir accepté le principe d’une audition commune avec la commission des affaires économiques, fidèle en cela à la jurisprudence établie par Patrick Ollier et par Didier Migaud lorsqu’ils présidaient chacun une de ces deux commissions.

Ce rapport est en effet extrêmement intéressant et soulève un certain nombre de questions. L’importance de l’épargne, en France, est-elle une chance ou un handicap ? L’assurance-vie est-elle une ressource abondante mais finalement mal valorisée ? L’investissement immobilier constitue-t-il un refuge qui, in fine, contribuerait à déprimer l’économie réelle plutôt qu’à la vivifier ? Bâle III est-il l’ennemi de la prise de risque nécessaire à l’initiative, comme nombre de banquiers l’assurent ? La relance sert-elle la croissance ou creuse-t-elle le déficit ? L’État est-il toujours schizophrène lorsqu’il gère des dividendes supplémentaires et une pression accrue sur le pouvoir d’achat des ménages ? Existe-t-il des marges de manœuvre ?

D’une manière générale, la lecture d’un rapport de la Cour des comptes suscite soit des interrogations, soit une petite dépression. Je gage qu’à l’issue de cette audition, nous aurons des raisons d’espérer !

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Je vous remercie, messieurs les présidents, de m’accueillir afin de vous présenter ce rapport que nous avons rendu public le 12 juillet dernier et auquel les magistrats de la Cour ici présents – dont Christian Babusiaux, président de la formation inter-chambres – ont très fortement contribué. Nous sommes particulièrement honorés que cette audition intervienne dans le cadre d’une réunion conjointe des commissions des finances et des affaires économiques.

Ce n’est pas un hasard si ce rapport est paru une semaine seulement après celui que nous avons consacré à la situation et aux perspectives des finances publiques. Les deux sujets sont en effet intimement liés : d’une part, les déficits publics interfèrent dans le financement de l’économie ; d’autre part, il nous a paru nécessaire, après avoir montré les fortes contraintes budgétaires auxquelles l’État était soumis, de resituer cette analyse budgétaire dans un cadre économique et financier plus large et d’examiner les marges de manœuvre financières qui pourraient permettre de créer des conditions plus favorables à la croissance.

Quelques chiffres, tout d’abord, témoignent de l’ampleur des problèmes auxquels nous sommes confrontés et offrent un cadre d’analyse pour les décideurs politiques.

Depuis 2005, l’économie française présente dans son ensemble un besoin de financement qui a atteint l’an passé 51 milliards d’euros. Cela signifie que son investissement total, soit 411 milliards d’euros, n’est pas financé par son épargne totale de 360 milliards et que notre économie doit par conséquent recourir à des financements étrangers. Une telle situation reflète principalement l’augmentation du besoin de financement des administrations publiques mais aussi, dans une moindre mesure, l’apparition puis l’aggravation d’un besoin de financement des sociétés non financières.

De plus, le besoin de financement des administrations publiques, permanent depuis 1980, s’est fortement accru entre 2001 et 2004, puis plus encore entre 2006 et 2009, pour atteindre 103 milliards d’euros en 2011. Cette même année, le besoin de financement des entreprises s’est creusé pour atteindre 65 milliards d’euros, ce qui met en évidence la faiblesse de leur épargne et leur dépendance à l’égard des financements externes. Les sociétés non financières françaises ont des marges étroites, au plus bas depuis vingt ans, et leur autofinancement est trop faible pour leur permettre d’investir, d’innover ou de se développer seules. Elles ne peuvent aujourd’hui mener leurs projets sans l’appui du secteur financier
– des banques – et sont ainsi exposées aux soubresauts des marchés. Dans le même temps, le rapprochement des deux besoins de financement que je viens d’évoquer – 103 milliards pour les administrations publiques et 65 milliards pour l’ensemble des sociétés non financières – montre bien le poids désormais majeur de celui des administrations publiques. Ces besoins de financement public et privé ont été en grande partie couverts par l’endettement, celui des agents non financiers étant passé de 150 points de PIB en 2000 à plus de 210 points en 2011, la moitié de cette hausse étant imputable aux administrations publiques, dont la dette est passée d’environ 56 points de PIB à 86 points, les 90 points devant être dépassés à la fin de l’année. L’autre moitié est quant à elle due aux autres agents non financiers, le phénomène d’endettement de l’économie ayant été global.

Il convient également de rappeler que le déficit commercial de notre pays s’élevait en 2011, record historique, à 73 milliards d’euros. Depuis 2000, la part française des marchés d’exportation a chuté de 27 %. La dégradation de la balance des paiements reflète ainsi à la fois la dégradation de nos finances publiques et la perte de compétitivité de notre économie.

Au final, notre pays est désormais obligé de recourir chaque année à des financements étrangers sans cesse plus importants. En termes de stocks d’actifs et de passifs financiers, cette contrainte se traduit depuis une dizaine d’années par une situation débitrice vis-à-vis du reste du monde, à hauteur de 233 milliards d’euros en 2010. À titre de comparaison, l’économie allemande, quant à elle, présente une position financière nette positive de 518 milliards d’euros.

Pour essayer de ne pas trop peser sur le financement des autres acteurs économiques français, l’État s’est endetté de plus en plus auprès du reste du monde, les non-résidents détenant aujourd’hui les deux tiers de sa dette contre moins d’un quart il y a quinze ans. Certes, l’épargne des ménages demeure élevée, de l’ordre de 15 à 17 % de leur revenu disponible brut, mais, pour une part croissante, elle ne contribue pas au financement de l’économie nationale. En effet, elle s’alloue en forte proportion à l’étranger, notamment à travers l’assurance-vie, 44 % des actifs financiers des ménages français étant désormais hors de nos frontières.

En outre, cette épargne s’est orientée de façon croissante vers l’immobilier. La valorisation des actifs immobiliers connaît en effet une hausse rapide dans notre pays puisqu’elle a été multipliée par 3,5 en quinze ans alors que dans le même temps celle des actifs financiers ne l’était que par deux. Globalement, seule une faible part de l’épargne s’oriente vers le secteur productif.

L’État n’est pas sans avoir une part de responsabilité dans une telle situation. Au-delà de l’endettement public, les déséquilibres que je viens d’évoquer ont été renforcés par la fiscalité. Les intérêts d’emprunt sont entièrement déductibles du revenu fiscal des entreprises alors que les dividendes ne le sont pas, ce qui les incite à recourir au financement par endettement plutôt que par fonds propres. La fiscalité des entreprises, en dépit de l’affichage d’un taux réduit d’impôt sur les sociétés pour celles dont le chiffre d’affaires est limité, défavorise les PME. Le taux implicite d’imposition des entreprises de plus de 5 000 salariés est de 19 % alors que celui des PME de 10 à 249 salariés s’élève à 37 %. Enfin, les prélèvements obligatoires pèsent plus lourdement qu’en Allemagne sur les facteurs de production, soit sur la masse salariale et sur le capital fixe. Cette forme de fiscalité pénalise l’autofinancement des entreprises.

Du côté des épargnants, la fiscalité des revenus privilégie l’épargne sans risque et l’immobilier : 42 % de l’épargne sans risque bénéficie d’un avantage fiscal contre seulement 12 % de l’épargne risquée.

Par ailleurs, les entreprises publiques sont fragilisées par un État actionnaire qui ne dispose pas des ressources budgétaires lui permettant de faire face à ses responsabilités. L’État est désormais conduit à investir grâce à des dotations financées par l’emprunt ou en faisant appel à des investisseurs extérieurs. Dans le même temps, il exige des entreprises publiques des dividendes plus élevés que ceux demandés par les actionnaires privés, parfois même au détriment de leurs investissements et donc de la qualité future des services publics.

Enfin, ces fragilités pour la plupart anciennes se sont récemment aggravées alors même que le système financier français fait face à des enjeux spécifiques.

Le système bancaire, de plus en plus concentré et internationalisé, est le principal acteur du financement de l’économie. Il présente la particularité de distribuer davantage de crédits qu’il ne détient de dépôts. En effet, les banques françaises ne disposent ni de l’essentiel de l’épargne réglementée, ni des dépôts longs réalisés auprès des compagnies d’assurance, ni des disponibilités des administrations publiques – obligatoirement déposées auprès du Trésor public. Les établissements bancaires font donc face à un besoin structurel de refinancement, soit d’emprunts à court terme sur les marchés financiers, pour disposer de la liquidité nécessaire à leur activité de crédit. Ils sont de ce fait, eux aussi, plus exposés aux soubresauts des marchés.

Les établissements financiers doivent par ailleurs se conformer à des normes prudentielles renforcées afin de mieux assurer la stabilité du système financier : il s’agit de Bâle III pour les banques et de Solvabilité II pour les assureurs. Même si la pleine application de ces normes n’est prévue que pour 2019, les marchés et les normes comptables anticipent leurs effets, ce qui les érige dès aujourd’hui en standards de fait. Leur impact sur les banques françaises est d’autant plus important que celles-ci disposent structurellement de moins de liquidités que celles d’autres pays. Les adaptations que conduisent les établissements financiers exposent certains demandeurs de financement, en particulier ceux qui ne peuvent recourir à des financements non bancaires, à des tensions spécifiques et vraisemblablement durables. Tel est notamment le cas des PME indépendantes, des entreprises exportatrices en devises et des porteurs de projets d’infrastructure, mais également des collectivités territoriales – sans compter les hôpitaux publics, mais c’est un autre sujet.

Nous devons donc relever des défis de grande ampleur mais notre rapport n’est pas pour autant pessimiste. La Cour des comptes a cerné les modalités d’action inopérantes mais a aussi veillé à mettre en lumière les marges de manœuvre qui peuvent être utilisées dès lors que l’État respecte un certain nombre de précautions.

Les aides directes à l’investissement sont restées stables, de l’ordre de 0,75 point de PIB, mais sont désormais distribuées en grande partie par les opérateurs et les collectivités territoriales. L’État en a ainsi progressivement perdu la maîtrise, mais aussi la connaissance : il n’existe de données agrégées ni sur la nature, ni sur la distribution sectorielle des aides des collectivités territoriales aux entreprises. En tout état de cause, compte tenu de la raréfaction des moyens disponibles, ces aides directes ne pourront pas s’accroître.

Les dépenses fiscales en faveur du financement de l’économie ont doublé entre 2005 et 2010 pour atteindre environ 20 milliards d’euros par an. Elles représentent aujourd’hui l’un des principaux leviers de l’État, en particulier si l’on compare leurs montants avec celui des aides directes – près de 14 milliards en 2010 –, mais ce levier se heurte également aux déficits publics, et leur éventuelle croissance n’est plus soutenable. En outre, s’apparentant à des dépenses de guichet évaluatives non encadrées par les lois de finances, elles ne présentent pas les mêmes garanties de maîtrise, de suivi et de soutenabilité que les crédits budgétaires. Du reste, l’efficacité de nombre d’entre elles demeure discutable, comme la Cour des comptes et l’Inspection générale des finances l’ont montré.

Les co-financements ou partenariats public-privé – PPP – ont longtemps paru constituer une alternative mais, dans le contexte actuel marqué par la réduction de l’horizon temporel des investisseurs, ces contrats ne présentent plus la même attractivité pour le secteur privé. La puissance publique est en conséquence amenée à verser des loyers de plus en plus élevés à ses partenaires et à porter une part plus grande des risques, notamment en octroyant plus largement sa garantie.

Avec la crise, le montant des engagements hors bilan de l’État a fortement augmenté, notamment s’agissant de la dette garantie – 124 milliards d’euros en 2011. Or, bien qu’elle ne s’accompagne pas d’une sortie de ressources budgétaires – à court terme à tout le moins –, la dette garantie et, plus largement, l’octroi d’une garantie par l’État influencent la perception qu’ont les investisseurs extérieurs de la solvabilité de notre pays. Alors même qu’elle est de plus en plus mobilisée dans le cadre de la crise des dettes souveraines et que les divers plans de restructuration de DEXIA ont consommé une part importante des marges de manœuvre disponibles, l’arme de la garantie ne peut plus être utilisée autant qu’autrefois.

Chacune des grandes catégories de leviers d’action de l’État présente donc des limites. Toutefois, ce dernier n’en conserve pas moins des moyens d’agir, par exemple en réduisant les dépenses fiscales et en les ciblant mieux vers l’investissement productif ou par l’intermédiaire du secteur financier public, en particulier du groupe Caisse des dépôts, qui dispose encore de marges de manœuvre.

L’action de l’État doit, en premier lieu, viser à redéployer les ressources actuelles, d’une part vers le financement de l’investissement productif et, d’autre part, vers l’épargne longue. La Cour préconise d’instaurer, à l’instar de l’Allemagne, un mécanisme de plafonnement de la déductibilité des intérêts d’emprunt dans la mesure où cette niche incite les entreprises à s’endetter plutôt qu’à se financer en fonds propres. Les recettes supplémentaires ainsi obtenues pourraient compenser l’adoption de mesures favorables aux PME, qu’il s’agisse du taux ou de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, ou d’un allégement des charges pesant sur les facteurs de production.

De même, les incitations publiques résiduelles dont bénéficie l’immobilier, hors logement social et zones de forte pénurie de logements, devraient être reconsidérées, les marges de manœuvre ainsi dégagées pouvant être redéployées.

Pour développer l’épargne financière de long terme, les avantages fiscaux en faveur de l’assurance-vie pourraient être retouchés pour devenir fonction de l’ancienneté des versements, et non pas seulement de la date de souscription des contrats. Ainsi, tout en y trouvant une source de financement pérenne pour l’économie, l’État pourrait-il permettre aux ménages de se constituer une épargne couvrant leurs besoins de long terme, notamment la retraite et la dépendance.

En second lieu, les ressources du secteur financier public pourraient être mieux utilisées. L’importance des ressources centralisées au Fonds d’épargne, soit 222,5 milliards d’euros à la fin de 2011, lui confère un rôle central au sein de la sphère financière publique. Le Fonds d’épargne, au regard des règles prudentielles qui lui sont aujourd’hui applicables, présente un surplus de liquidité que la Cour évalue à environ 52 milliards d’euros. Même si la prudence commande de préserver à titre de précaution une marge de manœuvre sur les ressources du Fonds, une part de ce surplus pourrait être mobilisée pour accorder de manière maîtrisée, c’est-à-dire en cas de réelle carence de marchés, des financements longs à l’économie française dans le prolongement des nouveaux emplois que le Fonds a développé à compter de 2003 et, surtout, de 2008.

C’est dans ce contexte que pourrait s’inscrire le doublement du plafond du livret A et du livret de développement durable – LDD – envisagé par le Gouvernement – cela fait d’ailleurs l’objet d’une réflexion sur l’épargne réglementée confiée à M. Duquesne. Un doublement conférerait des possibilités d’intervention rapide aux pouvoirs publics en augmentant les ressources centralisées au Fonds d’épargne dans un contexte de pénurie de logements sociaux dans certaines zones et à un moment où le cadre prudentiel applicable aux établissements financiers risque de pénaliser les financements de long terme.

Néanmoins, cette mesure peut avoir d’autres conséquences.

Elle pourrait entraîner des transferts : depuis l’assurance-vie dans un contexte où il est nécessaire d’encourager l’épargne longue, et depuis des livrets bancaires fiscalisés, alors que le système bancaire français se caractérise déjà par un déséquilibre entre l’encours des prêts et les dépôts collectés. Le doublement impliquerait en outre de renforcer les fonds propres du Fonds d’épargne et conduirait à l’augmentation du niveau de la garantie accordée par l’État au titre des sommes déposées par les épargnants sur les livrets concernés. Il conduirait enfin à renforcer une niche fiscale et sociale et, par suite, détournerait des ressources du financement de la protection sociale.

Pour l’ensemble de ces raisons et sachant que le Fonds d’épargne dispose aujourd’hui d’une liquidité abondante, une solution pourrait être de répartir le relèvement des plafonds sur plusieurs années et de soumettre aux prélèvements sociaux tous les revenus tirés des dépôts pour leur partie supérieure aux plafonds actuels.

Par ailleurs, malgré l’importance de leur montant théorique – 34 milliards d’euros –, les ressources du programme d’investissement d’avenir sont encore peu décaissées. Certes, près de 27 milliards seraient aujourd’hui engagés mais une marge de décision et de redéploiement demeure.

Pour mettre en œuvre efficacement une stratégie d’ensemble, plusieurs conditions nous apparaissent nécessaires.

La Cour recommande que l’action de l’État et de la sphère financière publique demeure ciblée sur les défaillances avérées du marché afin de ne pas accroître encore les risques financiers qu’il supporte dans un contexte général d’insuffisance de fonds propres des acteurs financiers publics, et de ne pas favoriser une déresponsabilisation des acteurs privés. Cette recommandation concerne particulièrement le projet de banque publique d’investissement, pour lequel la Cour identifie un enjeu important : le financement en fonds propres des entreprises en phase de création et de premier développement, en particulier des entreprises innovantes qui rencontrent des difficultés pour lever les capitaux nécessaires à leur développement.

Concernant l’organisation de la future banque publique d’investissement, l’existence de nombreux canaux de financement des entreprises – OSEO, Fonds stratégique d’investissement, CDC-Entreprises – intervenant sur des segments souvent très proches, voire identiques, soulève à l’évidence la question de leur rationalisation. Si elle est nécessaire, celle-ci doit s’entourer de précautions. En particulier, le métier d’investisseur en fonds propres, pour lequel la Caisse des dépôts est aujourd’hui chef de file – directement ou via le fonds stratégique d’investissement – et celui de prêteur, rôle que joue l’actuel groupe OSEO, sont distincts et doivent le rester afin d’éviter des conflits d’intérêts qui se manifesteraient, par exemple, si un même intervenant se trouvait simultanément actionnaire et créancier d’une même entreprise.

Compte tenu de la réduction des transferts de l’État, de la nécessité de participer à l’effort de désendettement de la France et de la diminution probable de l’offre de financement bancaire à destination des collectivités territoriales, le modèle de financement de ces dernières est appelé à évoluer. La Cour préconise de renforcer l’autofinancement de l’investissement. Des efforts de maîtrise de la dépense locale devront être favorisés par la rationalisation des compétences des différents niveaux de collectivités territoriales, y compris dans les interventions en faveur du développement économique. À cet égard, la réforme des lois de décentralisation annoncée par le Gouvernement devrait intégrer explicitement un objectif d’efficience de l’organisation territoriale.

Concernant la création d’une agence de financement des collectivités territoriales, le Gouvernement a relevé, dans un rapport au Parlement de février 2012, la complexité du dispositif envisagé et la nécessité d’approfondir la réflexion sur plusieurs points. Au-delà de l’ampleur et de la portée des sujets non encore réglés, la Cour estime que la mise en œuvre de cet organisme ne saurait engager la garantie de l’État.

L’accroissement des interventions opérées et la raréfaction des moyens disponibles exigent également que l’État et le secteur public financier gagnent en efficacité, en gouvernance et en maîtrise des risques à tous niveaux. Cela passe par un renforcement du pilotage exercé par l’État, une adaptation de la Caisse des dépôts – en particulier de sa gouvernance – à la nouvelle donne, ainsi qu’une évolution des pratiques et moyens de la surveillance aux risques financiers actuels. Afin de disposer d’une vision d’ensemble sur le financement de l’économie, l’État doit notamment enrichir les documents budgétaires annexés au projet de loi de finances et produire un rapport annuel global sur l’ensemble des mécanismes concourant au financement de l’économie. Cette vision d’ensemble est nécessaire pour agir sans risque de contre-effets, compte tenu des multiples interconnexions qui existent, par exemple en matière de fiscalité de l’épargne, entre les différents produits et les acteurs financiers concernés. L’État doit veiller à traiter les problèmes de fonds propres qui existent dans diverses entités du secteur public, a fortiori s’il veut faire jouer à ce dernier un rôle encore plus important.

La Cour recommande à la Caisse des dépôts d’élaborer une nouvelle stratégie, son plan stratégique actuel datant de 2007. Nous formulons par ailleurs plusieurs recommandations afin de renforcer la gouvernance interne de la Caisse et du Fonds d’épargne, ce qui passe notamment par un renforcement du contrôle de la commission de surveillance.

L’État peut agir pour améliorer les conditions de financement dès lors qu’il définit une stratégie d’ensemble et respecte un certain nombre de précautions, encore plus indispensables dans les conditions économiques et financières actuelles. Le rapport que nous vous avons remis souligne trois priorités principales : favoriser les financements de long terme et réorienter une part du financement vers le secteur productif ; mettre en œuvre des mesures d’accompagnement à destination des entreprises et des collectivités ; adapter la gouvernance et le pilotage d’ensemble.

Sur toutes ces questions qui ont trait à la stabilité financière de notre économie et à la gouvernance de nos institutions, je suis profondément convaincu que le Parlement aura un rôle majeur à jouer. Soyez assurés que la Cour des comptes, conformément à sa mission constitutionnelle, lui prêtera son assistance autant qu’il le faudra.

M. le président Gilles Carrez. Je vous remercie de cette présentation extrêmement claire et concise.

M. le président François Brottes. La Cour n’a donc pas pu inventorier les aides directes aux entreprises, mais est-ce pour des raisons tactiques – les autres pays ne le faisant pas, il conviendrait de ne pas nous montrer trop transparents dans ce domaine – ou à cause d’un véritable imbroglio interdisant toute lisibilité ? Ne serait-il pas utile de créer une mission d’information sur cette question cruciale ?

M. le président Gilles Carrez. Votre exposé a mis en évidence, à la fois, une chute brutale de l’autofinancement des entreprises et la perte de compétitivité de notre économie. L’enchaînement est clair : baisse des marges, baisse de l’autofinancement, difficultés rencontrées par les entreprises moyennes ou de taille intermédiaire pour se doter en fonds propres. Pourtant, alors que s’annonce un nouveau resserrement du crédit, la fiscalité sur les actions – sur tout ce qui est investissement d’épargne en fonds propres – s’est considérablement alourdie depuis quelques années puisque, entre le prélèvement fiscal forfaitaire libératoire et les prélèvements sociaux, elle s’élève actuellement à 36,5 % contre 26,5 % en Allemagne, comme vous le releviez dans l’excellent rapport comparatif que vous avez présenté voilà un an. Une telle situation n’est-elle pas paradoxale ?

Enfin, comment envisagez-vous la réorientation des produits de l’assurance-vie vers le financement des entreprises ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. Je m’associe aux remarques qui ont été faites quant à la qualité de ce rapport.

Le relèvement du plafond du livret A devrait-il bien permettre selon vous de réorienter une partie de ces nouvelles ressources vers des affectations autres que le logement social ?

Vous avez souligné le caractère dérogatoire de la fiscalité applicable aux produits de l’assurance-vie et vous avez regretté le manque d’investissements en actions. Pourriez-vous préciser ces deux points ? Quid, également, de la relocalisation de l’épargne sur des produits français ?

Vous avez également évoqué la différence de taux final d’imposition entre petites et grandes entreprises. Avez-vous chiffré les économies qui pourraient être réalisées par un plafonnement de la déductibilité des charges financières, tel qu’il est appliqué en Allemagne ?

Enfin, lorsque vous évoquez la complexité de la gouvernance, faites-vous référence à l’enchevêtrement représenté dans le diagramme qui figure à la page 170 du rapport ? J’invite nos collègues à essayer de s’y retrouver…

Mme Valérie Pécresse. La limitation de la déductibilité fiscale des intérêts d’emprunt des entreprises aura-t-elle un impact sur le financement de l’économie et sur ses modalités ? Générera-t-elle nécessairement des fonds propres pour les entreprises ? Enfin, comment évaluez-vous l’impact d’une telle mesure sur les choix de financement des entreprises ?

M. Germinal Peiro. Les collectivités locales ont de plus en plus de mal à accéder au crédit, ce qui obère cruellement leurs investissements. En Dordogne, une centaine d’entre elles sont ainsi empêchées de mener à bien des chantiers pourtant budgétés pour 2012. Comment donc parvenir à libérer des crédits ?

M. Daniel Fasquelle. Nous débattons d’une question très importante, les collectivités locales et les entreprises nous interpellant constamment à propos de la contraction de l’offre de crédit. Après ce rapport, qui vient à point nommé, il est maintenant temps d’agir.

Nous ne pouvons que nous féliciter de la volonté de réorienter l’épargne vers le secteur productif, ainsi que de mieux « cibler » les niches fiscales. Mais quid du crédit impôt-recherche ? Faut-il le réformer, sachant qu’il ne convient pas de brider notre capacité d’innovation ?

S’agissant de la fiscalité de l’assurance-vie, produit auxquels les Français sont très attachés, je m’associe à la question de M. le président Carrez.

En ce qui concerne le livret A, j’ai bien compris votre embarras puisque les promesses de campagne du Président Hollande ne vont pas dans le sens que vous souhaitez et que vous préconisez un lissage dans le temps qui en amoindrira considérablement la portée.

La Banque postale et la Caisse des dépôts ont proposé aux collectivités locales des avances de trésorerie à hauteur de quatre milliards d’euros, à travers des crédits de moyen et long termes. Jugez-vous ce dispositif suffisant ou faut-il le faire évoluer ?

Enfin, je suis souvent interpellé par des chefs d’entreprise, surtout du secteur du tourisme, qui se plaignent de la difficulté à obtenir des banques des avances de trésorerie leur permettant de passer des caps difficiles. Que pensez-vous d’une telle situation ?

M. Hervé Mariton. La Cour des comptes a-t-elle évalué le risque d’assèchement du financement des entreprises qui pourrait résulter du doublement du plafond du livret A ?

La « respiration » du secteur public, ces dernières années, a été relativement faible. La Cour a-t-elle dressé le bilan de l’apport en financement d’une telle respiration, y compris pour les entreprises du secteur public ? A-t-elle tracé quelques pistes pour l’avenir ?

Avez-vous pu quantifier, sur les deux dernières années, les partenariats public-privé qui ne se seraient pas concrétisés ?

La part des non-résidents dans le financement de la dette de l’État est, vous l’avez dit, considérable. Comment appréciez-vous une telle situation ? Quelles mesures pourraient être prises afin d’augmenter la part des résidents, ce qui constitue d’ailleurs un enjeu de souveraineté ?

M. Didier Migaud. Je répondrai à un certain nombre de questions avant de céder la parole au président Babusiaux qui apportera quelques compléments, notamment à propos des problèmes liés à l’assurance-vie qui ont fait l’objet d’un rapport que nous avons présenté en janvier.

Non, il n’existe pas d’inventaire des aides directes aux entreprises. Un tel document exigerait d’ailleurs un travail colossal, d’autant que cette question sensible doit être étudiée au niveau européen. Mais, si le Parlement souhaite s’attaquer à cette tâche, nous ne manquerons pas de l’assister. Nous avons déjà entrepris, dans le cadre du Comité d’évaluation et de contrôle, un travail de cet ordre que nous vous remettrons à la fin de l’année, mais sur un sujet plus limité, puisqu’il s’agit des seuls dispositifs d’aide à la création d’entreprises.

Monsieur le président Gilles Carrez, la contradiction entre la politique fiscale et les besoins en fonds propres est réelle, notre rapport le démontre bien. L’État, en raison des dispositions fiscales qu’il prend, a sa part de responsabilité dans la situation actuelle ; par exemple, la possibilité de déduire les intérêts d’emprunt a eu pour effet d’encourager l’endettement des entreprises au détriment de l’autofinancement ou de la constitution de fonds propres.

Le Fonds d’épargne dispose d’une liquidité abondante, dont le surplus atteint 52 milliards d’euros. Une part de cette somme pourrait être mobilisée pour offrir des financements à long terme à l’économie française. Un tel usage est déjà prévu : une extension des emplois possibles de ces liquidités a été décidée en 2003, puis en 2008. Il serait d’autant plus envisageable de poursuivre dans cette voie qu’un éventuel doublement du plafond du livret A aurait pour effet d’augmenter d’autant les moyens disponibles.

Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la pertinence de ce doublement. En revanche, il convient d’en anticiper les effets afin de mieux les maîtriser, et c’est pourquoi nous proposons une application progressive. En outre, à partir du moment où seule une faible part des livrets atteignent le plafond actuel, nous suggérons, en cas de relèvement, de soumettre aux prélèvements sociaux les intérêts correspondant aux sommes dépassant ce niveau. Une telle disposition ne pourrait qu’aider la sécurité sociale à redresser ses comptes.

Il est vrai que les collectivités territoriales – comme d’ailleurs les hôpitaux ou un certain nombre d’entreprises – éprouvent plus de difficultés à accéder au crédit. Un certain nombre de remèdes sont à l’étude, à commencer par la création d’établissements spécialisés dans le financement des collectivités. Là encore, il ne nous appartient pas de juger une telle proposition. Nous disons seulement que le système ne devra pas bénéficier de la garantie de l’État, déjà trop sollicité à cet égard.

Cela nous conduit à nous interroger sur la pertinence de certaines dépenses, comme nous l’avons déjà fait dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Qu’elle soit engagée par l’État ou par une collectivité territoriale, toute dépense ne contribue pas, en effet, à conforter la croissance. Et si elle le fait, l’effet sera inégal selon la nature de la dépense. C’est pour cette raison que nous avons invité les élus à réfléchir à nouveau aux programmes qu’ils ont engagés en matière d’infrastructures routières – sans que les financements soient toujours assurés, d’ailleurs. Il est essentiel que les décisions d’investissement soient classées en fonction de priorités bien arrêtées.

M. Christian Babusiaux, président de la formation inter-chambres. Sur l’assurance-vie, dont l’encours s’élève à 1 400 milliards d’euros, nous avons formulé un certain nombre d’observations et de préconisations dans notre rapport du 19 janvier.

Notre première conclusion est que l’on ne peut pas orienter directement une partie de ces ressources vers le financement d’entreprises. Les tentatives effectuées en ce sens n’ont en effet rien donné.

En revanche, l’assurance-vie doit être réorientée et devenir un produit d’épargne longue, ce qu’elle n’est pas aujourd’hui dans la mesure où l’avantage fiscal est calculé à partir de la date initiale de souscription du contrat, et non pas en fonction de sa durée de détention.

Le besoin d’épargne longue ne concerne pas que les entreprises, mais aussi les ménages, par exemple lorsqu’ils souhaitent constituer un capital en prévision de leur retraite ou se garantir contre le risque de dépendance. Pour que ce type d’épargne atteigne un volume suffisant en France, il est nécessaire que l’avantage fiscal prenne en compte l’historique des versements plutôt que la date de souscription du contrat.

De même, nous préconisons une modernisation du régime fiscal des rentes viagères, de façon à faciliter la sortie de l’épargne en rente et à stabiliser ainsi les ressources de l’assurance-vie.

Mme Karine Berger. Si on met de côté le cas des nouvelles entreprises, les PME françaises ne souffrent pas de problèmes de fonds propres. Ces derniers représentent en effet 40 % du bilan des très petites entreprises – TPE – et 39 % de celui des PME, alors qu’en Allemagne, ces proportions sont respectivement de 28 % et 34 %. Grâce aux nombreuses améliorations apportées depuis quinze ans, la question des fonds propres n’est donc plus la question centrale pour ce qui concerne le financement des PME.

En revanche, la dette financière des PME françaises est extrêmement faible : elle représente seulement 10 % de leur bilan, contre 20 à 30 % dans le reste de l’Europe. Les banques, dans notre pays, ne financent donc pas les plus petites entreprises à court terme. Elles le font un peu à moyen terme, mais s’agissant du très court terme, les besoins sont financés à 50 % par le crédit interentreprises. Or la question du financement à court terme joue un rôle crucial dans la faillite des entreprises. Bien que ce type de financement soit le sang qui irrigue notre économie, son existence reste cachée dans les bilans croisés des entreprises et il n’apparaît pas dans les données macroéconomiques. La Cour des comptes en a-t-elle fait l’analyse ?

M. Michel Piron. Deux tiers de la dette financière française sont détenus par des non-résidents. Quel est le rapport entre cette proportion et la soutenabilité de la dette ? Je pense à l’exemple du Japon, dont la dette atteint un niveau vertigineux par rapport au PIB, mais reste largement financée par des résidents.

Vous appelez à une fiscalité différenciée selon que l’épargne est à court ou à long terme. Mais on peut également s’interroger sur l’effet de la fiscalité sur la compétitivité de nos entreprises quand on lit, dans un rapport de la Cour des comptes, cette comparaison entre l’imposition en France et en Allemagne : alors que dans ce dernier pays, le produit de l’impôt sur le revenu – avec une assiette beaucoup plus large et une progressivité différente, il est vrai – représente environ 9,5 % du PIB, cette part n’est que de 7,5 % en France, en prenant en compte la CSG et la CRDS. À l’inverse, les charges pesant sur le travail sont beaucoup moins élevées outre-Rhin. Ne faudrait-il pas répartir autrement l’effort fiscal entre les ménages et les entreprises ?

Enfin, l’enchevêtrement des pouvoirs territoriaux ne garantit pas – c’est un euphémisme – l’efficience de l’action publique. Plus encore que la répartition des compétences, n’est-ce pas l’architecture même des collectivités et de leurs relations avec l’État qu’il faut revoir, tant elle est source d’inefficacité et de coûts supplémentaires ?

Mme Frédérique Massat. Un certain nombre de collectivités territoriales
– notamment des régions – ont lancé des souscriptions directes auprès des épargnants. Pensez-vous qu’il s’agit d’une solution pérenne au problème du financement des collectivités ? L’État devrait-il organiser ces souscriptions, ou du moins les accompagner ?

Vous avez évoqué la future agence publique de financement des collectivités territoriales, en soulignant qu’elle ne devrait pas bénéficier de la garantie de l’État. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Devant la commission des Affaires économiques, Arnaud Montebourg a déclaré qu’il comptait aborder la question de l’assurance-vie et celle du livret d’épargne industrie dans le cadre de la discussion sur la Banque publique d’investissement – BPI. Quelles passerelles pourraient être jetées entre ces différentes formes d’épargne ? La fiscalité de l’assurance-vie doit-elle être alourdie, et dans quelle proportion ? Que doit faire l’État pour orienter l’épargne des Français vers le secteur productif ?

M. Damien Abad. J’ai bien compris la nécessité de réorienter l’épargne vers le long terme et vers le financement de l’économie nationale. Mais l’effet combiné du doublement du plafond du livret A et de la remise en question des avantages fiscaux dont bénéficie l’assurance-vie n’irait-il pas à l’encontre de cet objectif ?

Nous savons que les dépenses fiscales échappent souvent à la loi de finances. Êtes-vous favorable à un plafonnement global des niches fiscales, ou faut-il agir au cas par cas, sachant que dans chaque niche fiscale, il y a un chien prêt à mordre ?

N’y a-t-il pas un risque de conflit entre la future Banque publique d’investissement et certains organismes existants tels qu’OSEO, le Fonds stratégique d’investissement ou la Caisse des dépôts ?

Vous avez évoqué la possibilité de faire évoluer le taux et l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Quelles seraient vos préconisations à ce sujet ?

Enfin, quelle est la position de la Cour sur la règle d’or budgétaire ?

M. François Sauvadet. Vous avez déclaré que la collecte des données sur l’aide directe aux entreprises par les collectivités locales représenterait un travail colossal. Quelle conclusion faut-il en tirer ? À l’heure où nous cherchons à évaluer l’efficience de l’intervention publique en matière économique, l’absence d’un tel inventaire n’est-elle pas troublante ? Dans ce domaine, l’État n’est pas le seul à intervenir. Le récolement de toutes les formes d’intervention publique serait donc particulièrement utile au moment où nous nous apprêtons à réexaminer les relations entre l’État et les collectivités territoriales.

En matière de financement des entreprises, il convient par ailleurs de relever ce qui a fonctionné : la médiation du crédit, le guichet unique, la simplification.

Vous craignez des tensions sur le financement des entreprises et des collectivités. Mais, outre les volumes mobilisables, nous devons surveiller l’évolution des taux, car la croissance considérable des marges bancaires a eu pour effet de renchérir le coût du crédit. L’effet sur la structure même des dettes – y compris de celles des collectivités territoriales – est loin d’être anecdotique.

Dans la mesure où les banques sont soumises à des contraintes plus fortes en termes de fonds propres, ce qui est légitime, les risques qu’elles prennent sont moindres. Le risque se reporte donc sur OSEO ou d’autres organismes de ce type, ce qui est préoccupant sachant que l’État est déjà très endetté. Votre rapport illustre les responsabilités assumées par OSEO : entre octobre 2008 et décembre 2010, 22 800 entreprises comptabilisant 382 500 emplois ont bénéficié de ses garanties. Le groupe estime que la moitié d’entre elles aurait pu déposer le bilan sans son aide.

M. Éric Alauzet. Vous avez suggéré quelques pistes pour améliorer le financement de l’économie, comme le plafonnement de la déductibilité des intérêts d’emprunt des entreprises.

Sur le plan fiscal, en revanche, vous semblez plus hésitant. Il est vrai que le sujet est sensible et propice aux slogans tels que « l’impôt tue l’impôt » ou « telle mesure est confiscatoire ». Il est temps de changer d’approche sur cette question : ce qui importe, ce n’est pas tant ce que l’on paye, ni le taux d’imposition, mais que ce qui reste, c’est-à-dire la rémunération nette.

Au bout du compte, la question est de savoir où est passé l’argent de la croissance que nous avons connue depuis soixante ans. On sait que depuis trente ans, la part des revenus du travail dans la richesse nationale a diminué de dix points au profit du capital. On a évoqué également les revenus de l’immobilier ou de l’assurance-vie. Mais qu’en est-il de tous les profits que les uns et les autres tirent de la dette, au point d’avoir intérêt à ce que son poids soit maintenu ? Je souhaiterais bénéficier d’un approfondissement sur toutes ces questions.

M. Didier Migaud. N’attendez pas tout de la Cour des comptes : celle-ci ne saurait se substituer aux autorités politiques. Nous formulons des constats, des observations, des recommandations, mais vous détenez vous-mêmes une partie des réponses.

En ce qui concerne le financement des PME, nous ne sommes pas en désaccord avec les propos de Mme Berger. Le rapport évoque le crédit interentreprises, notamment pour constater l’absence d’effet de la loi de modernisation de l’économie en ce domaine. Par ailleurs, nous savons que le crédit interentreprises ne finance pas l’investissement.

Nous avons toujours appelé à une certaine vigilance au sujet de la répartition de la dette entre résidents et non-résidents. Le problème est que son éventuelle renationalisation par l’État pourrait avoir un effet d’éviction sur les autres agents, et notamment sur les entreprises. Nous insistons toujours sur l’interdépendance entre les différents acteurs du système : plus les collectivités publiques sollicitent les marchés, plus grandes peuvent être les difficultés des entreprises non financières à se financer.

Le problème est que la France souffre à la fois d’un haut niveau de dette et d’un besoin global de financement – comme je l’ai rappelé, elle connaît un déficit en ce domaine. Le Japon, lui, se trouve en capacité de financement, dans des proportions semblables à l’Allemagne. En la matière, comparaison n’est donc pas raison.

Le graphique figurant en page 170 du rapport vise justement à exprimer le problème de gouvernance que pose la complexité du secteur financier public. Il faut simplifier, par exemple en limitant la redondance entre certaines activités du Fonds stratégique d’investissement et de CDC Entreprises.

Je le répète, la Cour ne recommande pas à l’État d’accorder sa garantie à une agence de financement des collectivités territoriales. D’autres solutions existent en ce domaine.

M. Christian Babusiaux. Nous pensons en effet qu’il serait très difficile, dans les circonstances actuelles, de concevoir un système public destiné à assurer l’ensemble du financement des collectivités territoriales. C’est pourquoi il faut diversifier leur modèle de financement. Par exemple, un nombre important d’entre elles peuvent, à l’instar des Länder allemands, avoir recours à des financements de type obligataire. D’autres, bien entendu, auraient besoin d’un système public ou parapublic. Force est de constater, cependant, que le partenariat envisagé à cet effet entre la Banque postale et la Caisse des dépôts n’a pour l’instant pas abouti. Seules des enveloppes d’urgence ont été débloquées.

Nous avons déjà souligné la progression rapide de l’encours de la dette garantie, qui risque de se poursuivre dans la mesure où l’État doit garantir des mécanismes mis en place à l’échelle européenne. Or les prêteurs considèrent l’ensemble des garanties accordées, qu’elles concernent des États étrangers, des collectivités territoriales ou des entreprises. Le risque serait donc trop important si l’État était amené à garantir une éventuelle agence de financement des collectivités locales.

M. Didier Migaud. J’en reviens à la déductibilité des intérêts de l’emprunt, une mesure dont le coût peut être estimé entre 4 et 5 milliards d’euros. On sait qu’elle bénéficie davantage aux grands groupes : grâce à elle, ces derniers ont pu réduire de 14 points leur taux d’imposition, ce qui explique pour partie la différence constatée à cet égard entre les entreprises de plus de 5 000 salariés et les PME.

On m’a interrogé sur les liens entre l’assurance-vie, la Banque publique d’investissement et le livret d’épargne industrie. En matière d’épargne, le principal message de la Cour consiste à préconiser d’établir une hiérarchie entre l’épargne de court et de long terme, au profit de la seconde. À cet égard, un certain nombre de mesures fiscales adoptées dans le passé ont des effets contre-productifs. La politique fiscale peut donc constituer un moyen d’action en matière de financement de l’économie, même si elle ne peut être le seul.

Il va sans dire que la question de la répartition des rôles entre la future Banque publique d’investissement et le Fonds d’épargne devra être posée. Ce n’est pas un hasard si nous ne cessons d’appeler votre attention sur la complexité du système financier public. Dans l’hypothèse d’une mobilisation partielle du surplus de liquidités du Fonds d’épargne, il faudra veiller à éviter les chevauchements entre cette politique et les dispositions éventuellement prises par la BPI. Les rôles de chacun doivent être clarifiés.

Non seulement un lien devra être établi entre la Banque d’investissement et le Fonds d’épargne, mais aussi entre ces deux institutions et tout ce qui relève des investissements d’avenir. L’ensemble représente une masse de crédit qui doit être utilisée de façon coordonnée.

J’en viens aux questions de M. Sauvadet. De plus en plus d’aides sont accordées aux entreprises par les collectivités territoriales – la réglementation européenne interdit qu’il s’agisse d’aides directes, mais il existe d’autres moyens de leur porter assistance… Cela étant, aucun inventaire de ces aides n’a été réalisé, alors qu’il serait sans doute utile que les ministères concernés puissent agréger de telles données. Le sujet pourrait être abordé dans le cadre de la réflexion sur l’acte III de la décentralisation et sur la répartition des compétences entre collectivités. Dans ce domaine également, une clarification est nécessaire.

En ce qui concerne les niches fiscales et sociales, il n’appartient pas à la Cour de donner des directives. Mais nous notons que le recours aux dispositifs dérogatoires a considérablement augmenté ces dernières années, à l’évidence dans le but de contourner les normes d’évolution de la dépense budgétaire. Nous vous incitons donc à amplifier le mouvement de réduction de ces niches. Les marges de manœuvre existent pour ce faire : tous les rapports de la Cour en contiennent des exemples.

M. Jean-Louis Gagnaire. La loi du 13 août 2004 fait obligation aux conseils régionaux, chefs de file en matière de politique économique, de transmettre à l’État l’ensemble des données sur les aides directes. Mais vous confirmez ce que je craignais : ces informations ne font l’objet d’aucune exploitation, ce qui est regrettable. Certes, leur collecte représenterait un travail très difficile, mais dans la mesure où tous les systèmes d’aides accordées par les collectivités font l’objet de conventions, il doit être possible de parvenir à une vue d’ensemble. Cela pourrait en effet constituer un sujet de réflexion dans le cadre des discussions sur l’acte III de la décentralisation.

En ce qui concerne les fonds propres des entreprises, je nuancerai le propos de Mme Berger : dans notre pays, le financement peut être problématique lorsque l’entreprise est issue d’un incubateur et donc très innovante. Et si elle ne parvient pas à se financer, elle risque de passer dans les mains de prédateurs étrangers ou de fonds de pension dont l’investissement n’a pour but que de développer l’innovation pour leur propre compte, voire de tuer la concurrence. Une autre difficulté concerne le développement des entreprises industrielles, dont le rendement n’est pas à deux chiffres et qui peinent à trouver des investisseurs. Enfin, on peut citer le cas des entreprises en redéploiement, dont l’actualité récente offre plusieurs exemples. Nous devons absolument trouver les moyens d’abonder le capital de toutes ces entreprises.

La Banque publique d’investissement constitue une réponse possible. Mais entre un système très centralisé, à l’ancienne, et un système copiloté par les collectivités territoriales – et notamment les régions –, il existe certainement un juste milieu. Quelle est votre vision de l’organisation de la BPI ? Il est en tout cas indispensable, selon moi, de mettre en place un comité d’engagement territorialisé, voire décentralisé.

M. Alain Chrétien. Les emprunts dits « toxiques » contractés par certaines collectivités territoriales sont sur le point d’entrer dans une phase active et leurs taux risquent d’exploser au cours des mois à venir. Les contentieux se multiplient à ce sujet. Une solution consisterait à prendre modèle sur l’article 313-3 du code de la consommation et à définir un taux d’usure applicable à ces emprunts afin de plafonner le montant des mensualités dues aux banques. Qu’en pensez-vous ?

M. François Pupponi. Dans son rapport sur la politique de la ville, la Cour des comptes note que le financement de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, n’est pas assuré pour l’année 2013, et a fortiori pour les années suivantes. Or tout le monde s’accorde à juger nécessaire le lancement d’un deuxième plan national de rénovation urbaine, doté de crédits comparable au premier, soit 40 milliards d’euros, dont 7 à 8 milliards à la charge de l’État. Quelle est votre vision des besoins de financement dans le domaine du logement, notamment du logement social ?

Mme Marie-Lou Marcel. La Cour des comptes a dressé un bilan peu flatteur de la prime à l’aménagement du territoire, la PAT, conçue pour renforcer l’attractivité des territoires et pour soutenir les zones en difficulté. Son rapport met en évidence de nombreuses défaillances et dysfonctionnements – avis défavorable des experts non pris en compte, favoritisme au profit de certaines entreprises… – et juge insuffisants les crédits alloués à ce dispositif – 40 millions d’euros. Rappelons qu’entre 2005 et 2009, 356 entreprises ont été aidées, comptabilisant environ 39 000 emplois.

La Cour recommande la suppression de cette prime. Quel dispositif pourrait s’y substituer ? Quel serait le moyen le plus pertinent d’évaluer de telles aides ?

M. Thierry Benoit. La voix de la Cour des comptes est toujours écoutée dans notre pays. Il est indiscutable également que vous avez été nommé à la tête de cette institution en raison de votre connaissance des finances publiques, de votre intransigeance et de votre impartialité. Mais votre ton est-il à la hauteur de la gravité de la situation, qui appellerait des préconisations sans complaisance ? Il faut croire que vous êtes trop diplomate, puisque la dernière consultation électorale a montré que les Français préfèrent toujours la facilité à la rigueur et à « l’effort juste »…

Le gouvernement précédent avait engagé une révision générale des politiques publiques, en partant du constat que la dépense publique est le premier levier sur lequel agir pour sortir la France de ses difficultés financières. Pour le Centre, auquel j’appartiens, les deux tiers de l’effort nécessaire devraient porter sur cette colonne. Selon vous, le Gouvernement doit-il à cette fin continuer à redimensionner de manière globale le nombre d’agents dans la sphère publique ?

Il y a quelques jours, dans un quotidien, vous avez souligné que, tandis que la France connaît un déficit budgétaire, ses entreprises souffrent d’un déficit de compétitivité. Or nous ne disposons que de deux impôts à fort rendement, la CSG et la TVA sociale, auxquels le Gouvernement sera bien obligé de recourir. Que préconisez-vous pour améliorer la compétitivité des entreprises ? Êtes-vous favorable à l’instauration d’une TVA sociale, qui taxerait la consommation plutôt que la production ? Je rappelle qu’en Allemagne, les charges patronales représentent 23 % du salaire, contre 49 % chez nous.

Enfin, avez-vous évalué l’impact de la réduction du temps de travail hebdomadaire, décidée il y a plus de dix ans, sur la compétitivité ?

Mme Sandrine Mazetier. Je rappelle à M. Benoit que, depuis dix ans, sa famille politique a voté bien d’autres mesures ! Monsieur le Premier président, êtes-vous aussi sévère que votre prédécesseur sur les partenariats public-privé ? Quel regard portez-vous sur les LBO – Leveraged Buy-Out ?

Mme Michèle Bonneton. Les administrations et les services publics, dont la Cour préconise de diminuer les dépenses, fonctionnent déjà difficilement. De ce fait, les collectivités locales font souvent appel à des services privés, ce qui grève leur budget. Au final, la réduction des dépenses est environ trois fois moindre que prévu. Faut-il s’obstiner à diminuer de façon drastique les dépenses en faveur des services publics, sachant que ceux-ci contribuent à amortir les effets de la crise ?

La Cour plaide aussi pour une limitation globale des investissements, mais comment nier que certains d’entre eux sont indispensables, comme l’investissement dans le logement neuf, dans le logement social, dans la réhabilitation et dans l’isolation ?

Les compétences de la Cour lui permettent-elles de mettre en relation les fonds européens mobilisables, comme certains fonds structurels, et les problématiques économiques et financières françaises ?

J’insiste enfin sur le fait que nos PME et nos TPE ont beaucoup de mal à accéder au crédit. Actuellement, il est quasiment impossible de créer une TPE !

Mme Corinne Erhel. Le chantier du très haut débit, qui sera facteur de croissance, exige un investissement estimé, pour les dix ans à venir, à plus de 25 milliards d’euros. Selon vous, quelle part de ses recettes l’opérateur historique, dont l’État détient 27 %, doit-il verser en dividendes et quelle part doit-il consacrer à cet investissement ?

M. Didier Migaud. La Cour dispose de compétences et de missions étendues, mais nous ne vivons pas sous un gouvernement des juges. Il appartient donc au Parlement ou au Gouvernement de répondre à certaines de vos questions.

Madame Erhel, l’État, qui entend percevoir des dividendes des entreprises publiques, se montre souvent exigeant, ce qui pèse parfois sur la bonne marche de ces sociétés comme sur la qualité du service public. Au risque de passer pour peu diplomates, nous avons reproché à certaines institutions d’avoir rendu des arbitrages à court terme, au détriment de l’intérêt général, dans le seul souci d’assurer des recettes complémentaires à l’État. Reste à trouver le bon équilibre, ce à quoi s’attache, je le sais, la commission des finances.

Le problème posé par les aides directes est moins celui de leur volume global que celui de leur affectation. Quel intérêt présentent-elles ? À qui et à quoi sont-elles destinées ? Créent-elles réellement de l’emploi, ou favorisent-elles seulement sa délocalisation sur le territoire national ? Selon une étude qui remonte à quelques années, leur effet sur la création d’emplois, alors même qu’elles représentent un volume considérable, est extrêmement modeste, preuve qu’elles ne sont pas réellement utiles.

Si le financement des PME n’est pas au cœur de nos difficultés, nous en convenons avec madame Berger, certaines d’entre elles rencontrent des problèmes dans ce domaine, notamment après la phase d’innovation, dans leur phase de développement, stade auquel elles méritent d’être confortées, peut-être au prix d’interventions publiques. C’est pourquoi nous préconisons un décloisonnement entre le Fonds stratégique d’investissement et CDC Entreprises, pour éviter des effets de seuil qui leur seraient préjudiciables.

La PAT n’a plus qu’un effet marginal, et elle est versée si tard que son utilité pour les entreprises est loin d’être évidente. La réflexion sur les aides doit être menée dans le cadre global d’une clarification des compétences de l’État et des collectivités territoriales : pourquoi le premier continuerait-il de financer certains dispositifs quand les régions peuvent être beaucoup plus efficaces ?

J’ignore si nous sommes diplomates, mais notre message est clair : la situation financière de l’État et de la sécurité sociale est particulièrement grave et la dépense publique doit être efficace. Pour les comptes de l’État, la Cour n’a pas d’expression publique sur une règle d’or en tant que telle. Nous disons simplement que des règles sont nécessaires mais qu’elles ne sont pas suffisantes : il faut aussi s’attacher à les respecter. Pour les comptes sociaux, en revanche, la Cour est beaucoup plus formelle : elle considère le déficit de la sécurité sociale comme une anomalie, car il n’est pas normal de faire supporter les dépenses courantes de fonctionnement par les générations à venir.

Si l’expression de « révision générale des politiques publiques » est si connotée qu’on évite aujourd’hui de l’utiliser, il faut régulièrement passer les politiques publiques au tamis de l’efficacité. Quel que soit le nom qu’on donne à l’exercice, il est indispensable et doit être le fait de l’ensemble des acteurs : Gouvernement, parlementaires et fonctionnaires. Pourquoi ne pas s’interroger, par exemple, sur l’accumulation des dispositifs ? Dans ce domaine, il reste encore des marges pour limiter la dépense publique.

Ce que nous proposons, que d’aucuns nomment austérité, implique non qu’on baisse le montant de la dépense publique, mais qu’on ne l’augmente pas au-delà de l’inflation. À défaut, il faudra opérer demain un réajustement plus drastique encore, car le contexte international impose aux pays souverains de maîtriser leur endettement.

Vous le voyez : si la Cour ne fixe pas de trajectoire, elle répond à des questions, effectue certains constats et formule des propositions. Pour 2013, elle suggère d’agir à part égale sur les recettes et sur les dépenses, bien que, spontanément, elle privilégierait plutôt la seconde piste. Si la suppression de certaines niches fiscales et sociales ne suffit pas, il faudra nécessairement recourir aux impôts à assiette large. Certains d’entre vous ont réagi quand j’ai parlé d’augmenter « la TVA ou la CSG », mais, dans les commissions parlementaires, certaines voix s’élèvent déjà pour réclamer la remise en cause du taux de TVA sur la restauration, preuve que vous envisagez vous aussi de jouer sur ce levier. Le statut de la Cour et sa collégialité garantissent son impartialité. Son rôle est de faire preuve de pédagogie.

Au risque de répéter le rapport, j’insiste sur la trop faible compétitivité de notre économie. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder notre balance commerciale. Notre pays taxe plus que d’autres le travail et les facteurs de production.

Nous avons émis des réserves sur les partenariats public-privé. Les LBO ont bénéficié d’un effet de mode, et l’on sait que ceux-ci peuvent être pervers. Nous allons travailler sur d’autres sujets, afin de conforter les messages que délivre notre rapport.

La commission d’enquête parlementaire sur les emprunts toxiques a formulé des propositions, et la Cour a souligné la dangerosité des produits à risque. Si le législateur ne peut édicter des règles valant pour le marché financier international, il peut du moins encadrer le recours à l’emprunt des collectivités territoriales ou interdire à certains établissements publics de leur proposer tel type de produit. L’administration des collectivités territoriales est libre, mais dans le cadre des lois qui la réglementent. L’État n’est donc pas démuni s’il veut intervenir. Dans un rapport précédent, nous avons proposé de réserver une part plus grande au délibératif et de rendre plus transparentes les décisions des collectivités.

Enfin, le problème du logement n’est pas seulement lié à la question des moyens budgétaires disponibles. Il est aussi lié au foncier : même quand on dispose de suffisamment de liquidités, il n’est pas aisé de se procurer des terrains pour construire !

M. le président Gilles Carrez. Bien sûr ! Quand on voit la manière dont l’immobilier a préempté l’épargne, on peut s’interroger sur l’intérêt des dispositifs d’incitation.

M. Alain Fauré. À plusieurs reprises, vous avez observé que certaines de nos questions relevaient en fait de notre responsabilité. Soit ! Mais la vôtre n’est-elle pas de dresser une liste des aides directes aux entreprises, qui seule permettrait d’évaluer leur efficacité en faveur de l’emploi et de la croissance ?

Comment expliquer que l’épargne des Français s’oriente vers des placements à l’étranger, ce qui ne contribue pas à sécuriser nos finances publiques ?

Comment, enfin, rompre le cercle vicieux de la défiscalisation, qui incite les entreprises à recourir à l’emprunt au lieu d’utiliser leur propre trésorerie ?

M. Laurent Grandguillaume. Depuis quarante-huit heures, on voit surgir de nouveaux contrats d’assurance-vie, ce qui n’a rien de surprenant après les mesures récentes relatives à l’ISF. De même, on dit à nouveau qu’il faut défendre l’épargne de long terme. Si c’est le cas, quel dommage que, lorsqu’il était ministre des finances, Nicolas Sarkozy ait supprimé le plan d’épargne populaire, qui concernait cinq millions de Français ! Quoi qu’il en soit, le moment est venu d’étudier les produits alternatifs à l’assurance-vie.

M. Philippe Kemel. Le tableau qui présente le besoin de financement du pays met en lumière une difficulté : quand l’épargne doit s’orienter vers le long terme, l’économie ne peut se financer que sur le marché financier mondial, qui impose ses normes en matière de rémunération. Les circuits directs proposant des taux de rémunération plus faibles, l’épargne se tourne vers l’étranger. Or l’ordre financier mondial favorise l’instabilité. Ainsi, les récentes déclarations de Moody’s sur l’Allemagne ont fragilisé non seulement ce pays, mais même l’Espagne. Dans ce contexte, quelle régulation adopter afin que nos efforts pour stabiliser l’épargne favorisent notre système productif ?

M. Thierry Mandon. Fondée sur des innovations technologiques de rupture, l’économie de l’innovation – dans des domaines comme la biotechnologie, les écoactivités, les nanotechnologies et le numérique – bénéficie d’une croissance à deux chiffres mais est confrontée aussi à des risques importants. Elle se retrouve étranglée dans notre économie dominée par le souci de maîtriser les risques en observant des ratios prudentiels. Le problème se pose non seulement pour « le financement en fonds propres des entreprises en phase d’amorçage et de premiers développements », comme il est dit dans votre rapport, mais sur le plus long terme, puisque les pays étrangers nous privent de ces entreprises qui auraient pu être les fleurons de notre industrie. Pensez-vous qu’OSEO pourrait les aider en même temps que la Banque publique d’investissement, ou considérez-vous que celle-ci doit être seule responsable en la matière ?

M. Philippe Le Ray. Lorsque nous rencontrons les représentants des collectivités ou les chefs d’entreprise, ils nous parlent moins de finances que des nombreux freins qui les empêchent de se développer. Quand une collectivité veut investir dans une route, un équipement, un bâtiment ou du logement, elle doit faire face à de multiples recours. Sur mon territoire, aucun PLU n’est sorti depuis cinq ans. Créer une entreprise est extrêmement long, la développer est un parcours du combattant : nous battons des records dans ce domaine, ce qui explique qu’en dix ans, certaines zones n’aient pas pu se développer alors qu’on aurait pu y créer des emplois. Il faut tenir compte de ces freins si l’on veut évaluer notre compétitivité.

M. Marc Goua. Vous avez indiqué que la valorisation des actifs immobiliers avait été multipliée par 3,5 en quinze ans, et celle des actifs financiers seulement par deux, mais il faut ajouter que, pendant cette période, les cours de la Bourse ont été divisés par deux. D’autre part, pouvez-vous confirmer que vous êtes favorable à la fiscalisation, au-delà du plafond actuel, des intérêts versés sur le livret A, ce qui constituerait une révolution ?

M. le président Gilles Carrez. Ces intérêts seraient non fiscalisés, mais soumis à des prélèvements sociaux.

M. Philippe Le Ray. Pour que la Caisse des dépôts se redonne des marges de manœuvre, seriez-vous favorable à ce qu’elle cède des participations au secteur marchand, qui semble être demandeur ?

La multiplicité des sources de financement et la complexité de la gouvernance ne sont-elles pas des problèmes en elles-mêmes ? À ce propos, à qui reviendra la gouvernance de la BPI ?

M. Didier Migaud. L’évolution des cours de la Bourse citée par M. Goua concerne les actions, mais non les obligations, qui représentent une part importante de l’épargne financière, notamment de l’assurance-vie.

Si nous ne possédons pas le détail des aides directes aux entreprises, le rapport rappelle que, sur le long terme, leur volume est resté stable, à environ 0,75 % du PIB. Il est difficile d’évaluer leur impact sur la croissance, mais celui-ci semble modeste, rapporté à l’énormité des sommes engagées.

Le présent rapport porte sur « l’État et le financement de l’économie », mais, en dehors de l’aspect strictement financier, je conviens que notre pays connaît beaucoup de pesanteurs et de rigidités, qui tiennent par exemple à l’empilement des dispositifs. Vous aborderez sans doute le problème dans le cadre de l’acte III de la décentralisation

L’économie de l’endettement, dans laquelle nous nous sommes tous installés, est extrêmement perverse. Certains se réjouissent que l’État s’endette à des taux négatifs sur le très court terme, sans voir le danger que ceux-ci représentent. Ira-t-on jusqu’à prétendre qu’on s’enrichit en empruntant, ce qui est évidemment faux à long terme ? Je rappelle qu’il faut maîtriser l’endettement et qu’un pays endetté est d’autant plus sensible aux taux d’intérêt, ce dont nos voisins font en ce moment la triste expérience. Enfin, ne sous-estimons pas la capacité d’adaptation des acteurs, qui explique que la suppression d’une niche rapporte toujours moins que ce qu’elle coûtait.

Dans un contexte mondialisé, l’État français n’est pas sans moyens, mais il doit s’abstenir de choix contradictoires. Or nombre de mesures fiscales se contredisent, ce qui réduit leur efficacité.

S’il est un domaine où l’État doit jouer un rôle, c’est en effet l’innovation, monsieur Mandon. En France, des entreprises innovantes ont pu bénéficier de soutiens. OSEO ou d’autres dispositifs publics pourraient prendre le relais en les aidant à conforter leur situation, ce qu’on ne peut attendre du marché. De même, malgré quelques réserves, la Cour n’a pas formulé de critique essentielle contre le crédit impôt-recherche, car la R & D est un élément essentiel de la compétitivité d’un pays.

Enfin, monsieur Goua, je vous confirme ce que j’ai dit sur le livret A : au-delà du plafond actuel, il serait pertinent de soumettre les intérêts à des prélèvements sociaux. La mesure ne toucherait pas un public particulièrement modeste : 8 % seulement des détenteurs atteignent ce plafond. Mais des précautions s’imposeront, comme je l’ai dit, pour éviter certains effets pervers.

M. le président Gilles Carrez. Je vous remercie.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 25 juillet 2012 à 11 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, Mme Karine Berger, M. Christophe Caresche, M. Gilles Carrez, M. Pascal Cherki, M. Alain Claeys, M. Olivier Dassault, M. Jean-Louis Dumont, M. Christian Eckert, M. Olivier Faure, M. Alain Fauré, M. Jean-Louis Gagnaire, Mme Annick Girardin, M. Claude Goasguen, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, M. Régis Juanico, M. Jérôme Lambert, M. Jean Lassalle, M. Dominique Lefebvre, M. Thierry Mandon, M. Hervé Mariton, Mme Sandrine Mazetier, Mme Valérie Pecresse, Mme Christine Pires Beaune, Mme Monique Rabin, M. Thierry Robert, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Thomas Thévenoud

Excusés. - M. Dominique Baert, M. Pierre-Alain Muet, M. Michel Vergnier

Assistait également à la réunion. - M. Alain Chrétien