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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 23 avril 2014

Séance de 9 heures 45

Compte rendu n° 69

Présidence de M. Gilles Carrez,
Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l’avis du Haut Conseil relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité 2014-2017

–  Présences en réunion

La Commission entend, en audition ouverte à la presse, M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l’avis du Haut Conseil relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité 2014-2017.

M. le président Gilles Carrez. Le Haut Conseil des finances publiques a rendu cette nuit son avis sur le programme de stabilité 2014-2017, qui porte essentiellement sur les prévisions macroéconomiques associées à ce programme. Sur les finances publiques, il sera saisi fin mai du projet de loi de règlement pour 2013 et, en juin, de projets de lois de finances et de financement rectificatives.

Néanmoins, il est difficile de séparer les deux domaines, dans la mesure où le programme de stabilité n’est rien d’autre qu’une loi de prévision pluriannuelle des finances publiques, avec des dépenses, des recettes et un écart que l’on mesure, même s’il s’exprime en solde structurel.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques. Je vous remercie d’avoir bien voulu m’inviter pour vous présenter les principales conclusions de l’avis du Haut Conseil des finances publiques relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour 2014-2017.

Je suis accompagné des membres du secrétariat permanent du Haut Conseil : François Monier, rapporteur général, Philippe Ravalet et Boris Melmoux-Eude, rapporteurs généraux-adjoints, Nathalie Georges et Annabelle Mourougane, rapporteurs.

C’est la deuxième fois que le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur le projet
de programme de stabilité adressé par la France au Conseil de l’Union européenne et à
la Commission européenne. En application de l’article 17 de la loi organique
du 17 décembre 2012, son avis ne porte que sur les prévisions macroéconomiques sous-jacentes à la trajectoire de finances publiques jusqu’en 2017, bien que le Haut Conseil, s’il se prononce sur les seules prévisions macroéconomiques, ne puisse ignorer les finances publiques, qui ont un impact sur la macroéconomie.

Avant d’en venir aux principales conclusions, je rappellerai brièvement les conditions dans lesquelles le Haut Conseil a préparé cet avis.

Les délais sont toujours aussi contraints, d’autant que, cette année, en raison du remaniement ministériel, le calendrier a été décalé d’une semaine. Le Haut Conseil a été saisi le 16 avril, peu avant d’auditionner le directeur du budget et la directrice générale adjointe du Trésor. Il serait souhaitable que, compte tenu de la brièveté des délais impartis, il dispose, préalablement à la saisine, d’éléments de cadrage macroéconomique préliminaires pour lui permettre de débuter ses travaux, ce qui avait été le cas l’année dernière.

Si elles nous sont parvenues tardivement, les informations communiquées par les administrations de l’Économie et des Finances ont gagné en exhaustivité et en qualité depuis le précédent exercice. Nous avons adressé aux administrations des demandes complémentaires, à la suite des auditions de leurs responsables et des premiers échanges au sein du Haut Conseil.

Si complètes et précises qu’elles soient, ces informations doivent être expertisées par le Haut Conseil, qui, s’il ne produit pas lui-même de prévisions macroéconomiques comme certains de ses homologues européens, se doit d’analyser la cohérence du scénario présenté par le Gouvernement. Il vérifie les enchaînements macroéconomiques qui le sous-tendent et apprécie les hypothèses retenues. Enfin, il procède à toute audition utile lui permettant d’éclairer ses travaux.

Le 22 avril, il a adopté un avis dont voici les principales conclusions.

Le scénario macroéconomique du Gouvernement pour les années 2014 à 2017 s’appuie sur l’enchaînement de plusieurs hypothèses favorables.

Il repose à titre principal sur l’amélioration de l’environnement international, en particulier dans la zone euro. Cette amélioration permettrait une relance des exportations françaises et favoriserait le redémarrage de l’activité après deux années de stagnation.

Le Haut Conseil juge vraisemblable ce scénario de reprise en France portée par une amélioration de l’environnement international. Il constate toutefois que l’hypothèse de demande mondiale adressée à la France, retenue par le Gouvernement, est un peu plus élevée que celle des organismes internationaux. La capacité des entreprises françaises à bénéficier de la reprise mondiale est soumise à deux aléas : la variation du cours de l’euro et l’évolution de la compétitivité de la France par rapport à ses principaux partenaires, notamment européens, dont certains augmentent fortement leur compétitivité.

Le Gouvernement fonde ensuite son scénario économique sur l’enclenchement d’un cercle vertueux selon lequel l’effet de la consolidation budgétaire sur l’activité serait en partie atténué par les effets d’entraînement des baisses de prélèvements. Celles-ci favoriseraient l’investissement des entreprises comme la consommation, et limiteraient l’impact d’une maîtrise renforcée des dépenses publiques sur l’activité.

Ce scénario présente certains risques.

En premier lieu, la réalisation du cercle vertueux suppose une crédibilité forte de la politique économique du Gouvernement, qui conduirait les agents, sous l’effet d’un regain de confiance, à modifier leurs comportements dans la direction attendue.

En second lieu, les effets d’entraînement de la politique de l’offre risquent de tarder à se reporter sur l’emploi et les salaires. Les mesures montent en charge progressivement et leur effet positif pourrait être limité en début de période, à la différence des économies budgétaires.

Le Gouvernement poursuit la consolidation budgétaire en réduisant le déficit structurel de 0,8 point par an en 2014-2015, puis de 0,5 point par an en 2016-2017, donc selon un rythme sensiblement moins soutenu qu’en 2011-2013. En dépit de ce qu’il avait annoncé en septembre, il repousse à 2017 l’équilibre structurel des finances publiques et ajuste sa trajectoire en conséquence.

Pour 2014, la prévision de croissance est réaliste.

Dans l’avis relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale de septembre 2013, le Haut Conseil avait jugé plausibles les prévisions du Gouvernement pour 2014. Celles-ci sont quasiment inchangées, puisqu’elles sont passées de 0,9 à 1 %.

À ce stade de l’année, le Haut Conseil observe que les aléas identifiés en septembre, notamment ceux qui concernent l’environnement international, se sont réduits ou ne se sont pas matérialisés. Toutefois, des incertitudes demeurent sur l’évolution du cours de l’euro et sur l’impact de la revue des bilans bancaires effectuée par la Banque centrale européenne.

La progression du PIB à un rythme annuel proche de 1 % depuis le printemps 2013, les résultats des enquêtes de conjoncture depuis le début de l’année 2014 – qui suggèrent une poursuite de cette tendance dans les mois à venir sans toutefois signaler d’accélération – et les dernières prévisions de l’INSEE, qui correspondent à un acquis de croissance de 0,7 % à la fin du premier semestre, conduisent le Haut Conseil à juger réaliste la prévision de croissance du Gouvernement de 1,0 % pour l’année 2014, puisque le scénario sur lequel elle repose n’est affecté d’aucun risque baissier majeur.

Pour 2015, la prévision de croissance n’est pas hors d’atteinte, mais le scénario macroéconomique du Gouvernement repose sur la réalisation simultanée d’hypothèses favorables.

Le Gouvernement attend une croissance de 1,7 % en 2015, conforme à celle prévue dans le projet de loi de finances pour 2014. Cette prévision mise sur l’amélioration du contexte économique mondial, le regain de la confiance des ménages et l’impact rapide sur l’emploi et les salaires des allégements des prélèvements obligatoires. Elle se situe dans la fourchette haute des estimations effectuées par les organismes internationaux. L’OCDE et le FMI prévoient respectivement une croissance de 1,6 % et 1,5 %. La Commission européenne anticipe une croissance en apparence identique à celle du Gouvernement, bien qu’elle ne repose pas sur les mêmes hypothèses. Les prévisions de la Commission, qui sont réalisées « à politiques inchangées », n’intègrent pas les mesures d’ajustement budgétaire et d’allégement des cotisations patronales annoncées depuis le début de l’année. Je rappelle que le scénario de la Commission repose sur un déficit public de 3,9 % contre 3,0 % dans celui du Gouvernement, de l’OCDE et du FMI.

Si la prévision de croissance ne semble pas hors de portée, le scénario macroéconomique présenté par le Gouvernement comporte des éléments de fragilité qui concernent principalement la dynamique de l’emploi et le revenu des ménages. En outre, il est soumis à différents aléas.

Le premier élément de fragilité tient à l’optimisme des prévisions relatives à l’emploi et à la masse salariale du secteur privé, laquelle pourrait progresser moins vite que ne le prévoit le Gouvernement.

Les prévisions d’emploi sont importantes, au même titre que les prévisions de croissance, puisque l’évolution de l’emploi exerce des effets sur le dynamisme de l’activité économique et l’équilibre des comptes publics. Des hypothèses trop favorables peuvent conduire, d’une part, à une surestimation de la masse salariale et, partant, des recettes de cotisations sociales et de CSG, d’autre part, à une sous-estimation des dépenses d’assurance chômage.

L’analyse des prévisions d’emploi du Gouvernement fait apparaître que la création de 160 000 emplois salariés en 2015 dans le secteur privé s’expliquerait essentiellement par les mesures de politique économique annoncées dans le cadre du pacte de compétitivité, comme le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE –, et du pacte de responsabilité, comme l’allégement de cotisations patronales.

Or, comme il l’avait noté dans son avis relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2014, le Haut Conseil estime que le Gouvernement surestime les effets que pourra produire le CICE, lequel ne peut pas être purement assimilé, sur le plan économique, à une baisse des cotisations sociales patronales.

En outre, les effets des allégements de cotisations sociales patronales prévues à partir de 2015, notamment sur les bas salaires, peuvent être moins rapides qu’escompté. Ce décalage, déjà constaté par le passé, pourrait être amplifié à l’heure où les entreprises doivent améliorer leur situation financière.

S’agissant de la masse salariale du secteur privé, la progression du salaire moyen prévue par le Gouvernement paraît relativement dynamique. Plusieurs facteurs pourraient conduire à des augmentations de salaires plus contenues : l’effet retardé du ralentissement des prix sur les négociations salariales, le maintien du chômage à un niveau toujours élevé, la grande modération salariale observée chez certains de nos partenaires européens, et la volonté des entreprises de restaurer leurs marges.

La seconde fragilité, qui découle en partie de la première, concerne les prévisions de revenu et de consommation des ménages. Le Haut Conseil juge favorables les hypothèses sur la dynamique de la demande interne, qui auront pour effet d’atténuer l’impact de l’ajustement budgétaire. Au-delà même des mesures en faveur des ménages les plus modestes, le pouvoir d’achat des ménages pourrait augmenter moins rapidement qu’attendu en raison d’une masse salariale moins dynamique ; par ailleurs, les ménages pourraient préserver leur épargne de précaution, compte tenu d’un taux de chômage encore élevé.

Les aléas qui entourent ce scénario concernent notamment l’environnement international.

Certains aléas identifiés pour 2014 – notamment l’évolution du cours de l’euro et l’impact de la revue des bilans bancaires par la Banque centrale européenne – restent d’actualité pour 2015, et pourraient jouer à la hausse comme à la baisse.

D’autres concernent plus spécifiquement l’année 2015. Il s’agit en premier lieu de l’évolution des prix. Une période prolongée de très faible inflation pourrait exercer un impact négatif sur l’activité de la zone euro. Si un tel scénario est peu probable en France, en raison notamment de la résistance des salaires et de la disparition de certains facteurs baissiers temporaires, il pourrait se réaliser dans certains pays de la zone euro et affecter nos exportations. Un autre aléa, qui pourrait jouer en sens inverse, tient au fait que la demande interne chez certains de nos partenaires, en particulier l’Allemagne, pourrait être plus vigoureuse qu’escompté.

En définitive, si l’hypothèse de croissance n’est pas hors d’atteinte, le scénario macroéconomique du Gouvernement suppose, dans un contexte de reprise de la croissance mondiale et de poursuite nécessaire, en France, de la consolidation budgétaire, que la confiance des ménages reviendra rapidement et que les mesures d’offres récemment annoncées auront un impact rapide sur l’emploi et les revenus.

Les effets positifs de ces mesures risquent de ne pas se matérialiser aussi rapidement que ne le souhaite le Gouvernement, et de ne pas atténuer autant qu’il le prévoit les effets à court terme de l’ajustement budgétaire. Le scénario macroéconomique comporte ainsi un risque de surestimation des effets de la politique d’offre comme de sous-estimation de l’impact de la consolidation budgétaire sur l’activité.

Pour les années 2016 et 2017, le scénario macroéconomique du Gouvernement est optimiste. Celui-ci retient une croissance annuelle de 2,25 % en 2016 et en 2017. Les projections de moyen terme sont bâties sur deux hypothèses.

La première concerne la croissance potentielle, c’est-à-dire la mesure de la capacité de l’économie française à croître de manière soutenable, sans tensions sur les prix. Le Gouvernement l’estime en 2016 et 2017 à 1,6 point de PIB, estimation inchangée depuis la dernière loi de programmation promulguée en décembre 2012.

La seconde hypothèse porte sur le rythme de réduction de l’écart de production, soit l’écart entre la production effective et la production potentielle. Le Gouvernement table pour fin 2015 sur une diminution de 3 %, qui se réduirait de moitié à l’horizon de 2017. Il en résulterait une croissance supérieure à son potentiel sur cette période.

Le Haut Conseil s’exprimera sur l’estimation de la croissance potentielle dans son avis relatif au projet de loi de programmation des finances publiques, qui devrait lui être soumis par le Gouvernement en septembre prochain.

Dans le scénario du Gouvernement, cette croissance s’expliquerait par une demande mondiale dynamique, un investissement qui continuerait de progresser et une consommation des ménages stimulée par les gains de pouvoir d’achat. Toutefois, le scénario macroéconomique pour 2016 et 2017 est optimiste, car il repose sur des hypothèses favorables, tant pour le soutien de l’environnement international que pour le dynamisme de la demande intérieure.

Des interrogations demeurent, en particulier sur la capacité des entreprises à accroître simultanément leur masse salariale et leurs dépenses d’investissement, dans un contexte où elles restent très endettées.

Par ailleurs, l’hypothèse d’une réduction du taux d’épargne des ménages paraît fragile. L’expérience montre qu’une baisse du taux d’épargne suppose un regain de confiance des ménages, qui n’est pas acquis dans un contexte où le chômage pourrait se maintenir à un niveau plus élevé que ne le prévoit le Gouvernement.

Bien sûr, ces interrogations ne remettent pas en cause le fait que les mesures du pacte de responsabilité devraient à terme avoir un effet bénéfique sur la croissance, mais celui-ci pourrait mettre plus de temps à se matérialiser que ne l’envisage le scénario gouvernemental.

M. le président Gilles Carrez. Je vous interrogerai d’abord sur les conditions d’application du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance et de la loi organique de décembre 2012, qui le décline dans le droit français. Dans les deux avis que vous avez rendus à la fin de l’année dernière – sur les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2014, et sur la loi de finances rectificative –, vous avez indiqué que, même si les prévisions d’exécution du solde structurel de 2013 devaient être tenues, vous seriez conduits à constater en mai, lors du dépôt de la loi de règlement de 2013, un écart de 1 point. On sait que la procédure de correction se déclenche à partir d’un écart de 0,5 point sur une année donnée. Cette procédure, qui interviendra pour la première fois, s’appliquera-t-elle dans le cadre de la loi de finances rectificative que le Gouvernement annonce pour juin 2014, ou des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2015 ? Je rappelle les termes de la loi organique : la correction intervient dans « le prochain loi de finances de l’année ou de loi de financement de la sécurité sociale de l’année ».

On ne peut dissocier les aspects financiers du contexte macroéconomique. Votre rapport de février indique que, pour suivre la trajectoire rectifiée, en intégrant le différé de deux ans pour atteindre un solde structurel de 3 % en 2015, il faut réaliser 57 milliards d’économie sur les années 2015, 2016 et 2017, ce qui permettrait en outre de financer le CICE calibré à 20 milliards. Sur ces trois années, le Gouvernement annonce 50 milliards d’économie, recoupant les 57 milliards que vous avez évoqués, et pense pouvoir dégager fin 2017 une baisse des prélèvements obligatoires de 0,3 point de PIB, soit 6 milliards. Depuis lors, de nouvelles annonces sont intervenues au sujet de ces trois exercices, notamment dans le discours de politique générale du Premier ministre, prévoyant des baisses d’impôts que j’évalue entre 20 et 25 milliards, en plus des 57 milliards précités.

La question essentielle est la suivante : selon vous, quel est le tendanciel de dépense publique par rapport auquel on chiffre les économies ? Ce tendanciel de dépense publique consolidée pour l’État, la sécurité sociale et les collectivités locales s’observe à partir des données d’exécution. Or, l’exécution de 2013 accuse, par rapport aux prévisions de 2012, une progression de 23,5 milliards d’euros de la dépense publique, qui atteint un total de 1 176 milliards. Celle de 2012 a révélé, par rapport aux prévisions de 2011, une progression de 34 milliards.

Sur quel tendanciel de dépense publique faut-il raisonner pour les trois prochaines années ? Si l’on retient le chiffre annuel relativement bas de 20 milliards, l’économie sera de 50 milliards par rapport à une augmentation de 60 milliards sur trois ans, ce qui signifie que la dépense publique ne devra pas progresser de plus de 10 milliards entre 2015 et 2016. Si l’on adopte un tendanciel de 30 milliards par an, soit 90 milliards sur trois ans, la progression ne pourra excéder 40 milliards. Il faut éclaircir ce point de méthode, car, quand nous menons un travail de pédagogie sur les finances publiques, le raisonnement en tendanciel est extrêmement difficile à faire comprendre.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Lors de votre audition de l’an dernier, vous aviez pointé l’excès d’optimisme de la prévision de croissance pour 2013, qui se montait à 0,1 %. Je constate que le taux réalisé s’élève à ce jour à 0,3 %, soit plus que le taux annoncé.

Bien que le Haut Conseil ne soit pas un organisme de prévision, il avait été suggéré l’an passé qu’il puisse disposer d’outils et de données, qui lui permettraient de lier les hypothèses de croissance et celles relatives aux déficits publics dans le cadre de scénarios. Vous aviez alors regretté de ne pas posséder d’outil qui permettrait d’apprécier la cohérence des hypothèses budgétaires. Les moyens qui vous ont été alloués depuis lors par le décret d’avance du 13 mai 2013, vous ont-ils permis d’établir une telle « carte » des prévisions économiques ?

Enfin, pour la première fois dans une intervention publique, le président de la Banque centrale européenne a lié la politique de change à la stabilité des prix et à la croissance via la compétitivité-prix. Avez-vous intégré ce point dans vos analyses ?

M. Christophe Caresche. Vous soulignez le risque récessif lié à la réduction de la dépense publique. J’en déduis que ceux qui nous proposent d’économiser plus de 50 milliards d’euros exposent notre pays à un risque économique considérable. Un consensus se dégage-t-il sur les effets récessifs de la réduction de la dépense publique ou est-ce un point sur lequel les interprétations divergent ?

M. Hervé Mariton. L’an dernier, vous aviez analysé ensemble les années 2013 et 2014, que vous traitez séparément cette année. Pourquoi avoir changé de méthode ?

À la page 6 de votre avis, je lis : « Dans un contexte de reprise de la croissance mondiale et de poursuite de la consolidation budgétaire en France, ce scénario suppose à la fois un regain de confiance chez les ménages et un impact rapide sur l’emploi et les revenus des mesures d’offre récemment annoncées. » Est-ce à dire que, pour que le regain de confiance intervienne plus rapidement, il faudrait revenir au projet passé d’assainir plus rapidement les finances publiques et de rétablir plus tôt l’équilibre structurel ? Des mesures de barème seraient-elles préférables au CICE ? Le regain de confiance des ménages et l’impact rapide des mesures d’offre sur l’emploi et les revenus sont-ils des objectifs de premier terme ?

Comme l’an dernier, le Gouvernement table sur une amélioration de la situation en 2016-2017 par rapport aux années 2013-2015, mais son optimisme s’est encore accru, ce qui nous renvoie au débat sur l’évolution structurelle ou conjoncturelle que vous posez page 7. Pourquoi un tel rattrapage de croissance potentielle interviendrait-il en 2016 et en 2017 ?

Je regrette enfin que, sur le solde structurel et conjoncturel, votre note soit plus discrète que celle de l’an dernier.

M. Dominique Lefebvre. L’avis du Haut Conseil est très utile au débat public comme à la discussion parlementaire. Vous regrettez que le calendrier ait été contraint, mais un remaniement ministériel constitue manifestement une circonstance exceptionnelle. Par ailleurs, je me réjouis que vous saluiez la qualité et l’exhaustivité des informations qui vous ont été transmises. Quant aux hypothèses macroéconomiques, je retiens que vous les jugez réalistes pour 2014, non hors d’atteinte en 2015 et optimistes pour 2016 et 2017. Autant dire que, pour présenter ses perspectives à la Commission européenne d’ici à 2017, le Gouvernement a retenu une hypothèse raisonnable, bien que marquée, ce qui est toujours le cas, par un certain optimisme.

Votre avis, pour peu qu’on le décortique, éclaire parfaitement le cadre dans lequel le Gouvernement a arrêté ses choix, et valide sa stratégie. Il souligne l’enjeu que représente la crédibilité de la France. Il met l’accent sur la nécessité pour nos entreprises de gagner en compétitivité pour bénéficier de la reprise de la croissance mondiale. Il marque l’importance d’une reprise économique européenne. Enfin, il pointe l’indispensable articulation entre la consolidation budgétaire et la baisse des prélèvements obligatoires.

Si la consolidation budgétaire risque, à court terme, de réduire l’activité, elle reste nécessaire à la crédibilité de notre pays, et de sa parole. Cette crédibilité est d’autant plus importante que, nos partenaires ayant consenti d’importants efforts, l’Europe va pouvoir prendre des mesures à l’égard de l’euro et de l’investissement.

La trajectoire du Gouvernement suit une ligne de crête, mais que pouvait-il faire d’autre ? Les mesures de consolidation budgétaire que certains préconisent seraient plus importantes et plus brutales, mais aussi plus récessives. Je rappelle que les allégements fiscaux et sociaux décidés pour les entreprises atteignent le montant considérable de 38 milliards d’euros.

M. Éric Alauzet. Quel est l’impact sur le nombre d’emplois, d’une réduction de la dépense publique de 50 milliards d’euros en trois ans, hors aide aux entreprises ? Hors remboursement de la dette, combien d’emplois publics perdrait-on si l’on réalisait, d’un côté, 10 milliards d’économie, et que l’on versait, de l’autre, 10 milliards d’aides aux entreprises ? À l’inverse, quelles conséquences aurait sur l’emploi une pause de la réduction des déficits, sachant que, depuis trente ans, de plan de relance en plan de relance, la dette n’a fait que s’aggraver et le chômage, que progresser ?

Quelle est la part du PIB affectée, respectivement, au financement du capital, des salaires et de l’action publique ? Comment évolue-t-elle ? Cette information est indispensable pour comprendre la manière dont doivent s’effectuer les transferts financiers entre les agents économiques pour rembourser la dette.

Parallèlement à la réduction de la dépense publique, le Haut Conseil réfléchit-il au moyen de supprimer la fraude et l’évasion fiscales ?

M. Charles de Courson. Rendre un avis pour 2014 n’était pas l’exercice le plus difficile pour le Haut Conseil, compte tenu de la prévision de croissance fixée à 0,9 %, chiffre que le groupe UDI avait jugé réaliste. Un écart de 0,1 % est à peine supérieur, madame la rapporteure générale, à l’incertitude liée au calcul du taux de croissance.

Sur 2015, l’avis indique, dans son style inimitable, que l’objectif de 1,7 % « n’est pas hors d’atteinte ». Mais comment peut-il se prononcer s’il ignore le détail de la politique des finances publiques ? Quel impact auront les 18 milliards d’euros d’économie annoncés, au regard des mesures fiscalo-sociales de 16,8 milliards bruts en 2015, soit environ 13 milliards nets ? Je signale tout de même qu’entre ces deux chiffres – 18 milliards d’économies pour 13 milliards de dépenses nouvelles –, il restera un solde de 5 milliards.

Dans ces conditions, je comprends mal comment nous pourrions tenir nos objectifs de réduction du déficit budgétaire. Certes, l’avis du Haut Conseil ne porte pas sur ce point, mais vous notez vous-même que les mesures de baisse fiscalo-sociales mettent du temps à générer une augmentation de l’emploi ou une reprise, alors que les mesures budgétaires s’appliqueront immédiatement. Dans ce contexte, pour que notre taux de croissance atteigne 1,7 %, il faudrait un cumul d’hypothèses favorables, dont la probabilité paraît très faible.

Le plus intéressant concerne 2016-2017. Vous vous interrogez, comme le fait depuis deux ans la commission des Finances, sur le concept de croissance potentielle, mais c’est avec le taux de croissance réelle qu’on gère les finances publiques. Pour réaliser 50 milliards d’économies, le Gouvernement vise 18 milliards en 2016, 18 milliards en 2017, et 14 milliards d’euros en 2018, soit en pratique 32 milliards en 2016-2017. La baisse des dépenses nouvelles atteindra 23,5 milliards bruts, soit 21 à 22 milliards nets.

Il me semble quasi impossible que vous vous prononciez sur le taux de croissance potentielle, alors qu’on ignore le détail non des recettes nouvelles, que le Premier ministre a quantifiées dans son discours, mais des mesures d’économie. Dès lors que vous jugez optimiste le taux de croissance potentielle, pourquoi ne pas reprendre l’excellente étude d’Hélène Baudchon, publiée dans les Études économiques – BNP Paribas, qui analyse les trois facteurs du taux de croissance potentielle : la productivité globale des facteurs – travail et capital –, le taux de croissance de la force de travail et celui du stock de capital productif ?

La productivité globale des facteurs ne fait que baisser, puisqu’elle est tombée à 0,7 %, voire 0,5 %. L’augmentation potentielle de la force de travail se situe entre 0,2 % et 0,3 %. Le facteur capital, également très faible, varie entre 0,5 % et 0,6 %. Les études les plus optimistes de l’INSEE établissent un scénario central à 1,5 %. Compte tenu de ces études, pourriez-vous nous éclairer sur le taux de croissance potentielle, que la Commission européenne évalue entre 1,1 % et 1,2 % ?

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Vous avez raison, monsieur le président : nous constaterons sans doute un écart, par rapport à la trajectoire définie dans la dernière loi de programmation, lorsque nous rendrons notre avis sur le projet de loi de règlement pour 2013, et notre observation enclenchera vraisemblablement la procédure de correction, mais il ne s’agit pas de cela aujourd’hui. La mission du Haut Conseil est d’apprécier la trajectoire par rapport à un texte donné.

Quant à savoir si la correction interviendra lors de l’examen du collectif ou de la loi de finances initiale pour l’année suivante, cette question relève de la responsabilité non du Haut Conseil, mais du Gouvernement et du Parlement. Notre rôle se bornera à constater l’écart, dont je crains qu’il ne soit substantiel, par rapport au texte de référence. Nous y reviendrons, lorsque nous présenterons notre avis sur le projet de loi de règlement.

Vous m’avez également demandé quelles économies permettraient de tenir la trajectoire et de quelle manière nous les calculons, sachant qu’il s’agit non de réduire la dépense publique, mais de freiner sa progression en 2015, 2016 et 2017. Les questions que vous avez posées s’adressent plus à la Cour qu’au Conseil. J’y répondrai plus précisément, lorsque je vous présenterai le rapport de la Cour sur la situation et les perspectives des finances publiques.

Anticipant sur notre calendrier, nous souhaitons pouvoir le faire avant que vous ne soyez saisis du collectif budgétaire, afin que vous disposiez de tous les éléments nécessaires. Nous nous exprimerons alors sur le tendanciel des dépenses. C’est un sujet d’autant plus délicat à traiter qu’il existe des pratiques très différentes au plan européen : en effet, si tous les pays raisonnent en tendanciel, le tendanciel retenu peut être différent. La Commission européenne s’est jusqu’à présent assez peu intéressée au sujet et le risque est de comparer ce qui n’est pas toujours comparable.

S’il faut tenir compte du tendanciel d’augmentation de la dépense – il est par exemple possible que le nombre de retraités soit plus important une année donnée –, il vous revient de décider de la place du curseur, qu’il s’agisse des dépenses de l’État ou de l’assurance maladie. Si le tendanciel des dépenses d’assurance maladie est aujourd’hui moins élevé qu’autrefois, c’est qu’il est devenu plus facile de maîtriser l’ONDAM en raison du gel du point d’indice, qui vous permet de maîtriser les dépenses de personnel, et grâce aux mesures relatives au médicament que vous avez prises.

Lorsque nous soulignons qu’il faut « tant d’économies », nous raisonnons à partir des objectifs que vous avez vous-mêmes fixés : la loi de programmation et le programme de stabilité sont proposés par le Gouvernement et adoptés par le Parlement. Vous avez-vous-mêmes décidé que l’effort structurel devait porter à partir de 2015 exclusivement sur la dépense publique.

Madame la rapporteure générale, vous êtes revenue sur 2013 : les chiffres de l’INSEE ne sont pas encore définitifs. Si un écart de 0,1 ou 0,2 point peut provoquer de vifs débats sur le moment, ceux-ci sont moins virulents lorsque la correction de l’INSEE intervient deux ans plus tard. Aussi convient-il de rester serein par rapport à des écarts très faibles.

Le Haut Conseil qui, je le reconnais, s’était montré plus pessimiste que le Gouvernement pour l’année 2013, estime que les hypothèses pour 2014 sont réalistes, l’INSEE faisant déjà apparaître un acquis de croissance de 0,7 % pour le premier semestre.

Le Haut Conseil ne dispose pas de moyens supplémentaires par rapport à l’année précédente car il désire rester cohérent avec les efforts de maîtrise des dépenses de fonctionnement qu’il recommande. Ses moyens ont été pris sur ceux de la Cour des comptes : ils se résument à une toute petite équipe – elle est assise derrière moi –, qui se partage entre la Cour et le Haut Conseil. Notre mission n’est pas par ailleurs de nous substituer aux organismes qui évaluent eux-mêmes les hypothèses de croissance, contrairement à nos collègues du Royaume-Uni, qui fixent eux-mêmes les hypothèses de croissance en s’appuyant sur une structure dédiée. Nous expertisons les chiffres fournis par l’administration en les confrontant aux données des organismes internationaux et des organismes publics, parapublics ou privés – organismes avec lesquels nous entretenons des échanges. Nous ne saurions donc proposer nous-mêmes une hypothèse de croissance. Nous estimons en revanche avoir les moyens d’exprimer un avis.

Il est évident que l’appréciation de l’euro, notamment un euro fort, a des conséquences sur les économies européenne et française. C’est la raison pour laquelle nous avons mis l’appréciation de l’euro dans les aléas, sachant que ceux-ci peuvent jouer à la hausse ou à la baisse en fonction des décisions de la Banque centrale européenne, dont les récentes déclarations de son président vont dans le bon sens : ils jouent positivement.

Monsieur Caresche, l’idée que des mesures d’économie peuvent avoir des effets sur l’activité fait consensus. En revanche, il y a divergence sur la portée de ces mesures, car tout dépend de la nature des efforts réalisés. S’ils portent sur des dépenses improductives, leur effet sera beaucoup moins fort. Je tiens à rappeler, en tant que premier président de la Cour des comptes, que les politiques publiques françaises engendrent de nombreux effets d’aubaine. Or, les décideurs semblent indifférents aux résultats très médiocres de ces politiques par rapport au niveau des crédits engagés. Nous avons également identifié de nombreux doublons. Des marges de réduction de la dépense publique existent d’autant plus
– notamment pour l’assurance maladie –, que ce qui est visé n’est pas une réduction nette mais un ralentissement de son évolution.

Nous sous-estimons d’autant moins la difficulté de l’exercice que, nous le savons, derrière chaque euro mal dépensé se cachent des bénéficiaires – en l’occurrence des corporations qui bénéficient des effets d’aubaine. Or, l’intérêt général – vous en êtes aussi convaincus que moi – n’est pas la somme des intérêts particuliers.

Si nous distinguons les années 2014 et 2015, monsieur Mariton, c’est que nous disposons d’éléments plus concrets pour 2014, année pour laquelle le scénario macroéconomique du Gouvernement ne nous paraît pas biaisé : son hypothèse de croissance est réaliste. En revanche, nous avons identifié pour 2015 plusieurs types risques. Le taux de 1,7 % n’est pas hors de portée : en revanche, le contenu de cette croissance peut ne pas être à la hauteur des attentes du Gouvernement, notamment en termes d’emplois, et donc de masse salariale. Les études de la Commission européenne, du FMI ou de l’OCDE révèlent déjà qu’une même hypothèse de croissance peut avoir des effets différents sur les soldes effectif et structurel si le contenu de la croissance n’est pas aussi riche en emplois qu’attendu. Or, le scénario macroéconomique du Gouvernement pour 2015 présente des fragilités et est soumis à de nombreux aléas.

Nous aurons l’occasion de revenir sur la croissance potentielle pour 2016 et 2017 lorsque nous exprimerons notre avis sur la prochaine loi de programmation. Le Gouvernement la fixe à 1,6 % : nous n’avons pas encore eu l’occasion d’expertiser ce chiffre. Plusieurs réunions sont prévues d’ici au mois de septembre pour travailler sur le sujet en vue de vous rendre un avis pertinent.

M. Hervé Mariton. Comment comprenez-vous le décalage entre la croissance nominale et la croissance potentielle sur cette période ?

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Pour le Gouvernement, sur la période, nous assisterons à un rattrapage et l’écart de production se resserrera, si bien qu’en 2016 et 2017 la croissance effective sera supérieure à la croissance potentielle. C’est à nos yeux un scénario optimiste, car tout dépendra de l’écart de production. En effet, si nous sommes persuadés d’assister à un rattrapage, le tout est de savoir dans quel délai il s’opérera et avec quelle force. Le rattrapage risque d’être plus lent que ne le prévoit le Gouvernement. Le rebond est possible : toutefois, quel sera son potentiel sur les années à venir ? Telle est la question.

M. Hervé Mariton. Le fait que la croissance réelle devienne supérieure à la croissance potentielle rendra-t-il encore plus difficile la réalisation de l’équilibre structurel à l’échéance voulue par le Gouvernement ?

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Non, les deux phénomènes ne sont pas obligatoirement liés. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette question.

Le Gouvernement a décalé les effets de son pacte de stabilité. L’objectif de déficit est passé pour 2014 de 3,6 à 3,8 % et, pour 2015, de 2,8 à 3 %. Et l’équilibre structurel de moyen terme a été décalé d’une année, de 2016 à 2017. Le Gouvernement a donc tenu compte de la réalité de l’année 2013 et du début de 2014.

Monsieur Lefebvre, l’enjeu de crédibilité est fort pour le Gouvernement, dont le plan doit susciter la confiance de l’ensemble des acteurs économiques – entreprises et ménages – pour voir confirmer ses hypothèses. Il ne faudrait pas interpréter la position du Haut Conseil comme défavorable à la consolidation budgétaire, qu’il estime au contraire essentielle. Le Haut Conseil s’est contenté d’identifier des risques : il les aurait estimés plus importants encore si le scénario gouvernemental ne prévoyait aucune consolidation budgétaire. Le Gouvernement estime que les effets négatifs de son plan, reconnus par tous les économistes, pourront être compensés par la politique d’offre et les mesures de soutien qu’il prendra en faveur des ménages les plus modestes : or, à nos yeux, le risque existe que les effets des mesures d’offre ne soient pas aussi rapides que le Gouvernement le prévoit. L’ajustement structurel proposé pour les années à venir est du reste inférieur à celui des trois dernières années. Toutefois, un plus grand étalement dans le temps des mesures d’offre aurait pour conséquence de différer encore davantage les effets du pacte de responsabilité. Ces questions sont les plus difficiles à trancher.

Monsieur Alauzet, il a été demandé au Haut Conseil d’exprimer un avis sur le scénario présenté par le Gouvernement et non sur d’autres scénarios proposés ici ou là. Faute de l’expertise nécessaire, je ne suis donc pas en mesure de répondre à vos questions. Je pourrai certainement vous apporter quelques réponses dans la présentation du rapport sur la situation et les perspectives sur les finances publiques : la Cour des comptes fera alors des observations sur différents scénarios de finances publiques.

J’ai répondu, monsieur de Courson, sur le concept de croissance potentielle. Nous y travaillons et espérons pouvoir contribuer utilement au débat. Plusieurs séminaires sont déjà prévus avec des autorités nationales, européennes et mondiales.

Je confirme que l’objectif pour 2015, soit 1,7 % de croissance, sans être hors d’atteinte, repose sur le cumul d’hypothèses favorables. Il suffira que l’une d’entre elles le soit moins pour perturber le scénario macroéconomique du Gouvernement.

M. Olivier Carré. Le Haut Conseil souligne dans son avis que le Gouvernement compte sur la demande adressée à la France par les pays européens. Or, l’historique sur lequel reposent les prévisions ne tient pas compte de la sortie de crise de l’Espagne, du Royaume-Uni ou d’autres pays dont la compétitivité s’est améliorée ces dernières années. Alors que ces pays adressaient auparavant une demande nette à la France, la situation, si l’on en croit Eurostat, risque de s’inverser. Avez-vous pris en compte cette éventualité, qui jouerait sur la croissance structurelle, pour valider la quantité de la demande adressée à la France ?

M. Régis Juanico. Les résultats attendus pour 2015 du CICE et du pacte de responsabilité en termes de création d’emplois, soit 160 000, vous paraissent surestimés. Or, en trois ans – de 2015 à 2017 –, le CICE créerait, selon l’étude d’impact, 300 000 emplois et la baisse des cotisations 190 000, si on en croit l’estimation de M. Rebsamen : ces deux chiffres ne sont pas loin de faire 500 000 emplois, soit un peu plus de 160 000 l’an. À quelle hauteur estimeriez-vous les effets attendus des mesures envisagées pour l’année 2015 ? Par ailleurs le coût de la création de ces 500 000 emplois, à savoir 30 milliards d’euros, ne vous paraît-il pas excessif ?

Enfin, l’avis insiste sur la possible surestimation des effets de la politique de l’offre et la possible sous-estimation des effets des politiques d’économies budgétaires : le gel des prestations sociales, du point d’indice des fonctionnaires et des retraites, s’il s’appliquait dès les premières années, n’aurait-il pas un effet récessif supplémentaire ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Monsieur le président du Haut Conseil, en jugeant que les hypothèses pour 2015 « ne sont pas hors d’atteinte », vous réalisez un exercice sémantique très difficile !

Le retour à l’équilibre vous paraît nécessaire : les 50 milliards d’euros d’économies doivent-ils se comprendre dans le cadre de dépenses en euros courants ou en euros constants ?

À la fin de la page 3, vous écrivez que « les mesures d’économies sont concentrées sur le début de la période 2015-2017 […] et pourraient peser davantage que prévu par le Gouvernement sur la croissance à court terme ». Avez-vous procédé à une simulation pour savoir à partir de quel niveau d’économies on prend le risque de provoquer un ralentissement de la croissance ?

M. Pierre-Alain Muet. Je partage largement les analyses du Haut Conseil, qui rejoignent les conclusions de la plupart des économistes. On sait que les allégements de cotisations sont efficaces à long terme mais lents à produire des effets. En revanche, les réductions ou augmentations de dépense produisent des effets rapides qui finissent par s’estomper. Le financement des allégements de cotisations par des réductions de dépense aura un impact favorable à long terme tout en présentant un risque dépressif à court terme. C’est pourquoi une montée en puissance plus lente des allégements ne changerait rien à l’objectif d’économiser 50 milliards d’euros tout en consolidant la reprise à court terme. C’est un pur problème de gestion conjoncturelle, qui ne change rien à la trajectoire globale. Mes chers collègues de l’opposition, lorsque vous prônez une réduction drastique de la dépense, vous devriez peser avec attention l’effet dépressif considérable à court terme d’une telle politique.

Est-il possible par ailleurs de disposer d’une évaluation des réductions de dépenses réalisées dans le passé ? La mesure de l’évolution tendancielle permet de connaître l’effort à consentir pour réduire l’évolution des dépenses. La mesure de l’écart entre l’effort structurel et la productivité tendancielle est également riche d’enseignements. Il est important d’éclairer la représentation nationale sur des concepts utilisés dans toutes les instances internationales.

M. Thierry Mandon. Votre avis est balancé. Vous jugez la perspective de croissance pour 2014 comme probable avec prudence et celle pour 2015 comme plausible avec vigilance, la différence d’appréciation tenant au jeu dans le temps entre la consolidation et les mesures d’offre.

Avez-vous eu connaissance d’études portant sur des combinaisons différentes, pour la période 2015-2017, de montée en régime progressif des mesures d’offre et des mesures de régulation de la dépense, ainsi que de leur impact possible sur la croissance ?

M. Philippe Vigier. Monsieur le président, page 3 de l’avis, vous précisez que « le Gouvernement entend poursuivre la consolidation budgétaire avec une réduction du déficit structurel annoncée de 0,8 point par an en 2014 et en 2015 ». Que sous-entend tout d’abord le mot « entend » ?

Nous connaissons désormais les nouvelles dépenses engagées dans le cadre du pacte de responsabilité et du pacte de solidarité : avez-vous un doute sur les 50 milliards d’euros d’économies annoncées dans les quatre domaines cités par le Gouvernement ? Vous faites référence vous-même à une évolution de 0,1 % par an de 2014 à 2017 en volume.

Choisir de cibler plus volontairement les charges sociales patronales plutôt que de laisser en place le CICE n’aurait-il pas été plus pertinent, conséquences budgétaires comprises, pour lutter contre le chômage ?

Le Gouvernement estime l’augmentation de la consommation des ménages à 1,6 % en 2015 contre 0,8 % en 2014 : que pensez-vous de cette estimation élevée ?

M. Marc Goua. L’avis évoque l’impact négatif des ajustements dans plusieurs pays : sur quelles études s’appuie-t-il ? La création, à l’heure actuelle différée, d’un SMIC en Allemagne pourra-t-elle avoir des conséquences positives pour la France ?

M. Alain Fauré. Aux yeux du Haut Conseil, quelles mesures seraient susceptibles de créer le plus d’emplois ? Existe-t-il un risque d’augmentation des taux d’intérêt dans les trois années à venir ? Si oui, avez-vous estimé l’impact d’une telle augmentation sur la dette de la France ? Le poids de la dette a-t-il une incidence sur la relance de l’économie ? Existe-t-il des estimations en la matière ?

M. Laurent Grandguillaume. Les politiques de désinflation compétitive qui se multiplient en Europe ne sont pas sans risque. En effet, ce type de politique mené à l’échelle européenne dans un contexte général d’inflation faible, voire de risque de déflation, ne peut qu’avoir des conséquences importantes dans la mesure où la BCE mène une politique monétariste dont on peut constater chaque jour les conséquences, lesquelles sont bien loin des résultats espérés. La question de l’inflation est au cœur des choix macroéconomiques : comment jugez-vous la situation actuelle ?

Par ailleurs, le pacte de responsabilité est orienté pour le début de l’année 2015 sur les TPE, PME et les indépendants : quels seront les effets économiques d’un soutien accordé à des entreprises qui créent des emplois durables et non délocalisables, plutôt qu’à des entreprises qui ont fait le choix de la financiarisation ?

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Ma réponse sera globale : en effet, certaines questions se recoupent tandis que d’autres ne relèvent pas de la compétence du Haut Conseil, dont vous-mêmes avez défini strictement les missions. Ainsi, il n’appartient pas au Haut Conseil d’exprimer un avis sur la politique européenne conduite depuis plusieurs années et ses conséquences. Je peux évidemment avoir une opinion personnelle : je dois la garder pour moi. Des réponses à d’autres questions seront apportées dans le cadre du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.

Les hypothèses pour 2014, monsieur Mandon, sont réalistes : il y a donc de grandes chances qu’elles se réalisent, compte tenu des éléments déjà parvenus à notre connaissance. Telle est la raison pour laquelle nous différencions 2014 de 2015, 2015 étant une année qui soulève de nombreuses interrogations en raison des fragilités que nous avons identifiées, des aléas qui peuvent jouer dans un sens ou dans un autre et des effets conjugués du pacte de responsabilité et du pacte de solidarité. Le scénario du Gouvernement repose sur l’enchaînement vertueux de toutes les hypothèses favorables : or certaines peuvent ne pas l’être autant que prévu. Je le répète : si le taux de 1,7 % de croissance peut être atteint en 2015, nous nous interrogeons sur le contenu de la croissance et donc sur le scénario de l’évolution des finances publiques. Un même taux de croissance n’a pas nécessairement les mêmes résultats en matière de soldes effectif et structurel. Nous pouvons tenir le même raisonnement pour 2016 et 2017 que pour 2015.

La création d’un SMIC en Allemagne, en y accroissant la demande, peut avoir des conséquences positives en France pour peu que notre pays continue de se montrer compétitif. Or, la France souffre d’un déficit de compétitivité par rapport à des pays voisins qui ont engagé des efforts en ce sens : peut-être profiteront-ils alors plus que la France de l’accroissement de la demande mondiale. Il faut distinguer l’augmentation de la demande mondiale de la façon dont les États pourront y répondre. Or, la France peut être fragilisée si son effort de compétitivité est retardé. Le souci du court terme ne doit pas obérer celui du moyen terme.

Il n’a pas été demandé au Haut Conseil de déterminer s’il était raisonnable d’envisager une réduction des dépenses de 50 milliards d’euros. Il convient d’ailleurs de resituer cette somme dans le cadre de trois années budgétaires : ces 50 milliards sont à rapporter non pas à 1 150 milliards de dépenses annuelles mais à plus de 3 500 milliards ! Compte tenu des marges existantes – j’ai évoqué des doublons et des effets d’aubaine –, il est tout à fait possible de réaliser 50 milliards d’économies.

La réduction du déficit structurel annoncée – 0,8 point par an en 2014 et 2015 et 0,5 point en 2016 et 2017 – est inférieure à ce qui a déjà été réalisé. Le meilleur résultat en matière de maîtrise de la dépense publique a été obtenu en 2011. L’objectif affiché est plus fort en 2015 : on verra s’il sera atteint.

Tout dépend également de la nature des économies réalisées : il n’appartient pas au Haut Conseil de les apprécier. Notre mission, s’agissant de la Cour des comptes, consiste à mettre à votre disposition les éléments qui vous seront nécessaires pour prendre votre décision en toute connaissance de cause. Si vous voulez maîtriser les dépenses de personnel, il n’y a pas trente-six solutions, surtout si, parallèlement, vous créez des emplois. Nous vous donnons les conditions pour respecter l’objectif de maîtrise de la masse salariale : vous avez ensuite le choix entre le gel du point d’indice et une politique d’évolution des carrières. J’aurai l’occasion de revenir sur la question dans le cadre du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.

Oui, nous estimons que les hypothèses du Gouvernement sur la traduction en emplois des mesures qu’il prend sont optimistes compte tenu du retour d’expérience sur ce type de mesures dont nous disposons déjà. Nous confirmons donc ce que nous avions souligné dans notre avis de 2013 : la croissance peut être moins riche en emplois que ne le prévoit le Gouvernement, ce qui ne sera pas sans conséquences à la fois sur la situation de l’emploi et sur celle des finances publiques en termes notamment de recettes et donc de déficit. Ne sous-estimez pas non plus l’impact de la poursuite de l’augmentation de la dette publique puisque, en dépit des efforts d’économies, celle-ci continue d’augmenter. Cet élément doit être pris en considération en matière de crédibilité et de confiance.

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 23 avril 2014 à 9 h 45

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. Laurent Baumel, M. Jean-Marie Beffara, M. Étienne Blanc, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez,
M. Pascal Cherki, M. Alain Claeys, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Carole Delga, M. Henri Emmanuelli, M. Alain Fauré,
M. Olivier Faure, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Yann Galut, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, M. Régis Juanico, M. Jérôme Lambert, M. Jean-François Lamour,
M. Dominique Lefebvre, M. Jean-François Mancel, M. Thierry Mandon, M. Hervé Mariton, M. Pierre-Alain Muet, M. Patrick Ollier, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, M. Alain Rodet, M. Thomas Thévenoud, M. Philippe Vigier

Excusés. - M. Dominique Baert, M. Olivier Dassault, M. Jean-Louis Dumont, M. Marc Francina, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean Launay, Mme Monique Rabin, M. Pascal Terrasse

Assistaient également à la réunion. - M. Gérard Bapt, M. Daniel Goldberg, M. Christophe Léonard, M. Bernard Roman, M. Gérard Sebaoun

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