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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 28 mai 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 79

Présidence de M. Pierre-Alain Muet,
Vice-Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur la certification des comptes de l’État – exercice 2013 – et sur le rapport relatif aux résultats à la gestion budgétaire de l’exercice 2013

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l’avis relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2013

–  Présences en réunion

La Commission entend, en audition ouverte à la presse, M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur la certification des comptes de l’État – exercice 2013 – et sur le rapport relatif aux résultats à la gestion budgétaire de l’exercice 2013.

M. Pierre-Alain Muet, président. Après avoir auditionné M. Didier Migaud le 13 mai en tant que président du Conseil des prélèvements obligatoires pour son rapport « Fiscalité locale et entreprises », nous accueillons aujourd’hui successivement en sa personne deux autres autorités distinctes : le Premier président de la Cour des comptes, puis le président du Haut Conseil des finances publiques.

Au titre de vos premières fonctions, vous ouvrirez nos travaux, monsieur le Premier président, sur le projet de loi de règlement pour 2013 adopté ce matin en Conseil des ministres, en nous présentant l’acte de certification des comptes de l’État ainsi que votre rapport sur les résultats de la gestion budgétaire, adoptés tous deux le 20 mai dernier. Dans un second temps, vous nous exposerez l’avis, délibéré par le Haut Conseil le 23 mai, relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2013.

Notre Commission vous invite d’ailleurs très régulièrement à ce deuxième titre puisque le 23 avril dernier, vous nous avez exposé l’avis du Haut Conseil relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité 2014-2017. J’insiste toutefois sur l’importance de l’avis que vous nous présenterez tout à l’heure. En effet, en vertu de l’article 23 de la loi organique du 17 décembre 2012, c’est à cette occasion que le Haut Conseil est amené à constater un éventuel « écart important » entre le solde structurel et les orientations pluriannuelles fixées par la loi de programmation des finances publiques. Je rappelle que si un tel écart apparaît, la loi organique prévoit que le Gouvernement doit en tenir compte dans les prochaines lois de finances et de financement de l’année – mais il peut évidemment aussi proposer de modifier la programmation pluriannuelle.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Je suis heureux d’être auditionné par votre commission sur les travaux que la Cour produit chaque année pour le Parlement en application de la loi organique relative aux lois de finances – LOLF –, à l’occasion de la discussion sur le projet de loi de règlement : l’acte de certification des comptes de l’État et le rapport sur le budget de l’État en 2013. Ces deux documents portent sur une partie seulement des administrations publiques – l’État et ses opérateurs –, ainsi que sur le dernier exercice clos, c’est-à-dire celui de 2013. Cette année, vous disposerez dès le milieu du mois de juin du rapport annuel de la Cour sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui comprendra des informations actualisées et prospectives sur les finances publiques dans leur ensemble. Dans l’immédiat, vous trouverez dans les rapports qui vous sont présentés ce matin une matière riche qui vous permettra d’analyser les comptes et le budget de l’État. Ces rapports ont été préparés par la formation interchambres que préside Raoul Briet, présent à mes côtés. Les travaux sur lesquels s’appuient ces documents ont été réalisés par des équipes animées respectivement par Dominique Pannier, conseiller maître, Lionel Vareille, conseiller référendaire, et Laurent Zérah, expert, pour l’acte de certification, et par Catherine Périn, conseiller maître, Fabrice Malcor et Louis-Paul Pelé, rapporteurs, pour le rapport sur le budget de l’État en 2013. Les contre-rapporteurs étaient respectivement Jean-Pierre Laboureix et Christian Charpy.

J’aborderai successivement et de façon aussi concise que possible le contenu de ces deux documents, qui synthétisent chacun un travail dense, avant de répondre à vos questions.

Depuis huit ans déjà, la Cour transmet au Parlement son opinion sur les comptes de l’État, tels qu’ils sont arrêtés par le ministre des Finances pour être intégrés au projet de loi de règlement qui vous sera soumis dans quelques jours. La certification a pour objet d’apporter une assurance raisonnable sur la régularité, la fidélité et la sincérité des états financiers formant le compte général de l’État. Instituée depuis 2006 en application de la LOLF, la comptabilité de l’État s’inspire autant que possible des principes de la comptabilité privée tout en s’adaptant aux spécificités de l’action publique. Elle livre de riches informations que n’apporte pas la comptabilité budgétaire, créée il y a plus de deux siècles pour suivre le respect de l’autorisation parlementaire. La certification est l’instrument donnant aux parlementaires, aux citoyens et aux investisseurs en titres de dette la garantie que les comptes publics sont transparents et procurent une image fidèle du patrimoine national. Cette comptabilité de nature patrimoniale permet d’apprécier, au-delà des flux de l’année, les actifs détenus, les passifs recensés et les engagements hors bilan, et ainsi d’évaluer de manière complète la situation financière de l’État, son patrimoine, ses créances et ses dettes. La transparence qu’induit une telle comptabilité permet aussi d’identifier tant les dépenses futures résultant de décisions passées que les risques avérés ou potentiels pour les exercices suivants.

Au titre de l’exercice 2013, la Cour certifie que les comptes de l’État donnent une image fidèle de sa situation financière et de son patrimoine, sous cinq réserves substantielles.

Avant d’exposer celles-ci, je veux souligner que, cette année, deux réserves non substantielles ont pu être levées, des progrès ayant été enregistrés dans deux domaines.

Le premier est celui du recensement et de l’évaluation du parc immobilier de l’État, préalable indispensable à la bonne gestion de ce patrimoine. La valeur des immeubles dits « banalisés » – les bureaux, les locaux industriels ou commerciaux ou encore les logements de fonction – est, au 31 décembre 2013, de 48 milliards d’euros. Les inventaires et estimations réalisés ont conduit les services de l’État à mener un nombre croissant d’opérations afin d’optimiser la gestion de ce parc. Les ventes de biens immobiliers ont rapporté à l’État 588 millions d’euros de produits en 2013, dont 391 millions ont été encaissés. S’il fallait se convaincre que la certification n’est pas qu’un acte de pure technique comptable, mais qu’elle permet d’identifier chaque année des enjeux liés à la gestion de l’État, voilà un exemple qui me semble parlant. Et c’est parce que la direction générale des finances publiques a consenti pendant plusieurs années des efforts importants que nous avons levé cette réserve. La Cour veillera à ce que ces progrès soient préservés grâce à une actualisation régulière du recensement et de la valorisation des biens immobiliers de l’État, notamment de ceux situés à l’étranger.

Le second domaine dans lequel la Cour a constaté des progrès est celui du recensement et de l’évaluation des passifs non financiers de l’État, qui comprennent notamment les engagements pris par l’État à l’égard des ménages, des entreprises, des organismes de sécurité sociale et des collectivités territoriales, au travers de plus de 1 300 dispositifs d’aide. Cette évaluation a permis de comptabiliser 20 milliards d’euros de provisions supplémentaires.

Je souhaiterais également vous présenter l’information dite « sectorielle », qu’a certifiée la Cour pour la première fois cette année : il s’agit d’une répartition des informations comptables – actifs, passifs, charges, produits, engagements hors bilan – sur sept secteurs d’activité de l’État regroupant plusieurs missions budgétaires. Cela permet de constater que pour les trois quarts les charges de personnel de l’État sont portées par deux secteurs : celui des finances, pour 60 milliards d’euros, incluant les pensions de retraite des fonctionnaires, et celui de l’éducation et de la culture, pour 42 milliards d’euros. On remarque également que 83 % des actifs corporels de l’État relèvent du secteur « Développement durable », avec les concessions autoroutières, les barrages hydroélectriques et les routes. Ces informations comptables apportent un éclairage nouveau sur le poids respectif des activités de l’État et fournissent un complément utile à l’approche budgétaire.

Les travaux d’amélioration de la qualité des comptes de l’État doivent désormais se concentrer sur les cinq réserves qui demeurent, encore qualifiées par la Cour de « substantielles », étant rappelé qu’au début de la certification des comptes, elles étaient treize.

La première concerne Chorus, le système d’information financière de l’État, qui reste insuffisamment adapté à la tenue de sa comptabilité générale et aux vérifications du certificateur.

La deuxième porte sur les dispositifs ministériels de contrôle et d’audit internes, qui restent trop peu effectifs et efficaces, alors même que le développement de ces fonctions répond aux besoins de chaque gestionnaire, dans la mesure où elles leur permettent d’analyser efficacement les principaux risques qui pèsent sur leur action. La Cour a comparé pour la première fois cette année la performance de onze ministères en matière d’utilisation des outils et méthodes du contrôle et de l’audit internes.

Troisième réserve substantielle : la comptabilisation des produits régaliens, c’est-à-dire du produit des impôts et des créances et dettes qui s’y rattachent, reste affectée par des incertitudes et des limitations significatives. Les systèmes d’information fiscale n’ont pas été conçus pour retracer de manière automatisée les créances et les engagements fiscaux de l’État vis-à-vis des redevables. Pourtant, une automatisation plus poussée renforcerait la fiabilité des prévisions de recettes fiscales car elle permettrait de suivre en temps réel l’évolution des créances et des dettes fiscales sans qu’il faille attendre les lourdes opérations d’inventaire à la clôture. Le pilotage des finances publiques en serait facilité. Lorsque je vous présenterai dans quelques instants le rapport sur l’exécution budgétaire, j’aurai l’occasion d’insister sur l’importance de mieux prévoir, suivre et anticiper le produit des recettes de l’État – ce à quoi peut contribuer la certification dans la mesure où elle nous apporte plus rapidement une connaissance affinée de ces recettes.

Des incertitudes importantes continuent à peser sur le recensement et l’évaluation des stocks et immobilisations du ministère de la Défense ainsi que des passifs qui s’y attachent, et c’est l’objet de la quatrième réserve substantielle de la Cour. À titre d’illustration, les provisions pour démantèlement des réacteurs de sous-marins nucléaires – démantèlement déjà en cours en ce qui concerne les réacteurs de première génération – sont calculées selon des modalités peu satisfaisantes, puisqu’elles n’intègrent pas la totalité du processus, allant jusqu’au traitement complet des matériels, comme le font celles des opérateurs de la filière nucléaire civile, tels qu’EDF. La France n’est d’ailleurs pas le seul État à avoir des difficultés à recenser les passifs associés aux équipements militaires : le certificateur américain a ainsi, pour la quatorzième année consécutive, refusé de certifier les comptes du département de la Défense. Quant à nos homologues britanniques, ils ont formulé une réserve d’ampleur sur les comptes de leur ministère de la Défense. En France, si ce recensement représente un travail de longue haleine, il doit cependant être impérativement poursuivi par le ministère concerné.

La dernière réserve substantielle de la Cour a trait à l’évaluation des immobilisations financières de l’État, qui comprend notamment les 1 854 participations financières de l’État, d’une valeur nette de 255 milliards d’euros. Cette évaluation reste affectée par plusieurs incertitudes significatives. Des progrès ont cependant pu être observés, grâce à un recours de plus en plus systématique à la certification des comptes des diverses entités contrôlées par l’État – 92 des 100 premières sont désormais concernées.

Pour la première fois en octobre 2013, la Cour des comptes a établi, en vertu d’une disposition législative introduite en 2011, un rapport annuel sur la qualité comptable des administrations publiques soumises à l’obligation de faire certifier leurs comptes par un commissaire aux comptes : elle y relève que le champ des administrations soumises à cette obligation manque quelque peu de cohérence, mais y apprécie positivement la qualité comptable de ces administrations publiques prises dans leur globalité, tout en exprimant des nuances. Je vous invite à vous intéresser à ce rapport dans lequel la Cour formule des recommandations afin d’améliorer la qualité comptable de cet ensemble d’organismes publics, tout en précisant que le prochain rapport vous sera livré à l’automne.

Pour en revenir à l’État, il appartient à l’administration de consolider dans la durée les progrès accomplis en 2013, d’exploiter davantage les possibilités qu’offre désormais le système d’information financière et de poursuivre la rationalisation de ce dernier afin de mieux répondre aux besoins des utilisateurs de la comptabilité. L’exploitation de l’information livrée par les comptes de même que l’effort fourni sous l’aiguillon du certificateur pour les rendre plus fiables me paraissent utiles à la gestion quotidienne. L’Assemblée nationale et le Sénat ayant eux-mêmes choisi de faire certifier leurs comptes par la Cour pour la première année en 2013, celle-ci s’est acquittée de cette mission et les a certifiés sans réserve.

En conclusion, la Cour reconnaît que l’effort engagé depuis 2012 a été poursuivi, après un certain essoufflement en 2011. En levant deux réserves, elle met en valeur, en tant que certificateur, les résultats positifs d’une implication accrue de l’administration en la matière. Je suis convaincu que la qualité des comptes constitue un facteur puissant de modernisation de l’action publique : elle conduit en effet l’État et les entités qu’il contrôle à mieux évaluer et à mieux suivre leur patrimoine et leurs risques. Dans le contexte actuel, le jugement des observateurs sur la soutenabilité des finances publiques françaises est aussi influencé par la qualité des comptes qui leur sont présentés.

J’en viens à présent au rapport sur le budget de l’État en 2013, dans lequel la Cour des comptes analyse l’exécution budgétaire, tant au vu de l’exécution de l’année précédente que des prévisions figurant dans les lois de finances de l’année. Ce document a pour objet d’éclairer le débat sur le projet de loi de règlement et d’aider à préparer la discussion du prochain projet de loi de finances. La Cour a d’ailleurs fourni cette année un effort de clarification et de précision puisque ce rapport contient notamment un chapitre plus détaillé sur la gestion de la dette.

Les 63 notes d’analyse de l’exécution budgétaire qui ont nourri ce rapport recèlent, sur chaque programme budgétaire ainsi qu’en matière de recettes fiscales et non fiscales, une mine d’informations et de constats qui vous sont particulièrement destinés. Ces notes contiennent au total 198 recommandations qui viennent s’ajouter aux 11 recommandations figurant dans le rapport lui-même. La Cour mobilise ses rapporteurs et ses chambres de façon intensive en début d’année pour produire ces quelque 2 000 pages de travaux sur l’action de l’État, afin que le Parlement dispose d’une information indépendante et détaillée sur l’exécution des dépenses et des recettes ainsi que sur la performance publique.

Le rapport sur le budget de l’État en 2013 peut se résumer à quatre constats. Tout d’abord, le déficit budgétaire s’est réduit, mais moins que prévu. Il se maintient à un niveau encore très élevé et la dette continue de croître, de sorte que la situation de l’État demeure dangereuse. Deuxièmement, le produit des recettes fiscales a fortement augmenté par rapport à l’année 2012, mais est en net retrait sur les prévisions, qui ont manqué de prudence. L’existence d’écarts importants entre recettes prévues et recettes constatées, qui a fragilisé l’exécution budgétaire, soulève la question de la qualité et de la sincérité des prévisions. Troisième constat, les dépenses de l’État ont été maîtrisées en 2013, davantage que lors des exercices précédents : elles ont en effet légèrement reculé par rapport à 2012. De bonnes surprises y ont contribué, notamment la moindre charge de la dette. Cette maîtrise des dépenses résulte d’ailleurs davantage des effets de la régulation budgétaire – notamment des annulations de crédits – que de l’adoption de réformes structurelles ciblant les politiques publiques les moins efficaces. Enfin, dernier constat, des progrès sont possibles pour remédier à certaines irrégularités et mettre fin à des sous-budgétisations récurrentes.

J’en reviens au premier constat : le déficit budgétaire s’est réduit entre 2012 et 2013 de 12,3 milliards d’euros, soit davantage que l’année précédente où la réduction n’avait été que de 3,6 milliards d’euros. Cela étant, ce constat positif mérite d’être doublement tempéré.

D’une part, le déficit, qui s’élève à 74,9 milliards d’euros, soit à 3,6 % du PIB, demeure à un niveau encore bien supérieur aux déficits constatés avant la crise : il représente le quart des dépenses de l’État et le tiers de ses recettes nettes et est supérieur au produit de l’impôt sur le revenu, qui est de 67 milliards d’euros. Quant à l’encours de la dette de l’État, il a augmenté pour atteindre 1 457 milliards d’euros en 2013 et représente les trois quarts de la dette publique, qui approche les 2 000 milliards d’euros. La dette de l’État a ainsi été multipliée par 2,5 depuis 1999. Si nous n’avons pas subi toutes les conséquences de cette hausse, c’est que sur la même période, la charge d’intérêts n’a progressé que de 30 %, en raison de la baisse des taux d’intérêt. Cet effet « anesthésiant » s’est même amplifié puisque, malgré la hausse de la dette, la charge d’intérêts a diminué de 1,4 milliard d’euros par rapport à 2012. Mais compte tenu du montant atteint par la dette et de l’inévitable remontée, à terme, des taux d’intérêt, l’État s’expose toujours davantage au risque d’une augmentation vive de sa charge d’intérêts. Il faut donc tirer parti de ce répit provisoire pour stabiliser au plus vite, puis réduire le montant de la dette avant que la remontée des taux ne produise ses effets.

D’autre part, l’amélioration du solde, de 12,3 milliards d’euros, est en net retrait par rapport à la loi de finances initiale, qui prévoyait une réduction deux fois plus importante. Si les prévisions de dépenses ont bien été respectées, le produit des recettes s’est en effet révélé fortement inférieur aux prévisions.

C’est justement là le deuxième constat de la Cour : si le produit des recettes fiscales a fortement augmenté par rapport à l’année 2012, il demeure bien en-deçà des prévisions. Il n’a crû, en effet, que de 15,6 milliards d’euros au lieu des 30 milliards attendus. Ce résultat est d’autant plus médiocre que ces 15,6 milliards comprennent près de 6 milliards de recettes supplémentaires exceptionnelles et imprévues.

Si les mesures nouvelles votées ont généré un produit de 20,2 milliards d’euros, chiffre presque conforme aux attentes, l’évolution spontanée des recettes, c’est-à-dire à législation constante, a été très décevante : elle a même été négative de 4,6 milliards d’euros, alors que 7 milliards d’euros étaient escomptés. Un quart seulement de cette différence est lié à la révision à la baisse de la prévision de croissance, intervenue en avril à l’occasion du programme de stabilité sans être intégrée à une loi de finances rectificative. Les trois quarts restants – soit 8,2 milliards d’euros de moindres recettes – tiennent à la révision à la baisse de l’hypothèse d’élasticité des recettes fiscales, c’est-à-dire de la manière dont le produit des recettes réagit à l’augmentation du produit intérieur brut. Cette élasticité avait été fixée à 1 en loi de finances initiale, niveau jugé optimiste par la Cour dès janvier 2013. En effet, pour de nombreux impôts, le produit attendu n’était pas réaliste : par exemple, comment anticiper une progression de l’impôt sur les sociétés de 5,9 % alors que les résultats des entreprises non financières pour 2012 apparaissaient en recul ? Et bien que les révisions en cours d’année de cette hypothèse imprudente aient été nombreuses, elles ont été insuffisantes : l’élasticité s’est finalement établie à - 1,3, soit à un niveau exceptionnellement faible et en grande partie inexpliqué. Vous avez d’ailleurs tenu une séance de travail avec les directions du Trésor et du budget sur cette question, après la remise par la Cour des comptes d’un référé sur le sujet.

Bien que le collectif budgétaire de fin d’année ait fortement dégradé le produit des recettes attendues, un écart de 3,5 milliards d’euros a encore été constaté entre ces prévisions et l’exécution – ce qui soulève la question de la qualité, de la prudence et de la sincérité des prévisions de recettes fiscales. Ainsi la constatation en décembre d’une moins-value de 1,8 milliard d’euros sur le produit de l’impôt sur le revenu ne peut que surprendre dans la mesure où ce produit est en principe connu dès septembre. Une telle situation met en évidence à quel point il est difficile de conduire et de piloter un redressement des comptes publics à l’aide d’augmentations de recettes, qui font peser un aléa permanent sur l’évolution du solde budgétaire.

La Cour a déjà souligné dans son référé daté du 16 décembre 2013 et rendu public le 25 février 2014 – celui sur lequel vous avez auditionné la semaine dernière certains responsables du ministère des Finances – à quel point la qualité des prévisions de recettes de l’État était insuffisante, et le présent rapport confirme cette analyse. C’est pourquoi nous y formulons des recommandations afin d’améliorer la transparence des méthodes de calcul des prévisions de recettes et nous y demandons que les écarts constatés par rapport à ces prévisions soient analysés a posteriori.

Si le montant des dépenses fiscales semble stabilisé à 70,7 milliards d’euros, conformément au plafond fixé par la loi de programmation des finances publiques pour 2012-2017, il ne s’agit là que d’estimations provisoires. En effet, des mesures d’économies avaient été votées pour 3,6 milliards d’euros, mais l’évolution spontanée du coût des niches fiscales ayant été plus dynamique que prévu, l’économie nette réalisée ne serait que de 500 millions d’euros. Quant à l’obligation d’évaluer les dépenses fiscales imposée par la loi de programmation, elle n’a été que partiellement respectée alors qu’il s’agit là d’un enjeu d’importance, tant pour les finances publiques que pour l’efficacité de l’action publique.

Troisième constat de la Cour : les dépenses de l’État ont été maîtrisées en 2013 : inférieures de près de 4 milliards d’euros aux crédits ouverts, les dépenses nettes du budget général ont légèrement diminué, de 900 millions d’euros, par rapport à l’exécution 2012 – un recul qui ne s’était pas observé depuis les débuts de la crise économique en 2008 et qu’a facilité la diminution déjà évoquée de la charge de la dette de 1,4 milliard d’euros. De même, la contribution au compte d’affectation spéciale Pensions a pu être réduite de 1 milliard d’euros en raison de la moindre inflation et de départs à la retraite moins importants que prévu. Quant à la contribution au Fonds national d’aide au logement, elle n’a été réduite de 600 millions d’euros que parce que des recettes fiscales lui ont été affectées. Il s’agit donc là d’une économie purement faciale. Les différentes normes de dépenses du budget de l’État ont toutefois été tenues.

Cette année encore, la régulation budgétaire infra-annuelle a joué un rôle déterminant dans la tenue des dépenses : le total des annulations brutes s’élève à 6,2 milliards d’euros, montant comparable à celui de 2012. Or, un recours aussi massif et croissant à des annulations touchant tous les services et tous les dispositifs indépendamment de leur efficacité et de leur efficience – ce qu’on appelle le « rabot » – pose question. La Cour a en effet constaté que de plus en plus de services de l’État n’étaient pas en mesure de remplir les missions que la loi leur impose, dans des domaines parfois aussi essentiels que la sécurité sanitaire des aliments ou l’entretien des établissements pénitentiaires. Elle appelle donc les décideurs à faire reposer la réduction de la dépense sur des choix explicites en termes de priorités et de ciblage.

La discussion du projet de loi de règlement constitue une occasion privilégiée pour le Parlement d’exercer sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement. Les auteurs de la LOLF avaient en effet pour ambition de revaloriser ce débat et d’en faire un moment d’examen par le Parlement de la performance de l’action publique et de comparaison entre les moyens déployés et les résultats obtenus, de manière à en tirer les conséquences au moment du vote des crédits à l’automne. Pourtant, comme la Cour l’a constaté dans son rapport de 2011 sur le bilan de la loi organique, cette évolution ne s’est pas produite. La LOLF visait également à responsabiliser les gestionnaires publics, mais la réalité me paraît très éloignée de l’esprit du texte. Je profite d’ailleurs de cette audition pour vous rappeler que, si vous disposez de la riche matière que vous livre la Cour, nombre d’évaluations des politiques publiques sont elles aussi sur la table. Il me paraît important que vous vous en saisissiez car je suis persuadé que le Parlement peut aider notre pays à rompre avec l’indifférence qui accompagne malheureusement le constat de la faible performance de certaines politiques publiques.

Parallèlement à l’établissement de ces constats, la Cour a analysé les efforts de maîtrise des dépenses, selon leur nature.

Les dépenses de personnel représentent 41,2 % du budget général. La masse salariale hors pensions enregistre un léger recul à périmètre constant, stabilisation qui s’explique par plusieurs facteurs, parmi lesquels le gel du point d’indice ou les moindres revalorisations des grilles indiciaires comme des enveloppes de primes. Si les réductions d’effectifs au cours de l’année 2012 ont continué à produire leurs effets en 2013, pour 351 millions d’euros, ce ne sera plus le cas en revanche à partir de 2014, compte tenu de la stabilisation globale des effectifs. D’autres leviers d’action devront donc être mobilisés pour poursuivre la stabilisation de la masse salariale au cours des prochaines années.

Les dépenses de fonctionnement, qui représentent 16,5 % des dépenses, ont augmenté de 1,1 milliard d’euros, alors qu’elles avaient diminué en 2012 et au cours des années précédentes. De fait, les économies réalisées grâce à la poursuite des chantiers de modernisation n’ont pas été suffisantes pour contrebalancer la hausse de 1 milliard d’euros des dépenses de fonctionnement de la mission Défense, sur laquelle ont notamment pesé les opérations extérieures.

Les dépenses d’intervention, qui représentent 22,6 % des dépenses, sont en léger recul, du fait de plusieurs changements de périmètre, après avoir été réduites de 2,5 % en 2012. Celles des trois principaux dispositifs – l’allocation aux adultes handicapés, les aides personnalisées au logement et les contrats aidés – continuant de s’accroître sensiblement, la Cour propose sur ces postes de nombreuses pistes d’économies, qui visent le plus souvent à un meilleur ciblage de l’action de l’État, s’agissant notamment du logement, de la formation professionnelle, des aides à la presse, des subventions aux fédérations sportives et des aides aux entreprises et aux débitants de tabac.

Enfin, les dépenses d’investissement, qui ne représentent que 3,4 % du budget général, ont constitué comme à l’accoutumée une variable d’ajustement, avec des crédits réduits de 1,4 milliard d’euros en cours de gestion.

Je voudrais insister sur les dépenses de l’État en faveur de ses opérateurs. Ceux-ci disposent en effet de ressources propres, d’environ 10 milliards d’euros de fiscalité affectée, dont une partie seulement fait l’objet d’un plafonnement, mais aussi de 40 milliards d’euros de subventions issues du budget de l’État. Longtemps laissés à l’écart des efforts de maîtrise de la dépense imposés aux services de l’État, ces opérateurs y sont désormais associés. Cependant, les instruments de pilotage et de suivi demeurent très insuffisants, la Cour n’ayant guère constaté de progrès à cet égard – alors même qu’elle signale ce problème depuis longtemps – à de rares exceptions près comme le suivi des universités retracé dans l’analyse de l’exécution du programme Recherche et enseignement supérieur. Analysées sur plusieurs années, les dépenses de fonctionnement des opérateurs ont progressé et leurs effectifs n’ont globalement pas diminué. Il convient donc que l’État renforce ses exigences à leur égard et que soit assuré un meilleur suivi de l’effectivité des efforts qui leur sont demandés.

J’en viens à mon dernier constat : des progrès sont possibles pour remédier à certaines irrégularités et mettre fin aux sous-budgétisations récurrentes. Ainsi certains comptes de concours financiers ne retracent pas de véritables avances et des dépenses relevant du budget général sont encore imputées sur des comptes d’affectation spéciale, ou encore sur des comptes de commerce ne correspondant pas à la définition fixée par la LOLF. La Cour relève une nouvelle fois des sous-budgétisations sur certains postes, tels que l’hébergement d’urgence, l’aide médicale de l’État et la contribution au FNAL – sous-budgétisations qui, même si elles sont moins nombreuses et de moindre ampleur que les années précédentes, n’en constituent pas moins des remises en cause ponctuelles de la sincérité de la programmation budgétaire. D’autres exemples montrent que des progrès pour mieux budgétiser certaines dépenses sont possibles : la Cour l’a notamment constaté cette année pour les bourses étudiantes.

La Cour a identifié des points de vigilance pour l’année en cours, s’agissant notamment de la mission Défense, étant donné nos opérations extérieures, et de la mission Écologie, compte tenu de l’incertitude pesant sur l’entrée en vigueur de la taxe poids lourds. Les dépenses de pensions et les prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne pourraient aussi être plus élevés que prévu. La Cour reviendra sur ces points de façon plus détaillée dans son rapport de juin, dans lequel elle s’efforcera d’apprécier les risques pesant sur la réalisation des objectifs de finances publiques pour 2014.

Je conclurai cette présentation en évoquant le compte rendu du suivi des recommandations contenues dans les précédents rapports sur le budget de l’État, qui fait l’objet d’un développement détaillé à la fin du rapport et qui atteste d’un progrès : en effet, 59 % des recommandations formulées dans le rapport sur le budget 2011 ont été mise en œuvre lors du suivi 2013, partiellement ou en totalité, alors que cette proportion n’était que de 41 % lors du suivi 2012. La moitié des recommandations formulées l’an dernier ont d’ailleurs déjà été appliquées. Au-delà de ce suivi quantitatif, les échanges que nous entretenons avec les administrations débouchent eux aussi souvent sur des progrès : ainsi celle de nos recommandations de cette année qui tend à l’enrichissement de l’information figurant dans l’exposé des motifs de l’article liminaire présentant les soldes effectifs et structurels devrait être suivie dès cette année.

En juin, la Cour vous livrera deux autres rapports, l’un sur la certification des comptes du régime général de la sécurité sociale, avant la publication en septembre du rapport sur l’exécution des lois de financement de la sécurité sociale, l’autre sur la situation et les perspectives des finances publiques. Si nous avons avancé la remise de ce second document par rapport à l’an dernier, c’est afin que vous puissiez en disposer au moment où vous examinerez les projets de loi de finances rectificative et de loi de financement de la sécurité sociale rectificative que le Gouvernement a prévu de déposer les 11 et 18 juin prochain.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour cet exposé clair et précis. J’aurai quatre questions à vous poser.

Vous avez tout d’abord relevé que les dépenses de l’État avaient baissé de 890 millions d’euros et insisté sur l’intérêt d’un élargissement du périmètre des normes de dépenses aux comptes d’affectation spéciale : avez-vous évalué l’impact qu’aurait un tel élargissement – au moins en ce qui concerne les comptes dont la nature n’est guère différente de celles du budget général ?

Dans votre recommandation n° 6, vous préconisez l’évaluation des dépenses fiscales, comme le prévoit l’article 18 de la loi de programmation des finances publiques en vigueur : cela signifie-t-il qu’aucune évaluation n’a été réalisée ? Vous soulignez aussi dans votre rapport que le calcul de la dynamique de ces dépenses ne tient pas compte, parmi ses hypothèses, des pourcentages de croissance constatés dans le passé.

En ce qui concerne les recettes, vous souhaitez dans votre recommandation n° 4 l’établissement et la publication d’un « document de référence précisant les méthodes et le processus de prévision des recettes pour les principaux impôts » : que souhaiteriez-vous voir figurer dans ce document ?

Enfin, à propos de la certification des comptes de l’État, tout en relevant certaines améliorations, vous avez maintenu plusieurs réserves : pourriez-vous préciser celle qui concerne le système d’information financière ?

M. Pierre-Alain Muet, président. Je prolongerai les questions de la rapporteure générale sur deux points.

Vous soulignez, monsieur le Premier président, que les dépenses de l’État sont inférieures de 4 milliards d’euros aux crédits ouverts et que les dépenses nettes sont en diminution de près de 900 millions. Pourriez-vous nous fournir une évaluation de cette diminution des dépenses par rapport à la tendance ? Notre Commission a en effet souvent débattu de cette question.

Quant à l’écart de 14 milliards d’euros en recettes, il s’explique en partie par une croissance plus faible que prévu, mais surtout par une élasticité négative de ces recettes : pourriez-vous nous fournir plus de détails à ce sujet ? Notre Commission s’est en effet beaucoup interrogée sur le fait que, lorsqu’une récession dure depuis plusieurs années, les pertes de profits enregistrées par les entreprises risquent de se reporter sur l’impôt des années suivantes, et par conséquent d’en amoindrir le rendement.

M. Dominique Lefebvre. Je formulerai tout d’abord une observation de méthode : je comprends les raisons pour lesquelles nous ne disposons des épais documents que vous venez de nous présenter qu’au moment de votre audition, mais vous conviendrez que cela nous empêche de vous poser toutes les questions nécessaires. Je ferai la même remarque s’agissant de l’avis du Haut Conseil des finances publiques qui nous sera présenté tout à l’heure et que nous découvrons à l’instant : une telle méthode de travail est quelque peu frustrante, à moins d’avoir le don d’omniscience !

Cela étant dit, je salue la qualité des travaux de la Cour des comptes, tant en ce qui concerne la certification des comptes de l’État que l’exécution budgétaire. Sur la certification, le travail réalisé depuis huit ans porte manifestement ses fruits, compte tenu du nombre important de réserves qui ont pu être levées, en totalité ou en partie, au cours de cette période. À un moment où la confiance se perd et où les débats publics s’intensifient, cet effort, d’ailleurs à poursuivre, contribue à la modernisation de l’État. Mais une fois les comptes de l’État certifiés sincères et fiables, et une fois notre administration modernisée, en quoi la certification permet-elle d’améliorer le pilotage des finances publiques ? Quels progrès conviendrait-il d’accomplir, non pas tant pour mieux tenir ces comptes que pour mieux les gérer ? Sachant que notre Commission a un devoir de vigilance absolue à l’égard de la situation de nos finances publiques, ceux qui s’interrogent sur le rôle du Parlement doivent sans doute se dire qu’il a failli dans sa mission de contrôle, étant donné la dérive constatée depuis dix ans en la matière.

Pour terminer, je formulerai plusieurs constats. Tout d’abord, le redressement de nos finances publiques est réel puisque nous avons réussi en deux ans à effacer la dégradation du déficit structurel générée par le précédent Gouvernement – et non par la seule crise financière – pour ramener ce déficit à un niveau proche de celui de 2002. Ensuite, c’est la première fois que l’on enregistre un niveau aussi faible d’évolution des dépenses de l’État, de sorte que c’est plutôt le financement de la protection sociale qui pose aujourd’hui problème. La Cour des comptes semblant cependant indiquer, s’agissant du budget de l’État, que l’effort structurel demeure insuffisant, reste à savoir quel est le bon rythme de réduction de la dépense publique. Sans doute pourrez-vous nous répondre sur ce point, compte tenu du précédent avis du Haut Conseil des finances publiques sur lequel d’aucuns s’étaient appuyés pour insister sur l’effet récessif qu’aurait une maîtrise trop vigoureuse des dépenses publiques – à quoi vous aviez rétorqué que, sans aucune maîtrise, la situation serait pire encore. À cet égard, il conviendrait sans doute de mieux appréhender l’évolution des recettes à moyen terme : en effet, lorsque vous constatez que seulement 15 des 30 milliards d’euros de recettes supplémentaires prévues ont été perçus, cela accrédite l’idée que « trop d’impôt tue l’impôt ». Comment analyser un tel écart en termes de réalités macroéconomiques – c’est-à-dire d’évolution des revenus, de résultat des entreprises et de consommation ? Il apparaît en tout cas certain que l’ajustement ne peut plus, ne doit plus se faire par les recettes. Or, si l’on peut se satisfaire des bons résultats de l’exécution 2013 par rapport à celles des années précédentes, la maîtrise des dépenses publiques y demeure fragile dans la mesure où elle repose sur deux facteurs conjoncturels : une moindre inflation, d’une part, et une moindre charge d’intérêts, d’autre part. Un effort accru s’impose donc en ce domaine lors des prochaines lois de finances et de financement de la sécurité sociale.

M. Olivier Carré. Le déficit budgétaire s’est réduit, mais dans une mesure moindre que ne le prévoyait la loi de finances initiale. Il résulte de recettes qui se situent également en net retrait par rapport aux prévisions cependant que, sans l’ajustement en cours d’exercice de la réserve de précaution, les dépenses auraient progressé malgré l’application de la norme « zéro valeur ». Leur légère diminution peut paraître positive, mais la Cour souligne à juste titre que les effets structurels de la baisse de la dépense publique n’ont pas été au rendez-vous. Monsieur le Premier président, dans ces conditions, que pensez-vous de la modernisation de l’action publique – MAP – qui, depuis deux ans, a pris la suite de la révision générale des politiques publiques – RGPP ? En la matière, sur quels secteurs nos efforts devraient-ils porter ?

Les services du ministère des Finances nous ont dit en substance, la semaine dernière, que l’aléa conjoncturel expliquait l’essentiel des variations de prévisions en matière de recettes fiscales. Pour ma part, dès lors qu’on a choisi de réduire le déficit public par une hausse de la fiscalité, j’estime qu’il n’est pas satisfaisant de raisonner comme si toutes choses étaient égales par ailleurs, c’est-à-dire comme si cela n’influait pas sur le comportement des ménages, en vertu de l’« effet Laffer ». Que pense la Cour des comptes de la position de Bercy ? L’appréciation des recettes fiscales est-elle vouée à demeurer toujours aussi lâche et incertaine, au risque de perturber l’exécution budgétaire ?

La Cour a constaté un phénomène de « raccourcissement » des échéances de la dette. Les nombreuses émissions en bons du Trésor, au-delà de ce qui était prévu, auront-elles des conséquences négatives à terme, ou relèvent-elles d’une gestion intelligente en période de taux courts très favorables ? Que pensez-vous de cette stratégie ? Ne va-t-elle pas obliger à emprunter beaucoup dans les années qui viennent ?

M. Charles de Courson. Dans la réserve n° 4 de sa synthèse de l’acte de certification des comptes de l’État pour l’exercice 2013, la Cour signale de graves défaillances concernant les provisions relatives aux biens gérés par le ministère de la Défense. De quel ordre de grandeur seraient ces provisions ? Les passifs environnementaux ne sont pas comptabilisés alors que les terrains militaires sont pollués. Les provisions pour le démantèlement des installations nucléaires militaires sont sous-évaluées. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ces sujets ? Accessoirement, puis-je vous demander si vous avez vérifié l’existence physique des munitions, notamment nucléaires ? Je sais que, par le passé, les bombes utilisées lors des essais nucléaires n’étaient pas toujours retirées des stocks au motif que ces essais valorisaient le système d’armes !

La réserve n° 5 de la Cour porte sur les immobilisations financières mais, s’il y est question de la SNCF, rien n’est dit de Réseau ferré de France, dont la dette s’élève à 33 milliards d’euros, somme que cet établissement est dans l’incapacité totale de rembourser à plus de 50 %. Demandez-vous qu’une provision pour garantie soit passée à hauteur minimale de 15 à 16 milliards ? De la même façon, des provisions ont-elles été passées pour les risques liés aux prêts et garanties que notre pays a accordés à la Grèce, mais aussi à l’Espagne, au Portugal ou à Chypre ?

Dans son rapport sur le budget de l’État en 2013, la Cour constate l’existence d’un écart de 12 milliards d’euros entre les prévisions et les réalisations en matière de recettes. Pour moins du quart, cet écart s’explique, selon elle, par le différentiel de croissance entre prévisions et réalité. Pour le reste, soit 8,2 milliards, elle invoque une élasticité qui, pour moi, n’est que la traduction de notre ignorance, en particulier, des modifications du comportement des agents économiques. Il est clair, par exemple, que l’optimisation fiscale pratiquée par les entreprises explique la chute des recettes de l’impôt sur les sociétés – au rythme actuel, il aura bientôt disparu ! – mais le même constat peut être fait en ce qui concerne les particuliers et l’impôt sur le revenu. Quant au dérapage des dépenses fiscales constaté par la Cour – depuis cinq ans, elles sont sous-évaluées chaque année en moyenne à hauteur de 3 milliards d’euros –, résulte-t-il selon vous d’une présentation délibérément faussée de la part des administrations, désireuses de ne pas faire apparaître le montant réel de ces dépenses, ou n’est-ce pas également l’effet de l’évolution du comportement des agents économiques concernés, évolution d’ailleurs recherchée par ces moyens ?

M. Éric Alauzet. Monsieur le Premier président, je commencerai par une observation d’ordre terminologique : la dénomination « développement durable » donnée à un ensemble d’actifs corporels de l’État comprenant les concessions autoroutières ne me paraît pas pertinent, ne serait-ce que d’un point de vue pédagogique.

Entre 2012 et 2013, le déficit est passé de 87 milliards d’euros à 75 milliards d’euros, soit de 4,9 à 4,3 % du PIB. Quel est selon vous le niveau réel de déficit, bien inférieur à 3 % du PIB, qui permet de stabiliser le radio dette/PIB ?

Au-delà de la faiblesse de la croissance, un phénomène d’« élasticité » expliquerait l’écart entre prévisions et recettes. N’est-ce pas un concept fourre-tout ? Les changements de comportements n’ont-ils pas été oubliés et, question qui importe politiquement, la formule « trop d’impôt tue l’impôt » ne se vérifie-t-elle pas là ?

Quel est l’impact sur les comptes de l’augmentation de la dépense pour le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE ?

Vous avez parlé de baisse purement faciale à propos de la réduction de 600 millions d’euros de la contribution de l’État au FNAL. Pouvez-vous expliciter ce jugement ? Mais, de façon générale, qu’il s’agisse de dépenses sociales ou des missions régaliennes de l’État, toute sous-dotation ne peut que nous inquiéter.

M. le Premier président de la Cour des comptes. La Cour a fait un certain nombre de propositions concernant l’élargissement des normes de dépenses. Ce sujet fait l’objet de notre part d’une vigilance permanente, même s’il n’est pas au centre de nos préoccupations en ce qui concerne 2013, et, en tout état de cause, il n’y a rien là de nature à fausser notre diagnostic d’ensemble sur l’évolution de la dépense l’an passé.

Les dépenses fiscales doivent être appréciées en dynamique, et non de façon statique. En 2013, les économies sur ce chapitre, de l’ordre de 500 millions d’euros, ont été bien peu de chose au regard des 3,6 milliards attendus. Même si Bercy et la Cour ont commencé d’évaluer certaines de ces dépenses, le travail est loin d’être achevé, ce qui contribue à les maintenir à un niveau élevé.

Les prévisions de recettes pour 2013 ont manqué de prudence : la croissance molle des années précédentes ne pouvait manquer de retentir sur les rentrées fiscales et la Cour avait d’ailleurs signalé en amont le risque d’un décalage entre estimations et recettes. L’exercice n’est certes pas facile et, sur la longue période, les estimations de Bercy s’approchent de la réalité, mais nous recommandons, d’une part, la publication d’un document de référence qui précise les méthodes et le processus de prévision des recettes pour les principaux impôts et, d’autre part, des analyses approfondies des écarts entre prévisions et exécution, à faire figurer dans l’annexe « Évaluation des voies et moyens » du projet de loi de finances : en bref, une transparence accrue en amont comme en aval, notamment à l’égard des commissions des Finances du Parlement.

La certification peut constituer un outil d’amélioration de la gestion publique. S’agissant de la première réserve de la Cour, le système d’information financière Chorus a permis un certain progrès, mais l’outil reste insuffisamment adapté à la tenue de la comptabilité générale de l’État et au travail du vérificateur. Du chemin reste donc à parcourir. De la même façon, la Cour déplore que les dispositifs ministériels d’audit et de contrôle internes soient encore trop peu développés.

Certes, le Haut Conseil des finances publiques, la Cour des comptes et de nombreux économistes s’accordent pour constater que la réduction de la dépense a des effets négatifs sur la croissance, mais toute la question est de savoir si les effets d’une dégradation des comptes ne seraient pas plus négatifs encore. Tout est évidemment fonction aussi des points sur lesquels on fait porter l’effort, sachant que certaines dépenses sont plus productives que d’autres. À cet égard, la technique du « rabot » ne nous a pas convaincus. Elle peut être utile et donner des résultats, mais elle a aussi des effets pervers. Elle traduit en effet une absence de priorités, un non-choix, alors que la noblesse du politique consiste précisément à faire des choix et à procéder à des arbitrages. S’il se refuse à choisir, l’État risque de se retrouver dans l’incapacité de remplir certaines de ses missions régaliennes.

Le travail d’évaluation des dépenses a montré l’existence de marges de progrès certaines en termes d’efficacité et d’efficience : ainsi en matière de politiques d’intervention. La défense du service public n’implique pas une sanctuarisation absolue du niveau de la dépense. Il est parfaitement légitime de s’interroger sur l’efficacité des montants consacrés à une politique et sur les résultats obtenus par rapport aux objectifs fixés par la représentation nationale – qu’il s’agisse d’éducation, de logement, de formation professionnelle ou d’aides économiques, l’écart est grand entre les uns et les autres et il est paradoxal, par exemple, que la formation professionnelle bénéficie le moins à ceux qui sont le plus éloignés de l’emploi ou que, malgré tous les crédits que vous lui accordez, notre système éducatif se range parmi les plus inégalitaires quand on le compare à celui de pays semblables au nôtre.

Le contrôle de l’efficacité de la dépense publique est par conséquent essentiel, aussi appelons-nous les parlementaires à s’intéresser plus longuement à l’exécution budgétaire qu’à la loi de finances initiale. Nous sommes probablement le seul pays dans lequel le Parlement consacre autant de temps à l’examen et au vote de cette dernière alors que l’exécution budgétaire reflète mieux la réalité d’une politique budgétaire et se révèle bien plus utile pour agir.

Le rapport que la Cour remettra en juin prochain sur la situation et les perspectives des finances publiques reviendra sur ces questions ainsi que sur la MAP. Les documents que nous élaborons sont complets, donc copieux, mais nous produisons des synthèses – et même des résumés des synthèses ! – pour faciliter la lecture de nos rapports. Le temps qui s’écoulera d’ici aux prochaines réunions de commission et à la séance publique consacrées au projet de loi de règlement devrait vous permettre de prendre connaissance d’informations que nous avons voulu vous transmettre de façon précoce.

Monsieur Éric Alauzet, la Cour ne fait que reprendre la terminologie existante. Le tableau de la page 49 du rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l’État indique que le solde budgétaire primaire stabilisant aurait été en 2013 de 0,3 % du PIB alors que le solde effectif se situait à - 1,4 %, ce qui représente un écart d’1,7 point, soit de près de 40 milliards d’euros. Au contraire de nombreux pays voisins, notre solde primaire reste négatif.

M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes. La progression de la dette à court terme en 2013 reste peu significative et ne constitue pas, du point de vue de la Cour, un motif de préoccupation particulière.

La Cour examine tous les ans de façon attentive les questions relatives aux prêts consentis à la Grèce. Le directeur général du Trésor a expliqué, dans un courrier argumenté que nous avons reçu au début de ce mois, les raisons pour lesquelles il considère qu’il n’y a pas matière aujourd’hui à provisionner ces prêts, compte tenu de la dépréciation déjà enregistrée. À ma connaissance d’ailleurs, aucun autre État ayant consenti des prêts bilatéraux à ce pays ne les a provisionnés.

L’entité RFF est certifiée sans réserve par son commissaire au compte. Le rapport de la Cour sur la certification des comptes de l’État ne portant pas sur la gestion de RFF, il ne lui appartient pas d’aller plus loin.

Les inventaires de munitions nucléaires sont vérifiés par la Cour, qui n’a pas constaté d’écarts significatifs. Nous vérifions la justification des dépenses prévues par le ministère de la Défense pour les démantèlements et pour le traitement de la pollution d’environ 5 000 terrains. Nous considérons que ces dépenses sont sous-évaluées mais, si nous exigeons du ministère qu’il s’engage résolument dans la constitution de provisions, nous ne pouvons pas avancer un chiffre à sa place.

S’agissant des dépenses fiscales, nous avons constaté sur longue période un retour à une élasticité égale à 1, mais le problème est que les prévisions se font année après année et que des écarts importants peuvent être constatés à la fin d’un exercice. L’élasticité n’est pas une donnée mystérieuse et volatile. C’est la représentation statistique de la somme des prévisions de recettes impôt par impôt, comparée à l’évolution du PIB en valeur. Elle résulte donc de prévisions de recettes ex ante représentées ex post grâce à un coefficient dit d’élasticité. Que ce soit dans le rapport public annuel et l’insertion sur les finances publiques de janvier 2013 ou dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2013, la Cour avait identifié des éléments de fragilité des prévisions relatives à l’impôt sur les sociétés et à l’impôt sur le revenu.

La prévision est un art difficile. En la matière, nous prônons la transparence. Le meilleur moyen de rendre les prévisions incontestables serait de présenter ex ante le processus et les méthodes retenus, en les comparant aux pratiques des pays étrangers, puis d’expliquer les écarts constatés ex post dans l’annexe « Évaluation des voies et moyens ». Les performances des systèmes d’information conditionnent aussi la qualité des prévisions. Ils doivent permettre une analyse mensuelle fiable au fur et à mesure des rentrées fiscales. Enfin, il faut savoir que la multiplication des modifications de la législation fiscale fait perdre les repères, rendant difficile toute prévision du rendement des impôts.

Le CICE et le crédit d’impôt recherche sont des formes particulières de dépenses fiscales qui se pilotent plus facilement que les dépenses fiscales classiques. À partir de 2014, ces crédits d’impôt seront traités en comptabilité nationale comme des dépenses et non plus comme des moindres recettes. Cela fournira un cadre plus propice à la régulation de ces dépenses – et, en tout cas, à leur évaluation.

M. Pierre-Alain Muet, président. Cette évolution aura tout de même un impact considérable, en particulier du point de vue de la politique économique.

M. Laurent Grandguillaume. La Cour relève que le format dit « compte rendu d’événement » – CRE – « qui devait initialement être utilisé pour gérer l’interfaçage avec Chorus des dix-neuf applications remettantes n’est utilisé, fin 2013, que par trois d’entre elles ». Il aurait été intéressant de disposer d’éléments sur les conséquences budgétaires de dysfonctionnements dont vous écrivez qu’ils font « durablement peser un risque sur la qualité des comptes de l’État ». Je rappelle que Chorus aura coûté 1,5 milliard d’euros entre 2006 et 2015, et que 220 millions d’euros ont été prévus a posteriori pour l’adaptation des systèmes d’information et 280 millions pour l’environnement du logiciel. Comment ces dérapages financiers sont-ils pris en compte dans les marchés passés par l’État ?

Comment l’État anticipe-t-il dans ses comptes l’échéance en 2015 de 144,5 milliards d’euros d’emprunts ?

La Cour note que « les indicateurs de performance n’ont pas été utilisés pour la programmation budgétaire de 14 missions sur les 32 missions du budget général de la loi de finances pour 2013 » et que « les allocations budgétaires sont donc toujours décidées sur la base de la reconduction des crédits, éventuellement ajustés par les priorités politiques et la gestion de la contrainte budgétaire ». Pouvez-vous nous communiquer des éléments chiffrés susceptibles d’étayer ces affirmations ?

Selon la Cour, les contrats de partenariat public-privé – PPP – « se traduisent par des dépenses obligatoires, source de rigidités pour l’État durant toute la période de l’engagement. Les coûts futurs pour l’État résultant des PPP ne sont par ailleurs pas intégralement retranscrits par le mode actuel de comptabilisation budgétaire ». En effet, expliquez-vous, les dépenses de fonctionnement, pourtant « prévisibles et inéluctables », ne donnent pas lieu comme elles le devraient à la comptabilisation d’engagements dès la conclusion du contrat. La Cour a-t-elle procédé à une estimation du volume global des engagements en cause ?

À l’annexe 4 du rapport sur le budget de l’État en 2013, le tableau consacré à l’évolution entre le 31 décembre 2012 et le 31 décembre 2013 des dettes et des créances de l’État à l’égard de la sécurité sociale montre un sextuplement de la dette relative aux travailleurs indépendants dans les DOM. Comment s’explique cette évolution ?

M. François Cornut-Gentille. Je remercie la Cour de nous avoir transmis ces rapports plus tôt que les années précédentes ; cela nous donnera une quinzaine de jours supplémentaires pour les étudier d’ici à l’examen du projet de loi de règlement. Vous nous avez, à juste titre, invités à travailler de façon plus approfondie sur celle-ci. Alors que nous déplorons tous une maîtrise des comptes passablement aléatoire ou le recul progressif des investissements de l’État, il nous revient de nous interroger sur la qualité et l’efficacité de la dépense publique. Ce travail, d’accessoire et marginal aujourd’hui, doit devenir prioritaire pour nous. J’ai conscience que nos pratiques ne seront pas bouleversées en quelques semaines, mais notre Commission devrait avoir pour objectif d’étoffer cet examen du projet de loi de règlement et, plus généralement, ses travaux de contrôle. Cela aurait à coup sûr, à terme, des effets positifs sur la discussion du projet de loi de finances initiale.

Dans cet esprit, monsieur le Premier président, parmi les 63 notes d’analyse de l’exécution budgétaire rédigées par la Cour, pourriez-vous nous signaler celles dont nous pourrions tirer le plus grand profit ?

M. Pascal Cherki. Nous avons entendu les conseils de méthodologie parlementaire prodigués par le Premier président de la Cour des comptes, mais nous lui rappelons que si les parlementaires pèsent aujourd’hui si peu sur l’élaboration du projet de loi de finances, cela s’explique par la création progressive de mécanismes institutionnels destinés à limiter leur rôle. L’utilisation de l’article 40 de la Constitution comme une mesure couperet en constitue une illustration. Quant à l’élaboration de la loi de finances initiale telle qu’elle résulte de la LOLF dont vous avez été un des maîtres d’œuvre, elle rend encore plus difficile l’intervention des parlementaires…

M. le Premier président de la Cour des comptes. Je ne crois pas !

M. Pascal Cherki. Ajoutons que les majorités parlementaires successives, quelles qu’elles soient, ont jusqu’ici considéré qu’elles ne devaient agir sur le budget qu’à la marge ! Peut-être la situation va-t-elle changer, mais c’est un autre débat.

Pour que les parlementaires s’impliquent davantage dans le contrôle de l’exécution budgétaire, encore faudrait-il qu’ils en aient les moyens. Ce n’est qu’un exemple, mais comment voulez-vous que nous puissions travailler quand nous vous auditionnons ce matin sur la base de 400 pages de documents dont nous ne prenons connaissance qu’au moment où vous prenez la parole ? Certes, vous nous en fournissez une synthèse de qualité, mais j’aurais souhaité avoir le temps de lire la totalité des rapports. Faute de l’avoir pu, je n’entrerai pas dans le débat sur la certification.

Je vous ai néanmoins écouté, monsieur le Premier président, ce qui m’amène à vous poser une question. Vous expliquez la progression modérée de la charge de la dette par la faiblesse actuelle de taux d’intérêt qui convergent avec ceux de l’Allemagne, et vous suggérez de mettre à profit cette conjoncture pour consolider notre situation budgétaire avant que les taux ne remontent. Autrement dit, quand les taux sont élevés, il faut consolider pour faire baisser les taux, et quand ils sont faibles, il faut aussi consolider de peur qu’ils ne remontent ! Mais quand sortirons-nous de ce système infernal et quand donc pourrons-nous nous préoccuper d’une véritable politique de croissance susceptible de faire baisser le chômage dans notre pays ?

M. Pierre-Alain Muet, président. La commission des Finances entend systématiquement le Premier président le plus en amont possible, sachant qu’elle dispose d’un mois pour travailler sur les documents fournis par la Cour avant l’examen du projet de loi de règlement.

M. Pascal Cherki. Quand je participe à une audition sur un document volumineux, je préfère tout de même avoir eu le temps de le lire !

Mme Marie-Christine Dalloz. Nous devrions nous réjouir que cette réunion de présentation ait lieu plus précocement que ces dernières années, plutôt que nous en plaindre !

La dette continue d’augmenter dangereusement, mais le faible niveau des taux d’intérêt masque en partie les risques que fait courir cette dérive. La Cour est-elle en mesure de nous indiquer le niveau de taux à partir duquel la situation budgétaire de la France deviendrait ingérable ?

Selon votre rapport sur le budget de l’État en 2013, « la comptabilité analytique reste à construire ». C’est sans doute bien dommage pour la MAP, qu’on met beaucoup en avant sans que rien vienne jamais en attester l’efficacité. Si vous avez des éléments démontrant qu’elle a eu des effets, je serais évidemment très intéressée de les connaître.

M. Jean Launay. En ma qualité de rapporteur spécial du budget opérationnel de la défense, j’ai pris connaissance avec une attention toute particulière des motivations de la quatrième réserve substantielle de la Cour, tenant aux incertitudes qui continuent de peser sur le recensement et l’évaluation des stocks et des immobilisations du ministère de la Défense, ainsi que des passifs qui s’y rattachent. Vous avez étayé cette réserve en prenant l’exemple de l’absence de provisions pour le démantèlement des matériels à caractère nucléaire, en particulier des réacteurs des sous-marins nucléaires, et en établissant à cet égard une comparaison avec les opérateurs de la filière nucléaire civile, qui intègrent, eux, dans leurs provisions le niveau 3 de démantèlement, c’est-à-dire la destruction complète des réacteurs nucléaires.

Permettez-moi de trouver cette critique sévère. Elle est certes fondée au regard des normes comptables applicables à l’État, mais il conviendrait de tenir compte du caractère stratégique du secteur ; le parallèle que vous faites avec les États-Unis corrobore d’ailleurs le caractère sensible de ces données, dont pourrait être déduit le calendrier de renouvellement des matériels. Cela étant, le ministère de la Défense s’est engagé à rendre possible cette information à la fin de 2014.

La Cour prend acte de l’interfaçage des systèmes d’information logistique avec Chorus et salue la tenue d’inventaires physiques, le recensement des biens mis à disposition des industriels et la fiabilisation de l’évaluation des stocks dans les structures intégrées de maintien en condition opérationnelle, que ce soit pour les matériels aéronautiques de la défense ou pour les matériels terrestres. Pour avoir auditionné les responsables de ces structures dans le cadre de mon rapport spécial, je peux témoigner de leur volonté de mieux articuler l’inventaire physique et l’inventaire comptable des immobilisations du ministère.

En tout état de cause, votre rapport me servira de guide pour mes investigations à venir !

Mme Karine Berger. Madame Dalloz, le taux d’intérêt appliqué à la dette française n’a rien d’exogène : il est directement lié à la crédibilité de la politique économique de notre pays !

Mme Marie-Christine Dalloz. Précisément !

Mme Karine Berger. Sa baisse résulte tout simplement de notre crédibilité en matière de maîtrise de la dette et de réduction des déficits publics. Votre question est inutilement polémique et ne sert qu’à rappeler qu’il y a deux ans, ce taux d’intérêt était bel et bien supérieur.

Mme Marie-Christine Dalloz. J’attends une réponse de la part du Premier président, et non de Mme Berger !

Mme Karine Berger. Monsieur le Premier président, vous avez lourdement insisté sur l’évolution des dépenses fiscales, qui devait générer une « économie » de 3,6 milliards d’euros. Pourriez-vous nous indiquer la part respective des principales d’entre elles dans ce total, en particulier celle du crédit d’impôt recherche et autres dégrèvements d’impôt sur les sociétés ?

L’INSEE a annoncé pour 2014 une révision du système de comptabilité nationale qui conduira à reclasser les recettes négatives, dont les dépenses fiscales, parmi les dépenses. Avez-vous estimé les conséquences qu’une telle opération aurait eues sur les comptes de l’année 2013 ? Comment prendrez-vous en compte ce changement dans vos travaux ? Allez-vous recalculer les dépenses et recettes des années passées de manière à constituer une série historique continue, ou l’année 2014 marquera-t-elle le début d’une nouvelle série statistique ?

Une remarque technique pour finir. Vous avez rappelé qu’il était impossible d’évaluer ex ante l’élasticité des recettes fiscales ; dans ce cas, pourquoi avancer dans votre rapport un chiffre – - 1,3 – qui est une évaluation hors effets conjoncturels des mesures nouvelles, autrement dit une évaluation ex ante ? La réalité, c’est que les recettes fiscales évoluent positivement. Votre méthode de calcul est très surprenante !

M. Dominique Baert. Vous avez souligné que la faiblesse de la charge d’intérêts de la dette avait contribué à la modération des dépenses en 2013. Or, la dette est soit indexée sur les prix, soit soumise à des taux d’intérêt variables. Quelle est l’appréciation de la Cour sur l’élasticité de la charge de la dette par rapport à ces deux éléments ? Il importe que notre Commission puisse appréhender l’incidence que pourrait avoir un relèvement de ces deux facteurs d’aggravation de nos dépenses.

M. Alain Fauré. Lorsque vous aviez présenté, l’année dernière, votre rapport sur l’exercice 2012, vous aviez évoqué le risque d’une augmentation de la masse salariale. Or, on constate que l’évolution de celle-ci a encore été maîtrisée en 2013. Comment l’expliquez-vous ?

M. le Premier président de la Cour des comptes. Monsieur Grandguillaume, Chorus fonctionne convenablement. Il reste toutefois certaines difficultés à régler, pour le gestionnaire comme pour le certificateur, ce qui justifie le maintien d’une réserve substantielle. Quant aux « dérapages financiers » que vous évoquez, ce n’est pas un sujet qui relève de la certification. Pour l’essentiel, ces dépenses appartiennent au passé ; nous avions d’ailleurs procédé à leur contrôle en 2010 et 2011. Les marchés plus récents ont été de moindre ampleur, et ils n’ont pas fait l’objet d’un audit de la part de la Cour. Mais c’est un sujet sur lequel nous aurons l’occasion de revenir.

Nous reviendrons également ultérieurement sur le problème posé par l’échéance des emprunts, puisque nous consacrerons une partie de notre rapport de juin aux différentes hypothèses d’évolution de la dette française. Mais croyez bien que ceux qui en ont la responsabilité cherchent à la gérer de la manière la plus efficace possible.

Le défaut d’utilisation des indicateurs pose la question de la démarche de performance, telle qu’elle a été prévue par la LOLF. Il existe vraisemblablement des marges de progrès. Les indicateurs sont globalement trop nombreux – nous l’avions déjà dit lorsque nous avions dressé un premier bilan de la LOLF il y a deux ans – et tous ne sont pas renseignés ; d’autre part, les indicateurs qualitatifs sont en nombre insuffisant par rapport aux indicateurs quantitatifs. Il serait nécessaire de faire le point sur le sujet, mais il n’est pas anormal que des outils tels que ceux-ci soient à ajuster au bout de quelques années. Des pays qui se sont engagés depuis longtemps dans la démarche de performance, comme le Canada ou l’Australie, continuent à s’interroger sur la pertinence de tel ou tel indicateur.

Cette question recoupe celle de la politique de modernisation de l’action publique. Si nous pouvons contribuer, par nos compétences d’évaluation et d’appréciation, à améliorer la démarche de performance, nous le ferons bien volontiers. À cet égard, les 63 notes que nous vous avons remises ne procèdent pas seulement d’une analyse de l’exécution budgétaire : elles comportent aussi une appréciation de la performance.

En ce qui concerne l’outre-mer, nous constatons en effet une sous-estimation récurrente des crédits destinés à compenser les exonérations de charges sociales ; cela concerne notamment le régime social des travailleurs indépendants. Je ne suis pas en mesure de vous en dire davantage aujourd’hui, mais je le ferai éventuellement par écrit.

Les dépenses d’investissement ont été, une fois encore, la variable d’ajustement. Notre dette résulte, hélas, de dépenses courantes de fonctionnement, et non pas de dépenses d’avenir. S’il en allait autrement, le problème se poserait en d’autres termes – quoique tout investissement ne soit pas pertinent. Cela montre qu’il est essentiel de maîtriser les dépenses de fonctionnement afin d’augmenter la part des dépenses d’investissement.

Monsieur Cherki, il ne s’agit de notre part que d’une invitation que nous vous lançons à consacrer davantage de temps au contrôle de l’exécution budgétaire. Je connais les contraintes de la Constitution de 1958 et de son article 40, mais je ne suis pas sûr que ce soit le problème principal. Quant à la LOLF, je crains que vous ne l’interprétiez à contresens. Elle a renforcé les pouvoirs budgétaires du Parlement et elle a tempéré la rigueur de l’article 40, puisque la dépense s’apprécie à l’intérieur d’une même mission et que l’on peut procéder à des transferts de crédits d’un programme à l’autre. Je suis prêt à en discuter dans le détail avec vous – même si j’admets bien volontiers que, dans l’application, je ne reconnais pas toujours le texte que j’ai contribué à faire voter. L’objectif de consacrer davantage d’attention à l’exécution du budget n’est pas encore atteint, tant s’en faut ; quant à responsabiliser les gestionnaires publics, je ne suis pas convaincu que les procédures actuelles tendent à le faire. On obtiendrait pourtant de bien meilleurs résultats si on les associait à la recherche de plus d’efficacité dans l’action publique, à quoi ils auraient tout à gagner.

L’acte de certification compte, non pas 400, mais 80 pages. Je reconnais qu’elles ne sont pas d’une lecture facile, mais il vous reste quelques semaines pour en prendre connaissance et nous pourrons éventuellement revenir, si vous le souhaitez. C’est maintenant à vous de travailler, à partir des éléments que nous vous avons apportés. Permettez à l’ancien parlementaire que je suis de préciser que c’est une question non pas de moyens, mais de volonté. Vous avez à votre disposition tout ce qu’il faut pour contrôler l’action du Gouvernement si vous le souhaitez – l’exécutif y a d’ailleurs intérêt.

Pour renforcer l’efficacité et l’efficience de l’action publique, il ne suffit pas toujours d’augmenter les moyens. On le vérifie à propos d’un certain nombre de politiques publiques : les moyens ont été accrus, mais pour des résultats inférieurs à ce qu’ils étaient dans le passé.

Les conséquences sur la charge de la dette d’une augmentation des taux d’intérêt sont indiquées dans le rapport : une hausse de 1 point entraînerait une dépense supplémentaire de 2 milliards la première année, et d’une quinzaine au bout de dix ans.

M. Dominique Baert. Et les conséquences d’une hausse de l’inflation ?

M. le Premier président de la Cour des comptes. Effectivement, il faut en tenir compte ; et de même vous avez raison, madame Berger : la fixation des taux d’intérêt est liée à une politique européenne et à la crédibilité du pays concerné, celle-ci pouvant être appréciée en fonction de la capacité qu’a ce pays de respecter les objectifs qu’il s’est fixés. C’est un tout !

Oui, effectivement, madame Dalloz, la comptabilité analytique devrait un jour pouvoir contribuer à l’amélioration de la gestion publique, en assurant une plus grande transparence et en identifiant les marges de progrès !

Monsieur Launay, j’ai pris bonne note de vos observations. Nous échangeons régulièrement avec le ministère de la Défense et nous sommes sensibles aux efforts qu’il a réalisés. Il existe quelques rigidités et pesanteurs, mais on peut comprendre que les priorités de ce ministère soient d’abord opérationnelles. Certaines informations touchant au nucléaire relèvent en effet du secret défense : ce sont des sujets difficiles à aborder directement.

Madame Berger, nous n’avons pas sous la main le détail de l’évolution tendancielle des dépenses fiscales, mais nous pourrons vous transmettre ces informations ultérieurement, à moins que vous ne les trouviez dans celle des 63 notes qui est consacrée aux recettes de l’État.

L’INSEE a anticipé des règles européennes qui s’imposeront bientôt à tous les États membres. Cela ne contribue peut-être pas à clarifier le débat, mais les conséquences en sont marginales.

Mme Karine Berger. 10 milliards, tout de même !

M. le Premier président de la Cour des comptes. Quoi qu’il en soit, nous n’allons pas reconstruire les séries statistiques en révisant les chiffres des années passées, mais l’Institut fera ce travail et nous pourrons alors comparer ce qui est comparable et mesurer l’impact des nouvelles règles sur un certain nombre de ratios.

M. le président de la première chambre de la Cour des comptes. Un développement est consacré aux partenariats public privé aux pages 208 et 209 du rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l’État. Pour résumer, nous souhaiterions que la comptabilisation budgétaire tienne compte de l’ensemble des dépenses, dépenses de fonctionnement incluses, et non pas des seules dépenses d’investissement. Il existe une présentation complète de la question dans l’annexe au compte général de l’État.

L’évolution des dettes et des créances de l’État à l’égard de la sécurité sociale est un objet d’attention. L’année 2012 avait été exceptionnelle en ce sens que la sécurité sociale était débitrice de presque 250 millions d’euros à l’égard de l’État, ce qui était inédit ; en 2013, on est revenu à la situation habituelle, mais dans une proportion raisonnable, puisque la sécurité sociale est créditrice de quelque 200 millions d’euros ; les raisons nous en ont été expliquées par la direction du budget, et elles sont strictement circonstancielles. Nous restons vigilants, mais cela ne nous préoccupe pas particulièrement.

Une quinzaine de pages de notre rapport sont consacrées à l’évolution de la masse salariale. Nous constatons sa stabilisation – c’est une première – et nous soulignons que les facteurs qui expliquent cette situation ne sont pas nécessairement reconductibles : un schéma d’emplois a permis de continuer à bénéficier en 2013 des baisses d’effectifs décidées en 2012 et on a opéré un prélèvement exceptionnel sur le fonds de roulement du compte d’affectation spéciale Pensions.

Pour ce qui est de l’élasticité, les chiffres cités dans le rapport n’ont pas été calculés ou inventés par la Cour : ils proviennent de Bercy. Nous avons sollicité les services du ministère pour qu’ils nous donnent la décomposition de l’évolution des recettes fiscales en 2013, en faisant la distinction entre ce qui était la conséquence des mesures nouvelles et ce qui était lié à l’évolution spontanée, à croissance donnée. Pour ce faire, Bercy a commencé par identifier le rendement des mesures nouvelles, puis a calculé le solde, correspondant à l’évolution spontanée ; l’élasticité découle donc en partie des hypothèses de rendement des mesures nouvelles. Il n’est d’ailleurs pas impossible que ce rendement ait été surestimé ; si tel était le cas, cela reviendrait à avoir surestimé la baisse d’élasticité en 2013.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Monsieur Fauré, la masse salariale a été maîtrisée cette année, mais c’est grâce aux effets persistants de mesures antérieures. Ce résultat ne sera pas nécessairement reconduit et nous devons continuer à faire preuve de vigilance. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir dans le rapport que nous vous présenterons le 17 juin.

M. Alain Fauré. Avez-vous une idée de ce que seront ses conclusions ?

M. le Premier président de la Cour des comptes. Il est trop tôt pour le dire, mais le Gouvernement doit être vigilant s’il veut respecter ses objectifs en la matière.

Le présent travail a déjà demandé beaucoup d’efforts aux magistrats ces dernières semaines. Nous avons avancé notre calendrier de huit jours, ce qui n’allait pas de soi, car les éléments d’information nous sont toujours donnés tardivement. Nous tenions toutefois à vous présenter ce rapport avant que vous n’abordiez l’examen des deux collectifs et le débat d’orientation budgétaire.

La Commission entend M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l’avis relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2013.

M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques. Cet avis relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2013 intervient dans le cadre du « mécanisme de correction », qui est prévu par le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance et qui vise à prévenir toute déviation durable par rapport à la trajectoire de retour à l’équilibre des finances publiques. Le suivi de ce mécanisme est assuré, dans chaque pays, par une institution budgétaire indépendante et c’est en France la mission du Haut Conseil des finances publiques.

L’article 23 de la loi organique du 17 décembre 2012, qui a créé le Haut Conseil, dispose que celui-ci effectue une comparaison des résultats constatés « avec les orientations pluriannuelles de solde structurel définies dans la loi de programmation des finances publiques ». Cette comparaison doit faire apparaître, le cas échéant, les écarts entre le solde structurel constaté et l’objectif présenté par le Gouvernement dans la loi de programmation, en particulier lorsque ces écarts sont considérés comme « importants », c’est-à-dire lorsqu’ils représentent au moins 0,5 point de PIB sur une année donnée, ou au moins 0,25 point de PIB en moyenne sur deux années consécutives. Notre avis porte uniquement sur le solde structurel, c’est-à-dire le solde des administrations publiques corrigé des effets liés à la conjoncture économique.

L’analyse de ces données présente cette année une particularité en raison du changement de base auquel l’INSEE a procédé à l’occasion de la publication des comptes nationaux, le 15 mai 2014. Dans les documents publiés, ces comptes sont présentés selon les règles du nouveau système européen de comptabilité nationale, appelé « SEC 2010 », mais, pour qu’ils soient comparables aux prévisions de la loi de programmation du 31 décembre 2012, les résultats fournis par le Gouvernement dans l’article liminaire du projet de loi de règlement ont été convertis dans l’ancien système de comptes, dit « SEC 1995 ». Les écarts résultant de ces changements restent cependant limités pour l’année 2013.

À l’issue de son examen de l’article liminaire, le Haut Conseil a constaté que le solde structurel des administrations publiques s’établissait en 2013 à - 3,1 points de PIB, alors que la loi de programmation anticipait un solde structurel de - 1,6 point de PIB. Il en résulte une différence de 1,5 point, qui s’explique par deux séries de facteurs.

Une part – 0,6 point – provient de l’écart entre le solde structurel de l’année 2012, tel qu’il est estimé dans le projet de loi de règlement, et celui qui était prévu par la loi de programmation. Dans son avis sur le projet de loi de règlement de 2012, le Haut Conseil avait déjà identifié un écart de 0,3 point. Cet écart s’est accru en raison de la révision du solde structurel pour 2012 de - 3,9 à - 4,2 % dans le présent projet de loi de règlement.

La différence restante, de 0,9 point, s’explique par un ajustement structurel – en l’occurrence une amélioration du solde structurel – plus faible que celui prévu par la loi de programmation, et ce à la fois en recettes et en dépenses.

Pour 0,6 point, cela tient à une progression des recettes moins dynamique que prévu. La progression spontanée des prélèvements obligatoires, c’est-à-dire leur évolution à législation constante, de 0,2 %, s’est révélée très inférieure à celle, de 1,1 %, du PIB en valeur, alors que la loi de programmation avait anticipé une croissance égale à celle du PIB. Ce constat vaut particulièrement pour les recettes fiscales de l’État, notamment les produits de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés, ce qui explique l’écart sur les recettes à hauteur de 0,5 point. À cela s’ajoute un rendement des mesures nouvelles légèrement inférieur, de l’ordre de 0,1 point de PIB, à celui prévu par la loi de programmation ; le nombre de mesures nouvelles a pourtant été particulièrement élevé en 2013, correspondant, au total, à 1,4 point de PIB.

Ensuite, l’effort structurel de limitation des dépenses publiques a été plus faible de 0,3 point de PIB que ce qui était prévu par la loi de programmation. Si l’évolution des dépenses a été moins dynamique en valeur – 2,2 % contre 2,6 % –, en raison notamment de la forte baisse des charges d’intérêts, elle a été plus forte en volume – 1,4 % contre 0,8 % –, du fait d’une inflation nettement plus faible que prévu. Cette dépense en volume a ainsi augmenté au même rythme que le PIB potentiel, avec pour conséquence un effort structurel de limitation des dépenses proche de zéro.

L’écart de 1,5 point de PIB entre le solde structurel constaté en 2013 et celui prévu par la loi de programmation peut être qualifié, aux termes de l’article 23 de la loi organique du 17 décembre 2012, d’« important ». Il déclenche donc le mécanisme de correction.

La loi organique prévoit que, lorsque le Haut Conseil identifie un tel écart, le Gouvernement doit en exposer les raisons lors de l’examen du projet de loi de règlement, présenter des mesures de correction à l’occasion du rapport préalable au débat d’orientation sur les finances publiques, et tenir compte de cet écart au plus tard dans le prochain projet de loi de finances ou de loi de financement de la sécurité sociale de l’année.

À la suite de ces constats, le Haut Conseil a formulé trois observations sur la trajectoire pluriannuelle des finances publiques telle qu’elle est envisagée par le Gouvernement à ce stade.

En premier lieu, la trajectoire présentée le mois dernier dans le programme de stabilité pour les années 2014 à 2017 diffère de celle qui figurait dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017. Elle prévoit notamment, à partir de 2014, un redressement du solde structurel plus prononcé, anticipant ainsi en partie la correction de l’écart constaté en 2013. Toutefois, cette nouvelle trajectoire ne répond pas aux dispositions de l’article 5 de la loi de programmation, qui précise que les mesures de correction doivent permettre de retourner à la trajectoire de solde structurel prévu dans ladite loi de programmation dans un délai de deux ans à compter de la fin de l’année au cours de laquelle les écarts ont été constatés. L’ajustement supplémentaire prévu par le programme de stabilité ne permettrait pas en effet de rattraper la totalité de l’écart constaté depuis l’adoption de la loi de programmation. Il conduirait, compte tenu du nouvel écart constaté en 2013, à un solde structurel en 2016 dégradé de 1 point de PIB par rapport à celui de la loi de programmation. Il reporte de ce fait à 2017 l’objectif d’équilibre structurel.

La période qui s’ouvre sera consacrée à la préparation des prochains avis du Haut Conseil, qui porteront sur le projet de loi de finances rectificative et sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014. Nous devrions être saisis de ces textes d’ici à la fin de la semaine, et nos avis seront connus le 11 juin. À cette occasion, nous aurons à apprécier les mesures de correction présentées par le Gouvernement.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Monsieur le président, vous avez évoqué le changement de base auquel l’INSEE a récemment procédé. Cette modification ayant entre autres effets d’augmenter le PIB, elle devrait mécaniquement entraîner une réduction du déficit structurel mesuré en part de PIB. Comment se fait-il que, pour 2012, ce dernier ait été révisé au contraire à la hausse ?

Vous indiquez également dans votre avis « qu’à ce jour le Gouvernement n’a pas fait connaître sa définition des mesures ponctuelles et temporaires ». Cela a-t-il été fait depuis ?

Mme Karine Berger. Je vous avoue, monsieur le président, que votre présentation et vos conclusions me laissent perplexe.

D’abord, sauf erreur, vous ne nous avez pas indiqué l’écart de solde conjoncturel entre ce que prévoyait la loi de programmation et ce qui figure dans le projet de loi de règlement de 2013.

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Il est pourtant clairement indiqué, en page 3 de notre avis, que « le solde conjoncturel de 2013 est identique à celui de la loi de programmation ».

Mme Karine Berger. Seriez-vous en train de nous expliquer qu’en dépit d’une croissance très inférieure à celle qui était inscrite dans le programme pluriannuel, vous n’avez pas modifié le solde conjoncturel ?

M. François Monier, rapporteur général du Haut Conseil des finances publiques. La croissance pour 2012 a été révisée à la hausse.

Mme Karine Berger. Vous affirmez qu’il existe un écart de 18 milliards, soit 0,9 point de PIB, entre le solde structurel constaté en 2013 et celui prévu par la loi de programmation de 2012. Je soutiens, moi, qu’une grande partie de cette somme est en réalité à imputer à l’évolution du solde conjoncturel. J’ai l’impression que vous n’avez pas tenu compte de ce dernier.

Pour dire les choses un peu brutalement, votre avis s’appuie sur des chiffres contestables. Soit vous avez révisé à la baisse l’hypothèse de croissance potentielle contenue dans la loi de programmation pluriannuelle, auquel cas il faudrait le dire explicitement ; soit vous considérez qu’il n’existe plus de solde conjoncturel, que tout correspond à du déficit structurel, et nous ne pouvons pas être d’accord avec cette analyse !

M. Pierre-Alain Muet, président. Il y a en effet un problème : tant que la croissance effective reste inférieure à la croissance potentielle, le déficit conjoncturel devrait se creuser.

M. Olivier Carré. Nous avions évoqué ces questions, il y a un an et demi, lorsque nous nous étions interrogés sur le rapport entre le creusement des déficits, la nature des décisions qui étaient prises et les phénomènes liés à l’environnement macroéconomique. Il a fallu retenir une méthodologie normée.

Ce qui m’avait surpris l’année dernière, c’est que l’on ait enregistré une augmentation aussi sensible du déficit conjoncturel alors que la situation s’était améliorée par rapport à 2012. Il n’est guère surprenant qu’au bout du compte, le solde conjoncturel soit de
- 1,2 % et qu’il se soit dégradé par rapport à une prévision sans doute elle-même trop pessimiste.

La gestion de la dette obéit elle aussi à des éléments à la fois conjoncturels – l’évolution des taux d’intérêt – et structurels – l’accumulation de la dette. Or, on se trouve aujourd’hui dans une situation anormale : le montant du stock continue d’augmenter, mais en raison des taux d’intérêt très faibles, la dépense potentielle est largement sous-estimée. S’agit-il de facteurs conjoncturels ou structurels ? Il serait important de le savoir, car le jour où l’on reviendra à des taux à long terme normaux, de l’ordre de 3 à 3,5 %, il faudra bien affecter l’augmentation de 20 à 30 milliards des dépenses publiques qui en résultera à l’un des deux soldes. On ne peut pas considérer des variations aussi importantes comme des aléas statistiques !

M. Charles de Courson. Pourriez-vous nous expliquer comment vous avez construit le tableau de la page 3 ? Tout le monde est d’accord sur la première ligne, qui donne le solde effectif, mais ce que je ne comprends pas, c’est ce que recouvre la notion de « solde structurel ». Pour calculer ce dernier, il faut nécessairement faire une hypothèse sur la croissance potentielle. Quel chiffre avez-vous utilisé pour cela : le taux retenu par la Commission européenne – 1,3 % – ou celui figurant dans les documents du Gouvernement, qui prévoit une remontée progressive du taux de croissance jusqu’à 2,25 % en 2015 ? Cela pourrait expliquer que le solde conjoncturel constaté en 2013 soit identique à celui prévu par la loi de programmation.

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Nous n’avons pas construit ce tableau : nous raisonnons à partir de données qui nous sont transmises par le Gouvernement et que nous ne modifions pas. Libre à vous de les contester, mais nous, nous nous contentons de les constater !

M. le rapporteur général du Haut Conseil des finances publiques. Dans la dernière colonne du tableau est indiqué l’écart entre les prévisions faites dans la loi de programmation de décembre 2012 et les données dont nous disposons aujourd’hui sur l’année 2013. Il se trouve que la composante conjoncturelle du déficit en 2013 est évaluée à - 1,2 %, soit exactement le chiffre qui figurait dans la loi de programmation. Comment est-ce possible, alors que la croissance s’avère plus faible que prévu ? Je rappelle que le solde conjoncturel dépend essentiellement de l’écart entre le PIB potentiel et le PIB effectif. Or, il se trouve que le PIB réel, en volume, se trouve aujourd’hui au niveau auquel il avait été estimé dans la loi de programmation. En effet, si, au cours de l’année 2013, le PIB a connu une croissance sensiblement plus faible que ce qui avait été prévu, en revanche les chiffres pour les années 2011 et 2012 ont été révisés à la hausse : la croissance est désormais estimée à 0,3 % pour 2012, alors qu’elle avait été considérée comme nulle dans la loi de programmation, et à 2,1 %, contre 1,7 %, pour 2011 – chiffre qui compte aussi, puisqu’il faut considérer la croissance cumulée sur trois ans.

Vous dites que le déficit conjoncturel aurait dû augmenter parce que la croissance réelle a été très inférieure à la croissance potentielle, mais c’est très exactement le cas, puisque le solde conjoncturel passe de - 0,6 % en 2012 à - 1,2 % en 2013. Le solde conjoncturel obéit d’ailleurs à une règle simple : il correspond à peu près à la moitié de ce que l’on appelle « l’écart de production », c’est-à-dire l’écart entre le PIB potentiel et le PIB effectif – cet écart étant aujourd’hui estimé à 2,4 points.

Dernière précision : le Haut Conseil ne dispose d’aucune latitude en matière de calcul, dans la mesure où la loi organique précise qu’il doit prendre pour référence la trajectoire de produit intérieur brut potentiel indiquée dans la loi de programmation – soit, pour 2013, une croissance de 1,4 %. Le Haut Conseil n’a jamais donné d’avis sur les hypothèses incluses dans cette loi de programmation, qui est antérieure à sa création ; nous considérons donc ce chiffre comme une donnée.

Quant aux données pour 2013, elles proviennent de l’INSEE et le calcul du solde structurel a été effectué par la direction du Trésor. Le rôle du Haut Conseil se borne à vérifier que l’on a bien respecté la trajectoire de croissance potentielle et la méthode qui figurait dans la loi de programmation.

M. Pierre-Alain Muet, président. Peut-être les hypothèses de PIB pour 2013 n’ont-elles pas changé depuis la loi de programmation de décembre 2012, mais je m’étonne que l’on révise à la hausse le PIB des années antérieures. Il me semblait que la tendance était plutôt à considérer que la récession avait été plus forte que prévu.

Mme Karine Berger. Je suis navrée, messieurs, mais je maintiens mes critiques. La révision du PIB par l’INSEE, qui est à l’origine de l’évolution des chiffres, est de nature structurelle : c’est tout le PIB de ces vingt-cinq dernières années qui a été révisé à la hausse.

M. le rapporteur général du Haut Conseil des finances publiques. Pas dans ce document !

Mme Karine Berger. Bien sûr que si, monsieur !

Savez-vous pourquoi on a procédé à cette révision ? Pour tenir compte de certaines activités, comme la recherche, qui participent à la valeur ajoutée mais n’étaient pas prises en considération auparavant. Il s’agit d’une révision en niveau du PIB, et non pas d’une révision de son évolution conjoncturelle : il est impossible que cela ait entraîné une révision à la baisse de l’output gap – l’écart de production !

La valeur de - 1,2 % du solde conjoncturel indiquée dans la colonne correspondant au projet de loi de règlement de 2013 vous a-t-elle été transmise par le Gouvernement, ou est-ce une évaluation que vous avez faite ?

M. le rapporteur général du Haut Conseil des finances publiques. Comme l’a précisé le président du Haut Conseil au début de son intervention, les données qui nous ont été transmises pour cet avis ont été présentées dans l’ancien système de comptes, le « SEC 1995 ». Il n’a pas été tenu compte du changement de concept auquel l’INSEE a procédé, en comptabilisant notamment les dépenses de recherche et développement. On a fait en sorte que les données soient homogènes et cohérentes avec celles qui avaient été présentées dans la loi de programmation de 2012.

M. Jean-Pierre Gorges. Je suis d’accord avec Karine Berger. Peut-être vais-je voler au secours du parti socialiste, mais il est effectivement impossible qu’en 2013, l’écart entre loi de programmation et projet de loi de règlement vienne de la détérioration du solde structurel, puisque celui-ci s’améliore. Nous nous heurtons à un problème de présentation : ce tableau ne correspond pas à la réalité économique. Quand bien même il serait cohérent par rapport à ce qui s’est produit auparavant, le fait que la croissance ait été inférieure à celle attendue entraîne une détérioration des soldes conjoncturels.

Mme la rapporteure générale. Monsieur le président du Haut Conseil, vous nous avez indiqué que ces chiffres provenaient du ministère des Finances et que vous ne les corrigiez pas. Or, sauf erreur de ma part, le solde structurel de 2012 a été évalué l’an dernier à - 3,9 %, mais votre tableau le donne aujourd’hui de - 4,2 %. Est-ce vous qui avez procédé à cette correction ou avez-vous repris un chiffre fourni par le ministère des Finances ?

D’autre part, nous avons établi notre prévision de croissance à 0,8 % dans la loi de programmation en vigueur pour ensuite la ramener à 0,3 % en loi de finances initiale. Sur la base de quel taux de croissance avez-vous effectué votre calcul ?

Enfin, s’agissant du calcul du PIB potentiel, je rejoins Karine Berger : avez-vous pris en compte les révisions de l’INSEE ? Si oui, quel a été leur impact sur votre calcul ?

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Une fois de plus, nous ne corrigeons aucun chiffre car ce n’est pas là notre mission. Nous raisonnons à partir de données fournies par le Gouvernement et par l’INSEE. Certains chiffres ayant été corrigés par ce dernier sur la base « SEC 1995 », le Gouvernement en a évidemment tenu compte lorsqu’il nous les a transmis. En revanche, il n’a pas tenu compte de la nouvelle base « SEC 2010 », ayant souhaité que nous puissions comparer des chiffres comparables. François Monier vous répondra plus précisément mais, pour sortir de ce qui ressemble à un dialogue de sourds, il vous faudra sans doute interroger le Gouvernement sur les chiffres qu’il nous fournit.

M le rapporteur général du Haut Conseil des finances publiques. On distingue deux types de révisions : les unes, effectuées chaque année, sont dues à ce que l’on dispose d’une information plus complète. Les autres, plus exceptionnelles, sont opérées lorsqu’intervient un changement de base. Dans les chiffres que nous utilisons sont intégrés tous les éléments d’information nouvellement disponibles – ainsi des données relatives aux collectivités locales, qui parviennent avec retard.

Quant aux données de 2012, elles sont effectivement légèrement modifiées puisque le solde structurel est passé de - 3,9 % il y a un an à - 4,2 % aujourd’hui. Cette révision s’explique par de petites modifications portant, d’une part, sur le déficit effectif qui a augmenté d’un dixième entre les comptes d’il y a un an et ceux dont nous disposons aujourd’hui, et d’autre part, sur le taux de croissance qui a été plus important en 2012 que ce que l’on pensait il y a un an.

Mme la rapporteure générale. Je ne comprends pas : vous venez de nous dire que vous avez pris en compte la révision du taux de croissance de 2012. Dans ce cas, pourquoi le déficit structurel a-t-il augmenté pour passer de 3,9 % à 4,2 % ?

M. le rapporteur général du Haut Conseil des finances publiques. C’est effectivement paradoxal : une amélioration de la croissance passée dégrade le solde structurel a posteriori, car cela améliore le solde conjoncturel qui résulte de la comparaison entre le PIB d’une année et le PIB potentiel.

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Monsieur le président, je peux comprendre que l’on nous pose de telles questions mais, encore une fois, nous travaillons à partir de chiffres qui nous sont fournis par le Gouvernement et par l’INSEE. Il pourrait d’ailleurs valoir la peine que vous invitiez le directeur général de cet institut afin de dissiper tout malentendu. Quant à nous, nous n’avons pas le pouvoir de corriger ces chiffres.

Nous aurons l’occasion d’approfondir ces questions dans le cadre du séminaire qui sera organisé prochainement sur la croissance potentielle, sujet délicat sur lequel nous ne nous sommes encore jamais exprimés. Force est de reconnaître que les notions de solde structurel et d’effort structurel posent des problèmes de définition et peuvent donner lieu à des malentendus. Mais encore une fois, nous raisonnons à partir de chiffres fournis par l’INSEE qui ne sont d’ailleurs pas retraités par le Gouvernement.

M. Pierre-Alain Muet, président. Voilà qui montre bien que nous avons bien besoin de tenir un véritable débat sur le concept de croissance potentielle et sur la mesure de l’écart de production – l’output gap –, tant ils revêtent aujourd’hui d’importance dans les décisions de politique économique.

M. Charles de Courson. Monsieur le président du Haut Conseil, ne pourriez-vous au moins procéder à une analyse critique des informations qui vous sont transmises par le Gouvernement et par l’INSEE et leur préciser que, si vous êtes chargé de commenter leurs chiffres, ceux-ci posent un problème méthodologique ? Je le dis depuis le départ : la faute originelle réside dans la prise en compte d’une croissance potentielle complètement surestimée, avec toutes les conséquences que cela emporte. On lit ainsi dans votre tableau de la page 3 que l’écart entre le solde effectif et le solde structurel était de 0,7 point en 2012 et de 1,2 point en 2013, et je crois que les prévisions pour 2014 sont de 1,7 point. Bref, il y a une dérive qui tient tout entière au fait qu’on a évalué la croissance potentielle à 2,5 % au moment où la plupart des économistes la situaient entre 1 % et 1,3 %. Et les questions soulevées aujourd’hui à propos de l’année 2013 se poseront encore plus fortement pour 2014 et 2015 ; l’écart sera tel qu’un ajustement finira par être nécessaire un jour. Ne pouvez-vous adresser des suggestions au Gouvernement sur cette question de l’hypothèse de croissance potentielle ?

M. Olivier Carré. Votre méthode de calcul est-elle soumise à une norme européenne, comme je le crois ? Voilà qui relativiserait certains des propos tenus aujourd’hui. D’autre part, sachant que le solde à partir duquel nous raisonnons est établi sur la base de mécanismes propres à nos comptes publics, a-t-on engagé une réflexion sur les normes COFOG de l’Organisation de coopération et de développement économiques afin de déterminer quelles dépenses publiques sont par nature structurelles et quelles autres sont conjoncturelles, sachant que, si la réponse peut paraître évidente pour certaines, il n’en est pas de même de toutes ? Une telle réflexion permettrait d’éclairer la nature des décisions à prendre par la suite. En d’autres termes, l’idée serait de déterminer, avant de créer un dispositif quelconque, s’il n’aura d’impact que sur l’évolution conjoncturelle de la dépense, ou encore de permettre à la majorité en place de décider ou non qu’il constituera une dépense structurelle. C’est là un point qu’il me paraît important d’analyser, au-delà de la question des soldes.

Mme la rapporteure générale. On constate à la lecture du n° 1499 d’INSEE Première paru ce mois-ci que la réalisation de croissance du PIB pour l’année 2012 correspond exactement à la prévision de croissance de la loi du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques, soit 0,3 % du PIB. Vos arguments justifiant la révision du solde structurel de cette année reposent donc sur les variations d’une donnée qui est pourtant restée stable. Cela parait étonnant.

Vous indiquez que l’écart « important » entre le solde structurel des administrations publiques constatées – à supposer qu’il soit bien celui que vous avez retenu dans votre avis – et celui qui était prévu dans la loi de programmation déclenche le mécanisme de correction. Cela devrait-il conduire selon vous à des réductions de dépenses supplémentaires ?

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. En ce qui concerne les mesures ponctuelles et temporaires, les divers gouvernements européens et la Commission européenne les définissent différemment, ce qui est loin d’être sans conséquences, et nous avons donc sollicité le Gouvernement pour qu’il fixe une doctrine en la matière. Nous n’avons pas encore reçu de réponse à ce jour.

Le Haut Conseil fera des suggestions concernant la croissance potentielle, aujourd’hui estimée à 1,4 %, lors de la présentation de la prochaine loi de programmation, annoncée pour septembre prochain – elle sera vraisemblablement jointe à la loi de finances initiale pour 2015. Nous travaillerons sur cette question particulièrement sensible durant l’été avec plusieurs économistes français et étrangers. Il n’existe pas de norme européenne en la matière, mais plutôt une méthode, utilisée par la Commission européenne mais non imposée aux États. Nous sommes conscients du problème et des malentendus qui peuvent en découler.

Madame la rapporteure générale, le Haut Conseil a seulement pour mission de constater des écarts qui déclenchent un mécanisme de correction. Il revient ensuite au Gouvernement et au Parlement d’apprécier quelles mesures doivent être mises en œuvre. Le Haut Conseil n’a pas à faire de suggestions sur la nécessité ou non de réduire les dépenses. Pas plus que la Cour des comptes, il n’a jamais proposé d’amplifier l’effort consenti par le pays sachant que de tels choix doivent aussi être appréciés au regard des effets négatifs que peuvent avoir certaines mesures de réduction de la dépense publique. Nous nous sommes contentés de constater qu’il semblait préférable d’agir sur les dépenses plutôt que sur les recettes, compte tenu des possibilités que nous avons constatées d’améliorer l’efficacité de l’action publique, et ce sous réserve que l’on privilégie les mesures structurelles plutôt que les mesures de type « rabot ».

M. le rapporteur général du Haut Conseil des finances publiques. Les données citées par Mme la rapporteure générale concernant la croissance de 2012 sont parfaitement exactes, mais elles n’invalident pas mon raisonnement. Les révisions des taux de croissance que j’évoquais portent sur des années antérieures : alors que l’on trouvait dans la précédente loi de programmation des prévisions de croissance de 1,4 % pour 2010 et de 1,7 % pour 2011, les estimations s’élèvent aujourd’hui, pour 2010, à 1,7 % et, pour 2011, à 2,1 %. Pour 2012, il y a, comme on l’a dit, concordance : 0,3 % dans les deux cas, et en 2013, la croissance a été plus faible que prévu dans la loi de programmation, soit 0,3 % au lieu de 0,8 %. Toutefois, le cumul amène à constater que le niveau en volume pour 2013 est identique à celui qui figurait dans la loi de programmation.

M. Jean-Pierre Gorges. En 2013, la croissance s’est donc élevée à 0,3 % quand la prévision était de 0,8 %. Or, pour cette même année, selon le tableau présenté page 3 de l’avis, l’écart de solde conjoncturel entre loi de programmation et projet de loi de règlement serait nul. La variation de la croissance n’aurait donc eu aucun effet sur l’évolution de ce solde, ce qui paraît d’autant plus paradoxal que vous avez vous-même affirmé qu’il était lié à la croissance. Par ailleurs, si le solde structurel est bien calculé comme la différence entre croissance et solde conjoncturel, cela impliquerait que les soldes structurels de notre pays se dégradent de façon extrêmement inquiétante. M. Christian Eckert nous a pourtant affirmé depuis des mois que nous marchions sur un chemin vertueux. Vos chiffres tendent à prouver que ce n’est pas le cas. Je crois néanmoins que M. Eckert n’avait pas tort, car il est indéniable que nous avons consenti de nombreux efforts, et je crains dès lors que votre tableau ne corresponde pas à la réalité. Comment passez-vous des chiffres du Gouvernement à ce tableau de la page 3 ? Quels algorithmes de correction utilisez-vous ? Si les soldes structurels se dégradent comme vous l’indiquez, la situation est grave !

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Les chiffres que nous vous présentons sont ceux du Gouvernement, fournis par l’INSEE et éventuellement retraités par le Trésor, mais, quant à nous, nous ne retraitons aucune donnée. Je vous invite à recevoir les représentants du ministère des Finances et de l’INSEE pour qu’ils vous fournissent des explications.

M. Pierre-Alain Muet, président. Je crois que nous avons effectivement besoin d’organiser un débat sur les notions de croissance potentielle, d’output gap ou de solde structurel.

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Vos questions sont parfaitement pertinentes mais elles doivent être adressées au Gouvernement. Pour notre part, nous avons entendu des instituts de conjoncture et un certain nombre d’économistes ; personne n’a remis en question la validité des chiffres qui nous étaient présentés.

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 28 mai 2014 à 9 h 30

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. François Baroin, M. Laurent Baumel, M. Jean-Marie Beffara, Mme Karine Berger, M. Xavier Bertrand, M. Étienne Blanc, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Yves Censi, M. Jérôme Chartier, M. Pascal Cherki, M. Alain Claeys, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Carole Delga, M. Henri Emmanuelli, M. Olivier Faure, M. Alain Fauré, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Yann Galut, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, Mme Arlette Grosskost, M. Yves Jégo, M. Régis Juanico, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jérôme Lambert, M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Dominique Lefebvre, M. Marc Le Fur, M. Jean-François Mancel, M. Thierry Mandon, M. Hervé Mariton, M. Pierre Moscovici, M. Pierre-Alain Muet, M. Patrick Ollier, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Gérard Terrier, M. Thomas Thévenoud, M. Michel Vergnier, M. Laurent Wauquiez, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Gilles Carrez, M. Gaby Charroux, M. Marc Francina, Mme Valérie Pécresse, M. Pascal Terrasse

Assistaient également à la réunion. - M. Alain Chrétien, M. Christophe Léonard, M. Marcel Rogemont

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