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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mardi 17 juin 2014

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 85

Présidence de M. Gilles Carrez,
Président
puis de
M. Pierre-Alain Muet,
Vice-président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques

–  Présences en réunion

La Commission entend, en audition ouverte à la presse, M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.

M. le président Gilles Carrez. La Cour des comptes a établi son rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques, comme chaque année, en application du 3° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances et en vue de notre prochain débat en séance publique sur les orientations des finances publiques, qui devrait se tenir durant la deuxième semaine de juillet.

Comme tous les rapports de la Cour, celui-ci est attendu avec impatience pour la pertinence de ses analyses. Ainsi, l’année dernière, vous aviez notamment attiré notre attention sur les risques de révision à la baisse des recettes tenant à l’évolution défavorable de l’élasticité par rapport au PIB.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Le rapport que je présente analyse de façon prospective et rétrospective la situation des finances publiques. Cinq messages s’en dégagent :

– tout d’abord, un effort d’ampleur a été engagé mais cet effort n’a conduit en 2013 qu’à une réduction limitée des déficits, très en deçà des objectifs fixés ;

– la situation actuelle des finances publiques demeure préoccupante, les déficits sont toujours importants, la dette continue d’augmenter, les comptes publics restent plus dégradés que ceux de la moyenne européenne ;

– la prévision de déficit pour 2014, déjà révisée à la hausse en mai, risque d’être dépassée ;

– pour respecter la nouvelle trajectoire des finances publiques tout en baissant les prélèvements obligatoires, un niveau élevé d’économies sur les dépenses devra être réalisé, tout particulièrement dès 2015 ;

– un tel effort ambitieux n’a rien d’inaccessible. D’autres pays comparables l’ont fait et des marges de manœuvre existent pour réduire le poids des dépenses publiques.

La Cour, dans son premier message, tient à souligner qu’un effort d’ampleur a été engagé mais n’a conduit en 2013 qu’à une réduction encore limitée des déficits, très en deçà des objectifs fixés. Les mesures prises depuis 2011 pour redresser les finances publiques ont produit des premiers résultats tangibles : de 7,5 % du PIB en 2009, le déficit s’est en effet réduit pour atteindre 4,3 % en 2013. Le déficit structurel, calculé indépendamment de la conjoncture, s’est lui aussi réduit, passant de 4,2 % à 3,1 % du PIB. Ces résultats sont réels mais décevants au regard de l’ampleur des mesures prises, qui ont représenté 1,5 % du PIB d’effort structurel. Certes, la croissance des dépenses publiques a été ralentie et les normes d’évolution des dépenses concernant le budget de l’État et l’assurance maladie, fixées à des niveaux plus exigeants qu’auparavant, ont été respectées. Le faible niveau de l’inflation et la baisse de la charge d’intérêts de la dette ont facilité une évolution modérée des dépenses.

La quasi-totalité de la réduction du déficit a résulté d’un effort en recettes, à hauteur de 1,4 % du PIB. Toutefois, les moins-values constatées sur l’impôt sur le revenu et sur l’impôt sur les sociétés soulèvent une nouvelle fois la question de la qualité, voire de la sincérité des prévisions de recettes fiscales.

À la différence de beaucoup d’autres pays, l’effort réalisé depuis 2011 a très majoritairement reposé sur une augmentation continue et forte des prélèvements obligatoires : 18 milliards d’euros en 2011, 22 milliards en 2012 et 29 milliards en 2013. L’affaiblissement sensible et mal expliqué, en 2013, du volume des impôts collectés illustre les limites de cette politique.

Le secteur public local n’a pas apporté la contribution attendue au redressement des comptes publics. Le déficit global des collectivités territoriales est passé de 3,7 milliards d’euros en 2012 à 9,2 milliards d’euros en 2013. La progression des dépenses de fonctionnement, soit + 2,8 %, reste soutenue.

Le déficit de la sécurité sociale ne se réduit quasiment plus depuis 2011 en raison du faible dynamisme des recettes. Alors que les comptes des branches vieillesse et accidents du travail du régime général se redressent, le déficit des branches maladie et famille s’est creusé. Ainsi la réduction du déficit en 2013 a-t-elle été sensiblement plus lente que prévu.

La Cour, dans son deuxième message, rappelle que la situation actuelle des finances publiques demeure préoccupante. La dette a progressé en 2013 de 84 milliards d’euros, soit 1 300 euros supplémentaires par habitant. Le fait que le niveau de la dette publique ne soit toujours pas stabilisé rend la situation préoccupante : elle atteignait 1 925 milliards d’euros fin 2013, soit 94,1 % du PIB. Près d’un mois de dépenses publiques est financé par l’emprunt. La faiblesse des taux d’intérêt contribue à rendre insensible à ce poison lent qu’est la dette puisque, alors même qu’elle progresse, son coût immédiat se réduit. La charge des intérêts est passée de 52,2 milliards à 46,7 milliards d’euros. Mais le retour de la croissance s’accompagnera tôt ou tard d’une remontée des taux d’intérêt.

Rompre la spirale de l’endettement est indispensable pour redonner au pays les marges de manœuvre nécessaires, stimuler la croissance et améliorer sa compétitivité. S’ajoute le constat que la dette, dans sa quasi-totalité, a servi à financer des dépenses courantes. Cela pose un problème d’équité entre les générations car ces dépenses n’auront pas servi à préparer l’avenir.

Ces raisons sont à elles seules suffisantes. S’y ajoutent d’autres arguments, notamment la nécessité de respecter les engagements pris par la France vis-à-vis de ses partenaires européens, le recul de sa situation par rapport à ses voisins européens et la nécessité de mieux asseoir la crédibilité de sa signature.

En effet, la France ne se situe plus sur la trajectoire qu’elle s’est fixée elle-même par la loi de programmation des finances publiques, adoptée il y a seulement un an et demi, fin 2012. Cette trajectoire constitue toujours la référence au regard du droit national et des obligations résultant du traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Elle prévoyait un déficit public réduit à 3 % en 2013. L’écart est donc de 1,3 point en termes de déficit effectif et de 1,5 point en termes de déficit structurel, c’est à dire mesuré hors effets de la conjoncture économique. Une telle situation a conduit le Haut Conseil des finances publiques à constater un écart important rendant nécessaire un mécanisme de correction, ainsi que le prévoit la loi organique du 17 décembre 2012 relative à programmation et à la gouvernance des finances publiques.

La situation des finances publiques, bien qu’en voie d’amélioration, demeure plus dégradée que dans les autres pays européens. Le déficit public, de 4,3 % du PIB en 2013, est supérieur à la moyenne de l’Union européenne – 3,3 % –, et à celle de la zone euro – 3 %. Avec un niveau de croissance légèrement supérieur à la moyenne de la zone euro, la France a réduit son déficit dans des proportions semblables à ses partenaires. La dette publique y a augmenté un peu plus vite que la moyenne. Pour la première fois, le niveau de dette français se situe au-dessus des deux moyennes de l’Union européenne et de la zone euro. Bien que ralenti, le rythme de croissance des dépenses publiques en France a été encore sensiblement plus rapide que chez ses voisins en 2013.

La lenteur du rééquilibrage ne doit pas faire douter de son bien-fondé ni de sa nécessité. On n’efface pas les conséquences de quarante années de gestion déséquilibrée des finances publiques en quatre années et au lendemain de la crise économique la plus grave qu’ait connue notre pays depuis l’entre-deux-guerres. Un effort de cette nature doit donc être poursuivi dans la durée.

Le troisième message concerne les risques entourant la réalisation des objectifs pour l’année en cours. Fixé à 3,6 %, l’objectif de déficit public a été révisé à la hausse à 3,8 % à l’occasion du programme de stabilité de mai.

La Cour a identifié des risques importants de moindres recettes. Des moins-values possibles peuvent être associées à une surestimation de l’élasticité des recettes publiques, c’est-à-dire de la manière dont elles réagissent à l’évolution du PIB. Déjà, l’importante surestimation de cette hypothèse en 2013, qui constitue un défaut récurrent dans la construction des budgets, a entraîné 8 milliards d’euros de moindres recettes pour l’ensemble des administrations publiques. Pour 2014, la Cour estime à 2 à 3 milliards d’euros au total les risques liés à ces hypothèses d’élasticité. Il existe aussi un risque tenant à une fragilisation de la prévision de croissance de 1 % sur laquelle reposent les prévisions de recettes. Le Haut Conseil des finances publiques, dans son avis du 5 juin dernier, a estimé que cette prévision apparaissait désormais élevée.

S’agissant des dépenses en 2014, la Cour a examiné en détail la situation budgétaire de l’État à mi-année. Elle a constaté que les risques de dépassement des crédits étaient un peu plus importants que les années précédentes. Ils concernent par exemple les ministères de la Défense et de l’Agriculture. Mais la Cour estime que les objectifs de dépenses pourraient être atteints, notamment grâce à l’annulation de crédits mis en réserve. Les objectifs de dépenses des régimes de sécurité sociale devraient également être tenus. Les prévisions concernant l’assurance chômage risquent en revanche d’être dépassées. Surtout, les dépenses des collectivités territoriales, même révisées à la hausse, paraissent encore sous-estimées.

Au total, le déficit des administrations publiques pourrait dépasser l’objectif de 3,8 % et être proche de 4 %, voire légèrement supérieur si la prévision de croissance du Gouvernement ne se réalisait pas. Dans ce cas, le respect de la trajectoire des finances publiques pour les années 2015 à 2017 s’en trouverait immédiatement fragilisé.

Le quatrième message concerne les perspectives des finances publiques pour les années à venir. Une nouvelle trajectoire, qui devrait être formalisée par le vote d’une nouvelle loi de programmation des finances publiques, a été fixée. Elle intègre les baisses de prélèvements obligatoires annoncées en faveur de la compétitivité des entreprises et du pouvoir d’achat des ménages. La Cour a estimé à 14 milliards d’euros le coût net de ces mesures. En effet, la montée en charge du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ainsi que les mesures du pacte de responsabilité et de solidarité représentent un allégement de 35 milliards d’euros. Mais le programme de stabilité prévoit parallèlement une augmentation d’autres prélèvements, pour 21 milliards d’euros. Ainsi, les prélèvements obligatoires devraient baisser de 14 milliards d’euros d’ici 2017, l’essentiel de cette baisse intervenant en 2015 et en 2016.

Pour tenir les objectifs de réduction des déficits, tout en finançant ces baisses d’impôts, l’évolution des dépenses publiques devra être davantage ralentie, de l’ordre de 0,1 % en plus de l’inflation, alors que ce taux était chaque année en moyenne de 2,3 % entre 2000 et 2008 et de 1,4 % entre 2009 et 2012.

Il est d’usage d’évoquer des niveaux d’« économies » à réaliser, que le Gouvernement chiffre à 50 milliards d’euros sur trois ans. Ce chiffrage repose sur une comparaison avec une tendance d’accroissement des dépenses publiques à politique constante. La fixation de cette tendance relève de conventions diverses et fragiles, notamment la prolongation de tendances historiques sur une période de référence. Si le Gouvernement a pu maintenir le chiffre de 50 milliards d’euros d’économies avant et après prise en compte des nouvelles baisses de prélèvements obligatoires décidées, cela signifie qu’il a révisé à la baisse, implicitement, son hypothèse de croissance spontanée des dépenses, qui passe de 1,6 % à 1,5 % en plus de l’inflation. Sans cette révision conventionnelle, le montant d’économies aurait représenté 58 milliards d’euros. Si de telles révisions ne sont pas illégitimes dans leur principe, pour tenir compte du ralentissement de la tendance que l’on peut constater depuis le début des années 2000, les conventions et méthodes utilisées devraient être explicitées et rendues publiques.

La Cour a examiné le contenu du programme de 50 milliards d’euros d’économies annoncées. Elle relève qu’une partie de celles-ci, représentant une vingtaine de milliards d’euros, correspond à des orientations déjà décidées, par exemple la poursuite du gel des traitements de base des fonctionnaires, ou constitue la prolongation d’efforts déjà réalisés, s’agissant par exemple des dépenses de santé. La réalisation des 30 milliards d’euros restants est encore incertaine car peu documentée.

Les économies identifiées dans le cadre de la Modernisation de l’action publique, de l’ordre de 5 à 7 milliards d’euros, ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Surtout, près de 15 milliards d’euros d’économies prévues reposent sur des administrations dont l’État ne maîtrise pas les dépenses : les régimes complémentaires de retraite pour 2 milliards d’euros, l’assurance chômage pour 1,5 milliard d’euros et les collectivités territoriales pour 11 milliards d’euros. Le Gouvernement anticipe un ralentissement marqué des dépenses de ces dernières sous l’effet du gel des dotations de l’État et d’un moindre effort d’investissement. Plus précisément, il anticipe qu’un euro de dotations en moins entraînera aussitôt un euro de moindres dépenses. Or, rien n’empêche certaines collectivités territoriales de relever la fiscalité locale ou de recourir à l’endettement pour accroître le niveau de leurs dépenses. L’expérience de 2013 ne peut, à cet égard, qu’attirer l’attention. Alors que les communes subissaient le gel des dotations de l’État, leurs dépenses de fonctionnement se sont accrues et leur déficit a progressé. En particulier, les dépenses de personnel ont progressé de 2,6 % dans les communes et de 7,2 % dans les intercommunalités.

Le choix d’un partage équilibré des efforts entre toutes les administrations publiques répond à une préconisation de la Cour. Mais pour assurer la réalisation de la trajectoire, un tel choix devrait se traduire simultanément par un renforcement des outils de programmation et de suivi des finances publiques. Les normes de dépenses concernant l’État et ses opérateurs pourraient être élargies. Les lois de finances et de financement votées par le Parlement ne concernent actuellement que l’État et la sécurité sociale. Leur champ pourrait être étendu à l’ensemble des régimes de protection sociale obligatoire, incluant les régimes d’assurance chômage et de retraite complémentaire. Des lois de finances locales pourraient aussi être instaurées. Elles fixeraient des objectifs d’évolution des dépenses et des recettes et prévoiraient les mesures permettant de les atteindre. L’effort demandé aux collectivités, dans le respect de leur libre administration, encadrée par les lois, serait précisé, avec des mécanismes de suivi en cours d’exécution. De son côté, l’État devrait clarifier ses engagements s’agissant de celles de ses décisions qui peuvent avoir un impact important sur les finances locales, notamment celles relevant de la politique salariale des fonctionnaires ou de l’édiction de normes diverses.

Les scénarios macro-économiques retenus restent fragiles, s’agissant particulièrement de l’évolution de la masse salariale et de la reprise de l’emploi. Le Haut Conseil des finances publiques considère à cet égard que l’hypothèse de croissance retenue pour 2015 – 1,7 % – n’est pas impossible à atteindre, mais qu’elle repose de manière optimiste sur la conjonction d’hypothèses favorables.

L’objectif de maîtrise des dépenses publiques apparaît ambitieux mais réalisable ; d’autres pays l’ont fait : les Pays-Bas ont réduit entre 1995 et 1999 de 10,3 % le niveau de leurs dépenses publiques et l’Allemagne est parvenue à un retour à l’équilibre structurel de ses comptes en agissant principalement sur ses dépenses. La part des dépenses publiques dans le PIB s’est réduite de 2,9 points de PIB entre 2001 et 2013 alors qu’elle a augmenté de 5,4 points en France, cette différence tenant à l’évolution des prestations sociales et des dépenses de fonctionnement. Un niveau de dépenses publiques élevé peut certes être considéré comme justifié et si ces dépenses sont financées dans la durée et que leur efficacité est garantie. Or, des marges de progrès importantes existent pour améliorer la performance des politiques publiques et des organismes publics, sans que soient remis en cause la qualité du service rendu et le modèle social français. Les résultats atteints par nombre de politiques publiques ne sont pas à la hauteur des moyens investis. Faire mieux est possible en dépensant moins, d’autant que des marges de manœuvre manquent à notre pays pour redresser sa compétitivité.

La Cour des comptes a retenu pour cette année trois champs de dépenses concernées par les économies à venir. Il s’agit d’objectifs réalisables qui supposent des arbitrages clairs et des décisions explicites. La maîtrise de la masse salariale publique est, en premier lieu, incontournable, puisqu’elle représente 23,2 % des dépenses publiques. Le programme de stabilité a prévu à cet égard que cette évolution définie par les pouvoirs publics devait désormais s’opérer à un rythme inférieur à l’inflation. Pour l’État, il importe de préserver des marges de manœuvre salariales et de retenir comme « leviers » une baisse des effectifs des administrations publiques porteuse d’économies durables ainsi qu’une hausse du temps de travail ; il serait particulièrement utile d’établir sur ce point un état des lieux de la durée effective de travail dans les trois fonctions publiques.

L’État a déjà consenti beaucoup plus d’efforts que les autres administrations publiques pour maîtriser sa masse salariale alors que les effectifs se sont accrus de 1,3 % par an en moyenne dans les collectivités territoriales. Les administrations autres que celles de l’État – collectivités territoriales, hôpitaux – doivent, dans l’avenir, mieux contribuer à la maîtrise de la masse salariale publique, en réduisant fortement leurs recrutements et en se réorganisant.

Le rapport de la Cour des comptes aborde également la situation des collectivités territoriales. Il indique qu’une grande partie des économies attendues porte sur les dépenses de fonctionnement des communes sur les dépenses d’intervention des régions et sur une plus grande sélectivité des investissements locaux.

L’assurance maladie est la principale source du déficit de la sécurité sociale. La Cour insiste sur la nécessité d’une mobilisation résolue des gisements importants d’économies existants, sans réduire la qualité de notre système de santé. Les dépenses de santé pourraient ainsi être rendues plus efficaces grâce à un certain nombre de mesures : le développement de la chirurgie ambulatoire, domaine pour lequel notre pays est très en retard par rapport à nos voisins, permettrait de réaliser des économies à hauteur de 5 milliards d’euros ; il faut également mentionner une politique suivie du médicament, fondée sur une baisse des prix et le développement des génériques, et des mesures spécifiques en matière de transport des patients, d’analyses médicales et d’indemnités journalières.

En conclusion, la Cour ouvre des pistes année après année, rapport après rapport. Elle rappelle régulièrement que notre situation en matière de finances publiques présente un caractère préoccupant mais aussi que des remèdes existent.

M. le président Gilles Carrez. Votre présentation paraît tout à fait lucide, mais elle est également très inquiétante. Vous indiquez explicitement que nous ne disposons plus de beaucoup de marges de manœuvre en matière de recettes, compte tenu de l’affaiblissement de leur rendement – phénomène sur lequel nous devons continuer à travailler. De ce fait, le volet « dépenses » devient crucial. Or, selon vous, de vrais risques de dépassement pèsent cette année sur les dépenses, contrairement à l’année dernière. Vous observez que les économies de constatation que nous avons pu réaliser sur les frais financiers nous ont beaucoup servi, depuis plusieurs années – en 2013, par exemple, elles nous ont permis de respecter la norme de dépenses. De même, le projet de loi de finances rectificative constate une économie de 1,8 milliard d’euros à ce titre, mais cette situation ne devrait pas durer et nous ne pourrons donc plus compter sur cette possibilité.

S’agissant des autres types de dépenses, je rappelle que les économies s’expliquent par les gels et surgels. Celles que comprend le projet de loi de finances rectificative, s’élevant à 1,6 milliard d’euros, portent sur des crédits gelés mais aussi sur des crédits « pilotables », avant tout des crédits d’investissement. La masse salariale, soit plus de 80 milliards d’euros pour le budget de l’État, ne figure pas dans cet ensemble : est-il concevable de la maîtriser celle-ci à effectifs constants ? En revanche, relèvent des crédits « pilotables » les dépenses d’intervention sociale, qui s’analysent le plus souvent comme le résultat de la multiplication d’un montant unitaire par un nombre de personnes éligibles. Or, le nombre des personnes éligibles n’est pas maîtrisé et les montants unitaires ont tendance à être réévalués, ce qui crée une dynamique de dépense très puissante sur des crédits qui représentent près de 40 milliards d’euros dans le budget de l’État. Quelle méthode permettrait de mieux les maîtriser ?

Je voudrais évoquer ensuite une autre question de méthode. Il nous avait été annoncé en janvier un programme d’économies de 50 milliards d’euros pour 2015, 2016 et 2017. Le plan présenté par le Premier ministre comportait ensuite 30 milliards d’euros de baisses d’impôts et programmait dans le même temps des hausses d’impôts. Le rapport de la Cour des comptes fait état d’un solde net de 14 milliards d’euros de diminution de recettes. Or, les 50 milliards d’euros sont restés 50 milliards d’euros. D’où la question de la Cour : cela ne traduit-il pas une révision implicite, presque clandestine, du taux d’évolution spontanée ? Pouvons-nous continuer à raisonner à partir d’évolutions spontanées à la discrétion du Gouvernement ? La question est cruciale, car la discussion des précédents projets de loi de finances a montré que l’évaluation de ces évolutions divergeait entre le ministère des Finances, le rapporteur général et la Cour des comptes. Cette présentation par rapport à une évolution tendancielle exerce en outre un effet anxiogène sur l’opinion publique : on déclare que les économies portent sur 50 milliards d’euros et on communique sur ce montant, alors que les dépenses publiques continuent en réalité d’augmenter. Notre problème avec les dépenses publiques est donc d’ordre pédagogique. Quelles seraient les propositions de la Cour pour mieux faire comprendre qu’il faut dépenser mieux en dépensant moins ?

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Le rapport de la Cour des comptes montre que l’évolution comparée avec l’Allemagne révèle un certain nombre de dérapages de nos dépenses publiques depuis 2001. Il constate que l’augmentation en volume des dépenses de l’État est la plus faible depuis 1998 et qu’elles sont même sous-exécutées, mais que la dette n’étant pas stabilisée, les efforts menés n’auraient que peu d’effets. Dès lors, a-t-on calculé le niveau de croissance nécessaire à une stabilisation de la dette, qui tiendrait compte des efforts d’ores et déjà entrepris ? La Cour demande par ailleurs un meilleur encadrement des dépenses fiscales. Quelles méthodes pratiques souhaiteriez-vous voir mises en œuvre pour assurer cet encadrement ? La mise en place, en septembre prochain, du nouveau système de comptabilité nationale – SEC 2010 – se traduira par une augmentation de près de 30 milliards des dépenses publiques. Ce montant correspond-il uniquement à une requalification des crédits d’impôts en dépenses budgétaires, imposée par les normes statistiques communautaires ?

M. Dominique Lefebvre. Votre excellent rapport éclaire le débat public à un moment opportun, puisque nous allons commencer demain, en commission des Finances, l’examen du projet de loi de finances rectificative et que nous poursuivrons avec le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.

De telles auditions sont autant d’occasions utiles d’aborder les sujets qui fâchent, mais je voudrais aussi revenir sur les aspects positifs que le rapport met en évidence. Vous avez souligné que jamais un tel effort de maîtrise des dépenses publiques n’avait été accompli avant 2013. L’effort sera poursuivi en 2014 et j’insiste sur le fait que ce n’est pas parce que les objectifs initiaux n’ont pas été tenus que la réalité de l’importance de cet effort doit être minorée.

Je vous remercie également d’avoir inclus dans votre présentation un tableau comparant la France et l’Allemagne entre 2001 et 2013. Nos collègues de l’opposition ont ainsi pu constater que 2013, sous un gouvernement de gauche, est l’année au cours de laquelle les dépenses publiques ont le moins progressé en France. Cela devrait inciter certains de nos collègues à davantage de modération dans les leçons qu’ils donnent en matière de finances publiques.

Au sujet de l’exercice 2014, vous indiquez que les informations obtenues de la direction générale du Trésor et de la direction du Budget ont été un peu plus précises qu’en 2013 mais qu’elles restent insuffisantes pour apprécier les risques avec précision. Afin d’éviter les ambiguïtés et les procès d’intention, pourriez-vous développer et nous expliquer à quoi vous faites référence ? Quel type d’informations vous manque-t-il ?

Je souhaiterais également des précisions sur les raisons pour lesquelles vous estimez que le déficit public se situera plutôt autour de 4 % du PIB en 2014, et non pas à 3,8 %. Certes, votre rapport contient une démonstration qui examine la prévision de recettes et de dépenses. Vous indiquez qu’il existe un aléa d’environ 2 milliards d’euros quant au montant des recettes ; d’ici la fin de l’année, la situation peut évoluer mais il est assez probable que les recettes ne dépasseront pas les montants inscrits dans le collectif budgétaire. En revanche, je souhaiterais que vous précisiez votre analyse de l’évolution des dépenses. En effet, le Gouvernement a su tenir les objectifs de dépenses en 2012 comme en 2013. Nous allons voter des mesures d’économies, dont 600 millions d’euros par la voie de gels de crédits : qu’est-ce qui vous permet de penser que la procédure de gel et de mise en réserve de crédits
– procédure qui, malgré ses imperfections, a permis en 2013 de maîtriser les dépenses – ne fonctionnerait pas en 2014 ?

J’en viens à la maîtrise des finances locales. J’ai été intéressé de voir dans votre rapport que le montant total des transferts aux collectivités locales – quoi qu’en dise – a augmenté – en dépit de l’effort sur les dotations – compte tenu de l’évolution dynamique de la fiscalité transférée.

À mon sens, il y a deux débats différents. La question est de savoir si le plan d’économies doit porter directement sur le niveau des dépenses locales ou s’il doit porter sur le montant des dotations que l’État verse aux collectivités territoriales. Selon mon interprétation du plan du Gouvernement, les 11 milliards d’économies relatives aux collectivités territoriales portent sur les dotations de l’État, et non pas sur les dépenses locales en tant que telles. Nos discussions avec le Gouvernement vont d’ailleurs dans ce sens, puisque nous étudions notamment les mesures de péréquation à mettre en œuvre. Vous semblez au contraire penser que les 11 milliards d’économies doivent aboutir à une baisse corrélative de la dépense locale.

Certes, ce débat est devant nous, notamment grâce au rapport de MM. Malvy et Lambert. Mais ce débat est compliqué car il faut tenir compte du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et de la diversité des situations : il serait injuste que les collectivités territoriales qui ont su contenir leurs dépenses de fonctionnement tout en maintenant un effort significatif d’investissement et en n’ayant pas augmenté leur fiscalité depuis longtemps soient pénalisées par des règles générales de réduction des dépenses locales. Si les économies devaient porter sur la dépense locale et non sur les dotations, quels seraient, selon vous, les mécanismes qui permettraient de faire face à la diversité des situations des collectivités territoriales ?

M. Charles de Courson. En estimant que « les conventions et méthodes utilisées pour estimer et mesurer les économies nécessaires devraient néanmoins être explicitées et rendues publiques », vous être très critique sur le plan de 50 milliards d’économies annoncé par le Gouvernement.

Nous sommes confrontés à un problème de méthode puisqu’une bonne partie des mesures présentées comme des économies ne sont pas de réelles économies. Comme vous l’avez souligné, le gel du point d’indice est le simple maintien d’une politique antérieure. Il permet d’éviter une dépense de l’ordre de 4 milliards d’euros sur trois ans. Mais le maintien d’une politique antérieure n’est pas une vraie économie. Il en va de même pour l’objectif national des dépenses d’assurance maladie. Vous rappelez que la moyenne des augmentations des dépenses ces trois dernières années est de l’ordre de 2,4 % : en ramenant l’objectif de hausse à 2 %, on éviterait une augmentation des dépenses d’environ 2 milliards sur trois ans. Ici encore, il ne s’agit cependant pas d’une réelle économie mais d’une limitation de la hausse des dépenses. Avec ces deux seuls exemples, nous avons déjà 6 milliards d’euros qui ne sont pas véritablement des économies.

Vous soulevez un deuxième problème grave, relatif aux dépenses des collectivités territoriales. Vous soulignez à juste titre qu’une baisse des dotations de l’État n’entraîne pas automatiquement une baisse des dépenses locales. Mais, vous n’allez pas jusqu’au bout de votre raisonnement. Car il existe une solution pour que la baisse des dotations se traduise par une baisse des dépenses locales : il suffit de geler les taux d’imposition et de plafonner les emprunts pendant trois ans. Pouvez-vous nous expliciter votre pensée sur ce sujet ?

Vous avez aussi souligné avec raison qu’une partie des économies repose sur des administrations dont l’État ne maîtrise pas les dépenses : 3,5 milliards d’euros sont ainsi des économies au titre de l’assurance chômage et des régimes complémentaires, qui sont gérés par les partenaires sociaux. Dès lors, sur les 50 milliards d’euros annoncés par le Gouvernement, il ne doit rester qu’à peine 15 ou 20 milliards d’économies : sur ces 50 milliards, pouvez-vous nous indiquer quel est le montant des véritables économies, c’est-à-dire correspondant à des mesures supplémentaires ?

M. Hervé Mariton. Ma première question porte sur la méthodologie. Vous indiquez que vous ne disposez pas de la justification des économies annoncées par le Gouvernement. Cette observation résulte-t-elle d’un processus interactif avec le Gouvernement ? Lui avez-vous posé des questions complémentaires sur ce sujet ?

Ma seconde question porte sur l’appréciation des justifications que vous ont été apportées. Votre rapport établit une distinction entre les économies identifiées et les économies non documentées. Mais existe-il, pour la Cour, des pistes d’économies qui relèveraient d’une catégorie intermédiaire ? Autrement dit, certaines mesures – certes détaillées – seraient-elles néanmoins insuffisamment justifiées ?

M. Pascal Cherki. Je remercie la Cour des comptes pour la qualité de ses travaux et la subtilité de ses avis. Ce rapport livre beaucoup d’éléments à la réflexion des parlementaires. Il laisse le soin aux politiques de prendre des décisions et chacun pourra en faire son miel. Pour autant, il ne se contente pas d’un exercice descriptif et il comprend également des recommandations.

Le rapport insiste à juste titre sur le fait qu’au regard des importants efforts qui ont été engagés – hausse des prélèvements obligatoires et maîtrise des dépenses – la réduction du déficit public est beaucoup plus faible qu’on l’escomptait, en raison, selon vous, de l’absence de croissance de l’activité. Ne faudrait-il pas prendre le problème dans l’autre sens ? La montée en puissance des efforts pour respecter les objectifs budgétaires ne risque-t-elle pas d’affaiblir durablement le principal ressort de la réduction des déficits publics, à savoir la croissance ? Ne pensez-vous pas que nous nous trouvons dans un cercle vicieux dans lequel l’addition des efforts finit par casser le moteur de la croissance ?

Ma deuxième question porte sur les administrations de sécurité sociale. Vous soulignez à juste titre que le déficit ne se réduit plus depuis 2011, malgré le respect bienvenu des objectifs de dépenses, et que les recettes ont pâti de la faible croissance de l’activité et de l’emploi. En période de croissance faible, les réductions massives de cotisations sociales ne risquent-elles pas d’accroître leur déficit ?

Ma troisième question a trait à la comparaison que le rapport effectue avec l’Allemagne. Elle a engagé une consolidation budgétaire avant les autres pays européens. Dans ce contexte, a-t-elle bénéficié d’un avantage compétitif en profitant du soutien à la demande mis en œuvre par le reste de l’Europe ? À cet égard, que pensez-vous des déclarations récentes du vice-chancelier allemand, qui propose d’exclure du calcul des déficits publics certaines dépenses d’investissement, par exemple dans l’éducation ? Pensez-vous que cela permettrait de régler une partie des problèmes de déficit que nous rencontrons ?

M. Éric Alauzet. La baisse des recettes fiscales s’est élevée à 15 milliards d’euros en 2013. Vous indiquez qu’elle n’aurait été liée que pour un quart au ralentissement économique : disposez-vous d’éléments de mesure plus précis sur les trois quarts restants ? Pour 2014, la baisse est estimée à 5 milliards : quelle est la part de cette baisse imputable au ralentissement de l’activité économique ?

Vous indiquez que la contribution climat énergie devrait rapporter 2 milliards d’euros sur trois ans. Or, il était envisagé que le rendement de cette contribution s’élève à 4 milliards d’euros. Pouvez-vous donner des explications sur ce différentiel ?

Comme vous, je défends, et ce depuis vingt ans, l’idée selon laquelle il faut réduire les déficits. C’est indispensable à notre économie et à notre indépendance. Mais pourquoi faudrait-il faire porter l’effort uniquement sur les dépenses publiques, même si ce levier reste certes important ? Car le déficit a aussi d’autres causes. Les maigres gains apportés la croissance ont été captés essentiellement par les catégories aisées et, en particulier, par le capital. Ceux qui ont investi dans la dette ont également bénéficié de taux d’intérêt relativement élevés et l’optimisation fiscale agressive a largement contribué à l’endettement. Dans ce contexte, j’estime que nos discussions se concentrent trop sur le seul objectif de baisse des dépenses publiques. Vous avez souligné dans votre intervention que la Cour des comptes avait pour rôle de suggérer des pistes. Ne serait-il pas temps d’ouvrir d’autres champs de réflexion pour que la baisse des dépenses publiques, dont on mesure les limites et les risques, ne soit pas le seul levier d’action en vue de la réduction du déficit public ?

M. Philippe Vigier. Jugez-vous réalistes les évaluations de croissance retenues par le Gouvernement pour 2015, 2016 et 2017 ? Compte tenu de la faiblesse de la croissance, le respect de l’objectif de réduction de déficit public pour 2015 reste-t-il envisageable ?

Dans le cadre des 50 milliards d’euros du pacte de stabilité, quelles sont les pistes d’économies sur les dépenses des collectivités locales, puisqu’au-delà des effets du gel du point d’indice, 8,5 milliards d’euros d’économies doivent être réalisées, et ce, bien sûr, sans recourir à l’impôt ni à l’emprunt ?

Enfin, en ce qui concerne l’évolution de la masse salariale de la fonction publique d’État, la stabilisation de 2013 a été obtenue au prix d’une baisse des effectifs de 17 000 emplois : quelles sont les perspectives pour 2014 en l’absence de stabilisation des effectifs ?

M. Marc Goua. Vous avez indiqué que l’évolution des salaires dans la fonction publique territoriale a été moins vertueuse que dans la fonction publique d’État, mais il faut conserver à l’esprit les transferts de charge insidieux de l’État vers les collectivités territoriales, qui ont suppléé à son désengagement.

Vous avez souligné que la réduction des dépenses publiques passe par la réduction des charges de personnel : avez-vous identifié des ministères qui auraient effectivement procédé à de telles réductions ?

M. Olivier Carré. Les 11 milliards d’euros de diminution des dotations de l’État aux collectivités locales sont inclus dans les 13,4 milliards correspondant aux autres mesures d’économies à trouver pour l’État et les opérateurs. En même temps, cette diminution de 11 milliards se retrouve dans les comptes de l’État et, en moindres recettes, dans ceux des collectivités, même si, ensuite, il n’est pas certain que la baisse des dépenses des collectivités s’élève elle aussi à 11 milliards d’euros. En fin de compte, s’agit-il d’une économie de 11 milliards sur l’ensemble des dépenses publiques, ou bien d’une économie d’un montant supérieur, incluant les moindres dépenses des collectivités du fait de la baisse de leurs dotations ? Si tel était le cas, elles supporteraient 40 % de l’effort global d’économies.

Mme Karine Berger. Votre message principal est qu’il faut réduire les dépenses publiques, et non pas qu’il faudrait réduire le déficit ou la dette. Je m’en étonne, car nous menons actuellement une politique volontariste de réduction des dépenses publiques et, surtout, cette réduction a un impact négatif sur la croissance. Des éléments vont sans doute être prochainement publiés sur l’impact récessif attendu de la baisse des dépenses publiques prévue par le programme de stabilité et les premiers chiffres dont j’ai eu connaissance laissent à penser que les craintes sont fondées. Dans la mesure où si la réduction des dépenses publiques a un impact sur le PIB, elle a un impact bien moindre sur la réduction du déficit, avez-vous évalué l’impact négatif sur le PIB de votre recommandation de baisse des dépenses ?

M. le président Gilles Carrez. Il faut rappeler qu’en tout état de cause, ce n’est pas de réduction des dépenses publiques qu’il s’agit, mais de ralentissement de leur progression.

Mme Karine Berger. Il va de soi qu’une réduction de 50 milliards d’euros de cette tendance exerce un impact récessif sur l’activité. Je voudrais donc savoir quelle hypothèse la Cour des comptes retient sur les effets de sa recommandation de baisse supplémentaire des dépenses publiques : combien de points de PIB nous invite-t-elle à abandonner dans les prochaines années ?

M. Pierre Alain Muet. La question est pertinente, car on sait depuis longtemps que les réductions de dépenses ont un effet récessif plus rapide que d’autres dispositifs.

Quelle a été la réduction des dépenses par rapport à leur croissance tendancielle ? Ainsi, les 3 milliards de baisse constatés en 2013 traduisent-ils une réduction par rapport à la tendance ? D’où ce chiffre de 3 milliards vient-il et y a-t-il également eu une révision de l’augmentation tendancielle des dépenses ? Pour pouvoir éclairer nos débats, puisque l’effort sur la dépense publique est toujours mesuré par rapport à la tendance, nous devons faire preuve de précision et savoir exactement ce qu’est cette tendance.

M. Dominique Baert. Il semble que la réflexion évolue outre-Rhin : que pensez-vous des déclarations du vice-chancelier allemand, M. Sigmar Gabriel, selon lequel « les coûts occasionnés par toutes les mesures de réforme ne devraient pas être pris en compte dans les critères de déficit » ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Nous continuons à avoir ce débat entre ceux qui considèrent qu’il faut vraiment s’attacher à réduire les dépenses et ceux qui estiment qu’on pourrait continuer à augmenter les recettes. Or, depuis quelques années, nous sommes arrivés à saturation pour ce qui est des recettes.

Votre rapport fait état d’une vraie difficulté : en raison des éléments qui ont affecté le calcul et le calendrier des acomptes et des soldes, il n’est pas possible de disposer d’une estimation précise des recettes fiscales, notamment d’impôt sur le revenu. Or, les bases ont peu évolué, de telle sorte qu’appliquer à ces bases la modélisation des modifications fiscales ne devrait pas être très compliqué et on devrait donc pouvoir disposer d’une tendance plus affinée pour l’impôt sur le revenu.

Vous avez attiré notre attention sur la situation de l’assurance chômage : auriez-vous des suggestions à formuler sur ce sujet, que d’autres pays auraient éventuellement mises en œuvre ?

M. Michel Piron. Je dois saluer les nuances dans l’expression de ce rapport, nuances qui vont parfois jusqu’à la litote. Incontestablement, s’agissant des déficits et de la dette, la vitesse à laquelle nous allons dans le mur a nettement été ralentie.

Lorsqu’on rapproche la diminution des dépenses des administrations centrales de 0,1 % avec l’augmentation de 2,8 % des celles des collectivités territoriales, ne prend-on pas le risque d’une grande ambiguïté, voire d’une erreur de diagnostic ? Peut-on en effet se satisfaire de ce recul des dépenses de l’État ? N’aurait-il pas dû être largement supérieur, au vu des coûts et des économies de transfert ? Par exemple, quand des compétences ont été transférées aux régions ou aux départements, chacun sait qu’un certain nombre de fonctions support n’ont pas été transférées de l’État vers les collectivités en question. Sans exonérer pour autant les collectivités des efforts qu’elles ont à accomplir, la Cour a-t-elle donc pu procéder à une analyse exhaustive des coûts de transfert et des coûts induits par le « non-transfert » ?

M. le Premier président de la Cour des comptes. Je suis parfois surpris par certaines questions posées, dès lors que les objectifs ne sont pas définis par la Cour mais votés par le Parlement. La Cour fait des constats par rapport à ces objectifs et je rappelle à Mme Berger que nous ne sommes pas en mesure de réaliser des simulations. Celles-ci sont faites par le ministère des Finances, qui doit vous les communiquer. La Cour raisonne par rapport à vos propres objectifs, des objectifs proposés par un Gouvernement et généralement approuvés par un Parlement, qui les vote – Madame Berger, vous avez voté le pacte de stabilité comme la loi de programmation. Lorsque je dis qu’il faut davantage mettre l’accent sur la réduction de la dépense publique, c’est ce que vous avez voté et pas une invention de la Cour. C’est également un engagement de la France vis-à-vis de ses partenaires européens.

Pourquoi ne pas demander au ministère des Finances une simulation des effets du non-respect par la France de ses engagements vis-à-vis de ses partenaires européens pour en mesurer les conséquences sur les marchés financiers et la dette française ? Vous disposeriez ainsi d’une vue objective de l’ensemble de la situation. Il ne suffit bien évidemment pas de demander des simulations sur les effets négatifs d’une réduction de la dépense, effets que personne ne nie. L’enjeu est de savoir quelle est la moins mauvaise des solutions et ce qui peut avoir le maximum de répercussions sur les comptes publics et leur analyse. Vous devriez également demander une simulation afin de savoir si la France peut se déconnecter totalement d’une politique européenne, sans conséquences sur l’appréciation des marchés financiers et sur sa dette, alors qu’elle dépend pour partie de ces marchés. Autant de questions intéressantes que peu posent. Vos questions sont toujours très intéressantes et pertinentes mais il faut les resituer dans un contexte plus général et imaginer d’autres scénarios.

Avec des dépenses publiques qui s’élèvent à 57,4 % du PIB, nous nous situons à un niveau parmi les plus élevés des pays de l’OCDE. S’il y avait un rapport entre l’augmentation de la dépense publique et le niveau de croissance, il est vraisemblable que la France atteindrait un niveau de croissance bien plus important qu’actuellement. Notre niveau de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires est très élevé. Pourtant, la croissance est atone et nous avons un vrai problème de compétitivité par rapport à d’autres pays, de telle sorte que lorsqu’il y a redémarrage, les entreprises et les salariés français ne sont pas les premiers à en bénéficier. Ce sont autant de questions qui sont et doivent être dans le débat politique ; la Cour ne s’exprime pas sur ces sujets mais par rapport aux objectifs que vous définissez. Nous ne disons pas seulement qu’il faut réduire la dépense publique mais nous rappelons simplement les engagements que vous avez pris et le fait que la dette continue d’augmenter en France alors même qu’elle a tendance à diminuer ailleurs.

Mme Karine Berger. Pas au Royaume-Uni, ni en Italie ou en Espagne…

M. le Premier président de la Cour des comptes. Je parle en termes de moyenne européenne : la dette italienne est certes très élevée mais l’Italie est aujourd’hui à moins de 3 % et bénéficie de marges de manœuvre que n’a pas la France.

Concernant les 3,8 % de déficit public, j’indique à M. Lefebvre que ce n’est pas un pronostic que nous faisons, mais la conséquence d’un constat fait à partir d’interrogations, non pas sur le niveau de la dépense sur 2014 – même si nous en avons au sujet des collectivités territoriales et de l’UNEDIC – mais sur le niveau des recettes. On sait aussi que la croissance estimée à hauteur de 1 % est incertaine et que la prévision du niveau d’inflation paraît élevée. Sur la masse salariale et la question des créations d’emplois, les prévisions du Gouvernement sont également optimistes. Or, si l’on se réfère aux indicateurs de l’INSEE ou de la Banque de France, ceux-ci confortent le sentiment exprimé par la Cour. Le chiffre de 3,8 % nous semble donc très incertain et devrait être plus proche de 4 %, voire plus, ce qui aura des conséquences sur les exercices postérieurs.

Concernant l’évolution de la masse salariale, la Cour propose un certain nombre de pistes afin que que vous soyez en mesure de respecter l’engagement de maîtrise des dépenses de personnel, inscrit dans les documents budgétaires. La Cour souligne que ces objectifs de maîtrise sont ambitieux – ils ont même été durcis, notamment dans le récent programme de stabilité. Mais même en restant dans le cadrage de 2013, l’évolution de la masse salariale de l’État ne devrait pas progresser de plus de 250 millions d’euros. Or, si l’on raisonne à politique constante, à savoir le gel du point d’indice et la réduction des mesures catégorielles, le compte n’y est pas.

Il faut donc prendre des mesures complémentaires pour respecter cet objectif. D’où nos propositions de réduction des effectifs, d’une autre politique d’avancement ou d’une autre programmation, ou bien d’actions sur la durée du travail, en partant du constat qu’il pourrait être intéressant de procéder à un bilan de la durée effective de travail dans les trois fonctions publiques, en faisant remonter l’information des chambres régionales. On voit que beaucoup de collectivités territoriales ne se situent pas au niveau de la durée légale et qu’il existe donc ici des marges de manœuvre. Nous préconisons également un meilleur ciblage de certaines mesures générales, et notamment des rémunérations accessoires. Ceci afin de permettre le respect de l’objectif fixé, sachant que l’État a accompli beaucoup d’efforts en matière de dépenses de personnel, efforts que l’on ne retrouve pas pour ce qui est des collectivités territoriales, en dépit de ce qu’a dit M. Goua, parce qu’un certain nombre de créations de postes ne sont pas liées aux transferts de compétences. Le même raisonnement peut être tenu pour ce qui est des hôpitaux.

Le Gouvernement peut afficher 50 milliards d’euros de réduction des dépenses parce qu’il a effectivement modifié ses hypothèses d’augmentation tendancielle de la dépense, passant de 1,6 % à 1,5 %. Tous les pays le font et ce n’est pas spécifique à la France. On peut concevoir que l’on puisse s’appuyer sur une augmentation tendancielle : la Cour ne rejette pas ce raisonnement mais constate que la dépense publique continuera d’augmenter, y compris dans les propositions du Gouvernement. 50 milliards d’euros de réduction de la dépense par rapport à l’augmentation tendancielle sont affichés, mais la dépense publique aura augmenté de 62 milliards sur la même période. L’augmentation tendancielle de la dépense aurait atteint 112 milliards d’euros sans ces 50 milliards d’économies prévues. La Cour souhaiterait que les gouvernements fassent preuve de davantage de transparence, qu’ils expliquent les conventions retenues pour calculer cette augmentation tendancielle, les rendent publiques et qu’un débat ait lieu, notamment en commission des Finances.

Sur la réduction de 50 milliards, en dépit de la procédure de contradiction avec le Gouvernement, nous ne sommes pas en mesure de vous en dire plus car pour une bonne partie – 30 milliards d’euros –, elle n’a pas été documentée. Le Gouvernement devra le faire dans les lois de finances initiales pour 2015 et 2016.

Sur la déclaration du ministre allemand de l’Économie, je ne ferai pas de commentaire, car cela relève des autorités politiques, dont vous êtes. Je peux seulement dire que ce n’est pas en cassant ou en changeant le thermomètre que l’on change la réalité. Ce type de proposition est d’ailleurs un sujet récurrent depuis de nombreuses années mais quels que soient les critères retenus, la situation demeure la même : la dette doit être financée pour partie sur les marchés financiers.

M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes. Sur les recettes de 2014, une question a été posée sur la part tenant à la croissance et à l’élasticité dans la réestimation des recettes. Je rappelle que le Gouvernement a maintenu à 1 % sa prévision de croissance pour 2014 et qu’il a en revanche révisé à la baisse l’élasticité, en passant de 1, qui est l’élasticité médiane, à 0,9 dans le projet de loi de finances rectificative que vous allez examiner. Notre sentiment est que cette élasticité de 0,9, pour des raisons qui sont expliquées dans le rapport, reste probablement encore un peu élevée, d’où le risque que nous identifions, en particulier sur l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés. Outre ce risque sur l’élasticité, il faut ajouter les risques associés aux prévisions de croissance et au scénario économique en matière d’inflation et de masse salariale. S’agissant des recettes pour 2014, ce sont probablement des risques plus importants que celui lié à l’élasticité elle-même.

À la question de savoir si l’on peut tirer pour l’année entière, à partir des encaissements des trois ou quatre premiers mois, des données fiables sur l’encaissement de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés, la réponse est malheureusement négative. Chacun des chiffres de chacune des années, et donc les chiffres au bout de trois ou quatre mois, est porteur de modifications : modifications de situation, modifications de gestion technique de l’impôt, modifications des circuits ou des calendriers d’encaissement. Ces chiffres sont donc à prendre avec beaucoup de précautions. On ne peut donc pas simplement, en partant des quatre premiers mois de l’année, tirer un trait et identifier quel sera le point de sortie en fin d’année 2014.

Nous considérons qu’il y a un risque de 200 à 300 millions d’euros sur le respect de l’objectif de masse salariale. 2014 ne bénéficie plus de l’effet report des baisses d’effectifs enregistré en 2013. La gestion va donc être très tendue au regard de l’objectif fixé par la loi de finances pour 2014.

Les dépenses en volume ont augmenté approximativement de 1,3 % en 2013. La croissance potentielle, à partir de laquelle l’effort structurel en dépenses est apprécié, était de 1,5 %. L’écart de 0,2 point traduit, compte tenu du poids des dépenses et de la « règle du pouce », une contribution de l’effort structurel en dépenses à l’effort structurel total de 0,1 point. Telle est l’explication de ce chiffre, qui suppose un point de passage par la croissance potentielle et une diminution par deux de cet écart.

Enfin, il a été demandé qui, de l’État ou des collectivités territoriales, supportera les 11 milliards d’euros d’économies. Il ne s’agit pas d’une simple baisse de 3,5 milliards chaque année mais d’une baisse de 3,5 milliards d’euros supplémentaires chaque année – autrement dit 3,5 milliards en 2015, puis 7 milliards en 2016 et 11 milliards en 2017, selon le schéma présenté dans le programme de stabilité. Comme il s’agit de dépenses de l’État et de recettes des administrations publiques, elles sont consolidées en administrations publiques. Dans le programme de stabilité, cette mesure d’économie est identifiée comme se traduisant par une moindre dépense des collectivités territoriales. L’hypothèse implicite est donc que les 3,5 milliards d’euros de baisse des dotations de l’État se traduiront, chaque année, à due concurrence et immédiatement, par une moindre dépense des collectivités locales au titre du même exercice. Les 11 milliards de baisse sont donc bien inscrits dans la rubrique des dépenses des collectivités territoriales, ce qui est techniquement justifié. Cela suppose donc des efforts considérables en dépenses et, vraisemblablement, une remise en question des dispositifs de répartition de ces dotations de l’État entre collectivités territoriales.

Mme Christine Pires Beaune. La masse salariale représente 23 % de la dépense publique et, de ce fait, sa maîtrise et son suivi sont incontournables. Si vous avez dit que pour l’État, la masse salariale semblait stabilisée, vous avez souligné le dérapage pour les administrations publiques locales. Votre rapport fournit des chiffres d’augmentation selon le type de collectivité, notamment plus de 7 % pour les intercommunalités. Pouvez-vous nous fournir le pourcentage d’évolution par catégorie d’intercommunalité – communautés de communes, métropoles, communautés urbaines, communautés d’agglomération ?

M. le Premier président de la Cour des comptes. Le ministère des Finances et la direction générale des collectivités locales ne nous ont communiqué qu’un chiffre global.

Mme Christine Pires Beaune. C’est dommage. Avez-vous croisé ces données avec le coefficient d’intégration afin de vérifier s’il existait un lien entre ces deux éléments ?

M. le Premier président de la Cour des comptes. Une fois de plus, c’est un chiffre global qui a été donné pour les intercommunalités, mais nous aurons l’occasion d’y revenir dans le rapport sur les finances locales que nous publierons en octobre prochain.

Enfin, en réponse à une question de Mme la rapporteure générale, la croissance nécessaire pour stabiliser la dette à son niveau actuel serait de 4 % en valeur et de l’ordre de 2,3 % en volume.

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 17 juin 2014 à 17 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Jean-Marie Beffara, Mme Karine Berger, M. Étienne Blanc, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Yves Censi, M. Pascal Cherki, M. Alain Claeys, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Marc Francina, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, Mme Arlette Grosskost, M. Régis Juanico, M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Dominique Lefebvre, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Mariton, M. Pierre-Alain Muet, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Camille de Rocca Serra, M. Gérard Terrier, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Alain Fauré, M. Pierre Moscovici, M. Thierry Robert

Assistaient également à la réunion. - M. David Habib, M. Michel Piron, M. Lionel Tardy

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