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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 1er octobre 2014

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 3

Présidence de M. Gilles Carrez, Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, sur les avis du Haut Conseil relatifs au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 et aux projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015

–  Communication sur le nouveau système européen de comptabilité nationale (Mme Karine Berger et M. Olivier Carré, rapporteurs)

–  Présences en réunion

La Commission entend, en audition ouverte à la presse, M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, sur les avis du Haut Conseil relatifs au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 et aux projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015.

M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques. Je vous remercie d’avoir bien voulu m’inviter devant votre Commission, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, pour vous présenter les principales conclusions des deux avis qu’il a transmis au Gouvernement. La préparation concomitante de ces avis a fortement mobilisé les membres du Haut Conseil. Un séminaire sur la croissance potentielle avait été organisé dès le mois de juin et de nombreuses auditions ont été conduites au mois de septembre.

Toutefois, je dois signaler que le Haut Conseil n’a pu bénéficier, comme l’an passé pour la préparation de l’avis relatif aux projets de loi de finances et de financement pour 2014, d’échanges préalables dès le mois de juillet. Alors qu’il devait rendre deux avis concomitants cette année, il regrette de n’avoir, en amont de la saisine, disposé d’aucune possibilité d’échange substantiel avec les administrations concernées et d’avoir dû concentrer son analyse et ses travaux dans le délai minimal d’une semaine prévu par la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019.

M. le président Gilles Carrez. Nous partageons ces difficultés, monsieur le président.

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. J’aborderai successivement les deux avis, en commençant par celui relatif au projet de loi de programmation.

Aux termes de l’article 13 de la loi organique, la mission du Haut Conseil est triple : il doit apprécier l’estimation du produit intérieur brut – PIB – potentiel sur laquelle repose le projet de loi de programmation ; il doit se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées ; il doit examiner la cohérence de la programmation envisagée au regard de l’objectif à moyen terme – OMT – retenu et des engagements européens de la France.

Permettez-moi d’évoquer tout d’abord l’estimation de produit intérieur brut potentiel. Le Haut Conseil devait se prononcer à ce sujet pour la première fois. C’est normal car, dans la mesure où il a été installé le 21 mars 2013, il n’avait pas pu rendre un avis sur la précédente loi de programmation du 31 décembre 2012.

Le PIB potentiel se définit usuellement comme la production soutenable, c’est-à-dire celle pouvant être réalisée sans entraîner de tensions sur les prix. Chacun connaît les fragilités de cette notion qui est pourtant devenue centrale en matière de gouvernance des finances publiques. Il ne s’agit pas de données statistiques ou comptables, mais du résultat d’un modèle économique, ce qui rend l’estimation du PIB potentiel à la fois difficile et incertaine. Sa mesure est rendue encore plus difficile par la crise économique que nous connaissons. En particulier, les chocs subis par l’économie française depuis 2008 ont vraisemblablement eu un impact pour partie transitoire et pour partie pérenne sur le niveau du PIB potentiel, sans qu’il soit toutefois possible d’estimer leur part respective avec précision.

L’écart de production, qui est la différence entre la production effective et la production potentielle, renseigne sur la capacité de rebond d’un pays quand il est négatif, ce qui est le cas actuellement, ou sur le risque de ralentissement quand il est positif. Pour ce qui nous concerne, il permet surtout d’identifier la composante conjoncturelle du déficit effectif et de mesurer, par différence, le solde structurel, qui est devenu un outil essentiel de pilotage des finances publiques à l’échelle européenne.

Le Gouvernement a retenu, pour le présent projet de loi, l’écart de production tel qu’estimé par la Commission européenne. Dans les estimations de la Commission, l’écart de production de l’économie française s’établit à – 2,7 % du PIB potentiel pour l’année 2013.

Le Haut Conseil constate que cette estimation se situe au centre de la large fourchette des estimations disponibles, notamment celles des organisations internationales, Fonds monétaire international – FMI – et Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE –, et celles de l’INSEE, qui se situe entre – 2 % et – 3,5 %. Un tel écart suggère que l’économie française dispose d’une forte capacité de rebond. Le scénario retenu par le Gouvernement, comme par les organisations internationales, est donc celui d’un rattrapage, avec une fermeture progressive de l’écart de production. Cependant, ce rattrapage ne serait pas tout à fait achevé à l’horizon de la programmation.

La position du Haut Conseil est plus réservée. Dans son avis, il considère en effet qu’un écart de production plus faible et, partant, une moindre capacité de rebond, ne peuvent être exclus.

Il note en particulier que l’économie française connaît un écart de production fortement négatif depuis plusieurs années, alors qu’en principe un tel écart est supposé se résorber rapidement. Cela conduit à s’interroger sur l’existence même d’un potentiel de rebond substantiel.

La prise en compte d’une telle hypothèse, qui, selon nous, mériterait d’être étudiée, se traduirait par un déficit structurel plus dégradé tout au long de la période de programmation et pourrait conduire à des prévisions de croissance plus faibles.

S’agissant de la croissance potentielle, le Haut Conseil considère que l’estimation de 1 % en 2014 et 2015 et de l’ordre de 1,2 % en moyenne pour les années 2016 à 2019 constitue une hypothèse acceptable.

Ces estimations, qui sont également reprises de la Commission européenne, sont plus basses que celles retenues dans la loi de programmation du 31 décembre 2012 et dans les programmes de stabilité et lois de finances ultérieurs, puisque la croissance potentielle était auparavant estimée entre 1,5 % et 1,6 % sur la période 2014-2017. Les présentes estimations sont proches des dernières estimations du FMI et de l’INSEE, inférieures à celles publiées par l’OCDE, mais plus élevées que celles de la Banque de France.

J’en viens à présent aux prévisions macroéconomiques associées au projet de loi, qui portent sur l’horizon de la programmation, c’est-à-dire la période 2014-2019. Permettez-moi d’aborder directement le moyen terme, car je reviendrai sur les années 2014 et 2015 à propos des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2015.

Par rapport aux prévisions associées en avril dernier au programme de stabilité, le Haut Conseil note que le Gouvernement a décalé dans le temps son scénario de reprise de l’environnement international et revu à la baisse les perspectives de croissance à court terme. Ce scénario est ainsi moins optimiste que celui présenté en avril dans le programme de stabilité, qui reposait, comme le Haut Conseil l’avait noté dans son avis, sur la réalisation simultanée de plusieurs hypothèses favorables qui ne se sont pas matérialisées.

À moyen terme, ses prévisions pour 2016 et 2017 – respectivement 1,7 %
et 1,9 % – reposent toutefois encore sur des hypothèses favorables quant à l’environnement extérieur et à l’effet des politiques économiques sur la compétitivité des entreprises françaises, l’investissement et l’emploi.

Le scénario reste entouré d’un certain nombre d’aléas, majoritairement orientés à la baisse, qui sont liés notamment à l’environnement international et à l’investissement. En particulier, la reprise du commerce mondial pourrait être moins rapide que prévu. Sans doute avez-vous vu les derniers chiffres publiés par l’Organisation mondiale du commerce – OMC – à ce sujet. De même, la reprise de l’investissement pourrait être moins marquée si les entreprises choisissaient de limiter leur endettement plutôt que d’investir, dans un contexte où l’amélioration de leur taux de marge serait lente. À l’inverse, le scénario du Gouvernement pourrait être conforté par une baisse de l’euro et, à moyen terme, par la mise en place d’un plan d’investissement européen.

J’en viens enfin à la cohérence de la programmation présentée par rapport à l’objectif à moyen terme et aux engagements européens de la France. Le Haut Conseil observe que cette programmation n’est pas cohérente avec les engagements européens de la France. Dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, la France s’est engagée, à l’occasion du programme de stabilité adressé aux autorités européennes en avril 2014, à ramener son déficit en deçà de 3 % du PIB d’ici 2015 et à améliorer son solde structurel de 0,8 point de PIB en 2014 et en 2015.

Or, dans la programmation présentée, le déficit effectif se maintiendrait au-delà de 4 % du PIB entre 2013 et 2015 et ne reviendrait pas sous le seuil de 3 % avant 2017.

L’ajustement structurel, c’est-à-dire la variation du solde structurel pour chacune des années 2014 et 2015, est nettement inférieur au rythme annuel de 0,8 point de PIB prévu dans le programme de stabilité d’avril 2014. Il serait de 0,1 point en 2014 et de 0,2 point en 2015. Pour 2016 également, l’objectif a été revu à la baisse, à 0,3 point contre 0,5 point selon le programme de stabilité. Ce dernier constitue pourtant notre point de référence obligé, puisqu’il a été présenté par la France après avoir reçu l’avis favorable du Parlement.

La France ne réaliserait donc pas l’ajustement structurel annoncé, et ce pour plusieurs raisons. La plus substantielle, c’est le caractère relativement modéré de l’effort en dépense. Cet effort est en effet réduit par rapport au programme de stabilité, les objectifs de croissance en valeur n’ayant pas été ajustés à la faible inflation sur les années 2014 à 2016. La baisse des hypothèses de croissance potentielle, qui se répercute mécaniquement sur l’ajustement structurel, constitue la deuxième raison. D’autres effets jouent enfin à la marge, concernant notamment la croissance spontanée des recettes qui reste inférieure à celle de l’activité en 2014 et en 2015.

Le respect des traités entraîne d’autres obligations, comme la convergence vers l’objectif de moyen terme ou le retour à un déficit effectif en deçà de 3 % du PIB. Pour la première, en raison du faible rythme d’ajustement structurel, la réalisation de l’OMT, qui a été revu à la baisse à – 0,4 % du PIB, est reportée à 2019 alors que le programme de stabilité prévoyait 2017. Pour le second, le programme de stabilité l’annonçait pour 2015, il serait désormais reporté à 2017.

En outre, si cette nouvelle trajectoire est moins ambitieuse que les précédentes, son respect n’est pas acquis, car cela supposerait d’infléchir fortement – et sur toute la période de programmation – la croissance de la dépense publique. Pour cela, les efforts déjà réalisés depuis 2011 en matière de croissance en volume de la dépense publique doivent être accentués. Or, une partie des dépenses programmées repose sur des économies à réaliser par des administrations dont l’État ne maîtrise pas les leviers, notamment les collectivités territoriales, l’Unédic ou les régimes complémentaires de retraite, même s’il est prévu de renforcer quelque peu les règles de gouvernance.

Aussi, en l’état des mesures annoncées, le Haut Conseil identifie-t-il un risque de déviation par rapport à la trajectoire vers l’objectif de moyen terme, trajectoire elle-même sensiblement décalée par rapport à la précédente loi de programmation et au dernier programme de stabilité.

Le Haut Conseil était également appelé à se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2015 ainsi que sur la cohérence de ces projets avec les orientations pluriannuelles de solde structurel. Conformément à l’article 23 de la loi organique, il lui était également demandé de formuler une appréciation sur les mesures de correction présentées par le Gouvernement à la suite du déclenchement du mécanisme de correction en mai 2014. Pour le présent avis, le cadre de référence reste bien la loi du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, toujours en vigueur avant l’adoption, par le Parlement, d’une nouvelle programmation.

J’en viens directement aux principales conclusions de cet avis, s’agissant des prévisions macroéconomiques tout d’abord.

Pour 2014, au vu d’un acquis de croissance à la fin du premier semestre aujourd’hui estimé à 0,3 % et des dernières informations conjoncturelles disponibles, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance de 0,4 % est réaliste.

S’agissant de 2015, la prévision de croissance de 1 % est selon nous optimiste. Elle suppose en effet un redémarrage rapide et durable de l’activité, ce que ne suggèrent pas les derniers indicateurs conjoncturels.

Ce scénario présente par ailleurs plusieurs éléments de fragilité, qui concernent à la fois la demande mondiale et la demande intérieure. L’environnement international pourrait se révéler moins porteur, comme en attestent les dernières prévisions de croissance du commerce mondial de l’OMC, qui sont inférieures à celles du Gouvernement. La reprise de l’investissement productif pourrait être retardée compte tenu du faible taux d’utilisation des équipements, de perspectives d’activité incertaines et de la faiblesse des taux de marge sur lesquels le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE – n’a eu, pour l’instant, qu’un impact limité. Le rebond de la consommation des ménages pourrait être de moindre ampleur, l’absence persistante d’amélioration sur le marché du travail pouvant en particulier conduire les ménages à ne pas diminuer leur épargne de précaution.

Le scénario présenté par le Gouvernement est entouré, par ailleurs, d’un certain nombre d’aléas qui concernent notamment l’environnement international et la demande interne.

J’en viens maintenant à la cohérence des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.

Dans son avis relatif au solde structurel des administrations publiques de 2013 rendu public en mai dernier, le Haut Conseil avait identifié un écart, qualifié d’important, de 1,5 point de PIB par rapport à la trajectoire définie dans la loi de programmation, ce qui a déclenché le mécanisme de correction. Aux termes de l’article 23 de la loi organique, le Gouvernement doit tenir compte de cet écart au projet de loi de finances pour 2015 en prenant des mesures adéquates.

Le Haut Conseil constate que le Gouvernement ne corrige pas l’écart important par rapport à cette loi. Au contraire, celui-ci s’accroît en prévision pour 2014 et 2015.

Plutôt que de corriger cet écart, le Gouvernement fait le choix de définir une nouvelle trajectoire, intégrant les déviations passées et fixant de nouveaux objectifs dont l’ambition est revue à la baisse.

Ainsi, en 2015, l’ajustement structurel – ou l’amélioration du solde structurel – serait de 0,2 point de PIB (contre 0,8 point précédemment), porté par un effort en dépense de 0,5 point. Cet effort se traduit, dans la nouvelle loi de programmation, par un objectif de progression de la dépense de 1,1 % en valeur, qui équivaut – compte tenu de l’inflation estimée à 0,9 %  – à 0,2 % en volume.

Au vu des mesures présentées par le Gouvernement, le Haut Conseil, qui n’en a pas eu le détail exhaustif, estime que cet objectif de 1,1 % risque de ne pas être atteint, pour des raisons liées notamment à la masse salariale des administrations publiques et aux dépenses publiques locales, dont l’inflexion dépendra du comportement des assemblées locales en réaction à la baisse des dotations de l’État.

Par ces deux avis, le Haut Conseil envoie un message d’alerte au Gouvernement. Alors que la France s’était engagée à réduire son déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2015 et à atteindre son objectif à moyen terme en 2017, ces engagements sont décalés dans le temps et sensiblement revus à la baisse en raison notamment d’un ajustement structurel réduit. La faiblesse de cet ajustement structurel et son report dans le temps font peser un risque sur la trajectoire de la dette publique qui continuera à augmenter.

M. le président Gilles Carrez. Je formulerai pour ma part trois observations.

La prévision est un art difficile, comme le prouvent les hésitations sur le taux de croissance. L’objectif de 0,4 % en 2014 vous semble aujourd’hui réaliste, tandis que celui de 1 % pour 2015 vous paraît optimiste. La meilleure solution, dirai-je avec quelque malice, ne serait-elle pas que le Haut Conseil fixe lui-même le niveau à retenir comme hypothèse de travail ? Accepteriez-vous cette responsabilité ? Ce pourrait être, j’en conviens, un cadeau empoisonné : en avril, quand nous avons examiné le programme de stabilité, l’objectif de 1 % vous semblait réaliste pour cette année… Je crois que nous pouvons tous en tirer une leçon d’humilité.

Depuis 2012, la loi de programmation prévoit la correction des écarts à la trajectoire qu’elle définit. Or, cette année, pour éviter de prendre de telles mesures, c’est la trajectoire qu’on modifie ! Pour faire baisser la fièvre des déficits, on casse le thermomètre… C’était pourtant l’occasion d’enclencher pour la première fois le mécanisme de correction.

L’objectif global de progression des dépenses publiques de 1,2 % en valeur paraît extrêmement ambitieux compte tenu de leur volume total, qui s’élève à 1 200 milliards d’euros. Vous avez exprimé des doutes sur la possibilité d’un tel ralentissement, notamment pour ce qui est de la masse salariale. Pouvez-vous préciser votre pensée ?

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Vous avez fait référence aux données européennes, sans mentionner la menace de la déflation que tout le monde redoute si les dépenses publiques sont réduites dans tous les États membres à la fois. Le terme même de déflation ne me semble pas figurer pas dans votre propos, alors qu’il fut employé à maintes reprises lors de la réunion des commissions des Finances des parlements nationaux et du Parlement européen, qui s’est tenue hier à Rome. Étant donné l’impact que le contexte européen peut avoir sur notre économie, jugez-vous que le projet de loi de finances soit à la hauteur de la situation ?

D’autre part, c’est bien l’ensemble du déficit qui doit être financé sur les marchés internationaux, mais la distinction entre déficit structurel et déficit conjoncturel n’en demeure pas moins primordiale. Convenez-vous que la part du déficit conjoncturel est de plus en plus importante, et qu’elle s’établit à 1,9 % du PIB ?

M. Éric Woerth. Les avis du Haut Conseil se suivent et se ressemblent. Je perçois une certaine prudence, ou un certain pessimisme, devant ces prévisions officielles révisées sans cesse. Compte tenu de la fragilité des hypothèses de croissance retenues, notamment pour 2016 et 2017, quel peut être, selon vous, en cas de dérapage, le niveau de déficit auquel il faut s’attendre à cet horizon : 4,1 % ? 4,2 % ? 4,4 % ? L’objectif des 3 % est repoussé sans cesse, jusqu’en 2019 désormais : autant dire aux calendes grecques !

M. Dominique Lefebvre. Je salue le travail du Haut Conseil, qui s’inscrit dans le cadre des dispositions de la loi organique de décembre 2012, et je partage globalement ses constats et observations, y compris ses interrogations sur les prévisions pour l’après-2015. Je soulignerai cependant que celles contenues dans le projet de loi de programmation et dans les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2015 sont en parfaite cohérence. Je laisserai aux économistes le privilège de débattre des concepts, pour m’intéresser surtout à une question que l’avis du Haut Conseil laisse ouverte : comment envisager le redressement des finances publiques en se fondant sur des hypothèses qui ne tiennent pas compte des politiques européennes de croissance ? Nous savons bien, en effet, que seul le retour à la croissance permettra de résorber les déficits et la dette. Il n’est donc pas infondé d’intégrer les effets de ces possibles politiques dans la mise en œuvre éventuelle du mécanisme de correction. En pratique, les gouvernants sont condamnés à un policy mix qui contribue à relancer l’activité. Quelles sont, dans ces conditions, les réformes structurelles à entreprendre ?

M. Charles de Courson. J’adore cette discussion sur le thème de la « croissance potentielle ». La Commission européenne l’avait estimée, voici deux ans déjà, à 1,2 % du PIB, et je constate avec satisfaction que le Gouvernement reprend désormais cette hypothèse. Mais la croissance potentielle n’est rien d’autre, en réalité, que l’écart entre déficit effectif et déficit structurel, écart qu’elle est censée permettre de mesurer... Or, ce dernier stagne autour de 2 % sans jamais se réduire. Le concept ne me semble donc plus du tout adapté à la période de crise que nous connaissons, et j’estime qu’il faut en revenir tout bonnement à l’observation du déficit effectif.

Par ailleurs, quelles sont les sanctions que l’Union européenne est susceptible de prendre à l’égard de la France pour la non-correction des écarts par rapport à sa trajectoire de réduction du déficit ?

M. le président Gilles Carrez. Karine Berger pourra vous répondre, forte d’avoir eu raison sur l’évaluation à 1,9 % du déficit conjoncturel, comme l’a reconnu le Gouvernement ce matin...

Mme Karine Berger. Ce n’est pas moi qui avais raison, mais notre assemblée, qui avait adopté l’amendement de notre Commission au projet de loi de finances rectificative, amendement malheureusement abandonné en nouvelle lecture...

Nous assistons pour la première fois au processus politique de suivi du déficit structurel au niveau européen, tel que prévu par le traité budgétaire. Le traité met l’accent sur le déficit structurel et non sur le déficit nominal, conformément, d’ailleurs, à la volonté des négociateurs français. Mais le déficit conjoncturel, qui s’obtient par déduction du déficit structurel, livre en vérité une information-clef, puisqu’il indique à quel point du cycle économique le pays se situe, en l’occurrence le point le plus bas depuis dix ans, plus bas encore qu’en 2009 ou en 2010. Le Haut Conseil reconnaît-il cet état de fait et, si oui, quelles mesures préconisent-t-il de prendre ?

M. Charles de Courson. Il n’y a plus de cycles !

Mme Karine Berger. La prévision budgétaire n’est pas un simple exercice de comptabilité ex ante, et l’absence de mesures contre le déficit conjoncturel aggrave encore le déficit structurel de l’année suivante. Vous dites, monsieur le président Migaud, que le Gouvernement ne prend pas de mesures correctrices, mais admettez-vous que la baisse du déficit conjoncturel pourrait avoir un impact récessif sur la situation économique, aggravant encore le déficit structurel de l’an prochain ?

M. Éric Alauzet. À l’origine, les 50 milliards d’euros d’économies annoncés devaient être affectés à la réduction des déficits ainsi que, pour 10 milliards, au financement du CICE. Puis le pacte de responsabilité est arrivé, non ou mal financé, reposant sur le pari d’une augmentation induite de la croissance de 0,5 point. Celle-ci n’a pas eu lieu, tout au contraire. La baisse de la dépense publique ne sert donc plus aujourd’hui à résorber le déficit, mais à financer le pacte de responsabilité dans toutes ses dimensions.

De cette expérience, il faut tirer la leçon que la croissance ne se décrète pas, que les politiques de relance se heurtent à l’inertie du système et qu’il est illusoire de compter sur un électrochoc de confiance, mais aussi qu’une récession continentale entraîne avec elle l’économie française.

J’ajoute cependant que le calcul de la croissance inclut de plus en plus d’éléments négatifs, comme des activités engendrant des maladies dégénératives, au traitement très coûteux, le chômage ou la dégradation de l’environnement, dont le coût est très élevé aussi, tandis que ne sont pas prises en compte des activités contribuant au bien-être et tombant dans le champ de l’économie collaborative ou de l’économie familiale.

M. Olivier Carré. Ou du travail au noir !

M. Éric Alauzet. Il faut s’interroger sur les effets néfastes de la crise et réfléchir à de nouveaux indicateurs qui peuvent nous permettre de sortir de l’ornière.

M. Pascal Cherki. La langue du président Migaud, déployant une grande subtilité, peut être sujette à plusieurs interprétations. Il écrit notamment : « Toutefois cette prévision d’un rattrapage a été annoncée par les pouvoirs publics plusieurs fois sans jamais se réaliser, le scénario de reprise étant décalé d’année en année. Il en résulte, malgré les révisions à la baisse successives de la croissance potentielle, une très longue période d’écart de production fortement négatif. Celle-ci conduit à s’interroger sur l’existence même d’un potentiel de rebond substantiel. »

M. Yves Censi. C’est sans ambiguïté !

M. Pascal Cherki. Est-ce à dire qu’il faille relancer la croissance par un ajustement structurel sévère et une baisse des dépenses publiques ? Ne faut-il pas envisager au contraire un rebond, en intégrant davantage le paramètre de l’environnement européen et en mettant en corrélation les efforts nécessaires en France et la politique qui pourrait être menée au niveau européen ?

M. Christophe Caresche. Je relève un paradoxe entre l’avis de l’an dernier, qui attribuait à la réduction de la dépense publique un caractère récessif – ce qui avait suscité un long débat – et l’avis d’aujourd’hui, qui insiste beaucoup plus sur le problème de la réduction du déficit. Mais peut-être le paradoxe n’est-il qu’apparent et le président Migaud pourra-t-il nous éclairer.

M. Philippe Vigier. Plutôt que d’enclencher le mécanisme de correction, le Gouvernement a préféré, dans sa programmation pluriannuelle, changer la trajectoire même de réduction des déficits, dont l’avis juge au demeurant le succès non garanti. Quant aux 50 milliards d’euros d’économies inscrits dans le programme de stabilité, il n’en dit rien, alors que l’effort constaté semble bien différent de celui annoncé. Quelles réactions faut-il attendre de la part des autres États membres, dont certains, comme la Grèce, ont été contraints de prendre des mesures d’ajustement fortes ?

M. Olivier Carré. Monsieur le président, votre propos laisse songeur, quand on considère l’écart constant entre les déficits annoncés et les déficits exécutés. Le remède choisi, à savoir l’augmentation des impôts, n’a-t-il pas affecté la capacité de croissance de notre économie et partant, sa capacité de résorption des déficits ? Vous connaissez l’effet Laffer, qui veut que « trop d’impôt tue l’impôt »...

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Je ne pourrai répondre en détail à toutes les questions...

La France a retenu une conception minimaliste du comité budgétaire indépendant dont le traité budgétaire a rendu obligatoire la mise en place dans tous les États membres. Dans d’autres pays, comme l’Espagne ou le Royaume-Uni, il revient en effet à ce comité de fixer l’hypothèse de croissance servant de base aux projets de loi de finances. Mais la mission de notre Haut Conseil est strictement définie, de sorte que vous ne pouvez attendre que nous fournissions les réponses aux questions qui vous sont directement posées. De même, je peux seulement vous rappeler les textes, qui prévoient que le Conseil européen décide à la majorité qualifiée des sanctions à infliger.

Le Haut Conseil n’a pas pour mandat de proposer une autre politique économique. Je porte au demeurant une parole collégiale, et il n’y a pas eu de débat en son sein à ce sujet.

À propos des prévisions de croissance, je vous confirme qu’une augmentation du PIB de 0,4 % en 2014 me paraît réaliste, sachant que l’acquis de croissance est aujourd’hui de 0,3 % et qu’une hausse de 0,1 % au dernier trimestre semble crédible. Pour 2015, nous n’avons pas varié en jugeant optimiste l’hypothèse retenue par le Gouvernement. Nous étions-nous trompés sur 2014 ? J’admets que nous avons cru au scénario présenté par le Gouvernement, mais il faut aussi tenir compte de ce qui s’est passé depuis : nous l’avons fait, mais ce n’est pas le cas de tout le monde...

Pour 2015, nous confirmons notre jugement de prudence, sans pouvoir développer nos propres capacités d’analyse économique, mais en nous appuyant sur des enquêtes de conjoncture faites par d’autres. À la lumière de ces dernières, rien n’indique un redémarrage rapide de l’activité.

De même, aucune certitude n’existe quant au fait que le cycle économique serait aujourd’hui à son point le plus bas. Les hypothèses de croissance n’ont cessé d’être corrigées à la baisse. Il serait utile, quand un scénario central est proposé, que des scénarios alternatifs soient également avancés. Nous avons regretté que ce ne soit pas le cas.

Quand nous nous penchons sur la trajectoire de réduction des déficits publics, nous raisonnons par rapport aux engagements que le Gouvernement a fixés et que le Parlement a approuvés. Si un écart est constaté, notre mission est de le dire. Aujourd’hui, plutôt que de corriger les écarts, le Gouvernement propose une nouvelle trajectoire. Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur son choix. Il ne nous revient pas non plus de nous substituer au Conseil européen ou à la Commission européenne pour dire comment les Européens apprécieront cette nouvelle trajectoire, alors que la précédente ne remonte qu’au mois d’avril dernier.

Sur les dépenses, nous constatons un effort réel. La dépense publique est davantage maîtrisée depuis 2011. Mais d’autres pays l’ont réduite, sans se contenter d’en freiner l’augmentation. Cela a-t-il un effet récessif ? Je crois – et c’est plutôt en tant que Premier président de la Cour des comptes que je m’exprime – que vous devez vous interroger sur l’efficacité de la dépense publique. Alors que le chômage est structurel et la formation professionnelle déficiente, tout l’argent employé dans les politiques publiques correspondantes est-il utilement dépensé ? Non, catégoriquement non. La dépense supplémentaire ne couvre pas forcément le besoin supplémentaire lorsque le besoin actuel n’est pas suffisamment couvert. Ceux qui sont le plus éloignés de l’emploi sont ceux qui bénéficient le moins de la politique de formation professionnelle, pourtant dotée de plus de 30 milliards d’euros. Derrière chaque euro mal dépensé se cache cependant généralement quelqu’un qui en bénéficie, et c’est l’intérêt général qu’il faut avoir en tête.

Vous me dites que la réduction de la dépense peut avoir un effet récessif. Pour ma part je pose la question autrement : n’y a-t-il pas des marges permettant de rendre l’action publique plus efficace et plus pertinente au regard des crédits qui lui sont consacrés ? Plus on est attaché à l’action publique, plus on doit être attaché aussi à sa pertinence et à son efficacité. L’indifférence par rapport à l’absence de résultats est absolument choquante, dans un contexte où l’argent manque et où le niveau des prélèvements obligatoires est déjà élevé. Le sujet n’est pas facile ; il y a des réticences, des résistances. Pour avoir suivi vos débats tout à l’heure, j’ai pu vérifier que, chaque fois qu’une économie est proposée, il y a quelqu’un pour demander quelles en seront les conséquences. C’est pourquoi il faut replacer le sujet dans un contexte plus large.

Si l’on raisonne d’un point de vue purement franco-français, on peut dire que, par rapport au passé, l’effort est réel et ambitieux. Mais, comparé à celui consenti par d’autres pays, il ne l’est pas. L’État, le Gouvernement, les pouvoirs publics ont-ils la pleine capacité de maîtriser l’évolution de la dépense et à faire respecter les objectifs fixés ? Nous nous interrogeons. S’agissant, par exemple, des dépenses de personnel, l’État parvient pour sa part à les maîtriser, mais ce n’est pas le cas au niveau des collectivités territoriales et du secteur hospitalier.

Ce n’est pas le Haut Conseil des finances publiques ni la Cour des comptes qui dit que les dépenses de personnel ne doivent pas augmenter de plus de 200 millions d’euros d’une année sur l’autre : c’est vous-mêmes qui avez fixé cet objectif. Vous nous demandez de vérifier dans quelle mesure vous êtes capables de le respecter, sachant que l’État n’est pas en situation de s’engager pour les autres acteurs de la dépense publique, comme les collectivités territoriales, la sécurité sociale, l’Unédic, l’AGIRC ou l’ARRCO. Nous avons écrit que le scénario du Gouvernement reposait principalement sur la maîtrise des dépenses de personnel. Si celles-ci ne sont pas maîtrisées, ce scénario risque fort de ne pas être respecté.

Vous avez vu, d’autre part, que beaucoup d’institutions internationales ont révisé à la baisse leurs estimations de la demande mondiale. L’OMC a revu très sensiblement ses prévisions pour 2014 et 2015. Nous nous demandons si le Gouvernement en a parfaitement tenu compte.

Autre interrogation : quelle est la capacité de nos entreprises à répondre à l’augmentation éventuelle de la demande, compte tenu du problème de compétitivité qui se pose à elles ? Ce que je dis vous paraît peut-être hallucinant, mais il s’agit d’une analyse partagée par d’autres. Personne ne détient la vérité absolue en la matière, et les économistes eux-mêmes ont des points de vue divergents. J’ai l’honneur de présider une instance au sein de laquelle peuvent s’opposer des sensibilités différentes – mais c’est justement tout l’intérêt de la discussion. Nous essayons de vous exprimer un avis aussi unanime que possible, afin de vous apporter le meilleur éclairage compte tenu des missions qui sont les nôtres.

M. le président Gilles Carrez. Comme l’a dit la rapporteure générale, vous n’abordez pas du tout la question du risque de déflation. Pourtant, il me semble que cela pose un problème par rapport aux prévisions macroéconomiques. Je souhaite que vous répondiez aussi sur ce point.

M. Guillaume Bachelay. Monsieur le président Migaud, vous écrivez avoir consulté un certain nombre d’organismes et d’institutions en vue de l’élaboration de votre avis. J’imagine que la Commission européenne, l’OCDE ou encore l’Observatoire français des conjonctures économiques – OFCE – ont évoqué avec vous ce qu’ils pointent dans leurs propres avis, à savoir la déflation dans laquelle pourrait entrer durablement la zone euro. De la même façon que la France doit emprunter un chemin national pour opérer des réformes afin d’améliorer sa compétitivité, l’Union européenne doit soutenir la croissance pour assurer la relance. Pouvez-vous nous donner votre interprétation, même minimaliste, de la conjoncture européenne telle que vous la percevez, car il me semble qu’on ne peut distinguer cet examen de l’avis que vous émettez par ailleurs ?

M. Olivier Carré. La Banque centrale européenne – BCE – a des indications lourdes sur la politique qu’elle met en œuvre. On sait que depuis deux ans, elle est à la manœuvre pour parer au risque déflationniste dans la zone euro et respecter l’objectif, encore éloigné, de 1,5 % à 2 % d’inflation annuelle. Le président de la BCE insiste toujours sur l’adéquation nécessaire entre les politiques budgétaires et la politique monétaire. De ce point de vue, pensez-vous que le budget préparé par le gouvernement français est en phase avec la politique monétaire de M. Draghi ?

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Il y a, bien entendu, des liens entre les politiques conduites au niveau national et celle menée au niveau européen, laquelle peut avoir des conséquences sur les résultats de notre pays. D’ailleurs, nous indiquons clairement que le scénario du Gouvernement pourrait être conforté par une baisse de l’euro. Le Gouvernement, pour sa part, s’est fondé sur une parité de l’euro qui peut être considérée aujourd’hui comme élevée : 1,34 dollar, alors qu’il est descendu depuis lors à 1,25 dollar. On peut donc penser que le scénario est susceptible d’être conforté par cette baisse de l’euro et, à moyen terme, par la mise en œuvre – souhaitable – d’un plan européen d’investissements.

Nous relevons aussi que la BCE a décidé de prendre en considération le risque déflationniste et qu’elle mène une politique qui vise à l’éviter. La BCE et le Gouvernement français estiment que leur politique peut avoir des effets positifs et faire repartir quelque peu l’inflation. Les hypothèses du Gouvernement sont tout à fait plausibles, mais le risque existe que l’inflation reste durablement basse, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner. Il est souhaitable que la politique menée par la BCE ait des effets positifs, mais cela nécessitera un peu de temps. Tout dépendra des réactions et des anticipations des agents économiques.

En tout état de cause, nous reconnaissons naturellement que la politique européenne a des conséquences sur la situation française.

Nous considérons pour notre part que nous vivons une période de faible inflation plutôt que de déflation, même si le risque de déflation doit être pris en considération. Et je ne suis pas surpris qu’il y ait des échanges sur ce sujet entre parlementaires de la zone euro.

La Commission entend Mme Karine Berger et M. Oliver Carré, rapporteurs d’information sur le nouveau système européen de comptabilité nationale.

M. le président Gilles Carrez. L’été dernier, lors de la discussion du collectif budgétaire, Karine Berger et Olivier Carré nous ont proposé de faire le point sur le nouveau système européen de comptabilité nationale et sur ses incidences, et je les remercie d’avoir pris à bras-le-corps ce sujet en apparence particulièrement aride. Il est utile de les entendre aujourd’hui avant d’engager la discussion sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 et le projet de loi de finances pour 2015.

M. Olivier Carré, rapporteur. Le changement introduit par le nouveau système européen de comptabilité nationale est loin d’être négligeable, ainsi que vous allez vous en rendre compte. Il nous a paru important de bien comprendre les éléments de nomenclature, ce qui change et ce qui ne change pas, afin de nous mettre d’accord, majorité et opposition, sur les termes du débat, compte tenu des impacts techniques de cette modification.

Mme Karine Berger, rapporteure. Il s’agit de faire en sorte que le débat technique sur les chiffres ne perturbe pas trop les échanges que nous pourrions avoir sur les décisions de politique économique.

Tous les cinq ans, il est procédé une révision de base comptable, c’est-à-dire que le point de référence des prix est modifié. En effet, plus on s’éloigne du moment où l’on stabilise les prix, plus il est difficile de calculer la valeur ajoutée. Cette révision entraîne à la fois une modification des chiffres de la comptabilité nationale et des changements méthodologiques de calcul des grands agrégats économiques.

Nous appelons votre attention sur la modification des grandeurs macroéconomiques liées à ce changement de base. Les chiffres ont été publiés par l’INSEE à la fin du mois de mai 2014. Selon ces chiffres, le PIB de la France est réévalué de 53 milliards d’euros en 2013, soit 2,6 % de plus, notamment du fait d’une meilleure prise en compte des dépenses de recherche et développement. Ce changement méthodologique est imposé par Eurostat à tous les pays de l’Union européenne, qui sont donc en train de publier leurs chiffres dans cette nouvelle base.

La révision à la hausse du PIB de la France s’accompagne toutefois d’une modification méthodologique de la prise en compte des dépenses publiques et des recettes publiques. Dorénavant, les dépenses publiques devront prendre en compte les crédits d’impôts dits « restituables ».

M. le rapporteur. Comme nous l’a précisé Eurostat, la formule du crédit d’impôt restituable est beaucoup utilisée par la France, l’Italie et l’Irlande. S’il peut être assimilé à une subvention, le montant du crédit à restituer, qui venait auparavant en déduction des recettes, est aujourd’hui assimilé à une dépense. Il y a donc mécaniquement une hausse des recettes comme des dépenses publiques, sans que cela change le solde autrement que de façon très marginale.

M. le président Gilles Carrez. Vous venez de nous dire que le PIB est à réévaluer de 53 milliards d’euros en raison de la prise en compte des dépenses de recherche et développement. Mais celles-ci étaient déjà intégrées. Pourquoi le sont-elles désormais pour un montant plus important ? Et quelles en seront les conséquences dans la durée ?

D’autre part, un certain nombre de dépenses fiscales ont été créées en substitution de dépenses budgétaires. Par exemple, jusqu’en 2008 l’accession à la propriété était favorisée à l’aide de subventions. Il s’agissait donc, dans le budget de l’État, d’un crédit budgétaire ce qui permettait aux banques de diminuer les taux d’intérêt. Depuis, ce système a été transformé en un crédit d’impôt sur l’impôt sur les sociétés des banques. Je souhaite que vous nous donniez quelques exemples, car nous avons du mal à comprendre.

Mme la rapporteure. La hausse de 53 milliards d’euros du PIB est liée au fait qu’un certain nombre de dépenses de recherche et développement des entreprises sont désormais considérées comme des investissements, et non plus comme des consommations intermédiaires. En effet, contrairement à une idée répandue, le PIB n’est pas la somme des productions, mais la somme des valeurs ajoutées, c’est-à-dire des productions de chaque branche, déduction faite des consommations intermédiaires, puisque la consommation intermédiaire d’une branche a nécessairement été produite par une autre. Or, dès lors que l’on considère que l’une de ces consommations intermédiaires est en réalité un investissement, comme c’est le cas d’une grande partie des dépenses de recherche et développement, la valeur ajoutée s’accroît d’autant. Les brevets, par exemple, sont désormais considérés en partie comme de l’investissement, et non plus comme de la consommation intermédiaire, et viennent donc enrichir le PIB.

M. le rapporteur. Karine Berger a rappelé que cette nomenclature serait applicable à tous les pays, mais tous n’ont pas choisi de mettre la même chose à l’intérieur de leur PIB. Si l’élément dont nous parlons a fait l’objet d’un accord unanime, ce n’est pas le cas de l’économie dite parallèle, que les Pays-Bas ont choisi d’incorporer dans leur PIB tandis que la France s’y refuse.

M. Charles de Courson. La prostitution n’était pas intégrée, alors qu’elle l’est maintenant, dans la mesure où elle n’est pas illicite. J’ajoute que, jusqu’à présent, l’armement, y compris la production de bombes atomiques, était considéré comme une dépense intermédiaire !

M. le rapporteur. Vous trouverez la liste exhaustive des crédits d’impôts désormais requalifiés en dépenses publiques à la page 15 de notre communication. Y figure par exemple le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE –, dont le montant est estimé à 10,8 milliards d’euros en 2014. Quant au crédit d’impôt recherche – CIR –, il avait été considéré comme une réduction d’impôt, avant de l’être comme une dépense effective dans la mesure où il s’agit d’une créance de l’État vis-à-vis d’un contribuable.

M. le président Gilles Carrez. Le terme « restituable » signifie que le crédit est restituable par l’État au bénéficiaire.

M. le rapporteur. La question des emplois de service à domicile est complexe car on distingue deux catégories de ménages : ceux dont les deux membres travaillent ou sont à la recherche d’un emploi, et ceux dont l’un des deux membres ne travaille pas. Dans cette deuxième catégorie, contrairement à la première, le gain fiscal est une déduction d’impôt, mais il n’y a pas de crédit restituable.

M. le président Gilles Carrez. Dans cette logique, la prime pour l’emploi – PPE – devrait être intégrée pour partie seulement.

Mme la rapporteure. Dès lors qu’une partie d’une dépense fiscale est un crédit d’impôt, elle est entièrement classée en dépenses. On peut le regretter, mais c’est ainsi. Quant au CICE, une partie de la somme est accordée sous la forme d’une réduction d’impôt sur les sociétés et une autre sous la forme d’un chèque donné à des entreprises. Mais l’intégralité du crédit d’impôt est inscrite en dépenses.

M. Charles de Courson. C’est la Cour des comptes qui avait préconisé ce système pour la PPE. Dans le tableau figure la partie imputée sur l’impôt sur le revenu.

Mme Monique Rabin. Si j’ai bien compris, cette nouvelle nomenclature devrait favoriser les comparaisons européennes. Avez-vous pu constater que notre pays aidait davantage les particuliers que les autres pays ?

Mme la rapporteure. À ce stade, nous ne pouvons pas vous répondre, car la France est l’un des seuls pays, pour l’instant, à avoir publié ses chiffres. Nous avons posé la question à Eurostat, qui nous a indiqué que deux autres pays seraient dans le même cas que nous et que les comparaisons seraient possibles dès le 21 octobre. Il semble cependant que la France, en matière de crédits d’impôt restituables, soit dans une situation un peu particulière du fait du CICE.

Mme Christine Pires Beaune. Si, en matière de calcul du PIB, tous les pays européens adoptent les mêmes règles comptables, en revanche les périmètres peuvent varier d’un pays à l’autre ; je pense notamment à la prostitution, qui est incluse dans le PIB des Pays-Bas.

Mme la rapporteure. Les différences sont marginales. Eurostat a accepté que la France, qui s’y refusait pour des raisons politiques assez évidentes, n’inclue pas la prostitution dans le périmètre du PIB. Cependant, les mécanismes de calcul du PIB sont extrêmement encadrés dans tous les pays européens.

J’en viens aux conséquences de l’application du nouveau système sur les ratios de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires, car c’est sans doute ce point qui fera l’objet des échanges les plus politiques dans les semaines qui viennent. Un tableau qui figure dans le texte qui vous a été distribué retrace l’historique des ratios de dépenses et de recettes publiques calculés en base 2005 et en base 2010. On s’aperçoit que, pour 2012 et 2013, les taux de dépenses publiques sont identiques quelle que soit la base retenue. Cela s’explique par le fait qu’on a réévalué, d’une part, les dépenses de 16 milliards d’euros au titre des crédits d’impôts et, d’autre part, le PIB de 53 milliards d’euros. À ce stade, la révision des bases n’emporte donc pas de modification des ratios.

M. le rapporteur. Mais c’est un effet arithmétique, le « hasard des chiffres », car la méthodologie a radicalement changé. Les ratios évolueront donc certainement à la hausse.

Mme la rapporteure. C’est pourquoi le tableau suivant retrace l’évolution des recettes et des dépenses publiques en milliards d’euros. Ainsi, on s’aperçoit qu’en 2013 la dépense publique s’est élevée à 1 176 milliards selon la base 2005 et de 1 207 milliards selon la base 2010. L’intégration du CICE aux dépenses publiques, à partir de 2014-2015, aura des effets visibles. À ce propos, j’appelle votre attention sur le fait que, dans la présentation du budget qu’il a faite ce matin, le Gouvernement a retenu la nouvelle base, mais n’a pas appliqué la nouvelle méthodologie, c’est-à-dire qu’il n’a pas comptabilisé les crédits d’impôt restituables dans les dépenses. Or, il nous semble nécessaire qu’il assure une double publication s’agissant des dépenses publiques – l’une sans les crédits d’impôts restituables, l’autre avec ces crédits d’impôts restituables – car c’est sur ce point que nous serons jugés au niveau européen. C’est la première recommandation que nous souhaitons faire.

Par ailleurs, le taux de prélèvements obligatoires n’est pas soumis à la méthodologie européenne. Ainsi l’INSEE continue de « netter » les crédits d’impôts : il ne relève pas les prélèvements obligatoires pour tenir compte de leur nouveau traitement. Nous pensons que c’est une bonne idée, mais il faut avoir conscience que la Commission européenne n’aura pas forcément fait le même choix que nous en la matière.

M. le rapporteur. Mon opinion diverge de celle de Karine Berger sur ce point. Il me semble en effet utile de disposer du taux brut de prélèvements obligatoires ; il nous aurait permis de constater que ceux-ci continueront d’augmenter l’année prochaine, notamment pour financer le CICE. Dans la présentation du budget qui a été faite ce matin, ces transferts apparaissent comme neutres alors qu’au lieu de baisser de 0,1 point, les prélèvements obligatoires augmenteront sans doute de 0,4 point. Le taux de prélèvement augmentera pour certains et diminuera pour ceux qui bénéficieront du CICE.

En choisissant le crédit d’impôt, un gouvernement, quel qu’il soit, bénéficie d’un « effet bonneteau » puisque, sous cette forme, la subvention n’apparaît pas dans les dépenses de l’État. La nouvelle méthodologie permet donc d’évaluer de manière plus sûre les politiques menées et d’observer une éventuelle dérive de la recette ou de la dépense publique. En l’espèce, on constate un accroissement de celles-ci, qui traduit bien l’emprise de la collectivité – État, fonds sociaux – sur le fonctionnement global de l’économie.

Mme la rapporteure générale. Quelle est la méthodologie qui a été utilisée pour la présentation qui a été faite ce matin ?

Mme la rapporteure. Les dépenses publiques telles que publiées dans le projet de loi de programmation ont été évaluées selon la nouvelle base, mais elles ne comprennent pas les crédits d’impôt. Nous n’avons pas voulu, Olivier Carré et moi, aborder la question de savoir s’il était justifié ou non de comptabiliser ces derniers dans les dépenses publiques ; nous avons simplement cherché à comprendre quelles étaient les demandes d’Eurostat. Or, ces demandes portent sur la comptabilisation des crédits d’impôt dans les dépenses publiques. C’est pourquoi nous recommandons que celles-ci soient publiées hors crédits d’impôts – car on peut s’interroger sur ce mode de comptabilisation – et crédits d’impôts compris – parce que c’est le chiffre que publiera Eurostat. En revanche, le taux de prélèvements obligatoires sera publié tel quel.

M. Charles de Courson. Ce matin, j’ai interrogé les ministres sur ce point. Les taux de dépenses publiques, qui sont en effet publiés hors crédits d’impôts, sont les suivants : 56,4 % en 2013, 56,5 % en 2014 et 56,1 % en 2015. On constate donc une baisse de 0,4 point. Mais, si l’on inclut les crédits d’impôts, on observe une augmentation de 0,3 point. Je ne les ai pas interrogés sur le taux de prélèvements obligatoires, mais il faudrait le redresser du même montant.

Mme la rapporteure. Non !

M. Charles de Courson. Nous sommes tous d’accord pour que les crédits d’impôts soient comptabilisés dans les dépenses, de manière à éviter que les gouvernements successifs ne privilégient cet outil fiscal pour faire croire que la dépense n’augmente pas. En revanche, je suis en désaccord avec Karine Berger sur la question du taux de prélèvements obligatoires : ceux-ci doivent également, par souci de cohérence, faire l’objet d’une double publication.

Mme la rapporteure. Notre objectif était de vous éclairer sur ce qui est imposé par Eurostat – c’est-à-dire le nouveau mode de calcul du PIB et des dépenses publiques – et ce qui ne l’est pas. La présentation du taux de prélèvements obligatoires reste à l’appréciation des instituts de statistiques nationaux. En tout état de cause, pour notre Commission, le fait de disposer d’informations sur la partie « crédits d’impôts » de la dépense publique est un progrès important. J’ajoute que nous recommandons également que figurent dans la loi de règlement les chiffres des crédits d’impôts exécutés, qui sont maintenant comptabilisés comme des dépenses.

M. le président Gilles Carrez. La présentation du Gouvernement reste inchangée : il déduit les crédits d’impôts du montant des prélèvements obligatoires.

Je m’étonne que notre déficit public de 2013, qui avait été estimé à 4,3 %, ait été évalué à 4,2 % en juin et maintenant à 4,1 %. Cette évolution est-elle liée à des changements comptables ? La question me paraît importante, car le fait que le déficit public de 2014 soit légèrement supérieur à celui de 2013 est mauvais à tous égards. S’il avait été égal, voire légèrement inférieur à celui de 2013, la politique de trajectoire des déficits du Gouvernement aurait été beaucoup plus facile à défendre.

Mme la rapporteure. C’est en effet lié à un mécanisme comptable. Outre le changement de base, le PIB a évolué. Pour une année « n », l’écart moyen de taux de croissance entre la première publication du PIB et la troisième, qui intervient à « n +2 », est de 0,3 point. L’INSEE est amené à modifier son évaluation en fonction des informations qu’il collecte sur le PIB de l’année 2013. C’est un phénomène assez classique, qui est renforcé par le changement de base.

M. le président Gilles Carrez. Il me paraît nécessaire que le Gouvernement intègre cet élément dans sa communication, car les chiffres du déficit sont très médiatisés. Tout le monde comprend que la trajectoire de réduction des déficits ralentisse, mais une augmentation entre 2013 et 2014 sera considérée comme un accident ou une preuve d’impuissance. Si une partie de l’explication est comptable, le Gouvernement doit le souligner ; or, il ne l’a pas fait.

M. le rapporteur. Le dénominateur ayant augmenté, le ratio a mécaniquement diminué. Dès lors, si l’on constate, en appliquant cette méthode, un accroissement du ratio, c’est que le numérateur, c’est-à-dire le déficit constaté en euros, a augmenté sensiblement plus. S’il y a un effet de base, il est favorable à la diminution du déficit budgétaire.

Mme la rapporteure. La question du président Carrez est pertinente : la réduction du ratio liée à l’augmentation du dénominateur est plus forte que prévu en 2013, et c’est probablement ce qui explique cette baisse d’un dixième.

M. le rapporteur. Si l’on prend les anciennes bases, la croissance nominale du PIB est de 1,35 % ; avec les nouvelles, elle est révisée à 1,08 %. On a donc un effet de base défavorable de 0,27 point.

Mme Christine Pires Beaune. Le montant des dépenses publiques va donner lieu à des comparaisons entre pays de la zone euro. Le niveau des crédits d’impôt restituables est-il largement supérieur en France à ce qu’il est chez nos voisins ?

Mme la rapporteure. Selon Eurostat, outre la France, deux pays se distinguent par leur niveau élevé de crédits d’impôts, l’Italie et l’Irlande. Mais, avec le CICE, nous risquons d’être, de très loin, le pays qui recourt le plus à cet outil fiscal. Toutefois, le changement de méthodologie produira, chez nos voisins, des effets dans d’autres domaines. Nous mettons l’accent sur les crédits d’impôts restituables, précisément parce que la France est principalement concernée par ce type de dispositif.

M. le président Gilles Carrez. Je tiens à remercier nos collègues Karine Berger et Olivier Carré pour ce travail très utile, portant sur des questions qui sont loin d’être neutres ou purement techniques, car leurs conséquences vont bien au-delà, ainsi que nous venons de le voir.

Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 1er octobre 2014 à 16 h 30

Présents. - M. Éric Alauzet, M. François André, M. Guillaume Bachelay, M. Jean-Marie Beffara, Mme Karine Berger, M. Étienne Blanc, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Yves Censi, M. Jérôme Chartier, M. Pascal Cherki, M. Romain Colas, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jean-Louis Dumont, M. Yann Galut, M. Marc Goua, M. Régis Juanico, M. Jean Lassalle, M. Dominique Lefebvre, M. Pierre-Alain Muet, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Dominique Baert, M. Alain Claeys, M. Pierre Moscovici, M. Thierry Robert

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