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La Commission entend M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques, sur la certification des comptes de l’État – exercice 2014 –, sur le rapport de la Cour relatif aux résultats et à la gestion budgétaire de l’exercice 2014 et sur l’avis du Haut Conseil relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2014.
M. le président Gilles Carrez. Je souhaite la bienvenue à un hôte coutumier de cette commission, M. Didier Migaud. Nous l’avions auditionné, le 15 avril dernier, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, sur les prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité ; il nous présentera aujourd’hui l’avis relatif au solde structurel des administrations publiques, adopté le 22 mai dernier par le Haut Conseil. Mais c’est aussi en tant que Premier président de la Cour des comptes qu’il va ouvrir nos travaux sur le projet de loi de règlement pour 2014, adopté ce mercredi en Conseil des ministres, en nous présentant l’acte de certification des comptes de l’État et le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire pour 2014, adoptés par la Cour des comptes le 20 mai.
Compte tenu de l’importance extrême de la loi de règlement, nous envisageons, avec la rapporteure générale, d’auditionner plusieurs responsables de programme, afin de les interroger sur l’utilisation des crédits pour 2014, les objectifs, les performances et les indicateurs. Nous leur demanderons également de nous donner leur sentiment sur la régulation budgétaire, de plus en plus importante puisqu’elle touche désormais 8 % des crédits, ce qui est considérable.
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Comme chaque année, je suis très heureux d’être auditionné par votre Commission, au moment de la publication des travaux que la loi organique relative aux lois de finances – LOLF – commande à la Cour de produire pour le Parlement, en amont de la discussion du projet de loi de règlement. Ces travaux portent respectivement sur les comptes et le budget de l’État en 2014. Consacrés uniquement à l’État pour le dernier exercice clos, ils ne portent pas sur les autres administrations publiques – sécurité sociale et collectivités territoriales. Ils vous apporteront un matériau utile pour l’analyse des comptes et du budget de l’État. Le rapport annuel de la Cour sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui sera rendu public fin juin, vous apportera des informations complémentaires et actualisées. Il couvrira, lui, l’ensemble des administrations publiques.
Pour vous présenter ces rapports, se trouvent à mes côtés Raoul Briet, président de chambre, qui préside la formation interchambres chargée de leur préparation, et Henri Paul, président de chambre et rapporteur général du comité du rapport public et des programmes.
Les travaux sur lesquels s’appuient ces documents ont été réalisés par des équipes animées respectivement par Dominique Pannier, conseiller maître, Lionel Vareille, conseiller référendaire, et Laurent Zérah, expert, pour l’acte de certification ; par les équipes animées par Catherine Périn, conseiller maître, Sébastien Justum, auditeur, et Louis-Paul Pelé, rapporteurs, pour le rapport sur le budget de l’État en 2014. Les contre-rapporteurs étaient respectivement Jean-Pierre Laboureix et Christian Charpy, conseillers maîtres.
J’aborderai successivement et de façon aussi concise que possible le contenu de ces deux documents, qui synthétisent chacun un travail très riche, avant de répondre à vos questions. Mais avant cela, je veux mentionner devant vous une innovation qui a accompagné la publication de ces travaux. Pour la première fois cette année, la Cour des comptes a profité de cette occasion pour mettre en ligne sur son site plusieurs jeux de données publiques, répertoriés sur la plateforme data.gouv.fr. Il s’agit notamment de l’exécution budgétaire de 2012 à 2014, mission par mission, programme par programme, action par action. Il s’agit aussi du bilan et du compte de résultats de 2006 à 2011. Cette mise en ligne permet à tout un chacun d’accéder à ces informations dans un format numérique directement et librement réutilisable, pour réaliser des infographies… ou refaire les calculs de la Cour ! Cette démarche s’inscrit dans une démarche globale de l’État visant à une plus grande ouverture des données publiques, dans le souci de rendre la gouvernance publique plus transparente, conformément à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Depuis 2006, en application des dispositions de la LOLF, la Cour a procédé, à neuf reprises, à un examen approfondi des comptes de l’État. Ces comptes sont arrêtés par le ministre des Finances et intégrés dans le projet de loi de règlement qui vous est soumis par le Gouvernement.
L’acte qui est porté à votre connaissance aujourd’hui a pour objet de vous fournir une information, une opinion motivée, sur la régularité, la sincérité et la fidélité de l’image que donnent les documents produits par l’État sur sa situation financière.
Trois chiffres-clés, aisés à retenir, permettent d’appréhender synthétiquement le bilan de l’État au 31 décembre 2014 : d’une part, le passif total s’élève à environ 2 000 milliards d’euros ; d’autre part, le total des actifs atteint presque 1 000 milliards d’euros – ainsi, la situation nette de l’État est négative, d’environ 1 000 milliards d’euros ; enfin, les engagements hors bilan de l’État dépassent 3 000 milliards d’euros, pour atteindre 3 400 milliards d’euros.
Au titre de l’exercice 2014, la Cour certifie que les comptes de l’État donnent une image fidèle de sa situation financière. Mais, pour la neuvième fois, elle assortit cette certification de réserves. Elle en formule, cette année encore, cinq, substantielles, qui présentent le même libellé que l’an dernier.
Trois d’entre elles présentent un caractère quasi systémique.
Premièrement, le système d’information financière de l’État, constitué de Chorus et de plus de trois cents autres applications informatiques, reste complexe, coûteux, peu sûr et exposé à des risques d’erreurs.
Deuxièmement, les ministères peinent encore à organiser et à piloter de manière satisfaisante leurs dispositifs ministériels de contrôle et d’audit internes.
Troisièmement, la comptabilisation des produits régaliens, c’est-à-dire du produit des impôts, pâtit des insuffisances des données fiscales et des contrôles qui leur sont appliqués.
Les deux autres réserves substantielles concernent, d’une part, les actifs et passifs du ministère de la Défense et, d’autre part, les immobilisations financières de l’État.
En ce qui concerne les actifs et passifs du ministère de la Défense, des incertitudes persistent sur les inventaires de stocks et de matériels, sur l’évaluation de ces biens et sur le recensement et l’évaluation par le ministère de ses actifs immobiliers.
Pour ce qui est des immobilisations financières de l’État, il n’est pas possible de se prononcer sur la fiabilité de l’évaluation d’un grand nombre de participations financières.
La synthèse qui vous a été remise comporte un tableau retraçant l’évolution des réserves dans le temps. Elle met en évidence les efforts réalisés par l’administration depuis 2006, premier exercice soumis à la certification, qui ont permis la levée progressive de réserves substantielles – au nombre de treize la première année.
Le fait que les réserves substantielles soient, comme l’année dernière, au nombre de cinq et qu’elles aient le même libellé ne veut pas dire que rien n’a changé sur le fond, ni qu’aucun progrès n’est à enregistrer, ni davantage qu’aucun constat d’audit nouveau n’est apparu. En y regardant de plus près, la stabilité globale apparente cache en réalité une poursuite de la dynamique d’amélioration de ce que l’on appelle parfois la qualité comptable.
La Cour a ainsi constaté de multiples évolutions, qui vont dans le bon sens : trente-sept parties de réserves font l’objet d’une levée dans l’acte ; la moitié de ces levées
– dix-sept sur trente-sept – porte sur la réserve n° 4 concernant les actifs et passifs du ministère de la Défense, notamment l’évaluation des stocks de munitions, des biens mis à la disposition d’industriels ainsi que des coûts de démantèlement des réacteurs des sous-marins nucléaires et du porte-avions Charles-de-Gaulle ; d’autres levées interviennent sur des sujets anciens et sensibles, comme l’évaluation de la quote-part de la France au Fonds monétaire international – FMI – ou la comptabilisation des contrats de désendettement et de développement.
En conclusion, la Cour est extrêmement attentive aux efforts consentis par l’administration en matière de gestion comptable et financière. Ils permettent d’accroître la fiabilité des comptes, sous le regard attentif du certificateur, et peuvent être utilisés comme un levier de modernisation de l’organisation et du fonctionnement des administrations.
Nous travaillons en ce moment même sur une publication prévue pour fin 2015 ou début 2016, qui s’efforcera de dresser le bilan, dix ans après, de la mise en place de la comptabilité générale de l’État et des perspectives d’évolution suggérées pour tirer pleinement partie de cette innovation, en particulier dans la gestion publique.
J’en viens au rapport sur le budget de l’État en 2014. Ce travail apporte un éclairage sur les finances de l’État, en analysant l’exécution budgétaire, sous deux perspectives : d’une part, par rapport à l’exécution de l’année précédente, en l’occurrence 2013 ; d’autre part, au regard des prévisions qui figurent dans la loi de finances initiale – LFI – de l’année.
Ce rapport est livré avec cinquante-neuf analyses de la gestion des missions budgétaires, deux analyses de l’exécution des recettes, fiscales et non fiscales, et, nouveauté pour cette année, une analyse des dépenses fiscales. Ce sont plus de deux mille pages, qui vous apportent une information riche, dans la perspective de l’examen du projet de loi de règlement. Le rapport mis en ligne sur le site de la Cour comportera des liens directs vers chacune de ces analyses, pour en faciliter l’exploitation. Je rappelle que ce travail ne traite que du seul budget de l’État en 2014 et non de l’ensemble des finances publiques. Le rapport de juin sur la situation et les perspectives des finances publiques portera, lui, sur l’ensemble des administrations publiques.
La Cour dresse quatre constats : premièrement, la réduction du déficit budgétaire de l’État a été interrompue ; deuxièmement, la dette de l’État a continué de progresser à un rythme soutenu ; troisièmement, les recettes fiscales se sont de nouveau révélées inférieures aux prévisions ; quatrièmement enfin, les dépenses de l’État ont été stabilisées, moyennant toutefois des opérations budgétaires contestables.
La Cour constate donc en premier lieu que la réduction du déficit budgétaire, amorcée depuis 2010, a été interrompue en 2014. Ce déficit, de 85,6 milliards d’euros, est en hausse de 10,7 milliards par rapport à 2013. Il représente plus de trois mois de dépenses du budget général.
On pourrait penser que ce sont les dépenses exceptionnelles, notamment le lancement du deuxième programme d’investissements d’avenir – PIA –, qui sont responsables de cette hausse. Ce n’est pas le cas : même retraité des dépenses exceptionnelles, le déficit augmente de 5,5 milliards d’euros par rapport à 2013.
En réalité, la croissance et l’inflation, plus faibles que prévu, ont affecté fortement l’exécution du budget. D’une part, les prévisions de recettes ont été trop optimistes : les recettes totales nettes, après remboursements et dégrèvements d’impôts, ont, pour la première fois depuis 2009 et de façon inhabituelle, baissé de 6 milliards d’euros par rapport à 2013. D’autre part, les ajustements en dépenses ont été trop tardifs et insuffisants pour contenir le dérapage du solde budgétaire. Ainsi, les dépenses nettes du budget général ont augmenté de 4,2 milliards d’euros.
En deuxième lieu, la Cour observe que la dette de l’État a continué de progresser à un rythme soutenu en 2014. Fin 2014, elle atteignait 1 528 milliards d’euros, contre 1 457 milliards d’euros fin 2013. Il s’agit d’une augmentation de 71 milliards en un an. Par voie de conséquence, l’État a connu un besoin de financement total, avec le renouvellement des emprunts arrivant à échéance, de 179 milliards d’euros, montant supérieur aux prévisions. À noter d’ailleurs que ce montant sera plus important encore pour 2015, puisqu’il s’élèvera à 188 milliards d’euros, montant inégalé d’émissions de titres de dette, qui s’explique notamment par l’arrivée à échéance des emprunts contractés au plus fort de la crise.
La charge de la dette, qui s’est élevée à 43,2 milliards d’euros en 2014, continue à baisser. Elle représente 1,7 milliard d’euros de moins qu’en 2013, grâce à des taux d’intérêt exceptionnellement bas. Mais il ne faut pas s’y tromper : les taux d’intérêt nominaux très bas ne garantissent pas la soutenabilité de la dette. En 2014, pour seulement stabiliser le poids de la dette dans le PIB, il aurait fallu limiter le déficit à 11 milliards d’euros, soit sept à huit fois moins que le niveau constaté – 85,6 milliards d’euros. Il faut a fortiori veiller à ce que ces taux d’intérêts bas n’agissent pas comme des anesthésiants, empêchant l’État de prendre les décisions propres à restaurer la crédibilité de nos finances publiques. Le réveil n’en serait que plus douloureux.
M. Henri Emmanuelli. Vous préféreriez donc des taux élevés…
M. le Premier président de la Cour des comptes. Ce n’est pas tout à fait ce que j’ai dit, monsieur le député.
Troisième constat de la Cour : en 2014, les recettes fiscales nettes se sont à nouveau révélées inférieures aux prévisions. Elles ont représenté 274,3 milliards d’euros, soit 9,7 milliards d’euros de moins que prévu. Cela s’explique d’abord par plusieurs mesures importantes de diminution des recettes fiscales : d’une part les mesures qui ont réduit le rendement de l’impôt sur le bénéfice des sociétés de 11,3 milliards d’euros, notamment l’entrée en vigueur du crédit d’impôt pour la compétitivité et de l’emploi – CICE –, pour un montant de 6 milliards d’euros ; d’autre part, la réduction de l’impôt sur le revenu adoptée en loi de finances rectificative en août 2014, dont le coût est évalué à 1,3 milliard d’euros.
Par ailleurs, les prévisions de recettes fiscales en LFI restent toujours aussi fragiles. Pour la troisième année consécutive, la croissance spontanée des recettes fiscales a été inférieure à la prévision en LFI. Les hypothèses économiques retenues par le Gouvernement ont été trop optimistes – nous l’avions dit à l’époque –, et l’estimation de l’élasticité des recettes par rapport à la croissance a été fixée à un niveau trop élevé – prévue à 1,3 elle s’est in fine révélée égale à - 0,1. Pour toutes ces raisons, la Cour recommande à nouveau de continuer à renforcer la qualité et la transparence des prévisions de recettes fiscales, même si quelques pas en ce sens ont été réalisés.
En matière de recettes fiscales, la Cour relève néanmoins deux points a priori positifs, pour malgré tout les nuancer. D’une part, en matière de lutte contre la fraude fiscale, le nouveau service de traitement des déclarations rectificatives a permis d’encaisser 1,7 milliard d’euros, soit 300 millions d’euros de plus que prévu. C’est évidemment une bonne nouvelle, mais elle est à nuancer, puisque ce surcroît de recettes n’a pas permis, contrairement aux prévisions, de compenser le coût de 1,3 milliard d’euros de la réduction forfaitaire d’impôt sur le revenu adoptée en août 2014. D’autre part, les dépenses fiscales ont été revues à la baisse, en raison du moindre coût du CICE – 6,5 milliards d’euros au lieu des 9,8 milliards prévus. C’est aussi une nouvelle positive, même s’il convient de relever que le montant des dépenses fiscales, hors CICE, a déjà été revu à la hausse dans le projet de loi de finances – PLF – pour 2015. Plus généralement, la Cour constate que la maîtrise des dépenses fiscales reste déficiente. L’évaluation de l’efficience de ces dépenses continue à relever de l’exception. Elle est rarement le fait des administrations.
Les dépenses de l’État ont été stabilisées en 2014. Mais elles l’ont parfois été en procédant à des opérations budgétaires contestables. C’est le quatrième et dernier constat de la Cour dans son rapport sur le budget de l’État en 2014.
Je rappelle que, d’un point de vue méthodologique, pour apprécier l’effort réalisé en termes de maîtrise de la dépense, il est nécessaire de raisonner sur des périmètres comparables. Il faut en particulier procéder à plusieurs retraitements. Par exemple, les dépenses exceptionnelles doivent être exclues : il s’agit notamment des programmes d’investissements d’avenir et du financement du mécanisme européen de stabilité et de la Banque européenne d’investissement. De manière symétrique, s’agissant des PIA, il faut réintégrer les décaissements réalisés par les opérateurs pour le compte de l’État.
Sur ce périmètre, je le disais, la Cour dresse un constat de stabilité entre 2013 et 2014. Cette stabilité, qui est déjà un progrès, a été acquise grâce à une charge de la dette en recul de 1,7 milliard d’euros par rapport à 2013. Mais, dans le même temps, il faut être conscient que certains postes de dépenses croissent de nouveau. C’est le cas des dépenses de personnel qui, globalement, augmentent de 1 % pour atteindre un montant de 80,6 milliards d’euros. La masse salariale connaît une légère progression en 2014, alors qu’elle avait été stabilisée en 2012 et 2013. La contribution de l’État employeur au compte d’affectation spéciale – CAS – Pensions continue, elle aussi, à progresser de près de 3 %.
Les normes de dépenses, plus strictes et plus ambitieuses que les années précédentes, ont été respectées, moyennant toutefois des opérations budgétaires parfois contestables. Ainsi, le plafond de la norme « 0 valeur » a été abaissé de 3,3 milliards d’euros. Mais la définition restrictive du périmètre de la norme de dépenses « 0 valeur » a conduit à l’exclusion de certaines dépenses. Par exemple, le Gouvernement a écarté les décaissements effectués dans le cadre des PIA, soit 3,3 milliards. À cet égard, le dispositif dérogatoire mis en place pour le PIA a largement été utilisé pour combler des insuffisances de crédits budgétaires, en particulier au profit du ministère de la Défense, à hauteur de 2 milliards d’euros. Ces opérations de débudgétisation et de substitution de crédits dérogent aux principes fondamentaux d’annualité, d’universalité et d’unité budgétaires. Elles faussent l’appréciation des résultats de l’exécution.
Par ailleurs, comme les années précédentes, la dépense a davantage été contenue par l’effet de la régulation infra-annuelle que par des mesures pérennes. Concrètement, la réserve de précaution a atteint un montant inégalé de 9,3 milliards d’euros. Cela étant, la Cour constate in fine que les annulations – hors charge de la dette – ont été d’un niveau de 4,3 milliards d’euros, quasi identique à celui de 2013 – 4,4 milliards d’euros. Et les reports de charges sur 2015 sont croissants, comme en atteste l’augmentation de la dette de l’État à l’égard de la sécurité sociale.
S’agissant enfin des conditions de l’exécution du budget de l’État en 2014, comme les années précédentes, la Cour a observé des sous-budgétisations persistantes. C’est notamment le cas pour les opérations extérieures de la défense, pour l’hébergement d’urgence, pour les aides personnalisées au logement – APL –, pour l’allocation aux adultes handicapés – AAH –, pour l’aide médicale de l’État – AME – ou encore pour le revenu de solidarité active – RSA.
Dans ce contexte, la Cour pointe plusieurs incertitudes sur l’exécution du budget en 2015, par exemple l’évolution des recettes fiscales, avec la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité et de solidarité. La Cour constate aussi que la dette de l’État envers les organismes de sécurité sociale augmente, puisqu’elle s’établit à 368 millions d’euros fin 2014 contre 249 millions fin 2013.
Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin reviendra de façon détaillée et complémentaire sur ces risques, pour ce qui concerne le périmètre « toutes administrations publiques ».
La Cour s’est également intéressée à la démarche de performance. Elle remarque que la qualité des indicateurs s’améliore, mais que les outils d’analyse font toujours défaut, alors que les résultats des indicateurs de performance devraient être rapprochés des coûts afin d’éclairer au mieux les choix budgétaires. Ce constat vaut notamment pour le suivi de la performance des missions prioritaires Enseignement scolaire et Travail et emploi, dont les indicateurs n’ont pas été complétés pour mesurer les effets des moyens supplémentaires attribués. Globalement, nous considérons toujours que l’appréciation de l’efficience des dépenses reste insuffisante.
Avant de conclure cette présentation, je veux évoquer le compte rendu du suivi des recommandations contenues dans les précédents rapports sur le budget de l’État, qui fait l’objet d’un développement détaillé à la fin du rapport. Ce suivi met en évidence une meilleure mise en œuvre des recommandations, y compris pour celles formulées dans le rapport sur le budget de l’État en 2013. En moins d’un an, près de deux tiers des recommandations formulées dans ce rapport 2013 ont été totalement ou partiellement mises en œuvre. Cela démontre que la démarche de la Cour est bien comprise par l’administration : il s’agit à la fois d’un contrôle de l’exécution du budget de l’État et d’un accompagnement dans le sens de son amélioration continue. Je souhaite que ces échanges, positifs pour l’intérêt général, se poursuivent pour les recommandations qui n’ont pas encore été mises en œuvre.
Cela m’amène à conclure sur l’intérêt de construire le budget sur des hypothèses prudentes lors de la loi de finances initiale et sur la nécessité, pour mieux assurer la maîtrise de la dépense publique, d’en finir avec la politique du rabot, pour procéder à des choix explicites, plus conformes aux engagements pris par le Gouvernement.
La soixantaine d’analyses par mission qui sont jointes au rapport vous fournissent une matière riche. Ainsi, celle qui porte sur la mission Défense entre par exemple dans le détail de la sous-budgétisation ou de l’absence de budgétisation de dépenses récurrentes et prévisibles, comme les opérations extérieures ou Louvois. L’analyse de la mission Écologie conduit à la conclusion qu’il faut supprimer l’Agence de financement des infrastructures de transport de France – AFITF –, recommandation récurrente de la Cour. En ce qui concerne la mission Justice, la Cour observe une sous-exécution des crédits accordés, alors même que la mission est considérée par le Gouvernement comme prioritaire. Dans le même temps, certaines réformes structurelles, comme la mise en place de la plateforme des interceptions judiciaires, n’ont pas toujours produit les effets escomptés.
Lorsque nous avions présenté notre rapport public annuel, un de nos messages portait sur le décalage observé entre les annonces, les engagements et les résultats réellement obtenus. Nous constatons souvent que qualité du service public ne rime pas forcément avec quantité de dépense publique, et le projet de loi de règlement, qui pourrait d’ailleurs s’intituler « projet de loi de résultats », est probablement le meilleur moment pour vérifier que vos décisions ont été effectivement mises en œuvre et qu’elles ont atteint leurs objectifs. À travers ses rapports, la Cour souhaite en tout cas contribuer à ce qu’une attention plus grande soit portée aux résultats.
M. le président Gilles Carrez. L’exécution des comptes pour 2014 nous donne l’occasion de nous intéresser aux finances publiques, qui ne font pas toujours partie de nos priorités quotidiennes, ce qui est peut-être le symptôme d’un optimisme financier un peu béat inspiré par des taux d’intérêt si bas que plus on s’endette, moins ça coûte !
Je retiens de votre intervention trois éléments : d’une part, le déficit progresse de 10,7 milliards d’euros par rapport à 2013, ce qui est considérable ; d’autre part, les recettes fiscales sont inférieures de 10 milliards d’euros aux prévisions, ce qui est tout aussi considérable ; enfin, et c’est une spécificité française, avec un déficit de 85,5 milliards d’euros en 2014, nous sommes en déficit primaire de plus de 40 milliards d’euros. En d’autres termes, si l’on fait table rase du passé et que l’on défalque du déficit les 43 milliards d’euros d’intérêts liés à la gestion de nos prédécesseurs, les dépenses restent supérieures de plus de 40 milliards d’euros par rapport aux recettes. Quant à la dette du seul État, elle a progressé de 71 milliards en 2014 pour atteindre 1 528 milliards d’euros. Il n’y a qu’une bonne nouvelle, c’est la relative maîtrise des dépenses, dont la progression a ralenti, y compris par rapport à la précédente législature.
Dans ces conditions, j’estime que nous devons prêter une très grande attention à l’exécution des comptes et en tirer des conclusions pour l’avenir. Or, les mêmes causes produisant les mêmes effets, compte tenu de la faible inflation et du fait que, pour la troisième année consécutive en 2014, la recette fiscale spontanée ne progresse pas mais régresse, il y a lieu de s’inquiéter pour l’exécution du budget de 2015. D’autant que se sont ajoutées à ce budget, depuis le début de l’année, toute une série de dépenses nouvelles, et pas seulement dans le domaine militaire – Jean Launay, rapporteur pour avis du projet de loi de programmation militaire que nous avons examiné hier en commission, a confirmé qu’il restait des incertitudes sur les crédits budgétaires pour 2015 – et le domaine de la sécurité.
Dans ces conditions mon rôle de président de la commission des Finances est de vous avertir qu’il ne serait ni raisonnable ni lucide de ne pas faire un point en milieu d’année, raison pour laquelle je plaide vigoureusement pour que nous nous livrions à un premier examen du budget 2015 sur les six premiers mois de l’année, par le biais d’un collectif budgétaire. J’espère obtenir votre soutien sur cette proposition.
Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Je commence par remercier la Cour des comptes pour l’importance et la qualité de ce travail de certification.
Vous souhaitez que les dépenses liées au PIA soient intégrées aux dépenses de l’État. Je m’en étonne : si la Cour avait déjà émis cette recommandation en 2010, elle n’a jamais été mise en œuvre. Seule une toute petite partie des dépenses du PIA sont normalement intégrées aux dépenses de l’État, et nous pourrions après tout y réfléchir, mais pourquoi soulever ce point maintenant ?
Les recettes seront en 2014 inférieures à la fois à leur niveau de 2013 et aux prévisions faites en loi de finances initiale. Sur ce point, il me paraît essentiel de bien préciser les rôles respectifs du Parlement et de la Cour des comptes : il faut distinguer, dans les baisses de recettes, ce qui résulte d’événements particuliers, de fluctuations de paramètres économiques ou de prévisions trop optimistes de ce qui résulte de choix politiques. Cette distinction, si elle apparaît dans le texte, n’est pas toujours très claire dans votre plan. Je le regrette.
Le Haut Conseil des finances publiques salue l’effort réalisé par le Gouvernement pour améliorer le solde structurel, qui est meilleur que prévu. Les efforts consentis sur les dépenses sont donc bien réels. N’y a-t-il pas là une contradiction entre le Premier président de la Cour des comptes que vous êtes et le président du Haut Conseil des finances publiques que vous êtes également ?
Enfin, j’approuve vos recommandations, à l’exception de la première : en effet, elle soulève une question intéressante, mais pour que le solde structurel et le solde conjoncturel figurent dans les lois de finances, il faudrait que leur méthode de calcul soit transparente et que nous disposions, en particulier, d’un calcul précis et stable de la croissance potentielle. Ce n’est pas le cas. J’approuve la quatrième recommandation à condition, je le répète, de bien distinguer décisions d’élasticité et choix politiques. Les septième et huitième recommandations visent à élargir le périmètre des normes des dépenses, ce qui revient à changer de thermomètre : cela appelle une réflexion d’ensemble.
M. Dominique Lefebvre. Monsieur le président de la Commission, je vais essayer de ramener un peu de sérénité dans ce débat : vos énervements sont généralement, nous le savons, fonction des reproches que vous vous adressez sans doute pour avoir accompagné la dérive des finances publiques lorsque vous étiez rapporteur général de notre Commission, entre 2002 et 2012.
Je remercie la Cour des comptes, dont l’indépendance est garantie par la Constitution, du travail effectué pour remplir ses missions qui lui sont confiées. J’ai lu ce rapport de certification avec le plus grand intérêt. Le nombre des levées de réserves partielles montre, je crois, qu’il faut commencer par féliciter les administrations pour leur mobilisation et leurs efforts, soulignés, je crois, par la Cour. C’est l’exploitation en gestion de la comptabilité générale qui demeure pour l’avenir en débat.
Sur l’exécution budgétaire, je respecte la séparation des pouvoirs et je ne porterai donc pas de jugement sur la présentation retenue par la Cour des résultats de 2014. Personne néanmoins ne me fera croire que cette présentation est uniquement comptable : la Cour devrait s’abstenir de remettre en cause, même implicitement, les choix souverains du Parlement – même si sa mission est d’éclairer l’opinion sur les conséquences de ces choix. En effet, il y a entre la majorité parlementaire et la Cour un accord sur un point : les chiffres eux-mêmes, qui figureront dans la loi de règlement. Mais il y a un désaccord, réel, qui n’est pas nouveau mais qui s’accentue, sur la présentation et l’interprétation des résultats. Je m’interroge sur les méthodes employées, et en particulier sur l’analyse des efforts consentis, je l’ai dit, par les différentes administrations, et qui n’avaient jamais été menés auparavant. C’est là un désaccord de méthode, mais qui repose sur un désaccord de fond sur les choix de politique économique et budgétaire.
Ainsi, je lis dans votre rapport que « le déficit budgétaire s’est alourdi par rapport à 2013 et n’est pas conforme aux autorisations de la loi de finances initiale ». Pouvez-vous m’éclairer sur la portée juridique d’une telle phrase ? Je ne suis pas spécialiste de la LOLF, mais il me semble que la loi de finances initiale est une autorisation de prélever l’impôt, une autorisation de dépenses et un plafond de dette ; en revanche, je ne sais pas ce qu’est une autorisation de déficit – à moins que vous ne vouliez dire que le déficit doit être à tout prix contenu, alors même qu’il peut varier, notamment sous l’effet de l’évolution des recettes, qui est liée à la conjoncture.
Le niveau du déficit a été assumé politiquement par cette majorité, et voté en loi de finances initiale. Je souligne, en outre, que son accroissement résulte de l’inscription de 12 milliards d’euros au titre des programmes d’investissements d’avenir : sans cette somme, le déficit passerait de 85 à 73,6 milliards d’euros et serait donc en recul. Vous calculez que le solde budgétaire hors dépenses exceptionnelles était déficitaire de 66,73 milliards en 2013, et de 70,30 milliards en 2014. La Cour aurait pu souligner – et c’est là que la présentation joue un rôle dans la compréhension – que cet accroissement est dû à une baisse de 10 milliards des recettes, ce qui s’explique notamment par la conjoncture, mais aussi à une économie de dépenses de 2,6 milliards. Cette majorité ne s’est donc pas contentée de constater une absence de recettes ; elle a pris des mesures pour restreindre les dépenses.
Quant à la référence constante à la loi de programmation, en droit, l’année 2014 relevait en effet d’une précédente loi. Mais l’histoire a tourné : dès le printemps 2014, lors de la discussion du programme de stabilité, nous avons débattu de ce problème, et nous avons adopté une nouvelle loi de programmation à la fin de l’année, tenant compte à la fois de la conjoncture et de nos choix de politique économique et budgétaire.
Nous considérons donc que, selon nos indicateurs, le déficit budgétaire de l’État est en baisse ; vous considérez qu’il est en hausse. Vous dites que la dépense de l’État est stabilisée ; à notre sens, elle a diminué de 2 milliards d’euros hors dépenses exceptionnelles. Cette diminution est absolument sans précédent, et la Cour aurait pu mettre davantage ce point en valeur. Les dépenses sont inférieures à l’autorisation parlementaire de 6 milliards d’euros, ce qui est également sans précédent à ma connaissance. La Cour reconnaît que les normes de dépenses ont été respectées, alors même qu’elles avaient été durcies par la loi de finances rectificative. Hors éléments exceptionnels, je trouve même une baisse de 1,9 milliard d’euros.
Le débat porte sur l’instrument de pilotage et sur les normes : c’est un débat politique, et un débat de méthode. La Cour – ce n’est pas nouveau – souhaite un élargissement de la norme en volume et en valeur. Puisque la discussion porte essentiellement sur le PIA et les dépenses exceptionnelles, elle estime que ces dépenses doivent être financées dans le cadre de la norme : elle conteste ainsi, pour être clair, la trajectoire de redressement des finances publiques telle qu’elle a été décidée par le Parlement pour des raisons de politique économique et de stratégie de retour à la croissance. La façon de prendre en compte le PIA préconisée par la Cour revient en effet à exiger un effort de réduction des dépenses publiques supérieur à ce que nous souhaitons, pour des raisons de stratégie économique et budgétaire.
De ce point de vue, le Gouvernement et la majorité parlementaire sont mieux écoutés et mieux compris à Bruxelles qu’ils ne le sont rue Cambon.
M. Hervé Mariton. Chacun aura compris que les investissements d’avenir sont au cœur de nos débats. Il y a là une part de débudgétisation, contraire à leur esprit initial : cette part s’aggrave-t-elle ? La situation change du tout au tout selon que les investissements d’avenir se substituent, ou pas, à une dépense traditionnelle, ordinaire, de l’État : au-delà de l’exemple déjà donné des dépenses de défense, la Cour a-t-elle évalué l’ampleur de ce phénomène de substitution, et là encore, s’aggrave-t-il ?
Vous avez évoqué l’évolution des dépenses en 2014. D’après les données présentées par l’exécutif lui-même, celles-ci vont augmenter, en volume, en 2015. Quelle est l’appréciation de la Cour sur l’évolution en 2014 et sur cette dégradation prévue en 2015, au regard de la trajectoire des finances publiques ?
Pour ma part, j’estime, comme la rapporteure générale, que la première recommandation de la Cour est tout à fait opportune, notamment parce qu’elle apporterait des précisions et des engagements sur la composition du solde en solde structurel et conjoncturel. Ces notions sont intéressantes, mais elles doivent être définies avec plus de précision, et la présentation de ces chiffres dans la loi de finances initiale, puis dans la loi de règlement, me paraîtrait de nature à nous permettre de progresser dans la compréhension de ces notions. Ces chiffres servent aujourd’hui principalement à communiquer ; ils pourraient nous devenir vraiment utiles.
Enfin, les septième et huitième recommandations nous paraissent tout à fait justifiées, notamment en raison des incertitudes sur les dépenses liées aux investissements d’avenir.
M. Charles de Courson. Permettez-moi de m’étonner du tour que prend l’audition du Premier président de la Cour des comptes et des présidents de chambre, et du ton employé ici – même si, après vingt-deux ans de vie politique, je sais bien qu’il convient de faire croire à ce qui n’est pas vrai.
Venons-en au fond : nous ne discutons hélas que fort peu de l’exécution budgétaire, sur laquelle nous devrions au contraire concentrer nos travaux. Tout ce qui peut être prétendu lors de la loi de finances initiale a en effet peu de valeur au regard de l’exécution.
Mon cher collègue, contestez-vous les observations de la Cour des comptes sur les pertes de recettes ? Vous vous êtes acharné, ici même, à expliquer que les hypothèses de croissance du Gouvernement étaient justes : nous devions atteindre 0,9 %, voire 1 %. Mais nous n’en sommes qu’à 0,2 %, d’après les derniers calculs de l’INSEE. Je comprends bien que cela vous fasse mal ! Mais pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas voulu corriger des prévisions qu’il savait complètement dépassées ? Je vais vous le dire : le Gouvernement voulait éviter les polémiques au sein de sa majorité. Le problème est chez vous, il n’est pas à la Cour !
La Cour traite par ailleurs de la dépense fiscale, qui n’est pas maîtrisée. Vous vous gargarisiez de dépenses fiscales qui devaient être en baisse ; or, à 72,3 milliards d’euros, elles sont en hausse, hors même le CICE ! La Cour constate ce phénomène, mais n’en donne pas les raisons. Quelles sont-elles, monsieur le Premier président ?
Quant au CICE, estimé à 9,8 milliards d’euros, il n’atteint finalement que 6,5 milliards. Que se passe-t-il ?
La dette de l’État n’est pas de 1 528 milliards, mes chers collègues ; elle est de 2 007 milliards. Or, l’actif n’est que 989 milliards. Notre situation nette comptable est donc déficitaire de 1 018 milliards – sans même compter les engagements hors bilan. Dans n’importe quelle entreprise…
M. Henri Emmanuelli. Nous ne sommes pas dans une entreprise, justement !
M. Charles de Courson. Oh, bien sûr – jusqu’au jour où plus personne ne voudra vous prêter d’argent ! Regardez ce qui est arrivé à certains de nos voisins.
M. Henri Emmanuelli. Mais c’est ridicule ! Regardez donc les taux !
M. Charles de Courson. Ce qui est grave, c’est que notre situation nette est négative de 1 000 milliards et que la somme des déficits passés se situe au-delà des 1 300 milliards... Autrement dit, l’essentiel de la dette publique a financé un déficit de fonctionnement, et non des dépenses d’investissements. Le rappeler à temps et à contretemps n’intéresse personne, je le sais bien ; mais c’est bien là le fond des choses.
S’agissant des dépenses, je note que les reports s’accroissent fortement, passant de 1,4 à 2,4 milliards d’euros, alors que la tendance jusqu’ici était plutôt à la baisse. Par ailleurs, les annulations ne traduisent pas une stratégie de réduction de la dépense, politique par politique. La Cour a raison sur ce point, la stratégie de régulation de la dépense n’a pas beaucoup changé. Tout cela rend de plus en plus difficile la gestion des ministères et des missions dont ils sont chargés : il serait intéressant que la Cour nous fasse le point sur ce sujet.
M. Éric Alauzet. La réduction du déficit budgétaire, indique la Cour, a été interrompue en 2014. Bien sûr, la croissance et l’inflation, mais aussi des prévisions trop optimistes – comme souvent, mais apparemment de moins en moins, ce qui est une bonne nouvelle – sont en cause. Mais il me semble que votre rapport n’insiste pas suffisamment sur les effets de la mise en route du CICE, qui représente tout de même 6,5 milliards, c’est-à-dire l’essentiel des 10 milliards de moindres recettes fiscales. O,r cette décision, prise en 2012, a été assumée politiquement. On peut donc comprendre la bienveillance de l’Union européenne, puisque la quasi-stabilité du déficit est due aux aides versées aux entreprises, et non pas à une plus faible action dans le sens de la diminution des dépenses publiques. Le CICE, c’est la nouveauté de 2014, et cela aurait mérité d’être mieux mis en évidence.
S’agissant des recettes fiscales, la baisse constatée s’explique par un ralentissement de l’activité. Je regrette toutefois que la Cour insiste infiniment plus sur les dépenses que sur les recettes : je peux comprendre l’obsession des dépenses, et même la partager, mais les recettes – et donc la question de la fraude et de l’évasion fiscales – constituent une question tout aussi importante pour nos finances publiques. En ce sens, j’approuve particulièrement la sixième de vos recommandations, qui permettrait de mieux évaluer les effets des dépenses fiscales, et donc des « niches fiscales ».
M. Christophe Caresche. J’aimerais comprendre un peu mieux la stratégie de l’opposition, et en particulier de l’UMP : je lis ce matin une interview de la numéro 2 de ce parti, qui explique qu’il faudra, en 2017, baisser les impôts de 100 milliards et « assumer un déficit plus important pendant quelques années ». On nous reproche une dégradation du déficit, tout en proposant de le dégrader bien plus encore ! Il serait bon, chers collègues, que vous accordiez vos violons.
Je regrette que nous n’ayons pas commencé par l’audition du président du Haut Conseil des finances publiques : cela nous aurait apporté un éclairage différent, et notamment une perspective macro-économique. Le Haut Conseil montre en effet que, malgré une croissance décevante, le déficit structurel s’est amélioré, et même plus qu’il n’était prévu. On peut bien parler du déficit nominal qui se dégrade, mais la réalité, c’est que la trajectoire structurelle est bonne.
Mme Marie-Christine Dalloz. Merci, monsieur le Premier président, pour ce moment de vérité sur les comptes de l’État. Vous souhaitez que le Gouvernement formule des hypothèses prudentes ; vous demandez une rupture avec la politique de réduction systématique, aveugle, des dépenses et vous préféreriez des choix politiques explicites ; vous estimez que les ajustements tardifs des dépenses en loi de finances rectificative ont nui à la lisibilité des chiffres.
Je voudrais que le Gouvernement nous entende, sorte de la communication et nous donne, au mois de juillet 2015, les moyens de faire le point sur la situation financière réelle de la France. Les recettes fiscales ont diminué en 2013, puis en 2014 : que se passera-t-il en 2015 ? Je nourris de grandes craintes à ce sujet.
J’approuve entièrement vos recommandations, et notamment la dernière, qui porte sur les opérateurs de l’État : il faut vérifier ce qui se passe chez eux.
M. Alain Fauré. Ce rapport me paraît ambigu à l’égard de la politique budgétaire du Gouvernement : il ne montre pas l’effort exceptionnel de réduction des dépenses de fonctionnement de l’État, le noyant au contraire dans une présentation qui insiste sur la hausse des dépenses. N’aurait-il pas été plus juste de distinguer les dépenses de fonctionnement de celles d’investissement ? Je pense notamment au PIA, susceptible d’apporter un retour sur investissement... C’est là une dépense beaucoup plus saine.
Il me semble d’ailleurs, comme l’a dit Mme la rapporteure générale, qu’il serait légitime de présenter les dépenses liées au PIA de la même manière que par le passé.
Les prévisions de recettes pour 2014 sont fondées sur des chiffres qui ont été qualifiés de « plausibles » lors du dépôt du projet de loi des finances par le Haut Conseil des finances publiques et de « réalistes » en avril lors de la discussion du programme de stabilité. La dégradation économique a été plus forte que prévu, les prévisions ont été revues, tout au long de l’année par différents textes. Le rapport de la Cour considère aujourd’hui que ces prévisions étaient « irréalistes » : quel poids accorde la Cour à l’organisme indépendant qu’est le Haut Conseil des finances publiques ?
Mme Arlette Grosskost. À mon tour de m’inquiéter des incertitudes qui pèsent sur les recettes. Le nombre des demandes de remise gracieuse, partielle ou totale, de l’impôt sur le revenu est en forte augmentation : les services fiscaux ont reçu près de 1,2 million de demandes en 2014, ce qui représentait une hausse de 20 % par rapport à 2013. Au moment où l’on parle de prélèvement à la source, que faut-il penser de ces demandes ? Quel est leur effet sur le budget ?
Vous relevez également que « le recensement et l’évaluation des engagements hors bilan de nature fiscale donnés par l’État ou reçus par lui accusent un retard important par rapport aux autres domaines des comptes ». Est-ce à dire que vous n’avez pas pu les contrôler, alors qu’ils sont très importants et que les comptes de la nation doivent être sincères ?
Mme Eva Sas. Ce rapport me semble sévère : certes, les recettes fiscales ont été moindres que prévu, mais un ajustement en cours d’année a permis de maîtriser le déficit.
En tant que rapporteure spéciale de la mission Remboursements et dégrèvements
– la première de l’État, pour un montant de 96 milliards d’euros – je vous rejoins sur le fait que les remboursements d’impôts locaux consentis par l’État à des familles défavorisées devraient relever des dépenses d’intervention, au lieu d’être comptabilisés comme de moindres recettes fiscales. Cela fait plusieurs années que nous préconisons ce changement : il faudrait, sur ce point, passer aux actes. De la même façon, certaines dépenses fiscales – remboursements de CICE, par exemple – qui relèvent aujourd’hui de la mission Remboursements et dégrèvements devraient rejoindre les différentes missions. Nous y verrions plus clair : aujourd’hui, cette mission représente des montants bien trop importants, ce qui fausse nos analyses.
Sur l’analyse de l’efficience des dépenses fiscales, je vous rejoins entièrement. Vous regrettez que l’évaluation ne soit pas toujours faite. Parfois, elle l’est, sans pour autant être suivie d’effet ! Je pense notamment au crédit d’impôt recherche – CIR : les rapports sur ses dérives et sur les possibilités d’optimisation fiscale qu’il offre sont maintenant nombreux. Il faudrait donc agir.
Enfin, comme Mme la rapporteure générale, je ne comprends pas que vous demandiez l’intégration des investissements d’avenir à la norme « zéro valeur ». Je n’ai pas besoin de rappeler ici que ce n’est pas au cours de cette législature que le programme d’investissements d’avenir a été lancé ; ces dépenses sont d’une nature profondément différente, et il me semble important de les maintenir à part – la timide reprise que nous constatons aujourd’hui ne pourra durer que si nous parvenons à relancer l’investissement. Ce n’est pas du tout le moment d’intégrer le programme d’investissements d’avenir dans le périmètre des dépenses publiques.
Mme Véronique Louwagie. Merci de votre présentation, monsieur le Premier président. L’examen de l’exécution budgétaire est un moment de vérité. Or, les chiffres sont catastrophiques : le déficit budgétaire est en hausse de plus de 10 milliards d’euros ; la dette progresse à un rythme soutenu, pour atteindre 1 528 milliards d’euros ; les recettes sont très inférieures – d’environ 10 milliards – aux prévisions. Pourtant, au-delà même de la prudence des prévisions, que vous préconisez à juste titre, il est de la responsabilité du Gouvernement de veiller à leur sincérité – essentielle en matière budgétaire – et à leur réalisme.
Vous avez également parlé de rompre avec la politique du rabot par des choix explicites. Soulignons à cet égard que la fin de gestion 2014 aura nécessité l’ouverture de 2,9 milliards d’euros sur le budget général et que les crédits d’intervention connaissent une dérive préoccupante qui appelle des réformes de structure.
Les engagements hors bilan représentent 3 400 milliards d’euros, une somme non négligeable puisqu’elle correspond à trois fois le montant de la situation nette des comptes de l’État, en déficit de 1 000 milliards. J’aimerais en savoir davantage sur l’évolution de ces engagements au cours des dernières années et sur celle qu’ils sont susceptibles de connaître à l’avenir.
Mme Karine Berger. Le hors bilan de l’État n’a jamais été établi, Madame, ni par l’INSEE, ni par la direction du budget, puisqu’il n’y a pas d’obligation en la matière.
Monsieur le Premier président, à la page 4 de son document du 26 mars 2015 sur les finances publiques de l’année 2014, l’INSEE procède comme chaque année au passage du solde d’exécution des lois de finances au déficit de l’État en comptabilité nationale – le seul dont il soit tenu compte au sens de Maastricht. Ce qui, comme chaque année, suppose des corrections : en 2014, elles correspondent principalement à la participation de la France au mécanisme européen de stabilité – MES – ainsi qu’à la partie non consommable du deuxième programme d’investissements d’avenir, pour 3,3 milliards d’euros. En d’autres termes, comme d’habitude, l’INSEE rappelle que cette partie ne relève pas du déficit public au sens de Maastricht. Voilà d’ailleurs pourquoi la Cour des comptes a jusqu’alors toujours considéré qu’elle n’avait pas à être commentée. Pour quelle raison choisissez-vous aujourd’hui, contre l’avis formulé par l’INSEE au mois de mars, de revenir sur cet acquis ? Si les PIA doivent selon vous faire l’objet d’un commentaire, pourquoi ne serait-ce pas aussi le cas du MES ? Et, dans l’hypothèse où vous tiendriez compte de l’ensemble de ces éléments, pourquoi avoir attendu cette année pour le faire ?
La Cour des comptes envisage-t-elle d’ailleurs de commenter un jour le déficit de l’État en comptabilité nationale – celui qui est notifié par la France à la Commission européenne –, et non simplement en solde d’exécution ? Ainsi calculée, son évolution au cours des trois dernières années n’appellerait pas les mêmes critiques de votre part.
Vous avez dit par ailleurs que le lien entre l’évolution des taux d’intérêt et le solde stabilisant de la dette n’était pas automatique. J’en suis surprise. D’abord, la Cour des comptes n’a pas de raison de calculer le solde stabilisant de la dette publique lorsqu’elle exerce sa mission de validation des comptes de l’État. Évidemment, si vous souhaitez le faire, c’est intéressant. Mais alors je ne vois pas comment, du point de vue économique, la baisse des taux d’intérêt pourrait ne pas freiner la dette. La France emprunte actuellement à 0,7 % sur les marchés financiers tandis que notre croissance nominale a atteint 0,8 %, alors même que l’année dernière correspondait à un point bas. Puisque la croissance nominale est supérieure aux taux d’intérêt, la situation est favorable : nous créons chaque année plus de richesse que nous n’avons besoin d’en dégager pour faire face à l’évolution des intérêts de la dette ; or, c’est bien là ce qui détermine la stabilisation d’une dette. Ainsi, selon mes calculs, depuis 2012, du seul fait de la baisse des taux d’intérêt, notre capacité à stabiliser notre déficit s’est appréciée d’une dizaine de milliards d’euros. Que vouliez-vous donc dire exactement, monsieur le Premier président ?
M. Dominique Baert. Vous avez souligné la hausse des dépenses de personnel, qui, selon le titre de la partie qui leur est consacrée, page 130 du rapport, seraient « insuffisamment maîtrisées ». Permettez-moi de m’en étonner. L’augmentation des dépenses de personnel, qui n’est pas en elle-même une surprise puisqu’elle était prévue en loi de finances initiale, n’a atteint en 2014 que 1 %, soit 0,27 % hors contributions au CAS Pensions et hors fonds de concours. La Cour souligne elle-même que « le respect de l’objectif du budget triennal 2013-2015 d’une augmentation cumulée de la masse salariale de l’État limitée à 1 % reste accessible ». Bref, on a plutôt l’impression que, malgré les revalorisations catégorielles, et grâce à la politique de stabilisation de l’emploi public et de limitation aux ministères prioritaires des créations de postes, c’est un effort substantiel qui a été consenti pour maîtriser les dépenses de personnel – surtout par rapport aux exercices antérieurs, en particulier à la décennie qui vient de s’écouler.
M. Jean Launay. Mes questions porteront sur le budget de la défense, dont il a été assez longuement question dans votre présentation. J’entends bien le risque de sous-budgétisation concernant les crédits de personnel du titre 2. Rappelons simplement qu’au ministère de la Défense, la « manœuvre RH », qui est engagée, demeure complexe, plus encore après la récente décision d’atténuer la déflation des effectifs, prise à la suite du dernier Conseil de défense.
J’approuve également la réserve substantielle de la Cour concernant les immobilisations et les stocks gérés par le ministère de la Défense. Elle orientera le travail que je conduirai comme rapporteur spécial au cours de l’année à venir, en lien avec le ministère.
En revanche, monsieur le Premier président, je suis moins la Cour sur deux autres sujets. D’abord, la sous-budgétisation des opérations extérieures – OPEX : il s’agit en réalité, on le sait, d’une manœuvre tactique destinée à faire jouer la solidarité interministérielle au-delà des 450 millions d’euros budgétés en 2014 comme en 2015 : c’est un choix politique que nous devons assumer.
Quant au PIA, il ne me semble personnellement pas malsain de considérer que, parmi les dépenses de l’État et de ses opérateurs, les dépenses d’investissement sont plutôt vertueuses. À ce sujet, le rapport, page 130, paraît dire tout et son contraire : d’un côté, on ne pourrait « s’accommoder d’une situation qui verrait se constituer de façon permanente, à côté du budget de l’État, un budget exceptionnel d’investissements d’avenir » ; de l’autre, « ceci ne remet en cause ni l’intérêt des investissements d’avenir ni la gouvernance rénovée des programmes et leur évaluation ».
Monsieur le président de la Commission, je n’ai pas dit hier qu’il existait des incertitudes quant au budget, mais que je préférais venir devant la commission des Finances pour aborder l’actualisation décidée à la suite du Conseil de défense. Plus précisément, j’ai estimé qu’une loi de finances rectificative était nécessaire pour confirmer l’actualisation de la loi de programmation militaire dont nous débattons cette semaine et pour acter, dès que possible, la transformation en crédits budgétaires de recettes exceptionnelles dont nous connaissons tous depuis longtemps le caractère incertain, lié en particulier à la cession de la bande des 700 MHz. J’ai enfin insisté sur la nécessité de nous montrer vigilants compte tenu des inquiétudes qui entourent, comme il est de coutume dans notre pays, ce que l’on appelle le dialogue de fin de gestion.
M. le Premier président de la Cour des comptes. Je reconnais volontiers qu’il n’est pas facile, mesdames et messieurs les députés, de formuler des remarques sur un rapport que, pour beaucoup d’entre vous, vous découvrez. Cette situation peut expliquer certains malentendus ou erreurs d’interprétation que, j’en suis sûr, une lecture plus attentive permettra de dissiper.
Ainsi, la Cour n’observe pas une augmentation de la dépense, monsieur Fauré, mais sa stabilisation. En revanche, nous sommes en désaccord avec ceux qui parlent d’une réduction de la dépense. Nous ne sous-estimons pas le résultat obtenu : la stabilité est un progrès par rapport à des années où la dépense était très peu maîtrisée, quels qu’aient été d’ailleurs les gouvernements en place. Bref, ne sur-interprétez pas nos propos.
Je suis d’accord avec plusieurs d’entre vous, notamment Mme la rapporteure générale, pour distinguer, s’agissant des recettes, ce qui relève de décisions souveraines, discrétionnaires, politiques, de ce qui correspond à des hypothèses imprudentes ou à de mauvais calculs de Bercy. Je l’ai fait dans mon exposé comme nous le faisons dans le rapport. Les hypothèses trop optimistes de croissance ou d’élasticité des recettes, notamment des recettes fiscales de l’État, ne sont pas placées sur le même plan que des mesures comme le CICE ou la suppression de la première tranche d’impôt sur le revenu, qui résultent d’une volonté politique. Je ne comprends donc pas que certains d’entre vous puissent dire que la Cour met en cause vos choix souverains ! Nous nous contentons d’en constater les conséquences ; à vous de les apprécier.
De même, la Cour ne porte pas de jugement sur la trajectoire de redressement des comptes, ni sur son rythme. Elle se contente de déterminer si celle que vous avez vous-mêmes fixée est respectée.
Ne craignez aucune contradiction entre la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques. En réalité, nous ne parlons pas de la même chose, comme j’ai pris la précaution de vous le dire à plusieurs reprises : le rapport de la Cour porte sur l’exécution du budget de l’État, en comptabilité budgétaire ; le Haut Conseil, lui, raisonne toutes administrations publiques confondues, en comptabilité nationale. Dès lors, leurs points de vue ne peuvent que différer. Vous verrez bien s’il y a contradiction au mois de juin, lorsque nous analyserons la situation toutes administrations publiques confondues. En fait, vous le verrez alors, les deux institutions sont complémentaires.
Quant à ce que le Haut Conseil peut juger positif à propos du solde structurel, permettez-moi de vous rappeler que la trajectoire a été modifiée par la loi de programmation que vous avez votée en décembre et qui a aussi revu la croissance potentielle. Les références ne sont donc pas les mêmes. Dès lors, effectivement, comparaison n’est pas raison. Bref, il n’y a pas la moindre contradiction entre le rapport de la Cour sur l’exécution du budget et ce que peut dire le Haut Conseil à partir de l’article liminaire du projet de loi de règlement, toutes administrations publiques confondues, je le répète, et en comptabilité nationale.
Nous aurons l’occasion de reparler du PIA puisqu’il fait l’objet d’un travail en cours que nous espérons vous présenter à l’automne. Vous conviendrez en tout cas que lorsqu’un programme qui devait être exceptionnel connaît sa deuxième édition, voire la troisième, l’exercice change de nature. Du reste, le budget de l’État comprend des dépenses d’investissement, et non pas simplement des dépenses de fonctionnement. Dès lors, pourquoi faudrait-il exclure celles-là du budget ? En tant que parlementaires, vous devriez résister à cette tendance. La Cour l’a dit à plusieurs reprises à propos de débudgétisation ; je me souviens à cet égard de rapports plus anciens, dans une vie antérieure où nous occupions les uns et les autres des positions différentes. C’est un point sur lequel l’ensemble des parlementaires pourraient tomber d’accord, car tout ce qui peut nuire à la transparence ou à la lisibilité des dépenses de l’État devrait être évité.
Nous expliquerons nos calculs, mais nous n’avons pas inventé le solde budgétaire de l’État : il figure dans les comptes de Bercy. C’est en le retraitant pour distinguer ce qui est exceptionnel de ce qui ne l’est pas que nous constatons la stabilisation de la dépense, et non la hausse que l’on aurait pu déceler à première vue.
N’y a-t-il pas substitution lorsque, dès lors que les recettes attendues ne sont pas au rendez-vous, près de 2 milliards d’euros de dépenses qui étaient inscrits dans le budget de la défense se retrouvent financés dans le cadre du PIA ? Bercy peut bien estimer que la Cour a modifié cette année sa manière de compter ; en réalité, ce n’est pas nous qui avons modifié notre mode de calcul, mais c’est le PIA qui a changé de nature, perdant son caractère exceptionnel.
Les opérateurs méritent la plus grande attention. Longtemps, ils n’ont pas été astreints aux mêmes règles que les administrations de l’État ; depuis quelques années, cela a changé. Encore faut-il se donner les moyens de suivre vraiment leur action, car, ici aussi, il peut exister un décalage entre la volonté affichée par l’État et la réalité de l’exécution par les opérateurs.
Entendons-nous bien : la question n’est pas de savoir si nous sommes sévères. Nous ne donnons pas d’appréciation. Certains d’entre vous disent que nous jugeons, mais, en l’occurrence, ce n’est pas le cas : en ce qui concerne le budget de l’État, nous sommes bien plutôt comptables ou notaires ; nous constatons la réalité, et raisonnons par référence à l’exécution précédente. Nous n’entrons pas dans une logique politique.
Monsieur le député Lefebvre, la Cour des comptes, dites-vous, serait plus sévère que Bruxelles ; mais, là encore, comparaison n’est pas raison. Bruxelles est une autorité politique avec laquelle vous négociez, d’autorité à autorité. La Cour des comptes est une juridiction. On ne négocie pas avec la Cour des comptes à propos de la présentation des chiffres et des constats. Nous ne sommes pas souverains ; c’est vous qui l’êtes, c’est vous qui décidez.
M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes, président de la formation interchambres « Exécution du budget et comptes de l’État ». J’ajouterai à l’intention de M. Lefebvre et de Mme Berger que nous n’ignorons pas la comptabilité nationale : j’ai même apporté avec moi INSEE Première ! Simplement, s’agissant du budget de l’État, nous analysons des comptes qui sont en comptabilité budgétaire ; lorsque nous parlerons en juin des finances publiques en général, nous raisonnerons en comptabilité nationale.
En comptabilité budgétaire, nous aurions pu nous en tenir aux chiffres bruts livrés par le Gouvernement : pour le solde budgétaire constaté, une détérioration de 10 milliards d’euros et, du côté de la dépense, une progression de 4 milliards, compte tenu des versements aux opérateurs au titre du PIA et des dépenses exceptionnelles correspondant à des opérations en capital au MES ou à la Banque européenne d’investissement. Nous avons préféré retraiter ces données pour parvenir à une vision plus proche de la réalité économique, comme on le voit aux pages 21 et 37 du rapport, et pour mieux apprécier les résultats et l’évolution de la dépense.
Mais voici peut-être ce qui ne plaît pas au ministère des Finances : si l’on accepte d’exclure les quelque 11 milliards de décaissements consentis en une seule fois aux opérateurs – qui sont après tout des entités publiques –, pour apprécier l’évolution réelle des résultats et des dépenses d’une année sur l’autre, il faut bien intégrer les décaissements auxquels ces opérateurs procèdent pour le compte de l’État, au moyen de ressources dont l’État les a dotés au cours des années précédentes. Voilà comment nous concluons à la stabilité de la dépense générée par l’État.
Au titre du PIA, les décaissements ont connu une accélération importante, passant de 2 milliards d’euros en 2013 à 4 en 2014, dont une partie non négligeable pour le PIA 2. Vous trouverez aux pages 128 à 130 une longue liste de dépenses qui ont été financées par des crédits du PIA alors qu’elles l’étaient auparavant par le budget général, voire qu’il était prévu de financer par le budget général en loi de finances initiale et qui ont changé de mode de financement en cours d’exercice.
Madame Rabault, nous avons bien constaté que les recommandations que nous avions formulées à propos du premier PIA n’étaient pas entendues ; nous continuons d’échanger année après année avec le ministère des Finances à ce sujet ; il nous a semblé d’autant plus légitime de les réitérer à propos du PIA 2 que le programme tend à devenir habituel.
On peut toujours discuter des titres et sous-titres, monsieur Baert. Nous notons en tout cas qu’après une stabilisation, voire une légère baisse, au cours des deux exercices précédents, la masse salariale de l’État augmente à nouveau un peu en 2014, de 0,4 %. Ce n’est déjà pas si mal, me direz-vous ; mais il y a bien une hausse : les effectifs sont maintenant stabilisés de telle sorte que toutes les autres mesures permettent de la contenir à ce niveau, non de l’empêcher.
Quant au moindre coût du CICE, si l’on raisonne en comptabilité nationale, celui-ci, madame Berger, représente cette année non 6 milliards d’euros, mais 9, et il est inscrit en dépenses. Nous nous efforcerons d’être aussi clairs que possible au mois de juin, mais sachez que la matière est complexe.
Mme Karine Berger. Je n’ai pas parlé du CICE.
M. le président de la première chambre de la Cour des comptes. On trouve en tout cas à la page 85 un encadré qui explique la baisse du coût du CICE.
S’agissant enfin de l’évaluation des dépenses, madame Grosskost, nous notons un début d’amélioration dans l’annexe Voies et moyens en ce qui concerne l’estimation des recettes de l’impôt sur le revenu pour 2013, mais certains points restent à éclairer. Conscients de la difficulté de prévoir l’élasticité des recettes fiscales, nous estimons qu’elle ne rend que plus nécessaire la transparence : dans la définition ex ante des méthodes d’évaluation retenues comme dans l’explication ex post des écarts lorsqu’ils sont importants. Or, en la matière, il y a encore des progrès à faire.
M. Dominique Lefebvre, président. Au nom de tous les membres de la commission des Finances, je vous remercie, messieurs les présidents, ainsi que la Cour des comptes, pour ces travaux éclairants – comme l’a été, je crois, notre débat. J’en retiens qu’il convient de se garder des interprétations trop hâtives, notamment des titres et sous-titres, et de lire l’intégralité du rapport. Après quoi, nous poursuivrons le débat, car si tous s’accordent à reconnaître l’importance des sujets qui ont été évoqués, nous aurons encore à discuter de la manière de les traiter et des conséquences qui en découlent.
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Membres présents ou excusés
Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 27 mai 2015 à 11 heures 30
Présents. - M. Éric Alauzet, M. François André, M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Jean-Marie Beffara, Mme Karine Berger, M. Étienne Blanc, M. Jean-Claude Buisine, M. Christophe Caresche, M. Gilles Carrez, M. Yves Censi, M. Gaby Charroux, M. Jérôme Chartier, M. Pascal Cherki, M. Romain Colas, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jean-Louis Dumont, M. Henri Emmanuelli, M. Olivier Faure, M. Alain Fauré, Mme Aurélie Filippetti, M. Marc Francina, M. Claude Goasguen, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, Mme Arlette Grosskost, M. David Habib, M. Régis Juanico, M. Jérôme Lambert, M. Jean Lassalle, M. Jean Launay, M. Dominique Lefebvre, M. Marc Le Fur, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Mariton, M. Pierre-Alain Muet, M. Patrick Ollier, Mme Valérie Pécresse, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, Mme Eva Sas, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Olivier Carré, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Camille de Rocca Serra, M. Pascal Terrasse
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