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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 22 juillet 2015

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 102

Présidence de M. Gilles Carrez,
Président
puis de
M. Dominique Lefebvre,
Vice-Président

–  Examen, en lecture définitive, du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014 (Mme Valérie Rabault, rapporteure générale)

–  Examen d’un rapport d’information sur l’application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances (Mme Valérie Rabault, rapporteure générale)

–  Informations relatives à la Commission

–  Présences en réunion

La Commission examine, en lecture définitive, le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014 (Mme Valérie Rabault, rapporteure générale).

M. le président Gilles Carrez. Chers collègues, cette cent vingt-huitième – et dernière – réunion de la session ordinaire est l’occasion d’un rapide bilan. Depuis le 1er octobre dernier, nous avons siégé près de cent quatre-vingt-trois heures, au cours desquelles nous avons examiné dix textes au fond, quatre textes pour avis et huit cent trente-sept amendements. Nous avons également procédé à quarante auditions.

Ce matin, deux sujets sont inscrits à l’ordre du jour : la lecture définitive du projet de loi de règlement de l’année 2014, rejeté hier soir par le Sénat, et la présentation, par la rapporteure générale, du rapport d’information sur l’application des mesures fiscales contenues dans les dernières lois de finances.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Comme il l’avait fait en première lecture, le Sénat a rejeté, hier, par 206 voix contre 136, le projet de loi de règlement du budget de l’État pour 2014. Quant à l’Assemblée nationale, elle a, en première comme en nouvelle lecture, adopté le texte proposé par le Gouvernement, sans modification. Aucune circonstance nouvelle n’est intervenue depuis lors. Conformément aux dispositions du quatrième alinéa de l’article 45 de la Constitution, l’Assemblée est donc saisie par le Gouvernement pour statuer définitivement sur ce projet de loi. La commission mixte paritaire n’ayant pu parvenir à l’adoption d’une version commune, l’Assemblée nationale doit se prononcer sur le texte qu’elle a adopté en nouvelle lecture et qui est strictement identique à celui adopté en première lecture. Je vous propose donc de maintenir notre position et d’adopter le texte du projet de loi de règlement sans modification.

M. Charles de Courson. Le groupe UDI votera contre.

La Commission adopte le projet de loi sans modification.

La Commission adopte le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014 dans le texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture dans sa deuxième séance du 16 juillet 2015.

*

* *

La Commission examine ensuite le rapport d’information sur l’application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances, présenté par Mme Valérie Rabault, rapporteure générale.

Mme la rapporteure générale. Je commencerai par une appréciation générale et statistique du temps écoulé entre le vote et l’application des différentes mesures, avant de faire le point sur quelques dispositions adoptées l’an dernier en loi de finances initiale ou rectificative.

En matière de suivi des dispositions fiscales, une base documentaire en ligne existe depuis fin 2012 ; très exhaustive, elle contient toutes les instructions fiscales, régulièrement mises à jour, ce qui évite au rapporteur général d’en dresser la liste. Le site Legifrance offre également la possibilité de suivre l’historique d’une disposition législative et de ses mesures d’application.

Ce rapport ne concerne que les mesures fiscales incluses dans les lois de finances, mais je propose d’étendre le prochain aux dispositions adoptées dans le cadre d’autres textes législatifs. Celles-ci se multiplient depuis quelque temps alors qu’elles ne devraient pas exister : actuellement en cours d’examen devant le Conseil constitutionnel, la loi pour la croissance et l’activité, dite « loi Macron », en contient un certain nombre, mais on peut citer également la loi du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises ou encore la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt – sans oublier les lois de financement de la sécurité sociale qui bien entendu ont également un impact sur le pouvoir d’achat des ménages.


Comme en témoigne le tableau ci-dessus, 80 % des dispositions fiscales adoptées en loi de finances initiale ou rectificative depuis 2012 ont été mises en œuvre ; 304 dispositions de ce type ont été adoptées en loi de finances ; 100 % des mesures adoptées en première loi de finances rectificative pour 2012 ont fait l’objet d’un décret. En avril-mai 2015, nous avons transmis un questionnaire à la direction générale des finances publiques
– DGFiP – et à la direction de la législation fiscale – DLF ; depuis, nombre de dispositions supplémentaires ont été mises en œuvre.

Ce tableau représente une photographie du stock de mesures ayant fait l’objet d’un texte d’application au 31 mai 2015. En matière de délai, cinq mois après le vote de la loi de finances initiale pour 2015, environ 60 % des dispositions fiscales étaient pleinement applicables. Si l’on tient compte des décrets et des commentaires parus au mois de juin et de juillet, le pourcentage s’avère même plus élevé.

Parmi les dispositions de la loi de finances initiale pour 2015 qui ne sont pas encore mises en application, figure l’exonération temporaire de taxe foncière sur les propriétés bâties – TFPB – et de contribution foncière des entreprises – CFE – pour les activités de méthanisation agricole, instituée par l’article 60 – un amendement présenté par M. Charles de Courson ; son commentaire doit intervenir avant la fin de l’année 2015. Quant à la prorogation de l’abattement de la TFPB pour certains logements sociaux des quartiers prioritaires de la politique de la ville – objet de l’article 62, proposé par M. François Pupponi et M. Marc Goua –, le commentaire est prévu pour octobre 2015. S’agissant du taux majoré du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE – en faveur des entreprises exploitées dans les départements d’outre-mer, l’instruction a été publiée le 1er juillet 2015, mais le décret devrait paraître seulement au quatrième trimestre 2015.

M. Charles de Courson. Qu’en est-il de la réforme de la taxe de séjour ?

Mme la rapporteure générale. La réforme est en attente de la publication du décret en Conseil d’État, dont la rédaction relève du ministère de l’intérieur ; aucune date n’a pour l’heure été avancée.

S’agissant du gel des conditions d’appréciation des règles régissant le prêt à taux zéro – PTZ –, nous attendons toujours la publication d’un décret par le ministère du logement ; un commentaire est paru le 4 mars dernier. L’entrée en vigueur des modifications du crédit d’impôt pour les jeux vidéo et les sociétés cinématographiques est également en attente.

M. le président Gilles Carrez. La taxe de séjour – sur laquelle ont travaillé nos collègues Monique Rabin et Éric Woerth – représente une réforme importante d’initiative parlementaire, qui a suscité des réticences du côté de l’administration. Très souvent, des mesures issues de cette commission sont ralenties, voire bloquées ; la mise en œuvre de la taxe de séjour doit donc faire l’objet d’une attention soutenue.

Mme la rapporteure générale. La taxe de séjour fait l’objet d’un développement spécifique dans mon rapport. L’article que nous avons adopté, particulièrement long, contenait des dispositions précises, entrées en vigueur au 1er janvier 2015. En revanche, il reste à publier un décret global et à ajuster le système informatique de la DGFiP pour permettre la collecte par les plateformes internet – cette mesure figurait parmi les dispositions de l’article rénovant la taxe de séjour. Un rapport du Gouvernement sur le transfert à l’administration fiscale du recouvrement et du contrôle du paiement doit être transmis au Parlement avant le 1er octobre 2015. Le rapport reprend point par point tout ce qui a été réalisé ou qui attend d’être finalisé.

M. Charles de Courson. L’administration devrait expliquer à la rapporteure générale les causes de ces retards. Ce n’est pas le Parlement qui a inventé le PTZ ; alors que ce texte, censé répondre à l’urgence en matière de logement, a été proposé par le Gouvernement lui-même, le ministère du logement, pourtant demandeur, n’a toujours pas publié de décret d’application… Les dispositions en question s’appliquent-elles néanmoins ? En effet, certains textes suspendent la mise en œuvre des mesures que nous avons votées.

La modification de la fiscalité applicable aux casinos n’émanait pas non plus d’une initiative parlementaire, mais des préconisations d’un groupe de travail que le ministère de l’intérieur avait créé avec les « casinotiers ». Il s’agissait de soutenir les petits casinos en difficulté et d’alourdir, à prélèvement global inchangé, la taxation des gros. Un décret en Conseil d’État doit être publié à la fin de l’année 2015 ; on aura donc mis un an pour instaurer cette mesure de soutien que le Gouvernement avait lui-même proposée ?

Mme la rapporteure générale. Je ne peux qu’être d’accord avec vous ! Nous avons lancé des questionnaires relativement tôt, afin de bien préparer la présentation d’aujourd’hui ; mais nous n’avons toujours pas toutes les réponses. Trois types de cas peuvent être isolés. Sur quelques points – énumérés dans le rapport –, nous devons consulter la Commission européenne ; mieux vaut éviter les contentieux, toujours coûteux. Lorsque les décrets concernent plusieurs ministères, nous avons du mal à avoir un retour précis. Enfin, même pour les dispositions fiscales qui ne concernent que Bercy, nous ne recevons pas toujours d’explications. Il conviendra de signaler au ministre pour commentaire les cas problématiques dans ces différentes catégories. La discussion d’aujourd’hui peut permettre d’exercer une pression – amicale – sur les administrations concernées ; certaines demandes envoyées à la Commission en novembre 2014 ne nous étant toujours pas revenues, il faut reconnaître que l’administration française n’est pas seule coupable.

Mme Marie-Christine Dalloz. Ou défaillante !

M. Charles de Courson. Autre exemple : le débat sur le régime fiscal des organismes chargés de l’organisation en France d’une compétition sportive internationale n’a jamais été suivi d’un décret portant sur les cinq manifestations envisagées. Ce n’était pourtant pas bien compliqué…

Mme la rapporteure générale. En effet, le ministre des sports n’a pas rédigé le décret alors qu’il semblait très pressé de voir l’article 51 adopté. Visiblement, il l’est beaucoup moins aujourd’hui…

M. Dominique Lefebvre. La disposition est prévue pour s’appliquer en 2016, 2017 et 2018. Cela étant, mieux vaut qu’au moment des manifestations, le décret soit paru et le régime fiscal, applicable.

M. Marc Goua. Les organisations internationales souhaitaient voir ce texte adopté rapidement !

Mme la rapporteure générale. Ce problème est mentionné page 9 de la présentation ; nous n’avons pas eu de date pour la publication du décret d’application.

M. Patrick Ollier. Ce n’est pas l’administration, mais le pouvoir politique qui est responsable du retard dans la parution des décrets : si le ministre le veut, les décrets sortent ; s’il n’est pas vigilant, ils ne sortent pas. L’administration est à la disposition du ministre. Notre Gouvernement avait créé un comité de suivi d’application des lois ; en l’espace d’un an et demi, nous sommes passés de 63 à 93 % de décrets parus sans contrôle politique. Autrement dit, il suffit d’en avoir la volonté ! C’est au Gouvernement qu’il faut faire ces remontrances, au lieu d’accuser l’administration.

Mme la rapporteure générale. On insiste ici sur les articles pour lesquels les décrets ne sont pas parus, mais globalement, les décrets sont aujourd’hui publiés un peu plus rapidement qu’auparavant. Fin mai, entre 60 et 68 % des dispositions fiscales adoptées en loi de finances initiale ont été mises en œuvre, quand bien même vous aviez mis au moins un système plus automatisé…

M. Patrick Ollier. Mais qui a été supprimé depuis.

M. Alain Fauré. Les ministres d’aujourd’hui sont donc plus efficaces que ceux d’hier !

M. Gilles Carrez. En tant que rapporteur spécial pour le budget des sports, M. Régis Juanico pourrait-il nous expliquer cet incident ? Le Gouvernement était très pressé, au point qu’il a fait passer cette mesure en loi de finances rectificative à la fin de l’année dernière ; sur proposition de la rapporteure générale, il avait été décidé de limiter le nombre de manifestations, mais le décret correspondant n’est toujours pas paru.

M. Régis Juanico. J’ignore tout de ce dossier !

Ayant beaucoup travaillé sur la question de l’inflation législative et de la fabrique de la loi, je constate plutôt une amélioration ces dernières années – notamment grâce aux efforts des ministres chargés des relations avec le Parlement qui font partie de cette commission. Si auparavant, entre 10 et 35 % des décrets d’application, toutes lois confondues, sortaient au bout de six mois, la proportion se situe aujourd’hui entre 60 et 80 %. C’est mieux, même si ce n’est pas parfait.

Il serait intéressant que les tableaux présentés par la rapporteure générale incluent également la portée financière des différentes mesures – tant celle prévue dans l’étude d’impact figurant dans la loi de finances initiale que celle réellement observée. Six mois après le vote d’une disposition, les parlementaires devraient demander au Gouvernement de se justifier en cas de non-publication des décrets d’application. Il faut contraindre l’exécutif à encore plus de sérieux dans ce domaine.

Pour illustrer mon propos, je citerai l’abattement spécial de taxe sur les salaires. Cette mesure, adoptée en loi de finances rectificative pour 2012 ou 2013 et applicable depuis le 1er janvier 2014, concerne les associations. Par le fait qu’elles ne sont pas soumises à l’impôt sur les sociétés, celles-ci ne peuvent prétendre à bénéficier du CICE ; à titre de compensation, nous avions remonté l’abattement du plafonnement de la taxe sur les salaires de 6 000 à 20 000 euros. Selon les chiffres qui m’ont été fournis par le ministre, 30 000 associations en ont profité en 2014. Au moment de la loi de finances initiale, nous avions estimé le coût de cette disposition à 314 millions d’euros ; elle a finalement coûté, en 2014, 297 millions. Cette mesure, qui s’applique pleinement depuis 2014, représente un soutien important à la vie associative.

Mme Marie-Christine Dalloz. Nos collègues ont beau minimiser l’impact de la non-parution des décrets correspondant aux textes de loi adoptés par le Parlement, le tableau dressé par la rapporteure générale est édifiant : seules 51 % des dispositions votées en deuxième loi de finances rectificative de décembre 2014 ont été mises en œuvre – il faut reconnaître que c’était un vrai « fourre-tout ». De même, 60 % des mesures de la loi de finances pour 2015, également adoptée fin 2014, sont à ce jour pleinement applicables. La moyenne – 78,9 % – ne signifie pas grand-chose : il est heureux que 100 % des mesures adoptées il y a quatre ans soient aujourd’hui mises en œuvre !

En tant que rapporteure spéciale pour la mission Direction de l’action du Gouvernement, j’ai rencontré, il y a une dizaine de jours, le nouveau secrétaire général du Gouvernement ; très préoccupé par la transposition des textes, il affiche une réelle détermination à résoudre ce problème.

M. Jean-François Lamour. Madame la rapporteure générale, vous souhaitez à juste titre intégrer dans le rapport les dispositions fiscales qui n’apparaissent pas dans les lois de finances ; ce phénomène vous paraît-il en augmentation par rapport aux législatures précédentes ? La parution des décrets relatifs à ces dispositions – en particulier à celles votées dans le cadre de la loi sur la simplification de la vie en entreprise ou de la loi d’avenir pour l’agriculture – suit-elle le même rythme que pour les mesures contenues dans les lois de finances ? Mettons de côté les lois de financement de la sécurité sociale dont la nature détermine une parution très rapide des décrets.

Mme la rapporteure générale. Madame Dalloz, au 10 juillet 2015, 70 % des dispositions adoptées dans la seconde loi de finances rectificative pour 2014 et 80 % de celles adoptées en loi de finances pour 2015 étaient mises en œuvre. L’application de ces mesures s’est donc accélérée ; le fait d’envoyer les questionnaires a dû y contribuer !

Monsieur Lamour, la statistique est biaisée par la « loi Macron » qui contient beaucoup de dispositions fiscales.

M. le président Gilles Carrez. Deux phénomènes se conjuguent : la « loi Macron » et l’absence d’un collectif budgétaire. Introduire un dispositif aussi majeur que le suramortissement hors loi de finances laisse rêveur : cela me rappelle la TVA sur la restauration…

M. Christophe Caresche. On a vu ce que cela a produit !

M. Alain Fauré. Je suis surpris de voir nos collègues du groupe Les Républicains se préoccuper de la non-application des mesures fiscales, alors qu’ils nous accusent régulièrement de faire trop d’impôts !

M. le président Gilles Carrez. Certaines dispositions fiscales visent à alléger les impôts… Il est vrai que c’est très récent !

M. Alain Fauré. En l’occurrence, ce ne sont pas celles-là qui préoccupent nos collègues ce matin !

M. Jean-Louis Gagnaire. Madame Dalloz, il ne faut pas tout mettre dans le même sac. Le tableau de la rapporteure générale mériterait d’être pondéré par les volumes associés aux différents décrets. Certaines dispositions mises en œuvre représentent des volumes budgétaires considérables, alors que pour d’autres – comme celles qui concernent les manifestations sportives internationales – les sommes en cause sont beaucoup plus modestes.

La mise en application du crédit d’impôt pour la transition énergétique – CITE –, annoncé en septembre 2014, se fait très naturellement : tous ceux qui ont fait des travaux dans leur habitation principale ont immédiatement basculé vers le nouveau dispositif. Les artisans et les entreprises qui « vendaient » le crédit d’impôt en même temps que les équipements l’ont appliqué sans avoir besoin de trop d’explications, malgré les errements et les complications du passé. Ainsi, même si les instructions ont été longues à venir, la loi était de fait mise en œuvre dès le 1er janvier 2015.

Mme Véronique Louwagie. Les évolutions présentées doivent être appréciées au regard du volume global des mesures adoptées. Le tableau prend en compte cinquante-neuf articles ou dispositions fiscales adoptées en lois de finances rectificatives pour 2012, soixante-dix-huit en lois de finances initiale et rectificative pour 2013 et cent vingt-deux en lois de finances initiale et rectificatives pour 2014. Entre 2013 et 2014, l’accroissement du nombre de dispositions fiscales nécessitant des textes d’application est manifeste ; le passage du taux d’application de 50 à 60 %, que vous présentez comme une amélioration, cache donc le fait que de plus en plus de dispositions ne sont pas directement applicables. Ce phénomène constitue un frein puissant au dispositif porté par les lois de finances.

Le rapport n’aborde que les dispositions issues des lois de finances initiales et rectificatives, laissant de côté les mesures fiscales adoptées dans le cadre d’autres textes, toujours plus nombreuses. Vous indiquez vouloir y inclure l’ensemble de ces dispositions ; mais en prenant acte de cette extension du rapport, sans autres observations, ne risquons-nous pas d’avaliser cet état de fait ? Nous ne devrions pas l’accepter sans avoir mené de véritable réflexion sur ce sujet.

M. Dominique Lefebvre. Nous abordons là deux débats essentiels à notre assemblée, même si mes collègues plus anciens trouveront que ce sont de véritables marronniers. Le premier porte de manière générale sur la mise en œuvre des dispositions législatives qui supposent des mesures réglementaires. En matière fiscale, la publication des décrets d’application suit-elle le même rythme que dans les autres domaines ? Les chiffres qui nous sont soumis interrogent : pourquoi dans l’année qui suit le vote, les dispositions fiscales censées être immédiatement appliquées – soit pour rapporter de l’argent, soit pour bénéficier aux contribuables – ne seraient-elles pas systématiquement mises en œuvre ? Intuitivement, je dirais que les mesures fiscales doivent, par nature, faire l’objet d’un décret d’application bien plus rapidement que les autres. Mais si les dispositions adoptées en dépit des réticences du Gouvernement n’étaient pas appliquées, cela constituerait une entrave à la volonté du législateur ; il faudrait alors déterminer l’origine du problème. Il faut également se demander si la non-application de ces mesures pénalise le contribuable – soit parce que ses impôts ne sont pas allégés, soit parce qu’il ne sait pas comment il sera taxé.

Quant au monopole des dispositions fiscales en loi de finances, l’enjeu a fait l’objet de nombreux débats dans l’hémicycle, que j’avais moi-même suivis en tant que magistrat à la Cour des comptes à l’époque où celle-ci s’intéressait au pilotage des finances publiques. Le problème ne se situe pas du côté de l’exécutif : personne n’a jamais trouvé à l’Assemblée de majorité nécessaire pour voter une disposition organique qui instituerait cette règle. Nous devrons donc probablement, hélas ! nous accommoder de cette situation. Cela suppose sans doute de systématiser, chaque fois que possible, la saisine pour avis de la commission des finances sur toutes les dispositions fiscales, sauf lorsqu’il s’agit d’une commission spéciale, comme celle de la « loi Macron », qui compte dans ses rangs des membres de notre commission. Par ailleurs, je ne peux que soutenir la proposition de la rapporteure générale d’élargir son rapport à l’ensemble des mesures fiscales adoptées dans l’année, quel qu’en ait été le support ; il serait utile de disposer d’une telle synthèse.

Enfin, la présentation indique qu’on ne dispose pas, à l’heure actuelle, d’information quant à l’impact de beaucoup de mesures, notamment celles adoptées en loi de finances pour 2015. Certaines de ces dispositions – en particulier celles qui touchent à l’impôt sur le revenu – sont en cours de traitement ; ainsi, l’administration fiscale ne peut pas dire comment le CITE a été utilisé depuis l’annonce de la suppression du bouquet de travaux. Les informations correspondantes devraient être disponibles plus tard dans l’année, voire – pour les mesures relatives à la fiscalité des entreprises – à la fin de l’année prochaine. Cela pose la question du moment de publication de ce rapport : tant que toutes les déclarations d’impôt n’ont pas été envoyées, il n’est pas possible de savoir comment ont été utilisés les dispositifs fiscaux introduits par la loi. Il y a donc forcément un décalage d’un à deux ans dans l’information disponible sur l’effet des mesures fiscales.

M. le président Gilles Carrez. Pour réserver les dispositions fiscales aux lois de finances ou de financement, où elles apparaissent légitimes, il faudrait soit adopter une loi organique, soit réformer la Constitution. En effet, dans une décision rendue en 1984, le Conseil constitutionnel avait considéré que, dans la mesure où ces textes sont obligatoirement d’origine gouvernementale, réserver les dispositions fiscales aux seules lois de finances reviendrait à réduire l’initiative parlementaire en cette matière à leur seul droit d’amendement, ce qui serait anticonstitutionnel. En l’absence de majorité pour voter une telle loi organique, le Premier ministre François Fillon a signé une instruction, reprise ensuite par Jean-Marc Ayrault. Je propose donc que la rapporteure générale et moi-même adressions un courrier au Premier ministre pour lui rappeler la nécessité de réserver les dispositions qui modifient les recettes – à la hausse ou à la baisse – aux lois de finances ou de financement. Respecter cette règle me semble particulièrement important à un moment où les finances publiques sont fragilisées. Certes, la « loi Macron » – également issue de Bercy – constitue une entorse à ce principe, mais celui-ci doit être réaffirmé. La voie de la loi organique semblant sans espoir, saisissons le Premier ministre de cette question afin de revenir aux bonnes pratiques qui ont prévalu entre 2009 et 2014.

S’agissant des décrets d’application, nous devons nous montrer vigilants sur les textes d’initiative parlementaire – souvent émanant de cette commission –, passés au forceps. En effet, si le Gouvernement n’est pas d’accord avec une mesure, il fait en sorte que les décrets ne paraissent pas.

Enfin, madame Dalloz, comme l’a souligné la rapporteure générale, si les taux d’application des mesures adoptées en lois de finances initiale ou lors des lois de finances rectificatives de fin d’année, qui sont souvent un fourre-tout, sont faibles au mois de mai ou de juin, le rythme s’accélère par la suite : beaucoup de décrets sortant avant fin juillet.

Mme la rapporteure générale. Monsieur le président, je suis d’accord pour cosigner un courrier avec vous.

Dans le rapport annexé à la loi de finances initiale pour 2016, on fera le point sur l’impact budgétaire de toutes les dispositions fiscales adoptées dans le cadre de la « loi Macron ».

Je retiens enfin votre suggestion de surveiller particulièrement les articles des lois de finances issus d’amendements parlementaires, qui, parce qu’ils ne sont pas préparés en amont par le Gouvernement, sont appliqués plus tard que les autres.

M. Charles de Courson. Pendant des années, nous avons demandé à l’administration de nous fournir les textes d’application – décrets et projets d’instruction – relatifs aux projets de loi qui nous étaient soumis. À ma connaissance, on ne les a jamais obtenus, sauf une fois. En disposer éviterait pourtant beaucoup de débats et d’amendements inutiles, et améliorerait la qualité des textes et des études d’impact. Ainsi, l’étude d’impact annexée au décret d’application relatif aux cinq manifestations sportives éligibles à des exonérations fiscales, qui a été soumis au Comité des finances locales – CFL –, était beaucoup plus complète que celle dont nous disposions en commission des finances à l’époque de ce débat.

Mme Karine Berger. Je profite de l’occasion pour aborder la question de l’évaluation des mesures fiscales a posteriori – post mortem, pour ainsi dire –, une fois qu’elles sont appliquées. Comme nous l’avions mentionné dans notre rapport spécial du budget, le rapport sur les niches fiscales – visées par la plupart des mesures évoquées ce matin par la rapporteure générale – ne contient que des évaluations a priori, réalisées au moment du vote. Nombre de dispositions ne sont ainsi jamais évaluées publiquement par le ministère des finances a posteriori ; on ignore donc au final – et c’est regrettable – combien elles ont coûté.

M. le président Gilles Carrez. Les chiffrages apparaissent chaque année dans l’annexe « Voies et moyens »…

Mme Karine Berger. L’annexe « Voies et moyens » se borne à reprendre les chiffres des évaluations a priori ! Si l’on pouvait, à l’occasion du rapport annuel sur l’application des dispositions fiscales, demander combien ont coûté les mesures réellement appliquées et comment l’évaluation a été conduite, l’information donnée au Parlement progresserait considérablement.

M. Jérôme Chartier. Le tableau est fort intéressant, mais qu’en est-il des mesures qui n’ont pas été mises en œuvre ? Celles-ci sont-elles plutôt d’origine parlementaire ? Avez-vous fait une évaluation analytique de l’application des mesures ? Un tel travail vous paraît-il utile ?

M. Régis Juanico. Nous avons introduit, en novembre dernier, deux nouveautés dans le Règlement de l’Assemblée : l’examen, en commission comme en séance, de l’étude d’impact et l’évaluation systématique des textes de lois trois ans après leur entrée en application, ces deux discussions se faisant sur la base d’un rapport présenté par un membre de la majorité et un membre de l’opposition. Ne pourrait-on appliquer cette procédure aux lois de finances ? Mme la rapporteure générale et M. le président de la commission pourraient ainsi installer un groupe de travail dédié à l’évaluation des dispositions budgétaires trois ans après leur entrée en vigueur.

Mme la rapporteure générale. Les évaluations restent effectivement très parcellaires, non seulement quant au nombre de données disponibles sur telle ou telle mesure, mais aussi sur le nombre des mesures visées. Bercy explique que ses outils informatiques ont été conçus, il y a une trentaine d’années, pour assurer la levée de l’impôt et non pour fournir des données statistiques. Nous avons effectué deux contrôles sur place et avons rencontré notamment le responsable de l’informatique à la DGFiP. De fait, s’agissant de l’impôt sur le revenu, le périmètre des données n’est jamais le même, si bien que l’on compare en permanence des choux et des carottes : c’est proprement exaspérant… De tels sujets mériteraient un peu plus d’honnêteté intellectuelle ! Si l’on divise par dix les 36 millions de foyers fiscaux, par exemple, les bornes obtenues ne sont jamais les mêmes. Du coup, les comparaisons et les consolidations sont très difficiles, même si elles restent indispensables.

Nous avons demandé si le développement de l’outil idoine se heurtait à des problèmes budgétaires, car force est de constater qu’une mine d’informations demeure inexploitée. Assurer la bonne levée de l’impôt, sur la base de calculs fiables, est évidemment essentiel, mais il faudrait aussi des « tuyaux de sortie » qui permettent d’exploiter les données. Nos demandes, en vue d’une discussion qui se tiendra à l’automne, mobiliseront les serveurs de Bercy pendant trois jours entiers au mois d’août ! Je vous vois réagir, monsieur de Courson, mais c’est la réponse qui nous a été donnée… En tout cas, une telle demande du Parlement est une nouveauté, même si le chantier progresse lentement.

A priori on ne constate pas de taux d’application moindre pour les mesures d’initiative parlementaire, monsieur Chartier – d’autant que certaines sont déclarées inconstitutionnelles par le Conseil constitutionnel… –, même si la question appelle un examen historique plus profond.

Dans les deux lois de finances ont été adoptées plusieurs mesures relatives au logement, notamment l’extension du bénéfice du taux réduit de TVA à 5,5 % à des travaux de rénovation, de transformation ou de livraison d’immeubles dans les quartiers prioritaires. Ces mesures ont fait l’objet de publications au BOFIP, le Bulletin officiel des finances publiques, mais leur évaluation ne devrait intervenir que l’an prochain.

Quant au CITE, monsieur Gagnaire, l’arrêté a été publié très rapidement, dès le 27 février 2015. Les déclarations de l’an prochain nous permettront d’avoir une idée du recours au dispositif. Sur celui dit « Pinel » – reconduction d’impôt entre 12 % et 21 %, contre 18 % auparavant, et possibilité de louer le bien à un ascendant ou à un descendant –, tous les décrets ont été publiés ; nous n’avons pas obtenu de données précises de la part du ministère du logement. Les premiers chiffres, relatifs à l’investissement privé, ont été fournis par la Fédération des promoteurs immobiliers – FPI – ; ils montrent une forte accélération entre le dernier trimestre 2014 et le premier trimestre 2015. L’évaluation reste néanmoins très embryonnaire.

Le prêt à taux zéro, dit « PTZ », est une dépense fiscale évaluée à 1 milliard d’euros ; il a fait l’objet de plusieurs aménagements dans les deux lois de finances, et tous les décrets qui s’y rapportent ont été publiés. Le ministère du logement a donc pu nous fournir des chiffres précis, qui attestent une hausse de 30 % du nombre de demandes entre le premier trimestre 2014 et le premier trimestre 2015. Le montant des prêts concernés vous sera communiqué ultérieurement.

L’exonération des plus-values immobilières – PVI – en faveur de la construction de logements sociaux a fait l’objet d’une publication au BOFIP le 24 juin dernier. Selon les premières estimations, la contribution à la relance de la construction de logements sociaux se chiffre à quelques millions d’euros.

Nous avons adopté un éventail de mesures visant à limiter la déductibilité des charges financières. Deux amendements d’origine parlementaire exemptent néanmoins de ces mesures les électro-intensifs et, à l’initiative de M. de Courson, les exploitations de champagne. Nous vous fournirons les évaluations dès qu’elles seront disponibles.

J’en viens à la fiscalité locale, et plus précisément à ce vaste chantier qu’est la révision des valeurs locatives. Il a été ouvert par la dernière loi de finances rectificative de 2010, laquelle a depuis été modifiée à trois reprises. La première expérimentation est intervenue en 2011 et la seconde, qui porte sur 35 millions de locaux d’habitation, a débuté le 12 février 2015. Le Gouvernement demandera probablement le report d’un an, jusqu’au 1er janvier 2017, de l’application des nouvelles valeurs locatives professionnelles. Il proposera également des mesures de correction et, éventuellement, un allongement de cinq à dix ans du lissage.

À mon grand regret, aucune simulation robuste ne nous a été fournie – raison pour laquelle, d’ailleurs, je remets le sujet sur la table aujourd’hui. Les transferts de charges seront non négligeables, avec des grandes surfaces gagnantes et des crèches ou des maisons de retraite perdantes. Notre commission a donc tout intérêt à s’emparer du sujet. Nous avons sollicité, auprès de Bercy, les données agrégées issues des commissions départementales, sans succès pour le moment ; cela dit je ne désespère pas que nous les obtenions d’ici à l’examen du projet de loi de finances pour 2016.

M. Charles de Courson. C’est en présidant la commission des valeurs locatives de mon département que j’ai découvert le phénomène : les grandes surfaces allaient voir leurs charges baisser de 40 à 50 % et les commerces de centre-ville voir les leur augmenter de 10 à 20 % ! Cela, bien entendu, a fait sauter les élus locaux sur leur chaise. Un représentant de l’administration a fini par concéder, après avoir été interrogé un peu durement par mes soins, qu’aucun programme informatique n’avait été prévu pour mener des évaluations un peu fines ! Nous avons pu établir une moyenne au niveau local mais, en ces matières, c’est évidemment la dispersion qui est significative – beaucoup de réformes ont échoué faute de l’avoir compris. Inutile de vous dire que cette révélation a provoqué une émeute au sein du CFL… On nous a donc promis de travailler à la conception de cet outil, mais convenons que l’absence de données « robustes », pour reprendre l’expression de notre rapporteure générale, est tout de même une défaillance anormale. J’en ai d’ailleurs averti M. Eckert, qu’aucun service de Bercy n’avait cru bon d’informer sur ce point ! Il m’en a du reste remercié…

Mme Marie-Christine Dalloz. Je préside également une commission départementale des valeurs locatives, en l’occurrence celle du Jura. Les mesures dont nous parlons auront un impact très lourd, notamment sur les maisons de retraite, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – EHPAD – ou les collèges, alors même que les grandes surfaces seront gagnantes. Or ce sont les départements, déjà exsangues financièrement, qui auront à assumer la hausse des charges des EHPAD.

M. le président Gilles Carrez. Les résultats sont conformes au principe même d’une évaluation de la valeur locative au mètre carré. Comment s’étonner que le loyer d’un local de 50 mètres carrés en centre-ville soit proportionnellement plus élevé que celui d’un local de 11 000 mètres carrés situé en périphérie – sans parler des problèmes connexes, qui touchent par exemple les maisons de retraite ? C’est la notion même de valeur locative qu’il faut interroger.

M. Dominique Lefebvre. Sur cette question, la défaillance administrative renvoie en fait à une défaillance politique.

M. le président Gilles Carrez. Je ne le dis pas de façon aussi crue, mais le fait est que nous aurions dû être plus lucides.

M. Dominique Lefebvre. Si vous avez aimé la révision des valeurs locatives des professionnels, vous adorerez celle des valeurs locatives de l’habitat !

Ceux qui ont l’expérience des commissions départementales le savent, les transferts de charge sont massifs dans les territoires, notamment pour les logements sociaux et les logements en accession à la propriété – c’est d’ailleurs ce qui vaut à la fiscalité locale d’être réputée injuste. Mais si une fiscalité est injuste, comment voulez-vous qu’une réforme ne provoque pas de transferts ?

M. le président Gilles Carrez. En 1992, Alain Richard, alors rapporteur général de notre commission, et René Dosière ont défendu une réforme de la taxe d’habitation départementale qui conduisait, selon les premières estimations, à des transferts considérables ; aussi Michel Charasse, alors ministre du budget, s’y était-il résolument opposé, jusqu’à donner instruction que le nom de chaque député figure sur le rôle de la taxe d’habitation, permettant ainsi aux contribuables qui le souhaitaient de s’adresser à lui ! Cette menace avait fait échec à la réforme.

Peut-être, en tout cas, devrions-nous lancer une mission sur le sujet. Je doute en effet que le report d’un an change fondamentalement la donne, même s’il n’est pas satisfaisant d’en rester aux estimations de 1971.

M. Charles de Courson. Chacun ici reconnaît que cette situation ne peut pas durer ; mais la valeur locative de marché constitue-t-elle pour autant la bonne assiette ? Si l’on répond par la négative, que propose-t-on à la place ?

M. Dominique Lefebvre. Les responsables politiques, pour peu qu’ils fassent preuve de pragmatisme, savent bien que la fiscalité la plus stable et la plus régulière, notamment pour les collectivités, est la fiscalité immobilière, qui croît de 2 à 3 % par an quelle que soit la situation économique. Touchez-y, et vous verrez comment nos budgets locaux vont en souffrir…

M. le président Gilles Carrez. En effet, elle constitue une fiscalité de stock, au même titre que la taxe foncière – contrairement aux droits de mutation, qui sont une fiscalité de flux.

Si j’ai bien compris, monsieur de Courson, l’administration que vous avez interrogée a indiqué que des analyses fines, fondées sur des dispersions, seront disponibles en septembre…

M. Charles de Courson. Elle espérait avoir mis au point l’outil informatique à cette date, et être en mesure de le faire tourner.

Elle nous avait d’abord objecté qu’il fallait attendre la transmission des bases de données par les départements ; à quoi j’avais rétorqué que les simulations sont surtout intéressantes au niveau départemental et même communal. La vérité est que Bercy n’avait pas conçu l’outil : est-ce chose faite, madame la rapporteure générale ?

Mme la rapporteure générale. Non. Nous devrions auditionner le directeur de l’informatique de Bercy après avoir fait la liste des sujets qui appellent le développement de tels outils – et les moyens qu’ils requièrent. Je pense par exemple aux analyses de l’impôt sur le revenu ou au prélèvement à la source.

M. Alain Fauré. Les développements informatiques ne sont pas la clé du problème. Nous devons d’abord nous mettre d’accord sur un mode de calcul de la nouvelle fiscalité ; faute de quoi on ne cessera de se diviser sur le sujet, comme on le fait depuis 1971, laissant ainsi se creuser des inégalités injustifiables au sein des régions ou des communes. En décembre 2013, les collectivités se sont ainsi rebellées après que les commerçants de centre-ville ont vu leur taxe augmenter, parfois jusqu’à 60 %. Nous devons donc trouver ensemble les nouvelles bases de cette fiscalité.

Mme Marie-Christine Dalloz. Je me suis penchée, en mars, sur le détail de la révision des valeurs locatives : le nombre de catégories créées est proprement effarant – il est de quarante-cinq dans le Jura, par exemple. On voulait un dispositif simple et lisible, mais il faudra se lever de bonne heure pour l’expliquer à chaque contribuable…

Il est légitime qu’un commerce de centre-ville, par exemple à Paris, voie sa valeur locative revalorisée ; mais le même commerce correspond, dans certaines communes rurales, à un service irremplaçable que le nouveau dispositif risque de faire disparaître. De ce point de vue, il est inquiétant que la réforme ne puisse faire aucune différence. S’agissant des EHPAD, les départements ne pourront faire face aux nouvelles charges financières : c’est donc les patients eux-mêmes qui le feront via le prix de journée.

M. Jean-Louis Gagnaire. Notre système de fiscalité locale, pour les entreprises comme pour les particuliers, est à bout de souffle. Il génère des inégalités au sein d’une même intercommunalité, où les taux varient d’une commune à l’autre, sinon d’une rue à l’autre.

Dans ma circonscription, plutôt en proie à la déprise foncière, la situation risque de devenir explosive lorsque les commerçants de centre-ville découvriront que la grande distribution, installée en périphérie, est bénéficiaire du système.

Aujourd’hui, celui-ci repose sur des stocks jamais réactualisés. S’agissant de l’habitat, il faudra bien en venir un jour à la prise en compte des revenus, seul critère dont on puisse avoir connaissance chaque année. Reconnaissons-le, les évaluations se font parfois au doigt mouillé : mieux vaut une fiscalité assise sur des flux plutôt que sur des stocks dont la valeur est largement fictive.

La grande bascule est devenue inévitable pour les particuliers. De fait, les problèmes ne sont plus les mêmes qu’au temps de M. Charasse : les populations se sont largement transférées des zones urbaines vers la périphérie, le mitage du territoire est allé croissant et, si l’on excepte Paris, les personnes aux revenus les plus élevés vivent plutôt en dehors des villes qu’en leur sein. Nous devons rester vigilants, car le système est explosif à tous points de vue, pour les entreprises comme pour les particuliers.

M. Marc Goua. Le système est effectivement à bout de souffle. Il faut donc le revoir, mais sur la base d’études approfondies. Je m’inscris en faux contre les propos de M. Gagnaire : à moins d’instaurer une péréquation nationale, la prise en compte des revenus porterait atteinte à la mixité sociale. Les simulations l’ont montré, dans des communes comprenant 50 à 60 % de logements sociaux, l’impôt foncier de certains contribuables, dont la présence garantit une certaine mixité, pourrait doubler ou tripler au titre du transfert de charges. Reste que le système actuel est inique : c’est dans les quartiers en difficulté que la taxe foncière est la plus élevée. Bref, il faut tout remettre à plat.

Mme la rapporteure générale. Sur la majoration de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires en zone tendue, les données ont été publiées. Nous n’avons pas eu de retour de Bercy sur ce sujet, mais nos recherches nous ont permis de constater que Paris, Toulouse, Annecy, Antibes et Bayonne, entre autres, ont adopté le dispositif.

Quant à la majoration de la taxe sur les surfaces commerciales – majoration qui abonde le budget de l’État et non celui des collectivités concernées –, l’impact atteint les 200 millions d’euros, mais nous aurons des données plus précises en 2016.

Sur la taxe additionnelle sur les surfaces de stationnement et la taxe additionnelle spéciale annuelle pour le Grand Paris, je vous renvoie au BOFIP du 1er juillet 2015.

Nous avons déjà évoqué la réforme de la taxe de séjour, et le versement transport concerne surtout la région parisienne – la réflexion est en cours entre le Gouvernement et les associations concernées.

Un comité interministériel du Grand Paris, réuni le 14 avril dernier, s’est penché sur la réforme de la redevance pour construction de bureaux en Île-de-France, et la poursuite de la réforme de la redevance fait l’objet d’une concertation État-région.

La publication d’un tableau détaillant le montant de la dotation globale de fonctionnement – DGF – ou du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales – FPIC – par commune et établissement public de coopération intercommunale – EPCI – me tenait à cœur ; il existe, mais le site est en cours de maintenance, et ce depuis trois semaines… Aux termes de la loi, ce tableau doit toutefois être disponible pour l’examen du projet de loi de finances de 2016 : on m’a donc assuré qu’il le serait d’ici au mois de septembre.

S’agissant de la fiscalité des ménages, tout sera inclus dans le rapport mais, hélas, les bornes ne correspondent pas toujours. Selon les premières estimations, quelque 4 millions de ménages ont bénéficié d’une réduction d’impôt moyenne de 312 euros – même si, j’en conviens avec M. de Courson, la distribution importe ici davantage que la moyenne.

La revalorisation de la décote, elle, a concerné 7,2 millions de ménages, pour des réductions d’impôts modestes mais réelles. Il n’existe pas d’intersection non nulle sur les deux mesures mais, lorsqu’on les additionne, ce sont 7,5 millions de ménages qui ont bénéficié d’une réduction d’impôt de 200 euros.

Sur les conventions fiscales, je suis au regret de dire que nous n’avons obtenu aucune information de la part du Gouvernement. L’article 108 de la seconde loi de finances rectificative pour 2014 prévoit pourtant que celui-ci nous remette, le 1er juillet 2015 au plus tard, « un rapport relatif aux exonérations d’impôt accordées, en application des conventions fiscales conclues par la France, à certains États […] » : on peut notamment penser aux plus-values immobilières qui, aux termes de certaines conventions, sont taxées à zéro. D’après nos calculs estimatifs et des données mises en ligne sur internet par certains cabinets, le coût se situerait probablement entre 150 et 200 millions d’euros : il n’est donc pas négligeable ; aussi j’espère que ce rapport nous sera transmis dans les plus brefs délais. Si nous le recevons pendant l’été, je vous le ferai suivre.

Mme Karine Berger. Merci d’avoir publié ce rapport très complet, nonobstant des bornes fluctuantes.

Si j’ai bien compris, 7,5 millions de ménages ont un revenu fiscal de référence inférieur à 30 000 euros par an – soit, sauf erreur de ma part, le revenu médian. Il est bon que cette information soit rendue publique.

Je trouve en revanche incroyable que nous ne puissions disposer en temps et en heure, conformément à ce que nous avons adopté, du rapport sur les conventions fiscales. On avait notamment évoqué, lors du débat budgétaire, les dispositions applicables au Qatar, que vous n’avez pas cité. Je souhaite en tout cas que votre estimation – 150 à 200 millions d’euros – soit transmise au ministère des finances, dont l’absence de réponse vaudrait, j’imagine, approbation de sa part quant à ce chiffre. Il serait également intéressant que vous nous communiquiez la liste des États concernés par les conventions.

M. Charles de Courson. La commission compétente avait défendu l’idée d’un recouvrement de la taxe de séjour par l’administration fiscale, laquelle avait tout fait pour se soustraire à cette tâche : on s’était finalement accordé sur la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement avant le 1er octobre 2015. Si nous n’exerçons pas une forte pression en faveur de cette mesure, elle ne passera pas, car l’administration pousse le Gouvernement à s’y opposer.

Le plus intéressant, dans le tableau page 29 de votre présentation, madame la rapporteure générale, est la différence entre ce qui a été effectivement payé d’une année sur l’autre, car cela permet de mesurer l’impact des mesures votées. Selon nos concitoyens nous sommes tous des menteurs, dès lors qu’ils constatent, en dépit des promesses sur les baisses d’impôt, avoir payé 102 cette année contre 100 l’année précédente. Réponse des « technos » : « Sans les mesures qui ont été adoptées, vous auriez payé 104… » Voilà, se disent les intéressés, une drôle de conception de la baisse des impôts ! Il est vrai que le problème n’est pas simple, ne serait-ce qu’en raison de l’instabilité des revenus ; mais les comparaisons entre les sommes payées d’une année sur l’autre sont tout de même intéressantes car elles correspondent à la réalité vécue : je me tue à le répéter aux ministres des finances successifs…

M. Dominique Lefebvre, président. Ces tableaux sont fort intéressants, pour peu que l’on en précise le mode d’emploi : ils constituent en effet une approche parmi d’autres sur un sujet essentiel, l’impact réel, à la hausse comme à la baisse, des mesures fiscales que nous votons et les ménages qu’elles touchent. En l’espèce le critère retenu est celui de l’administration fiscale elle-même, à savoir le revenu fiscal de référence, lequel tient compte du quotient familial mais pas du nombre de parts au sein du foyer. C’est pourquoi, d’ailleurs, des mesures ciblées sur les contribuables les plus modestes ont aussi bien touché des célibataires que des familles avec cinq enfants, tous contribuables situés dans le plus bas décile.

L’administration fiscale, je pense, doit être en mesure de nous fournir des tableaux en fonction des parts, étant entendu que ce n’est pas elle mais l’INSEE qui est ensuite à même de fournir des données fondées sur le revenu disponible des ménages. L’an dernier, notre rapport sur la fiscalité des ménages avait montré l’absurdité d’une approche seulement fiscale, dans la mesure où le système de redistribution inclut aussi les prestations sociales. Que les mesures aient induit une hausse ou une baisse, l’important est donc de savoir si l’on a globalement atteint la cible compte tenu du système fiscal tel qu’il existe, en l’absence d’une méthode et d’une majorité politique pour le réformer en profondeur.

Au fond, ces tableaux font ressortir les défauts de l’impôt sur le revenu actuel : assiette étroite, présence de niches et concentration extrême du produit. Ils nous ramènent au problème politique posé depuis le début du quinquennat, problème qui nous vaut des attaques de la droite et quelques interrogations à gauche : si, du point de vue budgétaire, les augmentations ont surtout pesé sur le dernier décile, en proportion de l’impôt payé, des ménages en bas de barème ont pu subir des augmentations sensibles en pourcentage, même si les sommes restent modestes. Passer, pour l’impôt sur le revenu, de 270 à 310 euros représente en effet une augmentation de près de 20 % ; mais, pour des contribuables du dernier décile, une augmentation de 5 à 7 % représente des sommes bien plus élevées sur le plan budgétaire. Le même problème se pose, symétriquement, pour des orientations à la baisse. Bref, les tableaux que l’on nous présente sont également des réponses à la droite, qui nous accuse toujours de matraquer les classes moyennes.

Mme la rapporteure générale. L’exercice consistait pour moi, d’une part, à déterminer le nombre de décrets d’application publiés et, de l’autre, à amorcer une évaluation des mesures. Lors de l’examen du PLF de 2016, monsieur le président, il nous faudra de toute évidence prendre en compte l’ensemble des données : est-ce que, à revenus inchangés, un couple sans enfants gagnant 30 000 euros par an a vu ses impôts augmenter entre 2013 et 2014 ? À l’occasion du débat d’orientation sur les finances publiques, j’avais présenté, dans mon rapport, un tableau vide faute d’avoir obtenu les données suffisantes de la part de l’administration. Tout doit être additionné : à la fin de la journée, la somme tombe en effet dans un seul porte-monnaie.

M. Dominique Lefebvre, président. On ne peut attendre de la part de l’administration fiscale qu’elle produise des données sur ce qu’elle ne maîtrise pas. Nous travaillons, pour nos simulations, à partir des modèles de la direction générale du Trésor, l’INSEE réalisant de son côté des études a posteriori. Il est très difficile de mesurer les effets d’une politique redistributive par le seul biais de la voie fiscale : les prestations, je le répète, doivent également être prises en compte, je le dis pour répondre par avance à ceux qui nous accusent de matraquer fiscalement les classes moyennes supérieures – à savoir les contribuables des deux derniers déciles, d’après l’opposition. Sans faire de révolution fiscale, nous aurons probablement, au cours du présent quinquennat, amélioré la redistribution ; mais ce constat suppose une approche globale : ce qui importe, pour les ménages, c’est l’écart entre le revenu primaire et le revenu disponible une fois appliqués les mécanismes de prélèvement et de redistribution, en tout cas pour les valeurs monétisables.

En application de l’article 145 du Règlement, la Commission autorise la publication du rapport d’information relatif à l’application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances.

Informations relatives à la Commission

La Commission a reçu en application de l’article 12 de la loi organique relative aux lois de finances :

– un projet de décret de transfert de crédits d’un montant de 57 894 000 euros en autorisations d’engagement (AE) et 72 600 000 euros en crédits de paiement (CP), du programme 129 Coordination du travail gouvernemental de la mission Direction de l’action du Gouvernement à destination du programme 144 Environnement et prospective de la politique de défense de la mission Défense.

Les annulations se répartissent de la façon suivante :

Ce mouvement de crédits est destiné à financer des programmes interministériels coordonnés par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) ;

– un projet de décret de transfert de crédits d’un montant de 1 589 081 euros en autorisations d’engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), du programme 134 Développement des entreprises et du tourisme de la mission Économie et du programme 192 Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle de la mission Recherche et enseignement supérieur à destination du programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde de la mission Action extérieure de l’État et du programme 191 Recherche duale (civile et militaire) de la mission Recherche et enseignement supérieur.

Ces deux transferts de crédits sont répartis comme suit :

– 1 250 000 euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement du programme 192 au programme 191, destinés au financement d’une partie des contrats de recherche passés par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) avec la société Bull, en vue de développer la prochaine génération de supercalculateurs. La passation de ces contrats de recherche a été décidée par le Premier ministre le 10 juillet 2013. Ce transfert se justifie en raison du caractère stratégique que représente la maîtrise de ces technologies pour la défense nationale et dans d’autres domaines, comme la recherche publique ou la simulation industrielle ;

– 339 081 euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement du programme 134 au programme 105 afin de tenir compte de l’élargissement des compétences du ministère des Affaires étrangères et du développement international (MAEDI) à la promotion du tourisme. En effet, la contribution française à l’organisation mondiale du tourisme (OMT) sera désormais versée par le MAEDI en lieu et place de la direction générale des entreprises (DGE).

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 22 juillet 2015 à 10 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, Mme Karine Berger, M. Étienne Blanc, M. Jean-Claude Buisine, M. Christophe Caresche, M. Gilles Carrez, M. Jérôme Chartier, M. Alain Claeys, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jean-Louis Dumont, M. Alain Fauré, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Yann Galut, M. Marc Goua, M. Jérôme Lambert, M. Jean-François Lamour, M. Jean Lassalle, M. Jean Launay, M. Dominique Lefebvre, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-François Mancel, M. Patrick Ollier, Mme Valérie Rabault, M. Camille de Rocca Serra

Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Gaby Charroux, M. Jean-Claude Fruteau, M. David Habib, M. Patrick Lebreton, M. Marc Le Fur, M. Victorin Lurel, Mme Christine Pires Beaune, Mme Monique Rabin, M. Thierry Robert, M. Philippe Vigier, M. Laurent Wauquiez, M. Éric Woerth

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