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Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 2 mars 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 65

Présidence de M. Gilles Carrez, Président

–  Audition de M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France

–  Présences en réunion

La commission entend M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France.

M. le président Gilles Carrez. M. le gouverneur, depuis le début de cette législature, nous avons reçu à trois reprises votre prédécesseur, M. Christian Noyer. La première réunion, le 24 octobre 2012, avait porté essentiellement sur la modernisation du réseau de la Banque de France et sur le financement de l’économie par les banques. Le 30 janvier 2013, nous l’avions rencontré pour évoquer le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires. Notre dernier échange, portant sur tous les sujets mais notamment les questions de politique monétaire, s’était tenu le 17 février 2015.

En application des dispositions de l’article 13 de la Constitution, nous avons auditionné M. Villeroy de Galhau le 29 septembre dernier, préalablement à sa nomination par le Président de la République à la fonction de gouverneur de la Banque de France, qu’il exerce depuis le 1er novembre dernier.

Depuis lors, deux thèmes sont souvent revenus dans les débats de notre commission.

Je sais déjà, monsieur le gouverneur, que vous évoquerez le premier : la politique dite « non conventionnelle » de la Banque centrale européenne (BCE). Au mois de septembre dernier, vous nous aviez dit que « la politique monétaire active aujourd’hui menée avec Mario Draghi [était] la bonne pour tendre vers une inflation de 2 % » et qu’elle était « nécessaire aussi pour soutenir la croissance ». Or, depuis la fin de l’année 2015, nous assistons de nouveau à des phénomènes déflationnistes. Sont-ils temporaires ou permanents ? Avec la rapporteure générale, nous avons décidé de procéder à l’audition d’une demi-douzaine d’économistes ou de spécialistes de la banque, pour évoquer la situation financière internationale et les risques d’une crise du système financier mondial – en principe, ces travaux auront lieu les 23 et 30 mars prochains. En attendant, nous souhaiterions vous interroger sur les mesures que la Banque centrale européenne peut prendre afin d’éviter une nouvelle crise et de répondre à la crainte de la déflation.

L’autre thème est celui des conséquences des normes prudentielles, toujours plus contraignantes, qui s’appliquent aux banques européennes, notamment françaises – la question est au cœur des travaux de la mission d’information présidée par Jérôme Chartier, et dont la rapporteure est Valérie Rabault. Ne risquent-elles pas de handicaper les banques françaises et européennes, à l’heure où les marchés craignent qu’elles ne soient trop exposées au secteur pétrolier ? Au-delà, compte tenu de l’incertitude qui pèse sur la croissance mondiale, ne risquent-elles pas de trop peser sur l’activité bancaire ?

Par ailleurs, lors de votre audition, vous aviez insisté sur le rôle de la Banque de France dans le financement des petites et moyennes entreprises, rappelant notamment – j’y avais été très sensible – que vous aviez exercé des fonctions dans le secteur privé. En outre, vous aviez remis au Premier ministre, ce même mois de septembre, un rapport sur le financement de l’investissement. Vous nous aviez également fait part de votre intention d’aller sur le terrain, rencontrer toutes vos équipes régionales, au cours des premiers mois de votre mandat, et de vous faire une idée de la manière dont nos entreprises sont financées par le réseau bancaire. C’est là l’un des rôles de la Banque de France, et il s’agit non pas seulement d’établir des statistiques, mais aussi d’accompagner les banques et de déterminer si notre économie est financée correctement. Quelle est appréciation portez-vous aujourd’hui ? Et, dans un contexte de croissance modérée, la Banque de France envisage-t-elle de nouvelles mesures en matière de financement de nos entreprises pour soutenir le développement de notre économie ?

M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France. Monsieur le président, madame la rapporteure générale, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m’accueillir aujourd’hui, quelques mois après m’avoir accordé votre confiance. Je viens donc, pour la première fois – en ce qui me concerne, mais vous aviez auditionné mon prédécesseur –, évoquer les sujets essentiels du point de vue de la Banque de France ; j’attache à ces échanges réguliers une grande importance. Je détaillerai avant tout les deux sujets que vous avez évoqués, monsieur le président : l’environnement économique et monétaire et la situation des banques françaises.

L’environnement économique et monétaire est évidemment la question la plus importante aujourd’hui.

En termes de croissance, 2015 a été une meilleure année pour la France que 2014 : le PIB a progressé de 1,1 %, alors qu’il n’avait augmenté que de 0,2 % l’année précédente. En zone euro, la croissance a été supérieure : 1,5 %.

En ce début d’année 2016, la demande intérieure est résiliente, mais de nombreuses incertitudes extérieures ont pesé : la forte baisse des prix du pétrole ; la dégradation de la situation de certains pays émergents ; le ralentissement de la Chine ; des interrogations sur la situation de l’économie américaine ou les défis politiques en Europe. Si les risques sur la croissance mondiale se sont incontestablement accrus, la volatilité des marchés depuis le début de l’année est cependant jugée excessive. Ce double constat a dominé la réunion des ministres des finances et des banquiers centraux du G20 à Shanghai, le week-end dernier. Le communiqué publié marque l’engagement des pays membres à utiliser les différents leviers de la politique économique, pour soutenir à la fois – j’y insiste, car c’est l’un des messages importants de ce G20 – la demande et l’offre. Cela vaut en particulier pour la politique monétaire, sur laquelle le G20 a marqué un large consensus, Fonds monétaire international (FMI) en tête : « Les politiques monétaires continueront à soutenir l’activité économique et à assurer la stabilité des prix, en cohérence avec le mandat des Banques centrales ; mais la politique monétaire seule ne peut pas entraîner une croissance équilibrée. »

La nécessité de politiques monétaires actives vaut naturellement pour la zone euro. Les mesures non conventionnelles mises en œuvre depuis juin 2014 sont efficaces : selon les estimations de l’Eurosystème, elles auront pour effet 1 % d’inflation supplémentaire cumulée sur la période 2015-2017, et stimuleront la croissance dans une proportion voisine. L’inflation en zone euro reste cependant trop basse, puisque l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) est redevenu négatif – - 0,2 %, en février 2016 – et que l’inflation « de base », hors énergie et alimentation, n’est que de + 0,7 %. Je cite là les premières données disponibles, dites « flash », pour le mois de février, qui ont légitimement attiré l’attention des observateurs.

Je voudrais apporter deux précisions.

Premièrement, une inflation temporairement négative n’est pas la déflation. Celle-ci se définit comme un processus cumulatif de diminution des prix, y compris ceux des actifs, voire des salaires et de la production, comme en ont connu l’économie mondiale dans les années 1930 ou, partiellement, le Japon dans les années 1990. Aujourd’hui, nous retrouvons ce que nous avions connu au début de l’année 2015 : un épisode de quelques mois d’indices d’inflation négative, effet mécanique de la chute du prix du pétrole. Le parallélisme entre la courbe de l’inflation et celle du prix du pétrole est net, et, compte tenu de la nouvelle baisse de ce dernier, nous connaissons, ce mois de février, un nouvel épisode d’inflation négative :
- 0,1 % pour la France, - 0,2 % pour l’ensemble de la zone euro. Dès lors que le prix du pétrole se stabilise, nous devrions retrouver une inflation légèrement positive dans la seconde moitié de cette année.

Deuxièmement, les responsables monétaires doivent examiner attentivement cette situation. La baisse du prix du pétrole peut, au-delà de ses effets mécaniques et temporaires, avoir des effets d’entraînement plus durables, sur le prix des autres biens et services
– l’inflation « de base », sous-jacente, est elle-même trop basse – comme sur l’évolution des salaires, ce que les économistes appellent des « effets de second tour ». Ce sont surtout ceux-ci qu’il nous revient de scruter, dans les prévisions de l’Eurosystème qui seront publiées le 10 mars. Nous ne sommes pas en déflation, mais il faut éviter que les anticipations sur l’inflation future ne deviennent trop pessimistes. C’est l’enjeu de la bataille menée par la BCE, une bataille menée avec détermination et efficacité, mais qui n’est pas terminée.

Dans cet environnement, la crédibilité de notre politique monétaire passe par trois conditions, qui touchent à son objectif, ses instruments et ses éventuels effets secondaires.

Tout d’abord, il faut faire preuve d’une grande constance en ce qui concerne notre objectif : viser à moyen terme un taux d’inflation proche de – et inférieur à – 2 %. C’est essentiel pour que les ménages et les entreprises puissent, par-delà la volatilité de court terme des marchés, ancrer leurs anticipations d’inflation.

Ensuite, il faut utiliser notre palette d’instruments, si nécessaire dès le prochain Conseil des gouverneurs. Je voudrais souligner à cet égard que les taux d’intérêt négatifs, qui suscitent beaucoup de questions, ne sont naturellement pas une fin en soi. L’Eurosystème dispose d’une palette d’autres instruments « non conventionnels » : des financements à moyen terme des banques en échange de leurs engagements de crédit, avec les targeted longer-term refinancing operations (TLTRO), mis en œuvre en 2014 ; des achats de titres, avec le quantitative easing (QE) ; des indications sur l’évolution à venir des taux directeurs et de la fourniture de liquidités, ce qu’on appelle la forward guidance.

Troisième condition, il faut surveiller les éventuels effets secondaires de notre politique monétaire. Aujourd’hui, soyons clairs, nous ne voyons pas de bulle financière, mais nous sommes prêts à agir si nécessaire en prenant des mesures macroprudentielles, notamment dans le cadre du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), que vous avez créé par la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013.

Cependant, comme l’indiquait donc le communiqué du G20, si la politique monétaire fait beaucoup, elle ne peut pas tout. Pour assurer la croissance dans la durée, il faut poursuivre résolument les réformes nationales, autour de la priorité à l’emploi et en s’inspirant des succès de certains de nos voisins européens. Il faut également, parallèlement à ces réformes nationales, des réformes européennes pour une meilleure coordination des politiques économiques ; si nous n’optimisons pas la gouvernance de la zone euro, nous n’optimiserons pas sa croissance.

J’en viens à la situation des banques françaises.

Vous y faisiez allusion, monsieur le président : les marchés financiers ont manifesté récemment des inquiétudes pour la santé des banques, en particulier des banques européennes. Cela a également affecté les cours des banques françaises, sans qu’aucune interrogation spécifique l’explique. La réalité est que celles-ci sont aujourd’hui très solides, bien plus qu’avant la crise de 2007-2008. Leur ratio de solvabilité common equity tier 1 (CET1), défini comme le rapport entre leurs fonds propres les plus « durs » et leurs risques, a doublé entre 2008 et 2015, et ce n’est pas le fruit du hasard, c’est le résultat des diverses régulations adoptées à l’échelle internationale, européenne et française. Pour l’ensemble des banques françaises, ce ratio est passé de 5,8 % à 12 %, soit un peu plus que la moyenne internationale ; cela représente un montant supplémentaire de 132 milliards d’euros. En outre, les résultats des banques françaises restent solides, avec une progression de 8,2 %, hors éléments exceptionnels, entre 2014 et 2015. Par ailleurs, la situation de liquidité est totalement différente de celle de 2008 – le crédit interbancaire était alors presque arrêté. Grâce à l’action monétaire de l’Eurosystème, les banques ont, globalement, un excédent de liquidités de 690 milliards d’euros. De ce fait, elles continuent, c’est important, de financer l’économie réelle : les crédits bancaires aux entreprises restent très dynamiques en France, avec un rythme de croissance annuel de 4,1 % à la fin de l’année 2015 – le plus élevé de la zone euro. Cela n’empêche pas d’accorder une attention particulière aux très petites entreprises (TPE). J’ai ainsi annoncé la mise en place, dans chaque succursale de la Banque de France, d’un correspondant TPE pour faciliter leur financement.

Face aux incertitudes sur les banques, la priorité, en matière de réglementation, est aujourd’hui de finaliser rapidement – d’ici à la fin de l’année – les normes dites « Bâle III », sans accroître significativement les exigences qui pèsent globalement sur les banques européennes en termes de fonds propres. Il s’agit bien de terminer Bâle III, non de lancer un hypothétique « Bâle IV ».

Je termine par quelques mots sur la Banque de France elle-même. Lors de mon audition du 29 septembre dernier, j’avais été amené à vous présenter ma vision de ses missions, autour de trois grands objectifs : la stratégie monétaire d’abord, puisque nous sommes partie prenante d’un Eurosystème fédéral ; la stabilité financière ensuite, puisque nous assurons notamment, avec l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), la surveillance des banques et des compagnies d’assurances ; le service économique que notre réseau sur le terrain fournit aux ménages – avec le traitement du surendettement et le droit au compte – et aux PME et TPE. Je me suis déjà rendu dans quatre régions, conformément à l’engagement que j’avais pris devant vous. Je crois profondément à ces missions sur le terrain et en leur avenir. C’est pourquoi il est impératif de les mener de la façon la plus performante et la plus efficace possible. Notre ambition, avec l’équipe de direction et les hommes et femmes de la Banque de France, est vraiment d’être un service public exemplaire, encore plus productif, plus innovant, plus visible en France et en Europe.

M. le président Gilles Carrez. Je donne tout d’abord la parole à notre rapporteure générale et à Jérôme Chartier, puisqu’ils pilotent ensemble une mission d’information consacrée notamment aux règles prudentielles.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Monsieur le gouverneur, selon vous, risquons-nous une nouvelle crise financière du type de celle de 2008 ? Les mouvements constatés ces temps-ci m’inquiètent beaucoup, et je ne suis pas certaine que nous disposerions des cartouches suffisantes pour réagir si une telle crise devait survenir : les taux d’intérêt sont déjà nuls, ou presque, et les banques centrales ont déjà largement recouru à l’outil de la création monétaire.

Ensuite, depuis que nous nous sommes vus, les montants concernés par la titrisation ont continué de grimper – je parle en général, non pas seulement de la France et de l’Europe. Or, s’il regroupe des réalités très diverses, cet ensemble est tout de même beaucoup moins régulé que le financement bancaire – vous y avez fait allusion en évoquant l’état d’avancement de la mise en œuvre de Bâle III. Disposons-nous, au niveau de la Banque de France et de la BCE, d’une consolidation de l’ensemble des risques mondiaux financiers ? Cela avait été annoncé il y a un an et demi, mais où en sommes-nous exactement ?

M. Jérôme Chartier. J’observe tout d’abord, monsieur le gouverneur, que les ratios de solvabilité des établissements bancaires se sont améliorés, mais ce n’est pas une surprise. Cela procède de plusieurs facteurs. C’est vrai, les établissements bancaires ont fourni des efforts tout à fait substantiels pour renouer avec une vraie solvabilité. En outre, des mesures de liquidité ont aussi été prises pour les soutenir et préserver ainsi le crédit aux entreprises ou aux particuliers.

Vous avez dit que nous entrions dans une phase de finalisation de Bâle III et qu’il n’y aurait pas de Bâle IV. C’est très important à l’heure où tout le monde s’interroge sur les risques d’un arrêt des mesures de liquidité dans un contexte d’inflation toujours en deçà de l’objectif de 2 %, voire négative : demander aux banques françaises et européennes des efforts supplémentaires en termes de solvabilité pourrait entraîner une raréfaction du crédit.

Ma première question est assez simple. Qu’en est-il de l’application des mesures de Bâle III aux établissements hors zone euro ? Je pense bien sûr aux établissements bancaires américains, qui relèvent de l’autorité de la Réserve fédérale. Comment envisagent-ils la mise en œuvre de Bâle III ?

Ma deuxième question porte sur la Banque de France elle-même. Je vois bien, aujourd’hui, au niveau de la région d’Île-de-France, ce qu’elle apporte aux collectivités territoriales. Je sais quels services, très utiles, mon interlocutrice de la Banque de France à l’échelle régionale propose, notamment en matière d’information, mais je m’interroge sur l’utilité des établissements départementaux de la Banque de France. Quel est leur lien avec les collectivités territoriales ou avec les agents économiques de territoire ? Qu’apportent-ils aujourd’hui ?

Je terminerai, vous m’en excuserez, par deux questions peut-être un peu plus politiques – vous avez, bien sûr, le droit de ne pas y répondre, monsieur le gouverneur.

Le pétrole est bas, et le gaz le suit ; l’inflation est négative, mais vous allez la stabiliser autour de l’objectif de 2 % ; le crédit est très largement financé, disponible à des taux très bas. Dans le même temps, le consensus des économistes a révisé à la baisse la prévision de croissance de la France : elle passe de 1,5 % à 1,3 %. Qu’est-ce qui « cloche », monsieur le gouverneur ? Pourquoi la croissance n’est-elle pas de 2 %, alors que tous les voyants sont au vert ?

Par ailleurs, dans l’éventualité d’un « Brexit » à l’issue du référendum britannique du 23 juin prochain, seriez-vous prêt à entrer dans une démarche militante et à faire valoir l’intérêt de la place de Paris auprès des établissements financiers londoniens qui se demanderaient alors où se relocaliser au cœur de l’Europe, voire au cœur de la zone euro ?

M. Alain Rodet. Il est de notoriété publique, monsieur le gouverneur, que le président de la Bundesbank, M. Weidmann, entretient des rapports un peu difficiles avec M. Draghi, dont il conteste une partie de l’action. Or, vous avez récemment signé avec votre homologue allemand une tribune dans un quotidien du soir. Partageriez-vous ses réserves à l’endroit de M. Draghi ?

M. Charles de Courson. La politique monétaire n’a-t-elle pas épuisé son efficacité, monsieur le gouverneur ? Alors que des montants considérables de liquidités sont injectés, au rythme de 60 ou 70 milliards d’euros par mois, l’inflation ne remonte toujours pas. Citant le dernier communiqué du G20, vous avez pudiquement rappelé que la politique monétaire ne peut pas tout… mais peut-elle encore quelque chose ?

Ensuite, certes, les ratios de solvabilité des banques ont doublé, mais n’avons-nous pas un vrai problème avec le shadow banking ? Je n’aime pas l’expression, parce que ce n’est pas du banking et que ce n’est pas shadow. Disons plutôt : les formes de financement qui ne passent pas par le système bancaire. Elles se sont beaucoup développées, certes nettement moins en France qu’à l’étranger, mais n’est-ce pas là que résident les risques auxquels nous serons vraiment exposés au cours des prochaines années ?

Enfin, ne faut-il pas interpréter a contrario l’évolution des crédits aux sociétés non financières ? Vous avez évoqué leur croissance comparée, du mois de juin 2014 à aujourd’hui, dans un certain nombre de grands pays européens. Pourquoi les crédits aux sociétés non financières françaises croissent-ils sur toute la période en France, tandis qu’ils décroissent dans beaucoup d’autres pays, sauf à la fin ? N’est-ce pas tout simplement la traduction du fait que les entreprises françaises ont le plus faible taux de marge d’Europe ? Dans ces conditions, elles sont bien incapables de se financer autrement que par le crédit !

Mme Marie-Christine Dalloz. Je vous ai écouté attentivement, monsieur le gouverneur, et j’ai cru comprendre que vous écartiez le risque de bulle financière. Cependant, pour nous rassurer, vous nous dites qu’il est prévu, le cas échéant, de prendre des mesures macroprudentielles. Quelles en seraient donc les grandes lignes ?

Quant au ratio de solvabilité des banques, si la moyenne internationale est de 11,5 % et le ratio français de 12 %, j’aurais aimé plus de détails sur les écarts entre les uns et les autres. À quel niveau le ratio national le plus faible se situe-t-il ? Tout danger n’est pas écarté.

Et puis notre système bancaire, qui a énormément été mis à contribution et dont on mesure les efforts, a aujourd’hui besoin d’un environnement stabilisé. Il faut finaliser Bâle III et s’en tenir là, donc pas de Bâle IV en perspective, nous avez-vous dit, mais est-ce vraiment la fin de ce chantier ? Allons-nous demander à tous les pays de mettre en œuvre rapidement les ratios que doivent respecter nos banquiers français ? Et quid du shadow banking ? C’est un réel problème, qu’il faudra bien traiter.

M. Éric Alauzet. Finalement, monsieur le gouverneur, mes collègues et moi-même avons un peu les mêmes questions. Pour ma part, je vous interrogerai sur le financement de l’économie – sa disponibilité, sa sécurité et son orientation.

Outre l’objectif de remonter le taux d’inflation, le quantitative easing avait un autre objectif important, qui était de réorienter les fonds, les actifs, les investissements des entreprises pour dynamiser l’économie. Il semblerait que l’objectif ne soit pas atteint, en tout cas pas à la hauteur des montants injectés par la BCE. Du coup, nonobstant vos propos rassurants, je m’inquiète moi aussi de la possibilité d’une bulle. Après la bulle des actions en 2000, après la bulle immobilière de 2007-2008, une bulle obligataire pourrait-elle voir le jour, qui concernerait même les obligations les plus sûres ?

Nous avons tous souhaité plus de régulation bancaire, et vous avez voulu nous rassurer sur les fonds disponibles mais, tout de même, les règles prudentielles ne brident-elles pas leur mobilisation en faveur des entreprises ? Et, parallèlement, puisqu’il n’est pas soumis à ces règles, le shadow banking n’est-il pas en train de prospérer ?

Enfin, en ce qui concerne l’orientation des fonds pour l’économie, constatez-vous, après les engagements de la COP21, une inflexion en faveur du financement de la transition énergétique et écologique ?

M. Gaby Charroux. Monsieur le gouverneur, quel est, selon vous, le risque que le taux d’inflation reste durablement négatif ? Et quelles mesures monétaires défensives pourriez-vous envisager ?

M. Alain Fauré. Monsieur le gouverneur, quel est votre avis sur le rôle joué la Banque publique d’investissement (Bpifrance) dans le financement de l’économie ? A-t-elle réellement amélioré l’accompagnement des entreprises ?

Par ailleurs, dès que des PME et TPE sont l’objet, souvent à leur demande, d’un plan de sauvegarde parce qu’elles ont connu des difficultés passagères et qu’il s’agit de les protéger, cet outil, conçu pour les aider à traverser des périodes difficiles, se retourne contre elles. En effet, les banques, les organismes financiers se détournent d’elles et ne veulent pas les accompagner, alors qu’ils ne courent pas grand risque une fois la situation redressée. Nous sommes souvent sollicités dans nos circonscriptions par des entreprises confrontées à ce problème, et j’aimerais connaître votre sentiment.

Mme Arlette Grosskost. Je reviens également sur le shadow banking. Huit ans après la crise, la réforme du système bancaire semble stabilisée, notamment par Bâle III. Les ratios de solvabilité et de liquidité ne sont apparemment plus des problèmes.

Cependant, le non-régulé, le shadow banking prend de plus en plus d’ampleur, sans que nous parvenions à mesurer celle-ci. Outre-Atlantique, on en fait l’éloge, de même que l’on faisait l’éloge de la titrisation avant la crise. Qu’en pensez-vous, monsieur le gouverneur ? Doit-on craindre le shadow banking ? Et, dans la mesure où certains voisins européens ne respectent pas les nouveaux ratios bancaires, quel peut être son impact sur les banques françaises ? Que répondez-vous aux banques qui estiment que ce sont les critères de Bâle III, et ces nouveaux ratios, tels le liquidity coverage ratio (LCR) ou le net stable funding ratio (NSFR), qui favorisent ou nourrissent ce basculement vers des intermédiaires financiers non bancaires, aggravant ainsi les risques systémiques ?

Par ailleurs, ce correspondant TPE que vous proposez de mettre en place est une très bonne idée, mais quels seront vos critères de sélection, et en quoi consisteront les interventions auprès des TPE ? Pour le dire très rapidement, avez-vous prévu quelque chose en cas de retournement ?

M. Marc Goua. Monsieur le gouverneur, vous nous avez rassurés sur les fonds propres des banques, mais leur capitalisation boursière s’est véritablement effondrée. À quels risques liés au secteur pétrolier le système bancaire est-il exposé, qui expliqueraient que la capitalisation boursière de la Société générale soit aujourd’hui environ la moitié du montant de ses fonds propres ?

Quant au crédit, comme de nombreux collègues l’ont indiqué, il y a le shadow banking et il y a le crédit bancaire. En ce qui concerne ce dernier, j’ai plutôt le sentiment que le financement des entreprises souffre toujours de restriction. Il n’est pas une semaine sans que des TPE et PME viennent se plaindre auprès de moi du fait qu’elles n’arrivent pas à accéder au crédit bancaire. Quel sera donc le rôle de votre correspondant départemental ?

M. Patrick Hetzel. Je voudrais prolonger la question de Marie-Christine Dalloz sur les mesures envisagées en cas de bulle financière. Ma question se situe en amont : aujourd’hui, quels éléments précis vous permettent de dire, monsieur le gouverneur, que nous ne sommes pas en présence d’une potentielle bulle financière ? Comme un certain nombre d’analystes financiers ne partagent pas ce point de vue, il m’intéresserait de savoir pourquoi vous êtes aussi catégorique.

M. Patrick Lebreton. J’appelle votre attention, monsieur le gouverneur, sur le projet de transformation de l’Institut d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM) en société par actions simplifiée filiale de la Banque de France. Directement lié au rapprochement des activités outre-mer de l’Agence française de développement (AFD), dont dépend l’IEDOM, et de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), ce projet de rapprochement répond à une logique de simplification et de cohérence entre les différentes missions de ces agences – et, de ce point de vue, l’ensemble des acteurs publics locaux sont demandeurs.

La filialisation impliquée n’est cependant pas sans susciter de très fortes inquiétudes. Qu’en sera-t-il, tout d’abord, des missions dévolues à l’IEDOM ? Il s’agit du traitement du surendettement, de la circulation de la monnaie fiduciaire et même du suivi des entreprises. Quel sera l’impact – il y en aura un, c’est inévitable – de cette réforme sur le statut et la mission des personnels de l’IEDOM ? Ils sont inquiets, et nous appellent à la vigilance.

Je souhaiterais donc que vous nous éclairiez et, surtout, que vous nous donniez des garanties sur les missions de service public de l’IEDOM et l’évolution statutaire de ces agents.

M. Guillaume Bachelay. Nous avons évoqué, monsieur le gouverneur, cette période « multicrises » que traverse l’Europe. Le défi de l’investissement compte parmi ceux qu’elle doit relever. En effet, l’épargne est très abondante, dans l’Union européenne, mais elle ne bénéficie pas suffisamment à l’investissement productif. Vous l’avez d’ailleurs récemment évoqué dans cette tribune cosignée avec le président de la Bundesbank, M. Weidmann, dans laquelle vous appelez à une « union de financement et d’investissement ». Quels en seraient le contenu, les principaux piliers, les têtes de chapitre ? Et quel accueil la proposition reçoit-elle auprès de la BCE, du Conseil européen, de la Commission européenne ?

Par ailleurs, indépendamment des enjeux globaux, macroéconomiques, européens, qui mobilisent des sommes considérables, il entre également dans les missions de la Banque de France de rendre des services concrets aux particuliers, notamment à nos concitoyens confrontés au surendettement. Envisage-t-elle de nouvelles actions en la matière ? Et estimez-vous satisfaisante la législation relative au crédit revolving ?

Mme Eva Sas. Le décret d’application de l’article 173 de la loi relative à la transition énergétique a été publié au Journal officiel le 31 décembre dernier. Imposant aux investisseurs institutionnels et aux gestionnaires d’actifs plus de transparence sur l’empreinte carbone de leur portefeuille, l’évaluation de la part verte de leurs investissements et la définition d’une stratégie dite « de bas carbone », cet article vise deux objectifs : évaluer l’impact des investissements des institutionnels sur le risque climatique et offrir aux citoyens une information sur l’allocation de leurs actifs, afin qu’ils puissent éventuellement faire pression dans le sens d’un désinvestissement des secteurs de l’économie carbonée. Quelle évaluation faites-vous, à ce stade, de la mise en œuvre de cet article 173 ? Pensez-vous que les investisseurs institutionnels seront en mesure de respecter dès 2016, comme ils le doivent, cette loi relative à la transition énergétique ?

M. Laurent Wauquiez. Vous avez fait allusion, monsieur le gouverneur, au financement des TPE. Pourriez-vous préciser un peu la situation, les évolutions envisageables, les réponses qui peuvent être apportées ? La constitution de fonds régionaux dédiés vous paraît-elle une piste alternative ?

M. Christophe Castaner. La politique monétaire fait beaucoup, mais elle ne peut pas tout, rappeliez-vous, évoquant la nécessité de réformes nationales inspirées par les expériences couronnées de succès en Europe. J’éviterai de vous demander votre sentiment sur le projet de loi préparé par Mme El Khomri, pour en venir aux réformes européennes visant à une meilleure coordination économique.

Lors de votre audition le 29 septembre dernier, nous nous demandions d’où vous veniez. Aujourd’hui, il s’agit de savoir où nous allons, à vos côtés. Or, vous évoquiez, lors de cette audition, cette union de financement et d’investissement qui reposerait sur une mise en synergie du plan Juncker avec une meilleure mobilisation des financements privés au service de l’entreprise, de l’investissement et de l’innovation en Europe. Il me semble que vous développez la même idée dans la tribune évoquée par Guillaume Bachelay. Pourriez-vous nous préciser comment cette proposition est reçue ? Pourriez-vous nous en dire plus sur la nécessité d’une meilleure coordination des politiques économiques à l’échelle de l’Europe ?

Mme Claudine Schmid. Vous avez évoqué l’optimisation de la gouvernance de la zone euro. Pourriez-vous nous apporter des précisions ? Faudrait-il aller jusqu’à nommer un ministre des finances de la zone euro ?

D’autre part, quel est le montant des billets mis en circulation par la Banque de France en 2015 ? En 2014, il était de 2 640 milliards d’euros. Et à quoi a-t-il été utilisé ?

M. Michel Vergnier. Vous avez récemment plaidé pour une réorientation de l’épargne en faveur de l’investissement, et je vous approuve plutôt. Cela dit, la Cour des comptes a récemment remis en question l’efficacité du dispositif fiscal « ISF-PME », dont nous discutons fréquemment entre nous. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Quant à la présence de la Banque de France dans les territoires, elle se réduit comme peau de chagrin, au point de ne plus être, parfois, que symbolique. Je m’inquiète beaucoup pour ses missions de base, pas simplement l’instruction des dossiers de surendettement mais aussi l’analyse et le conseil économiques pour l’ensemble des entreprises. Les territoires fragiles sont de plus en plus inquiets.

M. Romain Colas. À l’instar de mes collègues Bachelay et Castaner, je voudrais en savoir plus sur la réalité que pourrait avoir cette union de financement et d’investissement que vous proposez avec votre homologue allemand.

Cela dit, au-delà des initiatives européennes que vous appelez de vos vœux, vous aviez évoqué la nécessité de mobiliser l’épargne française et de réorienter en faveur du financement des entrepris, notamment grâce à de nouveaux produits d’épargne. Quel rôle la Banque de France entend-elle jouer vis-à-vis du réseau bancaire français en la matière ? Quelles discussions avez-vous pu engager avec les autorités gouvernementales ? Vous insistiez sur la nécessité de veiller à la neutralité fiscale de ces nouveaux produits d’épargne – pour qu’ils soient plus attractifs, j’imagine.

Quant au surendettement des ménages, le nombre de dossiers traités a diminué de 6 % entre 2014 et 2015, mais il s’élève tout de même à 217 000. Quelles sont les raisons de cette baisse ? Et ne faudrait-il pas de nouvelles dispositions législatives pour prévenir le surendettement ? Évidemment, 217 000 dossiers, c’est encore trop.

M. Jean-Christophe Fromantin. Je voudrais, monsieur le gouverneur, votre avis sur l’impact de la politique monétaire sur nos exportations et aussi, un peu, sur les exportations allemandes. Nos économies sont construites de manière très différente, car les exportations allemandes progressaient même quand l’euro était fort. N’y a-t-il pas là une divergence majeure ? Cette politique monétaire, avec un euro faible, correspond bien aux vœux de la France, dont nous connaissons les problèmes de compétitivité, mais l’Allemagne, elle, n’a pas forcément besoin d’un euro faible, d’autant que son secteur industriel importe beaucoup de produits intermédiaires pour exporter des produits finis – un dollar faible serait donc un avantage pour la politique allemande. N’y a-t-il pas là un antagonisme entre ces deux économies, ces deux pays, qui prétendent appeler à une convergence, mais dont les modèles économiques sont construits différemment ?

M. Jean-Louis Gagnaire. Vous avez évoqué beaucoup de sujets, mais pas la médiation du crédit. Or, celle-ci, mise en place en 2008, joue un rôle essentiel pour le financement des entreprises, et offre aussi à la Banque de France un poste de vigie assez essentiel pour observer ce qui se passe, très concrètement, au niveau des entreprises et mesurer les carences du système de financement des entreprises. Alors qu’en est-il, quantitativement et qualitativement, des entreprises qui arrivent désormais auprès de la médiation du crédit ?

M. Jean Lassalle. Je ferai trois ou quatre observations – pas simplement parce que, selon les statistiques, j’ai du retard en termes de nombre d’interventions en commission et que les élections ont lieu l’an prochain…

Je voudrais surtout féliciter M. le gouverneur de la Banque de France pour la qualité de ses services. Un de mes collègues rappelait à l’instant le niveau d’endettement des ménages et le rôle terrifiant de la commission appelée à statuer sur leur cas. Je dois vous dire, monsieur le gouverneur, parce que je n’ai pas souvent l’occasion de le faire, que vos services font souvent preuve d’une grande compréhension, et cela fait vraiment du bien. J’espère que vous leur transmettrez – cela me facilitera aussi la tâche pour la suite…

Je rebondis sur la question de mon collègue Wauquiez. Serait-il possible que vous interveniez dans des programmes État-régions ? Cette perspective semble commencer à se dessiner.

En ce qui concerne votre action, je salue le courage dont vous faites preuve. J’ai lu la tribune dont il a été question. L’ouverture des crédits, la mobilisation des masses financières, c’est très important, et on pourrait commencer par là.

J’en viens à deux questions « à l’emporte-pièce ». Même s’ils ne le disent pas forcément, nombreux sont les économistes qui estiment qu’une nouvelle bulle va nous faire beaucoup de mal, et que des entreprises du CAC 40 en souffriront. Je ne le souhaite évidemment pas, mais, si cela arrive, comment pourriez-vous réagir ? Enfin, quelle est réellement, aujourd’hui, votre capacité d’action, au niveau national, en tant que gouverneur de la Banque de France ? Quand je vois le mot « Eurosystème » sous les mots « Banque de France » dans votre logo, je m’interroge.

Avec ces questions, monsieur le président, j’aurai fait des progrès !

M. le gouverneur de la Banque de France. Je remercie tout d’abord l’ensemble des membres de la commission des finances, pour ces questions nombreuses et riches. Effectivement, j’en regrouperai certaines, en espérant n’en oublier aucune.

Permettez-moi tout de suite, monsieur Lassalle, de vous remercier pour l’appréciation que vous portez sur les services de la Banque de France à Pau. Elle leur sera transmise, et je me permets de penser que, par votre intervention, vous vous faites presque le porte-parole d’autres départements.

Madame la rapporteure générale, la question du parallèle avec 2008 est effectivement souvent posée. En matière de pronostic, il faut toujours être prudent, la vie économique et financière pouvant toujours nous réserver des surprises. Néanmoins, il y a une très grande différence avec la situation de 2008 : la solidité accrue du secteur bancaire. Ce n’est pas un hasard, c’est le résultat de notre action collective, si j’ose dire, en particulier de l’action du législateur que vous êtes, mesdames et messieurs les députés. En 2008, c’est un secteur bancaire fragile en termes de fonds propres et plus fragile encore en termes de liquidité qui s’est confronté aux incertitudes boursières et économiques. Souvenez-vous que nous sommes entrés dans le dur de la crise au mois de septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers, due à un défaut non pas de solvabilité, par manque de fonds propres, mais de liquidité, par manque de trésorerie.

Aujourd’hui, la situation des banques, à l’échelle internationale mais particulièrement en Europe, a fortiori en France, est beaucoup plus solide en termes de fonds propres. Plus encore, la situation de liquidité est radicalement différente : les banques sont en situation d’excédent de liquidité. Voilà qui peut répondre à certaines questions sur la transmission de la politique monétaire, car c’est la justification des taux négatifs pratiqués par la BCE. Si une banque commerciale dépose son excédent de liquidités à la BCE, elle est pénalisée par un taux négatif de - 0,3 % ; cela illustre bien le fait que nous sommes dans une situation de liquidité radicalement différente de celle de 2008. Aujourd’hui, le crédit aux entreprises comme aux ménages ne risque pas d’être brutalement freiné en raison de tensions sur la liquidité. Il nous appartient de rester extrêmement vigilants – j’y reviendrai à propos des bulles et des mesures macroprudentielles – mais, en ce qui concerne le secteur financier, le paysage de 2016 est objectivement différent de celui de 2008.

Quant à la titrisation, les montants concernés restent significativement inférieurs à ce qu’ils étaient avant 2007. C’est vrai aux États-Unis, mais cela l’est tout autant en Europe. La titrisation est une question sensible, dont nous avions d’ailleurs eu l’occasion de parler lors de mon audition du 29 septembre dernier. Nous partageons largement la conviction qu’elle ne peut s’envisager que dans des conditions de sécurité beaucoup plus grandes qu’avant 2007. Au prix de ces conditions, la titrisation peut, je le redis, être un instrument utile, parmi d’autres, au financement de l’économie.

L’essentiel est cette sécurité accrue. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Les banques centrales, en particulier la Banque d’Angleterre et la BCE, puis le comité de Bâle, ont conduit un certain nombre de travaux. La balle, si j’ose dire, est aujourd’hui à Bruxelles, avec une initiative de la Commission européenne qui propose des critères d’une titrisation de meilleure sécurité, que résument trois initiales qui reviennent tout le temps : S, pour simple ; T, pour transparente ; C, pour comparable. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la titrisation ne remplissait pas ces critères avant 2007, notamment aux États-Unis. Cette proposition de la Commission est aujourd’hui sur la table du Conseil et du Parlement européen, mais les débats commencent seulement. Ce sujet est par ailleurs éminemment technique et il est très délicat de trouver le point d’équilibre qui permette de recourir, à titre subsidiaire ou complémentaire, cet instrument de financement dans des conditions de sécurité accrue ; nous pourrons en reparler lorsque ce débat européen aura avancé. Aujourd’hui, la proposition de la Commission européenne peut être jugée à la fois, du côté du Parlement européen, un peu trop ouverte et, du côté des professionnels, insuffisamment ouverte pour permettre le développement de la titrisation. Ces critiques des deux côtés n’impliquent pas forcément que la proposition de la Commission soit la bonne mais je crois que ce débat doit se poursuivre.

Monsieur Chartier, nous partageons ce constat dont nous pouvons nous féliciter collectivement : en termes de solvabilité comme de liquidité, la situation a radicalement changé – et il était important d’avancer sur ces deux fronts. La question de l’application de Bâle III en dehors de la zone euro, notamment aux États-Unis, est légitime, et très souvent posée. Globalement, la régulation y a aussi été très significativement renforcée, en prenant le cas échéant des formes juridiques différentes – je songe à la loi Dodd-Franck qui a sensiblement durci les règles applicables aux banques. Aujourd’hui, les exigences de solvabilité comme de liquidité applicables aux banques américaines sont relativement comparables aux règles qui s’appliqueront aux banques européennes. Nous devons être attentifs à ce qu’il en soit de même à l’échelle internationale, l’application de Bâle III à certaines banques de pays émergents ou du continent asiatique pouvant susciter un peu plus d’interrogations.

La pondération des risques est cependant un point de débat entre l’Europe et les États-Unis. Ce fameux ratio de solvabilité rapporte les fonds propres « durs » à des risques pondérés par l’application des modèles internes aux banques. C’est assez logique, un crédit à un État souverain étant moins risqué qu’un crédit à un particulier ou à une PME. Les États-Unis ont tendance, pour leur part, à retenir une approche plus standard, c’est-à-dire qu’ils utilisent beaucoup moins ces modèles internes des banques et ne pondèrent pas les différents risques au bilan. Cette approche nous semble moins justifiée du point de vue de la sensibilité au risque, parce qu’elle peut pousser les établissements à prendre davantage de risques, ainsi que du point de vue de la réalité économique. Cela dit, des travaux sont prévus, dans le cadre du comité de Bâle, pour assurer la plus grande comparabilité entre cette approche fondée sur les modèles et cette approche standard – cela fait partie des travaux de finalisation qui auront lieu cette année. Nous nous orientons en partie vers une approche hybride, basée à la fois sur les modèles et sur l’approche standard.

Je vous remercie, monsieur Chartier, du jugement positif que vous portez sur la contribution la Banque de France en Île-de-France. Qu’en est-il de l’utilité d’une présence départementale ? Votre question est symétrique de celle d’un certain nombre de vos collègues sur la présence, dans l’ensemble des territoires, de la Banque de France.

Le principe retenu est extrêmement simple. Dans le cadre de l’actuelle réorganisation de notre réseau, nous maintiendrons dans chaque département une succursale, appelée dans nombre de cas « succursale de présence de place ». Cela nous semble la bonne solution, qui permet à la fois le maintien d’une présence de terrain extrêmement utile et d’importants gains de productivité sur certaines tâches de traitement. Ainsi, nous tendons à regrouper au niveau régional, dans des centres de traitement partagé, le traitement en back office des dossiers de surendettement, le traitement d’un certain nombre de dossiers d’entreprise et ce qui concerne les caisses de la Banque de France, c’est-à-dire la circulation fiduciaire, la circulation des billets. Le regroupement de ces tâches, qui ne nécessitent pas une présence dans chaque département, permet donc des gains de productivité, et nous investissons aussi pour les traiter de façon encore plus efficace.

Le maintien d’une succursale de présence de place nous paraît, en revanche, extrêmement important pour assurer une présence de proximité auprès de l’ensemble des clientèles que nous servons : les entreprises, prioritairement des PME et des TPE, avec la médiation du crédit et ce correspondant TPE dont j’ai parlé, qui doit être au plus près du terrain, mais aussi les ménages, pour le surendettement. Il est important que les ménages qui le souhaitent puissent s’adresser directement à un guichet de la Banque de France dans leur département. Nous devons, bien sûr, développer un traitement par internet, cela répond aux vœux de nombre d’entre eux, mais il nous paraît très important de maintenir cet accueil du public, ménages comme entreprises, dans chaque département. Tel est le sens de ces succursales de présence de place, et cette combinaison nous paraît aussi permettre des gains de productivité, évidemment souhaitables pour l’efficacité de la Banque de France et pour nos finances publiques.

Avec vos deux questions « plus politiques », monsieur Chartier, je m’aventure aux frontières de mon champ de compétence, mais je vais essayer de ne pas m’en évader complètement. Pourquoi la croissance n’est-elle pas de 2 % malgré de nombreuses conditions favorables ? Tout d’abord, cette question, très légitime, n’est malheureusement pas spécifiquement française. Elle se pose pour l’ensemble de la zone euro, et l’économie mondiale elle-même se trouve aujourd’hui sur une trajectoire de croissance autour de 3 % – ce chiffre peut nous paraître bon mais il est historiquement bas, et sensiblement inférieur à ce que nous connaissions avant la crise financière de 2007.

Deux ingrédients permettraient de transformer ces conditions favorables en croissance forte, durable et créatrice d’emplois. L’un est microéconomique : la confiance des entrepreneurs, particulièrement, et des ménages. C’est un élément qualitatif, psychologique, et nous pourrions longuement débattre de ses déterminants, mais l’un d’eux me paraît évident : la simplification et la stabilisation, dans toute la mesure possible, des règles. Il est très important que les entrepreneurs, les acteurs économiques en général puissent savoir quel sera le paysage de leur activité au cours des prochaines années. L’autre ingrédient est évidemment l’amplification des réformes. Nous les souhaitons tous, très largement, dans cette salle, mais elles ne sont pas pour autant faciles à décider et à mettre en œuvre. Un certain nombre de réformes fort heureusement mises en œuvre en France montrent leur efficacité, c’est le cas en particulier du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et du pacte de responsabilité, mais, au-delà, nous aurions intérêt à regarder de façon très pragmatique un certain nombre de succès de nos voisins, qui réussissent à mener des réformes tout en préservant ce modèle social européen auquel nous sommes tous, dans cette salle de la commission des finances, très largement attachés. En Allemagne, en Espagne, plus récemment en Italie et, dans une moindre mesure, en Belgique, ont été trouvées les voies de réformes permettant une plus forte croissance. Au sein de la zone euro, ce sont les pays qui, à des périodes et sous des majorités différentes, ont réussi à mener ces réformes qui connaissent la plus forte croissance.

J’insiste aussi sur l’ingrédient de la confiance. Il est en particulier important pour l’investissement des entreprises, qui est un peu le chaînon manquant de la reprise aujourd’hui. Il ne faut pas simplement renvoyer toute la responsabilité aux pouvoirs publics, que nous sommes et que vous êtes : il y a aussi, dans cette souhaitable mobilisation collective à partir de ces conditions favorables, une nécessaire mobilisation des entreprises à travers leurs investissements.

Me lancerai-je dans une démarche militante si le référendum britannique du 23 juin se solde par un « Brexit » ? Je rappellerai d’abord, avec un sourire, que, lors de ce G20 de Shanghai, le gouvernement britannique a vivement souhaité que les dix-neuf autres pays s’engagent contre le Brexit. Ce n’était pas forcément acquis, et je ne suis fort heureusement pas responsable de la campagne référendaire au Royaume-Uni, mais il se trouve qu’a été ajoutée au communiqué la mention du fait que le Brexit représenterait un risque supplémentaire pour l’économie européenne et mondiale – le ministre des finances et moi-même nous y sommes bien volontiers prêtés. Puisque l’attitude des autorités britanniques nous autorise à formuler un souhait, tout étrangers que nous sommes, je souhaite donc que le résultat du référendum marque le maintien du Royaume-Uni dans l’Europe, car cela me semble la meilleure solution. Reste que, si le Brexit l’emporte, il est important que la place financière de Paris puisse non seulement se maintenir mais aussi se développer. C’est cependant vrai aussi si le Royaume-Uni reste dans l’Union, et nous nous sommes mobilisés en ce sens. Le ministre des finances a créé, avec l’association Paris EUROPLACE, le comité « Place de Paris 2020 », auquel vous participez, et un certain nombre d’actions ont été menées. Veillons toujours, c’est très important, à la compétitivité de la place de Paris. La question n’est pas seulement fiscale : il s’agit aussi d’avoir les bons produits, le bon appareil de formation… Il s’agit de l’attractivité de la place. Or, Paris ne manque pas d’atouts dans la compétition financière européenne.

Monsieur Rodet, vous l’avez noté, la tribune que j’ai signée avec M. Weidmann ne portait pas sur la politique monétaire, nous le précisons d’ailleurs explicitement. Je ne trahis pas d’immenses secrets en disant que je ne suis pas toujours sur la même ligne que le président de la Bundesbank dans les débats et délibérations du Conseil des gouverneurs. Nous avons cependant voulu marquer que, sur d’autres sujets, des avancées européennes étaient d’autant plus nécessaires que les différents pays ne peuvent s’en remettre à des solutions purement nationales pour relever les défis auxquels ils sont confrontés – ne citons que la crise des réfugiés pour l’Allemagne et la lutte contre le terrorisme pour la France. Cela vaut particulièrement en matière de politique économique. Il est donc nécessaire de progresser sur la gouvernance économique de la zone euro. Cela recouvre notamment deux choses.

C’est pour moi un point extrêmement positif de cette tribune que mon collègue allemand reprenne l’idée d’union de financement et d’investissement que j’avais avancée, notamment, dans le rapport sur le financement de l’investissement remis au Premier ministre à la rentrée dernière. Il s’agit de dire qu’il faut aller au-delà de la proposition d’une « union des marchés de capitaux » faite par la Commission européenne. La zone euro a la chance de disposer d’une ressource abondante, son épargne. L’excédent de l’épargne par rapport à l’investissement, mesuré par l’excédent extérieur courant de la zone euro, est d’environ 300 milliards d’euros, soit 3 % du PIB. Il s’agit de mieux mobiliser cette ressource pour répondre aux besoins d’investissement, où qu’ils se fassent jour, y compris dans le sud de l’Europe, y compris dans les secteurs les plus innovants, y compris dans les entreprises et le secteur productif. La réponse de l’union des marchés de capitaux concerne spécifiquement les capitaux privés, tandis que l’union de financement et d’investissement consisterait à mettre cela en synergie, pour dégager beaucoup plus de puissance, avec deux autres volets de l’action européenne. Le premier de ces deux volets est le plan Juncker, qui consiste, lui, en une mobilisation des capitaux publics, notamment à partir de la Banque européenne d’investissement (BEI), pour entraîner les capitaux privés. Si vous me permettez de le dire très trivialement, il ne faut pas raisonner avec deux lobes du cerveau séparés : le plan Juncker pour les capitaux publics d’un côté, l’union des marchés de capitaux pour les capitaux privés de l’autre. Il faut évidemment mettre tout cela ensemble en en annonçant la finalité, c’est aussi le sens de cette formule « union de financement et d’investissement ». Le troisième élément de cette synergie, c’est l’Union bancaire, pour un meilleur développement des flux de crédit bancaire transfrontaliers.

Tout cela relève du bon sens. Malheureusement, la réalité des procédures à Bruxelles fait qu’aujourd’hui ces trois volets – union des marchés de capitaux, plan Juncker et Union bancaire – se déploient de façon beaucoup trop séparée, et je crois que cela explique les limites de chacun. L’idée de cette union de financement et d’investissement a par ailleurs été reprise par le gouvernement italien dans son mémorandum de la semaine dernière. J’aurai l’occasion d’aller à Bruxelles le 22 mars et d’en reparler. Je crois qu’il faut évidemment pousser énergiquement cette idée, qui rencontre un soutien croissant.

Mme Schmid m’interroge sur la gouvernance économique de la zone euro. La construction, à côté de l’union monétaire, d’un pilier économique est, vous vous en souvenez, une vieille proposition française. Jacques Delors y avait beaucoup insisté, et Pierre Bérégovoy avait proposé un gouvernement économique européen. Peu importent les termes, on voit bien de quoi nous manquons aujourd’hui. La politique monétaire est bien une : si elle donne lieu à des débats, les décisions et les applications sont communes. Les politiques économiques, elles, restent beaucoup trop diverses. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles notre croissance est inférieure à l’optimum. Nous ne pouvons mener des politiques construites sur une base purement nationale dans une zone monétaire et commerciale unique. De vrais progrès de la coordination sont nécessaires… mais la coordination n’est pas une alternative aux réformes nationales. Il faut conjuguer réformes nationales et coordination européenne, et cela pourrait notamment prendre la forme d’un ministre des finances européen et d’un Trésor européen pleinement démocratiques – mais cette décision relève du pouvoir politique.

Non, monsieur de Courson, je ne crois pas que la politique monétaire ait épuisé son efficacité, mais votre question est d’autant plus légitime que l’inflation est à nouveau négative. Je le rappelle cependant : sans les mesures de politique monétaire prises, elle aurait été plus basse encore. Toutes les banques centrales membres de l’Eurosystème s’accordent à le constater – même celles qui sont réservées sur la politique suivie. Par ailleurs, j’ai insisté sur le fait qu’une gamme d’instruments est à notre disposition. Je l’ai également souligné et le communiqué du G20 le précise bien, la politique monétaire ne peut évidemment pas faire tout, mais il n’est pas question de renoncer à ces politiques monétaires actives. Mme Lagarde, directrice générale du FMI, a dit, très fortement, lors du G20, que les bénéfices de ces politiques monétaires actives l’emportaient nettement sur leurs inconvénients et leurs risques – nous allons reparler des mesures macroprudentielles et des bulles.

Vous avez également posé, avec d’autres, la question du shadow banking. Je me permets tout d’abord de renvoyer aux travaux du Haut Conseil de stabilité financière de juin dernier. Il a examiné de près et chiffré le développement du shadow banking en France. Au passage, je n’aime pas plus que vous cette expression. Le Haut Conseil emploie pour sa part la formule « secteur financier parallèle », que je vous propose de retenir. Au demeurant, la traduction de l’expression shadow banking suscite un débat parmi les spécialistes de la langue anglaise : « finance de l’ombre » aurait une connotation plutôt péjorative, mais certains relèvent que l’expression shadow cabinet n’a, elle, rien de péjoratif, il s’agit simplement d’un cabinet alternatif. Le Haut Conseil relevait au mois de juin que le développement de ce secteur financier parallèle reste relativement limité, en France tout au moins – et la situation n’a pas changé depuis lors. De quoi s’agit-il ? Non pas des banques, ni des assurances – celles-ci sont aussi l’objet d’une régulation renforcée, avec les normes « Solvabilité II » –, mais du reste : les fonds, les plateformes de crowdfunding et de financement participatif, le développement de ce qu’on appelle le private placement, c’est-à-dire les prêts privés directs, hors marché.

Cette réalité, comme toute réalité économique, a deux faces. L’une est positive : c’est une bonne chose que les PME et des TPE, dont vous êtes nombreux à vous préoccuper, puissent trouver des sources de financement au-delà du crédit bancaire. Bien sûr, celui-ci restera très majoritaire, mais les plateformes de financement participatif, qu’il s’agisse de crowdfunding ou de crowdlending, offrent une diversification bienvenue. La face potentiellement négative, c’est que ce secteur doit, au fur et à mesure qu’il se développe, être régulé de façon parallèle au secteur bancaire. Si les activités sont les mêmes, nos exigences prudentielles et en termes de transparence doivent être proportionnelles, quand bien même la nature juridique des acteurs est différente, et nous y sommes attentifs. Citons l’exemple de l’industrie des gestionnaires de fonds, les asset managers, dont les encours sont bien plus importants que les montants concernés par le financement participatif ; c’est l’un des chantiers qui restent ouverts à Bâle. Le Conseil de stabilité financière qui siège à Bâle et est présidé par le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, s’est engagé aujourd’hui à examiner précisément la liquidité de ces fonds, de grands fonds américains mais aussi des fonds français et européens importants, comme Amundi. Yves Perrier, directeur général d’Amundi, a exprimé publiquement le souhait d’un renforcement de la régulation du secteur, cela mérite d’être salué.

Je ne crois pas, monsieur de Courson, qu’il y ait, dans le cas de la France, un lien mécanique entre la croissance du crédit aux entreprises et la baisse du taux de marge. Celle-ci, nous en serons tous d’accord, était un défi pour l’économie française. Fort heureusement, le mouvement est en train de s’inverser, sous l’effet du pacte de responsabilité et du CICE. De 29 % en 2014, le taux de marge des entreprises devrait avoir remonté à 32 % en 2017.

Madame Dalloz, la surveillance des bulles requiert une vigilance permanente. Ne croyez pas que nous baissions la garde et que nous considérions que le risque est forcément écarté pour longtemps. Ainsi, à l’échelle française comme à l’échelle européenne, nous regardons où en sont un certain nombre d’indicateurs financiers par rapport à leur moyenne de long terme : le prix des actions, le taux d’intérêt des obligations, le prix de l’immobilier, celui du crédit. L’ensemble de ces variables sont actuellement en ligne avec les tendances de long terme, certaines d’entre elles se situent même à des niveaux légèrement inférieurs, et si une bulle pouvait être crainte sur le marché des actions à la fin de l’année 2015, la correction intervenue au début de l’année 2016 est, de ce point de vue, une réponse. Elle montre en tout cas que des politiques monétaires actives n’impliquent pas nécessairement une hausse permanente des marchés financiers.

Nous restons cependant vigilants, et si nous avions le sentiment que l’un ou l’autre des compartiments que je viens de citer présente des risques de bulles, nous pourrions effectivement prendre des mesures macroprudentielles. Celles-ci peuvent être décidées par le Haut Conseil de stabilité financière, présidé par le ministre des finances, sur proposition du gouverneur de la Banque de France. Ce double éclairage est utile, il correspond très précisément au dispositif que vous avez décidé dans la loi du 26 juillet 2013, et c’est un progrès extrêmement net. La plupart des pays européens voisins ont aujourd’hui un dispositif similaire ; ce n’est pas le cas de l’Italie, mais mon homologue italien m’a interrogé très précisément sur le fonctionnement du système français. Quant au type de mesures que nous pourrions prendre, ne déduisez rien de l’exemple que je choisis, mais, si nous estimions que les prix de l’immobilier commercial augmentent trop fortement dans certaines villes, nous pourrions, par exemple, demander que les financements externes, notamment bancaires, représentent une part plus limitée du montant des investissements immobiliers et que les financements par fonds propres soient plus importants. C’est ce genre de mesure de régulation que nous pourrions prendre.

Quant aux ratios de solvabilité, ceux de toutes les banques françaises sont significativement supérieurs à 10 %, sans qu’il y ait d’écarts marqués entre elles. Sur le plan international, vous le savez, la mise en œuvre de Bâle III est progressive d’ici à 2019. Toutes les banques n’en sont donc pas au même point, mais, globalement, on ne constate pas d’écarts marqués entre pays et nous assistons bien à un mouvement général rassurant.

M. Alauzet a posé la question de la disponibilité du financement de l’économie. Je disais tout à l’heure que toute réalité économique a deux faces. Nous surveillons donc deux périls opposés : la possibilité d’une insuffisance de financement des entreprises et celle d’un excès de crédit. Nous ne sommes pas dans une situation d’excès de crédit, et, globalement, il n’y a pas rationnement du crédit.

La régulation n’a-t-elle pas bridé excessivement le financement bancaire et favorisé tout aussi excessivement le développement du shadow banking ? Je ne le crois pas. Je sais que les banques avancent cela périodiquement, signalant des excès de la régulation, mais je pense qu’elles ont tort. Je développais assez longuement ce point de vue dans mon rapport, chiffres à l’appui. Nous sommes parvenus à un juste équilibre en renforçant la régulation autant qu’il était nécessaire sans freiner les financements. Au passage, la politique monétaire, très active, a évidemment aidé à mettre la liquidité nécessaire à la disposition des banques. Je le dis très nettement : aucune banque française n’est aujourd’hui limitée dans son activité de financement par la régulation – ni par les ratios de solvabilité ni par les ratios de liquidité. Pour autant, il ne me paraît pas moins important, aujourd’hui, de stabiliser ce cadre réglementaire – j’ai insisté sur la fin de Bâle III et le fait que nous n’allons pas ouvrir un Bâle IV. Nous n’observons pas de déplacements importants vers le shadow banking ou le secteur parallèle sous l’effet de la régulation : nous assistons à une diversification, souhaitable et progressive. Je l’avais dit au mois de septembre, je le redis aujourd’hui : je ne suis pas de ceux qui considèrent que nous nous acheminons vers une désintermédiation forcée ou un financement de l’économie à l’américaine. Le financement des entreprises est bancaire à 80 % en Europe, seulement à hauteur de 25 % aux États-Unis ; le financement de marché, à l’inverse, est majoritaire aux États-Unis. Il ne faut pas de désintermédiation forcée. En revanche, une diversification volontaire, répondant à la demande des entreprises, est une bonne chose, mais c’est vraiment très progressif.

Je n’ai pas aujourd’hui de chiffres sur la transition énergétique, madame Sas. Il est encore trop tôt après la COP21, mais il est très important, j’ai été amené à le dire, que le secteur financier intègre cet environnement nouveau. Quant à l’article 173 de la loi relative à la transition énergétique, qui oblige l’industrie de la gestion d’actifs et les assureurs à publier un certain nombre d’indicateurs-clefs sur leur exposition au secteur de l’énergie et leur engagement en faveur de la transition énergétique, son décret d’application a effectivement été publié le 31 décembre dernier. Il s’applique donc en 2016 et marque un vrai progrès. Il faut aller plus loin encore en permettant des comparaisons internationales en cette matière aussi. La France est à l’avant-garde et nous avons défini un certain nombre de critères, mais, parallèlement, le Conseil de stabilité financière de Bâle a mis en place une task force pour permettre la comparabilité des publications. Ce sont environ 400 méthodes différentes qui sont recensées à l’échelle internationale, une richesse qui rend plus difficile les comparaisons. Cette task force devra donc nous proposer d’ici à la fin de l’année un certain nombre de méthodes prioritaires pour permettre la comparabilité internationale.

Monsieur Charroux, compte tenu de l’évolution des prix du pétrole et dans l’hypothèse – majoritairement retenue aujourd’hui – de leur stabilisation, nous retrouverons une inflation positive dans la deuxième moitié de cette année. Par ailleurs, je le redis, nous avons la capacité de prendre des mesures, si nécessaires. Je n’aime pas beaucoup l’adjectif « défensives », c’est une politique monétaire active, visant un objectif à moyen terme de 2 % d’inflation. Il est très important de réaffirmer cet objectif ; c’est très important pour la crédibilité de la BCE et c’est un môle de stabilité pour les anticipations des ménages et des entreprises. Dans un environnement financier d’une très grande volatilité, la BCE donne, avec cette cible d’inflation de 2 %, un élément de stabilité de long terme.

Je terminerai, peut-être plus rapidement, par un certain nombre d’autres questions.

Monsieur Fauré, la Banque publique d’investissement a beaucoup apporté au financement de l’économie française, notamment en ce qui concerne les fonds propres et le capital-risque. Quant aux PME et TPE, évidemment, si un plan de sauvegarde emporte un certain nombre d’avantages, notamment la suspension des paiements aux banques, il n’est pas totalement illogique qu’il rende plus difficile l’obtention de nouveaux financements bancaires. Il y a là une certaine logique, mais ces procédures ne sont généralement pas considérées comme très favorables aux banques – c’est une litote.

Nous avons d’ores et déjà un médiateur du crédit dans chaque département, en général le directeur départemental de la Banque de France. Il intervient en aval, c’est-à-dire quand une entreprise – TPE, PME ou même entreprises de taille intermédiaire (ETI) – a rencontré une difficulté avec sa banque. Nous pouvons nous féliciter de la diminution sensible du nombre de dossiers qu’il doit traiter : c’est un autre indicateur du fait que le financement des entreprises va plutôt bien en France…

M. Jean-Louis Gagnaire. Ou qu’il y a moins de malades !

M. le gouverneur de la Banque de France. En effet, mais alors c’est aussi une bonne nouvelle !

Il nous paraît important de disposer aussi d’une capacité d’intervention, de conseil ou d’information en amont. Tel est le sens du correspondant TPE. Avant qu’une difficulté n’apparaisse, un dirigeant doit pouvoir bénéficier d’un certain nombre d’informations, d’un diagnostic précis de sa situation. Un dirigeant de TPE, c’est normal, n’est pas toujours un spécialiste financier. Son entreprise a-t-elle un besoin de court terme ou de long terme ? Parmi les instruments de court terme, lesquels sont appropriés ? Aidons-le dans le diagnostic. Nous allons donc mettre à la disposition des TPE un outil de diagnostic qui s’appelle OPALE, pendant de l’outil GEODE – acronyme de « gestion opérationnelle et dynamique des entreprises » – dont nous disposons déjà pour les PME. J’en profite pour faire une petite page de publicité : ces outils sont absolument remarquables, et leur coût pour les entreprises est extrêmement faible. Tous les dirigeants qui y ont recouru me le disent : ils permettent de connaître exactement la situation et les besoins de l’entreprise. L’un des rôles du correspondant TPE sera donc de développer leur utilisation. Il s’agira aussi d’orienter vers les différents circuits de financement et d’animer le réseau des tiers de confiance – experts-comptables, réseaux consulaires, etc., qui peuvent aussi procurer des conseils. Ce rôle en amont sera différent de la médiation du crédit en aval ; il ne sera d’ailleurs pas rempli par la même personne, de façon à éviter tout conflit juridique. Comment un médiateur en aval pourrait-il être indépendant s’il a lui-même conseillé en amont ? La philosophie sera cependant la même.

Avec l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), monsieur Goua, nous sommes très attentifs à l’exposition des banques françaises au secteur de l’énergie et des matières premières. Nous avons les chiffres, nous suivons leur évolution. En termes quantitatifs, l’exposition des banques françaises est à peu près dans la moyenne des banques internationales, et, en termes qualitatifs, ce qui est encore plus important, la situation des banques françaises est relativement favorable : elles ont des contreparties de meilleure qualité. Par exemple, elles sont moins exposées sur des sociétés pétrolières américaines à très fort effet de levier, c’est-à-dire ayant beaucoup recouru à l’endettement.

M. Lebreton m’a interrogé sur l’Institut d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM). Effectivement, le Gouvernement compte proposer dans le cadre du projet de loi dit « Sapin II » un projet de filialisation de l’IEDOM auprès de la Banque de France. L’IEDOM, dans les départements d’outre-mer (DOM), est au cœur de la zone euro, puisque l’euro est et restera la monnaie des départements d’outre-mer. Pour des raisons historiques parfaitement respectables, la situation des DOM diffère de celle du reste de la zone euro. L’émission monétaire est confiée non à la Banque de France mais à un établissement public, longtemps dans l’orbite de l’Agence française de développement. S’il est très respectable, ce compromis est fragile : un institut d’émission qui ne soit pas proche de la banque centrale mais plutôt proche de l’AFD, société de financement soumise au contrôle de l’ACPR… Nous avons réussi, en 1999-2000, à expliquer cela à la Banque centrale européenne, mais, je peux vous le dire, cela n’a pas été simple. Il nous a paru souhaitable, à l’occasion de la clarification intervenue entre l’AFD et la Caisse des dépôts, de clarifier aussi la situation de l’IEDOM, que nous conservons mais qui passe de l’orbite de l’AFD à celle de la Banque de France ; cela garantit à la fois sa pérennité et l’ancrage des départements d’outre-mer dans la zone euro. Il s’agit d’une filialisation, et en rien d’une privatisation – crainte parfois exprimée. L’IEDOM sera une filiale à 100 % de la Banque de France, elle-même à 100 % publique, et j’y tiens autant que vous. Je suis attaché comme vous à la constance, à la permanence. L’IEDOM garde ses missions, toutes ses missions, ses personnels conservent leurs statuts et les droits attachés. La politique d’émission outre-mer et la situation de l’IEDOM seront beaucoup plus solides, beaucoup plus claires quand nous aurons mis fin à cette anomalie qui avait des raisons historiques respectables mais un peu dépassées et, surtout, qui fragilisaient l’IEDOM lui-même.

La baisse de 6 % du nombre de dossiers de surendettement à l’échelle nationale tient en premier lieu aux effets de la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, dite « loi Lagarde », aux termes de laquelle le crédit renouvelable est beaucoup plus strictement encadré. Nous commençons à les voir, et j’espère avec vous qu’ils se prolongeront ces prochaines années. Nous devrons adapter nos effectifs à cette évolution, mais c’est une bonne nouvelle pour l’économie et la société françaises. Je ne crois pas que le crédit renouvelable nécessite de nouvelles dispositions législatives, mais des mesures pourraient être prises pour simplifier et accélérer la procédure. Nous y réfléchissons avec le ministère des finances et peut-être le projet de loi « Sapin II » comportera-t-il telle ou telle disposition. Ce serait aussi un service rendu aux ménages : si le recours aux commissions de surendettement est plus simple et plus rapide, c’est une bonne chose.

Madame Schmid, j’avoue ne pas connaître le montant exact des billets fabriqués en 2016, mais je rends hommage avec vous à nos services de fabrication des billets, à Vic-le-Comte pour le papier et à Chamalières pour l’impression. La Banque de France est la seule en Europe à disposer de cet outil industriel intégré, qui a été, en 2015, mobilisé en priorité pour l’impression de la nouvelle coupure, très sécurisée, de 20 euros, que j’ai présentée à la fin du mois de novembre. La filière française a imprimé 44 % de ces nouveaux billets de 20 euros. C’est beaucoup plus que notre part naturelle de 20 % dans l’Eurosystème et nous pouvons nous réjouir : c’est un hommage rendu à notre capacité à fabriquer une coupure fortement sécurisée.

M. Fromantin a posé la question de l’impact de notre politique monétaire sur les exportations. Il m’a semblé que c’était une façon habile et positive de poser la question de la politique de change. Tout d’abord, je ne crois pas, en la matière, à un désalignement des intérêts français et allemands. Notre appareil industriel et d’exportation est moins bien spécialisé que celui de l’Allemagne, mais celle-ci bénéficie aussi du taux de change favorable de l’euro. Son actuel excédent courant, un excédent record, en est la meilleure preuve – en même temps qu’il justifierait une coordination des politiques économiques, nous en avons déjà parlé. Il n’y a pas de divergence entre les objectifs des autorités françaises et les objectifs des autorités allemandes. Je veux ensuite souligner que la politique monétaire ne vise pas d’objectif de change. C’est extrêmement important, et nous l’avons d’ailleurs réaffirmé dans le communiqué du G20. L’objectif de la politique de la BCE, c’est la cible d’inflation ; j’y ai insisté, en rappelant que nous étions prêts à amplifier, si nécessaire, notre politique active. La possibilité d’une guerre des changes a suscité des inquiétudes mais chacune des grandes autorités monétaires, y compris la Réserve fédérale des États-Unis, cible d’abord sa situation économique intérieure. Il est reconnu, depuis plusieurs années, dans les communiqués internationaux, que cela correspond à l’optimum collectif, et je crois très important que nous en restions là. Nous avons par ailleurs indiqué, dans le communiqué du G20, que nous nous consulterions, si nécessaire, sur les mouvements de change résultant de la volatilité des marchés, mais les objectifs de la politique monétaire sont des objectifs domestiques, nous n’entendons pas procéder, par les mesures monétaires que nous prenons, à des dévaluations compétitives, soyons clairs.

Je crois avoir répondu à l’ensemble de vos questions.

M. le président Gilles Carrez. Vous avez été extrêmement complet, monsieur le gouverneur. Je vous en remercie d’autant plus que les questions étaient multiples. Je propose que nous nous revoyions à la rentrée pour un nouveau point.

M. le gouverneur de la Banque de France. Je suis à votre disposition.

M. le président Gilles Carrez. Ces auditions régulières du gouverneur de la Banque de France nous sont utiles, chers collègues.

M. le gouverneur de la Banque de France. Si vous me permettez d’ajouter un mot, elles sont tout aussi utiles pour moi et pour mes services. J’emporte un certain nombre de questions et de réflexions.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 2 mars 2016 à 9 heures 30

Présents. - M. Éric Alauzet, M. François André, M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, Mme Karine Berger, M. Jean-Claude Buisine, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Gaby Charroux, M. Jérôme Chartier, M. Pascal Cherki, M. Alain Claeys, M. Romain Colas, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jean-Louis Dumont, M. Alain Fauré, Mme Aurélie Filippetti, M. Marc Francina, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Yann Galut, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, Mme Arlette Grosskost, M. Razzy Hammadi, M. Patrick Hetzel, M. Régis Juanico, M. Jean-François Lamour, M. Jean Lassalle, M. Patrick Lebreton, M. Marc Le Fur, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Mariton, M. Pierre-Alain Muet, M. Patrick Ollier, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, Mme Eva Sas, Mme Claudine Schmid, M. Michel Vergnier, M. Laurent Wauquiez

Excusés. - M. Olivier Dassault, M. Henri Emmanuelli, M. Christian Estrosi, M. Olivier Faure, M. Jean-Claude Fruteau, M. Joël Giraud, M. Laurent Grandguillaume, M. Jean Launay, M. Dominique Lefebvre, Mme Véronique Louwagie, M. Victorin Lurel, M. Pascal Terrasse, M. Jean-Paul Tuaiva, M. Philippe Vigier

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