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La commission entend M. Bruno Parent, directeur général des finances publiques, sur le bilan et les perspectives des contentieux fiscaux entraînant une condamnation de l’État.
M. le président Gilles Carrez. Depuis votre nomination aux fonctions de directeur général des finances publiques, le 1er juillet dernier, nous avons déjà eu l’occasion de vous entendre, monsieur le directeur général, au cours d’une réunion très intéressante qui s’est tenue le 24 novembre sur le recouvrement et le contrôle fiscal.
Cet après-midi, nous vous recevons sur la question des contentieux judiciaires européens, dans le cadre desquels la France se voit infliger des pénalités ou des condamnations susceptibles de lui coûter très cher. Cela entre dans le champ de compétence de notre collègue Eva Sas, rapporteure spéciale des crédits de la mission Remboursements et dégrèvements. Elle a préconisé que nous suivions le sujet non seulement à l’occasion de l’examen annuel de son rapport spécial, mais aussi dans le cadre de notre travail de contrôle.
Or nous avons beaucoup de contentieux « sur le feu ». Comme ces contentieux naissent à chaque législature, on a abandonné le petit jeu qui consistait, en d’autres temps, à reprocher à telle majorité de « laisser » des contentieux à telle autre. L’important est d’éviter, dans notre législation financière, de prêter le flanc à la critique, et de prendre trop de risques par rapport à la réglementation européenne. Nous en sommes tous conscients et nous partageons ce souci avec le ministère des finances.
Deux contentieux sont particulièrement importants ; je les désignerai par le nom des plaignants. L’arrêt de Ruyter concerne l’assujettissement aux prélèvements sociaux des non-résidents fiscaux français, au titre des revenus fonciers et des plus-values immobilières sur lesquels étaient perçus des prélèvements sociaux censés avoir pour contrepartie une couverture maladie, alors que les contribuables sont affiliés à un autre régime… Notre collègue Claudine Schmid vous interrogera peut-être, monsieur le directeur général, sur les modalités effectives de remboursement de ces prélèvements.
Un contentieux plus récent, lié à l’arrêt Steria, a conduit le Gouvernement à prendre à la fin de l’année dernière, en loi de finances rectificative, des dispositions visant à corriger le tir. Cet arrêt porte sur le régime d’intégration fiscale en vigueur depuis fort longtemps : dès lors qu’une maison-mère détient une filiale à plus de 95 %, la quote-part pour frais et charges de 5 % est en principe supprimée, sauf si la filiale est installée dans un autre pays de l’Union européenne. Le régime a mené une existence normale jusqu’à ce que l’entreprise Steria dénonce ce point.
Enfin, l’ancien contentieux, vieux de sept à huit ans, relatif au précompte mobilier, a débouché sur une facture moins importante que prévu. Le contentieux sur les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) a conduit à cesser de prélever à la source 25 % des dividendes versés à des OPCVM qui n’étaient pas établis en France, mais dans d’autres pays comme l’Allemagne ou le Canada, notamment des fonds de pension. À l’été 2012, il a été remplacé par une taxe de 3 % sur les dividendes. Mais j’ai lu que ce nouveau système serait lui-même fragilisé. D’autres contentieux ont peut-être aussi échappé à notre attention.
J’en terminerai par un mot sur la procédure. Quand un contribuable estime qu’une règle fiscale française contrevient aux dispositions de l’Union européenne, deux voies s’ouvrent à lui. Il peut soit porter directement le litige devant la juridiction administrative, cour administrative d’appel ou Conseil d’État, qui posera le cas échéant une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), soit saisir directement la Commission européenne – mais cette dernière peut se saisir elle-même et saisir la CJUE. Une fois que la CJUE s’est prononcée, la juridiction doit encore mettre en application la règle de droit telle qu’elle a été interprétée. Dans l’affaire du précompte, l’application retenue par le Conseil d’État a limité la facture.
Nous serons, en tout était de cause, très heureux de vous entendre sur ces sujets complexes et douloureux du point de vue financier.
M. Bruno Parent, directeur général des finances publiques. Monsieur le président, vous avez déjà dit beaucoup de choses. J’ajouterai cependant quelques mots pour introduire le sujet du point de vue de notre administration.
Si l’on compare la situation actuelle avec celle d’il y a dix ou quinze ans, on constate que le monde a changé, et que le domaine fiscal ne fait pas exception au phénomène général de juridictionnalisation de la société. Ce qui est nouveau, sur cette période longue, est le fait suivant : alors que la contestation en justice portait autrefois sur l’application de la loi dans le cadre de litiges classiques entre l’administration et les redevables, c’est désormais la loi elle-même qui est contestée, en particulier au regard du droit européen.
Vous avez amplement dit, monsieur le président, quels sont les voies et moyens divers et variés pour nouer un contentieux de cette sorte. Ce phénomène extrêmement frappant n’existait pas il y a dix ou quinze ans. Ces contentieux prennent d’ailleurs la forme de contentieux de série qui impliquent des milliers, voire des dizaines de milliers, d’entreprises et de contribuables.
Le troisième trait qui caractérise la situation est la durée dans laquelle ces contentieux s’inscrivent. Vous avez cité le cas particulièrement intéressant du contentieux relatif au précompte mobilier, qui a donné lieu à trois questions préjudicielles adressées à la CJUE. Par une décision réputée être finale, le Conseil d’État semblait avoir clos le litige. Néanmoins, la Commission européenne a encore été saisie de contestations de ce chef, et nous sommes en discussion avec elle sur le point de savoir si ces contestations vont prospérer. C’est dire à quel point, entre le moment où naît le litige et le moment où il peut être conclu, un temps extrêmement long peut s’écouler.
J’en viens aux enjeux financiers sous-jacents. Il y a parfois, mais non certes dans cette assemblée, une confusion entre les chiffres que nous donnons. Il y a en réalité deux aspects principaux.
D’une part, nous inscrivons des provisions, soumises à l’appréciation du certificateur, dans la comptabilité générale de l’État. Elles obéissent à des règles prudentielles strictes : par convention, dès que naît un litige d’un volume important, nous l’inscrivons au premier euro. Cela donne, assez rapidement, des montants substantiels.
Plus que le chiffre en valeur absolue, c’est sa progression qui me paraît intéressante, puisqu’il a été multiplié par deux en cinq ans. Voilà une illustration du phénomène croissant auquel nous avons à faire face. À l’intérieur de ces provisions très conventionnelles, qui, par précaution, surestiment donc le risque, vous trouvez trois grandeurs très différentes : les contentieux classiques, comptabilisés par une règle statistique de gains ou de pertes prévisionnels, et qui représentent de faibles montants ; des contentieux de série, qui représentent 65 % des sommes provisionnées et qui reposent sur un nombre de litiges assez faible, puisque vous les avez presque tous cités dans votre brève introduction – des sommes importantes se trouvent ainsi mises en jeu, avec des sous-jacents peu nombreux ; des dossiers unitaires enfin, qui représentent 20 % à 25 % des provisions, soit vingt à vingt-cinq dossiers pour lesquels les enjeux avoisinent les 50 millions d’euros.
Mais, vous le savez, le total des provisions n’a pas de signification quant au risque réellement couru par l’État, puisqu’il est conventionnel.
D’autre part, avec humilité, je vous avoue les grandes difficultés que nous rencontrons à apprécier les dépenses futures. C’est toute la question de ce qui est inscrit, à titre évaluatif si j’ai bonne mémoire, dans les programmes 200 et 201 qui constituent la mission Remboursements et dégrèvements, dont Mme Sas est la rapporteure spéciale dans votre assemblée. À dire vrai, il y a des choses extrêmement variées dans cette somme qui est très importante, mais à l’intérieur de laquelle se trouvent en effet les montants destinés à couvrir les litiges en cours.
Il y a souvent – c’est fâcheux – une divergence entre ces crédits et les crédits en exécution. C’est loin d’être idéal, mais cet écart s’observe plutôt dans le bon sens, dans la mesure où les dépenses ont été plutôt surévaluées que sous-évaluées. Car, même s’il n’est jamais souhaitable qu’il y ait un écart, je crois néanmoins préférable qu’il soit favorable à l’État.
Nous avons beaucoup de difficultés à évaluer ce que nous devons inscrire à titre de provisions pour une année budgétaire donnée. Trois acteurs différents sont en effet en présence, dont l’action combinée détermine le niveau de la dépense effective, quand elle s’observe.
Le juge constitue le premier acteur. Quand va-t-il se prononcer et dans quel sens ? Des incertitudes pèsent par définition sur les cas les plus compliqués et les plus litigieux. M. Jean-Luc Barçon-Maurin, chef du service juridique de la fiscalité, présent à mes côtés, vous en parlerait plus savamment que moi.
Le deuxième paramètre d’incertitude, qui doit nous rendre humbles en ce qui concerne nos prévisions, c’est le justiciable lui-même. Car, une fois qu’une juridiction lui a donné raison, la complexité des affaires est bien souvent telle qu’il doit monter un dossier. La juridiction ayant pris des dispositions assez précises, qui lui permettent de savoir dans quels cas il est – ou non – éligible à un remboursement, il doit naturellement produire les pièces attestant qu’il remplit les conditions. Nous avons pour devoir, en tant qu’administration, de rembourser à bon droit et non excessivement. Le justiciable est donc lui-même l’un des paramètres du temps. Il peut mettre plus ou moins de temps à constituer son dossier, plus ou moins de zèle à porter son dossier devant l’administration.
L’administration elle-même constitue le troisième paramètre. Habitée par le souci d’éviter les restitutions indues, et devant faire face à une masse de travail considérable, elle traite des dizaines de milliers de dossiers dans un contentieux comme celui né de l’arrêt de Ruyter.
L’ensemble de ces acteurs et de ces délais crée une zone d’incertitude assez forte, qui fait que nous avons effectivement une difficulté à soumettre au Parlement des évaluations de grande qualité. De tout cela, le Parlement, et plus particulièrement votre commission, sont bien informés, à travers le rapport spécial de Mme Sas sur les crédits dont nous venons de parler. Quant au détail, les pouvoirs particuliers dont vous jouissez, monsieur le président, madame la rapporteure générale, vous permettent de bénéficier d’informations encore plus précises sur tel ou tel contentieux.
Face à cette situation, nous mettons toute l’énergie nécessaire à défendre les intérêts de l’État. Mais comment éviter que cela se reproduise ? Certes, il n’y a pas de recette miracle. Devant cette grande montée en puissance des contentieux d’origine européenne, l’expérience passée nous fait penser que le Conseil d’État a un rôle extrêmement important, puisque, lorsqu’un projet de loi lui est soumis, l’un des points qu’il examine est la compatibilité avec le droit européen – cela constitue même une raison de disjonction, lorsqu’il constate qu’une disposition heurterait le droit européen. Voilà pour la prévention. Le passage par le Conseil d’État constitue le circuit le plus sûr, même si, naturellement, je ne critique pas les autres.
Un autre moyen, qui est moins de prévention que d’action, c’est le parti de prendre rapidement des mesures, quand un défaut de conformité apparaît, pour le corriger assez vite sans toutefois retomber dans un autre travers. Dans le contentieux de Ruyter, une législation est venue, comme vous l’avez dit, corriger le tir, même s’il n’est pas toujours facile d’imaginer comment rentrer dans le droit chemin.
Telles sont néanmoins les deux voies que l’on peut envisager pour prévenir toutes ces affaires.
J’en terminerai par une observation, faite de notre fenestron. Ces dernières années, un marché nouveau s’est développé, où le contribuable est sollicité et prospecté par des professionnels du droit, avec activisme. C’est un phénomène relativement nouveau à l’échelle de notre vieille administration.
M. le président Gilles Carrez. Il semble que leur rémunération soit liée aux gains obtenus…
Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Pourquoi le Gouvernement a-t-il refusé notre amendement relatif à la déclaration des schémas ?
M. le président Gilles Carrez. Peut-être pourriez-vous compléter votre propos introductif par quelques chiffres relatifs aux décaissements effectifs portant sur l’ensemble des contentieux ?
M. le directeur général des finances publiques. Ils ne pourront porter sur l’ensemble des contentieux, car on y trouve « des choux et des carottes », si vous me pardonnez l’expression.
Dans les crédits finalement dépensés au titre de la mission Remboursements et dégrèvements, il y a certes les contentieux que nous venons de citer, mais il y aussi toute une série de choses qui s’appellent contentieux parce que, juridiquement, ils en sont, sans avoir cependant rien à voir avec ces grands contentieux qui représentent des enjeux considérables. L’ensemble des crédits de cette mission s’élève à 88 milliards d’euros, mais il comprend aussi bien des trop-versés d’impôt sur les sociétés, des remboursements des crédits de TVA, le solde de déclarations rectificatives d’impôt sur le revenu faisant suite à des erreurs du contribuable lorsqu’il a rempli sa déclaration initiale… Il s’agit donc d’une masse très hétérogène.
M. Jean-Luc Barçon-Maurin, chef du service juridique de la fiscalité. Vous m’interrogez sur les décaissements. S’agissant des contentieux européens, les chiffres, affaire par affaire, sont les suivants. Celle des OPCVM, au volume le plus important, a suscité des décaissements de près de 800 millions d’euros en 2014 et de 715 millions d’euros en 2015. Ce n’est pas fini, car le contentieux est loin d’être purgé. Il y a encore 12 000 réclamations au stade admnistratif…
Mme la rapporteure générale. Au total, en faisant la somme des quatre contentieux, on arrive au montant de 10 milliards d’euros : 2,3 milliards d’euros en 2014, 1,8 milliard en 2015, 2,4 milliards d’euros prévus en 2016… Si l’on ajoute tous les contentieux sur lesquels une décision de justice a été définitivement rendue, on arrive à 10 milliards d’euros, tout de même. Ne tournons pas autour du pot.
M. le chef du service juridique de la fiscalité. C’est l’ordre de grandeur, en termes de provisions, effectivement. Sur le contentieux OPCVM, le montant total s’élève à 5 milliards d’euros.
M. le directeur général des finances publiques. Pour éclairer les chiffres qui viennent d’être cités, le décaissement dépend de toute une série de paramètres, non pas au stade du juge lorsqu’il s’est déjà prononcé, mais aux deux autres stades : la position des justiciables et le rythme variable auquel ils présentent un dossier complet, d’une part, la capacité de l’administration à les gérer, d’autre part.
Je ne veux certes pas minorer l’importance de ces contentieux, dont je vous ai dit qu’il avait doublé en cinq ans, en termes d’enjeux financiers des provisions. Les chiffres sont publics et ils sont élevés, sans conteste, mais le décaissement effectif est difficile à prévoir. Aussi les chiffres cités s’étalent-ils sur plusieurs années.
M. le président Gilles Carrez. Vous avez eu raison de dire, monsieur le directeur général, que les affaires ne sont pas si nombreuses. J’en compte quatre importantes : le contentieux Steria, l’affaire du précompte mobilier, celle des OPCVM et le contentieux de Ruyter. Si l’on fait la somme des décaissements effectifs, y compris ceux qui n’auront lieu que dans quatre ou cinq ans, on arrive en effet à 10 milliards d’euros. Madame la rapporteure générale, j’attire votre attention sur le fait que le chiffre mentionné précédemment ne représente que les décaissements effectifs, non les provisions passées sur ces contentieux.
M. le directeur général des finances publiques. Il y a deux choses en effet. D’une part, la provision comptable est calculée, à titre de précaution, sur la base maximale, soit 100 %, mais ce n’est pas le risque réellement couru par l’État ; ce n’est d’ailleurs pas l’objet de votre question, madame la rapporteure générale, et cela ne correspond donc pas aux chiffres que vous citez. D’autre part, il y a les décaissements réels tels qu’on les constate année après année, assortis d’une tentative d’évaluation du total.
Mme Véronique Louwagie. Mais quels sont ces chiffres ?
M. Laurent Wauquiez. Pouvez-vous nous donner les décaissements réels, année après année ?
M. le chef du service juridique de la fiscalité. Les contentieux qui ont déjà donné lieu à des décaissements effectifs portent sur les OPCVM et sur le précompte mobilier. L’arrêt Steria, le contentieux relatif à la taxe de 3 % et l’arrêt de Ruyter n’ont pas encore donné lieu à décaissements jusqu’à présent.
Comme je vous le disais, le contentieux OPCVM a donné lieu aux principaux décaissements, qui ont représenté 715 millions d’euros en 2015 et 798 millions d’euros en 2014. Pour le précompte mobilier, les décaissements sont de quelques millions d’euros seulement, soit un montant beaucoup plus modeste grâce à la décision rendue par le Conseil d’État sur l’application des principes définis par la CJUE à la suite des questions préjudicielles qui lui ont été posées. Elle a permis de démontrer que certaines demandes des entreprises n’étaient pas justifiées : l’administration instruit en effet les réclamations une à une, pour vérifier si la demande est bien justifiée. Cela explique que nous aboutissions à un écart très important entre la demande initiale du contribuable et ce qui est effectivement décaissé.
M. Laurent Wauquiez. Sur quatre ans, combien cela fait-il ?
M. le directeur général des finances publiques. Les décaissements effectifs au cours des quatre dernières années s’élèvent à moins d’un milliard d’euros par an. En cumulé, c’est par définition différent. Vous avez entendu les chiffres pour 2014 et 2015…
Mme la rapporteure générale. Je suis un peu inquiète, car nous n’avons pas reçu les mêmes chiffres de votre part lorsque nous vous avons adressé un questionnaire dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2016.
Selon ces chiffres qui datent d’il y a trois mois, le total pour 2014 s’élevait à 2,3 milliards d’euros, soit 1,15 milliard au titre des OPCVM et 1,14 milliard au titre du précompte ; en 2015, le total des décaissements se sera élevé à 1,8 milliard, soit 1,75 milliard au titre des OPCVM, rien au titre du précompte et 50 millions d’euros au titre de l’arrêt de Ruyter. Pour 2016, les prévisions s’élèvent à 2,4 milliards d’euros, soit 1,75 milliard au titre des OPCVM, 100 millions au titre du précompte, 200 millions au titre de l’arrêt de Ruyter et 300 millions au titre de l’arrêt Steria. Nous confirmez-vous les chiffres que vous nous avez envoyés ?
M. Laurent Wauquiez. Je trouve tout à fait inquiétant l’écart entre ces réponses.
M. le président Gilles Carrez. Monsieur Wauquiez, nous avons organisé cette audition précisément parce qu’il est difficile de prendre conscience des difficultés d’estimation, liées à l’existence de trois stades différents : les provisions comptables, calculées au taux maximum ; la prévision d’exécution en loi de finances initiale, sous forme de crédits évaluatifs ne correspondant pas forcément à la réalité du décaissement ; les décaissements effectifs pour le passé.
M. Laurent Wauquiez. C’est de ces derniers que je parle. Or, les chiffres adressés en réponse au questionnaire du mois d’octobre semblent différer de ceux qui nous sont donnés maintenant !
Mme Eva Sas, rapporteure spéciale des crédits de la mission Remboursements et dégrèvements. Ramenons le débat à des choses rationnelles. En 2014, pour les quatre principaux contentieux, les décaissements effectifs s’élevaient à 710 millions d’euros. Pour 2015 et 2016, il était encore trop tôt pour avancer un chiffre, puisque la loi de règlement n’a pas encore été adoptée. Toutefois, nous pouvons déjà dire que 1,75 milliard d’euros avaient été budgétés pour 2015 et que 1,62 milliard d’euros l’ont été pour 2016. Les provisions sont, quant à elles, bien supérieures au décaissement final.
La question que nous pouvons poser aujourd’hui la suivante : quels ont été les décaissements effectifs pour 2015 ?
M. Charles de Courson. La différence n’est-elle pas due à un écart entre les montants bruts et les montants nets ? En matière de fraude fiscale, les redressements s’élèvent à 20 milliards d’euros, mais ils ne peuvent généralement être recouvrés que pour moitié, soit 10 milliards d’euros. Le même problème ne se poserait-il pas ici sous la forme inverse ?
M. Laurent Wauquiez. Premièrement, est-ce que vous avez un outil de pilotage ? Nous avons le sentiment que ce dossier monte en puissance et qu’il y a beaucoup d’approximation à déplorer dans vos réponses. Cette confusion n’était pas très rassurante pour la représentation nationale.
Deuxièmement, est-ce que vous responsabilisez l’administration en interne sur les conséquences des erreurs, et quelles sont les mesures de réorganisation administrative que vous avez prises pour faire face à ce dossier qui commence à coûter très cher ?
M. le président Gilles Carrez. À ce stade, je prendrai la défense de l’administration. Quand j’étais rapporteur général et que le contentieux est né sur les OPCVM, des membres de l’administration nous avaient mis en garde… Nous, décideurs politiques, avons décidé de passer outre. L’affaire remonte à la précédente législature.
Quant à l’arrêt de Ruyter, au cours des débats sur le collectif budgétaire 2012, des députés, y compris des membres de la majorité, ont dit : « On prend un risque ! ». Eh bien, nous avons perdu. Tout n’est donc pas dû à l’administration, qui ne conseillerait pas correctement bien les décideurs politiques que nous sommes.
Si j’ai souhaité mettre ce sujet à l’ordre du jour, c’est pour qu’on s’y intéresse, car cela finit par représenter des montants qu’il faut que nous ayons en tête. En l’espace de cinq ou six ans, comme nous l’a dit M. le directeur général, les volumes en jeu se sont démultipliés. Il n’est donc plus possible de raisonner aujourd’hui comme nous le faisions par le passé.
Mme la rapporteure générale. Dans les projets de loi de finances, les études d’impact sur les articles fiscaux ne comportent pas d’indications sur la législation européenne, ou peut-être seulement quelquefois, sur des sujets comme les OPCVM. Ne serait-il pas possible d’estimer le risque par rapport à la législation européenne lorsque des dispositions sont proposées, notamment le risque juridictionnel eu égard à la liberté de circulation des capitaux ? Ce serait une étape importante à franchir.
L’article 104 de la loi de finances pour 2014 prévoit un mécanisme d’information automatique du Parlement, tous les six mois, sur les lettres de mise en recouvrement et les avis motivés de la Commission européenne pouvant avoir une incidence sur les finances de l’État. L’article avait été inséré à la demande de notre collègue, rapporteure spéciale, Eva Sas. Or, depuis deux ans, nous ne recevons toujours pas ces informations. Comment entendez-vous faire pour que la loi soit mieux appliquée et que cette disposition ne reste pas lettre morte ?
Enfin, quand on négocie une directive européenne, le ministère des finances est-il bien représenté ? Par exemple, nous avons eu un long débat au sujet du dispositif de réduction de l’impôt de solidarité sur la fortune pour investissement dans les petites et moyennes entreprises, dit ISF-PME, pour nous rendre compte finalement que les solutions avancées n’entraient finalement dans aucune des catégories définies par la directive européenne ! Bref, nous ne savons pas toujours adapter le droit français dans le sens que nous souhaitons. Comment nous assurer que, dans la négociation des prochaines directives, les dispositifs qui existent en France puissent être valablement pris en compte, de façon que notre droit soit défendu au mieux ?
Mme Eva Sas. Je prendrai à mon tour la défense de l’administration. S’il y a un écart entre les sommes budgétées et les montants finalement distribués, c’est que l’État gagne parfois ses procès, ce qui est plutôt une bonne nouvelle car cela veut dire que l’État défend bien ses intérêts. Il est donc normal que cet écart existe, puisque les montants provisionnés n’ont pas à être décaissés en ce cas.
Certains de ces contentieux ont trait à des dispositions récentes. La loi de finances rectificative pour 2012 a été citée, qui prévoyait que les revenus fonciers des non-résidents soient désormais soumis aux prélèvements sociaux. Cette disposition donne encore lieu à des contentieux, si bien que nous ne semblons pas avoir progressé quant à l’euro-compatibilité des décisions que nous prenons. Je voudrais vous alerter sur au sujet des mesures proposées par le Gouvernement au Parlement, car nous avons besoin d’informations plus précises, notamment sur les risques. Je ne crois pas, en effet, que nous prendrions un risque qui serait établi de manière claire.
Pour l’élaboration de mon rapport spécial, je peine chaque année à obtenir la liste de l’ensemble des contentieux. Je défendrai moins l’administration sur ce point. Quand nous l’avons obtenue, il nous a été demandé de ne pas la publier – nous l’avons cependant fait, car je trouve dommage que cette information ne puisse être apportée au public. Je souhaiterais une information beaucoup plus précise sur le montant des enjeux. Sur les vingt-trois contentieux pendants, les montants n’étaient pas précisément définis, alors que le Parlement doit être informé des risques liés à ces contentieux.
J’en termine par un contentieux plus récent, qui porte sur la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés au titre des montants distribués. Quand j’ai publié mon dernier rapport spécial, aucune décision juridictionnelle n’avait encore été rendue. Où en est ce contentieux ? Je crois me souvenir que l’enjeu avait été évalué à 380 millions d’euros. Or le rendement annuel de cette taxe s’élève à 1,8 milliard d’euros, ce qui me fait penser que le montant avancé était éventuellement sous-évalué.
M. le président Gilles Carrez. Il faut ajouter que cette taxe additionnelle de 3 % était une réponse au contentieux précédent sur les OPCVM. Les contentieux risquent ainsi de s’enclencher les uns après les autres.
Dans nos débats sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, le secrétaire d’État au budget nous a annoncé que l’on remédierait au problème né de l’arrêt de Ruyter en affectant la part maintenue des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine au Fonds de solidarité vieillesse (FSV), c’est-à-dire à des dépenses relevant de la solidarité, sans contreparties de type assurantiel comme c’est le cas des dépenses d’assurance-maladie. Mais est-il bien certain que ce type de solution soit juridiquement correct ?
Mme Eva Sas. Effectivement, quand cette solution a été proposée, le risque nous est apparu qu’elle paraisse purement cosmétique à la Commission européenne. L’affectation différente de la contribution résout-elle au contraire effectivement le contentieux ?
Mme Marie-Christine Dalloz. Monsieur le directeur général, si j’ai bien compris votre propos liminaire, 20 % à 25 % des provisions pour contentieux sont liées à des dossiers uniques. J’aimerais que vous me confirmiez ce chiffre.
Quant à l’arrêt Steria, nous y avons trouvé une réponse rapide dans la loi de finances rectificative pour 2015, par des dispositions qui sont d’application depuis le 1er janvier 2016. Nous répondons au problème d’intégration fiscale – régime mère-fille – par une taxation de 1 % qui offre la possibilité à ceux qui ont trop payé de récupérer l’indu. Cette possibilité est ouverte sur trois ans, jusqu’en 2018. Savez-vous estimer quel en sera le coût cumulé jusqu’à cette date ? Je rappelle qu’il y a entre 15 000 et 20 000 groupes intégrés dans notre pays.
M. Yann Galut. Je souscris à la demande de notre rapporteure générale visant à obtenir une information sur la problématique européenne dans les études d’impact. Les contentieux dont nous parlons ne sont pas nés sous votre administration. Quelles seraient les solutions pour que de telles affaires ne se reproduisent plus ?
J’avais présenté des amendements tendant à instituer une déclaration préalable des schémas proposés par les cabinets de conseil fiscal, question à laquelle j’ai réfléchi dès 2013. Cela se fait au Royaume-Uni et aux États-Unis. Dans notre pays, nous nous sommes entendu dire que les grandes entreprises sont contre. C’est pourtant un dispositif qui avait été proposé en 2004 par de précédents gouvernements.
Au-delà de la problématique actuelle, quels sont les principes prudentiels à mettre en place pour anticiper et prévenir les contentieux ?
M. Lionel Tardy. Je rebondis sur la question de mon collègue Yann Galut. Il faut mieux anticiper ces risques, dont le volume a doublé en cinq ans. Que fait le Comité du contentieux fiscal, douanier et des changes, qui, selon le « jaune » budgétaire, coûte 28 000 euros par an et se réunit quarante-six fois par an ? Je conviens, cela dit, que d’autres comités ne se réunissent quant à eux pas du tout, si l’on en croit le même document…
Mme Claudine Schmid. Vous êtes-vous interrogés sur la façon d’éviter qu’une telle situation se reproduise ? S’agissant de l’arrêt de Ruyter, nous avions soulevé, dès juillet 2012, le problème de la compatibilité avec le droit européen. Des amendements avaient été déposés pour que les dispositions correspondantes soient retirées. Cela n’a pas été fait. Dont acte, mais maintenant il faut rembourser.
À compter de janvier 2016, la dépense est fléchée de manière différente, ce qui risque de déclencher de nouveaux contentieux – comme vous l’avez souligné, monsieur le président. Il est trop tôt pour aller en jugement, puisqu’il faut encore attendre les avis d’imposition, mais des personnes sont déjà prêtes à engager la démarche.
D’autres personnes s’engagent dans un contentieux, car le prélèvement de solidarité de 2 % n’est pas remboursé. Un montant global « prélèvements sociaux » apparaît sur les avis d’imposition, à l’intérieur duquel se trouvent ces 2 %. En tout état de cause, une partie des prélèvements n’est pas remboursée. Je voudrais connaître votre avis sur ce point, à propos duquel de nouveaux contentieux apparaissent.
Je m’interroge aussi sur les délais. Le ministre a diffusé un communiqué de presse le 20 octobre 2015, où il indiquait que les personnes qui s’étaient acquittées de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) sur les plus-values réalisées en 2012 bénéficiaient d’une réouverture du délai de réclamation jusqu’à fin décembre. Ce délai était très court, car les personnes concernées n’ont pas été avisées par courrier ni par une autre voie. Certes, nul n’est censé ignorer les arrêts du Conseil d’État… Pour 2012, elles n’avaient en principe que jusqu’à fin décembre 2014, mais l’arrêt n’a été rendu qu’en juillet 2015. Le délai de réouverture aurait pu être d’un an. Ne peut-on le rouvrir ?
Quelle honnêteté intellectuelle y a-t-il d’ailleurs à ne rembourser que moins de la moitié des non-résidents, c’est-à-dire ceux qui sont affiliés à une sécurité sociale européenne ? Si vous êtes établi en Australie ou aux États-Unis, vous payez aussi sur place votre sécurité sociale. Je regrette qu’il n’y ait pas égalité devant l’impôt pour les non-résidents.
Enfin, combien coûte à l’administration la gestion d’une procédure de remboursement, et quand pensez-vous en avoir fini avec ces procédures ? Des contribuables qui ont formulé des demandes dans le courant de l’automne n’ont toujours pas reçu de réponse. Au bout de six mois, la non-réponse est réputée être un refus, aux termes de la loi. Ces personnes s’interrogent donc sur l’opportunité de déférer ces refus tacites devant le tribunal administratif de Montreuil.
M. Patrick Hetzel. Au moment de l’élaboration de la loi de finances pour 2016, vous aviez estimé, monsieur le président, qu’il était difficile d’évaluer le montant du contentieux Steria. Avez-vous pu, depuis, obtenir une estimation plus affinée ? Disposez-vous d’informations complémentaires ?
La presse économique avait abordé un autre aspect de la question, en indiquant que les petites et moyennes entreprises (PME) sont réticentes à demander le remboursement, car elles craignent un contrôle fiscal. Disposez-vous aujourd’hui de chiffres sur les demandes de remboursement formulées par les PME ? Si oui, ces chiffres se situent-ils dans la moyenne des entreprises ou l’effet redouté est-il avéré, comme semblait s’y attendre la presse économique ?
M. Marc Le Fur. Nous découvrons en réalité l’effet de l’intrusion des règles européennes dans notre fiscalité, comme nous la connaissons déjà depuis plus longtemps, dans le domaine de la législation économique, avec le régime des aides d’État, notamment dans le secteur textile. Tôt ou tard, nous finissons toujours par être « rattrapés par la patrouille ». Il faudra s’interroger sur le total des montants dus à cause de ces décisions qui échappent en quelque sorte à notre souveraineté.
Existe-t-il encore des risques potentiels conséquents ou bien sommes-nous devant les derniers contentieux du genre ? Dans d’autres pays, les autorités fiscales sont-elles elles aussi rattrapées par la patrouille européenne ? Nous ne sommes certainement pas les seuls.
Enfin, ne pouvons-nous être plus offensifs ? Certains pays organisent des systèmes très favorables à leurs contribuables, qu’il serait à mon sens possible de contester au regard des règles européennes. Je prendrai l’exemple allemand du forfait pour les exploitants agricoles, dont la plupart, en pratique, ne paient pas d’impôt sur le revenu. Ce dispositif n’existe en France que pour les très petits agriculteurs. Une structure privée a déposé un recours contre ce système. La Belgique a déposé un recours de même nature contre le dispositif allemand. Ne pourrions-nous être plus offensifs, à son exemple ? En tout état de cause, monsieur le directeur général, nous avons toute confiance en vous pour défendre nos intérêts.
M. Joël Giraud. Le suivi des dépenses de contentieux est réparti dans plusieurs actions du programme 200, qui n’obéissent pas aux mêmes enjeux, ni aux mêmes règles, ni au même calendrier que la fiscalité.
Prenons l’exemple du contentieux exceptionnel avec Électricité de France (EDF). Le 22 juillet 2015, la Commission européenne a qualifié d’« aide d’État incompatible avec les règles de l’Union européenne » le traitement fiscal des provisions passées entre 1987 et 1996 pour le renouvellement des ouvrages du réseau d’alimentation générale (RAG).
Après plusieurs rebondissements, dont une restructuration du bilan d’EDF, où une partie des provisions était requalifiée en « dotation de capital » afin notamment de ne pas les soumettre à l’impôt sur les sociétés, la Commission européenne a finalement statué que le manque à gagner consenti par l’État français n’avait pas de rationalité économique et qu’il s’agissait d’une aide d’État. Le montant des pénalités s’élève à environ 1,37 milliard d’euros, dont 889 millions d’euros d’exonération et 488 millions d’euros d’intérêts. Bien que cette dernière catégorie relève à l’évidence des recettes non fiscales, la totalité de la somme a été intégrée aux recettes fiscales de 2015 dans la dernière loi de finances rectificative, entraînant ipso facto une moins-value importante sur l’impôt sur les sociétés.
Le contrôle parlementaire ne serait-il pas meilleur, et les choses plus clairement établies et anticipées devant des montants aussi importants – 1,8 milliard d’euros en 2015 et 2,4 milliards d’euros prévus en 2016 – si les dépenses résultant des contentieux fiscaux faisaient l’objet d’un programme spécifique de la mission Remboursements et dégrèvements ?
J’en viens à mon second point, concernant le contentieux entre l’État et les communautés de communes relatif à la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM), dont le taux avait été relevé fin 2014, en loi de finances rectificative, à l’initiative du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP), pour les établissements dont la surface de vente excède 2 500 mètres carrés, afin de soutenir les collectivités et de compenser une partie du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) octroyé à la grande distribution, et dont les effets sur l’emploi se font encore attendre, en l’absence d’observatoire des contreparties.
En effet, selon une décision du Conseil d’État du 16 juillet 2014, c’est à tort que l’État a opéré une déduction de la dotation de compensation du fait de la perception par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) du produit de la TASCOM à partir de 2011, pour l’année 2013. Le même raisonnement pouvant être tenu pour les exercices 2012 et 2014 – le législateur y a remédié pour les années 2015 et suivantes –, nombre de communes et communautés de communes ont engagé des recours. Quel est le montant total des pénalités envisagé par vos services, qui l’avaient estimé dans un premier temps à 0,7 milliard d’euros ? Ce chiffre a-t-il été revu, éventuellement à la hausse ?
M. Jean-Louis Gagnaire. Je formulerai autrement la demande de notre collègue Marc Le Fur. Nous savons tous que les contraintes européennes s’imposent à nous et que nous serons tôt ou tard, selon son expression, « rattrapés par la patrouille », bien que nous feignions de croire que nous lui échapperons.
Inversement, toutefois, les élus sont parfois abusés par les explications hâtives de ministres, qui invoquent l’argument trop commode de la législation européenne pour refuser un amendement alors que le Gouvernement s’en affranchit imprudemment sur d’autres sujets.
Ne pourrions-nous créer un observatoire des « bonnes pratiques » ou des astuces utilisées par les autres pays européens ? On sait en effet que les aides directes aux entreprises de plus de 250 salariés existent. L’Allemagne, par exemple, sait très bien se réfugier derrière des arguments de répartition de la matière fiscale entre l’État fédéral et les Länder. Plutôt que de dénoncer les autres, informons-nous mieux de ce qu’ils font !
Lorsque, en revanche, nous sommes informés de l’absence d’euro-compatibilité d’une disposition, nous devons au contraire jouer entre nous la franchise, sans quoi nous serons toujours tentés de nous affranchir des règles.
Mme Eva Sas. Dans l’affaire du précompte mobilier, la décision juridictionnelle rendue par le Conseil d’État paraît très favorable à l’État, puisqu’elle permet à l’administration de considérer le contentieux comme quasiment éteint, dans la mesure où elle l’autorise à exiger du justiciable des preuves qu’il n’est pas en mesure de fournir, mais la solution semble relativement fragile. Quelles suites envisagez-vous, à ce stade, pour ce contentieux ? Ne craignez-vous pas que ces décisions juridictionnelles puissent être elles-mêmes remises en cause ? Certes, l’administration se défend bien, mais les intérêts moratoires qui courent sur ce dossier s’élèvent déjà à 230 millions d’euros. Le report du dénouement final a donc un coût au total, puisqu’au trop-perçu s’ajoutent des intérêts extrêmement élevés.
M. le directeur général des finances publiques. Reprenons les choses par le début, si vous le voulez bien. Je suis navré du tour qu’a pris le commencement de notre discussion sur le montant de ces contentieux. Monsieur Wauquiez, je voudrais vous dire qu’il n’y a pas de confusion, mais qu’il convient simplement de distinguer, dans les propos tenus par les uns et par les autres – moi y compris –, entre la prévision et l’exécution.
J’ai sous les yeux les documents qui ont été portés à la connaissance du Parlement. En 2014 et 2015, le montant des décaissements relatifs au contentieux OPCVM s’élève respectivement à 798 millions et 715 millions d’euros. Je parle bien de décaissements effectifs, pas de prévision. Il faut donc bien distinguer, comme l’a souligné Mme Sas tout à l’heure, entre ce qui relève de la prévision ou de l’estimation, dont j’ai dit tout à l’heure, avec humilité, à quel point elle est délicate à établir, et ce qui relève de l’exécution, comme c’est le cas des chiffres que je viens de citer.
En termes d’organisation administrative, l’ampleur de ces sujets est telle que, non contents de les traiter en interne, nous nous entourons aussi d’expertises et de conseils privés, faisant flèche de tout bois pour défendre les intérêts de l’État. Nous le faisons non seulement face au juge, comme c’est notre devoir, mais aussi en veillant scrupuleusement à ne rembourser que les redevables qui remplissent les conditions fixées par lui. Certes, ce n’est pas agréable pour les contribuables concernés, mais nous ne voulons pas rembourser à tort.
Je souligne que c’est un travail de bénédictin que d’appliquer la loi, telle que revue par le juge, lorsque nous avons perdu un contentieux. Nous cherchons, par exemple, si telle filiale à l’étranger remplit effectivement les conditions définies par lui. Il nous arrive certes de perdre un contentieux ou de nous tromper sur l’estimation de la dépense budgétaire, mais nous prenons le sujet éminemment au sérieux, croyez-le bien. Appliquer la loi, toute la loi et rien que la loi reste l’article premier de notre déontologie.
Quant aux dossiers unitaires provisionnés, je conviens qu’ils sont d’une autre nature que les quatre dossiers cités par votre président dans son propos liminaire. Ils oscillent généralement entre 20 et 25 millions d’euros, mais le montant dépasse parfois 50 millions d’euros, voire bien davantage.
Monsieur Galut, vous avez abordé la question de la déclaration préalable des schémas et montages. Je ne vois pas de lien direct entre cette initiative et les contentieux auxquels nous faisons allusion. Un tel dispositif n’aurait pas conjuré le contentieux sur les OPCVM, sur la taxe de 3 %…
Mme la rapporteure générale. Ce n’est pas ce qui a été dit. Vous avez évoqué l’inflation des conseils fiscaux proposés aux entreprises ou aux particuliers. Pour la contrecarrer, l’amendement de notre collègue Yann Galut ne faisait que reproduire ce qui existe en droit britannique depuis 2004, à savoir l’obligation pour les conseils en droit fiscal d’envoyer leurs schémas à l’administration des impôts, avant de les commercialiser.
M. le directeur général des finances publiques. Je ne porte pas de jugement sur cette idée. Je connais le système britannique, qui n’évite en rien les cas où la législation nationale contrevient au droit européen. Les cas que nous avons abordés aujourd’hui concernent bien des lois internes votées par le Parlement et qui contreviennent au droit européen. Je crains qu’il n’y ait un malentendu. Si j’ai mentionné tout à l’heure le rôle des conseils, c’est au stade où, l’État ayant perdu un contentieux, fût-il européen, des démarches actives de promotion ont lieu auprès de tous ceux qui ont ainsi obtenu le droit de réclamer, pour qu’ils l’exercent.
J’en viens au Comité du contentieux fiscal, douanier et des changes et à ses quarante-six réunions annuelles. Ce comité est peut-être mal nommé, puisqu’il exerce en fait une fonction très particulière, prévue par la loi : celle de rendre des avis sur les remises gracieuses envisagées, quand elles dépassent un certain montant. Il se réunit bien régulièrement et joue son rôle, qui est d’éclairer la décision, mais il n’a, en revanche, aucun rapport avec nos débats d’aujourd’hui.
S’agissant de l’arrêt de Ruyter, nous pensons que la nouvelle législation adoptée est conforme au droit européen, mais, tant que la cause n’est pas purgée, il subsiste une incertitude jurisprudentielle et nous ne pouvons dire que la course est gagnée.
Madame Schmid, il est vrai qu’une fraction – 2 % – des prélèvements sociaux perçus sur les revenus fonciers et plus-values mobilières des non-résidents ne peut faire l’objet d’un remboursement, car l’affectation des sommes correspondantes va à la solidarité nationale.
M. le président Gilles Carrez. Il s’agit alors d’un impôt, non d’une cotisation à un régime de sécurité sociale ayant une contrepartie.
M. le directeur général des finances publiques. La question fondamentale est en fait la suivante : à quoi l’argent est-il affecté ? Par cohérence intellectuelle, nous ne pouvons trouver matière à rembourser les 2 % affectés à la solidarité nationale. Nous appliquons en effet tout le droit, mais rien que le droit, et nous défendons les intérêts de l’État en ne remboursant pas cette partie, peut-être mineure, mais néanmoins sensible, qui est affectée à la solidarité.
Mme Claudine Schmid. Ne pourrions-nous, en ce cas, donner aux prélèvements et impositions un nom qui indique réellement à quoi ils servent ? Je pense que ce serait à même de simplifier la relation entre l’administration et les administrés.
M. le président Gilles Carrez. Sur ce point, je me vois obligé de plaider coupable. En 2011, quand les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine, qui étaient déjà passés de 10 % à 15,5 %, ont encore augmenté de deux points –, le Gouvernement souhaitait appeler ce prélèvement « CSG », mais j’ai demandé, avec succès, que nous retenions plutôt le terme de « prélèvements sociaux », pour éviter une éventuelle déductibilité de l’impôt sur le revenu.
M. le directeur général des finances publiques. Je retiens néanmoins, madame Schmid, votre suggestion d’appeler les choses par leur nom – comme ce devrait également être le cas pour le Comité du contentieux, dont l’intitulé laisse à désirer. Vous suggérez en outre que le ministre aille plus loin dans sa décision bénévolente et allonge d’un an le délai de forclusion. Je transmettrai votre demande à M. Eckert, qui suit le dossier avec beaucoup d’attention.
Quant au contentieux de la taxe de 3 %, la décision juridictionnelle n’est pas encore rendue. Nous pensons toutefois avoir des arguments très solides à faire valoir au soutien de notre position. Mais nous ne sommes, si vous me passez l’expression, qu’au « début du film »…
Sur l’affaire Steria, je ne dispose pas de statistiques relatives aux demandes de remboursement plus particulièrement formulées par les PME. Intuitivement, je dirais que celles qui ont des filiales à l’étranger entrant dans le cadre de ce contentieux sont relativement peu nombreuses. En tout état de cause, lorsqu’un redevable ou un contribuable fait valoir son droit, sa demande est instruite sans lien aucun avec d’autres actions qu’il nous appartient de conduire, comme des contrôles fiscaux. J’y insiste, car c’est une réputation injuste qui nous est faite. Nous avons certes la charge du contrôle, mais nous appliquons aussi la loi au profit du contribuable, y compris quand il ne s’est pas rendu compte du trop-versé. Faire valoir son droit n’attire donc en aucune manière de quelconques foudres de l’administration.
Qu’en est-il de l’avenir des contentieux ? L’évolution de la jurisprudence, et même les prises de position européennes, sont difficiles à prévoir… S’agissant du précompte, la décision sur l’arrêt on ne peut plus éclairé rendu par le Conseil d’État en 2012, après trois questions préjudicielles, est encore pendante devant la Commission européenne, sans que l’on sache si elle saisira la CJUE. Je ne prends pas de paris ; nous avons cependant un dossier très solide.
Si les analyses préalables de certains contentieux étaient assez nuancées, les condamnations sont arrivées pour d’autres comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. À l’inverse, nous avons aussi parfois de bonnes surprises ; sur la taxe de 3 %, nous sommes assez confiants, pour dire la vérité.
Sur la proposition de créer un observatoire des bonnes pratiques fiscales dans l’Union européenne, monsieur Gagnaire, vous me permettrez une réponse personnelle. Il me semble qu’il revient aux intérêts économiques sous-jacents de contester un dispositif dans tel ou tel État ami, plutôt qu’à l’État lui-même. Nous disposons certes d’un réseau d’attachés fiscaux dans la plupart des capitales européennes, mais j’aurais une petite réticence personnelle à alimenter le contentieux contre l’Allemagne, l’Italie ou le Royaume-Uni.
Monsieur Giraud, vous avez évoqué le champ des aides d’État, en mentionnant une entreprise qui payait moins d’impôt sur les sociétés qu’elle ne l’aurait dû, en l’occurrence. La manière dont les volumes financiers sont comptabilisés sera examinée avec soin par la Cour des comptes, mais je n’ai pas de compétence particulière en matière d’aides d’État. S’agissant de la TASCOM, je vous propose de vous faire parvenir ultérieurement la réponse de mes services par l’intermédiaire du président Carrez.
J’ai bien noté, madame Sas, votre souhait d’une information plus régulière du Parlement. Je relève simplement que l’information mentionnée à l’article 104 de la loi de finances pour 2014 porte sur les contentieux fiscaux en général, mais aussi sur les contentieux européens, et doit être, dans cette mesure, fournie aussi par le secrétariat général aux affaires européennes (SGAE). Il a d’ailleurs déjà fourni de ce chef un document à Mme la rapporteure générale, même s’il est maintenant un peu ancien.
Je terminerai par les études d’impact relatives à la comptabilité avec le droit européen. Je comprends le sens de votre demande, mais de deux choses l’une : soit le Gouvernement et le Conseil d’État ont pour analyse que le texte est compatible avec le droit européen et peut vous être présenté, ce qu’il suffit de dire ; soit ils estiment que non, et le texte ne vous est pas présenté.
Sur les refus « abusifs » du ministre invoquant le droit européen, vous comprendrez que je ne puisse, comme fonctionnaire, souscrire à cette analyse. En tout état de cause, il me semble difficile de dire qu’il faut être attentif au risque communautaire et de s’avouer gêné quand le ministre appelle l’attention sur ce risque. Lorsqu’une telle analyse est portée à votre connaissance, il me semble au contraire qu’il y a toute raison de croire qu’elle est fondée, et notre souci commun d’éviter à l’avenir des contentieux peut s’illustrer aussi, ce me semble, par des remarques formulées par mon ministre à votre endroit.
Mme Claudine Schmid. Je vous remercie de nous avoir annoncé que vous porteriez au ministre ma demande de rouvrir le délai de forclusion. Mais qu’en est-il de celle visant au rétablissement de l’égalité de traitement entre tous les contribuables non résidents, quel que soit leur État de résidence, qu’ils paient des charges sociales en Europe ou ailleurs ?
M. le directeur général des finances publiques. Je comprends votre demande, mais l’administration, en vous suivant, rembourserait une somme qu’elle n’a pas à rembourser. La jurisprudence est particulièrement claire, et s’appuie sur une directive communautaire : lorsqu’un résident n’est pas dans la territorialité européenne, nous commettrions une faute en le remboursant de ce chef. En équité et en opportunité, il en va peut-être autrement, mais en droit ce n’est pas possible.
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Informations relatives à la commission
1. La commission a reçu en application de l’article 12 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) un projet de décret de transfert de crédits d’un montant de 5 624 866 euros en autorisations d’engagement (AE) et 5 717 066 euros crédits de paiement (CP), du programme 144 Environnement et prospective de la politique de défense de la mission Défense à destination du programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde de la mission Action extérieure de l’État.
Il est destiné au financement de la participation du ministère de la défense aux charges communes à l’étranger.
2. La commission a reçu en application de l’article 14 de la LOLF un projet de décret d’annulation de crédits d’un montant de 2 260 151 euros en autorisations d’engagement (AE) et 42 864 euros en crédits de paiement (CP), sur 12 programmes du budget général.
Ce mouvement, à caractère exclusivement technique, est destiné à régulariser, en fin de gestion 2015, les rattachements de crédits de fonds de concours et d’attributions de produits, afin d’assurer leur parfaite cohérence avec les recouvrements effectivement constatés.
Il vise également, dans le cas d’opérations d’investissement cofinancées ayant donné lieu à ouverture d’AE en application du décret n° 2007-44 du 11 janvier 2007 modifié, à annuler les AE excédentaires constatées à la suite de la réduction ou de l’annulation d’ordres de recouvrer.
Les annulations se répartissent de la façon suivante :
– programme 107 : 1 700 euros en AE et CP ;
– programme 129 : 760 euros en AE et CP ;
– programme 135 : 26 829 euros en AE et CP ;
– programme 150 : 180 950 euros en AE ;
– programme 164 : 105 euros en AE et CP ;
– programme 175 : 304 898 euros en AE ;
– programme 176 : 2 640 euros en AE et CP ;
– programme 181 : 154 314 euros en AE ;
– programme 203 : 1 577 125 euros en AE ;
– programme 217 : 84 euros en AE et CP ;
– programme 307 : 3 194 euros en AE et CP ;
– programme 308 : 7 555 euros en AE et CP.
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Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 15 mars 2016 à 16 heures 30
Présents. - Mme Karine Berger, M. Gilles Carrez, M. Alain Chrétien, M. Alain Claeys, M. Romain Colas, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jean-Louis Dumont, M. Alain Fauré, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Yann Galut, M. Joël Giraud, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Patrick Hetzel, M. Régis Juanico, M. Marc Le Fur, Mme Véronique Louwagie, M. Michel Pajon, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, Mme Eva Sas, Mme Claudine Schmid, M. Michel Vergnier, M. Laurent Wauquiez
Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Jean-Claude Buisine, M. Olivier Carré, M. Jean Lassalle
Assistait également à la réunion. - M. Lionel Tardy
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