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Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mardi 14 juin 2016

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 86

Présidence de M. Gilles Carrez, Président

–  Audition de M. Daniel Verwaerde, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

–  Présences en réunion

La commission entend M. Daniel Verwaerde, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

M. le président Gilles Carrez. Monsieur Daniel Verwaerde, vous avez été nommé administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) au début de l’année 2015, après votre audition par les commissions des affaires économiques de l’Assemblée nationale et du Sénat, comme l’exigent les dispositions de l’article 13 de la Constitution.

Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation, qui fait suite au récent examen par notre commission d’un projet de décret d’avance, en application de l’article 13 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Ce décret créait de nombreuses difficultés, dont je m’étais entretenu avec M. Christophe Gégout, administrateur général-adjoint du CEA, que je salue également. Comme tout décret d’avance, celui-là ouvrait des crédits pour couvrir les décisions prises au début de l’année 2016 et dont les financements, au titre du plan pour l’emploi, ne figuraient pas dans la loi de finances 2016 ; en contrepartie, plusieurs centaines de millions d’euros étaient annulés, ce qui posait des problèmes importants. Il était notamment prévu d’annuler 256 millions d’euros de crédits de la mission Recherche et enseignement supérieur, suivie plus particulièrement par Alain Claeys, rapporteur spécial de ces crédits. Dans ces 256 millions d’euros, le programme 172, Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires, devait être amputé de 134 millions d’euros « grâce », selon les termes du décret, « à une optimisation des dotations versées au CEA, pour 64 millions d’euros, au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) pour 50 millions d’euros, à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) pour 10 millions d’euros, et à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) pour 10 millions d’euros ».

Dans ce contexte, nous avons innové en auditionnant le secrétaire d’État au budget, M. Christian Eckert, qui a reconnu qu’il y avait bien un problème pour le CEA, l’amputation de crédits pour le CNRS répondant à une volonté d’éponger une trésorerie excédentaire
– mais les membres de la commission des finances se méfient toujours des captations de trésorerie pour régler une question ponctuelle. Sur proposition de notre rapporteure générale, Valérie Rabault, la commission des finances de l’Assemblée nationale, comme celle du Sénat, a émis un avis défavorable sur cette partie du décret. Le Gouvernement a renoncé à son projet, les organismes concernés, notamment le CNRS, ayant exercé, de leur côté, une pression en ce sens.

Nous aimerions donc vous entendre sur cette dimension financière, mais souhaiterions aussi que vous élargissiez votre propos à la situation générale du CEA.

M. Alain Claeys, rapporteur spécial pour la recherche. Le décret d’avance est derrière nous, mais les défis que doit relever le CEA restent bien présents. Cette audition sera utile pour aborder des sujets majeurs comme la stratégie d’emploi et celle de valorisation.

M. Patrick Hetzel. Il serait intéressant que les membres du CEA nous présentent son budget annuel ; en effet, on ne peut apprécier le montant de la trésorerie nécessaire que par rapport au budget annuel. Le ministère des finances évalue de manière prudentielle le besoin de trésorerie à 45 jours d’activité, et nous devons vérifier si le CEA dispose bien d’un tel fonds de roulement. Ce point mérite d’être débattu, car le secrétaire d’État au budget estimait le fonds de roulement du CNRS à plusieurs centaines de millions d’euros, mais ce chiffre doit être relativisé lorsqu’on le met en perspective avec le budget général du CNRS, qui s’élève à 3,3 milliards d’euros – contre 4,1 milliards pour le CEA.

M. Daniel Verwaerde, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Je vous remercie de m’inviter quelque temps après l’épisode du décret d’avance. La page de celui-ci étant tournée, nous vous présenterons précisément les missions et le budget du CEA, tout en revenant sur les difficultés récentes. Je suis accompagné de M. Christophe Gégout, administrateur général-adjoint du CEA, et de Mme Marie-Astrid Ravon-Berenguer, directrice financière du CEA, afin de pouvoir faire face à la qualité et à la profondeur de vos questions, notamment celles de MM. Claeys et Hetzel, qui avaient interpellé le secrétaire d’État au budget avec beaucoup de pertinence.

Le CEA compte environ 16 000 salariés en contrat à durée indéterminée (CDI), plus d’un millier de personnes en thèse et des collaborateurs temporaires en postdoctoral, soit 20 000 personnes au total.

Le Premier ministre m’a enjoint, dans ma lettre de mission d’avril 2015, de recentrer le CEA sur les tâches qu’a énumérées un décret de mars 2016 portant sur les statuts du Commissariat. Tout d’abord, le CEA a la responsabilité, devant le président de la République et en commun avec le ministère de la défense, des éléments centraux de la dissuasion française, à savoir les armes et les chaufferies nucléaires. Le CEA doit également apporter tous les éléments d’innovation technique, technologique et scientifique pour rendre le nucléaire civil plus sûr, plus compétitif et prêt à faire face à l’avenir – telle est l’optique du programme de quatrième génération des réacteurs. En outre, le CEA s’appelle depuis 2010 le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives et conduit des travaux de recherche et de développement (R&D) technologique, appliqués spécifiquement à la production, au stockage et à l’utilisation des énergies renouvelables. Enfin, le CEA a une mission de recherche fondamentale, que le décret d’avance touchait, dans les domaines utiles à la réalisation de nos trois premières missions, soit l’énergie, les technologies de l’information et les mathématiques. En plus de ces quatre missions, nous devons assurer le transfert technologique de nos acquis vers l’industrie, afin que celle-ci puisse innover et créer des emplois.

La mission défense du CEA est assurée dans le cadre d’une directive du Premier ministre, classée confidentiel-défense et renouvelée tous les cinq ans, que l’on appelle dans notre jargon, « l’œuvre commune ». Elle définit les responsabilités du ministère de la défense et du CEA dans la réalisation des armements nucléaires des composantes aéroportée et océanique. Le CEA est chargé des armes et des chaufferies nucléaires, la partie « non nucléaire » de l’armement nucléaire s’avérant du ressort de la direction générale de l’armement (DGA), avec laquelle nous travaillons en permanence.

Le CEA a développé le programme de simulation d’essais nucléaires, dont j’ai été le premier directeur en 1996, et s’est vu confier la lutte contre le terrorisme nucléaire et la prolifération, programme peu doté financièrement, mais extrêmement important. Le CEA a rempli le rôle d’expert technique de la délégation française lors des négociations ayant abouti à l’accord avec l’Iran sur le nucléaire.

Le budget total du CEA est de l’ordre de 4,5 milliards d’euros, dont 1,6 milliard d’euros est consacré aux projets relevant de la défense, sous forme d’une subvention. Ce montant fluctue d’une centaine de millions d’une année sur l’autre, selon le nombre de programmes commandés – ainsi, l’année où nous commandons une chaufferie pour l’un des six nouveaux sous-marins d’attaque, les barracudas, les autorisations d’engagement augmentent de 250 millions d’euros.

Nous avons également la responsabilité, devant les générations futures, d’assainir les locaux ayant abrité de la matière nucléaire, de les déconstruire en toute sûreté et en toute sécurité. Ce démantèlement constitue le plus grand programme, puisque son coût prévisionnel est évalué à 16 milliards d’euros – soit cinq porte-avions, quand le coût du laser mégajoule dépasse juste les 3 milliards d’euros ; on évalue la durée de ce programme à 30 ou 40 ans. Le budget annuel affecté au démantèlement s’élève à 740 millions d’euros ; jusqu’à la fin de l’année 2015, cette somme était financée à hauteur de 370 millions par le programme 190, l’autre moitié provenant de la vente de titres Areva que le CEA détenait. Grâce à la loi de finances pour 2016, les dépenses affectées au démantèlement proviennent intégralement d’une subvention ; avant cette année, notre trésorerie affichait un déficit de quelques centaines de millions d’euros à cause du financement du démantèlement. Nous vous remercions d’avoir adopté cette disposition de la loi de finances pour 2016 – d’autant plus que la valeur actuelle du titre Areva n’aurait pas permis de maintenir ce schéma de financement.

La direction des applications militaires (DAM) du CEA emploie 4 500 salariés, tout comme son équivalent britannique, l’Atomic weapon establishment (AWE). Le complexe nucléaire américain mobilise 36 000 personnes, soit huit fois plus ; on ne connaît pas le nombre d’employés dans l’organisation russe, mais on a identifié au moins trois centres remplissant les missions de la DAM qui abritent chacun 20 000 agents. Cette activité coûte cher, mais elle reste tout de même limitée.

Notre contribution à la R&D de l’énergie nucléaire s’élève à 2 100 personnes et à 38 % de nos programmes. La recherche technologique, centrée notamment sur les énergies renouvelables, mobilise 3 600 personnes et près de la moitié des dépenses de nos programmes. Vous voyez donc que l’appellation de Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives n’est pas usurpée !

La recherche fondamentale représente 13,8 % des dépenses de nos programmes et 1 000 équivalents temps plein (ETP) en CDI.

Notre mission d’énergie nucléaire nous enjoint tout d’abord de soutenir le parc nucléaire actuel, en apportant des réponses aux questions qui se posent quotidiennement dans les réacteurs nucléaires en fonctionnement et dans les usines comme celle de La Hague, dans laquelle le CEA conduit annuellement des travaux pour 20 millions d’euros afin d’améliorer ou de corriger son fonctionnement. Le soutien du CEA à l’industrie est permanent, celle-ci finançant une large part de nos travaux dans ce domaine.

Cette mission vise également à maintenir la capacité de R&D pour préparer l’avenir ; dans cette perspective, nous élaborons la quatrième génération de réacteurs, qui permettra de ne consommer aucune nouvelle matière première puisque l’on pourra la recycler. Les déchets produits seront également beaucoup moins nombreux ; lorsque l’on extrait un kilogramme d’uranium du sol, les réacteurs actuels utilisent 4 grammes de matière pour fabriquer de l’électricité. Notre objectif, dans ce programme de quatrième génération, est de parvenir à consommer 70 à 80 % de la matière, ce qui minimisera la sollicitation des ressources naturelles et diminuera les déchets.

Nous essayons également de faire progresser la connaissance en développant la recherche en amont et la simulation par ordinateur.

Le CEA consacre plus de la moitié de sa R&D technologique aux énergies renouvelables et aux technologies-clefs. Nous souhaitons diffuser ces dernières dans le plus grand nombre de secteurs industriels possible et, notamment, dans celui des technologies de l’information et de la communication.

La mission de recherche technologique constitue une passerelle entre la recherche fondamentale et le monde industriel, et nous occupons une place particulière dans cette transmission qui aide l’industrie. L’un des moyens d’opérer ces transferts a été mis en place à la demande de M. Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, et consiste en l’expérimentation de plateformes de recherche technologique, qui représentent des antennes de contact entre nos laboratoires de recherche et les industriels.

La recherche fondamentale représente à nos yeux la préparation de l’avenir. Grâce à elle, nous acquerrons les connaissances qui nous permettront d’élaborer les programmes de l’avenir. Nous allons étudier les différents états de la matière et types de particules, et nous en attendons beaucoup de retombées en électronique et en éléments de mesure.

Le financement de la recherche fondamentale, visé par le décret d’avance, s’avère déjà insuffisant, parce que nos crédits nous permettront de couvrir à peine les salaires des chercheurs, mais pas les centres dans lesquels ils travaillent et encore moins leurs programmes. Nous répondons donc à de très nombreux appels à projet de l’Agence nationale de la recherche (ANR), dans le cadre de l’agenda européen H 2020, et du grand emprunt. Il s’agit d’une bonne source de financement des programmes, mais elle donne à l’ANR et à Bruxelles le rôle de définir la politique scientifique du CEA. La répartition entre le financement par subventions et celui par guichet n’est pas équilibrée, car elle ne nous permet pas de développer une politique scientifique propre qui répondrait davantage à nos missions.

Mme Marie-Astrid Ravon-Berenguer, directrice financière du CEA. Le budget annuel du CEA s’élève à 4,5 milliards d’euros en 2016, dont 1,6 milliard pour la dissuasion, 0,7 milliard pour l’assainissement et le démantèlement de nos installations nucléaires et 2,2 milliards pour la recherche civile. Pour ce dernier poste, l’État verse une subvention de 1 milliard d’euros, les recettes externes, provenant des industriels et des appels à projet, rapportent 1 milliard, et le programme d’investissements d’avenir (PIA) nous accorde 0,2 milliard.

L’État a souhaité, dans le décret d’avance, annuler 64 millions d’euros dans la subvention versée par le ministère de la recherche ; il nous avait initialement proposé d’effacer 118 millions d’euros correspondant à la dernière tranche de la subvention qui nous est versée en décembre. Cette suggestion nous était présentée comme une simple mesure de décalage dans le versement de la subvention entre décembre et janvier, mais on a démontré à nos interlocuteurs que l’inscription d’une annulation de 118 millions d’euros dans un décret d’avance n’était pas de même nature qu’un report de crédits de 118 millions. Devant nos arguments, l’État a réduit le montant de l’annulation à 64 millions d’euros, ce qui nous paraissait encore très élevé. En effet, nous connaissons des difficultés de trésorerie qui font qu’une telle annulation aurait obligatoirement eu un impact sur nos dépenses, d’autant plus que l’obligation de dégager 64 millions d’économies en milieu d’année sur les dépenses financées par la subvention du ministère de la recherche aurait entraîné de grandes difficultés.

Grâce aux deux commissions des finances du Parlement et à la décision du Président de la République, le Gouvernement a renoncé à cette annulation. Dans le décret d’avance subsiste une annulation de 12 millions d’euros portant sur le programme 190, qui finance la recherche dans le domaine de l’énergie, ce qui représente 2,5 % de la subvention versée, niveau plus commensurable aux annulations régulières que peuvent subir les autres organismes lors d’un exercice budgétaire.

La trésorerie du CAE affichait un déficit de 435 millions d’euros à la fin de l’année dernière, à cause du financement des dépenses d’assainissement et de démantèlement. Dans les dernières années, la subvention budgétaire inscrite dans le budget de l’État pour cette action s’élevait en moyenne à 370 millions d’euros, ce montant ne représentant que la moitié de la somme nécessaire au financement de cette tâche. Il était convenu avec l’État, dans le cadre de conventions triennales qui s’appuyaient sur une convention-cadre signée en 2010, que le complément de financement serait apporté par l’État sous la forme d’une dotation budgétaire ou de cession par le CEA de ses titres d’Areva. Ces opérations de reclassement des titres d’Areva ont été réalisées à trois reprises, et l’on avait convenu d’une quatrième revente à la fin de l’année 2015. Cela n’a pas été possible, car il aurait fallu prendre un décret en Conseil d’État permettant au CEA de passer sous la barre de 50 % de la détention du capital d’Areva, mais ce décret n’a été publié qu’en février 2016. Or, à cette date, l’État discutait avec Areva des opérations de restructuration de son capital, et il aurait été délicat que l’État rachète des titres d’Areva détenus par le CEA et affiche à cette occasion un prix de marché. L’Autorité des marchés financiers (AMF) aurait pu opposer ce prix de cession à l’État pour le rachat éventuel des participations minoritaires. En fin de compte, 376 millions d’euros de dépenses pour assainir et démanteler nos installations en 2015 n’ont pas été financés par l’État, ce qui explique la situation dégradée de notre trésorerie depuis le début d’année.

La trésorerie n’a affiché une situation excédentaire qu’à deux reprises au cours des six premiers mois de l’année et s’est établie, en moyenne, à – 200 millions d’euros depuis le 1er janvier 2016. Si ce déficit ne baissait pas d’ici à la fin de l’année, le CEA courrait un risque au regard de l’article 12 de la loi de programmation des finances publiques pour la période allant de 2011 à 2014, qui interdit aux organismes divers d’administration centrale (ODAC) d’emprunter à plus d’un an.

Nous cherchons avec l’État une solution pour remédier à ces difficultés de trésorerie, dans l’attente d’une cession de nos titres d’Areva. Le dispositif envisagé reposerait sur une avance de trésorerie consentie par l’État, qui serait remboursée par une remontée de titres au moment où l’État aurait achevé les opérations de recapitalisation d’Areva et où l’on pourrait donc afficher une transaction et un prix de marché pour la cession de nos titres. Si une avance de 376 millions d’euros était transférée au CEA en juillet prochain, notre trésorerie moyenne se trouverait à l’équilibre pour l’exercice 2016. Cette solution permettrait de maintenir cet équilibre en 2017, mais le CEA ne disposerait pas d’un matelas correspondant à 45 jours de fonctionnement.

Nous n’aurions pas pu faire face à une annulation de 64 millions d’euros, car il aurait fallu trouver des économies en dépenses équivalant à 130 millions d’euros en année pleine. La somme de 65 millions d’euros correspond également à l’économie négociée avec l’État en novembre dernier, au moment de l’élaboration de notre plan à moyen et long termes. Nous avons cinq ans pour accomplir cet effort, alors que le décret d’avance nous aurait demandé de consentir le double de cet effort en six mois. La nature des dépenses financées par le programme du ministère de la recherche rendait cette contrainte encore plus forte.

En effet, cette subvention, de 554 millions d’euros, finance le projet de réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER) à hauteur de 57 millions d’euros, soit 10 % de la subvention, l’engagement international de la France étant difficile à remettre en cause à court terme. 74 millions d’euros, soit 14 % de cette subvention, sont alloués aux très grandes infrastructures de recherche (TGIR) ; il s’agit d’engagements nationaux ou internationaux portés par le CEA et le CNRS pour le compte de l’État et pour lesquels il est difficile de se désengager. Il reste 423 millions d’euros, soit 76 % de la subvention, qui financent des programmes de recherche civile hors énergie ; 60 % de cette enveloppe sert à couvrir les dépenses directes des programmes et le solde est utilisé pour des dépenses de soutien au sens large. Cette annulation aurait conduit à économiser 11,5 % du montant de la subvention totale et à 15 % de celle-ci, si l’on en exclut ITER et les TGIR.

La subvention ne couvre que 44 % des dépenses civiles de recherche hors énergie, car les dépenses liées à la masse salariale s’élèvent à 544 millions d’euros, la dynamique de ce poste s’avérant difficile à infléchir à moyen terme.

M. Christophe Gégout, administrateur général-adjoint du CEA. Plus que n’importe quel organisme, le CEA a besoin de visibilité à moyen et long termes, car la crédibilité scientifique se gagne dans la durée et en attirant des talents français et internationaux. En outre, le CEA déploie un grand effort d’investissement sur le renouvellement de l’outil de R&D nucléaire qui, construit dans les années 1960 et 1970, s’avère obsolète et ne répond plus aux nouvelles normes. Le plus gros investissement civil actuel, décidé en 2004, ne peut être mené à bien que par le maintien de la feuille de route donnée par l’État et par l’action du CEA.

Le Gouvernement a entendu cette demande de visibilité. Ainsi, les opérations de démantèlement ont été rebudgétisées grâce à un amendement du Gouvernement au projet de loi de finances initiale pour 2016. En outre, le Premier ministre a validé, le 25 novembre dernier, un plan stratégique à dix ans ; c’est la première fois depuis 2004 que le Premier ministre valide lui-même la programmation du CEA. En contrepartie, le CEA s’est engagé à donner à l’État les moyens de renforcer le pilotage stratégique de l’établissement. Ainsi, le CEA a renouvelé sa nomenclature, qui se révèle désormais plus simple et plus lisible et qui permet aux administrations de tutelle d’examiner chaque brique de l’action du CEA et de savoir ce que l’État retire des actions du Commissariat par rapport aux moyens qui lui sont alloués. En outre, un comité des engagements, au sein duquel la tutelle étudie nos engagements stratégiques, a été mis en place.

Le Commissariat a renforcé l’amélioration de sa gestion. La Cour des comptes avait salué les « efforts significatifs » réalisés par le CEA entre 2006 et 2012, et il nous est demandé d’approfondir ce travail. Dans cette optique, nous rapprochons deux centres civils en Île-de-France pour économiser les frais de soutien, nous examinons l’impact de la numérisation sur la fonction des finances, et nous déployons un plan achat. Le plan à moyen et long termes (PMLT) pour les années comprises entre 2015 et 2025 a été validé par le comité de l’énergie atomique. Il s’accorde très mal avec une subvention constante, car un pic aura lieu en 2018, lorsque nous fournirons notre effort le plus intense en termes de renouvellement de l’outil de R&D nucléaire. Il s’agit d’une dépense d’investissement et non d’augmentation des frais de fonctionnement du CEA ou de la taille de nos équipes. Les installations de recherche nucléaire concernent également la quatrième génération de réacteurs avec le déploiement du projet d’Advanced sodium technological reactor for industrial demonstration (ASTRID). La difficulté à soutenir un pic d’investissement avec une subvention en légère diminution devait être réglée par des ressources exceptionnelles ; beaucoup pensaient à la vente de titres Areva, mais ils ont perdu beaucoup de leur valeur par rapport au moment où l’on a examiné notre trajectoire pluriannuelle. Nous avons averti l’État que la cession de ces titres ne couvrirait pas les 720 millions d’euros pour les grands investissements nucléaires, d’autant plus qu’il convient d’y rajouter les dépenses d’assainissement et de démantèlement effectuées en 2015 et qui ne sont pas financées, ainsi que notre dette vis-à-vis d’Areva NC qui s’élève à 676 millions d’euros. Nos besoins de financement excèdent donc la valeur de marché des 54 % du capital d’Areva que nous détenons. Nous actualisons chaque année notre trajectoire financière à dix ans, et nous devrons faire face à la dépense, estimée à 140 millions d’euros, liée au renforcement de la protection physique de nos centres.

La visibilité donnée au CEA a vocation à être réactualisée chaque année dans un dialogue avec ses administrations de tutelle. Disposer d’une telle programmation à dix ans possède une valeur pédagogique élevée en interne ; en effet, il s’agit d’un outil de mobilisation des équipes vers un objectif clair, fixé par le Gouvernement et qui m’apparaît très précieux.

M. Alain Claeys. On a bien compris les problèmes de trésorerie, qui ont diminué avec le retrait des dispositions initialement prévues dans le décret d’avance, ainsi que les enjeux auxquels vous devez faire face. Cependant, cette situation résulte de votre modèle économique. En 2016, ce modèle est-il toujours valable ? Il repose sur trois piliers : la recherche en amont qui est la recherche fondamentale, la recherche appliquée, conduite dans les instituts de recherche technologique, et la valorisation.

Quelle stratégie avez-vous pour l’emploi scientifique et quels défis devez-vous surmonter ? Vous employez 16 000 CDI, un millier de thésards et des chercheurs postdoctoraux. Les difficultés actuelles en termes d’emploi s’accentueront dans les années à venir. La recherche fondamentale ne deviendra-t-elle pas la variable d’ajustement ? Ce sujet me préoccupe énormément, car il ne faut pas remettre en question les coopérations extraordinaires avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et le CNRS, sous peine de menacer l’identité même du CEA.

Où en sommes-nous du projet ITER et de la mise en activité du laser mégajoule ?

Je n’aborderai pas le sujet des projets de recherche européens, car vous êtes très bons en la matière. Il faudrait que vous diffusiez à d’autres organismes vos méthodes pour atteindre un tel succès !

Vous avez rappelé que le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault à l’époque, vous avait confié la mission de créer des instituts de recherche technologique : quel bilan en dressez-vous ?

J’ai travaillé avec Patrick Hetzel sur les investissements d’avenir, et l’on a constaté que les sociétés d’accélération du transfert de technologie (SATT) télescopaient votre politique de valorisation et de brevet. Quelles relations ont été mises en place entre le CEA et les SATT ?

M. Patrick Hetzel. À l’intérieur de la sphère de la recherche, le CEA occupe une place particulière, du fait de sa structure juridique d’établissement public industriel et commercial et de son activité dans les domaines de la défense et du nucléaire. Des charges pèsent sur le nucléaire à long terme : ainsi, depuis le début de l’année, vous auriez besoin de davantage de crédits si vous deviez respecter votre programme fixé pour la période allant de 2015 à 2025. En outre, on a noté que l’État ne respectait pas la convention-cadre établie avec le CEA en 2010 pour le financement des charges nucléaires à long terme – on parle là d’un montant de 376 millions d’euros. Cette somme devait être couverte par la cession des actions Areva, mais leur cours a baissé. Il y a donc une urgence, d’autant plus forte que le CEA ne peut pas s’endetter au-delà d’un montant représentant une année d’activité. L’État vous a assigné des objectifs, mais il ne vous donne pas les moyens de les atteindre. La commission des finances s’inquiète de cette injonction paradoxale, car on vous demande de réaliser quelque chose que vous n’êtes pas en mesure de faire. Où en sont vos discussions avec l’État sur ce sujet ? Comme le disait Alain Claeys, nous avons peur que votre activité de recherche se trouve pénalisée, alors qu’elle est très importante pour assurer les innovations futures ; or, dans ce champ, l’action du CEA est essentielle, comme nous l’avions montré avec Alain Claeys dans le cadre de la mission d’évaluation et de contrôle.

M. l’administrateur général du CEA. Ce qui est vrai pour l’emploi scientifique l’est pour tous les secteurs concernant la préparation de l’avenir : dès que l’on rencontre des problèmes financiers, on a le mauvais réflexe de diminuer les dépenses de long terme car elles ne donnent pas de résultats immédiats, alors que le véritable investissement réside dans cet effort. Nos moyens ne nous permettent pas d’embaucher dans la recherche fondamentale autant de jeunes que nous le souhaiterions.

Il y a bien deux programmes de fusion en cours en France, et il faut s’en féliciter, car bien que nous soyons un pays pauvre avec des problèmes, nous restons un très grand pays scientifique. Ainsi, nous participons à la construction d’ITER, dont M. Bernard Bigot, mon prédécesseur, a la responsabilité et nous déployons le projet de fusion par confinement inertiel auprès des lasers, que j’ai dirigé. Les premières expériences du laser mégajoule ont été lancées il y a près de deux ans en présence du Premier ministre : il monte actuellement en puissance et fonctionne bien. J’espère atteindre un plein rendement autour de 2022. Obtenir de la fusion avec du laser, on l’a déjà fait avec de plus petits vecteurs, mais la réaliser avec des gains suffisants – pour que l’énergie produite par la fusion soit dix fois supérieure à celle que l’on investit, afin que l’on fabrique plus d’énergie que l’on ne consomme d’électricité – constitue notre défi. Les Américains ont développé un laser jumeau en Californie, le National ignition facility (NIF), mais les expérimentations ont échoué jusqu’à maintenant.

ITER constitue un très grand projet mondial regroupant sept partenaires, dont l’Europe. Il connaît quelques soucis calendaires et financiers : le surcoût se montera probablement à 4 ou 5 milliards d’euros, et il faudra cinq ans pour construire l’installation. Il est toujours désagréable de constater qu’un projet prend du retard et coûte plus cher, mais nous sommes en présence d’un programme considérable et d’une très grande complexité. M. Bigot a proposé une nouvelle organisation qui permettra de mieux maîtriser le projet, si bien que je suis optimiste sur l’amélioration de sa conduite. Cela dit, les retombées industrielles seront énormes, et l’on demande aux industriels de réaliser de vrais défis, ce qui tire le secteur vers le haut.

Espérons que nous maintenions nos succès dans les appels à projets européens, car cela constitue un vrai défi ; de plus en plus de pays sont candidats pour obtenir des subventions et nous valent bien. Au début, la France a toujours un temps d’avance aux guichets car elle sait se mobiliser très fortement et rapidement, mais les autres apprennent et obtiennent des succès.

Un bilan des plateformes régionales de transfert technologique (PRTT) après trois ans d’existence a été mené à la demande du Premier ministre. Il a donné lieu à un rapport et à une réunion de synthèse qui s’est tenue le 15 janvier 2016. Nous attendons les décisions du Premier ministre, qui pourrait choisir d’étendre les PRTT au-delà du Grand Est et des Hauts-de-France, peut-être en Bretagne et dans la région Centre-Val de Loire. Le CEA dresse un bilan positif des PRTT car les objectifs ont été atteints : nous sommes parvenus au bout de trois ans à un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros par an, et nous pensons atteindre 20 à 25 millions cette année. Le nombre de contrats et de transferts technologiques est élevé – les 15 millions correspondant au prix payé par les industriels pour recevoir ces transferts – et 960 industriels ont pu être contactés. Le taux de signature de contrat, 25 %, est satisfaisant car l’on s’attendait à un moins bon résultat, plus proche de 10 %. Les PRTT représentent un travail considérable pour les équipes délocalisées du CEA, mais l’enjeu de la réindustrialisation de la France est trop important pour ne pas consentir cet effort.

Le CEA est souvent perçu comme un organisme arrogant, ce qui n’est pas tout à fait faux, et nous devons apprendre à travailler avec les autres et nous montrer plus modestes. Les équipes universitaires et celles du CNRS déjà implantées dans les régions vous diront néanmoins que les relations se sont normalisées et sont devenues bonnes avec les membres du CEA. Lorsque nous avons besoin de faire de la recherche fondamentale dans les régions, nous faisons appel à ces organismes plutôt qu’à la base arrière du Commissariat.

La mise en place des SATT n’était pas cohérente avec notre utilisation des brevets. Ces derniers ne constituent pas une source de financement majeure pour le CEA. Les redevances que nous touchons permettent en effet tout juste de couvrir les coûts nécessaires à la protection de notre portefeuille de brevets. Ils concernent en revanche des technologies-clefs que nous pourrons mobiliser pour passer de nombreux contrats industriels, d’où notre volonté d’en conserver la propriété ; cela vaut surtout pour les contrats signés avec les petites et moyennes entreprises (PME), les petites et moyennes industries (PMI) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), le CEA devant adoucir ses positions pour les projets avec les grands groupes pour lesquels le cofinancement s’avère différent. Le laboratoire de recherche d’une PME est le CEA, si bien que nous conduisons la recherche du début à la fin de l’opération, alors qu’un grand groupe industriel possède son laboratoire, ce qui suscite la méfiance du CEA. Il faudrait que nous évoluions sur cette question et que nous acceptions de travailler avec de tels laboratoires, qui souhaitent conserver certains éléments secrets.

Mme la directrice financière du CEA. Nous sommes en train de négocier la convention relative à l’avance de trésorerie, et il nous reste un point à trancher. Dans l’hypothèse où le volume des titres Areva détenus aujourd’hui par le CEA s’avérerait insuffisant pour couvrir les 376 millions d’euros – il faudrait pour cela que le cours de l’action soit inférieur à 1,8 euro, sachant qu’il s’établit aujourd’hui à 4 euros –, nous ne sommes pas encore mis d’accord avec l’État sur les modalités de financement du reliquat du principal de l’avance. Nous nous montrons toutefois optimistes pour que cette avance de trésorerie nous soit consentie au milieu de l’année et que nous nous retrouvions avec un profil moyen à l’équilibre en 2016.

La stabilité de notre trajectoire à moyen terme dépend du financement des grands investissements, notamment le réacteur Jules-Horowitz et le programme de la quatrième génération ASTRID, et la baisse du cours de l’action Areva nous conduit à nous retourner vers l’État pour identifier la part de ses ressources non récurrentes qui pourrait être mobilisée. Nous discutons ainsi avec l’État des marges de manœuvre disponibles dans le cadre des programmes d’investissements d’avenir, dont le troisième volet (PIA 3) sera présenté au Parlement à l’automne prochain.

M. Patrick Hetzel. Il s’agit d’un détournement des objectifs du PIA, puisque cela revient à lui faire financer des dépenses récurrentes.

M. l’administrateur général du CEA. On destine le PIA à financer le pic d’investissement lié au réacteur Jules-Horowitz et à ASTRID. On remboursera le prêt qui nous est consenti grâce à la vente de titres Areva, à la condition qu’ils valent encore quelque chose.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 14 juin 2016 à 16 heures 45

Présents. - M. Jean-Marie Beffara, M. Jean-Claude Buisine, M. Gilles Carrez, M. Jérôme Chartier, M. Alain Claeys, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jean-Louis Dumont, Mme Aurélie Filippetti, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Patrick Hetzel, M. Michel Lefait, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-François Mancel, M. Laurent Marcangeli, Mme Christine Pires Beaune, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet, M. Michel Vergnier

Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Henri Emmanuelli, M. Jean-Claude Fruteau, M. Marc Goua, M. David Habib, M. Marc Le Fur, M. Victorin Lurel, Mme Valérie Rabault, M. Philippe Vigier

Assistaient également à la réunion. - M. Jacques Bompard, M. Dominique Raimbourg

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