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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 27 mai 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 60

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux, sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines (n° 1413) (M. Dominique Raimbourg, rapporteur) et examen de ce projet

La séance est ouverte à 9 heures 30.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l’audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux, sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines et, sur le rapport de M. Dominique Raimbourg, à l’examen de ce projet.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Cette réunion est consacrée à l’audition de Mme la garde des Sceaux et à l’examen du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines. La plupart des membres de la Commission sont déjà familiers de ce texte, qui a fait l’objet d’un peu plus de 500 amendements, dont 85 déposés par notre excellent rapporteur, M. Dominique Raimbourg.

Nous souhaitons donc la bienvenue à Mme la garde des Sceaux, qui sait qu’elle est chez elle à la commission des Lois de l’Assemblée nationale.

Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Ce projet de loi n’a plus de secrets pour vous, puisque vous y travaillez depuis plusieurs mois : le rapporteur a conduit de nombreuses auditions, et vous vous êtes vous-mêmes fortement impliqués sur le texte.

Ce texte affiche clairement ses intentions et son ambition : individualiser les peines et prévenir la récidive. J’insiste sur le fait que la prévention de la récidive consiste non seulement à lutter contre la récidive, ce que nous allons continuer de faire, mais aussi à prévenir celle-ci, c’est-à-dire à éviter la commission de nouveaux actes de délinquance par des personnes ayant été confiées à l’administration pénitentiaire, en milieu fermé ou en milieu ouvert, et à faire en sorte qu’il n’y ait pas de nouvelles victimes.

Nous sommes partis d’un constat d’échec sur la prévention de la récidive et sur la lutte contre la récidive telle qu’elle était conçue par les politiques pénales précédentes.

Je passerai rapidement sur certains éléments, que je souhaite néanmoins évoquer car ils font partie de l’état des lieux. J’estime que le sujet est trop important pour céder à la polémique et aux positionnements partisans, d’où la méthode que nous avons adoptée.

Je passe donc rapidement sur la centaine de lois qui ont été adoptées dans les dix dernières années pour modifier le code pénal et le code de procédure pénale. Je me bornerai à indiquer que la population carcérale a augmenté de 35 % en dix ans, ce qui ne correspond ni à l’évolution du taux démographique, ni même à celle des taux de délinquance. Un certain nombre de textes ont été adoptés en affichant clairement la volonté de lutter contre la récidive. On constate néanmoins qu’entre 2001 et 2012, le taux de condamnation en état de récidive légale est passé de 4,9 % à 12,1 %. Les sorties sèches, qui sont le terreau de la récidive, sont de 80 % en moyenne, et même de 98 % pour les courtes peines, faute de temps nécessaire pour organiser un programme de préparation à la sortie. Les juges se sont retrouvés contraints dans leurs décisions, et les victimes instrumentalisées et négligées. Je le dis haut et fort, et je l’étayerai au besoin par des éléments précis : il vient un moment où il faut mettre un terme aux mauvais procès.

Il aurait certes été facile, compte tenu de tout le matériau dont nous disposions déjà, de défaire ou de corriger ce qui avait été fait. Mais nous avons choisi d’adopter une méthode rigoureuse, en mettant en place une conférence de consensus, qui a élaboré un état des savoirs à l’échelle nationale et internationale, en cherchant à identifier les facteurs et les programmes efficaces dans la prévention de la récidive, avant de présenter une douzaine de préconisations, à partir desquelles nous avons ouvert trois « tours » de consultation très larges. Nous avons consulté les représentants de tous les métiers judiciaires et pénitentiaires, mais également les représentants syndicaux de la police et le comité de liaison de la gendarmerie, ainsi que les associations de victimes et d’aide aux victimes et les associations d’insertion et de réinsertion – la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), présidée par M. Louis Gallois, la Fédération des associations réflexion-action, prison et justice (FARAPEJ), le Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées (GENEPI)… Nous avons bien sûr consulté le Conseil national d’aide aux victimes (CNAV), qui n’avait pas été réuni depuis 2010. Le processus interministériel a ensuite suivi son cours. Sur cette base, nous avons élaboré les principes directeurs du projet de loi.

Quels sont-ils ? La peine doit être adaptée à la gravité des faits, à leur effet sur la victime, et au parcours et à la personnalité de l’auteur des faits. Cette adaptation doit être possible pour les juges ; autrement dit, nous devons redonner une marge d’appréciation aux magistrats. Il faut également faire en sorte que cette individualisation de la peine soit effective au moment du prononcé de la peine, mais aussi jusqu’à l’exécution de la peine et après, puisque nous avons mis en place des dispositifs d’accompagnement et d’encadrement. Il convient pour cela de mobiliser, de coordonner et de mieux articuler l’action conduite par les services de l’État, par les collectivités territoriales qui agissent déjà et par les associations.

Deux articles principaux constituent la colonne vertébrale de ce texte.

L’article 1er indique les finalités et les fonctions de la peine, le sens de la peine et les objectifs qui lui sont assignés : sanctionner l’auteur des faits, protéger la société et contribuer à réparer le préjudice subi par les victimes ; préparer la réinsertion, voire la désistance, c’est-à-dire la sortie du parcours de délinquance. Nous enrichissons ici utilement l’article 132-24 du code pénal.

L’article 11 énonce les principes qui doivent présider à l’exécution de la peine. Il rassemble les dispositions relatives aux droits des victimes, jusqu’ici dispersées dans le code de procédure pénale, que nous renforçons, notamment dans la phase de l’exécution de la peine, de manière à assurer la tranquillité et la sûreté des victimes.

Autour de ces deux articles essentiels, nous avons prévu une série de dispositifs permettant de traiter avec efficacité les délits – puisque, je le rappelle, le texte concerne les faits délictuels.

Le principe de l’individualisation de la sanction est rappelé dans les articles 2 et 3. Pour qu’il soit effectif, il faut mettre à la disposition des magistrats les éléments qui leur permettent de prononcer la sanction la plus adaptée, celle qui sera la plus efficace. C’est la raison pour laquelle l’article 4 ouvre une possibilité de césure du procès pénal : une première audience permettra de reconnaître la culpabilité, mais aussi, si les éléments nécessaires ont pu être rassemblés, de fixer les réparations dues à la victime ; la seconde, tenue quatre mois au plus tard après la première, permettra de prononcer la peine la plus adaptée.

Nous redonnons une marge d’appréciation aux magistrats par la suppression des automatismes. Nous l’avons constaté, ceux-ci ne contribuent pas à réduire la récidive. Nous avons fait procéder à des études rigoureuses et incontestables, dont nous vous donnerons les chiffres.

Nous supprimons donc les automatismes, notamment en ce qui concerne les révocations. Le magistrat pourra décider de révoquer les sursis ; c’est l’automatisme qui disparaîtra.

Je l’ai dit, des études sérieuses ont été conduites non seulement en France, mais aussi en Europe et dans d’autres pays. Ces études incontestées ont montré que les conditions dans lesquelles l’aménagement de peine était effectué étaient de nature à améliorer – ou non – l’efficacité de la lutte contre la récidive. Je m’attends à une discussion sur les seuils, puisque le projet modifie ceux qui avaient été retenus par la loi pénitentiaire de 2009.

Pour prévenir la récidive, il faut traiter toutes les situations, mais surtout constater ce qui fonctionne. Les éléments statistiques dont nous disposons montrent que la récidive est beaucoup moins forte lorsque les peines ont été exécutées en milieu ouvert, d’où l’importance de travailler sur ce champ. C’est la logique de la contrainte pénale, qui est une peine en soi, exécutée en milieu ouvert, qui sera prononcée par les magistrats en fonction de l’appréciation qu’ils porteront sur les faits, le préjudice à la victime et le parcours et la personnalité de l’auteur. Exécutoire par provision, elle n’aura pas les défauts des peines actuelles, qui peuvent – selon les dispositions de la loi pénitentiaire de 2009 – être aménagées jusqu’à deux ans d’emprisonnement ferme. Adaptable et modulable, elle pourra donner lieu à des incarcérations en cas d’échec, y compris à plusieurs reprises. Cela suppose de travailler de façon plus méthodique sur l’intervention des services de l’État, des collectivités, avec lesquelles nous avons déjà signé des conventions, et des associations qui interviennent.

Nous avons donc articulé plus clairement les fonctions respectives des juges de l’application des peines (JAP) et des conseillers d’insertion et de probation. Nous avons aussi prévu des dispositions qui permettent aux forces de sécurité de contribuer au contrôle, par des retenues ou des visites domiciliaires sous le contrôle du juge. Seront en effet introduites dans le fichier des personnes recherchées les obligations et les interdictions particulières les plus importantes ; cela permettra de veiller à l’exécution et au respect des dispositions de la contrainte pénale. Les visites domiciliaires pourront par exemple concerner une suspicion de détention d’armes si celle-ci fait l’objet d’une interdiction.

Nous combattons les sorties sèches, qui sont le terreau de l’aggravation de la récidive. Les mécanismes mis en place ces dernières années visaient en réalité à gérer les flux carcéraux. Nous ne nous situons absolument pas dans cette logique, mais dans celle du sens de la peine et de l’efficacité de la peine prononcée. Nous supprimons d’ailleurs ces mécanismes, qui ne sont pas efficaces tels qu’ils ont été conçus, avec des procédures écrites. Il s’agit de la procédure simplifiée d’aménagement de peine et de la surveillance électronique en fin de peine.

En revanche, nous instituons un dispositif de rendez-vous judiciaire aux deux tiers de la peine exécutée. Il permettra au JAP et à la commission de l’application des peines (CAP) de travailler sur le projet du détenu, accompagné par le conseiller d’insertion et de probation, et de prononcer, si la CAP l’estime nécessaire, une décision de libération sous contrainte ou de maintien en détention. Ce dispositif s’applique aux courtes peines.

Nous avons également prévu un dispositif de rendez-vous judiciaire, mais plus lourd, avec un débat contradictoire, pour les peines supérieures à cinq ans. Vous le savez, le texte concerne les délits pour lesquels la peine encourue est inférieure ou égale à cinq ans.

Pour garantir l’efficacité des dispositions de ce projet de loi, les effectifs du corps des conseillers d’insertion et de probation vont être augmentés de 25 % en trois ans, ce qui est sans précédent dans la fonction publique. Nous avons engagé un travail interministériel pour mobiliser les services de l’État, à savoir les ministères du Travail, de la Santé, du Logement, ainsi que de l’Éducation nationale, le taux d’illettrisme étant très élevé dans la population carcérale. Nous avons également pris un certain nombre de dispositions relatives à l’organisation de l’administration pénitentiaire. La direction de l’administration pénitentiaire travaille depuis plusieurs semaines avec les syndicats à la réorganisation de l’organigramme. Enfin, nous renforçons les conseillers d’insertion et de probation. Nous faisons même plus : nous travaillons sur les profils de recrutement, les méthodes, les outils d’analyse et d’évaluation et la formation initiale et continue.

Nous ne touchons pas à l’échelle des peines. Mais compte tenu de la complexité de notre code pénal, j’ai chargé une mission présidée par M. Bruno Cotte, ancien président de la chambre criminelle à la Cour de cassation et président de chambre à la Cour pénale internationale, de réfléchir – jusqu’à fin 2015 – sur l’architecture même de l’exécution et de l’application des peines.

Contrairement à ce que l’on entend dire de manière inqualifiable, ce texte ne vise ni à supprimer ni à remplacer la prison. Je le répète, l’échelle des peines n’est pas modifiée ; nous enrichissons l’arsenal répressif mis à la disposition des juges. Il s’agit de sortir de la démagogie et de l’irresponsabilité. Les intentions et l’ambition du Gouvernement sont clairement affichées dans l’intitulé du projet de loi. Nous allons même plus loin, puisque nous sommes en train d’achever une réforme des outils statistiques, aussi bien au niveau du ministère de l’Intérieur qu’au niveau du ministère de la Justice. Conformément aux dispositions de la loi pénitentiaire de 2009, nous avons créé l’Observatoire de la récidive et de la désistance.

Enfin, nous proposons que l’efficacité des dispositions du texte sur la prévention de la récidive soit mesurée au bout de trois ans.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Je commencerai par un constat. J’ai eu la chance d’avoir un peu de temps pour travailler ; j’ai donc procédé à 300 auditions. Le constat est un peu attristant quant aux dysfonctionnements de notre système pénal. Au cours des trente dernières années, nous avons demandé à la justice de prendre de plus en plus de place dans notre société, de juger de plus en plus de faits, sous la pression de la mise en place des conseils communaux de prévention de la délinquance, devenus conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), puis du service de traitement direct, qui a mis en contact téléphonique permanent les officiers de police judiciaire (OPJ) et les substituts du procureur, ce qui s’est traduit par la mise en place d’un indicateur de l’efficacité de la justice pénale, le taux de réponse pénale. Si cet indicateur est important, il a poussé la justice à traiter de plus en plus de dossiers.

Le présent texte ne concerne que les délits, c’est-à-dire les 600 000 cas qui sont jugés chaque année par les tribunaux. Il ne concerne pas les 2 500 arrêts de cours d’assises.

Pour mesurer l’importance de l’accroissement du travail de la justice, il suffit de rappeler qu’entre 2001 et aujourd’hui, le nombre de jugements correctionnels est passé de 450 000 à 600 000, sachant que les moyens humains et matériels n’ont quasiment pas augmenté. Les difficultés de notre justice se traduisent dès lors par un dysfonctionnement dans le triptyque pénal, c’est-à-dire dans les relations entre la police et la justice comme entre la justice et l’administration pénitentiaire. Ce dysfonctionnement est perceptible dans les délais : les policiers se plaignent de la lenteur du traitement de leurs dossiers. Pour comprendre ce qu’il en était, je me suis astreint à une lecture assidue de la rubrique des faits divers dans mon quotidien régional. La semaine dernière, un groupe de cambrioleurs a été arrêté. Ses membres sont convoqués devant le tribunal correctionnel, mais pour juin 2015 ! Tout cela perd son sens : les juges seront conduits à juger des cambrioleurs qui auront évolué, que ce soit en bien – ce que l’on peut espérer – ou en mal.

À l’autre bout de ce qu’il faut bien appeler la chaîne pénale, quand bien même ce terme déplaît à certains, les délais d’exécution sont très longs et lents. La lecture de l’Infostat Justice de la fin de l’année 2013 nous montre que la mise à exécution des décisions d’incarcération demande en moyenne neuf mois. Or durant ce délai, la situation de l’intéressé peut évoluer. De là vient le malaise de la justice, malaise perçu par nos concitoyens, qui ont le sentiment que tout cela tourne à vide.

Cette situation a appelé des réactions. Sous le précédent quinquennat, et plus généralement entre 2002 et 2012, la droite a bien senti ces difficultés. Étonnamment, elle s’est concentrée pour y répondre sur ce qui marche le mieux, à savoir l’audience. Elle a considéré que c’était la sévérité de la peine qui posait problème. Nous en voyons la trace : la durée moyenne d’incarcération a augmenté, et l’effort de construction de places de prison n’a pas suffi. Le 1er juillet 2001, on dénombrait 49 718 détenus pour 49 043 places de prison. Le 1er juillet 2013, nous disposions – au terme d’un effort méritoire – de 57 320 places de prison ; dans le même temps, le nombre de détenus était passé à 68 569. Ces chiffres mettent à mal le raisonnement qui voudrait que l’on construise toujours plus de places de prison. Le vieil adage selon lequel plus l’on construit de places et plus l’on met de prisonniers dedans semble se vérifier. Certes, nous n’avons pas assez de places ; mais faut-il vraiment se fixer l’objectif d’incarcérer 80 000 personnes à l’horizon de 2017 ?

En outre, il faut rappeler que le coût de construction d’une place de prison oscille autour de 100 000 euros, et que le coût d’une journée de détention s’établit à 97 euros et quelques centimes – il s’agit là d’une moyenne. La politique que nous menons doit donc s’adapter aux moyens ; nous devons répondre à la question de la délinquance avec les moyens qui sont les nôtres et qui seront les nôtres demain, sans nous leurrer sur un futur qui nous permettrait de disposer de places de prison qui ne sont peut-être pas utiles.

Ce constat fait, j’en viens aux trois principaux volets du texte.

Le premier volet concerne les victimes, dont les droits sont remis à jour. Certes, elles en ont déjà ; mais il est important qu’elles soient informées de leurs droits et que la mise en œuvre de ces droits fonctionne. L’un des amendements que je vous proposerai vise à créer une sur-amende sur les amendes correctionnelles, destinée à abonder un fonds en direction des associations d’aide aux victimes.

Le deuxième volet important du texte concerne la lutte contre la récidive par le contrôle des sortants de prison. Permettez-moi ici d’apporter une précision sémantique. En matière correctionnelle, le terme de récidive n’a aucun sens, puisqu’il ne concerne que les personnes condamnées à nouveau pour le même délit. Or c’est contre la réitération – c’est-à-dire la commission de plusieurs délits et la poly-délinquance – qu’il faut lutter.

Peu nombreuses sont les études sur cette question de la réitération. Mais l’étude de Mme Annie Kensey et M. Abdelmalik Benaouda, présentée à l’occasion de la conférence de consensus, tend à prouver que plus l’on prépare les détenus à la sortie de prison, et moins il y a de réitération. Le constat est aujourd’hui le suivant : 80 % des sortants de prison ne bénéficient d’aucun suivi et d’aucun contrôle. Pour les condamnés à une peine de six mois ou moins, ce taux monte à 98 %. C’est l’une des raisons pour lesquelles nos concitoyens ont le sentiment que le triptyque police-justice- pénitentiaire ne fonctionne plus.

Ce texte consent un effort important pour faire en sorte qu’il n’y ait plus de sorties sèches : le dispositif de libération sous contrainte ; l’embauche de 1 000 conseillers d’insertion et de probation supplémentaires, qui portera les effectifs des services d’insertion et de probation (SPIP) à 5 000 agents, soit un effort équivalent à 25 % des effectifs ; l’association des forces de police et de gendarmerie au suivi des sortants de prison. On peut s’étonner que dans un pays comme le nôtre, les services de police et de gendarmerie ne soient informés ni des sorties de prison, sauf dans certains cas, ni des interdictions qui pèsent sur les sortants. Il y a là un grave dysfonctionnement. Nous avons besoin d’une coopération entre les services de police et la justice.

Le texte met en place cette coopération, par le biais de l’inscription au fichier des personnes recherchées, qui est notamment consulté lors des contrôles routiers. Seront désormais inscrites sur ce fichier les interdictions qui pèsent sur un certain nombre de condamnés en milieu ouvert et de sortants de prison.

Comme vous le verrez au travers des amendements, il me semble nécessaire d’aller plus loin et d’organiser la coopération entre les services de police et la justice. Celle-ci pourrait se faire au sein des états-majors de sécurité, qui sont l’une des cellules des conseils départementaux de prévention de la délinquance, et des cellules de coordination des zones de sécurité prioritaires. Dans certains cas, il pourrait également être utile de vérifier ce que font les sortants de prison. Je propose donc de mettre en place de la géolocalisation et des écoutes téléphoniques pour certains sortants de prison.

Pour éviter les sorties sèches, et pour éviter que certains n’exécutent leur peine jusqu’au bout, en refusant toute mesure d’aménagement de fin de peine, dans le but d’échapper à un contrôle et à un suivi à la sortie, je vous proposerai un mécanisme de conditionnalité du crédit de réduction de peine. Le juge aura ainsi la possibilité de révoquer le crédit de réduction de peine en cas de violation de certaines interdictions qu’il aura posées avant la sortie.

Le troisième volet important du texte concerne l’individualisation : nous supprimons les automatismes. Je précise qu’il s’agit non pas d’une espèce d’acharnement idéologique contre les peines plancher, mais de la prise en compte du réel. Les peines plancher ont représenté 42 000 condamnations sur cinq ans. Dans le même temps, les tribunaux correctionnels rendaient 3 millions de décisions. Statistiquement, nous sommes donc passés à côté de l’objectif visé. Là encore, on s’est fondé sur la notion de récidive, qui n’a guère de sens en matière correctionnelle. Je l’ai expliqué tout à l’heure, récidive et réitération ne sont pas la même chose. Les chiffres nous le confirment : en 2010, 52 993 personnes ont été condamnées en récidive et 134 799 en réitération. Le mécanisme des peines plancher aboutit donc à poursuivre artificiellement les récidivistes plutôt que les réitérants. On ne peut fonder une politique pénale sur ces concepts.

La fin de l’automaticité en matière de révocation des sursis simples est un mécanisme important. Certaines peines ne sont pas inscrites au casier judiciaire. Lorsque le juge condamne à nouveau, il révoque donc sans le savoir un sursis simple, ce qui aboutit à des situations difficiles. J’ai passé une matinée dans le cabinet d’un JAP. Est arrivé un homme qui avait eu quelques démêlés avec la justice et qui, pour reprendre une expression populaire, n’était sans doute pas un enfant de chœur. Incarcéré en 2009, il avait effectué dix-huit mois de prison, à raison d’un an plus six mois. Pour une raison incompréhensible, un sursis de 2006 n’avait pas été ramené à exécution. Début 2014, il a donc été convoqué par le JAP. « Monsieur, lui a-t-on dit, il ne semble pas que ce sursis ait été mis à exécution, alors qu’il a été révoqué par la peine de 2009. » Après vérification auprès du greffe de la prison, on a constaté qu’en effet, cette peine n’avait pas été exécutée. L’intéressé a donc effectué cette année une peine d’incarcération d’un mois pour une condamnation datant de 2006. Il n’a pas compris que huit ans après, alors que sa situation avait grandement évolué, on vienne lui demander d’exécuter cette peine. Dans le cas présent, la situation n’était pas dramatique ; mais dans certains cas, elle peut l’être. C’est un dysfonctionnement, et c’est pourquoi nous avons prévu que le sursis ne soit révoqué que lorsque le juge le dira : les mécanismes automatiques disparaissent.

Nous mettons en place la contrainte pénale, qui a tant fait jaser. N’oublions pas que selon l’étude d’impact, elle s’appliquera à environ 20 000 personnes, à rapprocher des 160 000 condamnées chaque année à des sursis avec mise à l’épreuve.

Nous reviendrons sur les amendements dans le cours de la discussion. En ce qui concerne l’exécution de la peine, nous tendons à aligner le régime des récidivistes sur celui des non-récidivistes, pour des raisons qui ont déjà été développées, et notamment parce que nous avons besoin de suivre ces personnes à l’extérieur.

Puissions-nous adopter à une large majorité ce texte qui se veut un début de prise en compte du réel, c’est-à-dire des flux, dans un système de justice, de police et de prisons qui a bien besoin d’être rénové.

M. Georges Fenech. Vous avez qualifié certaines critiques d’inqualifiables, madame la garde des Sceaux. Souffrez néanmoins d’en entendre certaines qui reflètent très largement l’opinion publique. Rappelons que, selon tous les sondages, 75 % des Français sont hostiles à votre réforme.

Avant d’évoquer les deux mesures phares du texte, à savoir la suppression des peines plancher et l’instauration de la nouvelle peine baptisée contrainte pénale, permettez-moi de faire quelques observations préliminaires.

Je relève d’abord que l’examen de ce projet a été opportunément repoussé après les élections municipales et les élections européennes. Il est vrai que les sondages lui étaient très défavorables. Du reste, cela n’a pas évité la déroute de la majorité lors de ces deux scrutins. Je vous suggère donc de tenir compte de ce désaveu infligé à la politique du Gouvernement, dont votre politique pénale est l’un des enjeux les plus emblématiques, pour retirer ce projet de loi de l’ordre du jour. Il n’apporte aucune plus-value, introduit de la complexité, repose sur un certain angélisme et adresse un message de laxisme dangereux pour la sécurité de nos concitoyens.

Que M. le président de la Commission veuille bien me pardonner de rappeler une de ses déclarations, selon laquelle mieux vaut voter les textes qui font polémique lorsque les Français sont en maillot de bain. Or ce texte fait polémique. Si toutefois, madame la garde des Sceaux, vous vous obstinez à le défendre, si vous persistez dans une forme d’aveuglement idéologique, alors croyez-moi, les députés de l’opposition – certes peu nombreux ce matin – seront au rendez-vous lors de son examen en séance publique. Mais je remarque que la dévitalisation de la sanction pénale, sous-jacente à ce projet, intervient à l’heure où l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales enregistre une envolée de la délinquance. Dès lors, était-il opportun d’envoyer en direction de sa frange la plus endurcie un tel message de laxisme ?

Je rappelle les déclarations faites le 18 décembre 2013 par le général Bertrand Soubelet devant la mission d’information sur la sécurité à laquelle j’appartiens : « Quand vous lâchez 65 % de ceux qui se sont rendus coupables d’un certain nombre d’exactions, comment voulez-vous que les chiffres baissent ? ». On ne peut être plus clair sur l’état de découragement des forces de l’ordre.

C’est sans doute, d’ailleurs, l’une des raisons de l’affrontement qui vous a opposée, tout l’été 2013, à votre collègue alors en charge de l’Intérieur, Manuel Valls, lequel avait alerté le président de la République pour dénoncer un texte reposant « sur un socle de légitimité fragile » et fustiger « le bref délai » dans lequel avait été conduite la réflexion au sein de la conférence dite « de consensus ». En guise de conférence de consensus, nous avons d’ailleurs plutôt assisté à une conférence de « préconvaincus », soigneusement triés sur le volet pour atteindre un seul objectif : donner un caractère pseudo-scientifique au projet de loi. Les associations de victimes s’en sont d’ailleurs publiquement offusquées.

Force est de constater qu’une fois devenu Premier ministre, Manuel Valls n’exprime curieusement plus les mêmes objections à l’égard du texte. Les Français apprécieront cette volte-face, véritable renoncement à assurer la sécurité des Français.

J’en arrive, madame la ministre, à l’examen des deux mesures phares de votre projet : la suppression des peines plancher et l’institution de la contrainte pénale.

Alors que les peines plancher correspondent à une logique de graduation de la peine, applicable depuis le primo-délinquant jusqu’au récidiviste et au multi-récidiviste, vous avancez trois arguments pour justifier leur suppression.

Selon vous, ces peines seraient d’abord à bannir comme étant quasi automatiques, voire automatiques, et donc contraires au principe de l’individualisation des peines et de la libre appréciation du juge. Mais si tel avait été le cas, à coup sûr, le dispositif aurait été censuré par le Conseil constitutionnel. Or celui-ci a pourtant jugé, le 9 août 2007, que l’instauration des peines minimales ne portait atteinte ni au principe de nécessité ni au principe d’individualisation des peines.

En réalité, la loi du 10 août 2007 permet au juge de descendre en dessous du seuil légal en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur, ou lorsqu’il constate des efforts sérieux de réinsertion. La seule obligation du juge est de motiver sa décision – ce qui est bien le moins. D’ailleurs, l’application de cette loi est devenue plus rare depuis son entrée en vigueur : elle a concerné 50 % des situations éligibles en 2007, 43 % en 2008, 41 % en 2009, 38 % en 2010 et 37 % en 2011. Une peine éligible sur trois tient donc compte de l’état de récidive. Monsieur le rapporteur, si vous jugez le dispositif insatisfaisant en raison du caractère trop précis de la notion de récidive, rien ne vous empêchait d’étendre son application aux faits de réitération. C’est d’ailleurs le sens d’un amendement présenté par le groupe UMP.

On le voit, l’argument de l’automaticité est un faux prétexte pour masquer votre véritable intention – et cela fait sans doute partie des critiques « inqualifiables » – : vous avez l’intention d’éviter l’emprisonnement et de vider les prisons. Oui, monsieur le rapporteur, je crois qu’il faut adapter notre parc immobilier pénitentiaire au niveau de la délinquance que connaît notre pays, et non pas adapter la lutte contre la délinquance aux moyens dont dispose l’administration pénitentiaire.

Il est d’ailleurs étonnant d’entendre parler systématiquement de « surpopulation carcérale ». Est-ce que l’on parle de « surpopulation médicale » ? Non, l’expression employée est : « sous-équipement médical ». C’est aussi le cas en matière pénale : nous faisons face à un cruel sous-équipement carcéral que vous ne voulez pas prendre en compte.

Les Français ne s’y trompent pas, d’ailleurs. L’idée, pour le moins paradoxale, qu’un texte affichant l’objectif de lutter contre la récidive doit prévoir la suppression des sanctions minimales pour les récidivistes n’a pas convaincu l’opinion, comme je viens de le rappeler.

Je constate au passage – et c’est l’un des volets les plus critiquables du projet de loi – que vous souhaitez rendre automatique l’examen d’une libération conditionnelle aux deux tiers de la peine, ce que vous appelez d’une jolie formule le rendez-vous avec le juge d’application des peines. Mais pourquoi vouloir rendre un tel rendez-vous automatique si vous êtes, par principe, opposés à l’automaticité ? Le même principe serait-il donc acceptable pour la sortie de prison et non pour l’entrée ? Nous sommes en pleine démagogie.

Autre critique que vous adressez aux peines plancher : celles-ci seraient à l’origine d’une surpopulation carcérale par l’effet de l’allongement de la durée des peines. Mais cet allongement est bien le but recherché, car un récidiviste doit être condamné plus sévèrement qu’un primo-délinquant. Il est en effet établi qu’environ 50 % des infractions sont le fait de seulement 5 % de délinquants les plus endurcis. Je sais que vous contestez cette analyse, selon vous inventée par Nicolas Sarkozy lors d’un discours à Grenoble. C’est du moins ce que vous avez expliqué à l’occasion d’une de vos nombreuses conférences de presse – en dépit des usages, vous avez en effet assuré de votre projet de loi un « service avant vente » pour tenter de désamorcer les critiques. Mais en réalité, ces chiffres viennent d’une étude menée en Grande-Bretagne – dont la situation est comparable à celle de la France – et sont le résultat du travail d’un sociologue-criminologue, Jerry Ratcliffe, confirmé par un criminologue français parfaitement respectable, Sebastian Roché, lequel explique que la récidive est le fait d’environ 5 % seulement des délinquants.

Il faut rappeler que l’on n’incarcère pas plus en France qu’ailleurs. Alors que le taux de détention, en Europe, est de 122 incarcérés pour 100 000 habitants, il est de 100 en France, de 130 en Espagne, de 150 au Royaume-Uni et de 210 en Pologne. La prison ferme représente aujourd’hui, en France, seulement 17 % des condamnations pénales. Il s’agit d’une réalité statistique objective et indiscutable, même si je sais que vous la discutez en faisant appel aux anciens pays du bloc soviétique – lesquels incarcèrent beaucoup, paraît-il.

Le phénomène de surpopulation carcérale, madame la ministre, est la conséquence de votre refus d’agrandir le parc pénitentiaire et de nous mettre ainsi aux normes européennes. En 2011, la France comptait 56 562 places, contre 75 647 en Espagne, 77 689 en Allemagne et 96 158 en Grande-Bretagne : on voit bien la différence.

Votre troisième argument est de prétendre que les peines plancher n’ont en rien fait reculer la récidive. C’est ce que vous avez déclaré le 22 août 2013 : « Aujourd’hui, nous connaissons un taux de récidive légale de plus de 57 %. […] Non seulement le taux de récidive n’a cessé d’augmenter, mais les peines plancher l’ont aggravé. » Pour justifier votre analyse, vous vous appuyez sur une enquête de 2011 démontrant que les sortants de prison, depuis 2002, ont récidivé à proportion de 59 %. Mais aucune étude similaire n’ayant été réalisée depuis 2007, date de l’institution des peines plancher, on voit mal comment vous pouvez affirmer que le taux de « recondamnation » a grimpé ces cinq dernières années.

En réalité, et vous l’avez reconnu vous-même, la récidive légale est en hausse constante depuis des années : 12 % de récidive en 2011, contre 4,4 % en 2004. Je vous le concède : on ne peut pas dire que les peines plancher, à elles seules, ont réussi à enrayer la hausse de la récidive. Mais vous ne pouvez pas dire non plus qu’elles ont conduit à son aggravation.

J’en viens à la deuxième mesure phare du projet de loi, la contrainte pénale. Qu’y a-t-il de nouveau, sinon un habillage de l’existant : sursis avec mise à l’épreuve, travaux d’intérêt général, surveillance électronique, injonction de soins, etc ? Son véritable objet, là encore, est de vider les prisons en évitant de les remplir en amont.

J’appelle d’ailleurs votre attention sur les risques réels d’inconstitutionnalité que présente la contrainte pénale. Je ne suis pas le seul, puisque Robert Badinter l’a fait également. Vous portez en effet atteinte par ce dispositif à trois principes généraux du droit : celui du non bis in idem, selon lequel on ne juge pas deux fois pour les mêmes faits ; le principe de l’interdiction des peines indéterminées ; et l’égalité des citoyens devant la peine. Parce qu’il bafoue ces trois grands principes, ce texte risque donc d’être censuré par le Conseil constitutionnel. C’est pourquoi je présenterai en séance une motion de rejet préalable

Le projet de loi initial prévoyait par ailleurs un mécanisme s’apparentant, pour les condamnés ayant purgé leur peine, au droit opposable, ce qui aurait eu pour effet de leur donner plus de droits – droit au logement, droit au travail, etc. – qu’aux citoyens honnêtes, grâce à une mise en commun des moyens de l’État, des collectivités locales et des associations. Retiré du projet de loi, ce dispositif réapparaît aujourd’hui sous la forme d’un amendement présenté par notre collègue Dominique Raimbourg. Nous reviendrons longuement sur cette proposition qui dépasse tout ce que l’on aurait pu imaginer et nous fait perdre nos repères. Il n’est pas question d’imaginer une seconde que puisse être instauré un dispositif plus favorable, en termes de droits sociaux, aux condamnés qu’aux honnêtes citoyens.

En définitive, madame la ministre, votre projet s’inscrit à contre-courant des attentes légitimes des Français. Il s’inspire d’une idéologie permissive et déresponsabilisante – le délinquant est avant tout envisagé comme une victime de la société – et d’une philosophie dangereuse, qui entend rééduquer les hommes avant de juger les faits. En effet, la contrainte pénale, qui peut, de prime abord, paraître plus douce que l’emprisonnement puisqu’elle n’est pas normée par la loi, pourrait tout aussi bien se révéler comme une véritable forme de contrôle social infligé à un individu pendant cinq ans de sa vie. Enfin, ce projet promeut un message intentionnellement anti-carcéral, ce qui aura pour effet d’envoyer un signal d’impunité aux récidivistes. D’ailleurs, notre collègue Dominique Raimbourg a indiqué que si ce texte n’avait pas pour but de vider les prisons, la conséquence serait néanmoins celle-là. De fait, l’étude d’impact prévoit qu’environ 20 000 détenus sortiront dans l’année suivant l’entrée en application de la loi : un détenu sur trois se retrouverait donc en liberté.

Pour toutes ces raisons, madame la ministre, le groupe UMP déposera une série d’amendements de suppression et votera contre l’ensemble d’un projet de loi totalement inopérant pour lutter contre la récidive.

M. Alain Tourret. Ce projet de loi très attendu par le milieu judiciaire, par les victimes et par la société tout entière, nous donne l’occasion d’opposer deux philosophies totalement différentes. Je pensais d’ailleurs que nos collègues de droite seraient plus nombreux : visiblement, l’affaire Bygmalion a encore frappé…

M. Philippe Gosselin. Pour la plupart d’entre nous, il n’est pas simple d’assister aussi tôt, un mardi, à une réunion de la Commission.

M. Alain Tourret. Cela ne l’est pas pour nous non plus, et pourtant nous avons fait le choix d’être présents, compte tenu de l’importance du sujet abordé aujourd’hui.

Le principe essentiel de la justice, qu’il s’agisse de sanction, de protection de la société ou de réinsertion, est celui de l’individualisation. Nulle justice ne peut en effet être rendue sans respecter ce principe, c’est-à-dire sans prendre en compte la personnalité de l’individu fautif et la gravité de l’acte commis. Or ce principe est incompatible avec l’existence d’automatismes. C’est pourquoi, à titre personnel, je suis opposé à toute sanction automatique, qu’elle soit administrative ou judiciaire, lorsqu’elle n’est pas étudiée par le magistrat et justifiée par une motivation.

C’est, me semble-t-il, un des points sur lesquels notre opposition avec la droite peut être la plus grande. La droite croit que, grâce aux peines plancher et aux automatismes, elle parviendra à résoudre le problème qui lui fait peur, celui de la réitération d’un certain nombre d’infractions. Pour ma part, je revendique un acharnement idéologique contre les peines plancher. On ne peut être plus clair ! Elles sont contraires à toute vision que je peux avoir de la société et de la justice. Je suis totalement opposé à tout ce qui peut conduire à introduire une forme d’automatisme dans le prononcé de la peine.

Si encore cela servait à quelque chose ! Mais, si on peut constater une augmentation très sensible du nombre de personnes incarcérées, celle-ci ne s’est pas traduite par une diminution sensible des infractions. Dès lors, je suis bien obligé d’en conclure que ce dispositif n’a pas servi à grand-chose, si ce n’est entasser des personnes en prison dans des conditions qui ne permettent plus de respecter leur dignité.

N’oublions jamais, en effet, qu’un individu incarcéré doit être respecté et garder sa dignité, faute de quoi il sera encore plus enclin à la réitération des infractions.

Cela nous amène à réfléchir à la philosophie de l’incarcération. Historien de formation, j’ai voulu comprendre pourquoi il y avait si peu de personnes incarcérées dans les prisons du royaume ; pourquoi, lors de la prise de la Bastille, le bâtiment ne contenait que sept détenus. Au fond, l’incarcération est la solution que la IIIe République, soucieuse d’instaurer un ordre dur, a cru trouver à un certain nombre de problèmes. Mais c’est totalement faux : l’incarcération n’est que le moyen de mettre en contact des individus dangereux dans ce que l’on a pu appeler l’école du crime. Et qu’on le veuille ou non, cette situation les conduit vers la réitération et la récidive. Plus vous mettez des gens en prison, plus vous les poussez à retomber dans la criminalité, d’autant que, faute des moyens nécessaires pour les accompagner, la plupart des condamnés ayant purgé une peine relativement courte font l’objet d’une sortie « sèche ». Il faut donc privilégier au maximum les alternatives à la prison.

C’est d’ailleurs ce qu’avait compris Mme Rachida Dati : elle a fait preuve d’intelligence et de sens de l’humain en étendant aux personnes condamnées à une peine de moins de deux ans de prison, au lieu d’un, la possibilité d’obtenir un aménagement de peine. Je remercie Mme Dati et je soutiendrai tout amendement allant dans le sens de ce qu’elle préconisait à l’époque.

Je souhaite maintenant aborder la situation des hommes et des femmes vis-à-vis de la prison, de la récidive et de l’incarcération. En effet, la prison compte 97,5 % d’hommes et 2,5 % de femmes, et le taux de récidive est quasiment nul chez les femmes. Une telle différence, à l’heure où nous parlons d’égalité entre les sexes, ne peut que nous interpeller.

Je ne peux pas admettre de voir des femmes enceintes en prison. Chacun sait, en effet, que l’incarcération d’une femme enceinte a des conséquences sur l’enfant qu’elle porte. Comment peut-on défendre la condamnation d’enfants à naître, entre trois et neuf mois après leur conception ? C’est insupportable ! L’humanisme devrait nous conduire à interdire l’incarcération d’une femme enceinte.

Je demande à tous mes collègues de visiter des prisons pour femmes – je sais qu’il existe des parlementaires très sensibles à ces questions, quel que soit leur engagement politique. À la prison de Rennes, où je m’étais rendu avec Jacques Floch et Catherine Tasca, j’ai visité les couloirs où sont installées les mamans et leurs enfants jusqu’au moment où ces derniers leur seront retirés. Celui qui n’a pas vu cela – ces malheureuses mamans enfermées et leurs gamins qui piaillent – ne peut pas comprendre à quel point il s’agit d’une infamie. Les études démontrent en effet que l’enfant prend très rapidement conscience de son incarcération.

Nos collègues italiens ayant beaucoup travaillé sur cette question, je me suis battu, en 1998 et en 2000, pour demander que la loi française s’inspire de la leur. À l’époque, la garde des Sceaux, Mme Guigou, ne m’a guère entendu. Il faut donc s’emparer à nouveau du sujet. Est-il acceptable dans notre société que la mère d’un enfant de moins de dix-huit mois soit incarcérée avec ce dernier ? N’existe-t-il pas, pour elle comme pour la femme enceinte, une autre solution, comme l’assignation à domicile, le bracelet électronique, le placement sous contrainte dans d’autres lieux ? J’en appelle à vos qualités de cœur, madame la ministre, ainsi qu’à celles du président et du rapporteur, afin de trouver une solution à ce problème, d’autant qu’il ne concerne qu’environ 50 personnes.

Mme Colette Capdevielle. Ce texte, qui marquera un tournant dans l’histoire du droit pénal français, entre dans la catégorie des textes fondateurs du droit de la peine. Il vient après une pause législative de deux ans qui a confirmé l’échec de toutes les politiques de droite, marquées par l’affichage, la démagogie, le populisme pénal, l’outrance, l’incohérence.

Les faits et chiffres de la réalité carcérale parlent pour nous, et contre les idées reçues : la prison d’aujourd’hui, la prison vue comme châtiment, voire comme purgatoire, est un échec. C’est l’échec d’une société moderne, qui s’évertue à croire que l’incarcération opère telle une potion magique, de façon salutaire et définitive, sur les personnes qui se sont rendues coupables d’infractions, et que ces dernières reprendront le cours d’une vie tranquille et rangée.

Cette conception de la peine de prison, éculée mais toujours revendiquée par l’ancienne majorité, n’a pas sa place au XXIe siècle.

Le groupe socialiste, madame la garde des Sceaux, soutient la méthode que vous avez choisie : la conférence de consensus, le dialogue, l’élaboration d’un projet de loi fondé sur de solides travaux théoriques et doctrinaux. Et il vous félicite pour le volontarisme dont vous faites preuve pour le défendre, non seulement ici, mais aussi dans les territoires et auprès du grand public.

L’opinion publique, parlons-en, monsieur Fenech ! Vous savez bien que l’on peut lui faire dire, selon la façon de poser la question, une chose et son contraire. En réalité, ce que veut l’opinion, c’est une action publique efficace. Or c’est justement l’objectif de ce texte. Comme vous l’avez affirmé à plusieurs reprises, madame la garde des Sceaux, nous ne cherchons pas à faire toujours plus, mais à faire différemment, à faire mieux.

Monsieur le rapporteur, vous avez aussi beaucoup et bien travaillé, guidé par un souci constant de pragmatisme et d’efficacité. Vous avez fait preuve de patience et d’imagination, vous avez su écouter et analyser, et vous êtes désormais en mesure de proposer des amendements pouvant enrichir le projet de loi sans en remettre en cause la philosophie initiale.

Le groupe SRC retient trois points fondamentaux dans la première partie du texte.

Tout d’abord, la peine est enfin clairement définie. Placée symboliquement en tête du titre III du livre Ier du code pénal, la nouvelle définition permet de clarifier et de hiérarchiser les fonctions complémentaires de la peine, qu’elles soient sociales ou individuelles.

L’étude d’impact est très précise à ce sujet : la peine doit réparer le dommage causé à la société et éviter que la réponse pénale ne l’aggrave. La sanction et la réinsertion sont compatibles ; elles visent à amener la personne condamnée à intégrer l’absolue nécessité de ne plus transgresser les règles et les normes sociales.

De son côté, la victime est mieux considérée grâce à la prise en compte de ses droits et non plus de ses seuls intérêts.

Ensuite, ce texte restaure les principes fondamentaux du droit pénal : l’individualisation, la motivation, l’ajournement, l’abrogation des automatismes et plus particulièrement des peines plancher.

Le principe d’individualisation des peines a depuis peu valeur constitutionnelle. Il est donc légitime qu’il figure clairement dans le code pénal.

Quant à l’article 3 du projet de loi, il renforce deux principes fondamentaux du droit pénal, en obligeant à motiver les peines d’emprisonnement sans sursis et en faisant de l’emprisonnement le dernier recours en matière correctionnelle.

Motiver une décision, c’est réfléchir, se positionner, argumenter, s’interroger. Une décision motivée, bien motivée et spécialement motivée a plus de chances d’être mieux comprise et mieux acceptée par tous les acteurs du procès pénal, qu’il s’agisse des enquêteurs, des auteurs, de la partie poursuivante, du plaignant ou des services de probation et ce, que le prévenu soit primo-délinquant ou qu’il ait été condamné à plusieurs reprises. Bien des recours en appel pourraient être ainsi évités si les décisions privatives de liberté étaient motivées, tant en ce qui concerne la culpabilité que la sanction prononcée.

L’obligation de motivation est d’ailleurs clairement précisée : « au regard des faits de l’espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation », obligeant ainsi le juge à épuiser toutes les possibilités offertes par la loi, en termes d’éventail de peines, avant de prononcer une peine ferme. Il s’agit là d’une garantie pour tous les justiciables concernés.

Quant à l’ajournement du prononcé de la peine, il est un nouvel outil destiné à mieux personnaliser, adapter et affiner la sanction, à faire du « cousu main », notamment lorsque la juridiction saisie dispose de peu ou pas d’éléments pour prononcer la peine la plus efficace. C’est le cas lors des audiences de comparutions immédiates, de plus en plus fréquentes et « grandes pourvoyeuses d’incarcérations », pour reprendre les termes de Dominique Raimbourg.

Le secteur associatif socio-judiciaire pourrait légitimement être mandaté, au même titre que le service pénitentiaire d’insertion et de probation, pour conduire des mesures d’enquête aux fins d’investigations complémentaires sur la personnalité et la situation du prévenu, ou de contrainte pénale.

Cette césure du procès aura bien d’autres vertus : vérifier la volonté d’amendement, investiguer sur la personnalité, vérifier les garanties de représentation, indemniser la victime.

C’est d’ailleurs pour garantir les droits des victimes que je soutiendrai, au nom du groupe, un amendement visant à permettre sans délai son indemnisation partielle ou totale.

De nombreux pays appliquent depuis plusieurs années et avec succès cette césure du procès pénal, en ciblant des publics prioritaires sensibles à la réitération. Une expérimentation inspirée du modèle canadien est d’ailleurs menée actuellement à Bobigny auprès des toxicomanes. Il serait intéressant d’en faire une évaluation précise avant, le cas échéant, de généraliser à l’ensemble du territoire ce type de dispositif.

S’agissant des peines plancher, force est de constater qu’après sept ans d’application, leur caractère dissuasif est bien à la peine.

De moins en moins prononcées par les juridictions pénales, les peines plancher ont fait augmenter les durées d’incarcération. Le nombre de détenus aggrave de facto les mauvaises conditions d’incarcération, ce qui prive ceux qui ont purgé leur peine de la possibilité de se préparer à la sortie. En outre, la complexité des textes et le caractère aléatoire de leur application en font une peine inique et incomprise de l’opinion publique.

Il en est de même pour le sursis simple, dont les conditions de révocation, particulièrement rigides, contredisent le principe de l’individualisation des peines.

En abrogeant les automatismes, on évite les oublis, les erreurs, et l’on redonne au juge toute liberté d’appréciation dans le choix de la juste peine. On remet enfin le juge à une place qu’il n’aurait jamais dû quitter.

J’en viens à la disposition figurant au cœur du projet de loi, celle de la contrainte pénale. Il s’agit bien d’une peine nouvelle, totalement autonome de la peine d’emprisonnement, et qui a vocation à devenir à terme – du moins nous l’espérons – la peine de référence pour tous les délits. Dans le texte soumis à notre appréciation, la contrainte pénale s’applique seulement aux délits punis au plus de cinq ans d’emprisonnement, mais en cohérence avec les autres peines, et par souci d’efficacité, je proposerai qu’elle soit étendue à tous les délits, car elle s’apparente à un suivi très renforcé.

La durée de la contrainte pénale sera fixée par la juridiction de jugement et comprise entre six mois et cinq ans. La mise à exécution de son contenu se fera sous le contrôle du juge d’application des peines, après évaluation de la situation et de la personnalité du condamné. À nouveau, l’objectif est d’assurer l’individualisation de la peine.

Cette évaluation préalable, très affinée, à laquelle notre système judiciaire n’est pas habitué, est une nouveauté. Le suivi méticuleux auquel elle donnera lieu est la clé du succès de la réforme, le moyen d’éviter la commission de nouvelles infractions. Cela implique un effort dans la formation initiale et continue des personnels de probation.

Vous l’aurez compris, madame la garde des Sceaux, la majorité parlementaire dans son intégralité – mais aussi, je l’espère, les parlementaires les plus progressistes de l’opposition et tous les républicains sachant se détacher de vaines et dangereuses polémiques politiciennes – soutiendra sans réserve ce projet de loi novateur, ce projet qui fait appel à notre intelligence. C’est au prix de cet effort et du renoncement aux illusions que nous parviendrons à restaurer la confiance, à réconcilier tous les maillons de la chaîne pénale et à réduire la délinquance de façon à favoriser le mieux-vivre ensemble.

M. Michel Zumkeller. Vous avez parlé, monsieur le rapporteur, de « constat attristant », de « malaise de la justice » : c’est un diagnostic que nous pouvons partager. La question est de savoir si ce texte est en mesure de lutter contre un tel malaise, lequel n’est pas sain pour une démocratie. Le groupe UDI, malheureusement, éprouve quelques craintes sur ce sujet.

Tout d’abord, le texte ne propose qu’un angle d’attaque, cette fameuse surpopulation carcérale. Tout en reconnaissant que la prison n’est qu’une option parmi de nombreuses autres, nous pensons tout de même que la sanction est importante.

Par ailleurs, il existe d’autres enjeux, le premier étant que les peines soient réellement exécutées : c’est la première réponse que l’on doit apporter aux victimes. Or, sur ce point, le projet de loi me paraît un peu faible. Au cours de la précédente législature, j’ai signé un rapport sur les bureaux d’exécution des peines : il serait utile de renforcer ce dispositif afin de mieux faire comprendre au justiciable la nature du geste commis et de montrer aux victimes qu’une vraie sanction est prononcée.

D’autres mesures proposées – la contrainte pénale, l’examen automatique de la libération conditionnelle aux deux tiers de la peine, la suppression des peines plancher – sont de nature à nous inquiéter, car elles ne vont pas dans le sens d’une reconnaissance de la sanction.

Vous affirmez que l’échelle des peines n’est pas modifiée, et vous souhaitez confier à une personnalité la réflexion sur ce sujet important. Ne serait-il pas temps de remettre à plat notre système judiciaire, d’organiser, à l’instar du Grenelle de l’environnement, un « Vendôme de la justice » ? Notre système, en tout cas, le mérite. Les juges, en effet, font un travail insuffisamment reconnu. Il serait donc utile que les maillons de la chaîne pénale prennent le temps de réfléchir à sa reconstruction. Plutôt que d’empiler les réformes, comme nous avons d’ailleurs contribué à le faire, et plutôt que de faire une réforme de plus, il serait souhaitable de tout remettre à plat afin de lutter contre ce fameux malaise de la justice.

Mme Élisabeth Pochon. Nous étudions enfin le projet de loi relatif à la lutte contre la récidive et à l’individualisation des peines. Sur ce sujet, j’appelle nos collègues de l’opposition à faire preuve de modestie et à éviter de nous donner des leçons, tant les mesures adoptées lors de la dernière législature ont donné de faibles résultats. Ces mesures ont affecté le lien social, et nous en payons le prix quotidiennement, en particulier ces temps-ci.

C’est face à ce constat de l’échec de la politique pénale menée ces dernières années et d’une machine judiciaire éreintée par les dispositions successives que nous nous apprêtons à agir.

Le quinquennat précédent s’est caractérisé par une inflation législative, des tensions, une déstabilisation des magistrats et des personnels de justice, sans que cela se traduise par une plus grande efficacité de la lutte contre la récidive ou une réduction du sentiment d’insécurité des Français. Cette approche de la justice n’a fait exacerber les divisions en matière de délinquance et de réponse pénale, au point d’emporter le débat public au-delà de toute rationalité : dans ces conditions, toute volonté de réfléchir autrement à ces questions est assimilée à un insupportable laxisme.

On ne peut continuer à faire croire que la droite prendrait soin des victimes et sanctionne, tandis que la gauche se soucierait d’abord des délinquants en veillant à leur trouver des excuses. Il faut se tenir éloigné de ces clivages dépassés, de ces dogmatismes, de ces jugements à l’emporte-pièce.

Ce qui anime la majorité de gauche autour de ce projet de loi, c’est la recherche d’une plus grande efficacité de la justice pénale et la volonté de dépassionner le débat, afin de réconcilier enfin les Français et la justice. Nous revendiquons cet esprit de responsabilité par égard pour tous les citoyens et au nom d’une société apaisée.

Nous voulons une réponse pénale juste, adaptée, rapide, et des sanctions proportionnées et efficaces. Nous voulons repenser le droit de la peine et l’exécution de celle-ci à partir de la question centrale de la prévention de la récidive, et sortir des injonctions contradictoires qui ont prévalu lors des précédents textes.

Ce projet de loi propose un régime de l’exécution des peines et renforce le suivi et le contrôle des personnes condamnées. La lutte contre la récidive est une priorité car celle-ci est la plaie de la politique pénale. La récidive fait peur, mais il faut que la société accepte le fait que sortir de la délinquance prend du temps et que la prison n’est pas toujours une solution.

La détention est une rupture sociale, familiale et professionnelle. La prison est parfois utile quand elle permet de « marquer le coup », mais suffit rarement. Il convient d’aider le délinquant à prendre une autre trajectoire. Laisser entendre qu’il suffirait de doubler les peines ou de créer des peines plancher pour les récidivistes est une erreur, voire une faute.

Les aménagements de peine ne sont pas des « faveurs » accordées aux détenus. Le faire croire, c’est duper la société, c’est nier l’utilité sociale de ces aménagements, ainsi que leur efficacité dans la lutte contre la récidive. On veut faire croire que le contrôle effectué par le juge et par les services de probation n’aurait pas de caractère contraignant, et que le condamné n’aurait pas à satisfaire à certaines obligations.

Afin de lutter efficacement contre la récidive, nous proposons d’empêcher les sorties de détenus sans préparation et sans suivi – ce que l’on appelle des sorties « sèches » – et de supprimer les mesures automatiques qui empêchent le juge et les conseillers de probation de travailler efficacement.

La sortie de prison des personnes détenues est aujourd’hui mal encadrée, faute d’être préparée suffisamment en amont : 80 % des détenus sortent de prison sans aucune mesure de contrôle ou de suivi. Résultat : 63 % des personnes qui sortent sans aménagement de peine et 39 % de celles qui sortent sous le régime de la libération conditionnelle font par la suite l’objet d’une nouvelle condamnation.

La réforme prévoit donc une procédure spécifique pour mieux encadrer ces sorties. Un dispositif de retour progressif et encadré à la liberté sera mis en place : la libération sous contrainte. Les détenus condamnés à une peine inférieure ou égale à cinq ans feront obligatoirement l’objet, aux deux tiers de la peine, d’un examen de leur situation sur le plan social et criminologique. En fonction du résultat de cet examen, et après avis de la commission d’application des peines, le jugera décidera de la libération sous contrainte ou du maintien en détention.

Ce texte appelle à la mobilisation générale. Il renforce le rôle des services de police et de gendarmerie dans le contrôle des obligations et des interdictions imposées aux personnes condamnées ou sous contrôle judiciaire, en complétant les informations devant figurer dans le fichier des personnes recherchées, et en leur permettant de procéder à des visites domiciliaires et de prendre des mesures de retenue.

Il incite également les services publics et les collectivités locales à participer aux programmes de réinsertion, car les justiciables et les condamnés ne sont pas les administrés du seul ministère de la Justice. La réforme inscrit dans la loi l’engagement des services de l’État et des collectivités territoriales en vue de favoriser l’accès des condamnés aux dispositifs d’insertion de droit commun. Je présenterai un amendement visant à associer également les parlementaires, en prévoyant leur participation aux conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD).

Il s’agit là d’une véritable réforme de la justice pénale, une réforme efficace qui ne joue ni sur les peurs ni sur la polarisation de la société, une réforme qui exprime notre confiance envers les magistrats et les personnels de la justice, de la police et de l’administration pénitentiaire. Son objectif est clair : huiler le mécanisme judiciaire.

L’efficacité d’une réforme pénale ne doit pas se juger seulement aux effets ponctuels qu’elle peut avoir sur l’opinion publique, mais à sa capacité à durer et à traverser les alternances politiques. Soyez assurés que ce sera le cas de celle-ci, et nous pouvons en être fiers.

Il convient de substituer à la culture de l’enfermement celle du contrôle : voilà l’objet de ce texte équilibré.

M. Philippe Goujon. Bien que vous considériez nos critiques comme « inqualifiables », madame la garde des Sceaux, je vais en rajouter.

Je partage l’analyse de mes collègues Zumkeller et Fenech, aussi bien sur le plan politique que sur le plan juridique. Ces critiques devraient conduire au retrait d’un texte qui ne peut que faire exploser la délinquance et la criminalité dans notre pays – qui ont déjà beaucoup augmenté récemment.

Il faut vous reconnaître, madame la garde des Sceaux, une certaine cohérence, puisque ce projet de loi s’inscrit dans le droit-fil de la circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012, qui prescrivait aux procureurs de s’assurer que « les modalités d’exécution des peines de prison tiennent compte de l’état de surpeuplement des établissements pénitentiaires », du rapport de M. Dominique Raimbourg, qui ne proposait rien moins qu’un numerus clausus pour les prisons, et de la conférence dite « de consensus » sur la prévention de la récidive, qui considérait que la récidive faisait partie du parcours de réinsertion. Quoi de plus symptomatique de votre embarras à punir que l’abrogation par l’article 11 du titre préliminaire de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et la suppression de toute référence à la sanction du condamné et au sens de la peine ?

Loin de la prévenir, ce texte favorisera la récidive.

En premier lieu, il abroge les peines plancher, dont le Conseil constitutionnel avait reconnu la conformité aux principes d’individualisation et de nécessité des peines. Pourtant, la proportion de peines minimales prononcées était identique en 2007, avant l’adoption de la loi, et en 2011 : de l’ordre de 40 %. Si, dans près de 60 % des cas, les juges s’écartent des quanta recommandés, les délinquants concernés sont des récidivistes, dont le profil justifie l’application d’une peine plancher. En outre, les juges recourent aux peines plancher de manière ciblée, puisque ces peines sont prononcées à plus de 60 % contre des auteurs de violences aux personnes et de délits sexuels.

Vous avez dit que cette mesure était insuffisante parce qu’elle ne concernait que les cas de récidive légale ; les amendements que nous proposons visent précisément à ce qu’elle s’applique aux cas de réitération d’infractions. À la fin de la précédente législature, une proposition de loi en ce sens avait d’ailleurs été adoptée en première lecture. C’est bien évidemment un tel outil pour lutter contre la délinquance qu’attendent nos concitoyens.

Il convient enfin de préciser que 40 % des prisonniers qui bénéficient d’une libération conditionnelle et 45 % des personnes condamnées à une peine alternative à la prison récidivent. Ces dispositifs ne sont pas la panacée ! Il serait par conséquent irresponsable de se priver d’un outil tel que les peines plancher dans le code pénal.

Le projet de loi va même encore plus loin, puisqu’il dispense les mineurs de la contrainte pénale, alors que ceux-ci étaient concernés par les peines plancher.

Nous pensons que vous faites fausse route. Ce projet prépare, non pas la réinsertion des condamnés, mais leur impunité. Il inverse la logique de l’amendement des condamnés, puisqu’en cas de nouvelle condamnation, le juge devra désormais motiver la révocation du sursis, et non plus son maintien : il n’y aura plus de probation. En outre, cela ne manquera pas d’alourdir la charge de travail et, partant, le risque d’erreur judiciaire. Il est très contestable d’altérer ainsi la nature du sursis et de priver les juges de cet outil, qui ne se distinguera plus de la peine de contrainte pénale.

Cette tendance à une limitation de l’autonomie de décision du juge se retrouve dans le fait qu’avant de prononcer une peine d’amende, le juge devra désormais obligatoirement tenir compte des ressources du délinquant, alors qu’il ne s’agissait auparavant que d’une faculté qui lui était offerte. Paradoxalement, on revient ainsi à une forme d’automaticité. On sait pourtant que nombre de délinquants organisent sciemment leur insolvabilité. Le rapporteur va encore plus loin en présentant des amendements prévoyant que le juge pourra réduire cette amende en cas de bon provisionnement et que les sommes non réclamées par les victimes iront, non pas aux associations de victimes, mais aux associations de contrôle judiciaire !

Ce texte s’appliquera même aux récidivistes et aux délinquants auteurs d’actes graves punis de cinq ans de prison, dont la peine pourra se voir écourtée par le juge au bout d’un an d’observation. Un amendement de Mme Capdevielle propose même que cela concerne tous les délits ! Et si le condamné récidive pendant qu’il effectue sa peine de contrainte pénale, il n’encourra d’emprisonnement ferme que pour une durée limitée à la moitié de celle-ci. Quel effet d’aubaine pour les délinquants : il leur suffira de bien se tenir pendant un an pour être relâchés ! Cela risque d’ailleurs de soulever des difficultés d’ordre constitutionnel, au regard du principe d’égalité devant la peine, puisque, pour un même délit, un condamné pourra bénéficier soit de la contrainte pénale, soit du sursis avec mise à l’épreuve.

Le texte favorise également la libération quasi automatique des détenus aux deux tiers de leur peine, y compris celle des délinquants dangereux condamnés à cinq ans de prison, voire à la réclusion criminelle à perpétuité.

Le manque de sérieux du projet se manifeste aussi à travers l’étude d’impact, qui prévoit de 16 000 à 60 000 condamnations à la contrainte pénale, ce qui reviendrait à « écluser » la totalité des 80 000 peines en attente d’application. De même, cette étude évalue le besoin de recrutement des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) à entre 210 et 954 conseillers, soit un rapport de 1 à 5. On peut s’interroger sur le coût de ces recrutements, qui pourrait aller jusqu’à 6 millions d’euros dans l’hypothèse haute. Quoi qu’il en soit, il sera difficile d’assurer le suivi de tous les condamnés que vous comptez placer sous le régime de la contrainte pénale. Ne risque-t-on pas de voir relâcher dans la nature, sans moyen de les contrôler, des milliers de condamnés aux profils criminels les plus variés ?

Dans une récente étude, Pierre-Victor Tournier indiquait que 51 % des peines prononcées en 2012 comprennent de la prison et que, dans ces 51 %, seuls 21 % comportent de l’emprisonnement ferme, tandis que 30 % sont assortis d’un sursis simple ou d’un sursis avec mise à l’épreuve : on est loin d’une surinflation carcérale ! Il évoquait aussi certains dysfonctionnements : par exemple, les JAP reconnaissent qu’en région parisienne, il est impossible de procéder à un contrôle méticuleux des condamnés incarcérés. Les centres départementaux chargés de gérer les alertes ne disposent pas de permanence le week-end, et les JAP suivent chacun 120 dossiers, contre 20 au Canada – sans compter les délinquants qui peuvent récidiver sous bracelet électronique. Les recrutements que vous prévoyez seront-ils suffisants ?

Le texte risque d’être encore aggravé par les amendements de notre rapporteur, qui prévoient l’abrogation de la rétention de sûreté appliquée aux criminels les plus dangereux, ainsi que la dépénalisation des petits délits de masse – cela inclura-t-il l’usage de stupéfiants ?

M. le rapporteur. Vous faites erreur, monsieur le député : aucun de mes amendements ne prévoit l’abrogation de la rétention de sûreté.

M. Philippe Goujon. Veuillez m’excuser, monsieur le rapporteur : cet amendement est en effet présenté par vos alliés écologistes.

Pour conclure, cette réforme, combinée à des moyens probablement insuffisants, refuse de tirer la leçon des difficultés de suivi des personnes actuellement placées en aménagement de peine. Bref, tous les éléments sont réunis pour provoquer dans notre pays une nouvelle hausse de la criminalité, de la délinquance et du nombre de victimes.

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas, madame la ministre, en disqualifiant par avance ce que nous aurions à dire, et, monsieur le rapporteur, en réfutant la nature profondément idéologique de ce texte, que vous réussirez à convaincre l’opinion publique !

Au début du mois de juillet 2007, j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur du projet de loi instituant des peines minimales d’emprisonnement en cas de récidive, ce que l’on a appelé le dispositif des « peines plancher ». À l’époque, plusieurs députés, pour certains encore présents, se sont opposés de toutes leurs forces à ce type de peines, au motif qu’elles étaient automatiques et qu’il s’agissait d’une violation fondamentale du principe d’individualisation des peines. Lorsque, quelques mois après, j’ai eu à mener avec Christophe Caresche l’habituel travail de contrôle de la mise en œuvre de la loi, nous avons abouti au constat inverse : les juridictions où nous nous sommes rendus nous ont déclaré que seulement 50 à 55 % de peines plancher étaient prononcées. On ne pouvait indiquer plus clairement qu’il n’existe pas d’automaticité de la peine ! Le dispositif se mettait alors en place. Depuis lors, nombre de magistrats m’ont fait savoir l’intérêt que ce dispositif présentait à leurs yeux, en dépit de tout ce qu’ils en avaient pensé a priori.

Vous ressortez aujourd’hui les mêmes arguments qu’il y a sept ans, bien qu’ils aient été totalement invalidés entre-temps ! Et vous prétendez, monsieur le rapporteur, ne pas faire œuvre idéologique ?

Il est vrai que pour justifier la suppression des peines plancher vous utilisez un argument bien paradoxal : vous affirmez qu’il ne sert à rien de les conserver puisqu’elles représentent une part extrêmement faible des peines prononcées et que leur impact est limité du fait qu’elles ne s’appliquent qu’à la récidive légale – sous-entendant que si elles étaient appliquées aux cas de réitération, ce serait plus cohérent. Et bien, nous allons vous aider à être cohérent ! Nos amendements visent à ce que les peines plancher, non seulement ne soient pas supprimées, mais qu’elles soient appliquées aux cas de réitération, et non pas seulement à ceux de récidive légale, qui correspondent à un nombre très faible de situations pénales.

Votre combat, exclusivement idéologique, est un mauvais combat. Je ne suis pas de ceux qui estiment que hors la prison il n’y a point de salut, mais en mettant les grands principes – dont vous n’avez pas le monopole – devant la réalité, vous commettez une bien mauvaise action contre la justice et contre notre pays tout entier. Le mieux serait que vous preniez le temps de réfléchir et que vous retiriez ce texte funeste.

M. Jacques Valax. Je vous remercie, madame la ministre, pour la qualité de votre exposé, et surtout pour le calme, la pondération, l’humanité et l’équilibre dont vous avez fait preuve, qui tranchent avec les propos excessifs de notre collègue Geoffroy. Je veux aussi saluer la persévérance et la rigueur intellectuelle de notre rapporteur, qui a produit un travail de fond étranger à tout esprit de polémique.

Ce texte rompt avec de vieux réflexes. À une époque pas si ancienne, l’émotion primait sur la raison : chaque fait divers, fortement médiatisé, était le prétexte à un nouveau texte de loi. Cela a rendu le système pénal complètement illisible et le plus grave, c’est que le sens de la peine s’est inexorablement perdu.

Le présent projet de loi entend remédier à cette situation. Il comprend deux volets : le premier rétablit le principe d’individualisation des peines, auquel je suis particulièrement attaché ; le second tend à prévenir la récidive, notamment en évitant les « sorties sèches » de prison. Ce projet a aussi la volonté de restituer aux magistrats leur rôle, dans toute sa puissance.

Nos débats devraient être l’occasion de dresser un bilan objectif de la politique judiciaire de notre pays. J’espère que l’on saura éviter les raccourcis, les postures idéologiques et les formules démagogiques dangereuses. Il faudra aussi lutter contre la désinformation, car nous en avons été victimes dès l’annonce du texte : non, il ne s’agit pas de vider les prisons ou de faire preuve de laxisme à l’égard des personnes qui commettent des crimes ou des délits ; oui, nous avons la préoccupation des victimes. L’essentiel n’est pas la sévérité, mais l’exécution effective d’une sanction adaptée, dans un délai raisonnable, et avec une prise en charge pertinente et proportionnée, afin que l’on puisse prévenir la récidive. C’est pourquoi j’estime que ce projet de loi va dans le bon sens.

M. Philippe Gosselin. Évitons les mauvais procès : nous avons tous à cœur l’efficacité de la justice, la recherche d’une réponse pénale adaptée et l’intérêt de la société. En revanche, nous avons sur ces sujets des points de vue différents – c’est le principe même de la démocratie.

Nous souhaitons tous prévenir la récidive, dans l’intérêt des victimes et de l’ensemble de la société, de même que nous sommes tous attachés au principe fondamental de notre droit qu’est l’individualisation des peines. En la matière, le présent projet de loi n’invente rien : ce principe est déjà appliqué – et vous le savez fort bien.

En revanche, vous comprendrez que nous éprouvions quelque inquiétude devant ce qui ressemble fort à une opération « portes ouvertes » dans les prisons. Ce texte masque en réalité la volonté de stopper le programme de construction des prisons qui avait été adopté durant la précédente législature. Il existe une surpopulation carcérale ; or, plutôt que d’apporter des solutions raisonnables, vous préférez casser le thermomètre.

J’ai visité il y a quelques semaines plusieurs établissements pénitentiaires de mon département. Les conditions de vie y sont indignes, avec des cellules qui accueillent jusqu’à douze personnes, entassées au sol sur des matelas. Quelles que soient la qualité de l’encadrement et la bonne volonté de chacun, il arrive un moment où le compte n’y est plus !

Je ne suis pas opposé par principe à des peines de substitution, comme le bracelet électronique ou des travaux d’intérêt général, mais on ne peut pas généraliser ces mesures, précisément à cause du principe d’individualisation des peines ! À un moment où un autre, la réalité va finir par vous rattraper, et alors il faudra bien que vous engagiez un programme de modernisation des établissements et de construction de nouvelles places.

Vous proposez une réponse inadaptée à une situation explosive. Nous émettons des réserves très fortes sur ce texte et nous présenterons plusieurs amendements en vue de le modifier.

Mme Cécile Untermaier. Chers collègues de l’opposition, l’opinion attend surtout de nous un travail responsable et un comportement exemplaire ! Il me semble que les principaux acteurs de ce texte satisfont pleinement à cette exigence.

Je veux saluer en particulier la qualité et le sérieux des analyses menées en amont du projet de loi, notamment la conférence du consensus et l’étude d’impact, l’approche pragmatique du rapporteur, qui a mené de nombreuses auditions, et le travail de restitution réalisé par nos collègues Colette Capdevielle et Élisabeth Pochon.

Il s’agit d’un texte cohérent, qui souhaite répondre à un constat d’échec en matière de lutte contre la récidive et la réitération. Nous devrions tous nous rassembler pour promouvoir une nouvelle orientation plus favorable au bien-être de nos citoyens. Ce projet de loi promeut à cette fin une approche globale et tend à mobiliser les différents ministères, à mettre fin aux dysfonctionnements et au manque de coopération entre les services, et à rassembler la justice, la police et la gendarmerie autour d’un même objectif. C’est une tâche suffisamment difficile pour que nous nous y attelions tous !

Ce texte vise à l’efficacité, non à la permissivité, et il est en phase avec l’évolution de notre société. Je veux à mon tour insister sur les avancées qu’il permet : la définition de la peine ; l’amélioration du suivi des condamnés ; la définition des droits de la victime ; la création d’une nouvelle peine, la contrainte pénale, au cœur de la lutte contre la récidive et la réitération – car on sait bien que l’emprisonnement n’est pas la réponse adaptée à de nombreux délits et que, pour beaucoup de condamnés ne représentant pas un danger pour les personnes, un emprisonnement coûteux et destructeur n’est pas une solution.

Il s’agit, non pas d’une réforme qui bouleverserait notre système, mais d’un projet de loi créatif, équilibré et sage – peut-être même certains d’entre nous resteront-ils sur leur faim. Sur un sujet aussi grave, il convient en tout cas d’éviter les passions politiciennes. C’est pourquoi je souhaiterais que nous nous retrouvions tous, de manière responsable, autour de ce texte, qui est au service de nos concitoyens.

M. Philippe Houillon. Ce « projet de loi relatif à la prévention de la récidive » devrait tendre, sauf erreur, à adopter des mesures visant à réduire le nombre d’actes de récidive. De ce point de vue, il paraît logique que l’on travaille sur la personnalisation des peines, les peines de substitution, en d’autres termes sur la « dentelle ». Que ces mesures soient bonnes ou non, c’est un autre débat, mais la démarche intellectuelle peut s’admettre et, sur l’objectif, on ne peut qu’être d’accord.

Le problème, c’est qu’il y aura des cas où la prévention ne fonctionnera pas ; on aura donc affaire à des actes de récidive. C’est là que le bât blesse, car, au lieu de bien marquer la différence entre ces derniers et les situations de primo-délinquance, vous mettez les deux au même niveau. Ce faisant, vous envoyez un message de permissivité – or en matière de prévention de la récidive, les messages sont extrêmement importants.

Il ne paraît pourtant pas anormal de dire à quelqu’un qui, en dépit des avertissements, réitère une infraction, que l’on va passer à un niveau de sanction supérieur – a fortiori si l’on avait fait de « la dentelle » pour éviter toute récidive. En envoyant le message exactement inverse, ce texte contribue à une opération de déstructuration de la société française qui s’était déjà manifestée sur d’autres textes.

M. Alain Vidalies. Au fur et à mesure que la discussion avance, on note les contradictions de l’opposition par rapport au choix qui avait été fait d’un angle d’attaque politicien, probablement destiné à l’extérieur.

Le débat n’est pourtant pas nouveau. Il avait déjà eu lieu, en commission, dans l’hémicycle et dans l’ensemble du Parlement, et visait à répondre à ces questions fondamentales que sont l’efficacité de la peine et la lutte contre la récidive.

Si j’interviens alors que je ne l’avais pas prévu, c’est que j’ai lu dans l’exposé des motifs de l’amendement CL 103, visant à la suppression de l’article 1er, cette phrase incroyable : « Cet article doit être supprimé parce qu’il est symptomatique de l’idéologie qui sous-tend ce texte : il ne s’agit plus de juger les faits, mais de juger les individus. » Vous rendez-vous compte du niveau de régression de la pensée collective que cela révèle ?

Or, hormis M. Fenech – dont je constate la cohérence –, les signataires de cet amendement ont dit exactement l’inverse durant leurs interventions. Si M. Gosselin estime que nous sommes tous attachés au principe de l’individualisation des peines, pourquoi fait-il dans le cadre de cet amendement un aussi mauvais procès au texte ? En quoi y a-t-il une rupture par rapport au débat sur le projet de loi pénitentiaire ? Il serait instructif de regarder ce que chacun avait déclaré à l’époque !

Si ma démonstration ne vous convainc pas, sachez que le sénateur Jean-René Lecerf, l’un des meilleurs spécialistes de ces questions à l’UMP, a fait dans une interview à Libération des déclarations que nous n’aurions jamais osé faire : il dit que ce projet de loi est dans la continuité de la loi pénitentiaire et que le présenter comme laxiste est « de la folie furieuse ». Admettez que nous avons été plus modérés que lui !

Le fond de l’affaire, c’est que votre fantasmagorie de la gauche vous conduit à présenter ce texte comme l’expression d’un supposé laxisme qui ignorerait les exigences de la République en matière de répression et de protection des victimes, alors qu’il ne vise qu’à l’efficacité.

Ce qui est en jeu, comme l’a bien rappelé le rapporteur, c’est l’échec d’une politique – dont la responsabilité ne vous incombe pas plus qu’à nous. Pourquoi ne réussit-on pas à obtenir plus de cohérence, voire plus de cohésion entre la justice, la police et l’administration pénitentiaire ? Au lieu de chercher à donner des réponses sensées à cette question, nous nous engageons dans un débat incohérent, qui n’a rien à voir avec le texte. Voyez Philippe Houillon, qui fait une démonstration sur le fait que le texte aboutira à traiter les récidivistes comme les autres délinquants, alors que c’est exactement le contraire !

Ayez une lecture claire du texte et cessez de dire qu’il porte un message anti-carcéral. Personne ici ne propose de fermer des prisons ! En revanche, nul n’ignore que l’emprisonnement peut avoir des effets néfastes sur certains individus, qu’il peut être un facteur criminogène, et qu’il faut de ce fait mettre en place un suivi des personnes emprisonnées.

Par ailleurs, l’administration pénitentiaire aimerait bien ne pas avoir à gérer ce que la société ne sait pas traiter, notamment des malades. Pourquoi ne pas en parler ? On ne met pas en prison des gens seulement pour purger une peine, sans même leur procurer de suivi – qui plus est s’ils sont malades ! Pourquoi ignorer cette réalité ? N’est-ce pas un problème pour tous les humanistes, de droite comme de gauche, que 30 % des personnes incarcérées ne réussissent pas le test de lecture ? Cela ne marque-t-il pas l’échec d’une éducation ? Autant de questions qui ne sont pas spécifiquement de gauche !

Pour y répondre, nous voulons une loi qui vise à l’efficacité. Je pense que vous faites fausse route en faisant de ce texte ce qu’il n’est pas, alors que les Français attendent un véritable débat républicain.

M. Éric Ciotti. Ce projet de loi marquera négativement la législature, et je veux dire l’inquiétude qu’il m’inspire. « Il repose sur un socle de légitimité fragile », écrivait d’ailleurs l’actuel Premier ministre, alors ministre de l’Intérieur, au président de la République. Il est surtout dangereux, car il implique un véritable désarmement pénal. Certains parlementaires de la majorité ont tenté de supprimer la notion d’autorité parentale lors de la discussion de la proposition de loi qui lui était consacrée ; le vôtre, madame la garde des Sceaux, fragilisera la notion de sanction pénale : malgré son objectif affiché de lutter contre la récidive, il accroîtra très sensiblement la délinquance, j’en fais dès aujourd’hui le pari.

Nous ferons donc tout pour empêcher son adoption ; d’ailleurs, peut-être qu’au fil des navettes parlementaires, le Premier ministre, dans un sursaut de conscience, se souviendra-t-il de la position qu’il exprimait lorsqu’il était ministre de l’Intérieur. Si néanmoins le texte devait être voté, il aurait des conséquences très graves pour notre pays et la sécurité de nos concitoyens. Il repose de surcroît sur une idéologie, dont se font l’écho ces experts que l’on sollicite à chaque fois, selon laquelle notre pays appliquerait le « tout carcéral ». Sur ce point, madame la garde des Sceaux, je vous renvoie à l’étude de la Statistique pénale du Conseil de l’Europe (SPACE), publiée il y a une quinzaine de jours, qui indique que la France est l’un des pays d’Europe qui recourt le moins à l’incarcération. C’est donc sur la foi d’une fable idéologique que vous avez conçu ce projet de loi, qui tend à faire largement décroître la population carcérale. M. le rapporteur, dont je veux sur ce point saluer l’honnêteté, a d’ailleurs reconnu, dans une récente interview accordée à un site spécialisé, que le texte aurait pour conséquence de vider les prisons, même si ce n’est pas son objectif. L’étude d’impact du Gouvernement le démontre d’ailleurs elle-même assez clairement.

L’étude « SPACE » précise par ailleurs que la France est aussi l’un des pays européens où la surpopulation carcérale est la plus forte. Ce phénomène tient non au trop grand nombre d’incarcérations, mais au nombre trop faible de places de prison. Je déplore, de ce point de vue, que votre texte soit en totale opposition avec la loi de programmation relative à l’exécution des peines qui, adoptée sous la précédente mandature, était issue du rapport que j’avais remis au président de la République. Ce rapport fixait un objectif de 80 000 places de prison à l’horizon 2017. Je déplore, madame la garde des Sceaux, la suppression des peines plancher, car elle aura des conséquences très graves sur la récidive. Pour paraphraser un représentant du syndicat des commissaires auditionné par la mission d’information sur la lutte contre l’insécurité que préside M. Jean-Pierre Blazy, ce n’est pas la prison qui crée la récidive, c’est la récidive qui crée la prison. De fait, le parcours des personnes détenues révèle très souvent un long passé de délinquance.

En envoyant aux délinquants un message de laxisme, le texte aura malheureusement des conséquences immédiates sur la sécurité. Pour toutes ces raisons, auxquelles s’ajoute l’inopportunité de la procédure accélérée, je m’y opposerai.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je comprends le mécontentement de nos collègues de la majorité face à nos critiques, mais l’on ne peut faire litière de celles qu’adressait l’actuel Premier ministre à un texte qui, que je sache, n’a pas changé depuis. Faut-il en conclure que le Premier ministre et sa majorité sont revenus à résipiscence ?

J’en viens, monsieur Vidalies, à l’amendement que vous évoquiez et à son exposé sommaire. Entre la matérialité du délit et la responsabilité de celui qui le commet, la pondération, c’est vrai, est difficile. Une première école de pensée considère que le fait social l’emporte sur la responsabilité personnelle ; une seconde considère que c’est l’inverse.

M. Alain Vidalies. La vérité est sans doute entre les deux.

M. Jean-Frédéric Poisson. J’en suis d’accord ; mais précisément, je partage la crainte dont témoigne cet exposé sommaire, car la prévalence de la responsabilité personnelle sur le fait nous ferait changer de paradigme juridique.

Je veux enfin, monsieur le président, élever une protestation, au nom de mon groupe, sur l’organisation de nos travaux. Je souhaitais vous en entretenir ce matin mais nous n’avons pu entrer en contact, pour des raisons qui tiennent aux arcanes de l’informatique. En premier lieu, le mardi matin est habituellement réservé aux réunions des groupes politiques, même si vous êtes naturellement libre de convoquer la Commission à ce moment-là. Nous sommes cependant au surlendemain d’un scrutin national qui a donné les résultats que l’on sait, et, de plus, des réunions de groupe importantes ont lieu en ce moment même. (Exclamations parmi les députés du groupe SRC.) Au vu des résultats de dimanche, chers collègues de la majorité, vous avez certainement des choses à vous dire aussi…

Par ailleurs, nous siégerons cet après-midi alors que se tiendra, dans l’hémicycle, un débat sur la politique d’accueil des demandeurs d’asile, sujet qui intéresse au premier chef notre Commission ; et ce soir, la séance publique sera consacrée à un débat sur la réforme territoriale, dont le président de la République a annoncé – fort imprudemment, d’ailleurs – qu’elle serait présentée en Conseil des ministres dès la semaine prochaine. Il est difficile d’imaginer que les commissaires aux Lois ne participeront pas à ces débats.

Enfin, le choix du temps programmé peut éviter certains embarras mais, en l’occurrence, il apparaît d’autant plus surprenant que le Gouvernement a décidé d’appliquer la procédure accélérée. Comment expliquer, monsieur le président, que certains membres de la majorité, qui n’avaient pas de mots assez durs pour dénoncer le recours à cette procédure lors de la précédente législature, s’y soient convertis aussi rapidement ? Plus de la moitié des textes examinés au sein de notre commission l’ont été en application de la procédure accélérée. Au vu de l’importance de ses enjeux, le présent texte aurait à tout le moins mérité deux lectures dans chacune des chambres ; c’eût été faire preuve de respect à l’égard du Parlement.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Vos interrogations sont légitimes, monsieur Poisson, et c’est avec plaisir que je vais m’efforcer d’y répondre.

C’est le respect des droits de l’opposition qui nous a conduits à organiser la séance de ce matin. Compte tenu de l’inscription du texte à l’ordre du jour le 3 juin, nous aurions dû examiner les amendements la semaine précédente, donc avant les élections européennes ; le fait de programmer les débats en commission à partir de ce matin a permis de rouvrir le délai de dépôt, si bien que l’opposition, qui n’avait déposé qu’une trentaine d’amendements la semaine dernière, a pu en déposer 313.

Je ne sais si gouverner, c’est choisir, mais présider une commission revient à jongler avec des contraintes. Notre assemblée a l’initiative de l’ordre du jour cette semaine, puisque celle-ci est réservée au contrôle ; et j’ai découvert, comme vous, que deux débats étaient organisés en séance, auxquels la commission des Lois aurait légitimement pu apporter sa contribution puisque les sujets visés relèvent de sa compétence.

Le choix du temps programmé n’entrave en rien l’expression de l’opposition, puisque celle-ci a choisi un cadre de 30 heures alors qu’elle pouvait en solliciter 45.

Quant au recours à la procédure accélérée, il est de la responsabilité du Gouvernement. J’y ai toujours été hostile, et le demeure, car il bride la capacité d’expertise du Parlement ; mais, en l’espèce, le projet de loi a été déposé en octobre 2013, et le rapporteur a pu procéder à plus de 300 auditions : reconnaissez qu’on ne peut pas en dire autant de tous les textes. L’opposition a eu largement le temps de travailler : la qualité de ses amendements en témoigne. Dans ces conditions, l’application de la procédure accélérée ne me paraît pas inconvenante.

M. le rapporteur. Vous soutenez, monsieur Fenech, que l’un de mes amendements aurait pour effet de donner aux détenus plus de droits qu’au reste de la population. Cette allégation est sans fondement et, de surcroît, de nature à éveiller des sentiments de haine chez nos concitoyens, car elle expose à toutes les instrumentalisations. Si la moindre ambiguïté demeurait sur le fond, néanmoins, je serais disposé à modifier le texte pour la lever. Le but est de faire la part, au vu des dossiers, entre ce qui peut être accordé et ce qui ne peut l’être. Nous ferions du tort au Parlement et même à notre pays en laissant planer l’hypothèse d’une discrimination positive en faveur de délinquants justement incarcérés.

Quant au message de laxisme, pour l’instant, c’est principalement l’opposition qui l’envoie. Vous seriez fondés à nous reprocher de vider les prisons si nous avions voté une loi d’amnistie ; mais je rappelle que M. Sarkozy, alors président de la République, avait renoncé, à juste raison, à ce moyen commode de réguler la surpopulation carcérale qu’est le décret de grâce du 14 juillet. Aucune décision nouvelle n’est intervenue depuis.

Troisième observation : les peines plancher et la contrainte pénale ne méritent pas la polémique que vous tentez d’allumer. Je maintiens que les premières ont eu, statistiquement, un rôle minime ; la seconde, sauf à la repenser, n’a pas vocation à absorber la totalité des délits puisque, selon l’étude d’impact, elle ne concernera que de 8 000 à 20 000 personnes – à rapporter aux 160 000 peines d’emprisonnement avec sursis et aux 120 000 peines d’emprisonnement ferme, le dispositif prévu étant essentiellement expérimental.

Enfin, si l’on peut prendre en considération certaines critiques de l’opposition, comment comprendre son silence assourdissant sur la sortie de détention ? Les quelque 90 000 personnes qui entrent en prison chaque année en sortiront un jour ; aussi le grand mérite du texte est-il de prévoir un contrôle à la sortie. En ce domaine, notre volonté est telle que certains de nos amendements vont plus loin que le projet de loi initial. Sont ainsi prévus une coordination, des écoutes téléphoniques, une géolocalisation et même un conditionnement des crédits de réduction de peine. Où est le laxisme ? Nous nous efforçons de prendre en compte la réalité, qui est que, malgré tous nos espoirs, la prison n’est pas un lieu magique où se dissout la délinquance.

Mme la garde des Sceaux. Je vous remercie de ces interventions qui, pour certaines, ont permis d’éclairer le contenu et la portée du texte ; pour les autres, je ne nourris aucune illusion, car cela fait deux ans que l’on entend les mêmes discours. Ce sont donc plutôt les Français que nous entendons convaincre, comme nous nous y sommes déjà employés.

M. Vidalies nous appelle à traiter du fond ; et de fait, aucun d’entre nous n’est indifférent aux situations à l’origine des actes qui font des victimes. Je me bornerai à répondre à M. Fenech et à M. Zumkeller, porte-parole de leurs groupes respectifs : que l’on n’y voie aucune marque d’irrespect envers les autres orateurs.

C’est l’opposition qui est dans le dogmatisme : quoi que nous fassions ou disions, et quels que soient les textes, elle répète depuis deux ans les mêmes éléments de langage. Pourquoi d’ailleurs s’en priverait-elle, au vu de leur succès en termes de marketing ? Pourquoi entrer dans le raisonnement, la précision et la démonstration ?

Quant à l’argument du désaveu de la politique pénale du Gouvernement, il me donne l’occasion de rappeler que notre pays est encore sous l’empire des textes adoptés lors de la précédente législature, sous la responsabilité de l’ancienne majorité. C’est précisément à cet état de fait que le présent texte entend remédier.

Vous avez fait référence à un sondage de mars 2013, commandé par une association à laquelle vous appartenez…

M. Georges Fenech. C’est faux.

Mme la garde des Sceaux. Il n’y avait rien de péjoratif dans mon propos mais, si c’est une erreur, je la corrige.

M. Philippe Goujon. Décidément, il faut faire preuve de vigilance !

Mme la garde des Sceaux. Au vu des accusations fantaisistes que vous réitérez en public, l’appel à la vigilance vous concerne bien davantage !

Selon ce sondage, donc, 75 % des personnes interrogées seraient hostiles à la réforme pénale. Il faut d’abord rappeler qu’elles répondent moins en se fondant sur le contenu du texte que sur votre propagande ; de plus, ce texte est le fruit d’un travail de longue haleine, auquel se sont associés, depuis de nombreuses années, des acteurs des milieux judiciaire, universitaire et politique, y compris à droite. Invoquer des sondages n’est pas dans mes habitudes mais, puisque vous l’avez fait, un autre plus récent, de l’IFOP, l’Institut français d’opinion publique, indique que 60 % des Français sont favorables à la contrainte pénale.

Votre double opposition au projet de loi et à la contrainte pénale, jointe à une inquiétude de voir celle-ci aboutir à un contrôle social, me semble d’ailleurs relever d’une contradiction : à moins de refuser la contrainte pénale au nom des risques du contrôle social, je ne vois pas où est la logique. Reste qu’en elle-même, l’observation a sa pertinence, car de nombreuses mesures liées au contrôle des aménagements de peine ont vu le jour au cours des dernières années, contribuant à élargir le contrôle social ; il est donc difficile de ne pas s’interroger à ce sujet.

Vous avez incriminé la brièveté des délais. Il a fallu, je le rappelle, deux ans pour rédiger le projet de loi, et la conférence de consensus a travaillé pendant six mois. Vous avez mis ses membres en cause, y compris les commissaires divisionnaires, colonels de gendarmerie et associations d’aide aux victimes ; bref, vous mettez tout en cause, et au fond peu importe, car cette posture n’est pas nouvelle. En tout état de cause, si vous qualifiez d’expéditif un processus de deux ans, nous manquerons de vocabulaire pour qualifier votre empressement, au cours de la précédente législature, à voter un nouveau texte à chaque fait-divers qui vous paraissait le justifier.

Pour le reste, nous poursuivrons nos efforts d’explication, certes sans espoir de vous convaincre puisque ce n’est manifestement pas le texte lui-même qui vous intéresse : le droit opposable au logement ou à l’emploi, dont vous prétendez qu’il figurait dans la version initiale du projet, n’a par exemple jamais existé. L’article 12 prévoit que « chacun veille, en ce qui le concerne, à ce que les personnes condamnées accèdent de façon effective à l’ensemble des droits de nature à faciliter leur insertion ». Si l’on veut réinsérer les personnes concernées, il faut bien leur donner accès à des services de droit commun ! Comment prétendre lutter contre la récidive et créer les conditions objectives – l’absence de logement, d’emploi, de formation et de perspective – qui la suscitent ? La récidive n’est pas qu’un mot. Ce sont de nouveaux actes, donc de nouvelles victimes. Les personnes qui sortent de prison ont purgé leur peine et, sauf si le magistrat l’a décidé, elles n’ont pas perdu leurs droits civiques. L’État a donc l’obligation d’assurer les conditions de leur réinsertion, a fortiori lorsque nous l’affichons.

Inutile d’épiloguer sur l’accusation selon laquelle nous voudrions vider les prisons : nous l’entendrons sans doute jusqu’à la fin du quinquennat.

La libération sous contrainte n’est pas une mesure automatique : elle se prépare, sous la condition d’un examen obligatoire – c’est pour cela que nous parlons de rendez-vous. La décision, en tout état de cause, appartient au juge de l’application des peines et à la commission de l’application des peines.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci, madame la ministre. Nous allons passer à l’examen des articles. J’en profite pour souhaiter la bienvenue au sein de notre Commission à M. Guillaume Garrot qui fait désormais partie de ses membres.

Chapitre Ier

Principes généraux concernant les peines encourues et le prononcé des peines

Article 1er (art. 130-1 [nouveau] du code pénal) : Définition des fonctions de la peine

La Commission examine deux amendements identiques, CL85 de M. Michel Zumkeller et CL103 de M. Georges Fenech, tendant à la suppression de l’article.

M. Michel Zumkeller. L’article 1er nous semble redondant avec l’article 132-24 du code pénal introduit par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, qui précise déjà que « la nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l’insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions ».

M. Georges Fenech. Outre qu’il est contestable de procéder à des ajouts sans portée normative dans le code pénal, la description proposée par l’article des finalités d’une peine place sur le même plan l’objectif de « sanctionner le condamné » et celui de « favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion ». La peine a de multiples fonctions, notamment le rappel des conséquences de la transgression de la loi, expression de la volonté des citoyens et garantie du vivre ensemble. Il n’est pas anodin que le Gouvernement insiste autant sur la réinsertion des personnes condamnées, alors que la peine, quelle qu’elle soit, doit avant tout rappeler les conséquences de la transgression de la règle commune.

Cet article doit être supprimé parce qu’il est symptomatique de l’idéologie qui sous-tend l’ensemble du texte : il ne s’agit plus de juger les faits mais les individus. Ce faisant, le projet de loi consacre une justice à plusieurs vitesses. C’est bien la déconnexion entre les faits et la mesure de contrainte pénale que je critique, monsieur Vidalies. On juge des individus, c’est entendu, mais pour des faits qu’ils ont commis ; or, en l’occurrence, le quantum de la peine ne dépendra plus des faits mais de la personnalité de l’individu : vous le constaterez en entrant dans le détail du texte, dont l’inconstitutionnalité, soulevée par Robert Badinter, tient en grande partie à cet aspect.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette ces amendements.

Puis elle en vient à l’amendement CL192 de M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Je propose, à l’alinéa 2, de substituer aux mots : « Afin de protéger la société », les mots : « Afin d’assurer la protection effective de la société ». En précisant le caractère effectif de cette protection, il me semble en effet qu’on la renforce.

M. le rapporteur. La précision peut être utile, sous réserve qu’elle n’implique pas d’obligation de résultat. Si le Gouvernement n’y voit pas d’inconvénient, j’y serais volontiers favorable.

Mme la garde des Sceaux. Je n’ai pas d’objection. Cette rédaction me semble améliorer le texte, d’autant qu’il existe des précédents sur ce point, y compris dans la loi pénitentiaire.

M. Michel Zumkeller. Sur les deux amendements de suppression de l’article, le rapporteur s’est contenté d’émettre un avis défavorable, sans aucune explication ; à présent, nous débattons pendant cinq minutes sur un mot. Il faut être sérieux.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. En l’occurrence, c’est moi qui avais coupé le rapporteur, afin de permettre un débat sur les amendements suivants, qui seraient tombés en cas de suppression de l’article.

M. le rapporteur. L’article 1er présente trois avantages. Le premier est de faire remonter, au sein du code pénal, la définition de la peine ; le deuxième est de préciser que le but est la sanction du condamné, ce qui apporte un démenti aux accusations de laxisme ; le troisième est de proposer une rédaction nouvelle sur la réinsertion et les intérêts de la société.

Il est vrai que la peine a une dimension symbolique ; elle reflète les moyens qu’une société mobilise pour s’unir contre la transgression.

M. Michel Zumkeller. En ce cas, pourquoi ne pas supprimer l’article 132-24 du code pénal ? Il n’est pas cohérent d’ajouter un article similaire à un autre.

M. le rapporteur. Cette suppression est justement prévue à l’article 3.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle est saisie des amendements identiques CL193 de M. Alain Tourret et CL223 de Mme Élisabeth Pochon.

M. Alain Tourret. Mon amendement propose une rédaction plus large que celle proposée par le projet de loi en substituant à la notion de récidive les termes de « commission de nouvelles infractions ».

Mme Élisabeth Pochon. Cette nouvelle rédaction rend la loi plus lisible pour les citoyens.

M. le rapporteur. Avis favorable. Ces amendements éclairent la distinction entre réitération et récidive.

La Commission adopte ces amendements.

Puis elle examine l’amendement CL278 de M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Cet amendement prévoit, dans la définition de la peine, que les intérêts de la victime, qui peuvent être financiers mais aussi moraux, sont respectés, à l’instar de ses droits.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Je partage l’intention de l’amendement, mais la rédaction introduit une ambiguïté en laissant penser que la victime pourrait avoir un intérêt quant à la peine prononcée.

L’amendement CL278 est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL238 de M. Éric Ciotti. 

M. Philippe Goujon. Il est défendu.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL162 de M. Sergio Coronado. 

M. Sergio Coronado. Cet amendement précise que l’insertion ou la réinsertion du condamné suppose d’agir sur les causes de la commission d’infractions.

M. le rapporteur. Avis défavorable car cette préoccupation est déjà prise en compte dans le projet de loi.

L’amendement CL162 est retiré.

La Commission adopte l’article 1er modifié.

Article 2 (art. 132-1 du code pénal) : Principe d’individualisation des peines

La Commission est saisie de l’amendement CL104 de M. Georges Fenech. 

M. Georges Fenech. Il n’est point besoin de rappeler dans la loi le principe de l’individualisation des peines. Vous prenez le risque de remettre en cause la nécessaire conciliation de ce principe avec les règles assurant une sanction effective des infractions.

L’article 2 est inutile. Il témoigne une nouvelle fois du prisme dogmatique de cette réforme. Cette incitation à l’individualisation s’apparente à une forme de contrainte exercée sur les magistrats, y compris ceux du siège, afin qu’ils se conforment à la philosophie de l’individualisation du garde des Sceaux.

M. le rapporteur. Je suis défavorable à cet amendement. Le principe d’individualisation des peines a valeur constitutionnelle. Vous ne pouvez pas considérer que son inscription dans la loi aurait pour objet d’exercer une pression sur les magistrats.

M. Guy Geoffroy. Je suis très gêné par les propos du rapporteur qui dans le même temps affirme la constitutionnalité du principe d’individualisation des peines et la nécessité de le rappeler dans la loi.

Votre méthode me semble extrêmement perverse. Avec ce projet de loi, vous prétendez introduire un nouveau principe alors que celui-ci s’applique déjà. Vous parez des atours de la nouveauté des concepts qui font partie des fondamentaux du droit pénal afin de convaincre que tout ce qui a été fait précédemment l’a été en contradiction avec ces derniers. Je suis abasourdi par cette tautologie.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL194 de M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Cet amendement vise à modifier l’emplacement dans le code pénal des principes généraux relatifs à la peine énoncés par l’article 2 afin de leur conférer plus de force. Il vise à les insérer dans le chapitre Ier en lieu et place du chapitre II.

M. le rapporteur. Avis défavorable, car le chapitre Ier porte sur la nature des peines tandis que le chapitre II a trait au prononcé des peines.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie des amendements identiques CL127 de M. Sergio Coronado et CL224 de Mme Élisabeth Pochon.

M. Sergio Coronado. L’amendement CL127 complète les éléments dont il est tenu compte pour individualiser les peines en ajoutant à la personnalité de l’auteur de l’infraction, sa situation.

Mme Élisabeth Pochon. Mon amendement est défendu.

M. le rapporteur. Avis favorable.

La Commission adopte ces amendements.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL200 du rapporteur.

La Commission adopte l’article 2 modifié.

Article 3 (art. 132-19 et 132-24 du code pénal ; art. 362 et 495-8 du code de procédure pénale) : Renforcement de l’obligation de motivation des peines d’emprisonnement sans sursis et du principe de l’emprisonnement en tant que dernier recours en matière correctionnelle

La Commission est saisie de l’amendement CL105 de M. Georges Fenech. 

M. Georges Fenech. L’article 3 est la preuve de votre incohérence. Vous critiquez les peines plancher, mais vous instaurez une obligation de motivation pour les peines de prison ferme. Nous proposons la suppression de cet article qui relève de la posture idéologique et porte atteinte à la libre appréciation du juge.

M. le rapporteur. Nous sommes parfaitement cohérents. La règle que nous appliquons est la suivante : tout ce qui fait grief doit être motivé. La sanction est motivée, l’absence de sanction ne l’est pas. Vous avez inversé ce principe avec les peines plancher.

Cette règle n’est pas dictée par une quelconque perversion, dont je n’avais pas conscience jusqu’alors, monsieur Geoffroy.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL304 de M. Éric Ciotti. 

M. Philippe Goujon. Il est défendu.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL3 du rapporteur et CL128 de M. Sergio Coronado. 

M. Sergio Coronado. Je souhaite défendre conjointement les amendements CL128, CL129 et CL131 qui apportent deux modifications à la rédaction du projet de loi.

En premier lieu, la personnalité de l’auteur doit être considérée sur la base d’éléments précis et circonstanciés. En second lieu, les mesures prononcées par le tribunal ne sont pas des mesures d’aménagement mais des peines. Il convient donc de supprimer le terme d’aménagement.

M. le rapporteur. L’amendement CL3 est de nature rédactionnelle. Quant à l’amendement de M. Coronado, il ne semble pas utile. En revanche, je suis d’accord pour réfléchir avec lui sur la notion d’aménagement.

M. Georges Fenech. Votre amendement, monsieur le rapporteur, va bien plus loin que la clarification rédactionnelle. Vous rétablissez une justice de classe en donnant en quelque sorte une prime à la richesse dont un jour, M. Tapie, par exemple, pourrait profiter.

M. le rapporteur. L’amendement reprend une disposition de la loi pénitentiaire votée en 2009 par l’ancienne majorité. En outre, il ressort des comparutions devant les tribunaux correctionnels que la répression s’abat plus facilement sur des gens en situation difficile que sur les plus fortunés. L’exemple que vous avez donné laisse à penser que des progrès restent à faire. Cet amendement y contribuera.

La Commission adopte l’amendement CL3.

En conséquence, l’amendement CL128 tombe.

La Commission est saisie de l’amendement CL275 de Mme Colette Capdevielle. 

Mme Colette Capdevielle. Cet amendement prévoit la motivation du prononcé de toutes les peines privatives ou restrictives de liberté, y compris de la contrainte pénale, sans attendre l’appel.

Le condamné doit avoir connaissance des motivations de la peine. Je m’étonne qu’en matière pénale, à la différence du civil, des décisions lourdes de conséquences ne soient pas motivées.

M. le rapporteur. Avis favorable.

Madame la garde des Sceaux. Le Gouvernement est réservé sur cet amendement. S’il importe de revenir au principe de la motivation de toute décision d’incarcération, il me semble excessif d’en faire une obligation pour toutes les décisions sous peine de difficultés. Je vous suggère donc de retirer votre amendement.

Mme Colette Capdevielle. J’accepte de le retirer. Je suis heureuse que ce débat ait été initié. Une justice de qualité est une justice comprise par les justiciables.

M. Philippe Goujon.  Je partage l’avis exprimé par la garde des Sceaux. Cette disposition serait un nid à contentieux et alourdirait considérablement la charge des juges.

L’amendement CL275 est retiré.

La Commission rejette l’amendement CL129 de M. Sergio Coronado. 

Puis elle est saisie de l’amendement CL290 de M. Éric Ciotti. 

M. Philippe Goujon. Cet amendement a pour objet de tenir compte du préjudice subi par la victime dans la motivation de la décision du juge afin de rétablir l’équilibre entre l’auteur de l’infraction et la victime.

M. le rapporteur. Avis défavorable. La peine ne rétablit pas un équilibre. Une fois la qualité de victime reconnue, son préjudice est indemnisé, autant que faire se peut.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement de précision CL210 du rapporteur.

La Commission rejette l’amendement CL131 de M. Sergio Coronado.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL5 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à déplacer une disposition séculaire selon laquelle le montant de l’amende tient compte des ressources du condamné.

M. Georges Fenech. L’amendement mentionne également les charges.

M. Philippe Goujon. Vous vous inscrivez encore une fois dans la logique d’une justice à deux vitesses. À délit équivalent, la peine ne sera pas identique.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est le principe de l’amende !

M. le rapporteur. Rassurez-vous, monsieur Goujon, cette disposition figure déjà à l’article 132-24 du code pénal ; nous ne faisons que la déplacer.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement de clarification rédactionnelle CL6 du rapporteur.

La Commission examine l’amendement CL137 de M. Sergio Coronado. 

M. Sergio Coronado. L’article 465-1 du code de procédure pénale permet la délivrance d’un mandat de dépôt pour les personnes en récidive légale, quelle que soit la durée de la peine. Son second alinéa l’impose même pour certains délits, sauf décision spécialement motivée.

Cet article est contraire à la logique d’individualisation des peines et ce, d’autant plus que les peines prononcées pour les récidivistes par les magistrats sont souvent déjà plus sévères. Il n’y a donc pas lieu de durcir les conditions de leur exécution.

M. le rapporteur. Je suis défavorable à cet amendement car c’est le seul cas dans lequel le récidiviste est placé dans une situation différente des autres auteurs d’infraction.

Je vous concède néanmoins que les notions de récidive et de réitération méritent réflexion, car la distinction est incompréhensible pour les citoyens.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission adopte l’article 3 modifié.

Article additionnel après l’article 3 (art. 709-1 du code de procédure pénale) : Consécration législative des bureaux de l’exécution des peines – Remise à tout condamné présent à l’issue de l’audience d’un relevé de condamnation pénale

La Commission est saisie de l’amendement CL9 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement propose la création d’un bureau d’exécution des peines dans toutes les juridictions – dans un délai d’un an – comme il en existe déjà dans certaines d’entre elles. Ces bureaux sont essentiels à l’efficacité et à la compréhension des peines, chacun en convient.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. On peut s’étonner de la recevabilité de cet amendement au regard de la jurisprudence de l’article 40.

M. Georges Fenech. Nous ne sommes pas opposés à cet amendement, mais je m’interroge, comme M. le président, sur le fait qu’il ne tombe pas sous le coup de l’article 40.

M. Guy Geoffroy. Je souhaite que le rapporteur souligne en séance l’existence de ces bureaux. Il ne faudrait pas laisser croire que ce projet de loi est à l’origine de leur création.

M. le rapporteur. Je m’y engage.

La Commission adopte l’amendement.

Après l’article 3

Puis elle examine l’amendement CL8 du rapporteur, qui fait l’objet d’un sous-amendement CL272 de M. Sergio Coronado.

M. le rapporteur. Cet amendement tente d’apporter une réponse à une question difficile, celle de la prise en compte de l’altération des facultés mentales qui, dans la pratique, n’est pas satisfaisante. Il en résulte que des sanctions sont prononcées à l’encontre de personnes souffrant de maladies mentales.

L’amendement vise à diviser par deux la peine maximale encourue pour les personnes atteintes de troubles mentaux, sauf exception spécialement motivée.

Faute de prise en compte dans le quantum de la peine de l’altération, de nombreux malades mentaux sont incarcérés, ce qui est à la fois injuste pour eux et difficile à gérer dans les établissements pénitentiaires.

M. Sergio Coronado. Dans votre rapport sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale, vous avez souligné que la condamnation de personnes dont le discernement a été altéré a accru le nombre de personnes souffrant de maladie mentale en détention. Cela pose question quant à notre philosophie de justice et au fonctionnement des établissements.

Mais l’amendement du rapporteur a pour conséquence de faire disparaître la disposition précisant que la juridiction doit tenir compte de l’altération du discernement de l’auteur des faits lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. Le sous-amendement vise à la rétablir.

M. Alain Tourret. Pouvez-vous préciser pourquoi vous appliquez cette règle en matière contraventionnelle ?

M. Philippe Goujon. Après avoir supprimé les peines plancher, vous instaurez en quelque sorte une peine plafond ! Ce sujet est bien sûr délicat et douloureux. Là où le juge disposait d’un pouvoir d’appréciation, vous introduisez une automaticité inutile.

M. Georges Fenech. Je comprends la philosophie de l’amendement. Mais vous ne pouvez pas régler la question de la prise en compte des troubles mentaux en contraignant le juge. Cette question relève davantage de l’exécution des peines et du choix des établissements.

M. Alain Vidalies. Je suis très sceptique sur cet amendement pour des raisons qui ont déjà été exposées. J’ajoute que vous transférez la responsabilité du prononcé de la peine à l’expert psychiatre qui se prononce sur la base de l’état de la connaissance.

Votre amendement risque de susciter l’incompréhension dans l’application de la loi pénale. Les décisions seront difficiles à expliquer. Dans la situation d’aujourd’hui, le juge doit conserver sa marge d’appréciation. Vous ne pouvez pas l’enfermer en rétablissant des peines automatiques pour des cas spécifiques.

Je doute de l’efficacité de cette mesure. La prise en charge des malades en prison mérite un vrai débat que notre Commission pourrait mener. La réponse que vous proposez ne me paraît pas adaptée.

Mme la garde des Sceaux. Comme l’ont dit MM. Fenech et Vidalies, ce sujet est difficile. Les magistrats ont la possibilité de commander des expertises psychiatriques pour éclairer leur décision. Mais nous sommes confrontés à la réalité. La présence dans les établissements pénitentiaires de personnes présentant des troubles mentaux, sans accompagnement et sans soins, met en danger la société et le personnel de ces établissements. Nous devons trouver une solution à ce problème.

L’amendement du rapporteur présente un caractère tranchant que le sous-amendement vient adoucir. Je vous propose de le retirer afin de le retravailler. Dans le cas contraire, le sous-amendement doit être adopté car il rétablit de la souplesse au bénéfice du juge.

M. le rapporteur. Je comprends les réticences qui s’expriment. Je n’ai pas la prétention de résoudre le problème par un amendement, d’autant qu’il se pose aussi au stade de la commission des infractions. En ne prenant pas en charge ces personnes, on les laisse commettre les délits, à charge pour le système carcéral d’apporter une réponse. C’est à la fois injuste pour les malades et inefficace socialement.

À cause de l’encombrement des services de psychiatrie publics, on ne parvient même pas à prendre en charge les obligations de soins. Nous sommes dans une situation difficile qui demande des efforts.

Je vous concède le caractère tranchant de mon amendement. J’accepte de le retirer car je souhaitais avant tout attirer l’attention sur cette situation difficile pour tout le monde, y compris les personnels de surveillance qui sont amenés à prendre en charge dans des conditions difficiles des gens dont les réactions sont imprévisibles.

L’amendement CL8 et le sous-amendement CL272 sont retirés.

La Commission est saisie de l’amendement CL240 de M. Éric Ciotti. 

M. Philippe Goujon. Cet amendement vise à renforcer la peine encourue en cas de violation du secret de l’instruction afin de garantir le principe essentiel de la présomption d’innocence.

M. le rapporteur. Avis défavorable pour deux raisons : cet amendement est sans lien avec le texte qui ne s’intéresse pas à l’échelle des peines ; le caractère insuffisamment dissuasif de la peine actuelle est loin d’être démontré.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL164 de M. Sergio Coronado et CL207 de M. Alain Tourret. 

M. Sergio Coronado. Mon amendement entend respecter l’engagement pris par le président de la République, la majorité et la garde des Sceaux, de supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs.

Ces tribunaux ont été instaurés par la loi du 10 août 2011. Ils jugent les enfants de plus de seize ans, dès lorsqu’ils sont récidivistes et encourent trois ans d’emprisonnement. Avant cette réforme, ces mineurs comparaissaient devant un tribunal pour enfants composé d’un juge des enfants et de deux assesseurs citoyens.

La garde des Sceaux a eu l’occasion de le dire, ces tribunaux sont une atteinte à la spécificité de la justice des enfants. Ils sont moins efficaces pour le suivi des mineurs, coûteux et chronophages. Ils posent de multiples problèmes juridiques. Cette justice n’est pourtant pas plus « répressive » que la voie traditionnelle du tribunal pour enfant, contrairement à l’argument qui avait été avancé lors de la mise en place de ces tribunaux.

M. Alain Tourret. L’amendement CL207 a le même objet. La suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs fait l’objet d’un consensus parmi de nombreux syndicats de magistrats.

M. le rapporteur. Je suis défavorable à ces amendements car la refonte en cours de l’ordonnance de 1945 permettra d’aborder cette question.

La Commission rejette successivement les amendements.

Chapitre II

Dispositions visant à assurer le prononcé de peines individualisées

Section 1

Dispositions favorisant l’ajournement de la peine afin d’améliorer la connaissance de la personnalité du prévenu

Avant l’article 4

La Commission est saisie, en discussion commune, des amendements CL10 du rapporteur, CL132 de M. Sergio Coronado et CL226 de Mme Élisabeth Pochon. 

M. le rapporteur. L’amendement CL10 est rédactionnel.

M. Georges Fenech. J’attire votre attention sur la lourdeur que cet amendement risque d’introduire dans les audiences, lors des permanences du week-end notamment. On assistera à un ajournement systématique faute de disposer des informations requises.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. L’amendement ne porte que sur l’intitulé de la section …

M. Guy Geoffroy. Il me semble que l’ordre des termes employés pour qualifier la situation de l’auteur des faits pourrait être plus pertinent. Je propose d’inverser l’ordre actuel en parlant de la situation « sociale, familiale et matérielle » de l’intéressé.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Le rapporteur a entendu vos observations et s’il estime des ajustements nécessaires, il présentera un amendement en ce sens en vue de la séance publique.

Les amendements CL132 et CL226 sont retirés.

La Commission adopte l’amendement CL10.

Article 4 (paragraphe 5 de la sous-section 6 de la section II du chapitre II du titre III du livre Ier et art. 132-70-1 [nouveau] du code pénal ; art. 397-3-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Création d’une possibilité d’ajournement du prononcé de la peine aux fins d’évaluation de la personnalité

La Commission examine l’amendement CL106 de M. Georges Fenech. 

M. Georges Fenech. L’article 4 crée une nouvelle forme d’ajournement lorsqu’il apparaît nécessaire d’ordonner, avant le prononcé de la sanction, des investigations complémentaires sur la personnalité et la situation sociale du prévenu. Cette disposition est censée permettre la mise en œuvre d’enquêtes exhaustives afin d’éclairer les magistrats pour l’individualisation de la sanction. Mais l’article ne précise pas qui sera chargé d’effectuer ces investigations complémentaires, et selon quelles modalités. Faut-il rappeler les mots du philosophe Cesare Beccaria, aux dires duquel plus que la sévérité, c’est la certitude de la peine qui a le plus d’efficacité dans la dissuasion ?

L’article 4 du projet de loi prévoit de créer une forme de césure dans le procès, dans le cadre d’une comparution immédiate, et de placer « si nécessaire » la personne poursuivie sous contrôle judiciaire. Cette disposition, c’est la certitude de voir les délais de mise à exécution des peines allongés. Il s’agit d’une faute majeure qui ne sera pas sans conséquence sur l’encombrement des juridictions et qui favorisera la hausse de la criminalité et d’inexécution des peines. Voilà pourquoi nous proposons la suppression de l’article 4.

M. le rapporteur. L’article crée une possibilité d’ajournement. Il permet aux tribunaux de diligenter une enquête afin de décider d’une sanction plus adaptée et donc plus efficace. Cette faculté qui leur est offerte augmente le travail des juridictions, je n’en disconviens pas, mais sa mise en place peut être progressive.

En outre, rien n’interdit de prononcer une sanction sévère. Nous ne sommes pas partisans de l’indulgence généralisée. Nous visons une adaptation des sanctions qui garantissent une efficacité maximale

Mme Colette Capdevielle. La césure existe déjà. Lorsqu’un dossier est incomplet, la défense ou l’une des parties peut demander le renvoi de l’audience. L’article se borne à codifier une pratique assez courante. Il n’y a là rien de révolutionnaire.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement de cohérence rédactionnelle CL11 du rapporteur.

En conséquence, les amendements CL133 de M. Sergio Coronado et CL227 de Mme Élisabeth Pochon tombent.

La Commission examine, en présentation commune, les amendements CL298, CL297 et CL296 de M. Éric Ciotti. 

M. Philippe Goujon. Ces amendements ont pour objet de réduire le délai pour statuer sur la peine après une décision d’ajournement, à un, deux ou trois mois au lieu de quatre dans le projet de loi.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Puis elle adopte l’amendement de précision CL211 du rapporteur.

La Commission est saisie des amendements identiques CL228 rectifié de Mme Colette Capdevielle et CL299 de M. Éric Ciotti. 

Mme Colette Capdevielle. Dans l’intérêt de la victime, lorsque la juridiction opte pour la césure du procès, il convient de donner la possibilité au juge de prendre en compte immédiatement les intérêts de la victime pour laquelle le renvoi du procès pourrait être lourd à supporter.

Dès lors que la culpabilité est reconnue, le juge peut statuer sur les intérêts civils et prononcer une condamnation totale ou partielle.

M. Philippe Goujon. L’amendement CL299 est défendu.

M. le rapporteur. Avis favorable. Ces amendements font consensus.

La Commission adopte ces amendements à l’unanimité.

Elle examine ensuite l’amendement CL300 de M. Éric Ciotti.

M. Philippe Goujon.  Il est défendu.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement de précision CL221 du rapporteur.

Elle en vient ensuite à l’amendement CL12 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement prévoit que les mesures de détention ordonnées pendant la période d’ajournement obéissent au code de procédure pénale.

M. Georges Fenech. Et si le condamné fait appel ?

M. le rapporteur. La mesure de détention n’est pas suspensive.

M. Georges Fenech. Dès lors que le juge ne peut plus ordonner la détention pour des motifs comme la conservation des preuves, la soustraction aux pressions, si l’intéressé fait appel, il pourra toujours entraver le cours de la justice.

M. le rapporteur. Nous supprimons les motifs liés à la poursuite de l’enquête puisque l’intéressé a déjà été déclaré coupable. L’appel oblige à statuer de nouveau sur la culpabilité, mais l’enquête est close.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 4 modifié.

Article additionnel après l’article 4 (paragraphe 6 de la section 2 du chapitre II du titre III du libre Ier et art. 132-70-2 [nouveaux] du code pénal) : Amélioration du recouvrement des amendes par la création d’une possibilité d’ajournement du prononcé de la peine aux fins de consignation d’une somme d’argent

La Commission est saisie de l’amendement CL13 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement tend à permettre au tribunal d’ordonner l’ajournement du prononcé de la peine tout en obligeant le coupable à consigner une somme d’argent destinée à garantir la représentation du condamné en justice et le paiement de l’amende qu’il pourrait décider. Le taux de recouvrement des amendes n’est pas toujours aussi satisfaisant qu’on pourrait l’espérer.

La Commission adopte l’amendement.

*

* *

La séance est levée à 13 heures.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Erwann Binet, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Sergio Coronado, M. Carlos Da Silva, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Olivier Dussopt, M. Georges Fenech, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, Mme Sandrine Mazetier, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Mme Nathalie Nieson, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Jacques Valax, M. Alain Vidalies, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Jean-Pierre Decool, M. Daniel Gibbes, Mme Marietta Karamanli, M.Alfred Marie-Jeanne, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistait également à la réunion. - Mme Cécile Duflot