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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 2 décembre 2014

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 27

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président, puis de

– Audition du général Pierre Renault, chef de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale, accompagné du général Marc Betton, coordonnateur des enquêtes internes à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale, et du colonel Richard Anin, chef du bureau des enquêtes administratives, sur le rapport d'enquête administrative relative à la conduite des opérations de maintien de l'ordre dans le cadre du projet de barrage de Sivens

M. Dominique Raimbourg,

Vice-Président

La séance est ouverte à 16 heures 45.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l’audition du général Pierre Renault, chef de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale, accompagné du général Marc Betton, coordonnateur des enquêtes internes à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale, et du colonel Richard Anin, chef du bureau des enquêtes administratives, sur le rapport d'enquête administrative relative à la conduite des opérations de maintien de l'ordre dans le cadre du projet de barrage de Sivens.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Le ministre de l’Intérieur m’a transmis ce matin, car j’en avais exprimé la demande, le rapport de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) sur les opérations de maintien de l’ordre à Sivens. La lecture de ce rapport m’a semblé suffisamment intéressante pour modifier notre ordre du jour. Nous devions étudier, sur le rapport de notre collègue Sébastien Pietrasanta, une résolution visant à créer une commission d’enquête à l’initiative du groupe écologiste ; nous le ferons demain matin, car j’ai invité aujourd’hui l’auteur du rapport sur Sivens, le général de corps d’armée Pierre Renault, chef de l’IGGN, à s’exprimer devant nous.

Je vous remercie, mon général, d’avoir accepté cette invitation dans des délais aussi contraints. Vous êtes accompagné du général Marc Betton et du colonel Richard Anin qui vous ont secondé dans cette enquête.

En organisant cette audition, je n’ignore pas la dimension politique qu’a prise ce dossier à la suite de déclarations de parlementaires, voire d’anciens ministres, mais il m’a semblé que la commission des Lois devait assumer pleinement sa fonction de contrôle.

Le ministre de l’Intérieur vous a demandé, le 3 novembre, de conduire une enquête administrative « afin de déterminer précisément les conditions dans lesquelles les opérations de maintien de l’ordre sur le site de Sivens ont été conçues, conduites et exécutées ». Cela faisait suite aux affrontements intervenus le 26 octobre, où Rémi Fraisse a trouvé la mort.

Une autre enquête, technique celle-là, a été confiée à l’Inspection générale de la police nationale et à l’IGGN sur l’utilisation des grenades lors des opérations de maintien de l’ordre. Son rapport a été publié le 13 novembre dernier à l’initiative du ministre de l’Intérieur. Une troisième enquête, judiciaire, est en cours, à la suite de l’information ouverte par le parquet spécialisé pour les affaires militaires de Toulouse.

Votre mission visait à identifier d’éventuels dysfonctionnements ou manquements déontologiques durant les affrontements survenus les 25 et 26 octobre. À cette fin, vous avez entendu le préfet du Tarn, son directeur de cabinet, des officiers et sous-officiers des différentes unités de gendarmerie concernées – le groupement de gendarmerie du Tarn et les escadrons de gendarmerie mobile (EGM) mobilisés –, ainsi qu’un officier de la compagnie républicaine de sécurité qui était également engagée dans cette opération. Vous avez visionné et étudié quantité d’écrits, de documents et de vidéos accessibles sur internet. J’ai noté que vous aviez aussi souhaité recueillir les commentaires d’un responsable associatif militant pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, mais que ce dernier n’avait pas donné suite à votre demande.

Je vais vous donner la parole pour présenter le résultat de vos travaux. En préalable, peut-être pourriez-vous nous rappeler en quelques mots l’éthique et la déontologie de votre corps d’inspection ; la crédibilité de votre parole repose en effet sur l’indépendance de votre jugement.

Général Pierre Renault, chef de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale. Mesdames et messieurs les députés, c’est un honneur pour moi de prendre la parole devant vous pour vous restituer le contenu du rapport qui m’a été demandé par le ministre de l’Intérieur et que je lui ai remis ce matin. C’est la première fois, sauf erreur de ma part, que l’inspecteur général de la gendarmerie nationale est amené à se livrer à un tel exercice.

Permettez-moi en quelques mots de me présenter. J’ai cinquante-sept ans et je sers en gendarmerie depuis trente-quatre années, dont la moitié dans des exercices de commandement, en gendarmerie départementale et gendarmerie mobile. Je suis saint-cyrien. Jusqu’à la fin du mois de juillet dernier, j’exerçais les fonctions de directeur des soutiens et des finances de la gendarmerie nationale. Le directeur général et le conseil des ministres m’ont nommé à mon poste actuel à compter du 1er août.

L’Inspection générale de la gendarmerie nationale est un service particulier qui relève du directeur général de la gendarmerie mais n’est pas un élément organique de l’état-major central. Les textes l’ont voulu ainsi, afin que l’IGGN conduise son action de façon autonome et impartiale.

L’Inspection générale peut être saisie par le ministre de l’Intérieur – comme dans le cas présent –, par le directeur général, par tous les personnels militaires et civils servant en gendarmerie, et par les particuliers. Pour ce faire, différents modes sont possibles : par écrit, téléphone, internet. En tant qu’inspecteur général, je peux soit être saisi, soit me saisir de cas dont j’ai connaissance.

Les attributions et l’organisation de l’IGGN ressortent de deux textes réglementaires, indépendants des textes fixant l’organisation de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Ces textes indiquent que l’IGGN est à la disposition du directeur général de la gendarmerie nationale et s’assure de la mise en œuvre des instructions du ministre de l’Intérieur et du directeur général. Elle remplit les missions d’inspection ainsi que les missions spécifiques qui lui sont confiées, et veille au respect des règles de déontologie par les personnels de la gendarmerie nationale. Elle veille à préserver la légitimité de l’action de la gendarmerie. Par le contrôle de l’application des directives données, elle s’assure de l’adhésion interne aux orientations fixées. Elle est associée aux réflexions relatives à la sécurité intérieure. Elle peut agir en complémentarité ou en partenariat avec les autres inspections générales des administrations de l’État.

L’Inspection générale est organisée en trois pôles. Le pôle déontologie, sous mon autorité directe, dispose de tous les instruments lui permettant d’identifier les actes contraires à l’éthique, tels que le harcèlement ou la discrimination, et veille à ce que les poursuites nécessaires soient engagées.

Le pôle audit, études et inspection informe le directeur général du degré de maîtrise des risques par les formations, services et unités. L’Inspection générale est à cet égard compétente pour visiter l’ensemble des structures de la gendarmerie, identifier si les règles administratives sont appliquées, et faire des recommandations.

Enfin, le pôle enquête se compose de deux bureaux, le bureau des enquêtes judiciaires et le bureau des enquêtes administratives, placés sous l’autorité du général Betton, ici présent, officier adjoint chargé de la coordination des enquêtes. Les enquêtes concernent l’ensemble des personnels de la gendarmerie nationale, y compris ceux relevant des formations spécialisées, qu’il s’agisse des militaires, d’active ou de réserve, ou des personnels civils, sur et hors le territoire national. Les conditions de mise en œuvre de l’IGGN diffèrent selon que l’enquête est conduite dans le domaine administratif ou judiciaire. Le bureau des enquêtes administratives, que dirige le colonel Anin, ici présent, m’a secondé pour l’enquête qui a conduit à la rédaction du rapport.

La commission rogatoire délivrée par les juges d’instruction de Toulouse est confiée au bureau des enquêtes judiciaires, dans une co-saisine avec la section de recherche de Toulouse. Ainsi, la co-saisine des deux inspections générales par le ministre relative à l’emploi des grenades a été traitée, au sein de l’IGGN, par un chargé de mission du pôle audit, l’enquête administrative a été traitée par le bureau des enquêtes administratives, et l’enquête judiciaire est en cours de traitement par le bureau des enquêtes judiciaires. Ce dispositif repose sur la totale confiance que les plus hautes autorités doivent avoir dans l’autonomie et l’impartialité de l’IGGN.

J’en viens au rapport. Les travaux de construction de la retenue d’eau de Sivens, dans le Tarn, ont débuté fin août 2014. Avant cette date, l’opposition au projet n’a pas nécessité de recourir à l’emploi de la force. À partir de cette date, la situation évolue défavorablement, de nouvelles formes de résistance apparaissent, et des affrontements d’une rare violence entre forces de l’ordre et opposants ont lieu. Au cours des événements du 26 octobre, un manifestant, Rémi Fraisse, trouve la mort. À cette occasion, l’action de l’État a été mise en cause.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, les conclusions de l’enquête technique ont été remises au ministre de l’Intérieur il y a quelques jours. S’agissant de l’enquête administrative, le ministre a demandé que soient précisées les conditions dans lesquelles les opérations ont été conçues, conduites et réalisées, afin de déterminer si les règles de procédure ont été respectées. Le rapport que j’ai remis ce matin n’aborde pas le volet doctrinal, traité dans le rapport sur l’emploi des grenades ; la DGGN et la direction générale de la police nationale (DGPN) ont déjà mis sur pied le groupe de travail mixte qui doit se pencher sur les propositions du rapport technique.

Une information judiciaire est ouverte depuis le 26 octobre au matin. C’est le parquet spécialisé aux affaires militaires de Toulouse qui est en charge du dossier, et deux juges d’instruction ont été saisis. Une commission rogatoire générale a donc été délivrée, en saisine conjointe, pour l’Inspection générale et la section de recherche de Toulouse. Cette enquête judiciaire est prioritaire dans les investigations par rapport à l’enquête administrative.

Un certain nombre de documents ainsi que les vidéos prises par les unités de gendarmerie ont été saisis dans le cadre de l’information judiciaire, mais, avec l’accord des deux juges d’instruction, l’IGGN a pu travailler sur des copies d’enregistrement. Nous avons également pu travailler sur une grande quantité d’écrits, de documents et de vidéos circulant sur internet. Nous n’avons évidemment pas travaillé sur les auditions judiciaires ; l’IGGN a dû entendre les protagonistes et se faire son intime conviction à partir des informations recueillies au cours de ces auditions.

Le rapport remis aujourd’hui au ministre de l’Intérieur présente, dans une première partie, la situation générale d’ordre public liée au projet de retenue d’eau à Sivens, et illustre la montée en puissance et la radicalisation d’une frange des opposants au projet ; il relate avec le maximum de précision les événements survenus sur le site de Sivens du 24 octobre au soir au 26 octobre. Dans une seconde partie, les faits survenus au cours de la nuit du 25 au 26 octobre sont analysés dans le cadre juridique de l’emploi de la force et de l’usage des armes. Les conditions de la remontée d’informations du terrain vers les plus hautes autorités font également l’objet de développements. Enfin, comme cela était demandé, les comportements individuels des membres des forces de l’ordre susceptibles de porter atteinte à la déontologie ont été analysés. Deux incidents filmés le 7 octobre ont retenu mon attention et font l’objet d’analyses particulières.

La première question portait sur les conditions dans lesquelles les opérations ont été conçues, conduites et exécutées.

L’actuel préfet du Tarn a pris ses fonctions le 1er septembre 2014, soit le premier jour du chantier de déboisement. Le commandant de groupement de gendarmerie du Tarn et le commandant de la compagnie de Gaillac ont été affectés le 1er août. Ces trois responsables ont pu s’appuyer d’emblée sur l’expérience de leurs proches collaborateurs. Pour assurer l’ordre public dans le département en lien avec le projet de retenue d’eau à Sivens, le préfet s’est appuyé sur l’expérience de son directeur de cabinet et sur l’expertise tactique du commandant du groupement 81. Il avait par ailleurs suivi une sorte de stage préparatoire au printemps. La répartition classique des rôles entre l’autorité administrative et le commandant de groupement de gendarmerie s’est mise en place. En particulier, le commandant du groupement ou son second rend compte à l’autorité préfectorale des opérations en cours par échange téléphonique ou SMS.

Dès le 23 août, et jusqu’à la veille de la manifestation du 25 octobre, le directeur de cabinet anime une audioconférence chaque soir vers dix-neuf heures avec les responsables du conseil général, le maître d’ouvrage délégué, la mairie de Lisle-sur-Tarn et le commandant du groupement du Tarn, afin de dresser un bilan quotidien et de décider des opérations du lendemain.

Le collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet a été créé en 2011 par Ben Lefetey et le couple Pince. Les premières occupations du site et des actions en justice apparaissent à compter d’octobre 2013. La situation est gérée par les autorités départementales et locales sans grande difficulté.

Sur le terrain, les premiers affrontements entre gendarmes et contestataires ont lieu, à l’occasion d’expulsions judiciaires, le 27 février et le 16 mai 2014. D’octobre 2013 à l’été 2014, l’opposition au projet est le fait de quelques dizaines de militants écologistes non violents plaçant leur action essentiellement sur le plan juridique, pour obtenir des ordonnances d’expulsion. Les heurts avec les forces de l’ordre se résument à une résistance symbolique qui ne nécessite pas l’emploi de la force ou des munitions spécifiques au maintien de l’ordre.

Une poignée de radicaux regroupés dans un collectif baptisé « Tant qu’il y aura des bouilles » se démarque de la contestation classique. Sous l’impulsion d’anciens « zadistes » de Notre-Dame-des-Landes, ces radicaux créent une « zone à défendre » (ZAD) à la Métairie Neuve.

L’échéance du 1er septembre marque le début du déboisement. Le 25 août, des affrontements violents se déroulent à l’occasion des opérations préalables de prélèvement de la faune et de la flore.

Il apparaît très rapidement aux unités de gendarmerie et aux services de renseignement que les opposants violents ont adopté une stratégie de harcèlement quotidien des forces de l’ordre, des élus locaux, des fonctionnaires et des entreprises. Cette radicalisation impose d’engager quotidiennement, au cours du mois de septembre, une à deux unités mobiles, renforcées par des moyens spécialisés pour déloger les manifestants installés dans les arbres. Cette contestation se traduit également par une augmentation du nombre d’opposants interpellés pour des faits de violences, dégradations ou vols : d’août à octobre, soixante-deux interpellations ont lieu.

La tactique des radicaux chevronnés est rapidement mise en évidence : les plus violents viennent au contact des gendarmes mobiles et les harcèlent, puis, dès que ceux-ci réagissent pour sécuriser le chantier et ses ouvriers, les meneurs se retirent et mettent en avant les « non-violents » – écologistes, clowns, badauds... –, qui s’interposent entre les forces de l’ordre et les radicaux.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous allons, mon général, devoir nous rendre dans l’hémicycle pour quelques minutes à l’occasion d’un vote. Je vous présente mes excuses et vous propose de poursuivre votre exposé au terme de la suspension.

La séance, suspendue à 17 heures 20, est reprise à 17 heures 35.

Général Pierre Renault. Les opposants adoptent également une stratégie de communication, avec des comportements très sélectifs vis-à-vis des médias, et des pressions sur les journalistes qui essaient de tourner des films. Ils filment eux-mêmes leurs actions en tâchant de mettre en évidence des réactions disproportionnées des forces de l’ordre et des violences illégitimes. Le tout est encadré par une legal team qui assure le conseil juridique et conduit des actions en justice. On trouvera sur le site de Sivens, à l’occasion d’une opération, un kit judiciaire appelé « Kit de l’autodéfense juridique et médicale pour les manifestants et les activistes ». De même, sera découvert et saisi un kit pour la fabrication d’engins explosifs et incendiaires.

Après la fin du défrichage de la zone de Sivens début octobre, le chantier marque une pause, qui se traduit par une accalmie au plan de l’ordre public. C’est dans ce contexte qu’une manifestation de grande ampleur est annoncée pour le 25 octobre, date anniversaire de la création de la ZAD du Testet, et déclarée en mairie de Lisle-sur-Tarn.

Dans un souci d’apaisement, le préfet décide de ne pas s’opposer à la tenue de cette manifestation pacifique. Le directeur de cabinet organise les réunions en ce sens, avec les différents responsables, y compris les organisateurs du rassemblement. Il s’agira de prévoir un dispositif, le plus discret possible, pour éviter que les choses ne s’enveniment. La manifestation est organisée à un kilomètre et demi du chantier, et il est convenu avec les organisateurs que le cortège ne doit pas s’approcher à moins de 500 mètres. L’analyse des directives et des différents comptes rendus de réunion que l’IGGN a eu en sa possession met en évidence, je le répète, un souci d’apaisement, et la préoccupation que la manifestation anniversaire se passe dans les meilleures conditions.

Dans ce contexte, les unités de forces mobiles accordées en renfort à la demande du préfet reçoivent pour mission de se tenir en réserve d’intervention aux abords de la zone de Sivens, hors de la vue des manifestants. La lettre du préfet au directeur de cabinet du ministre, en date du 24 octobre, évoque clairement la mission de sécurisation de la base vie confiée à la gendarmerie, en soutien, si nécessaire, des vigiles.

Les choses vont s’envenimer à partir du 24 octobre au soir. Le site est protégé par trois vigiles qui, peu après minuit, appellent au secours car ils sont agressés par des manifestants radicaux s’employant par ailleurs à détruire les installations du site. Les gendarmes mobiles interviennent sur instruction du commandant de groupement pour dégager le site : trois pelotons se heurtent à quelque 150 manifestants violents, subissant jets de cailloux et de cocktails incendiaires, et tirs de mortiers artisanaux. Au cours de cet affrontement, 150 grenades et munitions sont utilisées, dont dix-sept grenades offensives.

L’après-midi du 25 octobre, date de la manifestation, le cortège outrepasse la ligne des 500 mètres convenue avec les autorités et se rapproche au contact des forces de l’ordre. Des affrontements ont lieu, au cours desquels six CRS sont blessés, dont deux très gravement.

Ces événements modifient la perception des enjeux. Les responsables locaux décident de protéger la base vie du chantier jusqu’au lundi 27 au matin par une présence permanente des forces de l’ordre. J’ai retenu les raisons suivantes. Premièrement, la protection du site ne peut être assurée par les vigiles seuls en cas d’agression. Deuxièmement, les organisateurs de la manifestation seront vraisemblablement incapables de tenir leurs engagements de maintenir les opposants à l’écart du site. Troisièmement, la présence d’un escadron sur la zone permet de s’interposer en cas d’affrontement entre riverains – des agriculteurs favorables au projet – et manifestants. Quatrièmement, enfin, cette présence permet de faciliter la reprise des travaux le lundi matin. L’expérience a en effet prouvé que, si les opposants les plus déterminés occupent le site, ils pourront le condamner et le piéger, ainsi que ses accès, ce qui conduirait les autorités à devoir mener, le lundi matin, des opérations de grande envergure pour dégager les axes routiers et reprendre le contrôle du site – vous trouverez dans le rapport, en annexe 3, des photos des moyens de piégeage découverts lors des différentes opérations. Ces opérations de reprise et de contrôle du site comporteraient un risque important d’incidents mettant en jeu la sécurité des gendarmes et des manifestants. Ce nouveau plan est conçu par le directeur de cabinet et le commandant de groupement de gendarmerie, et validé par le préfet le 25 octobre.

La chronologie des événements de la nuit du 25 au 26 octobre développée ci-après est fondée sur les entretiens menés par les enquêteurs, l’exploitation des films enregistrés par l’escadron de La Réole et la retranscription des enregistrements audio des échanges téléphoniques avec le centre opérationnel. La presse a souvent fait allusion à des journaux de marche et d’opération rédigés par la gendarmerie mobile ou la gendarmerie départementale. L’IGGN a pris comme référence la chronologie qui ressort des enregistrements sonores effectués en temps réel au niveau du centre d’opérations et de renseignement du Tarn, à Albi. Ces pièces sont également versées au dossier de l’enquête judiciaire. Elles n’appellent pas de commentaires, contrairement à des écrits parfois sibyllins, voire faux.

Le 25 octobre, à minuit, a lieu une relève d’escadron sur la base vie du chantier. L’escadron qui prend la relève a un effectif de soixante-douze gendarmes mobiles ; c’est, me semble-t-il, l’effectif minimum pour ce type de mission. L’escadron reçoit ses ordres du lieutenant-colonel commandant le groupement tactique, qui l’informe des affrontements de l’après-midi.

À partir de minuit vingt-cinq, de cinquante à soixante-dix manifestants commencent à lancer des projectiles, au plus près, en profitant de l’obscurité. Dans son audition par l’IGGN, le commandant de l’escadron de La Réole indique que le niveau de violence s’accroît très rapidement. Le commandant du groupement tactique temporise aussi longtemps que possible avant de faire les premiers avertissements, vers minuit trente-cinq. Comme le prévoit la doctrine, il retarde l’usage des armes autant que le permettent la sécurité des gendarmes et sa capacité à tenir le terrain.

À minuit quarante-neuf, considérant l’escalade des moyens employés par les opposants – cailloux, puis cocktails incendiaires et fusées de détresse en tir tendu –, le commandant du groupement tactique donne l’ordre de tirer les premières grenades lacrymogènes, et en rend compte au centre opérationnel. Il constate rapidement que ces tirs ne permettent pas de repousser les opposants, qui se sont prémunis contre les gaz.

À une heure trois, sous la menace des projectiles divers lancés sur les gendarmes mobiles, il donne l’ordre d’utiliser des grenades F4 – mixtes lacrymogènes-effet de souffle – et offensives – effet de souffle. Cette nuit-là, l’escadron tire 237 grenades lacrymogènes, 38 grenades F4 et 23 grenades offensives.

Vers une heure quarante, les manifestants reçoivent des renforts arrivant par le chemin départemental 32, sans doute en provenance de la rave party organisée à la Métairie Neuve, située à un kilomètre et demi. L’évaluation du nombre de personnes est rendue difficile par l’obscurité – éclairée seulement par quelques projecteurs et les phares des véhicules de la gendarmerie, ainsi que par les feux allumés ici et là par les manifestants – et leur dissémination sur le terrain. Les tentatives de débordement se précisent : à ce stade, du côté du ruisseau l²e Tescou, le dispositif est protégé par un groupe de huit gendarmes mobiles.

Selon ses déclarations, le chef qui a lancé la grenade offensive ayant atteint Rémi Fraisse n’en a lancé qu’une seule dans la soirée, utilisant plutôt le lanceur de balles de défense (LBD) à sa disposition. Avant de lancer sa grenade, il demande l’autorisation à son commandant de peloton, qui la lui accorde, compte tenu de la situation, à savoir qu’un groupe de manifestants s’approche de leur position et que les gendarmes sont vraisemblablement en infériorité numérique. Le chef se retire quelques instants pour utiliser des jumelles à intensification de lumière, de façon à voir le terrain en face de lui et positionner le mieux possible les manifestants. Après ce repérage, il adresse à haute voix un avertissement aux manifestants hostiles, puis lance sa grenade dans le secteur préalablement identifié et réputé inoccupé. Ayant devant lui un grillage d’une hauteur de 1,80 mètre, il lance la grenade avec un mouvement de bras parabolique, ou en cloche.

Dans son audition, le commandant du peloton Charlie dit ne pas avoir suivi la trajectoire de la grenade mais que, après la détonation, il aperçoit un manifestant tomber au sol. Il n’est pas en mesure de faire la relation entre les deux situations.

Les auditions des personnels du peloton Charlie indiquent qu’au bout de quelques instants, un gendarme signale une masse sombre à terre. À l’aide d’une lampe individuelle, puis d’un projecteur, la personne est repérée. Le fait qu’une personne se trouve au sol peut donner lieu à trois hypothèses : cette personne a été victime soit d’une munition des forces de l’ordre, soit d’un projectile lancé par les manifestants, soit d’un malaise. Cette dernière hypothèse est très vite écartée puisque, lorsque la personne est récupérée, le secouriste de la gendarmerie qui prodigue les premiers soins constate l’hémorragie et le décès très rapide.

L’information est donnée à l’autorité préfectorale, puis transmise, à deux heures et deux heures quarante-deux, à l’autorité judiciaire. Une enquête judiciaire est aussitôt ouverte. Des enquêteurs sont envoyés sur le terrain et, dès que les personnels de la gendarmerie mobile sont disponibles après leur désengagement, ils sont entendus. Les informations qui sont remontées à ce stade ne sont pas des plus précises : le renseignement d’alerte informant qu’un incident gravissime est survenu a été donné, mais ce n’est qu’une fois les informations confirmées qu’elles peuvent être communiquées. Pour illustrer mon propos, vous avez en tête l’affaire du « félin », il y a quelques jours, dans un département voisin : vous imaginez l’effet dévastateur d’une fausse information dans cette affaire qui a occupé la France entière toute une journée. Imaginez, de même, l’effet que pourrait avoir l’information qu’un manifestant a été tué par une grenade offensive sans que cette information soit recoupée et confirmée !

Je présenterai à présent les conclusions du rapport. Le commandant du groupement tactique engagé cette nuit a-t-il respecté les règles en vigueur en matière d’usage de la force ? La réponse est oui. Certes, l’autorité civile n’était pas strictement représentée sur le terrain, mais le code de la sécurité intérieure prévoit deux cas d’exception, dont le cas présent, à savoir que le commandant défendait l’exécution de sa mission sous l’urgence et la pression, en faisant preuve d’initiative.

Une seconde question porte sur les conditions dans lesquelles la grenade offensive a été utilisée. Le cadre légal et les règles déontologiques en vigueur dans la gendarmerie mettent en avant le respect de la vie humaine. Il est particulièrement difficile de viser de nuit un point précis à une quinzaine de mètres par un lancer à trajectoire courbe. L’autorisation de recourir à l’emploi des grenades offensives a été accordée par le commandant de la force, et le commandant de peloton a confirmé l’ordre et l’autorisation. La décision de lancer la grenade est prise après que la zone a été reconnue grâce à un appareil d’intensification de lumière, pour vérifier que personne ne s’y trouvait. Enfin, les avertissements réglementaires préalables au lancer ont été faits.

Je conclus donc qu’en l’état des informations recueillies au cours de cette enquête, au plan strictement administratif, je ne dispose pas d’éléments permettant de caractériser une faute professionnelle. Il reviendra à l’enquête judiciaire de déterminer le degré de responsabilité imputable au lanceur.

En ce qui concerne l’assistance aux personnes pendant les opérations, je rappelle que le maintien de l’ordre consiste d’abord à éviter des blessures et des morts, des deux côtés, manifestants et forces de l’ordre, ce qui revient à éviter autant que possible les contacts physiques. Dans la nuit du 25 au 26 octobre, ces contacts ont été évités. L’escadron était chargé d’une mission complexe. Il devait tenir un périmètre, dans l’obscurité, sans possibilité de manœuvre. Ce sont les manifestants qui avaient la capacité de manœuvrer autour du périmètre.

Dès lors qu’une personne est aperçue au sol, la déontologie impose de lui porter assistance dans la mesure du possible. Une première manifestante a ainsi été récupérée, après un tir de LBD : après l’avoir transportée à l’intérieur du périmètre, les gendarmes ont vu qu’elle n’était pas blessée. Dans le cas de Rémi Fraisse, dès lors que son corps a été aperçu au sol, une manœuvre a été conduite, sous les jets de projectiles des manifestants, pour le récupérer.

S’agissant de l’information des autorités compétentes, la permanence du parquet d’Albi a été informée à deux heures et deux heures quarante-deux, et l’autorité administrative à deux heures huit. Le centre de renseignement de la gendarmerie à Paris a été informé à deux heures une. Ces autorités ont ainsi reçu au plus tôt le premier renseignement permettant de qualifier une situation grave, mais sans détails qui auraient pu s’avérer faux. Dans le rapport, je cite le cas d’un appel téléphonique du centre opérationnel d’un autre ministère qui relaie de fausses informations.

Mon analyse est la suivante. Une fois constatée la mort de Rémi Fraisse, deux hypothèses se présentent : ou bien il a été tué par une munition des forces de l’ordre, ou bien par un projectile lancé par des manifestants. Les pompiers interviennent très rapidement sur le site, accompagnés d’un médecin légiste de l’hôpital d’Albi. Ce dernier ne signe pas de certificat de décès, la cause étant inconnue, mais dès ce moment la nature même de la blessure suscite de multiples interrogations. Le corps est transporté à Rabastens, pour un deuxième examen médico-légal par le même médecin, dans un contexte plus favorable, à l’intérieur des locaux des pompes funèbres. À l’issue de ce deuxième examen, les mêmes interrogations subsistent : il n’est pas possible de déterminer l’objet ou la munition qui a provoqué la blessure. Le doute ne sera pas levé par l’autopsie, qui a lieu à Toulouse, et ce ne sont que les résultats des échantillons transmis au laboratoire interrégional de police scientifique (LIPS) de Toulouse, le mardi, qui permettront d’affirmer que la blessure ne comporte la trace d’aucune autre substance que le TNT : c’est cette information qui permet au procureur de la République d’affirmer que la mort est imputable à une grenade offensive, venue se ficher à la base de la nuque de Rémi Fraisse, où elle a provoqué une rupture de la colonne vertébrale. L’état du sac de Rémi Fraisse, particulièrement déchiqueté, avait également suscité des interrogations ; je pourrai y revenir.

S’agissant des autres comportements qui auraient pu être contraires à la déontologie, j’ai pris le parti de visionner tous les films mis en circulation par les manifestants sur internet, et j’ai retenu deux situations. La première est survenue le 7 octobre 2014 au matin, lors d’une vague de refoulement : trois gendarmes du peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) de Gaillac, dont un gradé, commettent des actes interdits, à savoir qu’ils frappent un manifestant de plusieurs coups de pied et d’un coup de tonfa dans le sac à dos. Dès que l’officier qui commande la vague de refoulement découvre la scène, il y met fin immédiatement ; les rappels déontologiques sont faits. Le lendemain matin, le gradé qui a donné des coups de pied dans le sac se dénonce ; il est convoqué par le commandant de groupement, qui le rappelle à l’ordre et lui adresse les admonestations et réprimandes nécessaires.

Sur ces faits, je conclus que ce gradé a commis une faute professionnelle mais que, compte tenu du contexte – ces PSIG, qui ne sont pas des unités de maintien de l’ordre, ont été employés à dix-sept reprises pour compenser l’absence de telles unités, dans des opérations de refoulement ou d’évacuation –, considérant que la pression ainsi exercée sur ces unités, qui continuaient d’assurer parallèlement leurs missions habituelles de lutte contre la délinquance, était très forte, et considérant par ailleurs l’absence d’ITT et de plainte, cette faute professionnelle doit être appréciée par les autorités de façon clémente.

S’agissant, ensuite, des faits les plus graves, à savoir de l’affaire de la caravane, nous avons visionné l’extrait vidéo image par image. On voit un gendarme de face depuis la fenêtre d’une caravane. Un dialogue a été engagé entre lui et les occupants de la caravane : il s’agit manifestement de faire sortir ces derniers. Le gendarme disparaît du champ, un éclair jaune – une explosion – a lieu dans la caravane, la femme, qui s’était penchée juste auparavant, se relève, portant à la main droite les stigmates d’une blessure, qui me semblent assez comparables aux images montrées par BFMTV le 26 octobre. Le gendarme n’a pas été capable, au cours des auditions, de m’indiquer les raisons pour lesquelles il a utilisé une grenade de désencerclement, dont l’emploi, correspondant à un certain degré de violence, est strictement encadré par la loi. Comme il ne peut me donner d’explication claire, je considère qu’il a commis une faute professionnelle grave. Il reviendra à l’enquête judiciaire, la personne blessée ayant indiqué qu’elle porterait plainte, de déterminer exactement ce qui s’est passé, en demandant éventuellement des expertises pour examiner si les blessures à la main sont dues à l’explosion. Concluant, au plan administratif, à l’utilisation d’une grenade de désencerclement en dehors des cas prévus par les lois et règlements, je propose que ce gendarme soit puni pour ces faits, et je renvoie aux conclusions de l’enquête judiciaire.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci, mon général. Je donne la parole à nos collègues pour vous poser leurs questions.

M. Sébastien Pietrasanta. La mort d’un jeune lors d’une intervention des forces de l’ordre est toujours une épreuve pour notre République, et le rapport que vous venez de nous présenter était particulièrement attendu. Après sa lecture attentive, je souhaite réaffirmer mon soutien et mon respect aux gendarmes, qui exercent une mission quotidienne particulièrement difficile. Je tiens de même à apporter mon soutien au ministre de l’Intérieur, injustement mis en cause.

Vous concluez que l’enquête administrative ne fait pas ressortir de manquement aux règles juridiques et déontologiques. L’information judiciaire en cours déterminera les responsabilités dans la mort de Rémi Fraisse.

En lisant votre rapport, j’ai également été frappé par la violence de certains protagonistes, qui pourraient être qualifiés d’« écoterroristes ». Je ne parle pas, bien sûr, des manifestants pacifiques, mais de ceux qui ont utilisé des armes et des méthodes de guérilla contre la République. Page 5, vous faites référence à des mortiers, des bouteilles d’acide, des piégeages de barricades, des herses artisanales. Page 6, vous écrivez qu’un guide expliquant les modalités de fabrication et d’utilisation d’engins explosifs et incendiaires a été découvert. Vous évoquez également de multiples agressions de journalistes, avec la volonté de contrôler les images et l’information. Page 7, vous évoquez treize agressions physiques contre les forces de l’ordre, auxquelles s’ajoutent celles à l’encontre des vigiles le 25 octobre ; page 10, le tir d’une fusée contre un hélicoptère de la gendarmerie. Ces multiples exemples montrent que les forces de l’ordre ont dû faire face à une contestation violente sans précédent ; le but n’était pas seulement de bloquer les travaux, mais aussi de tuer des « flics », comme en attestent les photos. Ce terrorisme n’est pas acceptable et contribue à discréditer les opposants pacifiques.

Mes questions sont simples. En quoi ce mouvement « zadiste » a-t-il été plus violent qu’à Notre-Dame-des-Landes ? Quelles sont les méthodes communes aux deux mouvements ? Combien de personnes ont participé à la fois à l’un et à l’autre ? Enfin, faut-il s’attendre à ce genre de violences sur chaque grand chantier ?

M. Jacques Valax. J’invite nos collègues à se reporter aux photos du rapport, pour qu’ils se rendent compte de la réalité de la situation sur ce site, que les élus du Tarn connaissent bien.

Il faut faire preuve de retenue et éviter de contribuer à radicaliser les positions. La mémoire de Rémi Fraisse doit être respectée, de même que le travail et le calme des gendarmes présents sur le terrain.

On a beaucoup glosé sur la présence des gendarmes sur le site, en allant jusqu’à considérer qu’ils n’avaient aucune raison d’être là. Or vous avez rappelé les raisons pour lesquelles il était apparu nécessaire qu’ils soient présents. Les vigiles devaient être protégés. Par ailleurs, les manifestants étaient livrés à eux-mêmes, il n’y avait aucune possibilité de faire appel à des organisateurs pour maîtriser ce flot devenu impétueux. Vous avez en outre évoqué la nécessaire protection des populations, et des « zadistes » eux-mêmes, certains riverains criant vengeance et souhaitant intervenir. Enfin, la nécessaire reprise des travaux, lesquels ont été actés, et il ne s’agit pas de revenir sur un dossier légal et légitime, requérait une présence des forces de l’ordre pour éviter le piégeage du site. Les photos montrent les pièges qui avaient déjà été posés ici et là. Un paisible promeneur a ainsi dû être hospitalisé à cause d’un piège posé sur le chemin de randonnée où il marche régulièrement.

Le mois d’août, vous le soulignez, a été caractérisé par une rupture dans les modes d’action des opposants, en raison de l’échéance du 1er septembre, jour où les travaux ont commencé. Vous évoquez une radicalisation : pouvez-vous en préciser les modalités ? Le niveau de violence dépasse, écrivez-vous, celui de Notre-Dame-des-Landes, notamment en raison de la sophistication des moyens. Vous rappelez les onze blessés chez les gendarmes, les nombreuses plaintes qui n’ont pas abouti. À la suite d’une agression au sein du conseil général, en un autre lieu, un policier a eu le nez cassé : comme il ne portait pas de brassard, son agresseur a été relaxé par la justice. Sans doute est-ce conforme au droit, mais cela peut susciter une certaine incompréhension.

Je vous demanderais, pour faire taire les insupportables rumeurs, de confirmer ces éléments qui montrent que, si la contestation devait perdurer, notre système républicain serait en danger. Comment pouvons-nous sortir de cette situation ?

M. Christian Assaf. Dans un article en date du 26 octobre, Mediapart affirme qu’il n’y a « aucun blessé chez les gendarmes mobiles, suréquipés et surentraînés, malgré la violence des assauts subis et le nombre de projectiles reçus entre minuit et trois heures du matin ». Qu’en est-il exactement ? Par ailleurs, vous écrivez que les violences à Sivens ont été plus intenses qu’à Notre-Dame-des-Landes. Qu’est-ce qui vous permet de tirer de telles conclusions ?

M. Noël Mamère. Je m’abstiendrai de toute polémique avec mes collègues. Mon général, il nous a été difficile de lire votre rapport, qui nous a été remis cet après-midi. L’un d’entre nous vous a demandé comment éviter que de telles situations ne se reproduisent. Ce n’est pas à un général de gendarmerie de répondre à cette question, mais au législateur, qui doit réformer les enquêtes d’utilité publique et les procédures d’aménagement du territoire, en y associant davantage les citoyens. Ceux-ci rejettent les projets sur lesquels on ne les a pas assez consultés, comme celui de Center Parcs à Roybon, dans l’Isère.

Il n’est pas question, pour l’écologiste que je suis, de remettre en cause le rôle des forces de l’ordre, garantes de l’ordre républicain. Cependant, j’ai du mal à cautionner ce que vous avez dit sur le changement de mentalité qui serait intervenu au cours de l’année 2014. J’ai passé la journée du 20 octobre sur le territoire occupé par ceux que l’on nomme les « zadistes ». Les Français, qui ont appris récemment le sens de ce mot, savent que ceux qui sont installés sur le site de Sivens ou de Notre-Dame-des-Landes ne sont, dans leur grande majorité, ni des casseurs ni des voyous ni des « écoterroristes », mais des jeunes gens attachés à certaines valeurs.

Sur le terrain, j’ai constaté une tension extrême. Des jeunes ont expliqué qu’ils avaient été « visités » à douze reprises par les forces de l’ordre, qui les avaient molestés et avaient brûlé toutes leurs affaires, preuve que le harcèlement n’était pas à sens unique. Le soir, Mme Duflot et moi-même avons rencontré le préfet. Du fait de notre présence, celui-ci a enfin reçu Ben Lefetey, porte-parole des opposants, qui lui demandait vainement un rendez-vous depuis le 1er septembre. Cinq jours avant le drame, il était bien tard pour fixer la ligne à tenir avec ceux qui étaient chargés d’encadrer les manifestations !

Je me contenterai de trois questions. Le 25 octobre, pourquoi les forces de l’ordre étaient-elles présentes sur un terrain privé, alors que, dans notre République, c’est sur le domaine public que s’exerce le maintien de l’ordre ? Quelle autorité civile a procédé aux sommations, puisque ni le préfet ni le commandant de groupement n’étaient sur place ? Enfin, Le Monde, généralement considéré comme un journal sérieux, a publié le procès-verbal d’un gendarme qui disait avoir reçu des consignes d’extrême sévérité. Avez-vous vérifié que de ces consignes avaient été données, sachant que les autorités administratives et politiques n’ont jamais fait état que de consignes d’apaisement ?

La mort de Rémi Fraisse est un drame hors du commun. Le dernier décès, dans un combat du même type, est celui non de Malik Oussekine mais de Vital Michalon, en 1977, sur le futur site de la centrale de Creys-Malville. Il serait irresponsable, voire dangereux, de jeter de l’huile sur le feu en identifiant à des « écoterroristes » les défenseurs d’une certaine forme d’aménagement du territoire, du développement durable et de la protection de la biodiversité.

Dans ce genre d’événement, il existe toujours une minorité de casseurs, dont nous avons dénoncé la présence dès la première heure. Ils étaient également présents à la Manif pour tous, en janvier dernier, mais nul ne les accusait de terrorisme. Des collègues, usant d’une image plus que douteuse, nous ont expliqué, à l’époque, que les forces de l’ordre avaient osé « gazer des enfants ». Sachons raison garder !

Notre pays doit réformer les méthodes d’enquête d’utilité publique et de consultation sur l’aménagement du territoire. Il doit se demander, parce que c’est nécessaire – il ne s’agit pas d’une attaque contre les forces de l’ordre – de quel type d’armes celles-ci doivent disposer. La plupart des pays voisins du nôtre ne recourent pas aux grenades offensives, contenant du TNT, qui ont été utilisées pendant la guerre de 1914-1918. Nous devons aussi nous interroger sur l’usage de tasers ou de flashballs. Peut-être créerons-nous demain une commission d’enquête qui pourra se pencher sur le sujet.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je ne sais si je dois remercier le président Urvoas d’avoir convoqué rapidement notre Commission ou regretter la rapidité de cette convocation. Quoi qu’il en soit, je suis heureux que nous puissions examiner le rapport du général Renault.

M. Mamère s’étant abstenu de toute polémique, je vais l’imiter… Je respecte ceux qui défendent sincèrement une cause qui leur est chère, mais, à Sivens, la manière dont les éléments les plus radicaux, passant à l’arrière lors des affrontements, poussent en avant les moins actifs témoigne d’une couardise abjecte. La coexistence de ces deux types d’opposants fait partie des problèmes que les forces de l’ordre ont eu à régler.

Comme M. Valax, j’ai regardé les photos du rapport. Les instruments fabriqués de manière artisanale témoignent d’une certaine ingéniosité et prouvent la préparation, voire la préméditation. Les pièges sont destinés à faire mal et même plus que cela, comme le montre la taille des clous. Le général Renault a parlé d’affrontement direct, de rare violence, de harcèlement, d’agression, de destruction. Il a fait état de soixante-deux interpellations, ce qui n’est tout de même pas rien.

Il est heureux pour l’ordre public et pour la santé de notre République que la commission des Lois puisse, en présence du chef de l’Inspection générale de la gendarmerie, examiner un rapport reconnaissant que certains hommes ont commis des fautes, pour lesquelles ils seront sanctionnés. C’est le signe que la justice fonctionne, malgré des événements qui nous désolent.

Le général Renault n’estime pas qu’une faute professionnelle ait causé la mort de Rémi Fraisse, dont je salue la mémoire. Je reçois cette thèse. Je me demande cependant pourquoi, à Notre-Dame-des-Landes comme dans le Tarn, certains peuvent affronter les forces de l’ordre pendant des mois, voire des années, par des moyens qui relèvent pratiquement de la guérilla, sans qu’on cherche jamais à les évacuer. Sachant que la durée de leur présence accroissait les tensions, pourquoi la gendarmerie, qui aurait fait circuler tout campeur sauvage, les a-t-elle laissés aussi longtemps sur place ? A-t-on envisagé une évacuation générale du site ? Si tel est le cas, pourquoi celle-ci n’a-t-elle pas été ordonnée ?

M. Hugues Fourage. La rapidité avec laquelle cette réunion a été organisée me semble bienvenue, car ce n’est pas à travers les seuls médias que les élus de la nation doivent se faire une opinion. J’apprécie que le rapport nous soit envoyé tout de suite et que nous entendions aussitôt le général Renault.

J’ai été impressionné en voyant les armes par destination que possédaient les opposants. Comme M. Poisson, je trouve inadmissible que l’État de droit ne soit pas maintenu dans certaines zones, que ce soit dans le Tarn ou à Notre-Dame-des-Landes.

À mon tour, j’apporte mon soutien aux gendarmes. Il est bon que le général Renault ait visionné d’autres séquences que celles des 25 et 26 octobre et qu’il formule un jugement contrasté : tantôt le travail a été bien fait, tantôt ce n’a pas été le cas, tantôt il y a eu faute. La méthode de l’Inspection générale consiste à objectiver les faits, ce dont nous devons tenir compte pour apprécier le contenu du rapport.

Certains d’entre nous ont mis trop rapidement en cause le ministre. Il n’est jamais bon de parler sans savoir. Le 10 novembre, Mediapart a publié un article intitulé « Sivens : la faute des gendarmes, le mensonge de l’État ». Il commençait par ces mots : « L’État l’a su immédiatement et l’a caché : c’est bien une grenade offensive qui a tué sur le coup dans la nuit du 25 au 26 octobre Rémi Fraisse. […] Le Gouvernement a tenté durant quarante-huit heures de brouiller les pistes. » Confirmez-vous que celui-ci ne pouvait pas connaître la cause de la mort de Rémi Fraisse ?

Certains articles ont évoqué l’équipement des gendarmes qui, dans la nuit du 25 au 26 octobre, ont résisté plusieurs heures sans essuyer aucun dommage de la part des manifestants. Toujours selon Mediapart, les forces de l’ordre auraient jeté 400 grenades pendant la nuit. Confirmez-vous ce chiffre, qui me laisse perplexe ?

Présidence de M. Dominique Raimbourg, vice-président de la Commission

M. Guillaume Larrivé. Je concentrerai mon propos sur la gestion opérationnelle des événements survenus dans la nuit du 25 octobre, sans porter d’appréciation sur la manière dont le Gouvernement, c’est-à-dire l’autorité politique, a appréhendé le dossier au fil des mois.

Dans une opération de maintien de l’ordre, la mort d’une personne est un échec, en même temps qu’une tragédie, mais, au-delà de l’émotion légitime, il importe de comprendre les faits. Le rapport est transparent, public et documenté. Il impute la mort de Rémi Fraisse aux effets d’une grenade offensive en dotation dans la gendarmerie mobile. L’information avait été délivrée par le parquet lors d’une conférence de presse.

Sur le fond, j’apporte mon soutien aux militaires de la gendarmerie nationale, qui sont intervenus dans des conditions extrêmement difficiles. Les photos le montrent. Ils ont fait face à des manifestants déterminés à les atteindre physiquement, dans des conditions de harcèlement, par des engins explosifs et des projectiles incendiaires, équipement dont on use dans une guérilla.

En conscience, je n’ai aucun reproche à adresser aux militaires de la gendarmerie nationale présents sur le site dans la nuit du 25 au 26 octobre. J’en conclus, en m’adressant à M. Mamère et à ceux qui soutiendront demain la création d’une commission d’enquête sur ces faits, que l’Assemblée nationale n’a pas à instruire un mauvais procès – un faux procès – contre des militaires qui, dans des conditions difficiles, se sont efforcés de faire leur devoir au service de la République.

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, je vous remercie de m’accueillir dans votre Commission, moi qui suis membre de la commission de la Défense. Les propos de M. Mamère sur la légalité démocratique des élus m’ont surpris. On peut penser ce qu’on veut du barrage de Sivens, mais ce projet a été soutenu par des élus au terme d’un processus régulier et démocratique.

Rémi Fraisse, tué par une grenade offensive, est avant tout victime des casseurs, professionnels ou non, qui se sont servis de lui comme d’un bouclier humain, alors qu’il sortait d’une rave party.

Je rends hommage aux gendarmes, particulièrement à ceux du PSIG de Gaillac et du département du Tarn, mobilisés pour des actions qui dépassent le cadre normal de leurs interventions. Arrivé le 1er septembre, le préfet s’est retrouvé lui aussi dans une situation difficile. Tous nos collègues ont été choqués par les photos du rapport, mais les élus du Tarn, comme M. Valax et moi-même, connaissaient déjà la situation. Pour avoir entendu de nombreux témoignages, nous savons à quelles méthodes recourent les écoterroristes – que l’on peut aussi considérer comme des casseurs professionnels, puisqu’ils sont capables de s’installer pendant des mois sur un site afin d’y défier les forces de l’ordre.

Confirmez-vous, comme l’affirme la presse locale, que ceux-ci ont utilisé des engins explosifs qu’on ne trouve nulle part en Europe sinon en Irlande du Nord ? Pourquoi le rapport ne signale-t-il pas les vols ou les dégradations dont les riverains ont été victimes ? Un chef d’entreprise a été intimidé chez lui, parce que son entreprise travaillait sur le chantier. Des manifestations très violentes ont éclaté, après le 25 octobre, à Gaillac et à Albi, qui ont donné lieu à un déchaînement de violence inacceptable. Actuellement, il existe, au cœur de la République, une zone de non-droit, à laquelle on ne peut accéder qu’en se soumettant à des contrôles d’identité établis par des milices privées. Quel jugement portez-vous sur cette situation ? Que faire pour que l’État de droit retrouve ses prérogatives ?

M. Jean-Paul Bacquet. Je remercie le président de la Commission de nous avoir immédiatement communiqué le rapport d’inspection et le général Renault de se présenter dès aujourd’hui devant nous. Face à un événement dramatique, il faut distinguer les faits et leur analyse ou leur interprétation.

Commençons par les faits. Il existe deux types de manifestants. Les uns sont pacifiques. Les autres, casseurs organisés, disposent d’un matériel de guerre. Ils s’équipent à la lisière du bois avant d’aller au combat, terme que M. Mamère a utilisé lui-même, car il ne s’agit plus de manifestation. Ce combat armé n’a rien d’improvisé : il a été manifestement précédé d’une formation, ce qui est inquiétant pour notre démocratie.

Le rapport signale que le directeur général de la gendarmerie nationale et le ministre ont donné des directives d’apaisement. Le cadre dans lequel il a été fait usage de la force et des armes est conforme aux prescriptions légales et réglementaires. Il n’y a donc pas eu faute. Toutefois, il ne faut pas se limiter à l’événement, même s’il est dramatique. L’opération a été lancée il y a longtemps. La tension est montée progressivement. Certains étaient là pour casser du gendarme par tous les moyens. Les photos du rapport, sur lesquelles on voit des fossés et des piques hérissées, évoquent des situations de guerre.

Passons à l’analyse et à l’interprétation. Je me félicite que le ministre et le directeur général de la gendarmerie nationale aient évité le piège des interprétations hâtives, démagogiques, circonstancielles, partisanes et toujours infondées. Je me souviens, dans une période qui n’est pas si ancienne, d’un ministre de l’Intérieur qui, alors que le corps des victimes était encore tiède, allait sur les plateaux de télévision donner son interprétation des faits, que l’analyse démentait par la suite.

Certains ont déclaré que le ministre de l’Intérieur avait fait de « très lourdes fautes qui le laissent au bord de la déraison », alors qu’ils ne disposaient pas de l’information exacte, que vous nous avez révélée. Ils ont affirmé qu’il avait « lourdement failli », ont critiqué son « manque d’empathie ». On lui a reproché de ne pas analyser ses erreurs, mais aucune erreur ne semble avoir été commise. D’autres ont parlé d’une « tache indélébile sur le quinquennat » et d’un « scandale absolu ». Face à cette récupération démagogique et partisane, je me réjouis que le ministre, gardant son sang-froid, ait refusé les réactions émotionnelles et l’empathie circonstancielle.

L’ancien ministre de l’Intérieur et le collaborateur d’un ancien ministre de l’Intérieur qui siègent dans cette Commission savent que le silence vaut mieux que la communication outrancière. Mon général, je n’ai qu’une question à vous poser, mais je crains que l’obligation de réserve à laquelle vous êtes soumis ne vous interdise d’y répondre : notre démocratie est-elle encore capable d’assurer l’ordre public partout ? Je regrette que certains – même parmi les élus – confondent les manifestants et les casseurs. Comme M. Larrivé, je vous fais part du profond respect que j’éprouve pour la gendarmerie, à laquelle je tiens à rendre hommage. Étant fils de gendarme, je suis fier qu’elle ait œuvré au respect de la démocratie et qu’elle ait prouvé le bon fonctionnement de nos institutions.

M. Jean-Michel Clément. Certains « zadistes » et – à mon regret – certains parlementaires, notamment écologistes, ont remis en cause la présence des forces de l’ordre sur le site. À les entendre, la gendarmerie n’était mue que par le désir d’en découdre, hypothèse qui, au vu des photos, paraît pour le moins singulière. Considérez-vous que, sur le site de Sivens, la présence des forces de l’ordre était légitime ?

Général Pierre Renault. Compte tenu de mon devoir de réserve, je m’abstiendrai effectivement de répondre sur le fonctionnement de notre démocratie.

Une question essentielle – en lien avec le rapport sur l’usage des grenades offensives et des grenades lacrymogènes instantanées (GLI), qui a été remis au ministre de l’Intérieur – concerne la présence de l’autorité civile sur le site, dans la nuit du 25 au 26 octobre. Une instruction de 2012 traduit de manière simple les dispositions revues par le Parlement et les instances supérieures entre 2009 et 2011. L’emploi de la force est imposé aux forces de l’ordre quand elles font face à des opposants particulièrement violents, dans des circonstances paroxysmiques ou anormales. Je rappelle que le maintien de l’ordre peut être une succession de phases calmes et paroxysmiques.

L’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure est clair. La force peut être utilisée par le commandant de la troupe – en l’occurrence le lieutenant-colonel de gendarmerie mobile – dès lors qu’il se trouve face à une situation violente et que les circonstances ne permettent pas de faire venir le représentant de l’autorité civile, ou que la défense de la mission ou la protection de ses personnels l’impose. La notion de légitime défense, strictement individuelle, ne s’applique pas à une troupe qui effectue le maintien de l’ordre. Le commandant défend la troupe et exécute l’ordre délivré par l’autorité légitime, en l’occurrence le préfet.

Chaque fois que la force a été utilisée, le 25 et le 26 octobre, nous étions dans ce cas d’exception : l’autorité civile n’était pas physiquement représentée, mais le commandant de la troupe était contraint d’agir. Ce point fait l’objet d’une recommandation dans le rapport sur les munitions, qui demande que le dispositif soit durci et que le droit français soit encore plus clair, quitte à être plus contraignant pour les forces de l’ordre.

M. Fourage s’est référé à l’article de Mediapart selon lequel les gendarmes auraient jeté 400 grenades pendant la nuit. Les chiffres figurent dans le rapport. Le 25 octobre, quand les gendarmes sont intervenus pour protéger les vigiles et reprendre le site, et le 26, après que des affrontements ont été déclenchés à zéro heure vingt par les manifestants, 489 grenades et balles de LBD ont été tirées : 305 grenades lacrymogènes, 76 grenades F4 ou GLI, 40 grenades offensives et 68 cartouches de LBD.

Sur ces 489 grenades, 40 sont offensives, preuve qu’on a utilisé d’abord les grenades lacrymogènes, puis des grenades lacrymogènes contenant une dose explosive (GLI). Au total, les grenades lacrymogènes ou à effet mixte constituent les quatre cinquièmes des grenades lancées pendant les deux engagements. On a tenté le plus possible de maintenir les manifestants à distance avec des fusils lance-grenades, les Cougar. Ceux-ci ont eu peu d’effet car les manifestants possédaient des masques respiratoires. Quant aux tasers et aux flashballs, leur utilisation est interdite dans les opérations de maintien de l’ordre.

Vous m’avez demandé si, sur le site du barrage de Sivens, la situation était plus violente qu’à Notre-Dame-des-Landes. Selon les fiches de nos services de renseignement, au moins treize personnes signalées à Notre-Dame-des-Landes se trouvaient aussi à Sivens, où elles pouvaient communiquer des informations, dispenser une formation ou opérer un « transfert de culture ».

Pour savoir si les moyens qui ont servi sur place sont utilisés ailleurs en Europe, je vous renvoie, monsieur Folliot, à la page 4 de l’annexe n° 3 du rapport. Les photos présentées dans la colonne de droite « Z.A.D. de Sivens » prouvent l’emploi de pipe bombs, engins incendiaires exclusivement utilisés en Irlande du Nord. Sur une photo, l’engin explose aux pieds des CRS. Sur une autre, il est en feu, tandis qu’un autre engin arrive sur les forces de l’ordre. Les clichés ont été pris l’après-midi du 25 octobre. Il n’est pas impossible que des scènes semblables se soient déroulées dans la nuit du 25 au 26. Le 26, les enquêteurs n’ont pas pu pénétrer sur le terrain. Ils ne l’ont découvert que quelques jours plus tard, une fois nettoyé. On a pu voir à la télévision les tas de grenades ou de reliquats de grenades, témoignant que les lieux avaient été ratissés.

Dans la nuit du 25 au 26 octobre, il n’y a eu aucun blessé du côté des manifestants, en dehors de Rémi Fraisse. L’information provient non de la gendarmerie ni de la police, mais des pompiers du SDIS 81, appelés chaque fois qu’il y a un blessé. Entre la fin août et le 26 octobre, treize gendarmes et policiers ont été blessés, dont sept ont été évacués vers l’hôpital d’Albi. Les deux blessures les plus graves ont été infligées à des CRS dans l’après-midi du 25. Pendant la même période, sept opposants ont été blessés, dont cinq ont été évacués. Le 26 au soir, les incidents de Gaillac, évoqués par M. Folliot, ont fait 43 blessés. Autour de l’affaire de Sivens, tous lieux de manifestations confondus, y compris Nantes, on déplore, d’après les fiches des SDIS, 78 blessés dans les rangs des forces de l’ordre.

Vous m’avez interrogé sur la légitimité de la présence de la gendarmerie. Celle-ci exécute les ordres délivrés par l’autorité préfectorale.

Il est exact que les manifestants ont harcelé la population locale, mais cette information est hors sujet, puisque le rapport concerne le comportement des forces de l’ordre et l’exercice de la force légitime de l’État. Au reste, des photos montrant l’état actuel du site laissent deviner ce qu’il se serait passé la nuit du 25 au 26 si la gendarmerie l’avait laissé libre : il aurait été occupé, barricadé et piégé. Des photos montrent que, depuis lors, des constructions de campagne, un mirador et une tour de guet y ont été édifiés, et que son accès est interdit par une barricade.

Si les forces de l’ordre avaient abandonné le site, il aurait fallu chaque matin rouvrir les axes routiers, permettre l’accès au chantier et protéger les ouvriers, ce qui supposait des opérations de longue durée, impliquant des risques collatéraux considérables, puisque les itinéraires auraient été piégés.

Les fiches d’information font clairement état d’un degré de violence élevé tant sur la ZAD de Sivens qu’à Notre-Dame-des-Landes, ce que confirment tous les gendarmes qui ont servi sur les deux sites.

Au-delà de la sophistication des moyens, on constate, en regardant les films des manifestants – notamment celui réalisé l’après-midi du 25 –, que les éléments les plus violents sont équipés de masques de campagne et se protègent des forces de l’ordre avec des panneaux indicateurs ou des couvercles de poubelles. Ils emploient la tactique de la tortue romaine. En somme, pour user d’un terme militaire, ils savent manœuvrer.

Les grenades offensives sont des armes de protection de courte distance, qu’on n’utilise que dans les situations extrêmes, en cas de présence rapprochée des manifestants. Dans les autres cas, on tire à distance, au fusil. Les GLI F4 et les grenades lacrymogènes peuvent aussi bien être tirées de loin que de près, c’est-à-dire au fusil qu’à la main.

M. Fourage s’est intéressé à l’information des instances supérieures. Je rappelle le contexte. Un incident gravissime – la mort d’un manifestant est ce qui peut arriver de pire lors d’une opération de maintien de l’ordre – survient de nuit, tandis que les agressions continuent. Une fois Rémi Fraisse évacué par les pompiers, les forces de l’ordre sont confrontées pendant une heure aux manifestants et ne se désengagent qu’une heure plus tard, sur ordre du commandant de groupement.

La première information qui remonte est une alerte, qui devra ensuite être précisée. Elle justifie plusieurs hypothèses, que j’ai rappelées. Le rapport détaille la remontée de toutes les informations avérées – on ne diffuse que le certain – vers les autorités judiciaires, préfectorales et ministérielles. De leur côté, les pompiers font également remonter l’information vers le ministère.

J’ai rappelé que, lorsqu’on repère une personne au sol, trois hypothèses sont envisageables. Le premier examen médico-légal, qui a lieu à l’arrière du dispositif, révèle que la blessure présente une physionomie si inhabituelle que ni les enquêteurs de la gendarmerie ni les médecins ne peuvent avoir de certitude. Il faut attendre l’analyse de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), menée au laboratoire interrégional de police scientifique (LIPS) de Toulouse. En tant qu’inspecteur général, je m’en tiens aux faits. Le doute n’est levé que le mardi soir, ce qui contraint le procureur d’Albi à indiquer, durant sa conférence de presse, qu’il ignore la cause de la mort de Rémi Fraisse. Celle-ci était concomitante à un jet de grenade, mais on ne pouvait encore établir de lien direct entre les deux événements.

Les propos enregistrés que l’on prête aux gendarmes mobiles ont été tenus dans le feu de l’action. L’un dit : « Ils ne vont pas être contents. » Tous ceux qui ont participé à des opérations de maintien de l’ordre savent qu’en cas de mort d’homme la psychologie change radicalement dans les deux camps. Face au choc, on exprime son opinion, ce qui est normal dans une République. Ensuite, il faut lever le doute. Certains ont voulu exploiter le fait que l’incertitude ait régné pendant deux jours. C’était le délai nécessaire à l’autorité judiciaire pour fonder sa conviction sur des informations étayées.

Les enquêteurs étaient intrigués par l’explosion du haut du sac à dos, par la physionomie de la blessure et par le fait que l’explosion se soit produite à la nuque. Même à l’autopsie, les médecins n’ont pas pu éclairer les faits. On n’écarte que le mardi soir l’hypothèse que Rémi Fraisse ait été blessé par une GLI F4 – qui aurait laissé des traces de gaz lacrymogène – ou par un engin incendiaire explosif de campagne ou un engin artisanal monté par les manifestants. Dans la blessure, le LIPS n’a décelé la présence que de TNT.

Le 25 octobre au soir, le directeur général a appelé le commandant de groupement auquel il a donné une consigne claire. Si les forces de l’ordre avaient eu la volonté de « casser », celle-ci se serait traduite mécaniquement par des blessés ou des morts. Or, les chiffres du rapport sont éloquents : pendant des mois, il y a eu très peu de blessés parmi les manifestants comme parmi les forces de l’ordre, compte tenu du nombre d’engagements et des effectifs en présence.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Page 6 du rapport, vous indiquez que les « zadistes » ont écarté les journalistes, en leur opposant menaces et violences, afin de s’assurer le monopole des images qui seraient diffusées. Ces faits, qui justifient des sanctions pénales, ont-ils été constatés ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous évoquez des photos montrant que le site est réoccupé. La commission des Lois s’étonne que le traitement politique de l’affaire ait entraîné l’occupation systématique et illégale du site, c’est-à-dire le début d’un nouveau cycle. C’est précisément ce type de situation qui a entraîné la mort de Rémi Fraisse.

Général Pierre Renault. J’ai reçu cet après-midi les photos prises le 20 novembre. Je vous confirme que le site est occupé, aménagé et vraisemblablement piégé.

L’Inspection générale a respecté le calendrier fixé par le ministre de l’Intérieur. Elle a remis un premier rapport, mi-novembre, sur l’utilisation des grenades. Une décision a été prise. Un deuxième rapport vient d’être déposé, dont l’objet est de savoir si les forces de l’ordre ont agi dans le cadre de la loi.

Le rapport contient deux informations sur le traitement que les « zadistes » réservent aux médias. Un journaliste anglais a réalisé un reportage sur les pièges mis en place par les manifestants. Le film, qui n’a été en ligne que pendant quelques jours, a été archivé par l’IGGN, qui assure une veille sur internet. Nous le communiquerons à votre Commission si elle le souhaite. Nous avons également recueilli les observations des gendarmes départementaux et le témoignage d’un journaliste. Par ailleurs, je confirme que, pendant longtemps, et depuis le 26 octobre, les seules images disponibles du site ont été celles fournies par l’organisation de communication des « zadistes ».

M. Dominique Raimbourg, président. Mon général, je vous remercie.

La séance est levée à 19 heures 15.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christian Assaf, M. Erwann Binet, M. Jean-Michel Clément, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Hugues Fourage, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Bernard Lesterlin, M. Paul Molac, M. Sébastien Pietrasanta, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax

Excusés. - Mme Nathalie Appéré, M. Sergio Coronado, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, Mme Marietta Karamanli, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Sandrine Mazetier, M. Bernard Roman, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Paul Bacquet, M. Philippe Folliot, M. Noël Mamère, M. Christophe Premat