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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 10 décembre 2014

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 32

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Organisation des travaux de la Commission

– Création d’une mission d’information sur la prescription en matière pénale

– Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, autorisant l’accord local de représentation des communes membres d’une communauté de communes ou d’agglomération (n° 2320) (M. Olivier Dussopt, rapporteur)

– Informations relatives à la Commission

La séance est ouverte à 10 heures

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

Dans le cadre de l’organisation de ses travaux, la Commission procède à la nomination de rapporteurs.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mes chers collègues, notre Commission a l’habitude, qui lui est propre, de nommer des rapporteurs sur toutes les propositions de nomination relevant de la procédure de l’article 13 de la Constitution, comme le permet le Règlement. Nous avons également l’habitude de choisir le rapporteur parmi les membres de l’opposition.

Sur la proposition de nomination par M. le président de l’Assemblée nationale de M. Lionel Jospin en qualité de membre du Conseil constitutionnel, j’ai reçu la candidature de M. Guillaume Larrivé.

Nous devons également nommer un rapporteur sur les propositions de nomination de deux membres du Conseil supérieur de la magistrature par M. le président de la République et de deux membres du même Conseil par M. le président de l’Assemblée nationale. J’ai reçu la candidature de M. Guy Geoffroy.

La Commission désigne M. Guillaume Larrivé rapporteur sur la proposition de nomination par M. le président de l’Assemblée nationale de M. Lionel Jospin en qualité de membre du Conseil constitutionnel.

Puis elle désigne M. Guy Geoffroy rapporteur sur les propositions de nomination de deux membres du Conseil supérieur de la magistrature par M. le président de la République et de deux membres du même Conseil par M. le président de l’Assemblée nationale.

La Commission statue ensuite sur la création d’une mission d’information sur la prescription en matière pénale.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vous propose de créer une mission d’information sur la prescription en matière pénale, dont les rapporteurs seront M. Georges Fenech et M. Alain Tourret. Ceux-ci bénéficient déjà de la confiance unanime des membres de la commission des Lois pour mener les investigations nécessaires afin de parvenir à une proposition consensuelle que l’Assemblée pourra voter dans les meilleurs délais – si ce pouvait être avant l’été prochain, ce serait parfait.

La Commission décide la création de la mission d’information sur la prescription en matière pénale et la nomination de MM. Georges Fenech et Alain Tourret comme membres et rapporteurs de la mission.

*

* *

La Commission examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, autorisant l’accord local de représentation des communes membres d’une communauté de communes ou d’agglomération (n° 2320) (M. Olivier Dussopt, rapporteur).

M. Olivier Dussopt, rapporteur. En 2010, le législateur avait prévu que la composition des conseils de communautés de communes et de communautés d’agglomération, ainsi que la répartition des sièges en leur sein, pourraient être déterminées de deux manières : soit par l’application d’un tableau précisant le nombre de sièges au sein de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) selon sa population, et les répartissant entre communes en fonction d’un principe de représentation proportionnelle aménagée ; soit par la conclusion, à la majorité qualifiée des communes membres, d’un accord de répartition des sièges.

Cette volonté d’harmoniser les règles de composition des conseils communautaires a ensuite trouvé un écho dans l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct par fléchage dans les communes de plus de 1 000 habitants, organisée par la loi du 17 mai 2013.

Cette évolution des règles de représentation et cette démocratisation de l’intercommunalité constituent en réalité l’aboutissement d’un long processus. La loi d’orientation du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République, qui a créé les communautés de communes, prévoyait déjà que la répartition des sièges au sein de leur organe délibérant soit assurée en fonction de leur population.

Ce principe était cependant tempéré par l’application de deux règles, jamais remises en cause depuis lors : d’une part, l’attribution d’un siège de droit à chaque commune, quelle que soit sa population, afin que toutes les communes soient représentées ; d’autre part, l’interdiction pour l’une d’entre elles de disposer de plus de la moitié des sièges, ce qui lui aurait permis de régir le conseil communautaire et d’exercer ainsi une forme de contrôle sur l’EPCI.

La loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 avait maintenu cet encadrement. Toutefois, à l’initiative du Sénat, la possibilité de procéder à une répartition par accord local à la majorité qualifiée des communes avait été conservée aux communautés de communes et d’agglomération. Par la suite, la loi du 31 décembre 2012 relative à la représentation communale dans les communautés de communes et d’agglomération avait rendu plus attractive encore la conclusion d’un tel accord, en portant à 25 % du total prévu par l’application des règles légales la proportion de sièges supplémentaires pouvant être répartis dans ce cadre. On estime que 90 % des 2 125 organes délibérants de communautés de communes et de communautés d’agglomération installés à l’issue des élections municipales de mars 2014 ont été constitués sur la base d’un tel accord local.

Cependant, le 20 juin dernier, dans le cadre de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à une requête de la commune de Salbris qui s’estimait insuffisamment représentée au sein de l’organe délibérant de sa communauté de communes, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions de l’article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales qui organisaient les modalités de la répartition des sièges de conseillers communautaires par accord local.

Cette décision a mis en cause un dispositif qui, en encadrant uniquement de manière marginale la libre répartition des sièges de conseillers communautaires par les élus municipaux, méconnaissait le principe d’égalité devant le suffrage en tant qu’il permettait de déroger dans une mesure manifestement excessive au principe général de proportionnalité démographique.

Le Conseil constitutionnel n’a toutefois contesté ni le principe même qui permettrait aux conseils municipaux de conclure un accord local de répartition des sièges au sein de l’organe délibérant, ni le fait que cet accord procède d’une majorité qualifiée des communes, à condition que les écarts de représentation qu’il prévoirait soient fondés sur des considérations d’intérêt général et encadrés par le législateur.

Par ailleurs, en vertu de cette décision, chaque annulation d’une élection municipale dans une seule des communes membres d’une communauté de communes ou d’agglomération, mais aussi toute modification du périmètre de l’un de ces EPCI, obligent à recomposer un organe délibérant selon la seule règle de stricte représentation démographique seule encore en vigueur, sans possibilité de recourir à un accord local. C’est la raison pour laquelle nos collègues Alain Richard et Jean-Pierre Sueur, membres de la commission des Lois du Sénat, ont déposé le 24 juillet dernier cette proposition de loi, adoptée à l’unanimité par la Haute assemblée le 22 octobre.

Malheureusement, le dispositif ainsi retenu ne semble que partiellement conforme à la jurisprudence constitutionnelle. En effet, celle-ci restreint les marges de manœuvre que le législateur peut laisser aux élus municipaux pour fixer la composition de l’organe délibérant d’un EPCI, en exigeant que les écarts de représentation par rapport à la répartition sur des bases démographiques soient limités et justifiés par des motifs d’intérêt général.

Certes, la version initiale de la proposition de loi encadrait doublement ces écarts. D’une part, aucune commune ne pouvait voir sa représentation augmenter de plus d’un siège ; d’autre part, aucune délégation de commune ne pouvait voir sa part de sièges au sein de l’organe délibérant diminuer de plus de 20 %.

Cependant, ces règles ne garantissent en rien que la répartition soit conforme au principe d’égalité démographique. D’abord, dans la mesure où le gain potentiel ne peut dépasser un siège par commune, les communes les plus peuplées, dont la représentation est déjà limitée à la moitié des sièges au maximum, voient nécessairement leur part reculer : un gain d’un siège correspond à une augmentation de 5 % pour la commune qui dispose déjà de 20 sièges, mais à une hausse de 100 % pour celle qui n’en a qu’un. Ensuite, en permettant de diluer la part de chaque commune, dans la limite de 20 %, le texte ne tient pas compte des éventuelles sous-représentations, notamment dans le cas où plusieurs communes se sont vu attribuer des sièges supplémentaires à l’issue de la répartition proportionnelle à la plus forte moyenne.

La commission des Lois du Sénat a bien observé que « l’écart en surreprésentation pourra, dans certains cas, excéder les limites posées par la jurisprudence constitutionnelle », tout en se demandant si cette tolérance ne pourrait pas être admise en tant que motif d’intérêt général. Néanmoins, et afin de garantir la plus grande sécurité possible, elle a renforcé l’encadrement de l’accord local prévu à l’article 1er, en adoptant plusieurs amendements de sa rapporteure, Mme Troendlé, et de M. Richard.

D’abord, une commune réunissant plus de la moitié de la population de l’EPCI ne bénéficierait pas de la garantie selon laquelle la part des représentants de la commune dans l’organe délibérant ne doit pas être inférieure de plus de 20 % à la part de la population communale dans la population totale de la communauté.

Ensuite, les communes ayant bénéficié de la garantie du siège de droit pour toutes les communes au titre de la loi de 2010 ne se verraient pas attribuer un siège supplémentaire.

Toutefois, un siège supplémentaire leur serait attribué au cas où leur représentation serait inférieure de plus d’un cinquième à la proportionnelle démographique.

Enfin, la sous-représentation d’une commune serait appréciée au vu de sa part dans la population totale de l’EPCI.

Cependant, ce dispositif ne correspond pas à l’encadrement dit du « tunnel » habituellement pratiqué par le Conseil constitutionnel. Je vous proposerai donc un dispositif respectant plus strictement les deux principes d’encadrement des marges de manœuvre laissées aux élus municipaux.

Pour commencer, la marge de 20 % s’appréciera par rapport au nombre de sièges qui résulterait, pour la commune concernée, de l’application des règles légales en l’absence d’accord des communes sur la répartition des sièges. L’attribution de sièges supplémentaires doit maintenir dans cette limite toutes les communes qui s’y trouvent déjà soumises. À l’égard des autres communes, elle devra avoir pour effet de réduire l’écart à la moyenne, sans nécessairement ramener cet écart en deçà de 20 %.

Enfin, un dernier tempérament m’a été suggéré par Alain Richard, que j’ai rencontré pour tenter de parvenir à une rédaction consensuelle, dans la perspective d’un éventuel vote conforme au Sénat. Si la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne ne permettait d’attribuer qu’un seul siège à une commune – situation différente de celle des communes qui ne pourraient bénéficier de l’attribution d’un siège en application de la règle résultant de la loi de 2010 –, l’accord pourrait lui en attribuer un second, afin de favoriser une représentation plurielle et paritaire de chacune des communes.

Par ailleurs, le VI de l’article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales prévoit que dans les métropoles et les communautés urbaines, à l’exception de la métropole d’Aix-Marseille, et, à défaut d’accord global, dans les communautés de communes et les communautés d’agglomération, les communes peuvent créer et répartir des sièges supplémentaires en nombre inférieur ou égal à 10 % du total issu de la répartition légale. Toutefois, cette répartition n’est encadrée par aucune règle visant à garantir le principe général de proportionnalité par rapport à la population. L’un de mes amendements propose donc d’appliquer les règles d’encadrement susdites à cette répartition de sièges supplémentaires.

Enfin, le cas d’espèce de la commune de Salbris, soumis au Conseil constitutionnel, a montré que les conditions de majorité qualifiée pouvaient conduire à ce qu’un accord local soit trouvé au détriment des communes les plus peuplées, au risque de déséquilibrer la gouvernance des EPCI. Aussi vous proposerai-je par voie d’amendement que l’accord local de répartition des sièges soit adopté dans les conditions de majorité qualifiée qui s’appliquent à la création d’un EPCI à fiscalité propre : soit à la majorité des deux tiers au moins des conseils municipaux des communes membres représentant plus de la moitié de la population, soit par la moitié au moins des conseils municipaux des communes membres représentant plus des deux tiers de la population totale, moyennant l’accord obligatoire du conseil municipal de la commune dont la population est la plus nombreuse, dès lors que celle-ci est supérieure au quart de la population totale.

Comme prévu par le Sénat, l’article 2 de la proposition de loi permet aux communes qui n’auraient pu négocier un accord local de le faire dans les six mois suivant la promulgation du présent texte, ou avant une élection partielle qui nécessiterait de recomposer un organe délibérant.

La liberté que nous souhaitons naturellement laisser aux élus locaux doit être encadrée, dans le respect des principes constitutionnels, d’où la nécessité de limiter les marges de manœuvre dont ils disposent pour conclure un accord local de répartition des sièges. J’espère toutefois que mes amendements, notamment le dernier tempérament suggéré par Alain Richard, nous permettront de parvenir à un texte qui pourrait être soumis au Conseil constitutionnel avant sa promulgation, afin de sécuriser les accords qui en découleront.

M. Jacques Bompard. Saluons tout d’abord la rapidité avec laquelle cette proposition de loi a traversé le Sénat pour parvenir jusqu’à nous : la décision du Conseil constitutionnel aux conséquences desquelles elle entend répondre n’a que quelques mois.

Le dossier concerne les communes intégrées de force dans une intercommunalité, traitées avec une telle mauvaise foi que le Conseil constitutionnel a dû établir une règle, à mes yeux tout à fait sensée : la représentation proportionnelle au nombre d’habitants. L’auteur du texte y a opposé une représentation censitaire qui n’est guère courante dans notre République. Si des problèmes se posent, ils affectent surtout le fonctionnement des intercommunalités. Celles-ci ont été créées pour supprimer les petites communes, mais on aboutit dans certains cas à l’effet inverse : ce sont les petites communes qui ont le pouvoir et qui fixent les dépenses de l’intercommunalité, lesquelles sont payées par les grosses communes. Autrement dit, on passe d’un extrême à l’autre.

En outre, le mode de dénombrement des élus qui nous est ici proposé me semble particulièrement compliqué. Je ne suis qu’un pauvre petit chirurgien-dentiste : il est assez normal que les arcanes d’une loi aussi complexe puissent m’échapper ; mais mon attaché parlementaire, spécialiste de ces questions, n’y comprend pas grand-chose non plus… Je le dis souvent : ce dont nous avons besoin, ce sont des lois claires, compréhensibles par tous et simples à appliquer. Or, celle-ci est pour le moins absconse.

Il faut entièrement repenser le fonctionnement des intercommunalités : entre autres réformes, leurs présidents devraient être élus au suffrage universel. Mais le texte qui nous est soumis n’est ni urgent ni propre à résoudre les problèmes réels qui se posent dans les intercommunalités.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Le groupe SRC se réjouit de l’inscription à notre ordre du jour de cette proposition de loi, destinée à remédier à la situation problématique qui résulte de la décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014. Alors que nous sommes engagés dans une réforme territoriale d’ampleur, tout élément de nature à fragiliser la stabilité de la gouvernance intercommunale n’est évidemment pas souhaitable. Je songe en particulier à tous les regroupements en cours, notamment aux communes de grande couronne francilienne dont le schéma régional de coopération intercommunale va être profondément modifié en janvier 2016. C’est donc avec un a priori favorable que nous entamons l’examen de ce texte.

Il reste toutefois à l’étudier de plus près. Dans cette perspective, je remercie le rapporteur de sa présentation synthétique, mais très complète et éclairante. Au-delà de l’apparente complexité du sujet et de la rigueur qu’il appelle, c’est bien de l’équilibre des pouvoirs dans nos territoires qu’il est question, notamment entre villes centres, d’une part, et villes moyennes et petites, de l’autre. Il s’agit donc de concilier notre volonté première, celle de faire confiance aux intelligences locales pour construire ensemble leur destin, donc leur gouvernance, et le strict respect de la jurisprudence constitutionnelle, qui ne fait d’ailleurs que traduire les principes généraux que nous avons nous-mêmes défendus, dont celui de l’égalité devant le suffrage.

Or, dans sa rédaction actuelle, la proposition de loi ne semble pas préserver cet équilibre de manière satisfaisante – d’où les amendements présentés par notre rapporteur.

S’agissant de la conformité à la jurisprudence constitutionnelle, le texte sénatorial ne s’en tient pas, vous l’avez dit, aux bornes définies par le Conseil constitutionnel. La complexité du système proposé n’empêche pas de sortir dans certains cas du « tunnel » de plus ou moins 20 %, ce qui expose le texte au risque d’une invalidation. Peut-être faudrait-il obtenir des éclaircissements sur ce point d’ici à l’examen en séance publique.

Enfin, la rédaction actuelle de l’article 2 fixe une sorte de date de péremption du dispositif ; dès lors, qu’en sera-t-il des EPCI qui devraient revoir leur gouvernance plus de six mois après la promulgation de la loi ? Il convient de clarifier cette rédaction afin de lui apporter une réelle sécurité juridique.

Le groupe SRC aura ces éléments à l’esprit au moment de se prononcer sur les amendements et sur l’ensemble du texte, car ils sont indispensables pour recréer les conditions d’un accord local au sein des intercommunalités en tenant compte des remarques du Conseil constitutionnel.

M. Paul Molac. Aux nombreux constitutionnalistes chevronnés que compte cette assemblée, j’aimerais demander s’il convient d’appliquer aux communautés de communes, qui ne sont pas des collectivités de plein exercice, exactement les mêmes règles qu’aux autres collectivités, notamment le principe de proportionnalité démographique.

M. Philippe Gosselin. La réponse qu’a donnée le Conseil constitutionnel à la QPC est claire…

M. Paul Molac. Soit. Dans notre pays, nous avons un peu de mal à concilier la représentation des territoires et celle des populations. Certains pays ont résolu ce problème en se fondant sur des structures historiques – je songe par exemple aux cantons suisses –, d’autres en créant deux assemblées bien distinctes. Quant à nous, nous en sommes réduits à des contorsions législatives. J’ai d’ailleurs admiré dans la présentation de notre rapporteur le maniement des deux tiers, des 20 %, etc. : il ne manquait qu’une dose de trois cinquièmes pour que le mélange soit parfait !

Or, cela pose un problème au niveau local : les petites communes ne veulent pas entrer dans de grandes intercommunalités, de peur de ne plus être représentées, de ne plus avoir voix au chapitre, de ne plus siéger au sein de l’exécutif. Dans mon territoire, c’est un frein à la constitution de communautés de communes plus importantes alors même que, tous en conviennent, c’est au niveau de l’intercommunalité que s’exerce le pouvoir et que se font les projets.

Iconoclaste si l’on veut, mais non incohérent, je plaiderai volontiers pour la coexistence, au sein de grandes intercommunalités, de deux chambres avec chacune des compétences claires : l’une élue au suffrage universel et dotée d’un exécutif, l’autre chargée de représenter les différents territoires et comprenant un délégué par commune. Ce système fonctionne plutôt bien dans les pays qui l’ont adopté.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Avant de donner la parole à Philippe Gosselin, je tiens à lui dire que sa persévérance a payé, puisque nous examinerons le 21 janvier en séance publique le texte sur le statut de l’élu.

M. Alain Tourret. Le jour anniversaire de la mort de Louis XVI, qui plus est !

M. Philippe Gosselin. En effet ! Quoi qu’il en soit, merci, monsieur le président, pour cette excellente nouvelle qui réjouira les élus locaux.

Aux termes de la réforme territoriale de 2010 – qui, elle, avait été validée par le Conseil constitutionnel saisi par l’opposition de l’époque –, les sièges au sein des EPCI devaient être répartis soit à la représentation proportionnelle, soit par accord local dans la limite de 10 % du total des sièges.

La loi du 31 décembre 2012, qui est le résultat d’une première proposition de loi d’Alain Richard, est allée beaucoup plus loin en portant cette limite à 25 %. Elle avait été examinée le 19 décembre 2012, vers minuit ; j’avais d’ailleurs fait remarquer, en séance, que voter un tel texte à la va-vite n’était pas raisonnable et qu’il serait préférable d’adopter, sur la question de l’intercommunalité, une vision plus large. La loi a été promulguée sans que le Conseil constitutionnel ne se prononce. Mais une question prioritaire de constitutionnalité a été posée. Ces QPC, issues de la réforme de 2008, ébranlent notre sécurité juridique ; et même si le Conseil a posé des limites de temps, les choses vont parfois plus rapidement qu’on le croit, et c’est ce qui s’est produit dans l’affaire dite « commune de Salbris ».

Dans la décision n° 2014-405, le Conseil constitutionnel a donc jugé que la loi ne respectait pas le principe de proportionnalité : il y avait rupture d’égalité. Comprenant que cette décision pouvait bousculer un édifice déjà précaire, le Conseil avait prévu que cette décision ne s’appliquerait immédiatement que dans deux cas précis, dont le renouvellement partiel ou intégral du conseil municipal de l’une des communes concernées. Mais des cas de ce genre se sont produits plus vite qu’on ne le pensait, par exemple à la suite du décès d'un maire qui oblige à compléter le conseil municipal par une élection partielle et oblige à revoir, par voie de conséquence, la configuration de l’ensemble de l’organe délibérant de l’EPCI.

Ainsi, dans la Manche, des conseillers communautaires évincés après une nouvelle composition du conseil de la communauté de communes de l'agglomération saint-loise – qui doit passer, à la suite de cette décision et du renouvellement d’un conseil municipal, de 122 à 108 sièges – ont porté l’affaire devant le tribunal administratif, qui leur a donné raison, jugeant que la circulaire bricolée par le ministère de l’Intérieur ne tenait pas la route. Nous en sommes là, c’est-à-dire en grande difficulté. On ne peut pas encore parler de jurisprudence, puisque nous n’en sommes encore qu’au niveau du tribunal administratif, mais on voit que l’insécurité juridique est forte.

De bons équilibres locaux avaient été trouvés et faisaient l’unanimité. Le projet de l’agglomération était au centre des préoccupations ; la place de la ville centre, question délicate et légitime, était bien prise en considération, l’importance des villes alentour, souvent plus petites, reconnue. C’est tout cet équilibre, précaire, mais intelligent, qui a été mis à bas.

L’intérêt de cette proposition de loi est d’essayer de rétablir rapidement un cadre juridique stable et sûr – avant que les contentieux ne se multiplient et que les EPCI ne se trouvent totalement désorganisés : je peux vous assurer que certains ont su s’engouffrer dans la brèche pour essayer de regagner devant les tribunaux des présidences perdues devant les électeurs. Toutefois, cette proposition de loi ne présente pas, me semble-t-il, toutes les garanties constitutionnelles et juridiques nécessaires : j’examinerai avec attention les propositions du rapporteur.

Nous ne nous opposons donc pas frontalement à cette proposition de loi, qui va plutôt dans le bon sens, tant sur les équilibres dans les communautés de communes et les communautés d’agglomération que sur les pouvoirs de ces EPCI. Mais nous voulons être certains que le Conseil constitutionnel ne cassera pas à nouveau ce texte. Entre mars 2015 et le temps que la loi soit votée définitivement et promulguée, les nouveaux conseils ne seront pas opérationnels avant juin 2015 au mieux. Autrement dit, cela signifie une année d’instabilité. Veillons à réaliser collectivement un travail intelligent.

Mme Colette Capdevielle. Cette proposition de loi est indispensable, car il faut régler au plus vite les problèmes créés par la décision du Conseil constitutionnel. Mais, si elle résout momentanément la question des accords locaux, elle ne règle pas l’ensemble des conséquences juridiques de cette décision constitutionnelle, qui sont à mon avis très vastes. Je m’interroge également sur la constitutionnalité des mécanismes de répartition automatique au sein des EPCI.

La décision du 20 juin 2014 signe ce que la doctrine a qualifié de « fin des petits accords entre amis » : nous devons donc aujourd’hui trouver une solution. La répartition des sièges dans les conseils délibérants des EPCI doit en effet se faire sur des bases essentiellement démographiques. Cela rend vraiment urgente l’intervention du législateur.

La proposition de loi que nous examinons ce matin, qui n’a pas vocation à corriger l’ensemble de notre dispositif, ne garantit pas à mon sens une répartition conforme à l’exigence constitutionnelle de proportionnalité, en raison du maintien de trois conditions : chaque commune doit être représentée quelle que soit sa taille ; aucune commune ne peut disposer de plus de la moitié des sièges ; le nombre total de sièges ne peut excéder de plus de 25 % le nombre prévu par la règle légale. La décision QPC Commune de Salbris n’affecte pas seulement la loi sous le seul aspect des accords locaux ; c’est bel et bien l’ensemble du dispositif, et singulièrement les mécanismes de répartition automatique des sièges, qui se voient remis en question.

Or, de nombreux territoires réfléchissent en ce moment à leur réorganisation, puisque nous vivons un véritable big bang territorial – treize nouvelles grandes régions, future loi pour une nouvelle organisation territoriale de la république (projet de loi NOTRe) fixant un nouveau seuil de constitution des EPCI à 20 000 habitants… Nous assistons en particulier à une montée en puissance des intercommunalités : au Pays basque, dont je suis l’élue, le préfet a proposé au mois de juin dernier de regrouper 158 communes, composant dix EPCI, au sein d’un seul EPCI.

Les intercommunalités sont appelées à grandir et à regrouper de plus en plus de communes, ce qui veut dire que la diversité des tailles de communes rassemblées dans un même EPCI va augmenter. Le respect des exigences du Conseil constitutionnel dans la décision Commune de Salbris n’est pas, à mon avis, garanti, sauf à constituer des assemblées pléthoriques – au point de manquer parfois de conseillers municipaux pouvant être fléchés… Le Conseil constitutionnel réécrit, avec cette décision, le droit des intercommunalités, ce qui nous obligera à réformer les EPCI, qui ne sont pas, comme cela a été dit au Sénat, des « coopératives de communes », mais qui deviendront des collectivités territoriales à part entière lorsque tous leurs membres seront élus au suffrage universel direct.

La commission des Lois devrait réfléchir d’ores et déjà aux conséquences de cette QPC sur la gouvernance des futurs établissements publics de coopération intercommunale en mettant en place un groupe de travail. Plusieurs scénarios, comme l’a dit fort justement Paul Molac, sont possibles : liste unique pour l’EPCI ou circonscriptions infracommunautaires, ou encore élection au suffrage universel des conseillers et maintien d’une assemblée des maires… Le Pays basque connaît depuis des siècles une assemblée des maires, le Biltzar : nous pourrions donc montrer l’exemple. Si nous pouvions engager sans attendre cette réflexion au sein de la commission des Lois, nous nous éviterions peut-être d’avoir à remettre sans cesse nos lois sur le métier.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er (art. L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales) : Détermination par accord des conseils municipaux de la composition de l’organe délibérant des communautés de communes et des communautés d’agglomération

La Commission se saisit d’abord de l’amendement CL1 de M. le rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à réécrire l’article 1er afin d’intégrer l’essentiel des réserves émises par le Conseil d’État, saisi par le Gouvernement pour avis après l’adoption de cette proposition de loi par le Sénat.

Les sénateurs avaient prévu que toutes les communes pourraient, dans le cadre d’un accord local, se voir attribuer un siège supplémentaire, à l’exception des communes bénéficiant d’un siège de droit, car leur quotient électoral était inférieur à un et le fait de disposer d’un siège constitue déjà une dérogation par rapport à la règle générale de proportionnalité.

Je vous propose de prévoir que les communes puissent bénéficier de sièges supplémentaires dans le cadre d’un accord local, sous deux conditions : que l’accord n’aboutisse pas à faire pas sortir du « tunnel » défini par le Conseil d’écart de plus ou moins 20 % par rapport à la représentation moyenne celles qui s’y trouvaient déjà ; qu’il ne dégrade pas l’écart de représentation issue de la répartition à la proportionnelle pour celles dont la représentation était située en dehors de ce « tunnel », notamment du fait de l’application des règles obligeant à attribuer à chaque commune un siège au minimum et la moitié des sièges au maximum.

En outre, je vous propose de reprendre la disposition issue du texte adopté par le Sénat prévoyant que lorsque la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne permettrait d’attribuer un seul siège à une commune, l’accord pourrait prévoir de lui attribuer un second siège, même si cette attribution fait sortir sa représentation de ce « tunnel » – nos collègues sénateurs considérant que cette exception pourrait se justifier pour des motifs d’intérêt général.

Le Gouvernement, saisi de ce sujet, y travaille et nous aurons, d’ici à la discussion en séance publique, le temps de nous assurer de la parfaite constitutionnalité de cette mesure. C’est la raison pour laquelle je me réserve la possibilité de revenir sur cet alinéa, le seul à ne pas s’inscrire dans le cadre de l’avis rendu par le Conseil d’État.

Nous envisageons également, avec le Gouvernement et le Sénat , de saisir le Conseil constitutionnel au titre de l’article 61, avant même la promulgation de la loi, afin d’éviter toute incertitude juridique.

M. Paul Molac. Je ne jette pas la pierre au rapporteur, qui essaie de faire au mieux, mais la rédaction de cet amendement, au demeurant classique dans le code général des collectivités territoriales, est bien alambiquée : comment s’étonner que nos concitoyens nous trouvent souvent un peu bizarres en voyant tous ces chiffres et ces pourcentages ? Et s’il n’y avait que le code général des collectivités territoriales…

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Le dispositif proposé me semble intéressant, puisqu’il est fondé sur l’application la plus stricte possible du principe de représentation démographique. Les sièges sont répartis en fonction de la population de chaque commune ; quoi qu’en pense mon collègue Paul Molac, c’est tout à la fois simple et clair. En rapprochant autant que possible la représentation des communes de la réalité, dans le cadre du respect du « tunnel » d’écart de plus ou moins 20 % par rapport à la représentation moyenne tout en restaurant la possibilité d’accords locaux, le dispositif est plus respectueux de la jurisprudence constitutionnelle et du coup juridiquement plus sûr que celui imaginé par le Sénat.

J’ai bien entendu que le Gouvernement nous apportera des précisions d’ici à la séance publique, notamment sur les questions que j’avais soulevées dans la discussion générale, et je m’en réjouis.

À titre personnel, je m’interroge sur la disposition qui prévoit qu’un accord local ne peut être conclu sans l’accord d’une commune qui regrouperait plus de 25 % des habitants de l’EPCI. Les excès ont été nombreux, ce qui rend cette disposition raisonnable : mais cela ne revient-il pas à accorder un droit de veto aux villes centres ?

La Commission adopte l’amendement CL1.

L’article 1er est ainsi rédigé.

Après l’article 1er

La Commission se saisit ensuite de l’amendement CL2 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à rendre applicable l’article L. 5211-6-2 du code général des collectivités territoriales, qui prévoit les modalités d’évolution de la composition de l’organe délibérant des EPCI entre deux renouvellements des conseils municipaux, lorsqu’un accord de répartition des sièges entre les communes membres a été annulé. Cela permettra de sécuriser la composition par accord des conseils communautaires.

La Commission adopte cet amendement.

Puis elle adopte l’amendement CL3, du rapporteur visant à rectifier des références.

Article 2 : Faculté de recours à l’accord local des communautés de communes et des communautés d’agglomération dont la composition de l’organe délibérant a été modifiée depuis la décision d’inconstitutionnalité

La Commission examine alors l’amendement CL4 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement répond en partie aux questions de M. Gosselin sur les difficultés créées par l’annulation d’une élection, par une démission, ou un décès d’un maire, etc., en prévoyant un délai après la promulgation de la loi pour conclure un nouvel accord local.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 2 est ainsi rédigé.

Titre de la proposition de loi

La Commission se saisit alors de l’amendement CL5 du rapporteur.

M. le rapporteur. Toutes les catégories d’EPCI – communautés de communes et communautés d’agglomération, mais aussi communautés urbaines et métropoles – sont concernées par les modifications que nous venons d’adopter. Je propose donc d’adopter un titre qui reflète ces changements.

Cet amendement a, je le précise, reçu l’accord presque enthousiaste de nos collègues sénateurs.

La Commission adopte l’amendement à l’unanimité.

Elle adopte ensuite l’ensemble de la proposition de loi.

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* *

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Avant que nous levions notre séance, M. Alain Tourret m’a demandé la parole.

M. Alain Tourret. Monsieur le président, mes chers collègues, avant la fin de cette réunion, je voudrais vous faire part de ma très grande émotion.

Mme Marine Le Pen vient de faire une déclaration particulièrement grave tendant à justifier le recours à la torture par les forces de police en France. C’est, je crois, une des premières fois depuis la guerre d’Algérie que l’on entend de tels propos, qui reviennent à remettre en cause les principes les plus essentiels auxquels nous croyons.

Tout individu, quels que soient les faits pour lesquels il a été arrêté, a le droit d’être respecté ; toute tentative de légitimation de la torture est un scandale absolu. Non seulement la torture est absolument inutile, mais elle atteint aux fondements même de notre République.

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La séance est levée à 10 heures 45.

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

– M. Guillaume Larrivé, rapporteur sur la proposition de nomination par M. le Président de l’Assemblée nationale de M. Lionel Jospin en qualité de membre du Conseil Constitutionnel.

– M. Guy Geoffroy, rapporteur sur les propositions de nomination de deux membres du Conseil supérieur de la magistrature par M. le président de la République et de deux membres du même Conseil par M. le Président de l’Assemblée nationale.

– MM. Georges Fenech et Alain Tourret, membres et rapporteurs de la mission d’information sur la prescription en matière pénale.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, M. Luc Belot, M. Erwann Binet, M. Jacques Bompard, M. Gilles Bourdouleix, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, Mme Pascale Crozon, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Jean-Pierre Decool, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. Philippe Doucet, M. Olivier Dussopt, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Olivier Marleix, Mme Sandrine Mazetier, M. Patrick Mennucci, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Edouard Philippe, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Sergio Coronado, Mme Laurence Dumont, M. Guillaume Garot, M. Philippe Goujon, Mme Marietta Karamanli, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg