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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 18 février 2015

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 48

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits

– Informations relatives à la Commission

La séance est ouverte à 11 heures 30

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Ainsi que nous en étions convenus et que nous en avions exprimé le désir, nous avons le plaisir d’accueillir Jacques Toubon, qui est Défenseur des droits depuis l’an dernier, à la suite de la disparition du regretté Dominique Baudis. Nous nous réjouissons également d’accueillir dans un instant ses collaborateurs, en particulier ses trois adjoints.

Monsieur le Défenseur des droits, vous nous avez adressé à tous, par voie postale, une synthèse du rapport annuel d’activité de votre institution qui comprend bien des éléments fort utiles.

Vous avez dit récemment que la société était en grande tension. Ce sera, j’imagine, la colonne vertébrale de votre propos que de nous dire comment vous avez pu mesurer ces tensions. Nous avons également entendu avec intérêt vos dernières interventions, notamment en ce qui concerne la lutte contre le racisme. Je ne doute pas que nos collègues auront des questions à vous poser sur ces sujets.

Je vous remercie de votre disponibilité – nous savons que vous arrivez tout juste du Sénat – et vous cède sans plus tarder la parole. Nous vous interrogerons ensuite, comme de coutume dans ce type d’exercice.

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. Monsieur le président, je vous remercie infiniment de m’accueillir ce matin avec vos collègues. Il s’agit en réalité d’honorer une forme d’engagement que j’ai pris lorsque vous avez bien voulu examiner la proposition que le président de la République avait faite en ma faveur, le 2 juillet dernier : que le Défenseur des droits ne se contente pas de se présenter une fois tous les six ans devant les commissions des Lois de l’Assemblée et du Sénat, mais qu’il vienne très régulièrement sinon rendre compte de son action – car tel n’est pas son statut –, du moins en discuter avec les parlementaires les plus intéressés, ainsi que de ses projets et de ce que son activité traduit de l’état de la France, dont la représentation nationale a la charge.

Permettez-moi de vous présenter Patrick Gohet, désormais adjoint chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion des droits ; Geneviève Avenard, Défenseure des enfants ; Claudine Angeli-Troccaz, chargée de la déontologie de la sécurité ; et Luc Machard, directeur général de nos services. Le sort des adjoints faisait partie de nos sujets de discussion lorsque j’étais venu devant vous. Comme je l’avais dit, je souhaitais maintenir à leur poste les trois adjointes qui étaient alors en place, mais la lettre de la loi m’en a empêché. J’ai donc procédé en septembre dernier à trois nouvelles nominations. Je rappelle que la direction du Défenseur des droits comprend également un Délégué général à la médiation avec les services publics, Bernard Dreyfus, qui est pour sa part resté en poste.

Notre rapport d’activité pour 2014 est présenté en début d’année – six mois de décalage lui feraient perdre beaucoup de son intérêt –, sous une double forme. D’une part, sa version intégrale, de 250 pages, est disponible sur notre site internet ; elle détaille toutes les décisions et recommandations individuelles qui peuvent concerner en particulier votre circonscription ou l’un de vos centres d’intérêt. D’autre part, une brochure d’une trentaine de pages, celle que vous avez reçue, procède non à une synthèse mais à une sélection des quatre ou cinq sujets qui m’ont paru prioritaires au cours de l’année écoulée.

Par ailleurs, nous avons publié à l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant, le 20 novembre 2014, un rapport spécial sur la mise en œuvre de la Convention internationale des droits de l’enfant, dont on fêtait alors le vingt-cinquième anniversaire. Ce rapport est en ligne ; certains d’entre vous l’ont sans doute déjà lu. Il a préparé en quelque sorte celui que nous allons prochainement soumettre au Comité des droits de l’enfant des Nations unies et qui portera sur la mise en œuvre en France de la Convention internationale des droits de l’enfant, pour l’application de laquelle le Défenseur des droits est institué mécanisme national de suivi. Je pense que le Gouvernement fera lui aussi un rapport. Il s’agit – encore un exemple de décalage temporel excessif – de répondre au rapport publié par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies en 2009, au lendemain de la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance. Quoi qu’il en soit, l’occasion nous est ainsi offerte de faire le point sur la mise en œuvre de la Convention, et notamment de sa notion essentielle, l’intérêt de l’enfant, un sujet par lequel vous ne pouvez que vous sentir concernés.

Dans ce rapport sur les droits de l’enfant, j’ai souligné deux points, dans le droit fil des propos tenus devant vous en juillet.

Premièrement, la France a signé le troisième protocole facultatif à la Convention internationale des droits de l’enfant. À cette nouvelle, j’ai marqué, comme vous tous, ma satisfaction. Dès que vous aurez adopté le projet de loi de ratification que vous soumettra le Gouvernement, les enfants, les familles, les associations en France pourront ainsi saisir directement le Comité des droits de l’enfant des Nations unies.

Deuxièmement, la Convention n’est toujours pas mentionnée parmi les textes dont on doit tenir compte dans les études d’impact sur les projets de loi. Après la loi organique de 2009 sur les études d’impact, des circulaires publiées à l’été 2012 par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault obligent les études d’impact à faire référence à la Convention internationale des droits des personnes handicapées, que nous appliquons depuis 2010, et à la Convention pour les droits des femmes, que nous appliquons depuis bien plus longtemps. Mais les droits de l’enfant, en particulier l’intérêt supérieur de l’enfant, ne sont pas concernés. Mon prédécesseur Dominique Baudis avait d’ailleurs critiqué ce point lorsqu’il était venu vous donner son avis sur le projet de loi relatif au mariage pour tous, en 2013. C’est un point sur lequel je crois que vous devriez vous pencher. Notre pays, nos grandes juridictions administratives ont un problème avec la mise en œuvre de ce que l’on appelle la conventionnalité, mais peut-être pourriez-vous prendre en ce domaine une initiative d’ordre politique.

J’en reviens au rapport d’activité pour 2014 proprement dit. Il s’agit, vous le savez, d’une année proprement extraordinaire, dont les trois premiers mois ont été marqués par la maladie de Dominique Baudis et suivis, après son décès le 10 avril, par trois mois de vacance. Ensuite ont eu lieu ma nomination puis ma prise de fonction, le 18 juillet, avec une équipe renouvelée. Au cours de cette année particulièrement agitée, les 220 collaboratrices et collaborateurs du siège central comme les 400 délégués territoriaux ont continué d’accomplir leur mission avec beaucoup de ponctualité, de rectitude et d’efficacité. Cela a permis de parachever la mise en place du système que vous aviez défini dans la loi organique du 29 mars 2011. Je vous dirai tout à l’heure comment je compte aller plus loin à partir de cet outil que j’ai entre les mains depuis le mois de juillet.

Nous avons recueilli l’année dernière 110 000 demandes environ, dont 80 % au niveau des délégués territoriaux et 20 % au siège national. Elles ont débouché sur la constitution de 73 500 dossiers, qui correspondent aux vraies réclamations articulées. Nous en avons traité 71 624, au bénéfice de 85 000 réclamants. Un peu plus de 80 % des réclamations concernent la médiation avec les services publics ; 10 %, la lutte contre les discriminations ; 4 à 5 %, les droits des enfants ; 1 % environ, la déontologie de la sécurité.

Il est particulièrement intéressant d’observer l’évolution de cette répartition depuis 2010, alors que certains d’entre vous s’inquiétaient du sort des quatre institutions regroupées en 2011 au sein du Défenseur des droits – la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), le Défenseur des enfants et le Médiateur de la République.

Au cours de la période, les demandes relatives aux services publics ont augmenté, mais très peu ; l’une des raisons mécaniques en est le fait que de nombreux médiateurs ont été institués dans différents services publics tandis que ceux qui existaient déjà sont devenus beaucoup plus opérationnels. Le médiateur national de l’énergie ou celui des finances en sont deux exemples. C’est une bonne chose : nous n’avons évidemment aucune prétention au monopole, et nous entretenons avec ces médiateurs de très bonnes relations.

En revanche, les demandes relatives aux discriminations sont en hausse de près de 50 % : ceux qui pensaient que la lutte contre les discriminations disparaîtrait avec la HALDE se sont trompés. Les demandes ayant trait aux droits de l’enfant, reçues par Geneviève Avenard, ont augmenté de 100 % par rapport à celles qui étaient adressées à Dominique Versini, Défenseure des enfants en 2010 : ceux qui croyaient que la défense des droits des enfants était supprimée avec le Défenseur des enfants se sont aussi trompés.

L’augmentation atteint 280 % pour la déontologie de la sécurité. À ce chiffre, il faut assurément mettre un bémol : la CNDS ne pouvait être saisie que par le biais d’un parlementaire et ce filtre a été supprimé. Mais, abstraction faite de cet effet mécanique, il est certain que les relations de nos concitoyens avec les policiers, les gendarmes, les gardiens de prison, les vigiles, les policiers municipaux, etc., suscitent des préoccupations croissantes.

En ce qui concerne l’accès au droit, nous collaborons sans réserve avec la chancellerie. Nous allons d’ailleurs renouveler la convention qui nous lie à elle, notamment en ce qui concerne l’accès aux maisons de justice et du droit. D’une manière générale, nous faisons un très bon travail partenarial. Nous avons aujourd’hui sept ou huit comités d’entente et de liaison. Je réunis tous les mois et demi les trois collèges officiels institués par la loi organique et entièrement renouvelés. Avec eux également, nous faisons du bon travail. J’ai aussi décidé, dans un esprit de promotion plus globale des droits et de l’égalité, de faire travailler les collèges avec les comités d’entente et de liaison. J’ai eu l’occasion de le dire, le Défenseur des droits ne peut rien tout seul.

Enfin, nous avons multiplié les observations devant les juridictions – plus de 80 l’année dernière –, pour un résultat assez satisfaisant. Vous le savez, nous nous présentons devant les juridictions, du plus modeste tribunal de la sécurité sociale à la Cour européenne des droits de l’homme, comme un expert, un amicus curiae, et non comme une partie. Nos observations sont donc versées au dossier et soumises au contradictoire de toutes les parties. Dans 70 % des cas environ, elles ont été suivies par le tribunal. Nous avons en particulier beaucoup d’affaires de discrimination dans l’emploi devant les conseils de prud’hommes : c’est l’un des éléments que nous avons le plus développés.

J’aimerais souligner plus particulièrement un aspect de notre activité en 2014 : la mobilisation pour la défense de l’égalité contre le racisme que j’ai lancée en octobre dernier, trois mois avant la tragédie des 7, 8 et 9 janvier.

Dans notre pays, nous avons depuis longtemps négligé, traité avec indifférence ou considéré comme secondaire – par rapport à la lutte contre le chômage, contre la désindustrialisation ou au sauvetage de nos systèmes de protection sociale, autant de priorités politiques certes majeures – un mouvement de la société que nous constatons non pas depuis un mois, ni depuis cinq ans, mais de bien plus longue date, et que j’appellerais l’abandon ou l’avachissement des valeurs.

Nous voyons ainsi se développer, dans le monde réel – sur les murs des établissements publics ou des lieux de culte – comme virtuel – sur internet, sur les réseaux sociaux –, des propos, des comportements, des agissements auxquels nous n’avons pas prêté suffisamment garde et qui relèvent du rejet, de l’exclusion, de la haine de l’autre. Ils nient l’acquis fondamental de nos démocraties depuis la grande Déclaration des droits de l’homme, le jugement de Nuremberg, les lois contre le racisme de 1972, les lois contre les discriminations : les huit milliards de personnes qui vivent sur la Terre sont toutes différentes, et pourtant toutes égales ; elles ont une égale dignité, celle de la personne humaine, que nous protégeons en particulier dans l’article 16-4 du code civil, introduit par les lois de bioéthique, et, à ce titre, elles bénéficient toutes des mêmes droits fondamentaux et des mêmes libertés fondamentales. Ces propos, ces comportements traitent au contraire l’autre comme différent, inférieur : l’autre n’étant pas comme moi, je peux lui faire subir, en paroles ou en actes, des traitements que, naturellement, je ne voudrais pas que l’on m’inflige à moi-même.

Contre ce mouvement, c’est à la société elle-même de mener la contre-offensive. Je travaille avec le Premier ministre, avec Gilles Clavreul, le nouveau délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (DILCRA), qui lance à la demande du président de la République un plan fort bienvenu de lutte contre le racisme et la xénophobie, et avec la chancellerie. J’admire l’action des grandes associations, nées pour la plupart à la fin du xixe siècle, au moment de l’affaire Dreyfus. Simplement, je le répète, c’est de la société que doit venir la réponse.

Voici ce que j’ai donc proposé en octobre, moi, Défenseur des droits, parce que je suis indépendant, libre, impartial, parce que je jouis d’une certaine légitimité malgré des moyens extrêmement restreints : créer une mobilisation, un rassemblement de partenaires. Il compte des entreprises privées – le groupe Casino, Google, Facebook –, des grands médias comme France Télévisions, de grandes associations telles la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), des villes comme Lyon, Toulouse, Bordeaux, Lille, des universités. Et voici ce que nous allons essayer de faire : être vigilants ; permettre aux victimes d’en appeler à nous, indépendamment de ce que fait la justice et qu’elle fait bien, mais avec ses procédures et moyens propres ; faciliter la diffusion et la mise en commun des bonnes pratiques en la matière, qui sont nombreuses dans les groupes de médias et les groupes industriels. C’est indispensable.

Nous avons aujourd’hui quarante partenaires. J’ai rendu cette initiative publique le 27 janvier. Je pense qu’au printemps nous parviendrons à installer une plateforme numérique qui s’ajoutera à Pharos, la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements.

Si je m’attarde quelque peu sur ce point, c’est parce que la commission des Lois de l’Assemblée nationale a particulièrement vocation à s’intéresser à cette initiative, l’une des principales que j’aie prises l’année dernière, et qui répond par avance, si j’ose dire, au rapport de M. Muižnieks, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, dont on parle beaucoup depuis quarante-huit heures. Issu d’une visite faite en France en septembre et lors de laquelle le Commissaire a rencontré tous les acteurs, son rapport, publié hier, affirme que la tolérance recule dans notre pays – je le dis aussi –, et que nous avons des réponses mais que celles-ci ne sont pas satisfaisantes – le Défenseur des droits peut le dire également. Je voudrais simplement souligner que nos lois, les droits qu’elles créent, la manière dont je m’efforce de les faire respecter – comme la justice elle-même, dont je n’ai qu’un peu de la balance mais ni le glaive, ni l’autorité de la chose jugée – permettent, mieux que ne le dit M. Muižnieks, de réagir, de poursuivre, de condamner, de faire se dresser la société.

Nous n’en avons pas moins négligé le problème. Nous avons condamné une fois Dieudonné début 2014, mais il y a des milliers de Dieudonné que nous laissons courir ! Et ce n’est pas seulement de les poursuivre et de les condamner qu’il s’agit : il faut promouvoir nos valeurs, par l’éducation – comme le montre a contrario la malheureuse affaire de Sarre-Union –, par l’enseignement des grands principes républicains, des grands principes du droit, tout simplement, qui emportent à la fois des droits et des obligations. Par tout cela, que peut faire l’éducation nationale, nous sommes en mesure d’arrêter le rouleau compresseur.

J’en viens aux relations entre le Parlement, en particulier l’Assemblée nationale, et notre institution. De ce point de vue, la réforme constitutionnelle de 2008 et la loi de 2011 me paraissent avoir réussi. L’année dernière, nous avons présenté une quinzaine d’avis et formulé 23 propositions de réforme, suivies à 16 reprises. Les sujets peuvent être très simples. Ainsi, vous faites une loi visant à favoriser les jeunes moniteurs de ski en faisant partir à la retraite les moniteurs plus âgés ; nous mettons notre grain de sel : « attention », avons-nous dit, « il y a là une petite discrimination en fonction de l’âge, il ne faudrait peut-être pas exagérer ». Et nous avons formulé une petite proposition qui a été adoptée. C’est cela, le Défenseur des droits à bas bruit, qui n’en fait pas moins respecter des droits et des principes fondamentaux.

Au même chapitre des petites choses qui pourraient être faites, j’aimerais que l’on donne suite à ma proposition concernant la carte « Familles nombreuses » de la SNCF. Aujourd’hui, lorsque des parents sont séparés et que l’autorité parentale est conjointe, ce qui n’est pas rare, la SNCF n’attribue qu’une seule carte « Familles nombreuses ». Pourquoi pas deux ? On m’a répondu il y a un an que cette proposition ne posait aucun problème et allait être mise en œuvre. Je l’attends toujours, et je l’ai rappelé il y a quelques jours par écrit à M. Vidalies et à Mme Touraine.

Vous avez par ailleurs voté l’année dernière une disposition législative qui permet aux détenus d’accéder aux enregistrements vidéo utilisés contre eux dans le cadre d’une procédure disciplinaire, mais le décret d’application n’a toujours pas paru.

Dans le même ordre d’idées, le Conseil constitutionnel a annulé pour des raisons de procédure deux dispositions très intéressantes de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui prévoyaient notamment le remboursement par l’employeur à Pôle emploi des allocations chômage versées à une salariée dont le licenciement était discriminatoire. Il serait bon que vous repreniez cette mesure d’une manière ou d’une autre, car la dissuasion par l’argent est un moyen très efficace de lutte contre les discriminations.

Un autre sujet qui va nous occuper à l’avenir est le lieu de résidence comme nouveau critère de discrimination, que la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine de février 2014 ajoute aux dix-neuf critères déjà existants. Cette mesure, réclamée depuis longtemps, a été beaucoup discutée, y compris chez le Défenseur des droits. Aujourd’hui, le critère, adopté par le Parlement, est applicable et tout porte à penser qu’il va prospérer, au vu des cas très préoccupants, que j’ai dénoncés, de ségrégation, de relégation, de discrimination affectant des territoires dont se retirent les services publics de la santé, de la sécurité, de l’éducation.

Un seul exemple : le jour des enfants, le 20 novembre, l’association Bonnets d’âne, créée par des parents d’élèves de Saint-Denis, est venue me présenter un dossier de discrimination territoriale, arguant que l’enseignement n’est pas assuré à Saint-Denis comme il l’est dans le Finistère, à Paris ou à Auxerre. Cette question mérite réflexion ; j’en ai déjà parlé à plusieurs ministres, dont Mme Vallaud-Belkacem. Peut-être faudrait-il mener une étude sur le sujet avec le ministère de la Ville avant que nous ne voyions arriver un lot de réclamations auxquelles nous aurons d’autant plus de mal à apporter une réponse que cette discrimination est difficile à prouver.

J’en terminerai par nos perspectives d’évolution.

Je souhaiterais tout d’abord que nous traitions mieux les réclamations qui nous sont adressées et, pour le dire clairement, que nous y répondions plus vite. Cela suppose d’améliorer nos techniques d’intervention, mais aussi de bénéficier de moyens supplémentaires en experts. Or notre plafond d’emplois actuel – 220 personnes à Paris – va se réduire progressivement en fonction du triennal, ce qui me préoccupe.

Ensuite, à partir de l’outil que j’ai reçu des mains de Dominique Baudis, je veux donner la priorité à la promotion de l’égalité et à l’accès au droit. Il s’agit de la partie de la mission légale du Défenseur des droits qui, au-delà de la mise en œuvre du droit positif, consiste à faire progresser le droit de toutes les manières possibles : par des études, des recherches, des comparaisons internationales, le développement de l’accès au droit – je multiplierai à cette fin le nombre des délégués territoriaux –, des propositions de réformes législatives ou réglementaires. Nous le ferons par l’intermédiaire d’une nouvelle direction, ou plus exactement d’une direction renforcée : le département de la promotion de l’égalité et de l’accès au droit, doté d’une nouvelle directrice venue de la recherche en santé publique, un domaine très touché par les discriminations. J’ai également nommé un nouveau directeur au service du réseau territorial, car il est important d’agir en réseau ; je souhaite d’ailleurs que nous soyons beaucoup plus présents sur internet et sur les réseaux sociaux.

Quant aux perspectives législatives, j’en citerai quatre.

Premièrement, faut-il introduire une forme de recours collectif en matière de lutte contre les discriminations ? La question est posée, à l’Assemblée nationale, par la proposition de loi de Razzy Hammadi ; au Sénat, par celle d’Esther Benbassa ainsi que par le rapport d’information Lecerf-Benbassa publié en novembre dernier. Elle est étudiée à la chancellerie, longtemps très réticente mais aujourd’hui plus réceptive dès lors que la possibilité d’action collective est assortie de certaines conditions. Je l’ai moi-même posée récemment, en particulier dans notre avis de 2013 sur la proposition de loi Benbassa. Vous avez par ailleurs adopté dans la loi Hamon une formule d’action collective destinée aux associations de consommateurs. En somme, le mouvement est lancé. Le sujet est très difficile, mais ne mérite pas d’être écarté d’un revers de main. J’ai donc l’intention d’y travailler, en interne et avec la chancellerie ; si vous êtes intéressés, je suis naturellement à votre disposition.

Deuxièmement, la compétence du Défenseur des droits, aujourd’hui limitée aux faits de discrimination et aux propos de provocation à la discrimination, doit-elle être étendue aux injures et aux propos racistes ? En d’autres termes, faudrait-il que nous puissions intervenir au titre de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ? Sur cette question, je n’ai moi-même pas entièrement fait ma religion. Mais, si j’en parle aujourd’hui, c’est parce que le Gouvernement et le président de la République ont annoncé que Mme Taubira allait présenter un projet destiné à faire passer dans le code pénal une partie des délits couverts par la loi sur la presse. Il se trouve qu’en 1996, j’avais formulé la même proposition à la suite de discours insanes de Jean-Marie Le Pen et pour remédier à certains défauts de cette loi – considérablement améliorée depuis, puisque le délai de prescription applicable à ces infractions a été porté de trois mois à un an. Cela avait provoqué une véritable insurrection des patrons de presse, le Gouvernement avait arbitré, et j’avais dû retirer mon projet. Vingt ans plus tard, la question se pose à nouveau. Est-ce l’occasion de rendre le Défenseur des droits compétent dans ces domaines, comme l’est l’ombudsman dans la plupart des pays comparables au nôtre – la Belgique, le Royaume-Uni, la Suisse ?

Troisièmement, en juillet dernier, l’Assemblée nationale a étendu la compétence du Défenseur des droits, au-delà du critère de discrimination par l’âge, à celui de la perte d’autonomie, afin de protéger les personnes accueillies dans des EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). J’ai visité la semaine dernière des établissements de ce type dans le département du Nord, notamment une unité de vie spéciale pour handicapés vieillissants et une unité Alzheimer. Nous avons bien entendu une mission de protection au titre des tutelles et des curatelles, mais nous devons être en mesure d’agir aussi contre le risque de maltraitance. Le texte est maintenant au Sénat, dont je sais qu’il n’estime pas tout à fait stable juridiquement la disposition adoptée par l’Assemblée nationale et va donc en proposer une autre, qui tendrait à introduire, dans la grande loi de 2008 sur les discriminations, la maltraitance, dont le Défenseur des droits serait chargé. Plusieurs centaines de milliers de personnes sont concernées ; dans dix ou vingt ans, elles seront plusieurs millions. C’est une œuvre de salut public que nous devons accomplir en ce domaine.

Le quatrième sujet auquel nous réfléchissons, que l’Assemblée nationale a déjà étudié et sur lequel nous pourrions travailler ensemble, c’est le numérique et les droits fondamentaux. Un seul exemple : à force de profilage, demain, n’importe qui pourra savoir quel médicament vous avez pris à telle époque, donc de quelle pathologie vous souffriez alors, et pourra, sur ce fondement, vous refuser un crédit. Je n’invente rien : le phénomène existe déjà, bien que sous une forme encore anodine. Parce que vous êtes allé deux fois à Barcelone, ou parce que vous vous êtes intéressé au film de Woody Allen Vicky Cristina Barcelona, vous êtes assailli de spams pour vous proposer des voyages sur place ; ce n’est pas bien grave, mais vous finissez quand même par vous laisser tenter, ce qui veut dire que votre liberté d’aller et venir est considérablement réduite : c’est peut-être pour Vienne que vous aviez envie de partir !

Plus sérieusement, l’utilisation des algorithmes peut mettre en cause certains droits fondamentaux. Il y va aussi de la liberté d’expression, et de la défense de l’égalité contre le racisme dont j’ai précédemment parlé. Vous avez constitué une commission ad hoc sur le numérique, présidée par Christian Paul ; vous êtes particulièrement préoccupés, comme membres de la commission des Lois, par les questions de régulation. C’est à ce titre que j’appelle votre attention sur ces points.

Enfin, peut-être quelques aspects de la loi organique du 29 mars 2011 devraient-ils être améliorés. Ainsi, il n’existe pas de protection contre les représailles auxquelles s’exposent certains réclamants, notamment de la part de leur patron, lorsqu’ils portent devant nous une affaire de discrimination dans l’emploi. De même, si je peux formuler des recommandations en équité, et si les ordonnateurs veulent bien les prendre en considération, les comptables ne paient pas parce que leur responsabilité est engagée, en particulier devant la cour de discipline budgétaire. Ne devraient-ils pas être exonérés du fait de mes recommandations, comme c’est le cas pour les ordonnateurs ? Troisièmement, nous rencontrons certaines difficultés lorsque le Défenseur des droits et les juges interviennent en parallèle ; une clarification est donc nécessaire. S’y ajoute enfin la question, dont j’ai parlé, du rôle de l’institution dans la lutte contre le racisme et la xénophobie.

Ces améliorations de la loi organique méritent d’être étudiées, au terme de cinq ans d’expérience que je juge plutôt concluantes – pour mon prédécesseur, puisque je ne suis moi-même en poste que depuis sept mois. Toutefois, je l’ai dit en commission des Finances en novembre dernier, nous ne pourrons aller de l’avant que si des moyens supplémentaires nous sont donnés. Je ne pourrai mener sous le plafond d’emplois qui m’a été attribué, avec le nombre de délégués territoriaux dont je dispose aujourd’hui, les actions exigeantes de protection et de promotion qui sont appelées par l’évolution de la société et qui nous imposent des responsabilités croissantes. Je fais le maximum, mais je souhaite vivement que le Défenseur des droits bénéficie du collectif budgétaire que le Gouvernement ne manquera pas de présenter après les élections départementales, afin de rétablir l’égalité dans la République.

M. Pascal Popelin. Monsieur le Défenseur des droits, je salue la densité de votre rapport et la précision de vos suggestions.

J’aborderai pour ma part un tout autre sujet. Dans une décision du 24 novembre 2014 faisant suite à la saisine émanant d’une jeune femme soumise le 14 juillet 2013, sur les Champs-Élysées, à un contrôle d’identité lors duquel elle avait été sommée de donner aux forces de l’ordre son fanion floqué au logo de la « Manif pour tous », vous déclariez que « l’interdiction de portée générale faite au public présent dans les périmètres contrôlés de détenir des “banderoles, affiches et tout autre support portant une revendication” [n’est pas] conforme au droit applicable sur le territoire de la République », et vous recommandiez au ministre de l’Intérieur de faire supprimer cette interdiction générale à l’occasion des cérémonies du 14 juillet.

Interrogé sur le déroulement de ces événements dans le cadre des travaux de la commission d’enquête sur les missions et modalités du maintien de l’ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur, le préfet de police de Paris, M. Bernard Boucault, nous a dit assumer avoir veillé au respect de cette interdiction générale à la date des faits évoqués. Justifiant les instructions alors données, il a notamment rappelé que c’est à la suite du projet déjoué d’assassinat du président Jacques Chirac, le 14 juillet 2002, que ces périmètres contrôlés ont été instaurés sur les trottoirs des Champs-Élysées lors des défilés militaires du 14-Juillet, dans le but de concourir à la sécurité du chef de l’État autant que d’éviter tout risque de trouble à l’ordre public. Il a également précisé qu’il aurait demandé à toutes les personnes qui lui auraient déclaré leur intention de manifester sur les Champs-Élysées le 14 juillet de modifier le lieu, le jour ou l’heure de la manifestation, en raison des cérémonies organisées à l’occasion de la fête nationale. Il a aussi replacé les mesures préventives adoptées dans le contexte tendu du moment : selon des renseignements concordants, des actions de contestation assez dures étaient alors envisagées, incluant l’usage de fumigènes et des tentatives individuelles de se projeter sur les Champs-Élysées au passage du président de la République. Tout cela justifiait selon lui que des consignes très fermes soient données pour que les manifestations non déclarées dont le projet avait été largement relayé sur les réseaux sociaux ne viennent pas troubler l’ordre public. Il réaffirmait pour conclure que personne ne peut manifester sur les Champs-Élysées le 14 juillet.

Dans ce contexte, et compte tenu de ces éléments, pensez-vous que la notion de maintien de l’ordre, toujours dans le respect des libertés publiques, permette de tolérer des manifestations sur les Champs-Élysées le 14 juillet, lors des célébrations de la fête nationale ?

M. Alain Tourret. En ce qui concerne la loi de 1881 sur la presse, je crains personnellement qu’en en retirant certaines infractions, on ne remette entièrement en cause la prescription, à propos de laquelle Georges Fenech et moi-même sommes chargés de formuler un ensemble de propositions. La prescription de trois mois est déjà une exception ; la prescription d’un an, une exception à l’exception ; si l’on transfère des infractions de la loi sur la presse au code pénal, on passera à trois ans, et nous serons même amenés à formuler des propositions qui iront bien au-delà.

Ensuite, j’ai bien entendu toutes vos propositions, mais ce qui me mobilise aujourd’hui, c’est la défense de la communauté juive de France. Jamais l’antisémitisme n’a autant prospéré. Depuis plusieurs années, nous trouvons tout normal : les assassinats, avec l’affaire Halimi, les atteintes aux cimetières, les délits, les provocations, le climat même que subit cette communauté. C’est au point que le Premier ministre d’Israël vient à trois reprises, deux fois sur le territoire national, une fois depuis son pays, d’appeler à l’alyah, c’est-à-dire au départ de la communauté juive de France, ce qui ne pourra qu’accroître encore l’antisémitisme en faisant des Juifs de France des Français à part, alors qu’ils sont naturellement chez eux en France. Je suis extrêmement inquiet. Tout est banalisé. Qu’un ancien ministre des Affaires étrangères se permette de parler comme il l’a fait dernièrement est invraisemblable. On renoue avec les pires moments de Léon Daudet, de la Cagoule, de l’extrême droite française ! Une rupture s’impose. Monsieur le Défenseur des droits, est-ce l’un des éléments centraux de votre action ? Si oui, quels moyens comptez-vous mobiliser, quelles propositions comptez-vous formuler ?

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. En tant qu’ancien rapporteur de la loi organique qui a créé la fonction de Défenseur des droits, j’ai apprécié votre fougue, et je suis très heureux de vous avoir entendu confirmer que les craintes exprimées alors par la gauche sur les risques de la fusion des différentes institutions que vous avez citées étaient infondées.

Le Défenseur des droits est aujourd’hui une autorité administrative indépendante dont le rôle est consacré par la Constitution. Ce statut est-il suffisant et bien reconnu juridiquement dans notre pays ?

Beaucoup de réclamations portent sur les relations des usagers avec l’administration. Comment les préfets se comportent-ils vis-à-vis de vous ? Plus généralement, comment les différentes administrations répondent-elles à vos interventions ? Les administrations françaises sont plutôt des administrations de contrôle que d’accompagnement. Certaines font-elles de la rétention de documents ou se comportent-elles de manière retorse ?

S’agissant de vos moyens d’investigation – je pense par exemple à la possibilité de demander la communication de documents administratifs, à la mise en demeure –, la situation est-elle satisfaisante ?

Vous avez évoqué les évolutions possibles du Défenseur des droits. Les autorités administratives indépendantes ont tendance à se multiplier. En 2011, il avait été question d’en intégrer davantage au Défenseur des droits, notamment la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) et la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) – dans le cas de cette dernière, j’en avais été dissuadé par Daniel Vaillant. Quel est votre regard sur ces possibles fusions, et par exemple sur l’intégration de la CNIL et de la CADA ?

M. Jean-Paul Delevoye, ancien Médiateur de la République, avait insisté sur le mal-être de la société française ; vous avez vous-même parlé d’« avachissement des valeurs ». Prévoyez-vous d’appeler plus fortement l’attention du Gouvernement et des élus sur ces problèmes ?

Le Défenseur des droits est-il assez connu de nos concitoyens ? Vous disposez d’un site internet, et nous-mêmes, députés, avons beaucoup recours à vos services. Prévoyez-vous des déplacements en province ? Une communication plus large vous paraît-elle nécessaire ?

Par rapport à vos homologues d’autres pays européens, disposez-vous de tous les moyens d’action nécessaires ou bien des blocages subsistent-ils ?

M. Gilbert Collard. Monsieur le Défenseur des droits, j’ai un respect infini pour votre fonction, qui est inscrite dans la Constitution, et qui constitue une avancée pour la défense des droits ; mais il me semble que, dans une démocratie, c’est le député qui doit être le défenseur légitime, naturel, des droits.

Vous parlez de « mieux organiser la gestion démocratique des foules ». Qu’entendez-vous par ce terme ? Faites-vous allusion à ce qui s’est passé lors des manifestations dites « de la Manif pour tous » ? Vous aviez considéré, je crois, que le fait d’avoir fait ôter des t-shirts portant la mention « Manif pour tous » constituait une atteinte à la liberté d’expression. Confirmez-vous ce point ? Y a-t-il eu des avancées dans ce domaine ? Je n’aurais pas évoqué cette question si vous n’aviez pas parlé d’« avachissement des valeurs ». Sur ce dernier point, je ne peux d’ailleurs que vous donner raison.

La liberté d’expression est totale, sauf dans des cas prévus par la loi – racisme, xénophobie, antisémitisme. Mais, au Parlement, un député qui dit « madame le président » est sanctionné ; vous-même l’avez été lorsque vous avez remis en question le passé résistant de François Mitterrand, et rappelé qu’il avait reçu la francisque. Aujourd’hui, les propos de Roland Dumas – parce que je le connais et que je reste, dans le souvenir, son ami – me désespèrent. Trouvez-nous normal de laisser passer de telles phrases, au moment où l’on prétend lutter contre la relégation, la ségrégation, le racisme et la xénophobie ? Vous avez rappelé, et vous avez bien fait, les propos insanes de Jean-Marie Le Pen ; mais vous étiez aux côtés de Jacques Chirac lorsqu’il parlait d’une famille immigrée avec « trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses », et qu’il ajoutait qu’avec « le bruit et l’odeur », « le travailleur français sur le palier [devenait] fou ». Que dirait, que ferait aujourd’hui le Défenseur des droits ?

Vous êtes devenu le Défenseur des droits : je m’incline devant cette fonction honorable. Mais, de grâce, ne venez pas nous parler d’avachissement des valeurs !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Monsieur le Défenseur des droits, vous avez rendu, à la fin de l’année dernière, un avis qui donne à la SNCF six mois pour répondre à des questions graves, portant sur des comportements inacceptables au sein de l’entreprise vis-à-vis de deux personnes, et sur l’absence de réaction de la hiérarchie. La lecture de votre argumentaire montre une situation invraisemblable. Comment la SNCF, institution essentielle et respectée même si elle provoque parfois quelque agacement, peut-elle en arriver là ? Pourquoi faut-il à ce point insister pour qu’un début de solution puisse être ne serait-ce que recherché ?

Vous attendez, dites-vous, une réponse formelle, à la fois nationale et locale ; vous demandez des sanctions et une réparation du préjudice. Vous demandez à la SNCF d’étudier les moyens d’améliorer la situation des personnes concernées, qui sont en arrêt maladie, mais à qui l’invalidité professionnelle a été refusée – elles touchent donc des indemnités très faibles. Aucun regret n’a même été exprimé ! De tels comportements au sein de grandes entreprises déshonorent la France. Quelles solutions envisager ?

M. Jean-Pierre Decool. Les victimes de l’amiante et leurs familles attendent désespérément, depuis des années, la tenue d’un grand procès pénal. L’amiante faut-il le rappeler ? a été interdit tardivement, en 1997 ; cette substance est responsable de près de 20 % des cancers du poumon, et pourrait provoquer 100 000 décès d’ici à 2025, selon les autorités sanitaires.

Alors que la justice italienne a, lors d’un grand procès de l’amiante, condamné en février 2012 à seize années de prison deux anciens dirigeants de la société Eternit, jugés responsables de la mort de plusieurs milliers de personnes, les premières plaintes en France datent de 1996 et tardent à aboutir. Le contraste entre le procès de Turin et les lenteurs de Paris montre l’incapacité flagrante, et choquante, de la justice française à établir des responsabilités pénales dans les affaires d’amiante. Les victimes et leurs familles sont désemparées et doutent de la volonté des pouvoirs publics de faire aboutir le traitement judiciaire de leurs plaintes.

J’ai moi-même déposé, en novembre 2012, une proposition de loi visant à réviser la loi dite « Fauchon » et à supprimer toute impunité pénale des responsables d’entreprises dans le drame de l’amiante.

Quelles démarches peut engager le Défenseur des droits, autorité constitutionnelle indépendante chargée de veiller à la protection des droits et des libertés de nos concitoyens, pour lever les obstacles à la tenue, dans les meilleurs délais, d’un grand procès pénal de l’amiante ? L’impunité en telles matières ne doit pas être une fatalité.

M. Sergio Coronado. Le rapport du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Nils Muižnieks – vous l’avez évoqué – est sévère, voire accablant, surtout par comparaison avec le rapport de 2006, qui décrivait une France incarnant les valeurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce rapport dresse notamment un tableau très sombre de la situation faite aux migrants et aux demandeurs d’asile. Soulignant la distance entre les bonnes paroles et la réalité des faits, il déplore nos faiblesses en matière d’accueil des réfugiés syriens et irakiens. La différence avec l’Allemagne est abyssale.

Quelles suites seront données à ce rapport ? La France ne devrait-elle pas signer le douzième protocole à la Convention européenne des droits de l’homme ? L’actuel ministre des Affaires étrangères semble réticent.

Nous rencontrons des difficultés pour mesurer les discriminations dans notre pays. Quel est votre point de vue sur un possible recours à des statistiques ethniques ?

Vous avez pris position fortement, ce dont je me félicite, sur les risques d’abus lors de contrôles d’identité par les forces de police. Avez-vous noué un dialogue fructueux avec le Gouvernement sur ce sujet ? Le président de la République avait pris des engagements en la matière, et les engagements sont faits pour être tenus – il serait en tout cas souhaitable qu’ils le soient. Pensez-vous qu’il sera possible d’avancer sur ce point avant la fin de la législature ?

M. Éric Ciotti. Je commencerai par vous remercier, monsieur le Défenseur des droits, de la qualité de votre travail, essentiel dans notre démocratie.

Je souhaite m’attarder sur le rapport, déjà évoqué, du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Nils Muižnieks, commissaire letton, a publié ce rapport le 17 février. Le Monde en faisait état hier soir, et titrait son éditorial : « La France et les droits de l’homme : un bilan mitigé ».

Je voudrais exprimer ici ma colère. Ce rapport est absolument scandaleux. Il dépeint notre démocratie de façon extrêmement caricaturale et remet en cause des fondements essentiels de nos politiques publiques, ainsi que notre capacité à décider. Le tableau dressé par cet obscur commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe est ridicule, et je veux m’étonner ici de l’absence de réaction des pouvoirs publics français. La réaction du Gouvernement est étrangement neutre.

Il est particulièrement choquant et tout à fait honteux de mettre en cause nos forces de l’ordre. Dans des termes violents, inacceptables, que nous devons tous dénoncer, ce personnage les accuse de commettre des violences. Il se dit ainsi « très préoccupé par les violences subies par les Roms migrants commises […] par des membres des forces de police ». Il « considère que de tels comportements, qu’il s’agisse de violences commises par les forces de l’ordre ou permises par leur passivité, sont inacceptables ». Il « appelle également les autorités à lutter contre tous les comportements discriminatoires, y compris des forces de police » et ajoute que « certains comportements des forces de l’ordre semblent contribuer [aux] discriminations ».

Nous ne pouvons pas laisser passer ces propos. Vous êtes, monsieur le Défenseur des droits, l’un des garants de nos libertés fondamentales, comme l’a voulu le législateur lors du précédent quinquennat. Quelles que soient nos différences, nous pouvons partager la certitude que notre pays est une grande démocratie, et que nous n’avons pas de leçons de cette nature à recevoir. Nous devons réagir, et je veux dénoncer avec beaucoup de force le contenu de ce rapport, mais aussi l’absence de réaction des pouvoirs publics. Je viens d’écrire au Premier ministre et au ministre de l’Intérieur, qui n’ont pas joué leur rôle dans ce dossier. Je ne comprends pas la passivité du Gouvernement, qui répond que « faute d’éléments plus précis sur les violences policières qui auraient été rapportées au commissaire aux droits de l’homme, [il] n’est pas en capacité de formuler des observations précises sur ce point »..

L’an dernier, plus de 5 000 policiers ont été blessés en service, et plusieurs ont été tués. Après ce que nous avons vécu les 7, 8 et 9 janvier dernier, venir attaquer les forces de l’ordre dans ces termes est indigne !

Monsieur le Défenseur des droits, vous n’êtes évidemment pas en cause. Mais vous pouvez dire que notre pays n’est pas une dictature, et que nous n’avons pas de leçons à recevoir de tels personnages !

M. Jacques Bompard. Le législateur est par nature très sensible à la question des droits ; mais il oublie parfois que, sans devoirs, les droits disparaissent. N’est-ce pas votre sentiment ?

M. Philippe Goujon. Comme M. Morel-A-L’Huissier, j’ai été rassuré d’entendre que la fusion des différentes autorités administratives au sein de votre institution était un succès, et qu’elle n’a en rien entamé votre capacité d’action.

Serait-il utile, efficace, de fusionner avec vos fonctions celles du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont le rôle a encore été modifié récemment ? Le Défenseur des droits intervient en effet d’ores et déjà dans le domaine pénitentiaire.

Monsieur Popelin a évoqué les personnes arborant des fanions sur les Champs-Élysées le 14 juillet. M. le Défenseur des droits sera auditionné par la commission d’enquête sur le maintien de l’ordre : nous aurons l’occasion de l’interroger sur ces questions.

M. Olivier Marleix. Je souhaite vous interroger d’abord sur la protection de l’enfance. Dans la pratique, le juge des enfants s’appuie essentiellement, pour prendre une décision, sur les enquêtes de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), qui se trouve ainsi à la fois juge et partie. Sans travail collégial solide au sein de l’ASE, les jugements peuvent se trouver fragilisés, et c’est d’ailleurs là, je crois, l’un des sujets dont vous êtes fréquemment saisi. J’ai pour ma part déposé une proposition de loi tendant à instituer un agrément pour des associations qui, dès lors, pourraient par exemple aider les familles à contester des décisions de placement : il me semble qu’il est nécessaire qu’un tiers soit présent dans ces procédures. Quel est votre avis sur ce sujet ?

Les discriminations en raison des origines sont, vous l’avez dit, très difficiles à prouver, en particulier les discriminations à l’embauche, qui sont le plus souvent muettes, voire inconscientes. Dans la mesure où notre pays refuse toute discrimination positive, car nous considérons cette démarche comme contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, nous ne pouvons que sanctionner – si la preuve de la discrimination peut être apportée – tout en promouvant par ailleurs l’égalité des chances. Cette situation est insatisfaisante. L’action de groupe est une idée intéressante, mais elle ne réglera pas ces questions. Quelles solutions peut-on imaginer pour aller plus loin ?

M. Sébastien Denaja. Dans le cadre de la loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes, j’ai moi-même commencé à travailler sur la question de l’action de groupe en matière de discrimination, sur la base notamment du rapport de Mme Laurence Pécaut-Rivolier. Préconisez-vous plutôt un dispositif global, ou bien différents textes selon le type de discrimination ?

S’agissant des droits de l’enfant, qui entrent dans vos fonctions, je souhaite vous interroger sur l’inceste, à propos duquel nous avons été interpellés à de multiples reprises. Un texte a été adopté à l’unanimité mais censuré par le Conseil constitutionnel. Travaillez-vous sur le sujet ? Les associations qui représentent les victimes d’inceste parlent de deux millions de victimes dans notre pays : ce chiffre est terrifiant.

M. René Dosière. L’un des objectifs du regroupement des différentes autorités au sein du Défenseur des droits était de mutualiser des moyens, et donc de réaliser des économies de fonctionnement : cet objectif a-t-il été atteint ?

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. Je répondrai d’abord aux questions institutionnelles.

Il existe aujourd’hui plusieurs organismes différents, et j’ai d’autres priorités que d’absorber les uns ou les autres. Depuis les rapports de M. Goujon et de M. Morel-A-L’Huissier, de l’eau a coulé sous les ponts… Nos relations avec les autorités administratives que vous évoquez – CNIL, CADA, Contrôleur général des lieux de privation de liberté… – sont aussi bonnes que possible.

Le Parlement sera bientôt appelé à se pencher sur la question du numérique, à la fois dans le cadre du projet de loi qui sera présenté par Mme Axelle Lemaire et du projet de loi sur le renseignement. Or je veux souligner que l’on a trop souvent tendance aujourd’hui, lorsqu’on s’approche des limites des libertés fondamentales, notamment pour des raisons de sécurité, à improviser les protections et les contrôles. Le meilleur exemple, c’est ce qui s’est passé récemment lorsqu’il s’est agi de contrôler le blocage de sites internet appelant au terrorisme, dans la loi du 13 novembre dernier : il a simplement été décidé que la CNIL désignera une personne qualifiée à qui il reviendra de dire si le blocage était bien justifié… Pourquoi cette solution en particulier ? Pourquoi pas une autre ? Il sera bon de réfléchir à ces problèmes.

Nous assistons, dans les relations des usagers avec les administrations, à une évolution culturelle : les demandes ne concernent plus seulement un papier que l’on n’arrive pas à obtenir – c’est ce qui avait justifié la création du Médiateur de la République en 1973. Aujourd’hui, les médiations se sont développées, et une culture des droits fondamentaux se développe. J’ai d’ailleurs créé un comité d’entente des usagers des services publics, qui se réunira pour la première fois dans quelques semaines.

Monsieur Dosière, vous m’interrogez sur notre usage des fonds publics. M. Luc Machard, directeur général des services, qui est ici présent, est lui-même conseiller maître à la Cour des comptes. À la demande de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, la Cour a rendu au mois d’octobre un rapport qui conclut que la fusion des différentes autorités a été bien menée – ce qui doit être porté au crédit de mon prédécesseur. La mutualisation a produit ses effets ; compte tenu de la hausse des demandes qui nous sont adressées et de nos charges croissantes, nous avons plutôt réalisé des économies.

MM. Collard, Goujon et Popelin m’interrogent sur la déontologie de la sécurité. La loi, et notamment l’article L. 142-1 du code de la sécurité intérieure, dispose que le Défenseur des droits « veille au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité ».

Monsieur Collard, la « gestion démocratique des foules », c’est le terme à la fois technocratique et international pour dire « maintien de l’ordre ». C’est un sujet extrêmement difficile, puisque la situation est par nature asymétrique : la force de la loi et celle des armes – armes proprement dites, mais aussi moyens de maintien de l’ordre ou armes de force intermédiaire, les Taser par exemple –, sont d’un seul côté. La commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le maintien de l’ordre est importante, et c’est pourquoi j’ai souhaité qu’elle puisse m’auditionner.

Nous devons en effet aujourd’hui, devant l’évolution des formes de manifestation, repenser les doctrines du maintien de l’ordre, et cela d’autant plus que nous demeurons très attachés au modèle européen, où le maintien de l’ordre est confié à des forces spécialisées – ce n’est pas le cas aux États-Unis, par exemple, où c’est l’armée qui en est chargée. Nous travaillons sur les demandes qui nous sont adressées ; mais nous menons aussi notre propre réflexion. C’est dans ce but que Dominique Baudis avait mis en place, il y a deux ans, un groupe d’autorités européennes, qui se réunira à nouveau à la fin du mois de mars. Les parlementaires seront naturellement invités à cette journée de séminaire.

Monsieur Popelin, vous faites référence à la décision du 24 novembre 2014, rendue après une longue enquête : nous avons en effet conclu que l’instruction générale qui avait mené à l’ordre, par exemple, de retirer les fanions, était trop générale, et n’était pas compatible avec la liberté d’expression et de manifestation. Certains ont applaudi, d’autres se sont plaints.

Nous agissons avec la même rigueur lorsqu’il s’agit de contrôles d’identité : comment équilibrer la liberté d’aller et de venir, la liberté d’allure, de parole, d’expression, de manifestation, de comportement, avec la nécessité, aujourd’hui essentielle, de sécurité ? Le Défenseur des droits a rendu public, en octobre 2012, un rapport portant sur les relations entre police et citoyens, ainsi que sur les contrôles d’identité. À la fin de l’année 2013, a été mis en place un groupe de travail sur l’article 78-2 du code de procédure pénale, qui pose le cadre juridique de ces contrôles. Celui-ci n’a pas encore rendu ses conclusions.

Tout récemment, nous avons transmis des observations à la cour d’appel de Paris, saisie par treize personnes qui ont fait l’objet de contrôles d’identité. Nous ne nous prononçons pas sur les cas d’espèce, comme je l’ai indiqué en introduction, mais nous invitons la Cour à se poser deux questions : les contrôles sont-ils aujourd’hui assez encadrés ? Le seul recours prévu aujourd’hui, sur le fondement de l’article 141-1 du code de l’organisation judiciaire, est-il suffisant, ou bien faut-il en inventer d’autres pour respecter nos propres principes ?

Nous pouvons, je crois, travailler avec le Parlement sur ces questions, comme sur celles du renseignement et des écoutes. La télévision a diffusé la semaine dernière une fiction fondée sur l’affaire Gordji, en 1986. Depuis, le monde a totalement changé ! Il y a une nouvelle efficacité de la police, mais aussi de nouveaux risques : il faut donc une nouvelle réflexion sur la déontologie de la sécurité. Nous sommes à votre disposition pour la mener.

MM. Ciotti et Coronado, dans des termes un peu différents, m’invitent à dire quelques mots du rapport de M. Muižnieks. Le Défenseur des droits se doit d’adopter une position sage et équilibrée. Ce rapport, publié hier, est le résultat d’une visite en France de plusieurs jours au mois de septembre dernier, c’est-à-dire il y a cinq mois ; j’avais d’ailleurs moi-même rencontré M. Muižnieks dans ce cadre. Disons-le clairement : j’ai eu l’occasion de dire que l’absence de chronologie intellectuelle était une erreur ; cette remarque s’applique ici. D’un autre côté, je rejoins les préoccupations dont il fait état. J’ai moi-même parlé d’avachissement des valeurs, de haine de l’autre. Nous constatons chaque jour, vous comme nous, l’existence de ces dangers ; vous luttez vous-mêmes contre ces dérives par votre travail. Il faut réagir, mais la loi, la justice sont fortes et réactives.

Monsieur Tourret, malgré mes positions exprimées en 1996 que j’ai rappelées tout à l’heure, je partage aujourd’hui vos préoccupations sur le passage de certaines dispositions de la loi sur la presse au code pénal. Je m’interroge notamment sur le fait qu’il serait dès lors possible de juger de telles affaires en comparution immédiate.

Nous répondons à ces affaires aussi bien que nous le pouvons, et il faut peut-être aller plus loin – avec le plan du Gouvernement, avec ce que je propose moi-même, avec les dispositions que vous allez certainement adopter. Mais, je le répète, la situation de la France n’est pas celle d’un pays où les droits de l’homme seraient bafoués : la protection des libertés, la promotion des droits de chacun sont assurés.

Allons toutefois plus loin. Nous sommes dans un pays où 0,5 % de la population – ceux qui ont la chance de faire des études supérieures juridiques – connaît le droit. Pourquoi n’apprend-on pas aux collégiens et aux lycéens les principes de droit qui découlent des valeurs de la République, comme la laïcité, dont Mme Vallaud-Belkacem a eu raison de dire qu’il fallait désormais les inculquer  ? Pourquoi ne leur apprend-on pas ce qu’est un contrat – c’est-à-dire une relation synallagmatique qui, en effet, implique des droits et des devoirs ? Pourquoi ne leur apprend-on pas ce que sont la responsabilité civile et la responsabilité pénale, c’est-à-dire les droits et leurs limites ? Je suis sûr, monsieur le président, que les membres de cette Commission le savent mieux que personne : nous souffrons aujourd’hui d’une inculture juridique profonde. Aurait-on saccagé un cimetière juif à Sarre-Union si l’on apprenait ce qu’est le territoire d’une communauté, ce que sont une église, une mairie, un cimetière ?

Nous devons aussi apprendre aux enfants quels sont leurs droits. Monsieur Coronado, vous mettez l’accent sur la question des réfugiés et des demandeurs d’asile. Je me bats tous les jours pour faire respecter l’obligation scolaire au profit des enfants roms : nous sommes un pays, une communauté où les droits sont reconnus et doivent être rendus effectifs.

Je comprends le point de vue du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Mais notre situation n’est pas celle qu’il décrit.

Monsieur Morel-A-L’Huissier, vous souhaitez que nos actions fassent l’objet de plus de communication et de promotion. C’est à ces fins que je souhaite la multiplication de nos délégués territoriaux, qui doivent en outre être mieux formés et jouir de compétences plus larges. Et, si je suis ici devant vous comme j’espère l’être deux fois par an désormais, c’est parce que nous souhaitons que nos relations avec la représentation nationale soient bien plus étroites.

Les injures, comme les propos racistes ou xénophobes, je l’ai dit, n’entrent pas dans mon champ de compétences.

Madame Le Dain, la situation que vous évoquez est grave. Je serai loyal : après une enquête de deux ans, nous avons formulé des recommandations, qui incluaient des mesures importantes, et nous avons donné quelques mois à la SNCF pour réagir ; je me tiendrai à ce contrat. Mais je suis bien de votre avis : ces faits doivent être pris très au sérieux. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que nos préconisations soient suivies d’effet ; si le Parlement pouvait appuyer ce combat, ce serait très important.

Monsieur Decool, pour notre part, nous avons envisagé ce drame national qu’est l’affaire de l’amiante essentiellement sous l’angle de la protection sociale, en particulier de l’accès à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante. Notre dispositif ne fonctionne pas bien, et une harmonisation est nécessaire. Nous avions proposé un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais on nous a répondu que l’on cherchait de nouvelles économies, et pas de nouvelles dépenses.

S’agissant du versant pénal de ce dossier, la réponse peut effectivement paraître faible. Mais un problème de preuve se pose là encore. Je vous rappelle également les termes de la loi Fauchon de 2000, tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.

M. René Dosière. On pourrait parler de la loi Fauchon-Dosière…

M. Jacques Toubon. La loi Fauchon-Dosière, si vous le souhaitez, monsieur le député, dispose donc que les décideurs publics sont responsables pénalement « s’il est établi [qu’ils] ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité [qu’ils] ne pouvaient ignorer ». Le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les risques et les conséquences de l’exposition à l’amiante, en 2006, recommandait de se pencher sur l’application de cette loi. Je présenterai pour ma part, lors de l’examen du projet de loi relatif à la santé, des propositions et des réflexions sur ce sujet.

Le régime de réparation des maladies professionnelles et des accidents du travail dissocie responsabilité civile et responsabilité pénale et, à ce titre, me paraît défaillant ; il s’oppose à l’indemnisation intégrale. Là encore, des propositions peuvent être faites.

Monsieur Marleix, s’agissant de la protection de l’enfance, je rejoins vos préoccupations. Vous savez que nous avons rendu au mois de juillet dernier un rapport relatif à l’« affaire Marina ». Une proposition de loi est en discussion au Sénat, et Mme Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, fera prochainement des propositions ; le pilotage national de la protection de l’enfance est aujourd’hui à l’ordre du jour. Nous estimons nous aussi judicieuse l’idée de tiers de confiance. En quel sens faut-il modifier la loi de 2007 sur la protection de l’enfance ? C’est un vaste débat.

S’agissant des statistiques ethniques, nous estimons qu’il existe aujourd’hui bien des méthodes qui permettent de s’en passer. Ainsi, l’enquête « Trajectoires et origines » de l’INSEE utilise les lieux de naissance des personnes concernées et de leurs parents.

Sur la discrimination en raison de l’origine, il me semble, en toute modestie, que nous sommes assez bons dans le maniement de la preuve. Mais les parquets, je suis désolé de devoir le dire, demeurent plus prudents que nous. J’espère que nous pourrons progresser.

J’espère avoir répondu à l’ensemble de vos questions. J’espère aussi, monsieur le président, que cette audition sera le prélude à une collaboration plus étroite – dans le respect, bien sûr, de l’indépendance de chacun – avec la Commission et, plus largement, avec le Parlement.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci, monsieur le Défenseur des droits, de la précision de vos réponses. Vous êtes toujours le bienvenu dans cette maison que vous connaissez si bien.

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

– M. Alain Tourret, rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à étendre l'obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité (n° 61).

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La séance est levée à 13 heures 15.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, M. Luc Belot, M. Erwann Binet, M. Jacques Bompard, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Gilbert Collard, M. Sergio Coronado, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Jean-Pierre Decool, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, M. Olivier Dussopt, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Bernard Gérard, M. Philippe Goujon, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, M. Guillaume Larrivé, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Olivier Marleix, Mme Sandrine Mazetier, M. Patrick Mennucci, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Jacques Pélissard, M. Edouard Philippe, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, M. François-Xavier Villain, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Paola Zanetti, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Jean-Michel Clément, Mme Pascale Crozon, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Bernard Roman, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - M. Patrick Ollier, M. Michel Piron