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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 25 mars 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 56

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Examen de la proposition de loi de M. Éric Ciotti relative à la légitime défense des policiers (n° 2568) (M. Éric Ciotti, rapporteur)

– Communication du Président de la commission des Lois sur le thème de l’indignité nationale

– Examen de la proposition de loi de M. Philippe Meunier visant à faire perdre la nationalité française à tout individu arrêté ou identifié portant les armes ou se rendant complice par la fourniture de moyens à des opérations armées contre les forces armées ou les forces de sécurité françaises ou tout civil Français et à rétablir le crime d’indignité nationale pour les Français sans double nationalité (n° 2570) (M. Philippe Meunier, rapporteur)

– Information relative à la Commission

La séance est ouverte à 9 heures 35.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède d’abord à l’examen de la proposition de loi de M. Éric Ciotti et plusieurs de ses collègues relative à la légitime défense des policiers (n° 2568) (M. Éric Ciotti, rapporteur).

M. Éric Ciotti, rapporteur. Les missions des forces de l’ordre sont dangereuses. Les événements tragiques qui ont frappé notre pays les 7, 8 et 9 janvier dernier l’ont, hélas, confirmé : trois policiers – deux policiers nationaux et une policière municipale – ont été assassinés. Ce drame qui a frappé notre pays au cœur a suscité une réaction nationale unie et l’expression d’un soutien sans faille, particulièrement émouvante, notamment lors du rassemblement du 11 janvier, aux forces de l’ordre, ces détenteurs de l’autorité républicaine, du « monopole de la violence légitime », selon la formule de Max Weber.

Ces ignobles attentats témoignent des risques et des menaces auxquels nos policiers et nos gendarmes sont aujourd’hui confrontés. Je rappellerai quelques chiffres qui attestent que l’uniforme ne protège plus, mais expose. 112 policiers nationaux ont perdu la vie depuis 2004, dont 36 en mission, et 52 000 ont été blessés en mission. Ce dernier chiffre a connu au cours des dernières années une augmentation très forte, qui a culminé en 2014. Le danger est réel, et il se manifeste de plus en plus souvent – trop souvent.

Dans ces conditions, il nous semble légitime que les forces de l’ordre disposent de moyens appropriés pour lutter contre la criminalité : des moyens matériels et humains, naturellement, mais aussi – c’est l’objet de cette proposition de loi – des moyens juridiques, au travers d’une protection pénale renouvelée, suffisamment efficace.

Car, en l’état actuel de notre droit, la protection pénale dont bénéficient les forces de l’ordre est non seulement hétérogène – puisqu’elle varie selon les intervenants –, mais difficilement lisible, et n’est plus adaptée à la nature des missions réalisées, des dangers affrontés, ni, surtout, à l’évolution des comportements criminels.

Hétérogène, d’abord : gendarmes et policiers, en dépit de la proximité des missions exercées et des risques encourus, en dépit de l’identité des règles déontologiques qui s’appliquent à eux en vertu du code de la sécurité intérieure, ne sont pas soumis à la même doctrine d’emploi de la force armée.

En effet, contrairement aux gendarmes, qui peuvent faire usage de la force armée dans certaines hypothèses prévues par le code de la défense, les policiers ne sont autorisés à employer leurs armes que dans le cadre du droit commun, c’est-à-dire en situation de légitime défense. Les policiers, malgré la nature particulièrement dangereuse de leurs fonctions, malgré les risques exceptionnels qu’ils peuvent courir, sont ainsi placés dans une situation strictement identique à celle des particuliers, vous et moi.

Certes, s’agissant des gendarmes, la Cour de cassation, sous l’éclairage du droit européen, a adopté une interprétation du code de la défense qui a pour effet de neutraliser partiellement les règles spécifiques à ce corps. Il n’en reste pas moins certain que deux cadres légaux coexistent. Or celui auquel la police et les autres forces de l’ordre, hors gendarmerie, sont soumises, c’est-à-dire le droit commun, n’est pas satisfaisant.

La légitime défense, prévue par l’article 122-5 du code pénal, suppose en effet la réunion de trois conditions : la nécessité, c’est-à-dire le fait que l’infraction pénale commise en situation de légitime défense ait été indispensable pour répondre à l’atteinte en cause, à l’exclusion de toute autre solution ; la proportionnalité, soit une riposte mesurée face à l’atteinte ; la simultanéité, enfin, entre l’atteinte et la riposte.

Pour respecter ces trois conditions, les forces de l’ordre sont souvent amenées à attendre que le danger se réalise pour pouvoir se prévaloir de la légitime défense. En outre, le principe de riposte proportionnée interdit à un policier de faire usage de son arme s’il est menacé par des individus qui en seraient dépourvus, alors qu’il est évident que, même à mains nues, on peut tuer quelqu’un. Des événements tragiques l’ont confirmé, impliquant des policiers comme des gendarmes : je songe à l’agression du gendarme Daniel Nivel et à celle du commissaire divisionnaire Jean-François Illy, qui avait failli mourir de ses blessures après être tombé dans le guet-apens tendu par une bande non armée.

J’en conviens, des décisions de justice ont admis la légitime défense lorsque l’agression était objectivement vraisemblable, laissant penser qu’une riposte préventive peut être autorisée. Il n’en reste pas moins acquis que le droit commun fait peser sur les agents publics une insécurité juridique pernicieuse.

Je ne suis pas le seul à établir ce constat. Il est partagé par les organisations syndicales de la police nationale, de manière très majoritaire, pour ne pas dire quasi unanime, ainsi que nous avons pu le mesurer lors des auditions. Il a été évoqué à l’occasion d’un rapport demandé par le ministère de l’Intérieur. Il a enfin été au cœur de travaux menés par la direction générale de la police nationale (DGPN).

Le sentiment des policiers, qu’ils soient gardiens de la paix, officiers ou commissaires, et de leurs représentants syndicaux, est celui d’un droit qui n’offre pas une protection suffisante à ses serviteurs ; pire, qui pourrait mettre en danger les forces de l’ordre. À cet égard, la DGPN a admis que le code pénal, tel qu’il est rédigé, ne permet pas de faire face à toutes les situations auxquelles nos concitoyens et les forces de l’ordre peuvent être confrontés. Ainsi, n’est pas couverte l’hypothèse d’un tueur en série, comme on en a vu dans certains pays d’Europe du Nord, d’un fou qui a tué et qui est en mesure de tuer à nouveau mais qui, à l’instant où il peut être neutralisé, a rangé son arme. Cette situation a été soulignée en audition par Mme Marie-France Monéger, directrice de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), laquelle a cité elle-même ce cas précis.

Ces incertitudes et ces vides juridiques peuvent conduire des policiers à ne pas utiliser leurs armes alors qu’ils le pourraient, par peur de se placer hors du cadre légal et de s’exposer à des poursuites judiciaires ou administratives sévères – ce qui arrive de plus en plus fréquemment.

En conséquence, il apparaît nécessaire et urgent de doter nos forces de l’ordre d’un cadre juridique clair, lisible et plus adapté aux évolutions que connaît notre société.

Une tentative en ce sens, portée par notre collègue Guillaume Larrivé, a été faite au début de cette législature. Malgré sa robustesse juridique et sa pertinence, la proposition de loi n’a pas été adoptée. Depuis, la situation n’a pas changé ; elle s’est même détériorée, hélas. Les événements du début de l’année rendent plus nécessaire encore l’évolution du dispositif, puisque nos policiers constituent des cibles. Il est temps d’agir pour nos forces de l’ordre : telle est l’ambition de la proposition de loi que j’ai l’honneur de rapporter.

Je tiens à préciser que celle-ci ne vise pas, contrairement à ce que j’ai pu entendre, à introduire une nouvelle présomption de légitime défense, à la différence du texte que le Sénat a examiné en 2013. Une telle présomption, en effet, n’apparaît pas souhaitable ; elle présenterait des faiblesses juridiques certaines. La proposition qui vous est soumise se borne à prévoir un nouveau cas d’irresponsabilité pénale au bénéfice des dépositaires de l’autorité publique, lorsque la force armée est employée.

Ce dispositif appelle plusieurs précisions.

D’abord, les personnes concernées sont les dépositaires de l’autorité publique, catégorie plus large que les seuls policiers puisqu’elle inclut également, en harmonisant les régimes de protection, les gendarmes, les policiers municipaux et les douaniers. Il s’agit là d’un choix assumé : servir la République ne doit pas conduire à être prioritairement pris pour cible par des malfaiteurs, et nous devons à ces serviteurs une protection renforcée. La proposition de loi fait également écho aux textes des Nations unies qui mentionnent les « responsables de l’application des lois ».

Néanmoins, et afin de rassurer les plus sceptiques comme d’éviter toute dérive qui ne serait pas conforme à l’esprit du texte, je vous proposerai d’adopter un amendement tendant à préciser que sont seuls concernés les dépositaires de l’autorité publique régulièrement autorisés à porter et à utiliser une arme de service.

En deuxième lieu, les armes dont il est question dans la proposition de loi ne sont pas nécessairement des armes mortelles : sont également visés, par exemple, les lanceurs de balles de défense.

En troisième lieu, et je ne saurais suffisamment insister sur ce point, la proposition de loi n’a aucunement pour objet et ne saurait avoir pour effet d’inscrire dans notre droit un permis de tuer – comme je l’ai entendu dire, de manière très caricaturale – ni de délivrer aux forces de l’ordre un blanc-seing pour tirer.

En effet, les différentes hypothèses dans lesquelles l’usage de la force armée est autorisé sont strictement encadrées, conformes à la jurisprudence et au droit conventionnel. Elles s’inspirent des mesures applicables aux gendarmes, tout en offrant des garanties supérieures s’agissant du respect du droit à la vie et de la compatibilité avec la Convention européenne des droits de l’homme.

D’abord, et cela fait partie des éléments novateurs introduits par le texte, le « danger imminent » émanant de personnes armées permet d’utiliser la force armée sans avoir à attendre que les individus en cause fassent feu. Aujourd’hui, des policiers ne peuvent user de leur arme que si on a commencé à leur tirer dessus.

Deuxièmement, les violences graves subies par les forces de l’ordre – ou tout citoyen –, qui font l’objet du 2° de l’article unique, doivent permettre l’emploi d’armes. J’ai rappelé les drames dont ont été victimes le gendarme Nivel en 1998 et le commissaire Illy en 2007 ; ils témoignent de la réalité de cette situation et de la nécessité d’y réagir par une réponse claire.

Troisièmement, le texte – c’est un autre point novateur, et même original – permet de faire feu sur une personne armée qui refuse, malgré deux sommations, de déposer son arme. On retrouve ici les conditions de riposte aujourd’hui applicables aux gendarmes ; toutefois, le texte est beaucoup plus strict dans la mesure où il ne vise pas des individus en fuite, mais des personnes armées refusant d’obtempérer. S’agissant des sommations, un amendement vous sera proposé qui tendra à préciser la qualité de leur auteur et à définir leur contenu global sans imposer un prononcé unique, figé dans le code pénal.

Ces mesures ont été longuement évoquées lors des auditions des organisations syndicales de policiers, qui les soutiennent, y voyant une réponse efficace et mesurée – j’y insiste – à leurs attentes.

Les 4° et 5° de l’article unique, de même que le dernier alinéa, reprennent les dispositions existant pour les gendarmes. Des amendements vous seront toutefois proposés afin de renforcer l’encadrement du dispositif et d’éviter toute dérive non souhaitée.

Enfin, précision ultime mais capitale, l’article unique qui vous est soumis n’est pas incompatible avec le droit européen.

En effet, pour condamner l’usage des armes à feu par les forces de l’ordre, la Cour européenne des droits de l’homme retient l’absence de dangerosité de la victime, appréciée notamment par l’absence d’arme et le fait qu’elle n’ait pas commis d’infraction violente. Ce raisonnement peut être lu dans une décision récente, intéressant la France et l’usage par un gendarme de son arme. A contrario, une personne armée qui a commis une infraction est dangereuse et, dans ce cas, l’emploi d’armes est justifié. Or, dans chacune des hypothèses prévue par la proposition de loi, les personnes en cause sont armées et dangereuses, et le recours à la force armée est le seul moyen de préserver des vies. Ce texte garantit donc l’équilibre entre les conséquences de l’emploi de la force armée et les intérêts à préserver.

Pour l’ensemble de ces raisons, je vous invite à voter cette proposition de loi, avec les amendements qui la complètent et l’enrichissent. Vous ferez ainsi œuvre utile en offrant à nos forces de l’ordre le cadre juridique qu’elles attendent : un cadre opérationnel strict, mais équilibré, un cadre ferme, mais respectueux des exigences de toute société démocratique.

Ce sujet devrait transcender les clivages politiques. J’attends de vous, mes chers collègues, que vous traduisiez concrètement, en votant tous cette proposition de loi, le soutien unanime que les Français ont légitimement exprimé à nos forces de l’ordre en janvier. J’espère que, du fait de la hauteur et la gravité de l’enjeu, le texte vous apparaîtra non comme une émanation de l’opposition, selon une conception binaire dont certains sont coutumiers, mais bien comme une œuvre utile et même nécessaire.

M. Philippe Goujon. Voilà une proposition de loi qui devrait faire consensus. Elle est soutenue par les organisations syndicales représentant les forces de police ; nous sommes dans une situation extrêmement difficile après que le pays a été victime d’attentats dramatiques ; on a vu ce qu’il en était de l’usage des armes par les terroristes, les délinquants, les criminels de tout poil. Il serait bon que l’appel à l’unité nationale soit entendu lorsque des propositions de loi de l’opposition viennent en discussion, et non pas seulement lorsque nous, nous votons la loi sur le terrorisme ou, comme nous le ferons bientôt, la loi sur le renseignement. D’autant que nos propositions s’inspirent du rapport Guyomar, qui visait à améliorer la protection juridique dont bénéficient les forces de police.

Si la proposition de loi en ce sens déjà déposée par MM. Ciotti, Larrivé et moi-même a été rejetée, le Gouvernement ne s’en était pas moins engagé, à cette occasion, à progresser sur ces questions extrêmement importantes. Plus de deux ans après, hélas, aucune autre proposition n’a été formulée, alors que, pour les policiers, les gendarmes et les autres dépositaires de l’autorité publique, le risque d’être victimes de violences dans l’exercice de leurs fonctions n’a jamais été aussi élevé. Cela a été dit : depuis 2004, 112 policiers ont été tués en service, plus de 52 000 ont été blessés en mission, et ce chiffre a connu une forte hausse au cours des trois dernières années. Chacun peut observer la diffusion croissante d’armes de combat, d’armes de guerre et leur utilisation de plus en plus fréquente, même au service de la petite délinquance.

Comme l’a dit Éric Ciotti, c’est une réponse juste et pondérée que le texte apporte à ces difficultés, d’autant qu’un amendement restreint le périmètre de l’exemption de responsabilité pénale aux seuls dépositaires de l’autorité publique détenteurs de jure d’une arme, ce qui garantit la proportionnalité du dispositif. Il ne s’agit évidemment pas de créer une présomption d’irresponsabilité pénale, mais de permettre, de manière très concrète et opérationnelle, de réagir dans l’urgence à des agressions ainsi qu’à des dangers imminents – c’est l’un des aspects novateurs du texte. Surtout, le texte soustrait les policiers à une insécurité juridique qui met leur vie même en danger. N’a-t-on pas vu des criminels abattre des policiers qui, dans des circonstances où il faut réagir très vite, hésitaient à faire usage de leur arme parce qu’ils ne savaient pas dans quelle situation juridique ils se trouvaient ? Du reste, les gendarmes peuvent être également concernés puisque la jurisprudence ne leur permet plus d’utiliser leur arme comme les y autorise le code de la défense.

En somme, cette loi protège ceux qui défendent la sécurité des Français. Elle devrait donc nous réunir.

Mme Élisabeth Pochon. La proposition de loi en discussion vise à modifier les dispositions du code pénal relatives à la légitime défense afin d’aligner les règles qui régissent l’usage des armes à feu par les fonctionnaires de police sur celles applicables aux gendarmes. Elle crée un régime d’irresponsabilité pour les policiers en cas d’usage de leurs armes, fondé sur une présomption de légitime défense des policiers.

Cette proposition n’est pas nouvelle. C’est une résurgence de la campagne présidentielle : on la trouvait dans le programme de Marine Le Pen et le candidat Nicolas Sarkozy s’y était déclaré favorable entre les deux tours, une prise de position saluée par la même Marine Le Pen comme une victoire idéologique de son parti. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Elle répond au vœu du syndicat Alliance, selon lequel elle assurerait aux forces de l’ordre une meilleure protection juridique au cours de leurs interventions.

Cette revendication des policiers, que l’on retrouve au fil des treizième et quatorzième législatures, repose sur des arguments professionnels. La légitime défense de droit commun nuirait à l’efficacité des policiers lorsqu’ils poursuivent des délinquants ou des criminels ; elle les mettrait en danger, car ils seraient obligés d’attendre d’être menacés par une arme pour pouvoir y recourir. Les policiers estiment également que les magistrats en font trop fréquemment une interprétation restrictive, souvent en leur défaveur. Le fait que la justice n’ait pas retenu la légitime défense dans des affaires qui datent de 2011 et de 2012 avait d’ailleurs provoqué une manifestation à laquelle s’étaient joints des syndicats de police.

Enfin, les policiers réclament l’alignement de leur statut sur celui des gendarmes. Sur ce point, il semble qu’il y ait un malentendu. Certes, les gendarmes ne sont pas soumis au principe de la légitime défense de droit commun : en cas de menace armée directe, ils peuvent, après les sommations d’usage, faire feu avec leur arme de service pour assurer leur protection ou celle d’autrui. Mais ce tir est encadré. Les gendarmes sont des militaires ; ils n’ont pas le libre choix de se servir de leurs armes à feu ; ils ne tirent que sur ordre, sauf dans des cas limitativement prévus par l’article L. 2338-3 du code de la défense, et, même alors, le principe d’absolue nécessité s’impose.

Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, a eu l’occasion de le rappeler : la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a défini les conditions dans lesquelles on peut engager la force – la proportionnalité d’abord, l’extrême nécessité ensuite –, et les conditions d’usage de la force, telles qu’elles ressortent de la loi et de la jurisprudence, sont en fait identiques pour les policiers et pour les gendarmes.

Plusieurs propositions de loi ont précédé celle-ci, toutes issues de l’UMP ou du Front national (Protestations sur les bancs du groupe UMP) : elles étaient signées par M. Roustan, Mme Barèges, M. Estrosi ou encore M. Collard. Toutes bénéficiaient aux forces de l’ordre et répondaient à un vœu exprimé par le syndicat Alliance au cours de la précédente législature. Toutes allaient vers l’assouplissement des conditions de la légitime défense au bénéfice des policiers, et parfois même des citoyens. Aucune d’entre elles n’a abouti.

En janvier 2012, Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur, avait jugé que « l’état actuel du droit, même s’il est difficile pour les policiers, représente un bon équilibre », ajoutant : « Ce qu’il faut, de notre côté, c’est que nous assurions au policier un supplément de formation continue afin qu’il puisse se remémorer, y compris dans ses gestes, la façon dont le droit doit être intégré à son action […] mais on ne peut pas donner aux policiers un permis de tirer, ce n’est pas possible. » Voilà ce qu’il déclarait avant d’être contredit, trois mois plus tard, par Nicolas Sarkozy.

Le contexte aurait-il changé ? Au syndicat Alliance, qui invoque l’aggravation des conditions de travail, nous aimerions rappeler que la réduction drastique des effectifs due à la révision générale des politiques publiques (RGPP), la pression résultant de la politique du chiffre ou l’inégale répartition territoriale des effectifs appartiennent au passé et que, depuis 2012, les moyens alloués à la police se sont plutôt améliorés.

Le contexte médiatique, quant à lui, est assurément particulier. Certes, les attentats survenus début janvier ont représenté pour notre nation un traumatisme considérable et la population a su témoigner à la police toute la reconnaissance qui lui est due. Mais ce n’est pas parce que les policiers tués n’ont pu recourir à la légitime défense qu’ils sont morts : ils ont été tout simplement assassinés. Une loi comme celle que nous examinons n’y aurait pas changé grand-chose.

Cette proposition de loi vise à poser le principe de l’irresponsabilité pénale des policiers, agissant tant comme officiers de police judiciaire qu’en maintien de l’ordre, dans l’exercice de leurs fonctions, et à supprimer les références aux conditions de la légitime défense, qui reposent sur un équilibre entre le danger réel, immédiat, et la qualité de la riposte, marqué par le caractère injustifié de l’atteinte portée à soi-même ou à autrui et par les principes de nécessité, de simultanéité et de proportionnalité.

La proposition de loi instaure ainsi une exception au principe de légitime défense, au bénéfice des policiers et des gendarmes. Elle assouplit les conditions de l’usage de l’arme par les agents et propose l’impunité des policiers et des gendarmes agissant pour leur propre défense en cas de violences ou de voies de fait – jets de pierres, utilisation de fumigènes, coups de feu. Les conditions de la légitime défense sont implicitement maintenues, hormis les principes de nécessité et de proportionnalité. Je vous renvoie au texte pour la liste détaillée des situations envisagées.

La proposition de loi ne se contente pas d’instaurer une présomption de légitime défense : elle tend aussi à créer un régime d’irresponsabilité, voisin de l’excuse absolutoire, en cas d’usage d’une arme en service. Je doute que la confiance témoignée par la population aux policiers perdure si cette présomption est appliquée et que la police n’a plus à répondre de ses actes.

En outre, le texte est juridiquement périlleux. Dans le droit actuel, la présomption de légitime défense repose sur les circonstances des faits et non sur la qualité de la personne qui en est l’auteur. Ici, au contraire, ce serait la qualité de policier qui ferait présumer la légitime défense. Le Conseil constitutionnel pourrait y voir une atteinte à l’égalité. Un policier est un citoyen comme un autre. Il n’y a rien de choquant à demander à un policier qui fait usage de la force de s’en justifier. De plus, instaurer une présomption générale de légitime défense rendrait très difficile à établir d’éventuelles violences policières illégitimes qui, certes rares, n’en sont pas moins inacceptables dans un État de droit.

En revanche, cette loi serait-elle en vigueur qu’elle ne pourrait faire obstacle à la mise en examen du policier, à cette notification officielle de charges qui ouvre les droits de la défense. L’existence d’une présomption de légitime défense ne peut empêcher les poursuites ni ne change quoi que ce soit à une procédure. C’est à la fin du processus, au stade de l’établissement de la culpabilité, qu’elle entre en compte : c’est le travail du juge d’instruction de rechercher si les circonstances de l’infraction l’établissent ou l’écartent.

Le texte nous est soumis à un moment opportun du calendrier : c’est entre les deux tours des élections départementales (Protestations sur les bancs du groupe UMP) que resurgit cette proposition récurrente, comme un chiffon rouge, par laquelle on suggère qu’il y aurait ici, d’un côté les amis de la police et de l’ordre, de l’autre les partisans du chaos ou du rejet de la force publique. Mais nous avons tous la même reconnaissance envers les policiers, qui exercent leur mission dans des conditions difficiles. Et c’est une élue de Seine-Saint-Denis qui vous parle, ayant en tête des images très précises de jeunes policiers frais émoulus de leur formation et déjà en difficulté.

Vous l’aurez compris, le groupe SRC votera contre cette proposition de loi, parce que sa nécessité n’est pas avérée, parce que c’est une fausse bonne idée, une loi d’affichage, qui s’inscrit dans le sillage des propos de M. Robert Ménard sur l’arme, « nouvel ami » du policier – la loi pourrait d’ailleurs, c’était votre souhait, être étendue à la police municipale et à d’autres corps. Nous déplorons bien entendu le décès des policiers en service (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), comme vous !

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Laissez Mme Pochon conclure.

Mme Élisabeth Pochon. Au demeurant, il ne semble pas que les gendarmes soient épargnés bien que leur situation soit différente à cet égard : on compte aussi des victimes dans leurs rangs.

Pour dépasser, les uns et les autres, nos principes idéologiques (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), peut-être faudrait-il conduire une mission et demander une étude d’impact avant de reparler de ce sujet.

M. Dominique Raimbourg. Les événements du mois de janvier ont suscité, entre nos concitoyens et les forces de police, un rapprochement qu’il nous faut éviter de compromettre. Si l’on peut donc souscrire aux intentions de cette proposition de loi, il faut aussi s’interroger sur sa nécessité, son efficacité et son utilité.

Dans les faits, rien n’indique que la dualité des régimes auxquels sont respectivement soumis la police et la gendarmerie pose problème. Aucune étude d’impact ne montre, en particulier, que l’usage des armes soulève, pour les policiers, quelque difficulté juridique au regard de la légitime défense. Quant au gendarme Nivel, il fut agressé par des hooligans : la situation était donc tout à fait différente.

J’en viens à l’argument de l’efficacité. Notre droit distingue entre les armes par nature et les armes par destination ; or, telle qu’elle est rédigée, la proposition de loi permettrait aux policiers d’ouvrir le feu sur toute personne qui paraîtrait vouloir leur lancer un caillou. Le champ d’application est donc trop large ; et si nous le restreignions, par exemple en le limitant aux menaces par armes à feu, cela mettrait les policiers en danger. Sauf démonstration contraire, le droit en vigueur, fondé sur la notion de « danger personnel », me semble donc suffisant.

On peut tout à fait comprendre que les policiers ayant été exposés à des dangers vivent mal le fait d’être placés en garde à vue, et sans doute pourrait-on envisager des aménagements afin de procéder avec « doigté » en de pareils cas ; mais la garde à vue est aussi une garantie juridique à laquelle, en l’occurrence, le texte ne permettrait pas aux policiers d’échapper.

J’ajoute que les armes à feu peuvent aussi être dangereuses pour ceux qui en font usage : les « tirs amis », comme on les appelle un peu abusivement, font également des blessés parmi les forces de l’ordre.

Le groupe SRC votera donc contre le texte, étant entendu que rien n’interdit la création d’une mission d’information pour étudier l’opportunité d’un rapprochement statutaire entre gendarmerie et police.

Mme Marie-Jo Zimmermann. M. Raimbourg a quelque peu corrigé les propos de Mme Pochon. De fait, les exagérations et les provocations déboussolent nos concitoyens et les détournent de la classe politique.

Quand j’entends Mme Pochon parler d’un texte de circonstance, je me dis que nous ne vivons décidément pas dans le même monde.

M. Patrick Mennucci. En effet : nous ne vivons pas à Neuilly, nous !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Moi non plus !

Je n’épiloguerai pas, monsieur Mennucci, sur les propos que vous avez tenus hier soir au sujet des femmes et de la parité… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

La proposition de loi me paraît bienvenue en ce qu’elle conforte le statut trop fragile des policiers, même si l’accent devrait être mis sur leur formation, notamment continue, conformément à une demande des intéressés eux-mêmes.

Comment peut-on par ailleurs conclure, monsieur Raimbourg, à l’inefficacité d’un statut qui n’existe pas encore ? Donnons à nos policiers, dont certains sont parents, les moyens de se défendre ; témoignons-leur notre respect en leur accordant un nouveau droit à la légitime défense : cette proposition de loi se justifie pleinement, nonobstant les discours provocateurs de Mme Pochon, que les Français pourront interpréter comme une marque d’irrespect à l’égard des forces de l’ordre.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas le groupe UMP, madame Pochon, qui fixe l’ordre du jour de notre commission mais son bureau, en fonction du calendrier imposé par le Gouvernement.

D’autre part, la retraite à soixante ans fait aussi partie du programme du Front national : cela n’a pas empêché la majorité de voter des dispositions qui allaient dans ce sens. Vos indignations sélectives deviennent un peu fatigantes, y compris pour les électeurs, qui ne manqueront sans doute pas de vous le faire savoir dimanche soir.

Il est bien légitime que les événements du mois de janvier, et l’émoi médiatique qu’ils ont provoqué, nous incitent à des évolutions législatives ; mais, au-delà du contexte, ces évolutions sont appelées par celle de la menace elle-même au cours des dernières décennies, les forces de l’ordre étant de plus en plus souvent confrontées, dans certains territoires, à l’utilisation d’armes de guerre. C’est là une vraie nouveauté à laquelle nous devons apporter une réponse.

L’alignement du statut des policiers sur celui des gendarmes, d’origine militaire, pose des questions dont Dominique Raimbourg a justement fait état ; reste que la proposition de loi ne comporte rien qui soit susceptible d’exonérer les forces de l’ordre de poursuites judiciaires : si tel avait été le cas, je ne l’aurais pas cosignée. Être présumé innocent n’implique évidemment pas qu’on le soit en effet : il faut s’entendre sur les termes.

Je n’ai rien, cela va de soi, contre un renforcement de la formation des policiers, ni contre une révision des conditions d’usage des armes à feu ; mais, je le répète, l’évolution de la menace appelle une réflexion sur les moyens mis en œuvre pour assurer l’ordre public. De plus, la proposition de loi est une marque de confiance à l’égard des forces de l’ordre ; c’est pourquoi je l’approuve.

M. Philippe Gosselin. Les polémiques et les postures politiciennes n’ont pas leur place sur de tels sujets. Les violences auxquelles sont confrontées nos forces de l’ordre vont croissant : les agents présents sur la voie publique peuvent le constater tous les jours. Il n’y a évidemment pas lieu de rendre les policiers irresponsables au regard du droit commun, ni de leur reconnaître un droit acquis à la légitime défense : il s’agit de leur donner les moyens d’affronter des situations sans commune mesure avec les vols à la roulotte, par exemple des situations de terrorisme. Dans ces conditions, le rapprochement statutaire avec les gendarmes me semble une piste intéressante : la balayer d’un revers de main n’est assurément pas à la mesure des enjeux, nos démocraties ayant aussi le devoir de se protéger.

M. Alain Tourret. Si je puis souscrire à certains objectifs des auteurs de la proposition de loi, le nouvel article que l’on nous propose reste trop général. En ignorant le principe de proportionnalité, il donnerait aux forces de l’ordre la possibilité de riposter à la moindre menace, au risque de tuer. À l’époque, c’est d’ailleurs ce qui avait conduit M. Guéant à s’opposer à une telle modification législative.

L’alignement statutaire entre gendarmes et policiers aurait une certaine cohérence, a fortiori depuis que les premiers sont placés sous la tutelle du ministère de l’Intérieur ; mais la question est de savoir lequel des deux statuts doit se rapprocher de l’autre. Les gendarmes, qui sont des militaires, accepteraient mal, par exemple, de se voir appliquer le droit qui s’impose aux policiers.

Dès lors que les forces de gendarmerie et de police remplissent les mêmes fonctions – les unes en milieu rural, les autres en milieu urbain –, une évolution législative est envisageable, pour peu qu’elle n’omette pas non plus le principe de proportionnalité.

M. Gilbert Collard. Force est de constater que le texte proposé s’inspire de l’amendement que j’avais déposé en décembre 2012 sur la précédente proposition de loi du groupe UMP… (Exclamations au sein du groupe SRC.) Cependant, elle soulève la question du distinguo entre légitime défense objective et subjective : vieux débat juridique auquel il convient d’ajouter, M. Tourret l’a rappelé, celui de la proportionnalité. Personnellement, je suis partisan d’une présomption réfragable.

Un policier ou un gendarme revêtu des signes de sa fonction représente en lui-même une injonction à la loi ; dès lors, tout individu armé manifestant une hostilité à son encontre s’expose à une riposte, selon ce qu’il est convenu d’appeler la légitime défense subjective, c’est-à-dire liée à la qualité de l’agressé.

Aux termes du texte qui nous est soumis, les forces de l’ordre deviendraient pénalement irresponsables en cas de riposte contre « des personnes armées [refusant] de déposer leur arme après deux injonctions à haute et intelligible voix » – au passage, vous avez omis les éventuels problèmes de traduction. Première injonction : « déposez votre arme » ; seconde injonction : « déposez votre arme ou je fais feu ». Pourquoi ne pas dépêcher un huissier, tant qu’on y est ? Lors des attaques contre Charlie Hebdo, l’officier de sécurité n’aurait jamais eu le temps d’adresser de telles injonctions avant de riposter.

Je comprends bien entendu les inquiétudes de certains. Il existe de mauvais policiers, nous en sommes tous d’accord ; mais songeons, par exemple, aux deux jeunes femmes tuées dans le Var faute d’avoir eu une arme à la main ; si d’ailleurs elles avaient pu faire feu en entrant dans les lieux, on leur aurait reproché d’avoir anticipé sur la légitime défense.

Plusieurs députés du groupe SRC. Mais non !

M. Gilbert Collard. Le fait est que certains magistrats, qui s’imaginent incarner la justice à eux seuls, ont une interprétation très restrictive de la légitime défense. Nous ne sommes plus à l’époque de la pèlerine et du sifflet à roulettes : au moins pourrions-nous accorder aux policiers une présomption réfragable de légitime défense. Qui peut croire qu’ils se lèvent le matin avec l’intention de tirer sur des gens ? S’ils le font, c’est bien évidemment parce qu’ils y sont contraints. Que peut faire un policier qui voit une voiture foncer droit sur lui ? Adresser des injonctions à son chauffeur ? Les évolutions dont je vous parle n’ont évidemment rien pour me réjouir ; mais, s’il nous faut préserver des garanties juridiques – et ne pas imiter le modèle américain, qui permet aux policiers de tirer comme au Far West –, on ne peut plus laisser les policiers dans la crainte d’une intervention les armes à la main qui les expose à un risque juridique.

Vous savez comme moi, monsieur Tourret, que l’interprétation de la légitime défense subjective varie beaucoup selon les magistrats ; c’est pourquoi nous devons préciser les contours de cette notion, en fonction, bien entendu, des statuts respectifs des gendarmes et des policiers. Bref, cette proposition de loi ne sert à rien, sinon à débattre et à afficher des intentions, au demeurant louables. La vérité est que vous avez peur d’aller jusqu’au bout, peur d’accorder un droit de riposte aux policiers en situation de légitime défense subjective, moyennant une présomption réfragable. Certaines situations ne permettent pas les calculs mentaux ou les analyses juridiques ; obliger les forces de l’ordre à de telles analyses, c’est aller au-devant de nouvelles oraisons funèbres.

Mme Colette Capdevielle. Outre qu’ils témoignent, une fois encore, d’une défiance à l’égard des magistrats, les propos de M. Collard sont de nature à alimenter les divisions entre la justice et les forces de l’ordre. L’efficacité de l’action publique et de la politique pénale exige pourtant que tous les acteurs travaillent ensemble. Les opposer ainsi en jouant sur les peurs est inacceptable.

La proposition de loi, je le répète au nom de notre groupe, est juridiquement inutile et dangereuse pour les policiers eux-mêmes.

M. Patrick Mennucci. Je souscris aux analyses de Dominique Raimbourg.

Ce n’est pas parce que l’on vous répond, madame Zimmermann, que l’on est misogyne. « Nous ne vivons décidément pas dans le même monde », avez-vous dit ; à quoi j’ai répondu : « En effet, nous ne vivons pas à Neuilly. » Cette saillie n’a évidemment rien de sexiste. De plus, j’ai appris que vous vivez désormais à Metz…

Hier soir, je me suis seulement contenté de rappeler qu’en matière de parité ce sont les règles en vigueur au sein des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui doivent s’appliquer à la métropole lyonnaise. J’ai beaucoup de respect pour vous, madame Zimmermann, et je comprends que votre élimination par le parti socialiste dans le canton de Metz 3 vous inspire quelque ressentiment (Protestations sur les bancs du groupe UMP), mais nous n’y sommes pour rien.

M. Guy Geoffroy. Si j’ai cosigné cette proposition de loi, c’est parce que le sujet qu’elle traite me semble important et que j’ai vécu, en tant que maire, un événement qui aura sans doute une résonance pour beaucoup d’entre nous. Un dimanche de septembre 1999, au petit matin, de dangereux individus ont volé des motos, fonçant sur les forces de police au moment où celles-ci tentaient de les interpeller. Deux policiers étaient présents : une jeune femme, qui faillit être tuée, et un de ses collègues, âgé de vingt-sept ans. Celui-ci, après les sommations d’usage, avait tiré sur le conducteur d’une moto, l’atteignant en plein cœur. Quant au complice, il se nommait Amedy Coulibaly…

Arrivé sur les lieux quelques minutes plus tard, je fus interrogé par un journaliste connu d’une grande radio nationale, qui me demanda de confirmer qu’il s’agissait d’une bavure policière. J’en fus, et en suis encore scandalisé. L’Inspection générale des services (IGS) et le procureur s’étant aussitôt rendus sur place, le jeune policier fut immédiatement lavé de tout soupçon ; mais dès le lendemain, il était muté d’office, pour sa propre sécurité, dans le Midi, où il a dû refaire sa vie, en raison des menaces dont il faisait et fait encore l’objet dans ma commune, tous les ans, à l’occasion d’une cérémonie d’« hommage » aux « victimes » de la prétendue « bavure policière ». Amedy Coulibaly a confié par la suite n’avoir jamais accepté que ce jeune policier soit resté libre, ajoutant que cet événement était à l’origine de son parcours. Quinze ans plus tard, le même fonctionnaire de police vit encore sous la menace d’une vengeance qui a désormais deux motifs : la mort d’un jeune homme pourtant tué en état de légitime défense, et celle d’Amedy Coulibaly.

La légitime défense des policiers est un sujet grave, qui mérite d’autres propos que ceux que nous venons d’entendre, comme le présent texte mérite un meilleur sort que celui qu’on lui réserve ; c’est en tout cas sur le fondement d’une expérience concrète que je lui apporte mon soutien.

M. le rapporteur. Je voudrais essentiellement apporter des réponses juridiques aux points qui ont été soulevés, ou plutôt aux questions qui ont été posées, de manière pertinente et équilibrée, et sans a priori, par M. Alain Tourret et par M. Dominique Raimbourg. Tous deux ont souligné la légitimité de ce débat. Ce dernier a même proposé qu’à l’issue du vote, nous puissions élargir la problématique en constituant une mission de réflexion.

Nous sommes en effet en face de problèmes soulevés par la jurisprudence de la Cour de cassation. Au demeurant, les propositions que je formule restent dans le cadre précis et contraignant fixé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui s’est récemment prononcée à propos du tir d’un gendarme dirigé contre une personne menottée tentant de s’évader. Nous en avons tiré les conséquences, en établissant des critères nouveaux de responsabilité, avec l’objectif de rapprocher policiers et gendarmes.

Tout à l’heure, Jean-Frédéric Poisson faisait état du statut militaire de ces derniers. Je rappelle toutefois que, depuis 2009, ils sont rattachés au ministère de l’Intérieur. Il est difficile de concevoir que des dépositaires de l’autorité publique, confrontés à la même menace et agissant sous la même autorité ministérielle, soient soumis à deux régimes juridiques différents.

Dans son intervention, notre collègue Raimbourg a exprimé plus de doutes que de certitudes, car nous sommes en face d’un problème complexe. Aussi voulons-nous améliorer les possibilités d’interprétation, sans rien supprimer, pour les gendarmes, du code de la défense nationale. Nous souhaitons seulement préciser trois critères, des critères supplémentaires visant à harmoniser le statut de tous les dépositaires de la force publique utilisant la force armée. Je reprends la formule pour Alain Tourret, qui s’inquiétait d’une rédaction trop large de la proposition de loi – un amendement répondra à sa préoccupation, en restreignant la rédaction.

Monsieur Collard, vous avez caricaturé la proposition de loi, dont seul le 3° de son article unique concerne les sommations. En recourant à la notion de danger imminent, elle couvrirait une situation telle que celle qui s’est produite à Charlie Hebdo. La direction générale de la police nationale s’est penchée sur l’hypothèse d’un tueur fou ayant, tel Breivik, rangé son arme, et se trouvant dans la rue après avoir tué un nombre important de personnes. Cette notion de danger imminent recouvre des cas nouveaux. Mme Monéger, directrice de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), entendue dans le cadre de mes travaux préparatoires, était gênée de devoir convenir que des cas ne sont aujourd’hui en effet pas prévus. Nous parlons de ceux où la police a préalablement connaissance que cette personne a déjà tué.

Ensuite, nous évoquons les violences graves. Cela concerne les situations où un dépositaire de l’autorité publique ferait l’objet d’une attaque violente, tel le gendarme Nivel ou le commissaire Illy à Sarcelles, pris à partie par une quinzaine d’assaillants, toutefois non armés. Enfin, nous abordons la question des sommations. Monsieur Collard, vous parlez d’un huissier… Libre à vous de caricaturer le contenu de ce texte.

Monsieur Raimbourg, vous vous inquiétez de la définition des armes portées par les individus en question : elles peuvent être de tout type, mais doivent être en lien avec le danger, ce qui prévient les dérives que vous craignez. Je rappelle que la proposition n’établit pas de présomption de légitime défense, ce qui serait contraire à la Constitution, car cela induirait a contrario une présomption de culpabilité. Tel n’est pas l’objectif de cette proposition.

Nous ne faisons que sécuriser le cadre d’interprétation des magistrats. Il y a eu des condamnations qui nous conduisent à vouloir que la jurisprudence actuelle, qui n’est pas protectrice pour les policiers, puisse changer. Lorsque le danger est imminent, que des armes sont employées et que la nécessité est établie, les conditions sont remplies au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation comme de la Cour européenne des droits de l’homme.

Heureusement, madame Pochon, que M. Raimbourg a sauvé l’argumentation de la majorité. Sans vous faire de procès d’intention, j’ai noté que vous avez dit, sans doute par simple maladresse, que vous déplorez « quand même » la mort de policiers en service.

Plusieurs membres du groupe socialiste. Faux procès ! Vous avez mal entendu ! C’est lamentable.

M. le rapporteur. Pour conclure, vous vous êtes interrogée, en rappelant le texte naguère déposé par Philippe Goujon et Guillaume Larrivé, sur la question de savoir si le contexte aurait changé depuis son examen. Ignorez-vous que les dizaines de milliers de policiers désormais mobilisés en vertu du plan Vigipirate constituent autant de cibles, au même titre que les gendarmes et les autres militaires ? Assurément, le contexte a changé et il convient de s’adapter.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de loi.

Article unique (art. 122-6-1 [nouveau] du code pénal) : Renforcement de la protection pénale des dépositaires de l’autorité publique déployant la force armée

La Commission examine l’amendement CL1 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement tend à la suppression de l’article. J’observe que le travail de notre collègue Collard inspire de nombreuses propositions de loi, et pas seulement de l’opposition. Je vous renvoie aux comptes rendus de nos précédentes réunions en soulignant que la réprobation n’a pas toujours été au rendez-vous.

La protection des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions constitue une préoccupation partagée par l’ensemble des membres de cette commission. Cela explique que les crédits qui leur sont alloués aient été préservés même en période de rigueur budgétaire. C’est un signe fort.

Il me semble que le consensus nécessaire pour l’adoption d’une telle réforme fait défaut. À mon sens, un tel alignement de statut et l’introduction d’une irresponsabilité pénale des policiers en service relèveraient d’ailleurs davantage d’une décision de l’exécutif, car nous entrons, en abordant cette question, dans un champ régalien.

Je ne vous ferai toutefois pas de procès d’intention, monsieur Ciotti, en vous reprochant de déposer une proposition de loi de circonstance, alors que l’opposition a montré au contraire sa volonté constante de procéder à cet alignement et d’introduire cette irresponsabilité pénale pour les policiers dans l’exercice de leurs fonctions.

Par ailleurs, même si l’on considère qu’un débat sur le sujet est légitime, je souligne que la proposition de Dominique Raimbourg se rapproche de la démarche déjà mise en œuvre en 2012, quand M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, avait confié une mission de réflexion à M. Mattias Guyomar. Je vous rappelle que cette mission avait conclu à un renforcement de la protection fonctionnelle des policiers plutôt qu’à un alignement de statut.

En pratique, le nombre de décès de policiers en service reste élevé, mais il n’a pas explosé. Il a même – heureusement – légèrement diminué. L’utilisation des armes, même en cas de légitime défense, doit être strictement encadrée, comme c’est le cas dans les droits étrangers. Je propose donc la suppression de cet article unique.

M. Bernard Gérard. Je vous livrerai un simple témoignage. Il y a peu, je me suis rendu dans le commissariat de ma ville, où les policiers nationaux étaient littéralement barricadés à la suite d’instructions leur défendant de passer par leur portail d’accès habituel, consistant en une porte en verre dépourvue de gâche électrique, car l’État n’a pas encore eu les moyens nécessaires pour fournir l’équipement nécessaire à leur mise en défense.

Il en va de la sécurité comme de la santé. Sur le plan des principes, tout le monde devrait être pour. Pour cette raison, je souscris à la proposition d’aujourd’hui. La suggestion nuancée de M. Raimbourg m’agrée également. Quel que soit le sort de la présente proposition de loi, la réflexion méritera en tout état de cause d’être poursuivie. Enfin, pourrions-nous entendre le ministre de l’Intérieur pour savoir quelles mesures il prend pour protéger les policiers dans les commissariats ? Comment avancer sur une solution respectueuse des droits fondamentaux, mais propre également à renforcer la protection de notre police nationale ?

M. le rapporteur. Avis défavorable. Monsieur Coronado, vous avez l’honnêteté de reconnaître que l’adoption de votre amendement clorait le débat, en faisant tomber l’ensemble de la proposition de loi. Puisqu’il s’agit d’un débat important, prenons plutôt la possibilité d’enrichir le texte, comme M. Raimbourg nous y invite.

Refuser le débat enverrait un message grave à l’opinion publique. Madame Pochon, vous soulignez qu’Alliance, syndicat auquel je comprends que vous n’apportez aucun soutien explicite, est favorable la présente proposition de loi. Mais cette organisation est le syndicat majoritaire chez les gardiens. En outre, au cours des auditions que nous avons menées, six des sept organisations syndicales de la police nationale se sont prononcées en faveur de l’adoption du texte. Mme Monéger, directrice de l’Inspection générale de la police nationale, est également convenue que la question mérite d’être examinée.

La Commission adopte l’amendement.

L’article unique est ainsi supprimé, et les amendements CL2, CL3, CL4, CL5, CL6, CL7 et CL8 du rapporteur tombent.

En conséquence, l’ensemble de la proposition de loi est rejeté.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. La proposition de loi sera examinée en séance publique jeudi 2 avril 2015 dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe UMP.

Le Président de la commission des Lois, M. Jean-Jacques Urvoas, présente ensuite une communication sur le thème de l’indignité nationale.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. La question de la réintroduction dans notre droit du crime d'indignité nationale créé en 1944 a resurgi à la fin de l’an passé quand nous avons examiné la proposition de loi de notre collègue Philippe Meunier qu'il reprend d'ailleurs en substance aujourd'hui. L'Assemblée nationale a rejeté ce premier texte le 4 décembre dernier.

Depuis cette date, notre pays a connu la tragédie que l'on sait avec les attentats de janvier. Et la question de l'indignité nationale a été à nouveau posée. Faut-il condamner les terroristes djihadistes à l'indignité nationale pour les exclure en quelque sorte de la communauté républicaine ou nationale ?

Le Premier ministre s'est alors refusé à toute décision précipitée lorsqu'il a présenté les mesures visant à renforcer le dispositif anti-terroriste le 21 janvier dernier. Dans cet esprit ouvert mais responsable, il a proposé aux présidents des commissions des Lois des deux assemblées de mesurer les conséquences d'une telle réintégration dans notre droit de ce crime d'indignité nationale et de la peine de dégradation civique.

Mon homologue du Sénat n'a pas souhaité répondre à cette proposition. Pour ma part, il m'a semblé utile que nous puissions en débattre. C'est pourquoi j'ai souhaité faire cette communication en vous adressant le document écrit sur lequel je m'appuie et que j'ai remis hier au Premier ministre.

En termes de méthode, je me suis naturellement fondé sur le livre de référence en la matière, celui de l'historienne Anne Simonin, Le déshonneur dans la République. Une histoire de l'indignité 1791-1958. J'ai aussi proposé à une quinzaine de professeurs de droit pénal et d'histoire du droit de me faire part de leurs réflexions sur le sujet, ce qu'ils ont bien voulu accepter ,et je les en remercie. Il va de soi que les propos qui vont suivre ne les engagent pas.

On doit partir d'un constat : l'idée même de soustraire à la communauté civique les citoyens qui ont rompu avec les valeurs de la Cité n'est pas si originale : traversant les siècles, de l’ostracisme à Athènes aux pratiques à Rome au premier siècle avant notre ère, elle a prospéré sous la Révolution, avec l’institution d’un crime de lèse-nation, puis sous la Terreur lorsque fut adoptée la loi des suspects, et enfin à la Libération lorsque fut promulguée l’ordonnance de 1944. Cette idée est donc consubstantielle à la naissance de la République.

Cette incrimination a été liée à des transitions institutionnelles particulières et a trouvé une justification dans la mise à l'écart de ceux qui ne pouvaient pas prendre part à l'édification du nouveau système politique.

Je comprends que la tentation puisse être forte et légitime, à la suite des attentats de janvier 2015, de qualifier le terroriste djihadiste en tant qu'indigne. Il rejette nos valeurs et la République. Il entend même les détruire. Il n'est plus digne de faire partie de la Cité.

Mais le recours aux exemples du passé n'est pas une évidence. Nous pouvons en tirer des leçons, mais plaquer les solutions d'hier pour résoudre les problèmes d'aujourd'hui ne me semble pas s'imposer naturellement. Je suis même convaincu du contraire.

La question de l'indignité nationale s'est donc focalisée sur les dispositions introduites le 26 août 1944 par le Gouvernement provisoire de la République française pour punir les vichystes. Ce texte est né d'un contexte historique très particulier et il est essentiel d'y revenir pour mesure l'intérêt de s'en inspirer ou non.

Le crime d'indignité nationale a été introduit pour punir le comportement des Français ayant collaboré avec le régime de Vichy pendant l'Occupation. Il s'agissait de sanctionner rétroactivement par une incrimination nouvelle des actes accomplis avant son édiction et qui ne relevaient pas nécessairement d'une qualification pénale existante.

Mais il s'agissait aussi, plus politiquement et symboliquement, de montrer clairement alors que l'honneur se trouvait du côté de la République et non du côté de Vichy. Qui s'était compromis avec ce régime avait perdu son honneur et était donc indigne de la Nation.

La sanction du crime d'indignité nationale était la privation de tous les droits civiques, civils et politiques, certaines incapacités et certaines interdictions professionnelles. Cette peine infamante pouvait en outre être assortie d'interdiction de séjour dans certaines parties du territoire.

Cette sanction pénale ayant été conçue comme plus douce que, par exemple, la peine capitale que certains réclamaient pour les collaborateurs, c’est paradoxalement sa relative clémence qui a rendu acceptable sa rétroactivité.

L'incrimination était temporaire et ne pouvait être constatée que dans un délai de six mois après la libération totale du territoire, le 8 mai 1945. Des juridictions d'exceptions –les sections spéciales dans un premier temps– étaient chargées de juger les coupables. Il faut insister sur le fait que, dans l'esprit des juristes de la Résistance, cette incrimination devait permettre à celui frappé d'indignité de réintégrer la Cité un fois sa peine accomplie. On entendait ainsi purger le corps national en « purifiant » ceux qui s'y étaient compromis.

Le régime de cette sanction pénale fut revisité à plusieurs reprises en quelques mois. Non moins de 98 436 personnes furent condamnées à l'indignité nationale, et, bien souvent, ces « morts civils », ces « sujets de non-droit », pour reprendre l'expression du doyen Carbonnier, ont pu apparaître comme des « victimes » de la Libération.

On peut donc observer qu'il s'agissait d'une peine infamante de nature politique, relevant d'un droit pénal d'exception, appliqué par des juridictions spéciales dont le régime juridique fut instable et la mise en œuvre finalement peu convaincante. Cette incrimination introduite en 1944 me paraît, pour tout dire, trop datée pour offrir une solution efficace contre le terrorisme tel que nous le connaissons aujourd'hui.

Il me semble tout d'abord évident que la psychologie du vichyste et celle du djihadiste n'ont rien à voir. On aura du mal à penser que les terroristes djihadistes se soucient vraiment de perdre leur qualité de citoyen, alors qu'ils sont prêts à sacrifier leur vie pour la folie à laquelle ils entendent obéir.

En outre, à l'époque l'idée était de refermer un chapitre noir de notre histoire : les vichystes avaient cessé le combat en 1944, ce qui ouvrait la possibilité d'une sanction qui était le préalable à un retour dans le giron de la République. Tel n'est malheureusement pas le cas des terroristes actuels, qui n'entendent pas déposer les armes.

Par ailleurs, sur un plan institutionnel, il n'est pas aujourd'hui question de réaffirmer la justice étatique comme ce fut le cas en 1944. Si, à la Libération, on a créé l'indignité nationale, c’était aussi pour éviter des exactions populaires et canaliser la colère. Tel n'est pas l'enjeu en 2015, et c’est heureux, car il serait irresponsable de jouer cette partition. Pour reprendre les mots de Danton en 1793, il n'est pas question pour nous d'être « terribles pour éviter au peuple de l'être ».

Il ne s'agit pas plus pour nous de réaffirmer solennellement les valeurs de la République en flétrissant ceux qui entendent les assassiner. Je crois que les manifestations que la France a connues le 11 janvier dernier suffisent à montrer que les Français savent quelles sont leurs valeurs et le prix qu'ils y attachent.

Je crois, après mûres réflexions, que l'on peut absolument comprendre le besoin moral de s'interroger sur une mise au ban de ceux qui nient la République avec une violence insupportable. Juridiquement, il n'y aurait sans doute pas d'obstacle à la réinstauration de ce crime pourvu que l'on définisse clairement son champ, qu'on respecte les principes de non-rétroactivité des lois pénales, de nécessité et d'individualisation des peines, des droits de la défense...

La solution peut paraître politiquement séduisante, mais elle ne serait pas dénuée d'ambiguïtés. Nous entrerions dans une logique consistant à créer ce que l'on appelle un « droit pénal de l'ennemi », à l'instar des États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001. Je réfute un tel choix.

Surtout, je ne pense pas que la remise en vigueur d'une telle incrimination nous permette de lutter plus efficacement contre le terrorisme. Des sanctions d'une nature proche existent déjà, comme la privation des droits civils, civiques et familiaux prononcée en complément des peines qui sanctionnent principalement les actes terroristes.

Nous avons un arsenal pénal extrêmement fourni – et complété encore récemment – pour lutter contre le djihadisme et le terrorisme. La priorité me semble plutôt devoir être donnée au déploiement de moyens et la définition d'un cadre juridique et d'action pour les services de renseignement comme s'y emploie le projet de loi que nous allons examiner la semaine prochaine.

Nous risquons même, par la création de ce nouveau crime d'indignité nationale, d'alimenter la martyrologie djihadiste en faisant de ces terroristes des héros pour leur cause au risque de créer encore plus de vocations. Je ne suis pas donc convaincu par la réintroduction d'une telle incrimination et c'est le sens du rapport que j'ai remis au Premier ministre et que je vous ai communiqué.

J'ai voulu tout de même explorer d'autres voies. J'ai été ainsi frappé par le fait que le terrorisme djihadiste auquel la France est confrontée s'apparente, par bien des aspects, aux actions isolées des terroristes anarchistes de la fin du XIXe siècle. C'est un précédent très intéressant, sur lequel je vous invite à vous pencher.

Ces terroristes s'attaquaient déjà à des symboles du « système », à des symboles de l'État. Peu organisés et parfois « auto-radicalisés », ils agissaient souvent seuls ou en petit nombre, animés par un fort esprit de vengeance et ne semblant pas craindre la mort, à l'instar des actuels djihadistes. Leurs actions provoquèrent d'ailleurs une véritable psychose collective, suscitant une réprobation de l'opinion, de la presse et des politiques qui transcenda tous les clivages. Refusant le statut de « martyrs judiciaires » aux anarchistes, les institutions de la IIIe République firent le choix de les traiter, non pas hors de la République ou hors de la Nation, mais bien plutôt comme des accusés de droit commun.

C’est le choix qui est le nôtre depuis maintenant plusieurs décennies. Sommes-nous prêts à rompre avec ce choix ? Personnellement, je ne le suis pas.

Nourri de ces réflexions, j'invite donc dans mon rapport écrit à éviter toute tentative de développement d'un « droit pénal de l'ennemi » ou d'un droit pénal d'exception au nom de la lutte contre le terrorisme et le djihadisme. Les armes pénales dont nous disposons semblent suffisamment nombreuses et en phase avec la réalité pour réprimer avec une extrême sévérité les terroristes.

La meilleure réponse est de redonner de la force à l'idéal républicain tout en réaffirmant la valeur de notre droit et en punissant les crimes terroristes avec les outils de droit pénal commun.

Le plan de lutte contre le terrorisme présenté par le Premier ministre le 21 janvier dernier s'inscrit dans cette perspective. Le projet de loi relatif au renseignement aussi, de manière résolue. Et surtout il nous faut redonner confiance en la République là où le terrorisme djihadiste recrute. De ce point de vue le plan pour favoriser la mixité sociale présenté le 6 mars 2015 me paraît également compléter parfaitement ces dispositifs.

C'est un combat de long terme, et nous devons miser sur des politiques de fond plus que sur des mesures certes symboliques – ce qui n'est pas rien – mais dépourvues de portée concrète déterminante.

*

* *

La Commission examine, sur le rapport de M. Philippe Meunier, la proposition de loi qu’il a déposée visant à faire perdre la nationalité française à tout individu arrêté ou identifié portant les armes ou se rendant complice par la fourniture de moyens à des opérations armées contre les forces armées ou les forces de sécurité françaises ou tout civil Français et à rétablir le crime d’indignité nationale pour les Français sans double nationalité (n° 2570).

M. Philippe Meunier, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, c'est la deuxième fois que le groupe UMP décide d'inscrire à l'ordre du jour une proposition de loi ayant pour objet de priver de la nationalité française les terroristes qui ont pris les armes contre la France et de créer un crime d'indignité nationale. Le 4 décembre dernier, la majorité et le Gouvernement se sont opposés à cette mesure, au motif que le droit en vigueur serait suffisant, et qu’elle serait à la fois « stigmatisante » et disproportionnée par rapport à la gravité des faits. Les amendements que nous avions déposés en ce sens lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, en septembre 2014, ont également été rejetés.

Les attentats odieux qui ont frappé notre pays en ce début d'année et le nombre croissant de Français engagés en Syrie et en Irak dans les rangs de l'organisation terroriste DAECH démontrent pourtant, de façon tragique, que la mesure que nous proposons est indispensable.

Selon le dernier état des lieux dressé par le ministère de l'Intérieur, à la fin du mois de février, 413 Français étaient engagés dans les zones de combat en Syrie, et 294 seraient en transit vers ces zones. Selon le Premier ministre, le nombre des Européens engagés devrait plus que tripler d'ici la fin de l'année. Ces milliers de Français radicalisés, devenus des ennemis de notre pays, disposent d'un droit au séjour sur notre territoire ainsi que de celui de circuler librement dans toute l'Union européenne.

La menace constituée par ces individus à leur retour est considérable. Elle exige qu'ils fassent l'objet d'une surveillance continue, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Imagine-t-on les effectifs policiers qu'une telle surveillance mobiliserait, au détriment des autres missions de sécurité publique incombant aux forces de l'ordre ?

La seule mesure susceptible d'assurer la sécurité de nos concitoyens est de priver les individus concernés de la nationalité française, afin de pouvoir leur interdire notre territoire à leur retour ou les en expulser, le cas échéant après qu'ils aient purgé une peine de prison.

Monsieur le Président, vous qui êtes spécialiste de ces questions et qui rapporterez prochainement sur le projet de loi relatif aux services de renseignement, je ne pense pas que vous me contredirez sur ce point : si nous ne parvenons pas, d'une manière ou d'une autre, à empêcher le retour de ces centaines, voire milliers de Français radicalisés sur notre sol, la sécurité de nos concitoyens ne pourra être assurée. De ce point de vue, la privation de la nationalité n'est pas qu'une mesure symbolique, même si les symboles ont leur importance : c'est une mesure aux conséquences concrètes, indispensable pour assurer notre sécurité.

Le gouvernement britannique l'a parfaitement compris et a agi en conséquence : une première loi a étendu, en juillet 2014, la possibilité de priver un citoyen britannique, même de naissance, de sa nationalité, et autorisé la perte de nationalité d'un citoyen naturalisé même si cela le rend apatride. Une seconde loi antiterroriste, en date du 12 février 2015, autorise désormais le gouvernement à interdire temporairement l'accès au territoire britannique à des nationaux engagés dans des activités terroristes à l'étranger. D'autres États, tels que le Canada ou la Belgique, envisagent ou ont réformé leur droit de la nationalité pour lutter contre le terrorisme.

Lors de l'examen de la précédente proposition de loi que nous avions déposée et du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, le Gouvernement a affirmé que le droit de la nationalité française en vigueur serait suffisant sur ce point. C'est malheureusement inexact.

En effet, en application des articles 25 et 25-1 du code civil, seuls les Français d'acquisition – par la voie de la naturalisation ou du mariage, par exemple – possédant une autre nationalité peuvent être déchus de leur nationalité française pour actes de terrorisme, dans des délais encadrés par la loi. Deux catégories de Français échappent donc totalement à ce dispositif : les Français de naissance, d'une part ; les Français d'acquisition ne possédant pas une autre nationalité, d'autre part. Aucun d'entre eux ne peut se voir retirer leur nationalité pour acte de terrorisme. Ce sont deux graves lacunes.

Il suffit, pour s'en convaincre, de se pencher sur le profil de certains des terroristes français ayant frappé notre pays et la Belgique au cours de la période récente : Mohammed Merah, Mehdi Nemmouche, les frères Kouachi et Amedy Coulibaly étaient ou sont tous Français de naissance. Certains d'entre eux n'étaient en outre pas binationaux. Aucun d'entre eux n'aurait donc pu faire l'objet d'une procédure de déchéance de la nationalité française, les conditions légales n'étant pas remplies.

Le second argument qui nous a été opposé, tout aussi inexact, est que notre proposition serait inconstitutionnelle. Dans une décision rendue le 23 janvier 2015, le Conseil constitutionnel, confirmant une décision du 16 juillet 1996, a validé le recours à la déchéance de nationalité à rencontre des terroristes « eu égard à la gravité toute particulière que revêtent par nature les actes de terrorisme ». Si la privation de nationalité est constitutionnelle, parce que proportionnée, lorsqu'elle est prononcée à l’encontre d'un Français par acquisition pour les actes de terrorisme, elle l'est nécessairement lorsqu'elle est prononcée à l’encontre des Français de naissance. Si le Conseil constitutionnel en jugeait autrement, cela reviendrait à contraindre le législateur à traiter les Français différemment, selon qu'ils le sont de naissance ou par acquisition, alors qu'il a lui-même jugé que tous les Français étaient égaux au regard du droit de la nationalité ! Prétendre que notre proposition, dans sa nouvelle rédaction, soulèverait une difficulté constitutionnelle, c'est considérer qu'il y a deux catégories de Français au regard de la privation de nationalité : les Français « de fraîche date » et les Français de naissance.

C'est la raison pour laquelle, au lieu de recourir à la déchéance de nationalité, qui est réservée aux Français d'acquisition, nous avons retenu la perte de nationalité, qui vise tous les Français, sans distinction. Ce qui importe, c'est la particulière gravité des faits : peu importe que l'intéressé soit Français depuis quinze générations ou depuis trois ans ! Notre proposition de loi met fin à une inégalité de traitement, ce qui devrait tous nous réunir. J'observe d'ailleurs, mais nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen des amendements, que la distinction entre déchéance et perte de nationalité est, de toute évidence, ignorée par les auteurs de l'amendement de suppression de l'article 1er, alors qu'elle est essentielle.

Notre proposition de loi comporte deux articles. Le premier prévoit un nouveau cas de perte de la nationalité française, qui s'appliquera au Français qui a participé à des opérations armées contre les forces armées françaises ou contre un civil français, ou qui s'est rendu complice de telles opérations, à l'étranger ou en France. Un nouvel article 23-8-1 du code civil serait ainsi créé. Tout Français, d'acquisition ou de naissance, pourra être ainsi privé de sa nationalité française, à condition qu'il possède une autre nationalité. Cette perte de nationalité sera prononcée par décret pris après avis conforme du Conseil d'État – j’ai en effet déposé un amendement transformant en avis conforme l’avis simple prévu initialement – après avoir été entendu ou invité à présenter ses observations, conformément à l'actuel article 23-8 du code civil. L'intéressé fera alors l'objet d'une mesure d'expulsion du territoire national, s'il s'y trouve, ou d'une mesure d'interdiction administrative du territoire s'il est à l'étranger.

L'article 2 tend à modifier le code pénal afin de créer un crime d'indignité nationale, accompagné d'une peine complémentaire de dégradation nationale, à l'encontre de tout Français auteur ou complice des mêmes faits que ceux visés à l'article 1er. Il complète à cette fin la section du code pénal relative aux « intelligences avec une puissance étrangère ».

Cette nouvelle incrimination s'inspire du dispositif mis en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale par l'ordonnance du 26 août 1944 pour sanctionner les Français ayant collaboré avec l'ennemi, et qui était assorti, lui aussi, d'une peine de dégradation nationale emportant la privation de tous les droits civiques, civils et politiques, ainsi que certaines interdictions professionnelles. Notre proposition reprend cette peine, et la complète par une peine de trente ans de détention criminelle, ce qui n'était pas envisageable il y a soixante-dix ans compte tenu du caractère rétroactif de l’incrimination créée par l'ordonnance du 26 août 1944.

Si le Président m'y autorise, je souhaite, pour conclure, dire un mot de l’un des amendements que j'ai présentés pour améliorer le dispositif.

Comme je l'ai exposé précédemment, notre proposition de loi vise à combler l’une des deux lacunes du dispositif actuel, en permettant de priver également les Français de naissance de leur nationalité française s'ils ont perpétré des actes de terrorisme. Elle ne permet cependant pas, dans sa rédaction actuelle, de priver les Français, d'acquisition ou de naissance, de leur nationalité si cela avait pour effet de les rendre apatrides. C'est une grave lacune car beaucoup de nos compatriotes qui combattent dans les rangs de DAECH n'ont pas d'autre nationalité. Nous avons prévu cette exception parce qu'il a toujours été affirmé que le droit international interdisait de rendre apatride un de ses propres ressortissants.

Or, une expertise approfondie a révélé que cette idée répandue était fausse. Le droit international n'interdit pas à la France de rendre apatride un de ses ressortissants. L'instrument de référence en la matière est la convention du 30 août 1961 sur la réduction des cas d'apatridie, adoptée dans le cadre des Nations unies. Si la France a signé cette convention le 31 mai 1962, elle ne l'a pas ratifiée. Elle n'est donc pas liée par cette dernière.

Au surplus, ladite convention n'interdit aucunement aux États parties de priver un individu de sa nationalité, y compris dans le cas où cette privation doit le rendre apatride, si cette privation est motivée par un manque de loyalisme envers l'État concerné ou s'il a eu un comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'État concerné ou encore s'il a manifesté par son comportement sa détermination de répudier son allégeance envers l'État contractant – article 8, paragraphe 3. Du reste, la France, lors de la signature de la convention, a effectué une déclaration par laquelle elle a indiqué qu'elle se réservait le droit d’user, en cas de ratification, de la faculté qui lui est ouverte par l’article 8, paragraphe 3.

De plus, l'article 23-8 du code civil permet déjà de rendre un Français apatride, s’il a apporté son concours à l'armée ou au service public d'un autre État ou à une organisation internationale dont la France ne fait pas partie, malgré l'injonction du Gouvernement de cesser son activité. La législation de nombreux États européens comporte des dispositions similaires, les autorisant à rendre leurs ressortissants apatrides. Tel est le cas de l'Autriche, de l'Espagne, de l'Estonie, de la Grèce, de l'Italie et de la Lituanie, ainsi que du Royaume-Uni.

Mon amendement CL6 consiste donc à insérer un nouvel article 23-8-2 au sein du code civil, visant à prévoir un nouveau cas de perte de la nationalité française, applicable aux Français d'origine comme d'acquisition, qu'ils possèdent une autre nationalité ou non. Ce nouveau cas de perte de la nationalité française concernera les Français condamnés pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme. Cette perte prendra la forme d'un décret pris après avis conforme du Conseil d'État, comme en matière de déchéance de nationalité.

Le sujet dont nous débattons est un sujet grave, sur lequel aucun d'entre nous ne devrait adopter de posture politicienne. Tel est malheureusement le cas des amendements de suppression déposés par nos collègues du groupe écologiste, dont la lecture révèle une méconnaissance profonde du droit de la nationalité et une volonté délibérée de caricaturer les propositions qui vous sont soumises : ils n’ont manifestement pas pris la peine de lire le dispositif ou de regarder ce qui se fait au-delà de nos frontières pour lutter contre le terrorisme. Il nous faut au contraire dialoguer pour parvenir, je l'espère, à une solution susceptible de faire consensus.

M. Alain Tourret. Monsieur le président, votre communication nous permettra de mieux réfléchir à une situation bien difficile.

Nous avons lutté dans notre histoire contre les nihilistes et les anarchistes, qui se rendaient responsables d’atteintes à l’ordre public aussi importantes que celles que commettent les djihadistes. Or il n’a pas été jugé utile, à l’époque, de transformer le code pénal. Une exception a été faite en 1944 : elle n’a pas été reprise lors de la guerre d’Algérie, notamment contre l’OAS, bien que cela eût été concevable.

En 1944, le crime d’indignité nationale vise plus les collaborateurs, dans le cadre de règlements de comptes politiques, que les auteurs de crimes. C’est en 1951 qu’on y a renoncé – il a notamment visé Sacha Guitry et Arletty.

Faut-il prévoir de nouvelles incriminations ? Des peines qui ont disparu pourraient également être réactivées : la déportation, les travaux forcés, les galères, la confiscation des biens, le bannissement ou l’ostracisme. Je rappelle qu’on a beaucoup hésité, s’agissant de l’ex-maréchal Pétain, entre le droit pénal général et le bannissement. Il a été condamné à mort. L’histoire de France compte des bannis célèbres : Villon, Charles X, Déroulède.

Je ne pense pas qu’il faille créer de nouvelles infractions : les moyens prévus, notamment dans le cadre de la future loi sur le renseignement, pour poursuivre ceux qui attaquent à l’heure actuelle la République, me semblent plus efficaces et consensuels.

Faut-il transformer des infractions spéciales en infractions générales ? Ce serait une erreur. Nous devons rester dans le cadre de la loi de 1881 et ne pas passer vers le droit pénal général. Je suis très inquiet de voir qu’on emprisonne de plus en plus pour délit d’opinion : c’est très perturbant. Certes, me direz-vous, Brasillach a été condamné à mort et exécuté pour délit d’opinion : François Mitterrand m’a dit un jour que cette condamnation avait été la pire faute politique jamais commise.

Quant à la perte des droits civils et civiques, elle est déjà prévue : son champ peut être étendu, comme peine principale ou comme peine complémentaire. C’est vers une telle solution qu’il convient à mes yeux de nous orienter si nous voulons être efficaces.

Créer une nouvelle incrimination d’indignité nationale ne servirait pas à grand-chose.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le président, comme vous l’avez souligné dans votre communication, dont j’ai apprécié le contenu, les sociétés ont toujours cherché à désigner et punir ceux qui s’excommunient, c'est-à-dire qui se retranchent de la communion nationale.

Les cités antiques étant plus petites, elles se trouvaient davantage fragilisées par les comportements erratiques ou déviants : c’est pourquoi les solutions alors proposées étaient radicales. On a ainsi proposé à Socrate de partir ou de boire la ciguë ; il a préféré le poison. Aristote, placé devant le même dilemme, a préféré partir, considérant que deux crimes de lèse-philosophie dans la même cité, c’était beaucoup ! Cette réflexion traverse donc les siècles.

Je n’ai rien à ajouter à votre présentation de l’application de l’ordonnance de 1944, ordonnance qui a « déçu », selon le mot de Mme Simonin au terme de ses travaux, la fragilité juridique du dispositif ayant donné les clés de son application aux tribunaux. Ceux-ci en ont fait ce qu’ils ont voulu, les lampistes ayant été, en fin de compte, plus condamnés que les organisateurs du crime visé par l’ordonnance. Cette injustice générale a fait l’objet d’un éditorial, cité par Mme Simonin, d’Albert Camus, éditorial écrit dès janvier 1945, c'est-à-dire quelques jours seulement après la mise en œuvre de l’ordonnance : l’écrivain s’y interrogeait sur les personnes visées par le dispositif. Les débordements observés ont fait dévier l’ordonnance de son objectif. C’est un point d’insatisfaction, dont il faut tirer la conséquence suivante : la solidité de la rédaction du texte adopté fera une grande part de son efficacité et donc de son succès.

Vous soulignez également que les circonstances ont changé et qu’il serait inopérant de plaquer sur la situation actuelle un contexte historique radicalement différent puisque datant de soixante-dix ans. Or la proposition de loi de M. Meunier ne plaque ni les concepts ni les circonstances de l’époque sur la situation actuelle. Simplement, notre société recherche, comme toutes les sociétés, le moyen de sanctionner les comportements erratiques et déviants qui, non seulement, excluent leurs auteurs de la communauté nationale mais, de plus, la combattent dans ses principes. Comme vous l’avez souligné vous-même, monsieur le président, les attentats de janvier sont une attaque contre les principes les plus fondamentaux de la République, que sont la liberté d’expression, la laïcité, l’autorité publique et l’égalité des croyances.

À mes yeux, le droit actuel ne suffit pas pour traiter de telles attaques, dont la gravité doit nous conduire, pour condamner leurs auteurs, à inventer des outils qui n’existent pas encore ou existent insuffisamment. C’est le point sur lequel je me distingue de M. Tourret.

Enfin, le caractère symbolique du dispositif doit-il être considéré comme une faiblesse ? Vous vous interrogez sur l’efficacité réelle de l’incrimination prévue. Je pense qu’une République, une cité ou une organisation politique quelconque gagne toujours à rappeler les conditions à remplir pour en faire partie, même si cela n’emporte pas de conséquences pratiques spectaculaires. De plus, la proposition de loi ne se contente pas du symbole pur : son adoption emporterait des conséquences.

S’agissant de la fin du XIXsiècle, nous avons tous à l’esprit la création des « Brigades du Tigre », visant à combattre les anarchistes. Nous devons nous montrer capables, lorsqu’il le faut, de décider d’écarter de la communauté nationale des personnes qui sont dans une opposition radicale à ce qu’elle représente. La solidité juridique de la proposition de loi repose sur la définition très claire de ceux qu’elle vise, à savoir tout individu arrêté ou identifié portant les armes ou se rendant complice par la fourniture de moyens à des opérations armées contre les forces armées ou les forces de sécurité françaises ou tout civil français.

Le texte pose également de manière satisfaisante la question de l’apatridie. La France n’ayant pas ratifié la convention de 1961, celle-ci ne s’applique pas en droit français.

Assumons-nous le fait que les circonstances actuelles sont, sinon similaires, du moins comparables dans leur portée à d’autres circonstances tragiques de notre histoire ? La portée de ces crimes justifie-t-elle la création de nouvelles dispositions ? À ces deux questions, je réponds oui.

C’est la raison pour laquelle je soutiens la proposition de loi de M. Meunier.

Mme Cécile Untermaier. Monsieur le président, je tiens à vous féliciter de la qualité de votre communication, qui nous permet de jeter un regard éclairé sur le texte que nous examinons ce matin.

Si la proposition de loi pose une question importante, toutefois, elle envisage l’avenir à partir du passé. Serait-il efficace de construire la France de demain en réactivant l’indignité nationale, une peine infamante prévue par les résistants français à une époque radicalement différente de la nôtre ?

Je regrette que cette proposition ne puisse nous aider à répondre au défi mondial que constitue le terrorisme et plus généralement aux problèmes majeurs que nous rencontrons. Elle n’aura aucun effet ni dissuasif ni correctif sur des individus prêts à sacrifier leur vie pour des valeurs éloignées des nôtres. Non seulement elle n’aurait pas pu éviter les attentats du mois de janvier dernier, mais elle pourrait avoir l’effet inverse. En effet, l’assimilation qu’elle induit avec la libération du territoire au sortir de la Seconde Guerre mondiale pourrait laisser penser à nos concitoyens, de manière dangereuse ou fallacieuse, que, de nouveau, deux France s’opposent.

Le terrorisme est le fait d’individus qui ne représentent ni la France ni même une partie de celle-ci. Ils ne prétendent ni ne veulent du reste la représenter. Le droit pénal actuel offre des outils suffisants pour réprimer leurs actes. La vraie question qui se pose à nous, si nous voulons nous montrer efficaces, est celle de la prévention, dont ne fait pas partie l’arsenal pénal. Chacun le sait, quelle que soit sa dureté, une peine n’empêchera pas un terroriste de passer à l’action.

La future loi sur le renseignement répondra de manière adaptée aux aspects policiers et judiciaires de la question soulevée par la prévention, l’arsenal social et éducatif demeurant essentiel en la matière.

Je crains, comme le président de la Commission, que le dispositif prévu par le texte ne finisse par faire des djihadistes des martyrs, ce dont nous ne voulons à aucun prix. Ne laissons pas nos concitoyens penser que nous aurions trouvé une solution en ajoutant un outil inefficace à l’arsenal pénal existant.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Cette proposition de loi, qui met à l’ordre du jour de notre Commission la question du crime d’indignité nationale et de la perte de la nationalité française, s’inscrit dans le cadre d’un calendrier actif en matière sécuritaire : je citerai pour mémoire la récente loi antiterroriste, le plan de lutte contre la radicalisation violente et l’examen prochain de la loi sur le renseignement.

Il importe donc de peser chacune de nos propositions non seulement à l’aune de la gravité de la situation mais également à celle de leur cohérence et de leur efficacité. Deux motifs non exhaustifs justifient à mes yeux le rejet du texte. Le premier est d’ordre juridique. Bien que retravaillée, cette proposition de loi ne présente toujours pas les garanties procédurales nécessaires et suffisantes. Le dispositif, par son manque d’équilibre entre le code civil et le code pénal, ne résistera pas au contentieux. Le second motif est le plus important : il vise l’efficacité du texte, qu’il s’agisse du retrait de la nationalité française ou du crime d’indignité nationale.

Ceux qui font le choix de porter atteinte, par des actes terroristes, aux valeurs républicaines et à la nation n’ont que faire de n’être plus membres de celle-ci. Leur action s’inscrit dans une quête d’une telle folie que la menace de perdre le lien qui les relie à leur pays d’origine ou d’accueil ne provoquera chez eux aucun questionnement sur le sens des actes meurtriers qu’ils prévoient d’exécuter. Enfin, notre connaissance de ceux qui prennent les armes est désormais assez fine pour savoir qu’il ne s’agit pas seulement de descendants d’immigrés ou de doubles nationaux, mais bien souvent d’adultes ou de jeunes sans lien récent avec l’immigration.

Le sujet est donc trop complexe pour être réduit à un public sommairement défini. À ces deux motifs, je pourrais en ajouter un troisième : la création des peines d’exception. Notre histoire comme celle des autres nations n’a pas encore fourni de preuve suffisante permettant de conclure à l’efficacité d’un recul de l’État de droit pour lutter contre la barbarie. La meilleure réponse est, comme l’a souligné le président de la Commission, de redonner force à l’idéal républicain et de réaffirmer la valeur de notre droit en punissant les auteurs des crimes visés par le texte avec les outils du droit pénal commun.

C’est pourquoi le groupe SRC votera contre la proposition de loi.

M. Pascal Popelin. Je vous remercie, monsieur le président, du travail complet que vous avez effectué sur un sujet aussi sensible et complexe.

Il était utile, pour alimenter notre réflexion et forger notre conviction, que nous disposions de références historiques et juridiques documentées.

Cela nous permettra en effet d’éviter deux écueils. Le premier eût été d’écarter d’un revers de main l’idée de réactiver dans notre droit le crime d’indignité nationale ou toute autre forme de peine de dégradation civique, dispositions qui ont accompagné, dans certaines circonstances, l’histoire de la République. Le second eût été de nous précipiter dans le vote d’une loi d’émotion, de réaction ou de circonstance, comme ce fut trop souvent le cas, sous le coup de la légitime indignation, suscitée au sein de la représentation nationale comme dans l’opinion publique, par les actes ignobles perpétrés sur notre territoire par des individus de nationalité française.

Votre travail, monsieur le président, a contribué à forger mon opinion, qui n'était pas arrêtée sur le sujet, même si j’avais déjà pointé des références historiques hasardeuses au cours de l’examen, en séance publique, le 4 décembre 2014, de la première version de cette proposition de loi.

Votre travail a conforté mon sentiment : les idées qui semblent frappées au coin du bon sens peuvent dissimuler des vices, qu’un regard attentif permet de déceler. Autrement dit : l’enfer peut être pavé de bonnes intentions.

Le principe qui vise à retrancher un concitoyen de la communauté nationale, c'est-à-dire à le priver de droits civiques ou à lui interdire l’accès à la fonction publique, avait un sens en 1944, lorsqu’il s’agissait de sanctionner des citoyens qui avaient collaboré avec l’occupant nazi et pour lesquels cette sanction avait incontestablement un impact, puisqu’il s’agissait souvent de notables revendiquant pleinement leur appartenance à la communauté nationale, aspirant même, parfois, à l’incarner. C’était une forme de sanction pour crime politique, que seules les circonstances exceptionnelles pouvaient rendre concevable et justifiable, par dérogation aux principes traditionnels du droit républicain, qui ne reconnaît pas le crime politique. Cette sanction trouvait sa justification, vous l’avez souligné, dans la volonté de mettre à l’écart de la reconstruction du pays et de la démocratie ceux qu’on jugeait indignes d’y participer.

Il n’y a là rien de comparable avec la menace à laquelle notre pays est aujourd'hui confronté. Qui peut en effet imaginer que l’obscurantisme qui embrouille l’esprit d’un terroriste avant, pendant et après son passage à l’acte, lui permettrait d’être impressionné par le risque d’encourir l’indignité nationale ? Au mieux, la perspective d’une telle sanction lui inspirera la même crainte qu’un pistolet à bouchon ; au pire – il serait peu sage d’écarter ce risque –, une telle peine pourrait devenir une sorte de « médaille du travail » du terroriste, dont chacun connaît le goût à figurer sur une liste de martyrs.

M. Urvoas a évoqué la manière dont la République a traité, à la fin du XIXsiècle, les anarchistes : elle leur a refusé le statut de martyrs judiciaires en faisant le choix de les traiter non pas hors de la République et hors de la nation mais comme des accusés de droit commun. Ceux qui nous ont précédés nous ont montré le chemin : les crimes commis aujourd'hui par les terroristes ne méritent pas d’être distingués par une peine particulière. Ils doivent être sanctionnés sans faiblesse pour ce qu’ils sont : des crimes de droit commun, qui exposent leurs auteurs à une large palette de sanctions sévères, lesquelles emportent, d’ailleurs, les mêmes conséquences que l’indignité nationale en matière de droits civiques ou d’accès aux emplois publics.

C’est pourquoi je ne voterai pas une proposition de loi recyclée par rapport à celle que nous avons déjà examinée en décembre 2014.

M. Jean-Frédéric Poisson. Retravaillée et non pas « recyclée », monsieur Popelin : ne soyez pas si méprisant envers le texte.

M. Pascal Popelin. Je n’ai aucune volonté d’être polémique ou méprisant. Je ne fais aucun procès d’intention à l’auteur du texte. Si vous le préférez, j’accepte le mot « retravaillée ». Je crois même me rappeler que c’est la troisième version sur laquelle nous nous penchons : nous en avons déjà refusé deux.

M. Gilbert Collard. J’ai le grand regret, monsieur le président, de vous dire que votre communication m’a passionné. J’en suis désolé. (Sourires.)

Je tiens toutefois à souligner mon désaccord, s’agissant de votre référence aux anarchistes : vous avez oublié les « lois scélérates » – c’est Léon Blum qui a inventé l’expression –, dont Ludovic Trarieux, alors président de la Ligue des droits de l’homme et radical-socialiste, fut à l’origine. Il est vrai toutefois que ces lois n’ont jamais dérogé au droit commun. C’est un trait essentiel pour juger l’histoire de la IIIRépublique.

Un membre de la commission des Lois connaît-il le texte d’abrogation de l’ordonnance de 1944 ? Je l’ai cherché ; je ne l’ai pas trouvé – l’amnistie de 1951 ne valant pas abrogation. C’est pourquoi je pose la question : ne débattons-nous pas d’une incrimination non abrogée et qui, donc, existerait toujours ?

Il est vrai, monsieur le président, que la notion d’indignité nationale paraît aujourd'hui bien anachronique, car nous renvoyant à une période historique radicalement différente de la nôtre. Toutefois, comme je crois aux symboles, je serai satisfait de savoir que l’homme qui tue un policier à terre n’a pas la même dignité nationale que sa victime. Pour cette seule raison, je serai satisfait du rétablissement du crime d’indignité nationale. Je le répète : l’homme qui abat un policier à terre ne doit pas avoir la même dignité nationale que sa victime.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je n’ai pas omis les « lois scélérates » : je les évoque dans ma communication écrite. L’expression constitue le titre d’un ouvrage, publié en 1899 et signé par trois auteurs : Francis de Pressensé, Émile Pouget, et « un juriste » qui était, en fait, Léon Blum.

S’agissant de l’ordonnance de 1944, sa rédaction même prévoyait son abrogation puisqu’elle précisait que l’infraction ne pouvait être constatée que six mois après la libération totale du territoire fixée au 8 mai 1945.

La loi d’amnistie de 1951 a amnistié 80 % des condamnés.

M. Patrick Mennucci. J’ai travaillé, au nom du groupe socialiste, sur la première proposition de loi de M. Meunier : le travail réalisé entre les deux textes est incontestable, les débats en commission puis dans l’hémicycle ayant conduit notre collègue à s’apercevoir qu’il s’était engagé dans une impasse juridique.

Le présent texte doit être contesté à la fois sur le plan juridique – votre communication y a contribué, monsieur le président – et sur son opportunité.

Le travail que je conduis avec Éric Ciotti dans le cadre de la commission d’enquête sur les filières djihadistes m’amène à deux considérations sur l’opportunité de cette proposition de loi.

S’agissant du retour des djihadistes, j’entends bien les arguments de M. Meunier. Mais peut-on laisser 400 à 500 individus animés d’une haine des principes républicains aller de la Syrie à la Libye, de la Libye à la Tunisie, voire au Maroc ou au sud de l’Algérie, et agir en tant que militants de l’anti-France à l’extérieur de nos frontières ? Non. Il faut leur permettre de revenir pour les traduire devant la justice et les juger pour les actes qu’ils ont commis. C’est parce que nous nous conformerons à l’État de droit que nous pourrons affirmer notre supériorité morale face à ces gens. Leur place est en prison, à Fresnes, aux Baumettes, à La Farlède, et pour longtemps. Notre commission d’enquête aura d’ailleurs des éléments à apporter sur la question des quartiers d’isolement.

Par ailleurs, votre proposition de loi tend à faire du terrorisme un crime politique, ce qu’il n’est pas à mon sens. On ne saurait accorder une médaille du travail aux djihadistes. Pensez-vous vraiment que les djihadistes français qui crucifient et lapident des femmes redoutent de perdre leur nationalité française ? Pensez-vous vraiment que les membres de Jund al Khalifa, Ansar al Charia, Ansar Dine ou du MUJAO, groupes satellites ou concurrents de DAECH, se soucient de cela ?

Votre proposition de loi est simplement destinée à rassurer l’opinion. Les actions de lutte contre le terrorisme, c’est le Gouvernement qui les mène : loi sur le renseignement, surveillance d’internet, collaboration entre les services de renseignement et les juges, renforcement du renseignement pénitentiaire, dont je tiens à souligner qu’il est beaucoup plus efficace que ce que nous entendons ici ou là.

Pour toutes ces raisons, monsieur le rapporteur, je ne voterai pas votre texte.

M. Hugues Fourage. Les dispositions de votre proposition de loi ont une connotation historique particulière, ce qui rend leur approche délicate. Par ailleurs, dans votre exposé des motifs, vous replacez ce texte dans le contexte des « attentats qui ont frappé la France à Noël et début janvier 2015 ». Il me paraît un peu dommage de lui donner cette tonalité teintée d’émotion. La question de l’indignité nationale n’est pas une simple question de circonstances.

De notre discussion, qui a d’une certaine manière un caractère transpartisan, je retiens deux dimensions principales : la force du symbole et l’efficacité.

Vous écrivez, monsieur le rapporteur, qu’« il serait proprement scandaleux que de tels individus jouissent des bienfaits et des droits attachés à la qualité de citoyen français, alors même qu’ils bafouent les devoirs les plus élémentaires que l’on doit à sa patrie et à la République. » Nous pouvons effectivement nous poser la question de la force symbolique de la loi dans notre République. Elle est fondamentale, beaucoup d’entre nous l’ont évoquée. Doit-on élaborer des lois en raison de leur force symbolique ? C’est tout l’enjeu de cette proposition de loi.

Un argument de Jean-Jacques Urvoas a particulièrement retenu mon attention : « En effet, si les actes commis par les terroristes impliquent bien un rejet de nos valeurs fondamentales et de nos institutions, ils ne constituent pas pour autant en eux-mêmes un courant d’idées contraires auquel se serait ralliée une partie de la population. Il n’y a en France ni guerre civile, ni programme idéologique de substitution d’une nouvelle conception de la Nation justifiant la protection de la conception actuelle par des techniques de disqualification. » Il m’a convaincu qu’il n’était pas nécessaire de recourir à la force symbolique de la loi en adoptant cette proposition loi rétablissant l’indignité nationale.

J’en viens à l’efficacité de la loi. Je ne crois pas, mes chers collègues, qu’en votant une loi de cette nature, on puisse empêcher que des actes terroristes soient commis. De même, je n’ai jamais considéré que la peine de mort pouvait empêcher d’une quelconque manière que des meurtres soient commis. Robert Badinter, dans le discours qu’il a prononcé à l’Assemblée nationale pour défendre l’abolition de la peine de mort, a rappelé que, dans la foule rassemblée devant le palais de justice où se tenait le procès de deux meurtriers, l’un des manifestants qui criait « À mort ! » avait commis lui-même des crimes odieux.

Par ailleurs, il faut se demander si, en dehors des dispositions proposées, les actes visés resteraient impunis. Je constate qu’il existe déjà dans notre droit des moyens de les sanctionner de manière claire et précise. Par conséquent, les nouvelles dispositions portées par votre proposition de loi ne me semblent pas nécessaires.

Je ne la voterai donc pas.

M. Guillaume Larrivé. Je n’ai pas co-signé cette proposition de loi, afin de me laisser le temps de la réflexion, mais je la voterai pour une raison de fond, bien mise en avant dans le débat de qualité que nous avons.

Qu’est-ce qu’une nation ? Une communauté de citoyens qui se reconnaissent les uns les autres en tant que tels, dotés de droits et de devoirs mutuels et unis par un contrat social, comme l’a montré la philosophie politique. Lorsque l’un de nos compatriotes va jusqu’à porter les armes contre la France, il fait le choix de s’exclure de la communauté nationale. Je crois profondément que la République française est fondée à reconnaître par un acte positif que ce citoyen s’est exclu de la communauté nationale. C’est le cœur du débat qui nous rassemble ici.

Cela posé, il faut se demander si la peine d’indignité nationale est toujours adaptée aux réalités de notre époque. Je le crois plus que jamais. D’une part, elle renvoie à des principes qui ne dépendent pas de la conjoncture. D’autre part, elle s’inscrit dans un contexte de guerre, une guerre non-conventionnelle, une guerre asymétrique, mais une guerre dans laquelle certains de nos concitoyens ont fait le choix de se déclarer ennemis de la nation en ayant pour projet d’affaiblir voire de détruire la France par la terreur.

La proposition de loi a deux objets. Elle vise, premièrement, à étendre les cas de perte de la nationalité, mesure juridiquement fondée, que je voterai. Elle tend, deuxièmement, à instaurer une peine d’indignité nationale, que j’approuve également.

Je conclurai ce bref propos en m’adressant à ceux et celles qui ont invoqué l’État de droit. L’État de droit n’a pas s’excuser d’être fort. S’il est faible, il n’y a plus d’État et in fine plus de droit. Notre mission en tant que législateurs est de renforcer l’État de droit par divers moyens. Ce texte constitue une réponse à la menace terroriste. Il y en a d’autres, comme le projet de loi relatif au renseignement. Et vous le savez, les députés de l’UMP le voteront pour l’essentiel. Nous avons déjà démontré notre esprit de responsabilité lorsque nous avons voté la loi anti-terroriste de 2014, un esprit de responsabilité que les députés socialistes ont oublié en 2006 puisqu’aucun d’entre eux n’a voté la loi anti-terroriste présentée par Nicolas Sarkozy.

Nous sommes prêts à vous accompagner pour voter les mesures que vous proposez lorsqu’elles nous paraissent utiles mais estimons de notre devoir de les compléter quand cela nous semble nécessaire. C’est ce que se propose de faire ce texte plus que symbolique.

M. Guy Geoffroy. Je voudrais dire à M. le rapporteur toute la satisfaction qui est la mienne de compter parmi les premiers signataires de sa proposition de loi. Vous avez immédiatement compris sa portée, monsieur le président, et avez fait le choix d’introduire son examen par une communication, issue d’un travail très approfondi, d’une grande qualité, que je salue. Je regrette toutefois les conclusions trop hâtives que vous avez pu tirer de vos recherches.

Je vous invite à la modération, chers collègues de l’opposition. L’un de vous a posé la question de savoir si l’adoption de la proposition de loi initiale de Philippe Meunier aurait empêché les drames de début janvier. Je lui renvoie sa question : la loi anti-terroriste de novembre 2014 les a-t-elle évités ? Non. Méfions-nous de tels parallélismes, ils se retournent rapidement contre ceux qui les établissent.

Je confirme à M. Collard – mais M. le président Urvoas l’a déjà dit – que l’ordonnance du 26 août 1944 ne prévoyait l’application de la peine d’indignité nationale que pour une période limitée : elle s’est éteinte d’elle-même. Le fait qu’une loi d’amnistie ait été votée quelques années plus tard n’a rien d’incohérent. Elle est venue effacer ce qui avait été marqué par cette incrimination.

Pascal Popelin a posé une vraie question : les actes auxquels nous sommes confrontés relèvent-ils du crime ordinaire ? Si ce n’est pas le cas, y a-t-il lieu de marquer de manière différence la riposte de la nation ?

M. Pascal Popelin. Vous considérez qu’il s’agit de crimes politiques ?

M. Guy Geoffroy. Ne nous racontons pas d’histoires : le raisonnement politique de ceux qui commettent ces crimes est nul. Toutefois, leur objectif est bien de tuer la nation en portant atteinte à certaines de ses représentations très puissantes.

Ne vous fourvoyez pas, chers collègues : considérez plutôt cette proposition de loi comme un élément supplémentaire dans un ensemble que nous essayons de construire ensemble pour montrer que l’État de droit dans notre pays ne recule pas et pour rassembler notre peuple autour de valeurs fondamentales que nous voulons continuer de défendre après le 11 janvier. Le relâchement de notre vigilance aurait de graves conséquences. Il est bon d’envoyer des messages forts s’agissant des symboles qui fondent notre République.

En refusant cette proposition de loi, vous commettez l’erreur de ne pas répondre aux attentes que nos concitoyens ont à l’égard de la représentation nationale.

Cette proposition de loi, bien retravaillée, n’est pas un texte de circonstance. C’est un texte qui tient compte des circonstances, nuance qui ne me semble pas négligeable. C’est la raison pour laquelle je souhaite qu’il soit adopté.

Mme Élisabeth Pochon. Je me pose une question à laquelle je n’ai pas vraiment de réponses, peut-être pourrez-vous m’en fournir. Ce n’est pas la première fois que la nation est mise en péril par des actions terroristes. Nous avons déjà été confrontés aux terrorismes basque et corse, à Action directe, mais personne n’a alors invoqué la déchéance de nationalité. Pourquoi la met-on en avant aujourd’hui ?

Je suis d’accord avec vous, monsieur Geoffroy, pour dire que le message qu’une telle proposition envoie à la nation a son importance. Simplement, je ne l’envisage pas de la même manière que vous. Il me semble de nature à stigmatiser une partie de la population, en raison de son appartenance religieuse.

M. le rapporteur. Monsieur le président, je tiens à vous dire que j’ai apprécié votre communication : elle me renforce dans ma détermination à défendre cette proposition de loi.

« Dans l'esprit des juristes de la Résistance », soulignez-vous à la page 17, « l'instauration du crime d'indignité nationale devait donc répondre à une double finalité : juger les vaincus, accusés d'avoir déshonoré la République ; obtenir l'adhésion des populations libérées aux institutions mises en place par le GPRF, autrement dit à la restauration de la République à travers la diffusion d'une morale politique permettant de distinguer le "bon" citoyen du "mauvais"» J’approuve totalement ces principes. Vous affirmez encore – élément essentiel – que le contenu de cette proposition de loi est un choix juridiquement possible.

Rappelons que le président de la République et le Premier ministre ont manifesté la volonté que le pouvoir exécutif noue un dialogue constructif avec le pouvoir législatif, notamment avec les membres de l’opposition. À cette volonté, monsieur le président, nous répondons par cette proposition de loi. Semblable texte ne peut manquer de provoquer des divergences entre nous mais elles sont susceptibles d’être gommées par le dépôt d’amendements. Or les deux seuls amendements déposés par la majorité sont des amendements de suppression. Cela me paraît désolant au regard de ce que doit être l’union nationale.

Monsieur Tourret, j’ai beaucoup de respect pour vos analyses. Vous n’êtes pas d’accord avec l’introduction d’une peine d’indignité nationale, et c’est votre droit, d’autant que vous avez fait preuve d’honnêteté intellectuelle. Toutefois, je déplore qu’à l’instar de vos collègues de la majorité, vous n’ayez dit aucun mot de l’article 1er concernant la perte de nationalité. Les attentats du mois de janvier ont-ils changé votre positionnement politique ? C’est à vous de me le dire. Par ailleurs, M. Poisson a souligné que la peine d’indignité s’appliquait aux Français portant les armes. Un Sacha Guitry ne pourrait donc être inquiété.

Madame Untermaier, cette proposition de loi relève selon vous du passé. Je viens de rappeler que les principes sur lesquels elle repose sont toujours d’actualité. Vous avez insisté sur le rôle primordial que joue à vos yeux la prévention. Je laisse nos compatriotes réfléchir à vos propos. Ils jugeront par eux-mêmes si cela leur paraît suffisant pour régler le problème du terrorisme qui frappe sur notre territoire, en Europe et dans le monde entier.

Madame Chapdelaine, le problème n’est pas de savoir si les djihadistes veulent ou non rester français, mais s’ils doivent le rester. Les Français ne veulent plus partager leur territoire avec ces personnes : elles n’ont plus à faire partie de la communauté nationale car elles ont souillé la République en portant les armes contre elle.

Monsieur Popelin, nous ne réagissons pas en fonction de nos émotions. Cette proposition de loi, je le rappelle, a été débattue en 2014. Le groupe UMP n’a pas attendu les attentats de Noël et du mois de janvier pour la déposer. Si nous l’avons à nouveau défendue, c’est tout simplement que M. Hollande et M. Valls ont exprimé le souhait de travailler avec l’opposition. À vous d’en tirer les conséquences et d’assumer vos responsabilités politiques.

Aux interrogations de M. Collard sur la durée d’application de l’ordonnance, vous avez parfaitement répondu, monsieur le président. Je n’y reviendrai pas.

Les impasses juridiques qu’a évoquées M. Mennucci sont réelles, mais elles ont pu être contournées par des amendements, qui ont malheureusement été rejetés. Quant à la volonté d’empêcher le retour des djihadistes, elle n’est pas incompatible avec la possibilité qu’ils fassent l’objet de poursuites.

Monsieur Fourage, je ne remets pas en cause votre honnêteté intellectuelle. Votre raisonnement se tient.

Monsieur Larrivé, vous avez raison d’affirmer que, plus que jamais, il est important d’appeler à la nécessité de sauvegarder notre cohésion nationale dans ces moments extrêmement difficiles que nous traversons. Et, monsieur Geoffroy, vous avez aussi raison de souligner que les raccourcis hâtifs ne servent pas le débat. Cette proposition de loi n’a pas pour objet de donner dans la politique politicienne mais d’essayer de répondre à la main tendue par le président de la République et le Premier ministre au mois de janvier.

Enfin, madame Pochon, je ne peux nier que le terrorisme basque a été très sanglant. Mais il y a une différence majeure.

Mme Élisabeth Pochon. Huit cents morts !

M. le rapporteur. Les conséquences des actes terroristes que nous connaissons aujourd’hui en France et dans le monde ne sont pas de même nature.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er (art. 23-8-1 du code civil [nouveau]) : Perte de la nationalité française de tout individu ayant pris les armes contre les forces françaises ou un civil français

La Commission est tout d’abord saisie de l’amendement CL2 de M. Sergio Coronado, tendant à supprimer l’article.

M. Sergio Coronado. Je voudrais faire amende honorable. Dans l’article 1er de la présente proposition de loi, il est question de « perte » et non plus de « déchéance » de nationalité comme dans sa version antérieure. Cela dit, je ne suis pas certain que ce changement de terminologie implique une refonte totale de l’économie du texte, notamment du droit de la nationalité comme vous prétendiez le faire, j’y vois plutôt une astuce.

Je perçois, à l’œuvre dans cet article comme dans l’article 2 relatif à la peine de dégradation nationale, une volonté de produire des sujets de non-droit, ce que M. le président a bien souligné dans sa communication. Je ne suis pas sûr, en tout cas, que cela constitue un renforcement de notre État de droit.

Mon opposition à ce texte est une opposition de principe. Vous jouez avec des symboles constitutifs de notre nation sans apporter de solution efficace pour lutter contre le défi que constitue le terrorisme en France et dans le monde.

J’invite mes collègues à voter cet amendement de suppression de l’article 1er.

M. le rapporteur. Cet amendement de suppression révèle une profonde méconnaissance du sujet. Son exposé sommaire comporte de très nombreuses erreurs, qu'il convient de rectifier.

Il commence par indiquer que l’article 1er « vise à permettre la déchéance de nationalité de toute personne portant les armes contre les forces armées françaises et de police, ou leurs alliés ». Première ligne, première erreur : il s’agit non pas de déchéance mais de perte de la nationalité française. La différence est essentielle puisque, je le répète, la déchéance ne concerne que les Français d'acquisition, alors que la perte concerne aussi bien les Français de naissance que les Français d'acquisition. Notre article rétablit donc une égalité entre Français car, ce qui importe en la matière, je le répète, ce n'est pas de savoir si un Français est français depuis quinze générations ou depuis trois ans, mais la gravité des actes terroristes qu'il a commis, ce qui devrait rassurer Mme Pochon.

Le deuxième paragraphe explique que la loi prévoit déjà la possibilité de déchoir de leur nationalité française les personnes condamnées pour crime à au moins cinq années d’emprisonnement. C'est inexact : cette disposition, qui figurait au 5° de l'article 25 du code civil, a été supprimée par la loi du 16 mars 1998, il y a donc plus de dix-sept ans.

Troisième paragraphe, troisième erreur : « la proposition de loi ne couvrirait pas de cas nouveaux » et serait une mesure d'« affichage ». Pas du tout : elle permet de priver de la nationalité française les Français de naissance ayant perpétré des actes de terrorisme, ce que le droit actuel ne prévoit pas. Loin d’être une mesure d’affichage, elle comble une grave lacune de notre droit.

Quatrième paragraphe, quatrième erreur : la garantie temporelle prévue à l'article 25-1 du code civil serait abrogée. L'article premier n'abroge en rien l'article 25-1, cette garantie restera donc valable pour la déchéance de nationalité. Simplement, elle ne saurait s'appliquer en matière de perte puisque celle-ci concerne aussi les Français de naissance. Quant à l'absence d'avis conforme du Conseil d'État, cette critique, fondée, tombe, compte tenu de mon amendement CL12, que j'invite M. Coronado à adopter.

Au cinquième paragraphe, pas d'erreur, mais un constat que nous partageons entièrement et qui fonde, précisément, la proposition de loi et mon amendement CL6. Il faut en effet modifier notre droit pour priver de la nationalité les Français de naissance et les Français qui ne possèdent pas une autre nationalité. Ce qu'écrivent les auteurs de l'amendement devrait logiquement les conduire à voter la proposition de loi et mon amendement.

Sixième paragraphe, sixième erreur : cette nouvelle proposition de loi serait quasiment identique à celle débattue en décembre dernier. C'est inexact, elle est très différente de la précédente dans sa version initiale : elle ne vise plus la déchéance mais la perte de nationalité.

Pour toutes ces raisons, avis défavorable.

M. Pascal Popelin. Nous sommes favorables à l’adoption de cet amendement de suppression de l’article ; nous avons peu évoqué le premier aspect de cette proposition de loi, relatif à la perte de nationalité, car nous nous étions largement exprimés lors de l’examen du précédent texte, la notion d’indignité n’ayant été intégrée que par voie d’amendement au moment de la séance.

M. Guy Geoffroy. Le groupe UMP ne votera pas cet amendement de suppression, car l’article 1er doit être maintenu et les autres amendements à cet article discutés.

Je suis frappé que, pour ce texte comme pour le précédent, les amendements de suppression ne soient pas présentés par des membres du groupe SRC, mais par des députés du groupe écologiste. Est-ce un oubli, ou s’agit-il de laisser les députés écologistes exécuter les basses œuvres ? Les députés socialistes pourraient ainsi proclamer leur accord avec le principe du texte tout en justifiant son rejet pour des raisons liées à ses modalités. Il est plus facile de voter un article de suppression que d’en présenter un soi-même !

M. Olivier Marleix. Le Premier ministre avait su trouver les mots pour toucher chaque député de la Nation lors de son discours du 13 janvier 2015, prononcé à la suite des attentats de Paris ; il avait notamment fait preuve d’ouverture en déclarant sa volonté de travailler avec l’opposition à des mesures législatives. En réalité, le Gouvernement ne déposera pas de texte conçu pour renforcer notre arsenal législatif, à cause de petites raisons tenant aux relations à l’intérieur de la majorité plurielle. Seules des dispositions sur le renseignement seront présentées, et nous verrons d’ailleurs si les voix de l’opposition ne sont pas indispensables à leur adoption. Nous assistons à un mouvement de fermeture qui prouve que le discours du Premier ministre n’était rien d’autre qu’un exercice de communication contenant des promesses qui n’auront aucun lendemain.

Si je comprends bien les propos de députés de la majorité, ce ne serait pas si grave d’être djihadiste et cela ne justifierait pas la perte de la nationalité française. Je suis sidéré par ce discours de banalisation qui se trouve en complet décalage avec les opinions et les votes de nos compatriotes. Ceux qui ont le plus besoin de voir la France affirmer son identité habitent dans les quartiers populaires ; les jeunes Français issus de l’immigration n’en peuvent plus de ce grand amalgame et de la perte des valeurs que vous portez, mes chers collègues de la majorité.

M. Guillaume Larrivé. Je regrette que le Gouvernement n’ait pas souhaité participer aux travaux de notre Commission aujourd’hui. Nous avons eu une discussion dense, éclairée, ce qui n’est pas courant, par une communication ad hoc de notre président, et centrée sur une proposition de loi qui a fait l’objet d’une correspondance entre le chef de l’opposition, M. Nicolas Sarkozy, président de l’UMP, et le Gouvernement. Nous évoluons dans un contexte particulier dans lequel l’ensemble de la communauté nationale devrait se rassembler, et l’absence de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, qui aurait très bien pu venir débattre avec nous d’une modification des codes civil et pénal, atteste le mépris porté par le Gouvernement à l’opposition sur cette question majeure. Tout cela est extrêmement regrettable !

M. le rapporteur. Monsieur Popelin, l’indignité nationale était intégrée à la proposition de loi précédente.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et les amendements CL3 rectifié, CL4 rectifié, CL12 et CL5 du rapporteur tombent.

Après l’article 1er

La Commission examine l’amendement CL6 rectifié du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement insère un nouvel article 23-8-2 au sein du code civil, afin de prévoir un nouveau cas de perte de la nationalité française. Celui-ci concernerait les Français condamnés pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme. La perte prendra la forme d’un décret pris après avis conforme du Conseil d’État, comme en matière de déchéance de nationalité.

La privation de la nationalité française pour actes de terrorisme a été expressément validée par le Conseil constitutionnel dans deux décisions du 16 juillet 1996 et du 23 janvier 2015. La perte de nationalité pourra avoir pour conséquence de rendre l’intéressé apatride, s’il ne possède pas une autre nationalité, comme le permet déjà l'article 23-8 du code civil pour le citoyen français qui apporte son concours à l'armée ou au service public d'un autre État ou à une organisation internationale dont la France ne fait pas partie, malgré l'injonction du Gouvernement de cesser son activité. En effet, contrairement à une idée répandue, le droit international n’interdit pas à la France de rendre l’un de ses ressortissants apatrides ; ainsi, la convention du 30 août 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, adoptée dans le cadre des Nations unies, n’interdit aucunement aux États parties de priver un individu de sa nationalité, y compris si cette privation doit le rendre apatride, si cette privation est motivée par un manque de loyalisme envers l’État concerné ou s’il a eu un comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État concerné ou encore s’il a manifesté par son comportement sa détermination à répudier son allégeance envers l’État contractant.

Le nouvel article 23-8-2 du code civil proposé est donc parfaitement compatible avec le droit international et la jurisprudence constitutionnelle.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette successivement les amendements CL7 rectifié et CL10 du rapporteur.

Article 2 (art. 411-5-1 et 411-5-2 du code pénal [nouveaux] : Création d’un crime d’indignité nationale et d’une peine complémentaire de dégradation nationale

La Commission est saisie de l’amendement CL1 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement tend à supprimer l’article 2.

M. le rapporteur. Je voudrais tout d'abord remercier les auteurs de cet amendement de suppression pour l'excellente suggestion qu'ils ont formulée à la fin de leur exposé sommaire, visant à compléter la liste des peines complémentaires prévues par l'interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation. Je l'ai reprise dans l'un de mes amendements, même s'il faut bien reconnaître que les terroristes, en pratique, sollicitent rarement l'autorisation de détenir ou de porter les armes dont ils font usage.

J'émets un avis défavorable à l’adoption de l’amendement.

Ses auteurs font valoir, en premier lieu, que les actes qui seraient réprimés par ce nouveau crime le sont déjà par d'autres infractions, ce qui porterait atteinte à la clarté de la loi et au principe de légalité des délits et des peines. Cette situation est bien connue du droit pénal, et réglée par les principes applicables au concours d'infractions. Lorsque plusieurs qualifications pénales peuvent être retenues pour un même fait, c'est la qualification pénale passible de la peine la plus élevée qui doit être retenue. C'est très courant et cela ne pose aucune difficulté au regard des principes constitutionnels auxquels doit satisfaire notre droit pénal.

Ils s'interrogent, en deuxième lieu, sur le fait que ce crime – il s'agirait d'un crime et non d'un délit comme ils l'écrivent – s'appliquerait aux seuls nationaux. La trahison, dans notre code pénal, ne concerne, par définition, que les Français. Un étranger peut être condamné pour espionnage, pas pour trahison : cela n'aurait guère de sens. Il en va de même pour l'indignité nationale.

En troisième lieu, les auteurs de l'amendement semblent considérer que le prononcé systématique d'une peine complémentaire serait contraire au principe d'individualisation des peines. C'est inexact : en application de la jurisprudence constitutionnelle, le principe d'individualisation des peines n'interdit pas les peines complémentaires obligatoires, qui, si elles sont imposées par la loi, doivent avoir été prononcées par l'autorité judiciaire pour être appliquées. La nature de la peine doit être directement liée à la nature de l'infraction et le juge doit pouvoir la moduler, ce qui est le cas dans cette proposition de loi.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 2 est ainsi supprimé, et l’amendement CL11 du rapporteur tombe.

En conséquence, l’ensemble de la proposition de loi est rejeté, et l’amendement CL8 du rapporteur portant sur le titre est sans objet.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Cette proposition de loi sera examinée en séance publique le 2 avril prochain dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe UMP.

Je vous propose que le document écrit que je vous ai communiqué et nos échanges, que j’ai trouvés d’excellente qualité, puissent être publiés sous la forme d’un rapport d’information de la commission des Lois. (Approbation).

La séance est levée à 12 heures 40.

——fpfp——

Information relative à la Commission

La Commission a désigné :

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur sur la mise en application de la loi qui serait issue de l’adoption définitive du projet de loi relatif au renseignement (n° 2669) (M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur).

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, M. Luc Belot, M. Gilles Bourdouleix, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Gilbert Collard, M. Sergio Coronado, M. Frédéric Cuvillier, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Olivier Dussopt, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, M. Guillaume Larrivé, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Olivier Marleix, M. Patrick Mennucci, M. Philippe Meunier, M. Paul Molac, M. Jacques Pélissard, M. Edouard Philippe, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, Mme Paola Zanetti, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Dominique Bussereau, M. Jean-Michel Clément, Mme Pascale Crozon, M. Marc-Philippe Daubresse, Mme Laurence Dumont, M. Guillaume Garot, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Sandrine Mazetier, Mme Maina Sage