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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 5 mai 2015

Séance de 9 h 30

Compte rendu n° 64

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président, puis de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Vice-président

– Examen pour avis de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la protection de l’enfant (n° 2652) (Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure)

La séance est ouverte à 9 h 30.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission examine pour avis les articles 11, 12, 14, 15, 17, 18, 20, 21, 21 bis et 22 de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la protection de l’enfant (Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous examinons les articles de la proposition de loi adoptée par le Sénat, relative à la protection de l’enfant, dont notre Commission s’est saisie pour avis et que la commission des Affaires sociales, saisie au fond, examinera cet après-midi.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis. L’examen de cette proposition de loi, issue d’une initiative sénatoriale, intervient dans un contexte marqué par de nombreux drames ayant mis en danger la vie d’enfants.

Si ces tragédies soulignent l’urgence et la nécessité des réformes proposées, elles ne doivent pas occulter le fait que ce texte est issu d’un travail de fond mené depuis plusieurs années. Il constitue en effet la traduction législative du rapport de la mission d’information de la commission des Affaires sociales du Sénat sur la protection de l’enfance, présenté en juin 2014 par Mme Michelle Meunier et Mme Muguette Dini – un rapport dont je tiens à souligner la qualité. Il tient également compte des réflexions du rapport du groupe de travail sur la protection de l’enfance et l’adoption présidé par la professeure Adeline Gouttenoire, remis en février 2014, ainsi que du rapport sur le délaissement parental rendu en 2009 par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et des travaux du Conseil supérieur de l’adoption.

La protection de l’enfance est une politique publique essentielle, qui concerne près de 300 000 jeunes par an, pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE), et à laquelle les départements consacrent chaque année environ 7 milliards d’euros, soit plus de 20 % de leurs dépenses d’action sociale.

La dernière grande réforme de cette politique a été introduite par la loi du 5 mars 2007. L’objet de la proposition de loi n’est pas de « remettre à plat » la réforme de 2007, mais de tirer les conséquences des imperfections ou des dysfonctionnements qui ont pu être constatés dans son application, grâce aux nombreux travaux d’évaluation que j’ai cités et aux observations des praticiens de la protection de l’enfance.

Son ambition est d’améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance, de contribuer à la sécurisation du parcours de l’enfant protégé et d’adapter le statut de l’enfant placé sur le long terme, afin d’éviter que des enfants ne soient laissés sans projet de vie, si bien accueillis soient-ils. Elle a pour but de donner tout son sens à l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1990, que la France a été l’un des premiers pays à signer, et qui pose le principe fondamental selon lequel toute décision concernant l’enfant doit être guidée par l’intérêt de ce dernier, ses besoins et le respect de ses droits.

Parmi les vingt-trois articles de la proposition de loi, dix relèvent de la compétence de la commission des Lois, qui s’en est donc saisie, car ils modifient le code civil et, pour l’un d’eux, le code pénal. Il s’agit des articles 11, 12, 14, 15, 17, 18, 20, 21, 21 bis et 22. Six de ces dix articles ont été supprimés par le Sénat à l’initiative de sa commission des Lois, et un, l’article 21 bis, résulte à l’inverse d’un amendement adopté par le Sénat en séance publique. Par ailleurs, le Sénat a substantiellement réécrit plusieurs des articles qu’il a maintenus.

Dans certains cas, ces suppressions et modifications sont bienvenues et ont amélioré le texte. Dans d’autres, elles ont diminué considérablement le niveau d’ambition de la proposition de loi, car les dispositions visées étaient essentielles à une meilleure protection de l’enfant.

Je vous proposerai naturellement de maintenir les suppressions qui me paraissent justifiées. Tel est le cas pour trois articles. Premièrement, l’article 14, qui visait à permettre une nouvelle adoption plénière d’enfants précédemment adoptés, admis en qualité de pupille de l’État. Cet article aurait en effet conduit à remettre en cause le principe d’irrévocabilité de l’adoption plénière, qui est l’un des critères essentiels de distinction de cette dernière d’avec l’adoption simple.

Deuxièmement, l’article 20, qui prévoyait de rendre automatique le retrait d’autorité parentale pour les parents auteurs ou complices d’un crime ou d’un délit sur la personne de leur enfant ou de l’autre parent. Cette automaticité soulèverait en effet des difficultés d’ordre constitutionnel et de compatibilité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Troisièmement, l’article 21, qui prévoyait l’extension de l’indignité successorale aux parents auteurs et complices d’un crime ou d’un délit commis sur la personne de leur enfant, qui instituait lui aussi une sanction automatique et encourait les mêmes critiques.

À l’inverse, il me semble indispensable de revenir sur certaines des suppressions opérées par le Sénat, afin de restaurer l’ambition initiale du texte, en améliorant simplement parfois sa rédaction initiale.

Je vous proposerai donc de rétablir trois articles, à commencer par l’article 12, relatif à la réforme des règles applicables à la révocation de l’adoption simple durant la minorité de l’adopté, qui prévoit que cette révocation ne pourra être demandée que par le ministère public, et non plus par la famille d’origine et, si le mineur a plus de quinze ans, par l’adoptant. De nombreux rapports ont préconisé cette réforme, qui permettrait d’encourager le recours à l’adoption simple dans le cadre de la protection de l’enfance.

J’ai également déposé un amendement visant au rétablissement de l’article 17, relatif à la désignation d’un administrateur ad hoc indépendant du service d’aide sociale à l’enfance dans les instances d’assistance éducative ; il me paraît en effet important d’assurer cette indépendance à l’égard de l’ASE.

Enfin, je serai également favorable au rétablissement de l’article 22 relatif à l’inceste, sur lequel je n’ai pas déposé d’amendement, car nos collègues Sébastien Denaja et Bernard Roman, qui ont beaucoup travaillé sur ce sujet, en ont déposé un qui me convient parfaitement. Il est indispensable de réinscrire l’inceste dans le code pénal, afin de reconnaître sa spécificité et le traumatisme qu’il représente pour les victimes.

Je vous proposerai également de revenir sur l’une des modifications apportées par le Sénat à l’article 18, qui réforme la procédure de déclaration judiciaire d’abandon. Le texte initial prévoyait d’« objectiver » la notion d’abandon – qu’il rebaptisait « délaissement manifeste » –, c’est-à-dire de ne plus tenir compte du caractère volontaire ou non de l’abandon par les parents. La recherche de l’intention des parents rend en effet très difficile cette procédure et constitue un obstacle important, qui décourage les intervenants de la protection de l’enfance d’y avoir recours. Le Sénat a réintroduit ce caractère volontaire, ce qui ne me paraît pas devoir être approuvé.

Je vous présenterai aussi un amendement complétant l’article 15, qui prévoit une audition systématique de l’enfant doué de discernement dans le cadre d’une procédure d’adoption, afin d’y apporter des précisions indispensables sur la conduite à tenir en cas de refus de l’enfant d’être entendu ou sur les modalités de cette audition, par exemple.

Enfin, je me réjouis de l’ajout de l’article 21 bis, issu d’un amendement du sénateur UMP Alain Milon, qui réduit à deux ans le délai à compter duquel l’enfant recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française peut acquérir la nationalité française par déclaration, ce qui permettra d’adopter plus facilement les enfants originaires de pays ne connaissant pas l’adoption.

Ainsi modifiée, cette proposition de loi renforcera significativement la protection de l’enfant et devrait faire, je l’espère, l’objet d’un large consensus.

M. Olivier Marleix. Je commencerai par souligner que la protection de l’enfance a fait de gros progrès depuis la décentralisation, grâce aux conseils généraux qui y ont consacré des moyens importants, permettant des prises en charge de grande qualité, et aux personnels de l’ASE, d’un grand professionnalisme, qui accomplissent leur mission avec beaucoup de cœur et d’intelligence.

Cela dit, j’estime que notre droit est perfectible en la matière, et qu’il conviendrait d’améliorer les relations entre le juge des enfants, le service de l’ASE et les familles. À cet effet, j’ai déposé plusieurs amendements visant à éviter les placements pouvant être qualifiés d’abusifs. La situation actuelle ne me paraît pas satisfaisante, car le juge des enfants, à qui il appartient de rendre une décision, a affaire à deux parties occupant des situations très inégales : d’un côté, les services de l’ASE, avec lesquels il entretient une véritable collaboration ; de l’autre, la famille à qui il est reproché des défaillances, ce qui lui vaut souvent d’être placée dans la situation d’accusée.

Ce déséquilibre se retrouve jusque dans le code civil, qui entretient la confusion entre le rôle du président du conseil départemental, décrit par l’article 375 comme ayant vocation à proposer au juge des mesures d’assistance éducative, et le rôle de l’ASE qui, aux termes de l’article 375-2, est un service prestataire à la disposition du juge. En d’autres termes, le conseil départemental est à la fois celui qui instruit pour le compte du juge, qui éclaire sa décision en établissant des rapports, et celui qui peut se voir confier l’enfant. Bref, il est en quelque sorte juge et partie, et à tout le moins un très proche collaborateur du juge face à une famille qui, elle, se trouve dans une situation peu flatteuse – ce qui doit nous conduire à nous demander si cela permet de rendre un jugement dans des conditions équitables.

Concrètement, la justesse de la décision du juge – éminemment délicate lorsqu’il s’agit de se prononcer sur un éventuel placement – repose exclusivement sur le travail contradictoire effectué au sein des services de l’ASE et, dans une moindre mesure, sur la capacité de distanciation du juge par rapport à ce que lui proposent ces services. Dans ces conditions, il suffit d’une défaillance au sein des services de l’ASE d’un département pour qu’une mesure de placement soit proposée de manière hâtive, pour ne pas dire abusive, au juge des enfants.

Je propose de remédier à cela en reconnaissant le rôle d’associations agissant aux côtés des familles, susceptibles de conforter leurs démarches auprès du juge et de mieux encadrer la procédure de placement – dont il convient de rappeler qu’elle coûte excessivement cher aux conseils départementaux et qui, aux termes du code civil, doit rester la solution d’ultime recours. Plusieurs de mes amendements auront pour objet de modifier la situation en ce sens.

M. Dominique Bussereau. J’approuve ce que vient de dire Olivier Marleix et suis frappé de constater la montée en puissance des placements, dans mon département comme dans d’autres. Alors que cette mesure était autrefois réservée à des situations de grande détresse sociale ou de pauvreté mentale mettant véritablement en cause le développement de l’enfant, elle répond souvent, de nos jours, à des difficultés plus ordinaires résultant de l’augmentation du nombre de divorces ou de la précarisation de familles touchées par le chômage, ce qui fait que sa mise en œuvre augmente de façon exponentielle – accroissant dans les mêmes proportions, comme vient de le dire notre collègue, le risque que soient prononcées des décisions de placement non justifiées. En tout état de cause, une telle situation fait peser sur les travailleurs sociaux un pouvoir d’appréciation qui se révèle extrêmement lourd, excédant parfois leurs capacités de discernement. J’approuverai donc les amendements que défendra Olivier Marleix.

M. Bernard Roman. Si ce texte ne fait pas les gros titres de la presse, il n’en est pas moins important, en ce qu’il vise à mettre l’intérêt de l’enfant au centre des préoccupations de la société française. Je me rallie aux deux députés de l’opposition qui se sont exprimés avant moi pour considérer qu’il est dans notre pays certaines réalités en matière de situation de l’enfance auxquelles nous devons faire face en toute objectivité – et, à cet égard, le texte qui nous est soumis me paraît contenir des éléments très positifs.

Comme la rapporteure, je suis particulièrement attaché à deux articles concernant directement la commission des Lois, ayant tous deux fait l’objet de prises de position transpartisanes, mais aussi d’un avis du Gouvernement qui me demeure incompréhensible. Le premier, l’article 21 bis, concerne les enfants recueillis par kefala judiciaire dans les pays du Maghreb où l’adoption n’existe pas – des enfants qui ne sont pas adoptables en France tant qu’ils ne sont pas français. Un sénateur de droite, dont je salue le courage et l’obstination, a proposé que le délai permettant d’acquérir la nationalité française soit ramené de cinq ans à deux ans, ce qui me paraît nécessaire, tant il est inconcevable, pour les progressistes que nous sommes, qu’un enfant ne soit rien aux yeux de la société française et de l’état civil pendant cinq ans.

Le deuxième article qui m’importe spécialement – et sur lequel nous pourrions, me semble-t-il, nous accorder de façon unanime, si je me réfère au travail accompli récemment par nos collègues Sébastien Denaja et Guy Geoffroy, ainsi que par d’autres, parfois depuis des dizaines d’années – est l’article 22, qui crée une qualification pénale de l’inceste valant circonstance aggravante d’infractions à caractère sexuel. Précédemment, deux décisions du Conseil constitutionnel de 2011 et 2012 étaient venues censurer la définition de l’inceste figurant dans le code pénal, ce qui avait eu pour effet de faire disparaître les articles de loi correspondants. Il est aujourd’hui proposé de réintroduire dans le code pénal le crime et le délit d’inceste, en une définition sur laquelle nous travaillerons en collaboration avec les services de la Chancellerie, afin de prendre toutes les précautions nécessaires et de rendre cette définition aussi précise que possible.

Enfin, je défendrai également un amendement déposé par Erwann Binet sur les conditions d’adoption par les couples non mariés. Actuellement, seuls les couples mariés et les personnes seules peuvent adopter : les personnes vivant ensemble sans être mariées – notamment les personnes en concubinage notoire depuis deux ans – ne disposent pas de cette faculté, et doivent donc se résoudre à faire semblant d’être célibataires le temps de la procédure d’adoption. L’amendement de notre collègue a pour objet de mettre fin à cette anomalie.

Mme Colette Capdevielle. Je voudrais d’abord féliciter notre rapporteure qui, en un temps record et dans des circonstances parfois difficiles, a effectué un remarquable travail de synthèse.

Cela dit, je regrette que des questions touchant au statut juridique et à la protection civile et pénale des mineurs, ainsi qu’à l’exercice de l’autorité parentale et à l’adoption, soient examinées dans le cadre de textes épars, ce qui nuit à l’efficacité d’une politique publique ambitieuse, moderne et transversale, et à la lisibilité de cette politique en faveur des mineurs : de telles questions auraient, à mon sens, mérité d’être abordées dans le cadre d’un texte leur étant intégralement consacré.

L’éparpillement dans plusieurs textes de dispositions touchant aux enfants – des dispositions fondamentales, car ce qui concerne les mineurs a forcément une incidence sur ce que sera demain notre pays – risque d’aboutir à des dispositions contradictoires entre elles, mais aussi, et c’est plus grave, à ce que les enfants se trouvent différenciés en fonction de leur statut : d’un côté ceux qui peuvent bénéficier d’une protection et d’une assistance éducative, ou d’un juge pour certaines questions ayant trait à l’autorité parentale ; de l’autre les enfants vivant au sein de leur famille – biologique ou non – et relevant d’un autre magistrat. Or tous les enfants sont égaux en droits et l’intérêt de l’enfant doit rester au cœur de nos préoccupations.

La problématique de la protection de l’enfant est vaste : en France, elle concerne aujourd’hui un million et demi d’enfants, trois millions de parents biologiques et un million et demi de beaux-parents. L’enfant dispose d’un droit fondamental qui doit lui être garanti, celui de vivre en famille, quelle que soit cette famille, biologique ou non. Au sein de sa famille, il a également droit à une sécurité affective, ce qui signifie que l’on doit privilégier le lien parent-enfant dans nos politiques publiques.

Pour ce qui est de l’inceste, le Conseil constitutionnel a déjà été saisi de deux questions prioritaires de constitutionnalité, et le principe de légalité des délits et des peines nous oblige à être très précis sur la qualification de l’inceste, notamment en ce qui concerne la définition des personnes concernées – la simple référence au lien familial n’est pas suffisante –, afin d’éviter que ne soient rendues ultérieurement des décisions judiciaires qui pourraient être catastrophiques. Je rappelle en effet que nous parlons ici de mineurs victimes de faits de nature criminelle, touchant à leur intégrité corporelle et sexuelle.

M. Patrick Mennucci. Comme l’a fait Bernard Roman avant moi, je veux saluer l’avancée que constitue l’article 21 bis, qui prévoit que l’enfant recueilli par kefala pourra acquérir la nationalité française au bout de deux ans, au lieu de cinq. Cette procédure particulière, assez fréquente dans ma circonscription de Marseille, pose en effet le problème de l’hétérogénéité de nationalités au sein d’une même famille, qui peut se traduire par des situations très complexes lorsque les personnes concernées parviennent à l’âge adulte.

Mme la rapporteure pour avis. Vous soulevez une question très préoccupante, monsieur Marleix, et avez raison de souligner que certains placements se font de manière un peu hâtive – tandis que certains enfants qui, eux, devraient être placés, ne le sont pas. Cela dit, je ne pense pas que la présente proposition de loi ait vocation à résoudre tous les problèmes relatifs au placement des enfants, qui constitue un enjeu considérable, et je suggère que vos amendements soient retirés pour faire l’objet d’un travail plus approfondi, effectué en concertation avec le ministère de la Famille, les travailleurs sociaux et l’Assemblée des départements de France. Je partage vos inquiétudes, mais il ne faut pas perdre de vue que le placement, éventuellement temporaire, est parfois aussi une bonne chose.

En ce qui concerne l’inceste, je rends hommage au travail effectué par Guy Geoffroy et Sébastien Denaja, mais je considère qu’il doit être poursuivi et sécurisé sur le plan juridique : pour cela, nous disposons encore d’un peu de temps avant l’examen du texte en séance publique.

Enfin, Mme Capdevielle a raison de dire que l’éparpillement des mesures relatives à la protection de l’enfance a pour conséquence une perte de cohérence en la matière. En tout état de cause, si notre tâche consiste aujourd’hui essentiellement à améliorer le texte qui nous est soumis, cela ne nous empêchera pas de nous interroger de manière plus large au sujet des mineurs, ce qui induit la question de la révision de l’ordonnance de 1945.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

TITRE II
SÉCURISER LE PARCOURS DE L’ENFANT PLACÉ

Article 11 (art. L. 227-2-1 [nouveau] du code de l’action sociale et des familles) : Encadrement de la durée des mesures de placement d’un enfant

La Commission adopte l’amendement de rectification d’une erreur de référence CL9 de la rapporteure pour avis.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 11 modifié.

TITRE III
ADAPTER LE STATUT DE L’ENFANT PLACÉ SUR LE LONG TERME

Article 12 (supprimé) : Réforme des règles applicables à la révocation de l’adoption simple durant la minorité de l’adopté

La Commission examine l’amendement CL10 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à rétablir l’article 12, supprimé par le Sénat lors de la première lecture de la présente proposition de loi.

Certaines familles étant réticentes à s’engager dans la procédure d’adoption simple – qui, je le rappelle, ne nie pas la filiation d’origine – en raison de sa révocabilité, il vous est proposé de réserver la possibilité de demander sa révocation, lorsque l’adopté est mineur, au seul ministère public, alors qu’en l’état du droit cette révocation peut aussi être demandée par la famille d’origine de l’adopté. Nous espérons que cette procédure pourra ainsi bénéficier à un plus grand nombre d’enfants.

La Commission adopte l’amendement.

Elle exprime ce faisant un avis favorable au rétablissement de l’article 12 ainsi rédigé.

Article 14 (supprimé) : Permettre une nouvelle adoption plénière d’enfants, précédemment adoptés, admis en qualité de pupilles de l’État

M. le président. L’article 14 a été supprimé par le Sénat.

Je ne suis saisi d’aucun amendement visant à le rétablir.

La Commission émet un avis favorable au maintien de la suppression de cet article.

Article 15 (art. 353 du code civil) : Audition de l’enfant doué de discernement dans le cadre d’une procédure d’adoption

La Commission examine l’amendement CL11 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à mieux prendre en compte la parole de l’enfant. Nous proposons qu’il soit entendu selon des modalités adaptées à son degré de maturité et qu’en cas de refus de sa part d’être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus. Notre amendement précise également que l’enfant peut être entendu seul ou avec un avocat ou une personne de son choix.

Nous souhaitons introduire la notion de degré de maturité pour éviter des disparités entre les différentes juridictions. En effet, la simple mention de l’enfant « capable de discernement » donne lieu à diverses interprétations : certains tribunaux estiment que cette notion de discernement correspond aux enfants ayant atteint l’âge de huit ans, tandis que d’autres retiennent plutôt un âge de onze ou de treize ans.

Mme Colette Capdevielle. Pour ma part, je considère que l’expression « selon des modalités adaptées à son degré de maturité » est trop vague et fait courir le risque d’appréciations très diverses en fonction des juridictions, ce qui constitue un facteur d’inégalité. J’estime qu’il convient de sécuriser davantage cet amendement en partant du principe selon lequel l’enfant doit être entendu même lorsqu’il n’a que trois ou quatre ans – des personnels sont formés pour cela – et je vous invite à réfléchir en ce sens.

M. Bernard Roman. Il me semble que nous pourrions nous accorder sur le fait que l’enfant doit être entendu « avec » et non « selon » des modalités adaptées à son degré de maturité : on n’entend pas un enfant de trois ou quatre ans comme un enfant de onze ans. Quant à la possibilité pour l’enfant d’être assisté d’une personne de son choix, elle est plus facile à mettre en œuvre lorsqu’il a huit ans que lorsqu’il a deux ou trois ans – dans ce dernier cas, il peut tout de même être entendu si une assistante maternelle ou un assistant social qui le connaît peut l’accompagner.

Mme la rapporteure pour avis. Je m’engage à ce que nous réfléchissions à améliorer la rédaction de cet amendement avant son examen en séance publique. Il s’agit là d’un point assez complexe, certains juges considérant par exemple que le comportement physique de l’enfant est révélateur de son degré de compréhension des situations auxquelles il est confronté. Pour le moment, je vous invite à voter l’amendement en l’état.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 15 modifié.

Avant l’article 17

La Commission examine les amendements identiques CL2 rectifié de M. Erwann Binet et CL18 de la rapporteure pour avis.

M. Erwann Binet. L’amendement CL2 rectifié a pour objet d’étendre la possibilité d’adopter aux couples liés par un pacte civil de solidarité (PACS) et aux concubins. À l’heure actuelle, l’article 343 du code civil n’autorise l’adoption par un couple qu’à la condition que ce couple soit marié depuis plus de deux ans ou que les deux époux soient âgés l’un et l’autre de plus de vingt-huit ans, sachant que, dans les deux cas, ils ne doivent pas être séparés de corps. Ces conditions sont maintenues par la nouvelle rédaction de l’article 343 que je vous propose, ayant uniquement pour objectif de supprimer l’obligation pour le couple d’entrer dans l’institution du mariage, et non d’alléger le cadre légal de l’adoption, qui suppose d’évaluer le projet parental et son aptitude à répondre aux besoins de l’enfant.

La formalité matrimoniale, qui était conforme au mode de vie prévalant lors de l’adoption de la loi en 1966, paraît aujourd’hui surannée. Exception faite de cette obligation qu’il conviendrait de lever, l’établissement d’un lien de filiation n’est pas soumis à obligation de mariage, ni socialement ni juridiquement : de nos jours, 55 % des enfants naissent hors mariage, alors qu’ils n’étaient que 6 % dans cette situation en 1966.

Par ailleurs, je rappelle qu’une personne seule a la possibilité d’adopter, même si elle se trouve en couple – si elle est mariée, elle doit obtenir le consentement de son conjoint. Enfin, depuis 2012, la Cour de cassation admet que l’adoption effectuée à l’étranger par deux personnes non mariées produit pleinement ses effets en France, en précisant que la condition du mariage pour l’adoption conjointe par des couples unis par le mariage ne consacre pas un principe essentiel reconnu par le droit français. L’obligation du mariage est-elle une garantie de stabilité de son cadre de vie pour un enfant qui a parfois derrière lui une histoire difficile ? Nous savons tous que la réponse est négative, puisque près d’un mariage sur deux se termine actuellement par un divorce.

L’assurance pour l’enfant d’entrer dans une famille répondant à ses besoins et à son intérêt est très largement satisfaite par la procédure d’agrément et l’intervention in fine du jugement d’adoption. L’obtention de l’agrément, préalable indispensable à la démarche d’adoption, implique pour les couples qui s’y engagent de se soumettre à des investigations sociales et psychologiques longues et poussées. Notre droit consacre depuis longtemps, dans ses conséquences sur la filiation, la neutralité des modes de conjugalité. Dès lors, la production d’un acte de mariage pour l’adoption s’apparente aujourd’hui à une obligation purement formelle qui ne doit pas exclure les couples ayant choisi de s’engager dans cette démarche.

Cela dit, après avoir défendu cet amendement, je vais le retirer, m’étant rendu compte qu’il présente un problème de rédaction et de coordination avec l’article 346 du code civil. Je le présenterai à nouveau, après l’avoir réécrit, dans le cadre de l’examen du texte en séance publique.

L’amendement CL2 rectifié est retiré.

Mme la rapporteure pour avis. Pour les mêmes raisons, je retire également l’amendement CL18.

L’amendement CL18 est retiré.

Article 17 (supprimé) : Obligation de nommer un administrateur ad hoc dans les instances d’assistance éducative

La Commission examine l’amendement CL12 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à rétablir l’article 17 de la proposition de loi, dont l’objet est d’assurer l’indépendance à l’égard du service d’aide sociale à l’enfance de l’administrateur ad hoc chargé de représenter les intérêts d’un mineur lorsque ceux-ci apparaissent en opposition avec ceux de ses représentants légaux. En d’autres termes, on ne nommera pas systématiquement un administrateur, mais, dans les cas où il en serait nommé un, il serait indépendant des services de l’ASE.

La Commission adopte l’amendement.

Elle exprime ce faisant un avis favorable au rétablissement de l’article 17 ainsi rédigé.

Après l’article 17

La Commission est saisie de l’amendement CL5 rectifié de M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. J’ai bien entendu votre invitation à retirer mes amendements, madame la rapporteure pour avis, et j’espère que vous ne m’en voudrez pas de ne pas y déférer, car je souhaite qu’ils restent dans la discussion. Il me semble que nous sommes tous d’accord sur le fait que les procédures actuelles n’offrent pas les meilleures garanties contre le risque de placement abusif, ou du moins hâtif, et que notre assemblée s’honorerait à faire en sorte d’améliorer les choses en la matière. En attendant le dialogue avec le ministère de la Famille, que vous avez évoqué et qui pourrait avoir lieu dans les prochains jours, je vous propose quelques modifications de la procédure existante.

L’article 375-2 du code civil dispose que la règle doit être l’assistance éducative en milieu ouvert, le placement restant l’exception, le dernier recours. Or, aujourd’hui, il est fréquent que les juges prennent des décisions de placement dont la motivation, s’inspirant très fortement du rapport rédigé par les éducateurs de l’ASE, ne fait pas apparaître le moindre danger – ou un danger restant indéfini. Une telle situation, outre qu’elle est ressentie de façon négative par les familles concernées, inspire dans certains cas un véritable sentiment de malaise. Parmi les nombreuses décisions dont j’ai eu connaissance, je peux citer celle ayant conduit à retirer d’une famille une fratrie de quatre enfants, alors même qu’il n’y avait pas eu de décision préalable d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) – on ne connaissait donc pas la famille – et que le juge n’était pas capable de désigner le danger auquel les enfants étaient exposés au sein de la famille dont on les a retirés. La brutalité de la mesure au regard de l’absence d’arguments de nature à la justifier me paraît constituer un problème auquel l’amendement CL5 rectifié vise à remédier en invitant le juge à mieux motiver sa décision, notamment en caractérisant le danger qui le conduit à prendre une décision de placement.

Mme la rapporteure pour avis. Nous partageons les mêmes inquiétudes, mais j’insiste sur le fait que le placement est déjà subordonné à une condition de danger, comme le sont toutes les mesures relevant de l’assistance éducative, en application de l’article 375 du code civil. Le placement ne peut ainsi intervenir que si la protection de l’enfant l’exige.

En outre, l’article 375-2 du même code prévoit que, « chaque fois qu’il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel ». Le problème que vous évoquez relève donc davantage de l’application de la loi que de la loi elle-même. L’amendement proposant que le placement ne puisse être décidé par le juge des enfants qu’en cas de danger est déjà satisfait par la loi, et je ne pense pas qu’un durcissement des conditions de placement soit opportun. Le placement étant déjà très encadré par la loi, l’amendement proposé révèle une défiance à l’égard des juges des enfants qui ne me paraît pas justifiée.

On ne constate d’ailleurs pas de recours systématique à l’encontre des décisions judiciaires. Certes, il existe des situations où le placement est prononcé de manière hâtive, mais, à l’inverse, il arrive aussi qu’un enfant ne soit pas placé alors qu’il aurait mieux valu qu’il le fût. La réponse à la question que vous soulevez me paraît plutôt à rechercher dans la formation des acteurs concernés – éducateurs à l’aide sociale à l’enfance, juge des enfants – que dans un durcissement des conditions prévues par la loi. Je vous invite donc à retirer cet amendement, et émettrai à défaut un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL6 rectifié de M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Si l’article 375-2 du code civil dispose que, « chaque fois qu’il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel », rien ne garantit le respect de ce principe en termes de procédure. L’amendement CL6 rectifié a donc pour objet d’instaurer une gradation dans les mesures de protection de l’enfance. Comme vous le savez, le juge pour enfants ne dispose pas de moyens d’instruction propres sur ce sujet : pour prendre sa décision, il se réfère au rapport établi par les services de l’ASE, ce qui fait que tout repose sur le bon fonctionnement de ces services, et le respect de la procédure contradictoire qui va y être menée en interne. Dans les cas de dysfonctionnement observés, on se rend compte que cette procédure n’a pas été menée correctement, ce qui aboutit à la décision infondée de mettre en œuvre une mesure de placement.

Je propose qu’une mesure de placement ne puisse pas être prononcée – exception faite des cas de danger – sans qu’une mesure d’AEMO ait été préalablement proposée par le service et ordonnée par le juge. Ce n’est qu’à cette condition que l’on peut avoir la certitude – conformément à l’esprit de la loi – que le juge prenant une décision de placement connaît parfaitement la famille concernée, et qu’il prend cette décision en ultime recours.

Mme la rapporteure pour avis. Mon avis est défavorable pour les mêmes motifs que ceux invoqués précédemment : pour moi, la réponse est dans la formation des juges pour enfants et surtout des assistants sociaux à l’origine du placement.

Mme Colette Capdevielle. En complément de ce que vient de dire Mme la rapporteure pour avis, j’ajouterai que la véritable difficulté a trait au placement en situation d’urgence. En général, un placement intervenant à l’issue d’une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert ou d’un suivi du mineur constitue la solution de dernier recours et, dans ce cas, la décision rendue par le juge est motivée. En revanche, dans l’urgence, le juge doit prendre sa décision sur la base des seuls éléments dont il dispose – souvent bien peu, parfois même un simple certificat médical –, ce qui fait que sa décision n’est pas motivée.

Il me semble que la solution pourrait consister à exiger que le placement décidé dans le cadre de l’urgence soit spécialement motivé. Cela permettrait d’éviter certaines situations non seulement dramatiques, mais aussi irréversibles.

M. Bernard Roman. Nous ne devons pas refermer ce dossier trop vite, car l’amendement présenté par M. Marleix fait écho à des situations bien réelles. Ainsi certains enfants sont-ils placés à la suite d’une dénonciation au parquet, le juge estimant que les éléments de la dénonciation lui permettent, sans disposer d’aucune autre information, de prendre une décision de placement dans l’urgence – c’est souvent le cas lorsqu’il est question d’inceste.

Il arrive aussi que des juges soient amenés à prendre des décisions de placement après avoir reçu des enfants ou des familles, sans que l’ASE soit intervenue. Il leur revient alors de juger de l’urgence de la situation en fonction d’éléments souvent très subjectifs et ne répondant en aucun cas au principe du contradictoire du droit français. Peut-être la rédaction de cet amendement n’est-elle pas satisfaisante, mais, sur le fond, l’idée d’imposer des éléments décrivant le danger immédiat auquel sont soumis les enfants, ou de nature à sécuriser la procédure de placement par l’intervention d’un service tiers garantissant le respect du contradictoire, ne me paraît pas devoir être rejetée d’emblée. Sans doute pourrions-nous y réfléchir en lien avec les services de la Chancellerie afin de tenter de définir quelques solutions avant l’examen du texte en séance publique.

Mme la rapporteure pour avis. Nous allons nous efforcer de travailler, avant la séance publique, sur la notion de décision spécialement motivée, afin de répondre de manière plus satisfaisante à la situation des placements en urgence.

M. Olivier Marleix. Je maintiens mon amendement afin que le débat reste ouvert dans l’hémicycle, mais je serai très heureux de me rallier à l’amendement qui pourra être déposé par la rapporteure pour avis sur la base des observations de Colette Capdevielle et Bernard Roman. J’insiste sur le fait que mon amendement n’est pas inspiré par une quelconque défiance à l’égard du juge ou des services sociaux, mais uniquement par le souci de voir les décisions de placement être justifiées de manière plus complète, afin que nos concitoyens soient mieux éclairés.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL7 rectifié de M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. J’ignore si la Cour européenne des droits de l’homme, qui s’intéresse beaucoup à notre droit, a déjà eu l’occasion de se pencher sur la question des décisions pouvant être prises par le juge des enfants, mais force est de constater qu’il y aurait matière à s’interroger, notamment quant au respect du principe du procès équitable.

Les familles se trouvent souvent démunies face au juge, car elles sont suspectées d’échouer dans leur mission d’éducation de leurs enfants, si ce n’est de les mettre en danger. De leur côté, les services de l’ASE proposent des mesures pour le compte du président du conseil départemental, dans une relation de collaboration permanente avec le juge – de ce point de vue, ils tiennent un peu le rôle de juge d’instruction auprès du juge des enfants. Cette situation est totalement déséquilibrée et, même si les parents recourent à un avocat, ils se trouvent en situation de fragilité face à une institution qui ne leur offre pas toutes les garanties de bénéficier d’un procès équitable.

Je propose donc que les familles concernées par une décision éventuelle de retrait de leurs enfants puissent se faire accompagner par des associations agréées selon une procédure fixée par un décret en Conseil d’État. En permettant à ces familles de bénéficier d’une plus grande expertise, on rééquilibrera le rapport de forces existant entre elles et l’ensemble formé par le juge et les services chargés de l’assistance éducative.

Mme la rapporteure pour avis. Si l’idée exposée par M. Marleix me paraît intéressante en ce qu’elle peut se concevoir comme une sorte de soutien à la parentalité, j’ai quelques réserves d’ordre technique. L’Observatoire national de la protection de l’enfance est-il bien l’organisme adéquat pour délivrer l’agrément, et ne faudrait-il pas prévoir plutôt un agrément par le ministère chargé de la famille ? Par ailleurs, il me semble que plusieurs améliorations pourraient être apportées à cet amendement sur le plan rédactionnel. J’invite donc son auteur à le retirer afin de le retravailler en vue de la séance en lien avec le secrétariat d’État chargé de la famille. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Olivier Marleix. C’est bien volontiers que je retravaillerai ma proposition ou que je me rallierai à un amendement de la rapporteure pour avis, mais, dans l’immédiat, je préfère maintenir mon amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL13 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement concerne le statut de l’enfant placé sur le long terme. Le juge des enfants peut, lorsqu’il a décidé du renouvellement d’une mesure, transmettre le dossier au procureur de la République qui, s’il le juge opportun, saisit le juge aux affaires familiales aux fins de délégation de l’exercice de l’autorité parentale au bénéfice du service gardien ou de la personne à qui l’enfant a été confié.

La Commission adopte l’amendement.

Article 18 (art. 347, 350, 381-1 [nouveau] et 381-2 [nouveau] du code civil et art. L. 224 4 du code de l’action sociale et des familles) : Déclaration judiciaire d’abandon

La Commission est saisie de l’amendement CL14 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à supprimer, à l’alinéa 5 de l’article 18, le mot « volontairement », afin de revenir à l’objectif initial du présent article, qui était d’objectiver la notion d’abandon, en ne la fondant que sur des éléments factuels – l’abstention de la part des parents de tout acte éducatif –, sans avoir à rechercher la volonté des parents.

Afin de tenir compte des situations dans lesquelles cette abstention de la part des parents résulte d’une situation dans laquelle ils sont hors d’état de manifester leur volonté, une exception est prévue lorsque cette omission est due à l’incapacité des parents, au sens du code civil, c’est-à-dire par exemple en cas d’altération de leurs facultés mentales ou corporelles liées à un accident ou à une maladie. Dans cette hypothèse, l’article 373 du même code prévoit que les parents sont privés de l’exercice de l’autorité parentale.

La Commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL17 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. L’article 350 du code civil prévoit, depuis 1994, que la demande en déclaration d’abandon est obligatoirement transmise par le particulier, l’établissement ou le service de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant à l’expiration du délai d’un an dès lors que les parents se sont manifestement désintéressés de l’enfant.

Ce caractère obligatoire de la saisine du tribunal de grande instance à l’expiration du délai d’un an au cours duquel les parents n’ont plus entretenu de relations avec l’enfant n’a pas été repris par la proposition de loi. Il est proposé de la réintroduire afin de ne pas laisser se prolonger de telles situations, préjudiciables à l’intérêt de l’enfant.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 18 modifié.

Après l’article 18

La Commission adopte l’amendement de conséquence CL15 de la rapporteure pour avis.

Puis elle en vient aux amendements CL3 rectifié et CL4 rectifié de M. Sergio Coronado, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.

M. Sergio Coronado. L’amendement CL3 rectifié vise à exclure toute utilisation d’un test osseux pour déterminer l’âge d’un individu, quel que soit le cadre juridique et procédural ou le motif. Les médecins contestent, aux points de vue éthique et scientifique, ce type d’expertise qui s’appuie sur un outil de comparaison forgé aux États-Unis dans les années 1930 d’après des populations blanches et de milieux aisés.

Dans son rapport du 23 janvier 2014, le Haut Conseil de la santé publique précise que « la maturation d’un individu a des variations physiologiques en fonction du sexe, de l’origine ethnique ou géographique, de l’état nutritionnel ou du statut socio-économique ». Il n’est donc pas éthique de solliciter un médecin pour pratiquer et interpréter un test qui n’est pas validé scientifiquement et qui, en outre, n’est pas mis en œuvre dans l’intérêt thérapeutique de la personne. En cas de doute, une décision éthique doit toujours privilégier l’intérêt de la personne la plus fragile, en l’occurrence le jeune.

Le Conseil national de l’Ordre des médecins demande, dans un communiqué du 9 novembre 2010, que « les actes médicaux dans le cadre des politiques d’immigration soient bannis, en particulier les radiologies osseuses ».

J’ajoute qu’il y a également une forte hétérogénéité des pratiques dans les pays membres de l’Union européenne et qu’aucune directive n’existe à ce niveau.

Les jurisprudences administrative et judiciaire ont relevé le peu de fiabilité de cette expertise. Enfin, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) recommande fermement l’interdiction pure et simple du test osseux, en précisant que certains tribunaux de grande instance et plusieurs États européens, dont le Royaume-Uni, n’utilisent plus à ce jour cette méthode.

L’amendement CL4 rectifié, qui est un amendement de repli, propose que le juge des enfants puisse autoriser le recours à cette méthode pour déterminer la minorité de l’individu concerné.

Mme la rapporteure pour avis. Je suis favorable au principe de cette interdiction. La fiabilité scientifique de cette méthode d’évaluation n’apparaît en effet pas établie et le recours à ces tests soulève de sérieuses interrogations éthiques.

Toutefois, la rédaction de l’amendement ne me paraît pas suffisamment aboutie pour être adoptée par la commission des Lois. L’expression « tests osseux » ne me semble pas pouvoir être employée dans le code civil ou plus généralement dans la loi. Il conviendrait sans doute d’interdire de se référer, par exemple, à des « examens radiologiques osseux » ou à des « données radiologiques de maturité osseuse ». J’invite donc l’auteur de cet amendement à le retirer et à le retravailler en vue de l’examen du texte en séance publique, si la commission des Affaires sociales n’a pas d’ici là adopté l’un des amendements qui ont été déposés auprès d’elle et qui ont le même objet.

M. Dominique Raimbourg. Les tests osseux ne sont pas en eux-mêmes extrêmement intrusifs. Néanmoins, ils présentent le grand défaut de ne pas être fiables. Si j’ai bien compris, la méthode a été calculée il y a plusieurs dizaines d’années à partir d’individus américains blancs.

M. Bernard Roman. On peut comprendre que les autorités se dotent d’outils pour évaluer l’âge de personnes qui sont souvent des étrangers. Cela dit, peut-on comparer la maturation osseuse d’un Érythréen dénutri, d’un réfugié ou d’un boat people et celle d’un Américain blanc de l’Ohio ? Toutes les autorités médicales contestent cet élément de mesure. Peut-être pourrait-on trouver une rédaction qui serait acceptable par tout le monde.

Mme Colette Capdevielle. Tout en soutenant l’amendement CL3 rectifié, je prends acte des observations de Mme la rapporteure pour avis. Peut-être M. Coronado pourrait-il rectifier une deuxième fois l’amendement et remplacer les mots « des tests osseux » par les mots « des examens radiologiques osseux ».

Avant de prendre des décisions lourdes de conséquences, les magistrats s’appuient sur cette seule méthode d’évaluation de l’âge, très contestable, alors qu’il en existe d’autres.

M. Sergio Coronado. Je suis d’accord pour remplacer les mots « des tests osseux » par « de radiographie osseuse ».

Mme la rapporteure pour avis dit que la commission des Affaires sociales pourrait adopter un amendement similaire. Celui auquel elle fait allusion est en réalité beaucoup plus restrictif, puisqu’il ne vise qu’à interdire l’usage de tels tests dans le cadre des politiques migratoires – sujet qui a suscité bien des polémiques et mobilisé fortement la société civile. Comme l’ont rappelé M. Raimbourg et M. Roman, dès lors que ces radiographies osseuses comportent l’inconvénient majeur de ne pas être fiables, il faut les exclure, quel que soit le contexte. C’est pourquoi mon amendement ne concerne pas seulement les politiques migratoires, mais a une portée plus générale.

M. Olivier Marleix. Quand j’entends M. Coronado, j’ai l’impression d’être dans le monde des Bisounours. Pour avoir dirigé, pendant quelques années, les services d’un conseil général, je peux attester que l’on utilisait les radiologies osseuses pour savoir si une personne qui arrive sur le territoire et qui n’a pas de papiers – parce qu’elle les a perdus ou volontairement détruits –, relève de l’aide sociale à l’enfance. Après les terribles drames qui surviennent actuellement en Méditerranée, nous ne pouvons nier qu’il existe des filières d’immigration clandestine de grande envergure.

M. Sergio Coronado. Ce n’est pas le débat !

M. Olivier Marleix. L’objectif premier de ces mesures n’est pas de lutter contre l’immigration, mais de savoir si des personnes sans papiers sont mineures, c’est-à-dire si elles ont droit, pour d’évidentes raisons d’humanité, à être protégées par notre société et à être prises en charge financièrement par les services de l’ASE. Le prix de placement, je le rappelle, s’élève à plusieurs centaines d’euros par jour : ce n’est pas à nos compatriotes d’assumer les frais d’hébergement d’immigrés clandestins ne relevant pas de cette protection.

Il me paraît totalement irresponsable de se priver d’une méthode permettant de déterminer la minorité d’un individu si l’on est incapable de la remplacer par une autre. Je préfère l’argumentation de Mme Capdevielle, qui propose que les tests osseux ne soient pas le seul critère, et je comprends mieux l’amendement de repli CL4 rectifié qui vise à confier cette responsabilité au juge des enfants, évitant ainsi au conseil départemental de décider seul.

Je crains que le désarmement technique que vous allez créer ne se retourne en fin de compte contre les enfants. En effet, si un trop grand nombre de personnes arrivent d’un seul coup sur notre territoire, certains départements refouleront tout le monde sans chercher à distinguer qui relève de la protection de l’enfance et qui n’en relève pas.

Mme la rapporteure pour avis. On ne peut rectifier de manière inopinée un amendement qui traite d’un tel sujet. J’invite donc M. Coronado à le retirer. Ce sujet, qui est au cœur de la protection de l’enfant, sera mieux traité en commission des Affaires sociales.

M. Sergio Coronado. Je maintiens mon amendement.

Monsieur Marleix, personne ici ne vit dans le monde des Bisounours. Il s’agit seulement de prendre acte que les méthodes utilisées ne sont pas fiables. Alors que le Conseil national de l’Ordre des médecins reconnaît que la méthode des radiographies osseuses n’est pas fiable, vous estimez qu’il faut continuer à l’utiliser. Ce n’est pas ma position.

Madame la rapporteure pour avis, vous dites que des amendements de portée plus générale seront défendus cet après-midi en commission des Affaires sociales. Ils ont en vérité une portée plus restrictive : ceux de M. Robiliard ne concernent que la politique migratoire.

M. Daniel Vaillant. Je suis sensible aux arguments de Bernard Roman. Il est regrettable que la méthode ne soit pas fiable, et il conviendrait d’en avoir une qui le soit. Toutefois, Olivier Marleix n’a pas tort : si l’on ne dispose d’aucune méthode pour déterminer la minorité d’un individu, on court le risque d’une présomption de majorité. Dans le XVIIIe arrondissement de Paris, de jeunes prostituées ont pu basculer dans la minorité après une expertise osseuse, ce qui leur a permis de bénéficier d’aides. Si elles avaient été considérées comme majeures, elles auraient sans doute été livrées à toutes les formes d’exploitation. Aussi, bien que la méthode puisse être contestée, je ne suis pas favorable à son exclusion.

M. Bernard Roman. La rédaction de l’amendement CL4 rectifié permet de faire une synthèse utile entre les exigences exprimées par Daniel Vaillant et la proposition de Mme Capdevielle. En effet, M. Coronado propose que la décision d’expertise médico-légale de détermination de l’âge soit ordonnée par le juge des enfants. Dès lors, il utilise tous les moyens qui sont à sa disposition en matière d’expertise médico-légale. Cela nous permet de ne plus afficher comme un totem une méthode dont tout le monde reconnaît qu’elle n’est pas valable, tout en gardant la possibilité d’ordonner l’expertise médico-légale déterminant l’âge de l’enfant.

Si M. Coronado retirait l’amendement CL3 rectifié, nous pourrions adopter l’amendement CL4 rectifié à une large majorité.

M. Olivier Marleix. À l’occasion de la publication d’un rapport réalisé en 2006 à la demande du ministre de la Justice, l’Académie de médecine confirme, dans un communiqué, que « la lecture de l’âge osseux par la méthode de Greulich et Pyle […] permet d’apprécier avec une bonne approximation l’âge de développement d’un adolescent en dessous de seize ans. Cette méthode ne permet pas de distinction nette entre seize et dix-huit ans ». Elle a formulé des préconisations qui vont dans le sens de ce qu’évoquait Mme Capdevielle : le test osseux ne peut pas être le seul critère, mais on ne peut pas dire que la méthode ne soit pas du tout valable.

M. Dominique Raimbourg. La réflexion doit se poursuivre. Nous ne pouvons pas exclure une méthode en elle-même. Certes, nous ne pouvons que souhaiter qu’elle soit plus fiable, mais nous ne pouvons pas nous replier sur une disposition qui vise à transférer la décision de l’expertise au juge des enfants sans mesurer l’importance de la charge de travail que cela représente : il faudrait en effet saisir le juge des enfants chaque fois qu’un jeune sans papiers se trouve dans les locaux de la police. Nous devons envisager l’amendement de repli avec une grande prudence.

Il faut donc revoir la façon dont on traite les mineurs isolés étrangers tout en veillant à ne pas encourager les filières d’immigration clandestine. Il vaut mieux traiter la question au fond que par le biais d’un amendement sur un texte qui ne s’y prête guère.

La Commission rejette l’amendement CL3, deuxième rectification.

M. Sergio Coronado. Je retire l’amendement CL4 rectifié. Je verrai, à l’issue de l’examen du texte en commission des Affaires sociales, s’il y a lieu de le redéposer en séance publique.

L’amendement CL4 rectifié est retiré.

Article 20 (supprimé) : Automaticité du retrait d’autorité parentale pour les parents auteurs ou complices d’un crime ou d’un délit sur la personne de leur enfant ou de l’autre parent

M. le président Jean-Jacques Urvoas. L’article 20 a été supprimé par le Sénat.

Je ne suis saisi d’aucun amendement visant à le rétablir.

La Commission émet un avis favorable au maintien de la suppression de cet article.

Après l’article 20

La Commission est saisie de l’amendement CL16 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à ajouter le service de l’aide sociale à l’enfance et l’administrateur ad hoc chargé de représenter les intérêts de l’enfant à la liste des titulaires de l’action en retrait total de l’autorité parentale prévue par l’article 378-1 du code civil.

La Commission adopte l’amendement.

Article 21 (supprimé) : Extension de l’indignité successorale aux parents auteurs et complices d’un crime ou d’un délit commis sur la personne de leur enfant

M. le président Jean-Jacques Urvoas. L’article 21 a été supprimé par le Sénat.

Je ne suis saisi d’aucun amendement visant à le rétablir.

La Commission émet un avis favorable au maintien de la suppression de cet article.

Article 21 bis (nouveau) (art. 21-12 du code civil) : Réduction à deux ans des délais à compter desquels l’enfant recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française ou l’enfant confié au service de l’aide sociale à l’enfance peut acquérir la nationalité française par déclaration

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 21 bis sans modification.

Article 22 (supprimé) : Rétablissement d’une surqualification pénale d’inceste

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL1 de M. Sébastien Denaja et CL8 de M. Guy Geoffroy.

M. Sébastien Denaja. Bernard Roman l’a rappelé, nous avons le souci de dépasser des clivages qui, sur une question comme l’inceste, n’ont pas lieu d’être. Voilà des mois que nous menons, en bonne intelligence, un travail sur cette question avec Marie-Louise Fort, qui avait été à l’initiative de la première proposition de loi en 2010, et Guy Geoffroy. Nous avons déjà évoqué ce sujet ici même lors de l’examen du texte sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. J’avais alors déposé un amendement rédigé dans les mêmes termes, mais nous avions considéré qu’il était plus sage de trouver un véhicule législatif plus approprié, car il s’agit là de l’enfant et non de l’égalité entre les sexes.

Le sujet est grave et sérieux. Il concernerait, selon les associations de victimes, près de 2 millions de personnes en France. Une loi, votée en 2010, visait à pallier l’absence d’incrimination spéciale de l’inceste dans le code pénal. Elle avait fait diverses propositions afin de reconnaître la spécificité de ce crime lorsqu’il s’agit d’un viol ou de ce délit lorsqu’il s’agit d’une agression sexuelle. Mais, comme l’a rappelé Bernard Roman, le Conseil constitutionnel avait censuré les dispositions législatives votées par le Parlement, au motif, notamment, que la notion de famille à laquelle il était fait référence était trop large. Le Conseil considérait qu’il fallait définir une limite de proximité familiale au-delà de laquelle les relations sexuelles sont admises. Nous avons donc proposé de nous caler sur les interdictions à mariage pour essayer de définir précisément les auteurs de ces infractions pénales aggravées.

Ces mesures seront d’application immédiate, car nous ne pensons pas qu’elles seront jugées plus sévères que les dispositions actuelles. De même, les délais de prescription courront à partir de la date d’accession à la majorité, car ces dispositions visent les actes perpétrés sur des mineurs. Nous avons en effet choisi de ne pas étendre cette qualification pénale aux viols ou agressions sexuelles qui seraient commis par les mêmes individus, mais sur des personnes majeures.

M. Guy Geoffroy. J’ai peu de choses à ajouter aux propos que vient de tenir M. Denaja, et surtout rien à retrancher. Il a fort bien retracé l’historique et rappelé notre ambition qui, je crois, est unanime sur ce sujet.

C’est en effet à l’occasion de l’examen d’un précédent véhicule législatif que nous avions souhaité traiter ce sujet. Le Gouvernement avait accepté que nous bâtissions, Sébastien Denaja et moi-même, une proposition de loi, et le président de notre Commission avait mis à notre disposition des administrateurs pour nous aider dans notre travail.

Je tiens à remercier Sébastien Denaja qui, avec la courtoisie dont il est coutumier, m’a indiqué que son groupe parlementaire souhaitait utiliser ce véhicule législatif pour y introduire, sous forme d’amendement, le dispositif de notre proposition de loi. J’ai donc souhaité présenter à mon tour un amendement. Les deux amendements ne sont pas rigoureusement identiques, mais je souhaite qu’il soit clairement établi que la commission des Lois et notre assemblée ont adopté à l’unanimité un texte commun. Si le président et notre rapporteure en sont d’accord, je souhaite donc que l’amendement cosigné par Mme Fort et moi-même soit rectifié pour être identique à celui du groupe majoritaire. Notre intérêt est de faire cause commune.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. L’amendement CL8 sera donc rectifié pour être identique à l’amendement CL1.

M. Bernard Roman. C’est un moment important pour notre assemblée. Voilà des décennies que la question a été posée. Si nous parvenons à trouver une solution collective pour réintroduire la notion d’inceste dans le code pénal, nous aurons fait œuvre utile.

Nous avons précisé que ce travail a été mené de concert par Guy Geoffroy, au nom de son groupe, et par nous-mêmes, et plus particulièrement par Sébastien Denaja. Il n’y a aucune volonté, de la part d’un groupe ou d’un autre, de s’attribuer la paternité du dispositif.

Depuis la semaine dernière, diverses observations tout à fait fondées et juridiquement essentielles nous ont été faites. Si nous voulons éviter qu’une question prioritaire de constitutionnalité ne vienne remettre en cause des décisions que nous aurons prises, nous devons faire preuve d’une précision d’horloger dans la rédaction du texte.

À la demande de la Chancellerie, la Direction des affaires criminelles et des grâces a fait des propositions qui peuvent se traduire par des sous-amendements concernant d’une part la manière dont on traite les frères et les sœurs qui sont dans des situations de fait ou de droit, et les ex-conjoints ou les ex-concubins qui ne sont pas pris en compte dans notre rédaction, et proposant d’autre part des coordinations indispensables avec le code de procédure pénale.

Si le président et la rapporteure pour avis en sont d’accord, et pour répondre au souhait exprimé par M. Geoffroy, il serait bon que son amendement et le nôtre soient complétés d’ici à la séance publique par les sous-amendements proposés par la Chancellerie, afin que le groupe UMP et le groupe SRC présentent le même amendement. Bien sûr, ceux qui voudraient s’y associer le pourraient.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Ce travail se ferait après l’adoption de ces amendements.

M. Bernard Roman. Tout à fait. Il s’agit d’adopter aujourd’hui les amendements CL1 et CL8 rectifié, puis de travailler à la rédaction de deux nouveaux amendements identiques : ceux-ci seront présentés en séance publique et prendront en compte les propositions de la Chancellerie que l’on pourra communiquer à M. Geoffroy.

Mme Colette Capdevielle. Nous vivons aujourd’hui un moment historique. Nous sommes nombreux à nous être battus sur cette question ou à avoir constaté, dans nos domaines professionnels, une aberration de notre système pénal qui, particulièrement hypocrite, n’a jamais réellement voulu traiter ce sujet tabou, le viol par ascendant. Il n’y a pas si longtemps, la notion de viol entre époux n’existait pas : le devoir de fidélité rendait tout possible, même en cas de violence. Il a fallu se battre pour que cette infraction soit reconnue. De même, avant la réforme du code pénal, la contrainte n’existait pas. Il fallait produire des certificats médicaux éloquents pour se voir reconnaître la qualité de victime de ce type d’infraction. Le viol est aujourd’hui un crime, mais cela n’a pas toujours été le cas.

Quand la victime est jeune, elle ne sait pas que l’inceste est interdit, que c’est un crime. Elle pense que c’est comme cela que se passent les relations. Tant que cette circonstance n’est pas inscrite clairement dans le code pénal, il y a déni de la part de la victime, car l’infraction est commise par une des personnes qui doit le plus la protéger. Pour avoir connu beaucoup de cas, je peux vous dire que cette disposition est fondamentale pour la reconstruction d’une victime.

Quant à la question de l’aggravation de la peine, elle ne se pose pas, car le code pénal prévoit déjà une échelle des peines suffisante. Nous sommes tous ici très attachés au principe d’individualisation de la peine. Nous laissons aux juges, eu égard à la personnalité de l’auteur et à la nature des faits, le soin d’apprécier la gravité des faits.

Avec cette mesure, nous faisons un grand pas en direction d’une catégorie particulière de victimes à laquelle nous devions une reconnaissance.

M. Dominique Raimbourg. Notre droit permettait déjà d’assurer la répression de ces crimes et délits, et même de les considérer comme des crimes ou des délits aggravés. Avec cette disposition, qui est une avancée symbolique, nous reconnaissons le caractère incestueux d’un certain nombre de viols ou d’agressions sexuelles, sans aggraver la répression, en restant très attachés au principe de l’individualisation de la peine, comme l’a indiqué Mme Capdevielle.

M. Sébastien Denaja. Je tiens à remercier mes collègues qui viennent de souligner l’utilité de cette disposition, et notamment Mme Capdevielle et M. Raimbourg.

Monsieur Geoffroy, le groupe socialiste veut faire œuvre commune avec vous. Nous avons ajouté au dernier moment dans notre amendement des dispositions qui permettent la coordination de l’ensemble des dispositions pénales, mais ce ne sont que des nuances de forme. Nous souhaitons que votre amendement et le nôtre soient votés en séance publique en termes identiques.

Les remarques de la Chancellerie devront être prises en compte, ensuite, pour éviter d’éventuelles failles d’ordre constitutionnel.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. La notion d’ascendant ne couvrait pas une grande partie des personnes de la sphère familiale, notamment la famille proche ou élargie, sans compter que les familles recomposées sont de plus en plus nombreuses. Ces amendements précisent bien l’ampleur de la zone d’influence affective dans laquelle se trouve l’enfant. Il est bon que soit en même temps reconnue la notion de victime : l’amendement précise que l’on peut être victime de bien des manières. Les victimes doivent savoir que ce sont des proches, des gens qui n’en avaient moralement pas le droit, qui ont agi sur elles en raison d’une influence affective, quelle qu’elle soit.

M. Guy Geoffroy. Un vrai consensus républicain s’est dégagé sur la nécessité d’avancer sur le sujet. J’ai été très sensible aux propos de Mme Capdevielle. C’est en 2006, en effet, que la loi a reconnu que le consentement à l’acte sexuel n’était pas de droit lié à l’institution du mariage et qu’il existait des situations où, dans un couple, le consentement pouvait ne pas être présent. Pendant très longtemps, on a considéré que ce qui relevait de l’intimité familiale ne concernait pas la société. Nous disons aujourd’hui que la société a un devoir de regard sur des débordements comportementaux qui ont encore moins de place là où l’intimité devrait être synonyme de protection, alors que, dans la réalité, elle permet les comportements les plus délictueux ou les plus criminels.

Les différences entre mon amendement et celui de M. Denaja sont de pure forme. Les balayer va au-delà de la forme et rejoint le fond. Il est important que nos deux amendements soient totalement identiques. Je remercie Bernard Roman de se tenir prêt à me transmettre les corrections légitimes suggérées par la Chancellerie, afin de consolider juridiquement notre dispositif. Je veillerai à ce que l’amendement présenté en vue de la séance plénière soit rigoureusement identique à celui du groupe SRC pour que nous puissions adopter à l’unanimité ces amendements qui viendront concrétiser et renforcer la volonté que nous avons de franchir un grand pas.

Mme la rapporteure pour avis. Je l’ai dit, je soutiendrai les deux amendements qui résultent d’un travail collectif et qui nous permettront de reconnaître enfin la spécificité et les traumatismes engendrés par l’inceste. Devant un tel consensus, j’émets un avis extrêmement favorable aux deux amendements.

La Commission adopte à l’unanimité les amendements identiques CL1 et CL8 rectifié, exprimant ce faisant un avis favorable au rétablissement de l’article 22 ainsi rédigé.

Elle émet enfin un avis favorable à l’adoption de l’ensemble des dispositions dont elle est saisie, modifiées.

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La séance est levée à 11 h 15.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, M. Erwann Binet, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Sergio Coronado, M. Sébastien Denaja, M. Philippe Doucet, M. Guy Geoffroy, M. Daniel Gibbes, M. Philippe Houillon, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Olivier Marleix, M. Patrick Mennucci, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, Mme Paola Zanetti

Excusés. - Mme Pascale Crozon, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, Mme Sandrine Mazetier, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg