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La séance est ouverte à 9 heures 30.
Co-présidence de M. le président Jean-Jacques Urvoas et de M. Wolfgang Bosbach, président de la commission de l’Intérieur du Bundestag.
La Commission se réunit avec la commission de l’Intérieur du Bundestag en présence de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, sur les questions de sécurité, de lutte contre le terrorisme et de renseignement.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous sommes très heureux d'accueillir au sein de la commission des Lois, pour la première fois depuis le début de la législature, une délégation de la commission de l’Intérieur du Bundestag conduite par son président, M. Wolfgang Bosbach.
Est-il besoin de dire combien la coopération entre nos deux pays est essentielle dans les domaines de compétences de nos deux commissions ? Parce que notre assemblée ne comprend que huit commissions contre vingt-six au Bundestag, le champ de nos missions est plus large que celui de nos homologues allemands, mais la sécurité, la lutte contre le terrorisme et le renseignement relèvent en tout état de cause de nos préoccupations communes. Si, dans ces trois domaines, les politiques menées sont évidemment nationales, la coopération est une nécessité, et nous réclamons qu’elle s’intensifie afin de prévenir et de réprimer les actes odieux comme ceux dont nous avons été victimes en France en janvier dernier.
Au moment où des citoyens français ont été assassinés et où la République a été blessée, nous avons pu mesurer la solidarité des pays amis, au premier rang desquels l’Allemagne. La présence de la Chancelière Angela Merkel lors de la manifestation du 11 janvier en a témoigné avec force. Les images de ces instants nous resteront ; nous en conserverons le souvenir. Monsieur le président Bosbach, cher Wolfgang, je vous remercie pour l’ensemble des témoignages de solidarité que nous, parlementaires français, avons reçus de la part des députés allemands et des autorités de votre pays.
Notre ordre du jour est chargé et je souhaite remercier M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, d’avoir dégagé, ce matin, une heure dans son emploi de temps bien rempli puisqu’il défend actuellement au Sénat le projet de loi relatif au renseignement. La séance s’est terminée cette nuit à une heure quarante et M. Philippe Bas, rapporteur du texte et président de la commission des Lois du Sénat, me disait tout à l’heure combien la discussion était compliquée : un certain nombre de nos collègues ont manifestement encore besoin d’être convaincus.
Il me semble normal que le Gouvernement puisse présenter à nos collègues allemands les grandes lignes de son action et les moyens juridiques qu’il utilise dans ces domaines de la sécurité, de la lutte contre le terrorisme, et du renseignement. Monsieur Cazeneuve, vous pourrez également nous faire part des relations bilatérales franco-allemandes et évoquer les coopérations en cours ou à venir entre nos deux pays.
M. Wolfgang Bosbach, président de la commission de l’Intérieur du Bundestag. (Interprétation) C’est une joie et un honneur de pouvoir réfléchir avec vous sur ce que nos deux pays peuvent entreprendre, dans un esprit de coopération, pour protéger leurs citoyens. Les attentats du début de l’année 2015 à Paris ont ébranlé l’Allemagne où ils ont provoqué un débat sur les actions à mener en matière de prévention et de répression afin que de tels événements ne se reproduisent jamais, car les terroristes n’ont besoin que d’un seul succès pour atteindre leur objectif et déstabiliser notre population au quotidien.
Nous désirons tous vivre dans une société de liberté, mais nous voulons également tous garantir aux citoyens un maximum de sécurité dans tous les États de l’Union européenne afin qu’ils profitent de cette liberté. Un débat a lieu au sein de nos assemblées mais également dans la société. S’il est un domaine dans lequel la coopération dépassant les clivages politiques peut être utile, c’est bien la lutte contre le terrorisme.
Monsieur le ministre, nous ne voulons pas être seulement informés par les médias ; nous souhaitons que vous puissiez nous en dire plus sur vos objectifs futurs et sur ceux que vous avez déjà atteints. Nous sommes heureux de pouvoir recueillir auprès de vous une information à la source qui nous permettra ensuite d’œuvrer de notre côté dans le sens de la plus grande sécurité possible. Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir pris de temps d’être présent parmi nous ce matin.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Je suis particulièrement heureux d’assister à cette réunion de la commission des Lois de l’Assemblée nationale et de la commission de l’Intérieur du Bundestag consacrée à la lutte contre le terrorisme car, sur tous les sujets les plus importants, la relation franco-allemande est structurante dans l’Union européenne.
Avant-hier, à Dresde, à l’occasion de la réunion du G6 des ministres de l’Intérieur de l’Union – les représentants de l’Espagne, de l’Italie, de la Pologne, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et de la France ont été rejoints par ceux des États-Unis – consacrées à la lutte contre le terrorisme mais aussi aux migrations en Méditerranée centrale et la lutte contre le crime organisé, j’ai retrouvé mon collègue allemand Thomas de Maizière qui avait préparé de façon méticuleuse cette très importante rencontre. Dans ce cadre informel, nous avons tous pu nous dire beaucoup de choses de façon franche et directe. Nous avons également constaté à quel point le couple franco-allemand, quand il se met en mouvement, peut emmener toute l’Europe avec lui. En matière de lutte contre le terrorisme, nous sommes ensemble, totalement unis pour défendre les valeurs de la démocratie qui sont celles des pères fondateurs de l’Union. Lorsque nous avons été frappés très durement, au mois de janvier dernier, vous avez tous été extrêmement présents, que ce soit physiquement ou par la pensée et par le cœur.
Pour ce qui me concerne, jamais je n'oublierai la présence, à mes côtés, le 11 janvier, place Beauvau, de mon homologue Thomas de Maizière, qui est aussi et avant tout mon ami. Ich werde niemals vergessen, wie mein deutscher Kollege, und sogar Freund ! bei mir in Paris war. an diesem Tag, am elften Januar. Also nochmals vielen Dank, aus tiefstem Herzen. Encore une fois : merci, du fond du cœur, merci.
En France, le niveau de la menace est actuellement très élevé mais je crois que c’est également le cas en Europe. Dans notre pays, après les attentats du mois de janvier, nous avons pu éviter des attentats dans des lieux de culte catholiques de Villejuif. Bien qu’une femme fût tuée à bout portant par un terroriste, nous avons pu arrêter ce dernier et commencer à procéder au démantèlement du réseau dont il faisait partie. Les événements de Copenhague montrent que l’Europe entière est touchée, et ceux de Tunis témoignent de la porosité des frontières alors que la déréliction de l’État en Libye fait de ce pays déstabilisé un sanctuaire pour les terroristes. La bande sahélo-saharienne est incontestablement confrontée à une forte menace. Le ministre tchadien de l’Intérieur me disait ce matin même le combat mené par son pays avec le Niger, le Nigeria et le Cameroun contre Boko Haram. Il évoquait aussi les nouvelles formes que prennent les crimes perpétrés par ce groupe terroriste – avec notamment les attentats-suicides très meurtriers au Nigeria, pays qui tente de s’opposer à son expansion territoriale. Le niveau très élevé de la menace et la capacité des terroristes à adapter leurs actions à nos réactions doivent donc se traduire par une vigilance importante.
En France, nous constatons une augmentation constante du nombre de jeunes engagés dans des opérations à caractère terroriste, en particulier en Irak et en Syrie. Les chiffres n’ont cessé de progresser depuis que je suis en responsabilité. Aujourd’hui, 1 700 personnes provenant de France sont engagées dans ce type d’opérations. Elles sont souvent très jeunes, entre dix-huit et trente ans, et ce sont parfois des femmes ou des mineurs. Sur les 1 700 personnes en question, environ 450 se trouvent aujourd’hui sur place, auprès de Jabhat al-Nosra ou de Daech, en Irak ou en Syrie, et un peu plus de 350 sont revenues – autrement dit 800 personnes au total ont combattu dans les groupes terroristes. Quelque 250 ressortissants français se trouveraient encore en Europe, entre la France et la Syrie ou l’Irak, sur le chemin de ces théâtres terroristes, et près de 350 individus ne seraient pas encore partis mais auraient des velléités de le faire selon nos services de renseignement. Ce n’est pas rien ! Il faut ajouter les 400 personnes que nous suivons, qui peuvent être considérés comme des cibles dormantes, susceptibles d’être actionnées à tout moment par des organisations comme Al-Qaïda ou AQMI, et le millier d’internautes qui suscitent la haine, incitent à la violence et provoquent au terrorisme. Au total, près de 3 000 individus sont donc suivis par 3 000 agents de la direction générale de la sécurité intérieure. C’est dire que si nous ne modifions pas nos manières de travailler et si nous ne prenons pas en compte la dimension européenne des enjeux auxquels nous faisons face, nous risquons de rencontrer des problèmes.
Cette dimension européenne est centrale car beaucoup de ces « combattants étrangers » reviennent dans nos pays. Il n’y a que quelques populistes, inconscients du problème et ignorants de ce qu’est le droit – mais il est vrai que les extrémismes ont pour caractéristique de s’asseoir sur le droit alors que nous voulons combattre le terrorisme avec les moyens et les instruments du droit parce que nous défendons nos valeurs –, qui prétendent que nous pourrions laisser partir des ressortissants français et, ensuite, les empêcher de revenir. Nous ne pouvons en fait que traiter judiciairement la situation de ceux qui reviennent après leur retour. Procéder autrement reviendrait à fabriquer des apatrides, ce qui n’est pas permis par les règles du droit.
Lors de leur retour, les nombreux et divers déplacements de ces combattants rendent nécessaire d’établir la traçabilité de leur parcours. Il s’agit d’un enjeu européen, de même que le trafic d’armes qui traverse nos frontières, la prévention des crimes grâce à la communication entre nos services de renseignement et de police, la mise en place de contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne pour prévenir les retours et assurer la poursuite judiciaire de ceux qui ont commis des crimes. Parce qu’il existe aujourd’hui une porosité de plus en plus grande entre la petite délinquance et le grand terrorisme, entre les trafics en tout genre et le terrorisme, comme en témoigne la traite des êtres humains, il faut que nous prenions la dimension européenne et internationale de ces sujets. Dans ce cadre, la relation franco-allemande est tout à fait essentielle.
Nous sommes de plus confrontés à un terrorisme d’une nature nouvelle. Dans les années 1990, des vétérans algériens de la guerre d’Afghanistan commettaient des attentats en Europe préparés par des groupes fermés et très organisés. Ces personnes repartaient ensuite en Algérie, ce qui rendait parfois difficile leur présentation à la justice. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un phénomène d’une autre nature. Les chiffres que je viens de présenter pour la France – on parle de 10 000 combattants européens sur le théâtre des opérations terroristes – montrent aussi que nous sommes face à un problème d’une plus grande ampleur. Les éléments dont nous disposons indiquent qu’une grande partie de ceux qui basculent le font par internet. La numérisation de la société, les blogs, les sites, les images et les vidéos permettent l’appel au terrorisme en accès libre. Ce message de haine a un impact direct sur les esprits les plus vulnérables. La porosité que j’évoquais entre petite délinquance et grand terrorisme ainsi que le phénomène de radicalisation dans les prisons doivent aussi être pris en compte. Il ne faut toutefois pas oublier les relations avec les musulmans qui sont les victimes des crimes commis au nom d’une religion dévoyée dans la violence – Boko Haram a frappé jusque dans des mosquées. Ce terrorisme en libre accès est très différent de ce celui que nous connaissions au début des années 1990, même si l’on constate un certain continuum : par la fréquentation de la prison ou de divers réseaux, les individus concernés, comme les frères Kouachi et Coulibaly, ont été, à un moment donné, en relation avec les terroristes d’autrefois.
Devant ce constat, comment la France et l’Allemagne agissent-elles ensemble ? Il existe tout d’abord une très forte coordination de nos services de police et de renseignement ainsi que des cellules d’analyse consacrées à l’antiterrorisme. L’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) entretient ainsi des relations extrêmement étroites, solides et fructueuses avec son homologue allemand, le Gemeinsame Terrorismusabwehrzentrum (GTAZ). Le bureau de la lutte antiterroriste de la gendarmerie échange de nombreux renseignements avec l’Office fédéral de police criminel, le Bundeskriminalamt. Les échanges existent aussi au niveau des services compétents de plusieurs Länder. Les relations entre les services qui travaillent en France et en Allemagne en matière d’antiterrorisme sont donc extrêmement étroites et très productives, qu’il s’agisse des services de renseignement ou de police. Un échange constant d’informations entre les gouvernements porte aussi sur les dispositifs que nous mettons en place sur le plan domestique pour faire face à la poussée de la menace terroriste.
En la matière, la France a déjà adopté deux lois, en 2012 puis en 2013, afin de se doter d’outils juridiques dont elle ne disposait pas : interdiction de sortie du territoire pour ceux dont nous sommes convaincus qu’ils veulent s’engager dans des opérations à caractère terroriste, mise en place de l’incrimination pénale d’entreprise individuelle terroriste, possibilité pour les services d’intervenir sous pseudonyme sur internet, possibilité de perquisition sur internet et les différents clouds, blocage administratif des sites appelant et provoquant au terrorisme. Nous avons pris les décrets d’application pour que ces mesures soient mises en œuvre sans tarder : nous comptons près de soixante-dix interdictions de sortie du territoire, environ quarante-huit interdictions du territoire – elle concerne des étrangers ayant résidé en France, engagés dans des opérations terroristes, qui souhaitent revenir en France.
Nous avons complété ces dispositions par des mesures s’appliquant à nos services de renseignement. Je sais à quel point les Allemands sont sensibles à la protection des données et des libertés publiques. Sachez, mesdames et messieurs, que votre préoccupation n’a d’égale que la nôtre ! Le projet de loi relatif au renseignement que nous défendons actuellement, inspiré par le travail effectué par le président Jean-Jacques Urvoas, était d’abord destiné à encadrer l’activité des services de renseignement : il s’agissait qu’ils mettent sur la table ce qu’ils font afin que l’on puisse encadrer leur activité et assurer à la fois un contrôle juridictionnel, un contrôle par une haute autorité et un contrôle parlementaire. Lorsque nous auront mis en place ces dispositifs, nous serons vraisemblablement l’une des démocraties européennes qui disposera du niveau de contrôle le plus élevé sur ses services de renseignement.
Il est vrai que nous mobilisons des techniques pour lutter contre le terrorisme. Je lis plusieurs déclarations, certaines provenant de responsables européens, selon lesquels ces dispositions pourraient conduire à une surveillance de masse. C’est absurde et faux ! Tout ce que nous mobilisons en termes de technique fait l’objet d’un niveau de contrôle très élevé et est centré exclusivement sur la lutte antiterroriste : c’est le contraire d’une surveillance de masse. Ce que nous faisons n’est destiné qu’à prévenir, sur la base de critères extrêmement précis, les actes de ceux qui sont susceptibles de s’engager dans des activités terroristes. Notre objectif n’est pas de « faire de la pêche au chalut », pour utiliser une expression répandue dans les médias, mais plutôt de harponner ceux que nous voulons surveiller en raison du risque qu’ils représentent. Il est important que nous puissions le faire. L’attentat de Villejuif a donné lieu à des messages cryptés, difficilement accessibles ; si nous ne mobilisons pas les moyens de la technologie pour savoir ce qui s’échange sur internet entre terroristes afin d’éviter la commission de certains actes, alors nous n’aurons pas d’autres choix que de voir ces actes se commettre. Certes, nous pourrons toujours les poursuivre judiciairement après coup, mais est-ce cela que nous voulons ? Le rôle d’un État confronté à un tel niveau de menace n’est-il pas plutôt de prévenir la commission de ces actes ?
Nous expliquons nos choix à l’ensemble des pays de l’Union européenne. Certains prennent également de leur côté des dispositions pour compléter leur arsenal juridique. Je concède qu’il existe un mouvement dans tous les pays européens qui vise, pour protéger les principes démocratiques, à moderniser le droit afin qu’il soit adapté à la menace. Nous l’assumons totalement car nous estimons qu’il est de notre devoir de protéger nos valeurs et nos concitoyens.
Un certain nombre d’actions relèvent de l’Europe. Alors que les terroristes traversent toutes les frontières, si nous ne sommes pas capables de mettre en place des dispositifs qui permettent d’assurer la traçabilité de leur parcours afin d’être en mesure de les poursuivre judiciairement lorsqu’ils franchissent à leur retour les frontières extérieures de l’Union, nous serons en très grande difficulté. Nous disposons pourtant dès aujourd’hui de tous les outils nécessaires au sein de l’Union pour effectuer ce travail sans modifier aucun accord ou traité. En l’état, le code frontières Schengen permet de procéder à des contrôles systématiques et coordonnés, je n’ai pas dit obligatoires, qui pourraient faire parler le système d’information Schengen (SIS) et permettre ce traitement judiciaire. Après avoir purgé une peine dans une prison française, Mehdi Nemmouche quitte l’Europe pour participer à des opérations terroristes et revient par Francfort, après un long périple à travers l’Asie du Sud-Est, pour commettre l’attentat du musée juif de Bruxelles, le 24 mai 2014 : si nous disposons de contrôles coordonnés et systématiques aux aéroports, nous pouvons faire sonner sa fiche S lors de son retour sur le sol européen et lancer immédiatement la coopération entre nos services de police et de justice pour le neutraliser avant qu’il ne commette pas le pire. Il est fondamental de mettre en place ces contrôles. Thomas de Maizière et moi-même portons cette demande avec d’autres ministres de l’Intérieur européens. Il faut aboutir.
Cette mesure indispensable serait cependant insuffisante. Avant de parvenir à notre porte, à Francfort, Mehdi Nemmouche est passé par un certain nombre de pays d’Asie du Sud-Est. Le PNR (Passenger Name Record) est le dispositif qui permet de tracer la totalité du parcours des terroristes. Peut-être l’outil doit-il être centré sur le crime organisé et le terrorisme, sans doute faut-il donner beaucoup de garanties en matière de protection des données – l’équilibre en la matière est la clef d’un bon PNR –, mais il faut en tout état de cause avancer. Autant je suis favorable à ce que nous disposions de cet outil, autant je ne suis absolument pas favorable à ce qu’il en résulte moins de liberté : sous prétexte d’assurer une plus grande sécurité, nous ne pouvons pas accepter une moindre vigilance en matière de protection des données personnelles. Je souhaite que nous trouvions avec tous les parlementaires le bon équilibre entre protection des données et sécurité. Pour m’être exprimé devant la commission des Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, dite commission LIBE, du Parlement européen, je sais que les parlementaires européens allemands sont sensibles à cette question, et ils ont raison. La recherche de cet équilibre ne doit cependant pas aboutir à un PNR qui n’en soit plus un. Il faut éviter de multiplier les clauses de réserve au risque que l’instrument ne serve finalement plus à rien.
Les commentateurs oublient trop souvent une réalité qui correspond pourtant à l’état du droit : ce n’est pas parce qu’il n’y aura pas de PNR européen qu’il n’y aura pas de PNR en Europe. Les Français et les Britanniques disposent déjà d’un PNR, les Allemands pourraient décider d’en avoir un… Tous les pays de l’Union pourraient avoir un PNR et choisir de les connecter. Dans ce cas, aucune garantie ne pourrait être apportée concernant les questions qui préoccupent les parlementaires européens en matière de protection des données. La seule manière de garantir cette protection en même temps que de disposer d’un outil efficace en termes de sécurité, c’est d’avoir un PNR européen. Sinon, nous aurons tout de même des PNR, nous aurons bien la sécurité grâce à leur connexion, mais les garanties en matière de protection des données seront faibles. Dans ce cas, me direz-vous, pourquoi, en tant que ministre en charge de la sécurité, plaidez-vous pour un PNR européen dès lors que la connexion des PNR nationaux permet d’assurer efficacement la sécurité ? C’est que les ministres de l’Intérieur peuvent être préoccupés par la liberté autant que par la sécurité : en Europe, les ministres de l’Intérieur sont aussi ceux des libertés publiques. S’ils mettent autant d’ardeur à vouloir assurer la sécurité, c’est parce qu’ils sont attachés à ce que l’on ne sape pas cette sécurité en remettant en cause tous les principes fondamentaux de nos démocraties, ceux que défendaient les pères fondateurs de l’Union. Je ne vous dis pas cela pour nous attirer vos faveurs, mais parce que c’est le sens profond de nos actions. Lorsque je discute avec mon homologue allemand, le ministre fédéral de l’Intérieur, je constate qu’il est constamment préoccupé par cet équilibre : l’efficacité ne peut pas se faire au détriment des libertés fondamentales auxquelles nous sommes attachés. Si nous sommes européens sur ces questions, c’est parce qu’il nous semble que le droit européen est le plus à même de garantir cet équilibre.
Pour conclure, je veux évoquer la relation avec les musulmans. Il faut faire très attention de ne pas confondre les musulmans de France et d’Allemagne avec l’infime minorité de ceux qui dévoient la religion et commettent des crimes. Les musulmans ont honte de ces agissements qui les révoltent et qu’ils combattent. Il faut éviter de laisser libre cours aux amalgames, aux approximations et aux ostracismes.
L’Allemagne et la France sont attachées à ce que tous leurs enfants puissent vivre dans la paix, dans la concorde et dans la fraternité, ce qui suppose qu’un dialogue s’instaure avec les ressortissants de confession musulmane. En France, c’est ce que nous voulons faire, avec le président de la République et le Premier ministre, en créant une instance de dialogue comme il en existe déjà une en Allemagne. Elle permettrait d’aborder tous les sujets : la formation des aumôniers, le financement et la gestion des mosquées, la relation entre culturel et cultuel… Une fondation devrait notamment donner l’occasion de découvrir les œuvres, d’une grande sensibilité humaniste, des intellectuels et poètes musulmans. Nous mènerons cette tâche à bien au nom de nos exigences : le rassemblement, la concorde, la responsabilité, la volonté que la République soit inclusive de tous ses enfants, le refus de tourner ses plus belles valeurs contre les musulmans. La laïcité en France est le droit de croire ou de ne pas croire, mais dès lors que l’on a fait le choix d’une religion, nous devons garantir qu’elle puisse être pratiquée en toute liberté. Par-delà nos appartenances religieuses, les valeurs de la République et la laïcité constituent une sorte de toit commun : cela signifie que l’on ne peut pas transiger sur ces points, mais cela ne veut en aucun cas dire que l’on pourrait utiliser la laïcité contre une seule religion, la religion musulmane. On ne peut pas interpréter les lois de la République pour interdire à des femmes qui portent le voile d’accéder à des plages durant l’été : ce n’est pas conforme au droit français. On ne peut pas prendre de dispositions en matière de menu de cantine scolaire qui laisseraient penser que l’on détourne la laïcité contre les musulmans de France. Ça, ce n’est pas la laïcité ; c’est l’instrumentalisation d’une belle valeur républicaine contre une religion. Dans la relation qu’il entend développer et conforter avec les Français de confession musulmane, le Gouvernement sera très vigilant en n’acceptant aucune concession sur les principes qui doivent demeurer la condition de l’inclusion de tous les Français dans la République.
Des populismes existent en France ; ils commencent aussi à poindre dans d’autres pays d’Europe. Face aux phénomènes auxquels nous sommes confrontés, la plus grande précision, la plus grande vigilance et la plus grande détermination républicaine et démocratique s’imposent.
M. Stephan Mayer, membre du Bundestag. (Interprétation.) Je suis porte-parole du groupe parlementaire CDU/CSU et responsable des questions relatives aux affaires intérieures. Je siège à la commission de l’Intérieur du Bundestag.
Toutes classes sociales confondues, toute la société allemande a été profondément perturbée par les attentats du mois de janvier dernier en France. Je crois qu’il s’agit de l’événement qui a le plus bouleversé la population allemande depuis le 11 septembre 2001. De nombreuses manifestations de soutien ont eu lieu en Allemagne, et les gestes de sympathie envers la population française se sont multipliés. Ces attentats ont touché au plus profond le peuple allemand car ils ont ébranlé nos valeurs essentielles. Au nom de tous mes collègues présents ce matin, je tiens à vous dire, une fois encore, toute notre solidarité.
Après ces terribles attentats, la collaboration entre les services de renseignement de nos deux pays a été excellente. Cela m’a été confirmé par M. de Maizière, qui insiste toujours, lui aussi, sur la qualité de vos relations, monsieur Cazeneuve. Nous avons pu constater à quel point la coopération entre nos services de sécurité a été rapide et efficace. Elle continue de l’être aujourd’hui.
Monsieur le ministre, je vous suis reconnaissant d’avoir évoqué l’ensemble du contexte européen. Vous avez cité le cas de Mehdi Nemmouche : rien n’était prévu pour arrêter le futur auteur de l’attentat de Bruxelles lors de son retour sur le sol européen à Francfort ; il était seulement question de surveillance. Cela montre que nous ne pouvons pas nous contenter de suivre le parcours des combattants djihadistes dans les pays qu’ils traversent ; il faut détecter l’ensemble des réseaux en Europe et assurer une coopération encore plus intense entre tous les pays de l’Union.
Les mesures prises en France après les attentats du mois de janvier sont très proches de celles que nous avons adoptées. Nous avons renforcé la pénalisation de tout financement des mouvements terroristes ainsi que les contrôles en permettant notamment le retrait des documents d’identité et du passeport des apprentis djihadistes désireux de quitter notre pays. La France a fait des efforts considérables en faveur de ses services de renseignement et de contrôle en termes de ressources humaines et de moyens. L’Allemagne a consenti un effort financier mais nous devons aller plus loin et, en la matière, vous nous servez de modèle : nous ne pouvons que vous féliciter pour le recrutement de 2 600 fonctionnaires supplémentaires.
Monsieur le ministre, vous avez abordé les questions de « déradicalisation » des jeunes et de prévention. Coulibaly et les frères Kouachi, auteurs des attentats de janvier, étaient des criminels de droit commun qui se sont radicalisés dans les institutions pénitentiaires. Quelles mesures concrètes prenez-vous aujourd’hui pour mettre fin à la radicalisation dans les prisons ? J’ai lu qu’en France les musulmans étaient incarcérés séparément. Ce dispositif est-il de nature à empêcher la radicalisation ? Quelles autres dispositions comptez-vous mettre en œuvre ?
En Allemagne, on parle beaucoup d’une éventuelle modification de la loi qui permettrait de retirer la nationalité allemande à ceux qui détiennent une autre nationalité et qui sont partis faire le djihad afin de les empêcher de revenir – les personnes qui n’ont que la nationalité allemande ne peuvent la perdre que dans des conditions très limitées. Avez-vous envisagé une mesure de cette nature en France pour ceux qui ont une double nationalité ? Il est certain que celui qui rallie l’État islamique va véritablement contre nos valeurs démocratiques.
Nous nous apprêtons aussi à modifier la loi relative à la durée de conservation des données, et nous espérons parvenir à un compromis réaliste. Dans le débat, on nous oppose toujours qu’en France, le délai minimal de conservation des données existe mais qu’il n’a pas permis d’éviter les attentats de Paris. Peut-être les délais prévus en France sont-ils insuffisants ? Monsieur le ministre, les règles en vigueur dans votre pays vous ont-elles permis d’élucider les affaires du mois de janvier et de découvrir le réseau lié aux attentats ? Selon vous, comment faut-il utiliser les données après les attentats de Paris ? Vos réponses à ces questions nous permettraient d’y voir un peu plus clair.
Pour ce qui concerne le PNR, je vous soutiens pleinement. Tous ceux qui veulent pouvoir disposer de données utiles dans la lutte contre le terrorisme ont besoin de celles relatives aux passagers du transport aérien. Il faut établir des normes très strictes au niveau de l’Union européenne et parvenir à mettre en place un PNR européen. En la matière, vous avez le plein appui de la CDU/CSU.
Encore une fois, nous vous sommes reconnaissants de permettre une coopération aussi remarquable entre la France et l’Allemagne. Nous savons l’engagement commun et personnel des ministres de l’Intérieur de nos deux pays.
M. le ministre. La relation franco-allemande est excellente. Thomas de Maizière est un ami personnel – j’espère ne pas le compromettre par ces propos (sourires) – avec lequel j’entretiens une relation de très haute confiance qui a été déterminante dans les moments difficiles que nous avons traversés.
Dans un contexte d’empathie et d’estime réciproque, la fluidité de nos relations nous permet d’être en contact continu, et nous sommes sûrs que ce qui est dit entre nous sera suivi d’effets. Notre relation personnelle permet de faciliter le travail commun. Elle est précieuse car nous pouvons avancer ensemble sur divers sujets au-delà même de la lutte contre le terrorisme. Je pense par exemple à la question migratoire qui demande aussi de trouver un équilibre entre humanité et responsabilité. Nous avons publié le 1er juin dernier un communiqué commun exprimant notre position sur la proposition de la Commission européenne pour un mécanisme de relocalisation. Il a permis au G6 de mettre le sujet sur la table. Nous nous sommes quittés il y a deux jours à Dresde, et nous nous retrouverons après-demain à Stuttgart pour poursuivre le dialogue avec notre collègue italien, Angelino Alfano. Thomas de Maizière et moi travaillons en permanence ensemble sur les sujets les plus importants.
Nous ne pouvons rien faire si nous ne dotons pas les services de renseignement de moyens nouveaux dans un contexte où la menace est protéiforme, mouvante et élevée. Nous avons réagi en mettant en place les outils juridiques que j’ai déjà évoqués, mais aussi en décidant de créations de postes massives dans les services de renseignement, de police et de gendarmerie qui avaient perdu de nombreux effectifs les années passées. Nous avons créé 432 postes à la direction générale de la sécurité intérieure – Manuel Valls avait pris cette décision lorsqu’il était ministre de l’Intérieur en même temps qu’il avait décidé d’abonder de 12 millions d’euros chaque année le budget de cette direction.
La décision prise par le président de la République et le Premier ministre, sur la base des propositions que je leur avais adressées au début du mois de janvier, d’augmenter de 1 500 les effectifs, en plus des efforts déjà consentis – auxquels s’ajoute la création de 500 emplois par an dans la police et la gendarmerie depuis le début du quinquennat –, doit permettre de remettre nos moyens à niveau. Ces 1 500 emplois comprennent 500 emplois dans le renseignement territorial et 500 emplois à la direction générale de la sécurité intérieure. De plus, 233 millions d’euros débloqués sur trois ans permettront de moderniser nos services de renseignement dont il faut assurer la « numérisation ».
De manière qu’ils soient tout à fait rassurés sur nos actions en matière de sécurité sans être inquiets de ce que nous faisons dans le même temps sur le plan financier, je m’empresse de dire à nos amis allemands que ces efforts financiers sont, bien entendu, consentis dans le strict respect de nos engagements budgétaires auprès de la Commission européenne. (Sourires.) D’autres ministères font des efforts qui nous permettent d’être parfaitement efficaces en matière de sécurité.
Monsieur Mayer, je vous remercie d’avoir évoqué la prévention dont je n’ai pas assez parlé. Elle est au cœur de nos échanges à Bruxelles. Autour de M. Gilles de Kerchove, coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme, une action a été menée pour lutter efficacement contre la radicalisation et pour organiser un contre-discours. Une cellule financée par l’Union développe des programmes en ce sens, notamment en construisant un contre-discours sur internet où s’opère une grande partie de la radicalisation.
En France, nous avons pris des dispositions fortes et cohérentes par rapport à cette stratégie européenne. Nous avons mis en place une plateforme téléphonique centralisée au ministère de l’Intérieur qui permet aux familles de signaler le cas de proches qui semblent s’engager dans des opérations terroristes ou qui se radicalisent. Sur 3 800 signalements de cas de radicalisation en France, 2 000 ont été reçus par la plateforme. Les noms recueillis sont transmis aux préfets et aux procureurs de la République autour desquels se met en place, dans chaque région, une équipe pluridisciplinaire mobilisant toutes les administrations de l’État et des collectivités concernées afin de construire un dispositif sur mesure pour répondre au cas de chaque famille et de chaque jeune radicalisé. La « déradicalisation » inclut l’accompagnement social et parfois sanitaire du jeune. Il peut en effet y avoir dans son basculement des causes multiples liées à sa santé mentale, à des addictions, à un décrochage scolaire, à des ruptures ou à des violences familiales… Ces équipes pluridisciplinaires visent à prendre en charge la totalité des aspects de la radicalisation.
Cela ne suffit pas toujours car certaines personnalités sont très fragiles et le traitement individualisé peut se révéler complexe. Nous avons donc créé une équipe nationale mobile composée de psychologues et de spécialistes qui se déplacent dans les territoires à la demande des préfets lorsque les équipes sur place ont besoin d’un soutien pour remplir leur mission.
Nous avons par ailleurs développé une action massive de « déradicalisation » sur internet. Le net offre certes de formidables possibilités en matière de communication, d’échanges et d’accès à la culture mais il peut aussi devenir l’instrument d’un endoctrinement sectaire ou un outil permettant de dissimuler des actes préparatoires à la commission de crimes à caractère terroriste.
Le développement de la cryptologie sur internet nous pose aujourd’hui un problème. Je me suis donc rendu aux États-Unis où j’ai passé deux jours dans la Silicon Valley afin de rencontrer tous les opérateurs d’internet, ce qui a suscité des questions parfois intéressées parfois dubitatives au sein de l’Union européenne. Je leur ai dit que nous étions assez peu enclins à faire en matière de lutte contre le terrorisme ce que nous avions fait pour lutter contre la pédopornographie, mais que nous voulions conclure un accord avec eux sur des points précis : lorsque nous leur signalons des contenus appelant au terrorisme, nous leur demandons de les retirer, et lorsque des enquêtes ont lieu, nous devons obtenir des réponses rapidement. Alors que nous avions pu attendre jusqu’à dix-huit mois le retour d’opérateurs que nous avions sollicités, à la suite des attentats de Paris nous avons reçu des réponses en dix-huit minutes ! Nous leur avons donc fait remarquer qu’il était possible d’aller vite, de la même façon qu’il était possible d’améliorer le taux de retrait faisant suite à nos demandes. Nous leur avons également dit que le contre-discours devait se travailler avec eux au sein d’une structure permanente.
J’ai proposé la passation d’un accord. Il a été rendu public à Paris le 22 avril dernier, un mois après mon déplacement. Un comité permanent est désormais installé entre nos services et les grands opérateurs d’internet pour mettre en place ce que nous avons décidé. À Dresde, il y a deux jours, le commissaire européen à l’immigration et aux affaires intérieures, M. Dimitris Avramópoulos, a proposé de transposer cette démarche au niveau de l’Union. Pour ma part, j’ai suggéré que nous accueillions une réunion européenne avec les opérateurs à Paris. Ce que la France a fait seul, qui n’était qu’une opération d’amorçage, est à n’en pas douter beaucoup moins efficace que ce que nous pourrions faire ensemble en Europe.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les Américains sont extrêmement attentifs à nos démarches. Mon homologue m’a appelé à deux reprises pour savoir où nous en étions de notre relation avec les opérateurs internet. On entend trop souvent dire que notre action visant à bloquer administrativement les sites appelant au terrorisme tend notre relation avec les opérateurs au point que l’on ne pourrait plus rien faire avec eux. Pourtant, c’est tout le contraire qui se produit. Si nous avons les idées claires, si nous disons ce que nous voulons et si nous restons ouverts pour construire et coproduire des politiques, nous obtenons des résultats.
Nous avons aussi une position très claire concernant les questions de nationalité sur lesquelles vous m’interrogiez. Une personne ayant la double nationalité qui commet des actes terroristes n’a plus la nationalité française. Nombreux sont ceux qui font des phrases en France sur ce sujet – on aime cela dans notre pays ; moi, je préfère agir. Au cours des années précédentes, il y a eu une déchéance de nationalité. Pour ma part, j’agis à chaque fois que cela est nécessaire. Il n’y a aucun besoin d’aller en parler sur les plateaux de télévision ou les estrades. Mieux vaut se taire le plus possible et faire les choses, c’est ce qui compte. Un proverbe normand – et je suis normand – dit « grand diseux, petit faiseux »; je préfère précisément que l’on parle peu et que l’on fasse beaucoup.
En revanche nous ne retirons pas la nationalité à ceux qui sont uniquement ressortissants français. Cela ne serait conforme ni à notre Constitution ni au droit international. La France est très soucieuse de lutter contre le terrorisme avec les instruments du droit. La lutte contre le terrorisme se mène avec les armes de la République et pas contre la République.
En vous écoutant, monsieur Mayer, je crois comprendre que les Allemands considèrent la France comme un modèle en matière de conservation de données. Cela est d’autant plus surprenant que l’on m’explique en France qu’il faudrait prendre exemple sur les Allemands. Je pense en conséquence que nous avons intérêt à agir ensemble pour le mieux. Les durées de conservation doivent permettre d’exploiter les informations dont nous disposons sans que les services de renseignement utilisent des techniques non indispensables ou conservent des données au-delà du temps strictement nécessaire pour remplir la mission. Je ne veux pas de dispositif qui ne serait pas ciblé. Les services de renseignement sont des services publics à part entière et non des services entièrement à part. Les grands fonctionnaires qui travaillent dans ces services remplissent leurs missions dans la conformité au droit. Nous devons mettre en place tous les dispositifs de contrôle pour qu’il en soit ainsi.
Le travail effectué par Jean-Jacques Urvoas est de ce point de vue remarquable. Le fait que le président de la commission des Lois de l’Assemblée signe un rapport d’information avec un collègue de l’UMP, Patrice Verchère, sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, qui inspire ensuite la rédaction d’un projet de loi, doit permettre d’assurer le contrôle que j’évoquais. Si Jean-Jacques Urvoas mérite assurément l’hommage que je lui rends, j’avoue que j’ai aussi besoin de lui. Et mieux vaut être aimable avec ceux dont on a besoin. C’est une des règles de base de la vie publique et parlementaire. (Sourires.)
M. Gerold Reichenbach, membre du Bundestag. (Interprétation.) Je suis membre du parti social-démocrate (SPD), et je suis élu dans une circonscription du sud de Francfort où se trouve le site de production d’Opel.
Cette réunion traduit les excellentes relations entre nos deux pays. Mon collègue l’a déjà dit : les attentats qui ont frappé la France en janvier dernier ont profondément bouleversé l’Allemagne. Les sentiments qui se sont exprimés en ces moments tragiques s’expliquaient par le fait que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une amitié très forte s’est nouée entre nos deux peuples.
Monsieur le ministre, vous avez raison de parier avant tout sur la prévention face au défi du terrorisme international. Nous devons non seulement faire le nécessaire pour renforcer nos services de police et de renseignement, qui doivent disposer des moyens dont ils ont besoin pour déjouer les visées des mouvements terroristes, mais il nous faut aussi faire tout ce qui est en notre pouvoir pour lutter contre les causes de l’intérêt que les jeunes portent aux mouvements djihadistes. Selon moi, si nous n’y parvenons pas, nous échouerons dans la bataille que nous menons.
Vous avez relevé à juste titre que nous devions trouver un équilibre entre la préservation des droits des citoyens et la lutte contre le terrorisme. Nous avons en tout état de cause besoin de contrôler les services engagés dans cette lutte. Après que nous avons découvert un certain nombre de choses désagréables ces derniers mois, un débat se tient en Allemagne en ce moment sur le contrôle de nos services de renseignement. Le Parlement a mis en place une commission de contrôle chargée de surveiller ces services de près, et de s’assurer qu’ils fonctionnent de manière démocratique.
Vice-président de mon groupe parlementaire pour la nouvelle commission de l’agenda numérique du Bundestag, j’ai conscience que la numérisation touche désormais tous les secteurs d’activité et que la masse des données s’accroît considérablement. Malgré le défi technique que cela représente, il nous faut pourtant surveiller certains individus de façon efficace sans piétiner les droits de l’ensemble des citoyens.
Vos arguments relatifs au PNR sont pertinents. Nous devons parvenir à contrôler les frontières extérieures. Il faut que nous sachions précisément de quelles données nous avons besoin et comment les utiliser. À Bruxelles, où je me trouvais tout récemment avec des collègues de mon groupe parlementaire, j’ai clairement compris que, parallèlement aux avancées sur le PNR, nous devions aussi progresser sur la question de la directive relative à l’échange des données dans le cadre de la coopération policière et judiciaire – M. de Maizière a également insisté sur ce point.
La cyberattaque qui a eu lieu en France au début du mois d’avril contre la chaîne TV5 Monde a suscité de grandes craintes en Allemagne. Que pouvez-vous nous en dire ? Une attaque en règle de ce type vient de se produire contre le Bundestag. Des infrastructures énergétiques vitales pourraient être visées. Dans notre pays, nous sommes actuellement en train d’adopter un texte consacré à la sécurité des infrastructures informatiques essentielles – il en est à sa deuxième lecture. Quelles mesures comptez-vous prendre en France en matière de cybersécurité ?
M. le ministre. Monsieur le député, la question que vous évoquez est absolument essentielle. J’insiste sur la volonté de la France de construire, avec le Parlement européen, un PNR équilibré. Si les 860 amendements déposés sur le rapport rendu par le député européen Timothy Kirkhope sont le signe d’une grande vitalité parlementaire, il ne faut pas oublier que l’examen de ce rapport n’est qu’une première étape avant le trilogue qui doit avoir lieu sur le même sujet, puis l’adoption de ce qui, au bout du compte, devra tout de même ressembler à un véritable PNR.
La nécessité de protéger les données est fondamentale, et il doit donc être répondu avec la plus grande précision à toutes les questions posées sur ce point par les parlementaires européens de toutes sensibilités, notamment ceux qui sont en pointe sur ces sujets – je pense notamment au groupe de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, au groupe des Verts, et à certains sociaux-démocrates. Aucune de ces questions ne doit être ignorée, méprisée, ou susciter des propos irresponsables de la part des personnes chargées de la lutte antiterroriste. En France, la loi sur le renseignement suscite énormément d’interrogations et nous nous efforçons – même quand certaines questions semblent inspirées par la mauvaise foi – d’apporter des réponses précises. Ainsi, lorsque la Commission nationale consultative des droits de l’homme a émis des critiques, j’ai pris le soin de lui apporter une réponse très méticuleuse de quatorze pages.
En aucun cas nous ne devons traiter par le mépris ceux qui souhaitent avoir la garantie que ce que nous faisons en matière de sécurité sera assorti de tous les dispositifs qui s’imposent en vue de garantir les libertés des citoyens. J’ai une position très claire au sujet du PNR : en l’absence d’équilibre, il n’y aura pas de PNR, mais il faut tout de même que nous parvenions à PNR efficace. Comme vous le voyez, tout ce qui se rapporte à cette question est très subtil. Nous devons parler à la commission LIBE, aux parlementaires et aux groupes. Thomas de Maizière et moi-même faisons tout cela régulièrement, et nous travaillons ensemble. Nous devons être patients, pédagogues, et prendre le temps de répondre à toutes les questions.
En matière de cybercriminalité, je ne peux dire aux parlementaires, qu’ils soient français ou allemands, où en est l’enquête, car je tiens à ce que celle-ci aboutisse et je dois, en tout état de cause, respecter le secret de l’instruction. Évoquer une enquête en cours, c’est toujours prendre le risque de compromettre son efficacité.
Nous avons pris des dispositions législatives confortant considérablement l’efficacité des dispositifs dont nous disposons en matière de lutte contre la cybercriminalité. La loi du 13 novembre 2014 a renforcé la lutte contre les attaques informatiques des systèmes de l’État. Nous avons étendu les capacités des services en matière de cyberpatrouilles et de perquisitions informatiques sur les clouds. Nous avons facilité les modalités de saisine de nos structures de déchiffrement par les services d’enquête et les juges. Nous avons aussi considérablement renforcé les moyens des services ayant pour mission de lutter contre la cybercriminalité. Une partie des créations d’emplois que j’ai évoquées tout à l’heure sera affectée aux services de la direction centrale de la police judiciaire chargée de la lutte contre la cybercriminalité. La gendarmerie nationale française s’est dotée de moyens d’une exceptionnelle modernité en matière de lutte contre la cybercriminalité, notamment avec le Centre de lutte contre les cybercriminalités numériques (C3N), un dispositif mis en place à Pontoise et présentant un niveau de performances exceptionnel.
Par ailleurs, nous devons échanger des informations entre nous, car ce que nous faisons en matière de lutte contre la cybercriminalité restera sans efficacité si Europol ne prend pas le relais de notre action sur le territoire français. Ainsi la plateforme d’Europol nommée Check the Web prend-elle le relais, au niveau européen, de ce que fait la Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (PHAROS) en France : cela permet de créer un continuum entre l’action de la France et celle de l’Union européenne. Parmi les sujets abordés lors du G6 à Dresde figurait la volonté d’organiser l’échange d’informations au niveau européen, en utilisant Europol et Eurojust – car une grande partie du crime international passe par internet.
Je dois maintenant prendre congé de vous, devant me rendre au Sénat pour y parler de la loi sur le renseignement.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je rappelle qu’en novembre 2014, dans le cadre de la loi relative au renforcement de la lutte contre le terrorisme, l’Assemblée avait modifié un article du code pénal afin de renforcer les peines en matière de lutte contre la cybercriminalité. Alors que j’avais proposé d’aggraver encore ces peines dans le cadre de la loi sur le renseignement, les sénateurs ont supprimé du texte la disposition correspondante. Puissiez-vous donc faire revenir nos collègues de la Haute assemblée sur leur décision, monsieur le ministre !
M. Pascal Popelin. Membre du groupe Socialiste, républicain et citoyen, je note que les Français et les Allemands s’observent mutuellement afin de faire au mieux, en particulier sur le plan législatif, en matière de renseignement.
Je veux d’abord demander à nos collègues allemands si les questions de lutte contre le terrorisme – et de sécurité en général – font l’objet d’un consensus politique au sein du Bundestag – et, plus largement, au sein de la société allemande –, ou si l’on constate des points de fracture ?
En France, la situation évolue. Dès lors que le législateur entreprend de renforcer les dispositifs de lutte contre le terrorisme et la criminalité, se pose la question de l’équilibre entre l’efficacité à rechercher et le respect des libertés publiques. Des débats sur ces questions ont eu lieu lors de l’examen des deux lois de lutte contre le terrorisme et de la loi relative à la géolocalisation, mais aussi lors de l’examen en cours de la loi sur le renseignement. Ces débats sont-ils aussi vifs outre-Rhin qu’ils le sont en France ? Par ailleurs, estimez-vous, au vu de ce que vous savez de nos législations respectives, que nos pays placent le curseur à peu près au même endroit entre le respect des libertés publiques et l’efficacité des moyens mis en œuvre ?
M. Uli Grötsch, membre de la commission de l’Intérieur du Bundestag. (Interprétation) Je suis membre du groupe parlementaire SPD qui, il y a quelques semaines, a étudié la réaction de la population sur les sujets qui viennent d’être évoqués. Nous avons constaté que, parmi tous les sujets politiques, le besoin de sécurité constitue le troisième thème majeur de préoccupation pour la population allemande. Cela nous encourage à œuvrer pour répondre à ce besoin. Au sein de la coalition gouvernementale regroupant les Unions chrétiennes CDU/CSU et le parti social-démocrate (SPD), qui sont les deux grandes formations populaires en Allemagne, nous sommes d’accord sur ces questions. Comme vous le faites en France, nous nous efforçons de maintenir l’équilibre qui doit exister entre la préservation de la sécurité de nos citoyens et le respect des libertés et droits fondamentaux.
Lorsque l’introduction de délais minimums de conservation des données en matière de télécommunications a été évoquée en Allemagne, le CDU/CSU a accepté cette idée plus facilement que le SPD, qui voit dans les libertés une valeur fondamentale et l’un de ses mandats prioritaires sur le plan politique. Cela dit, un compromis va sans doute être trouvé, car les deux grands partis de la coalition sont d’accord pour considérer qu’il faut faire quelque chose tout en évitant un développement excessif des services de renseignement et de leurs activités. Le SPD tente de rallier les partis d’opposition à sa cause afin de parvenir à un consensus général, conscient de la nécessité de veiller à ce que les citoyens allemands, mais aussi européens, puissent vivre dans la sécurité.
M. le président Wolfgang Bosbach. (Interprétation) Je précise que le contrôle parlementaire du service de protection de la Constitution est exercé par le Parlement allemand six à huit fois par an, ce qui donne régulièrement lieu à des débats agités. Pendant quinze ans, une organisation terroriste d’extrême droite a été très active en Allemagne, où elle a commis de nombreux attentats à l’explosif – ce qui a suscité la création d’une commission d’enquête parlementaire. Plus largement, la question du terrorisme constitue l’un des sujets sur lesquels notre commission des Affaires intérieures travaille le plus.
Le service de renseignement extérieur du gouvernement fédéral allemand – en allemand Bundesnachrichtendienst (BND) – ne relève pas des attributions de la commission parlementaire, mais d’une commission travaillant de manière très confidentielle. La plupart des partis politiques ont l’impression que, trop souvent, nous n’apprenons de ce service que ce qu’il veut bien nous dire, et non tout ce qu’il y aurait à savoir. Nous devons progresser afin d’exercer notre droit de contrôle dans de meilleures conditions car, pour le moment, il apparaît que certaines actions du BND se situent dans une zone grise, comprise entre ce qui est juste et nécessaire et ce qui dépasse un peu le mandat confié à l’origine à ce service.
Mme Martina Renner, membre de la commission de l’Intérieur du Bundestag. (Interprétation) Je suis membre du groupe parlementaire d’opposition Die Linke. Nous détenons 10 % des sièges au Bundestag, tout comme les Verts, et nos deux partis font face aux 80 % détenus par la grande coalition CDU/CSU-SPD. En matière de sécurité, de lutte contre le terrorisme et de renseignement, la coalition au pouvoir et l’opposition ont des conceptions assez différentes. Pour notre part, nous aimerions que toutes les lois sur la sécurité modifiées en 2001 et critiquées par la Cour suprême du fait de leur constitutionnalité douteuse soient révisées. En matière de lutte contre le terrorisme, on peut se demander si tout ce qui a été décidé produit des résultats à la hauteur des attentes. Par ailleurs, je considère que nous sommes arrivés à un point où nous avons besoin de disposer d’une évaluation vraiment scientifique de l’ensemble des lois relatives à la lutte contre le terrorisme.
Pour ce qui est de la conservation des données, le Gouvernement et l’opposition ont également des conceptions très différentes. Les membres de Die Linke sont tout à fait opposés à ce que l’on puisse acquérir toutes les métadonnées des citoyens en matière de télécommunications, en raison du risque que ces données soient utilisées pour obtenir des informations sur les personnes elles-mêmes, et pour reconstruire le comportement des personnes concernées : où elles séjournent, ce qu’elles font, avec qui elles ont des contacts et même quelles sont leurs opinions politiques.
Un autre point qui a été étudié est celui de la coopération du BND avec la NSA, la CIA ou d’autres services de renseignement étrangers. Si la collecte de données s’est faite dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, pour parvenir à des objectifs que chacun peut partager, on peut y voir tout autre chose. Les données, recueillies durant des années sans motif concret, sont conservées et peuvent être utilisées pour l’espionnage politique et économique. Quand on constate de telles pratiques illégales de la part des services de renseignement, on peut se dire que le contrôle parlementaire – qu’il s’agisse de celui effectué par la commission des affaires Intérieures ou de celui d’autres instances – n’a pas fonctionné. Il faudrait donc examiner les compétences des instances de contrôle et ce qu’elles peuvent faire quand elles constatent des agissements non conformes à la légalité.
De tels débordements se répercutent aussi sur les relations transnationales : comme on le sait, la NSA a essayé, grâce aux informations fournies par le BND, d’espionner le gouvernement allemand. Le problème n’a donc pas seulement une dimension nationale, mais une dimension européenne, et son constat devrait constituer un signal clair pour tous les parlementaires de la nécessité de mettre un terme à de telles pratiques illégales, afin de redonner confiance à la population. En Allemagne, cette affaire a suscité un véritable scandale et une vague de mécontentement, ce qui fait qu’une partie des services de renseignement allemands sont maintenant violemment critiqués sur ce point. Pouvez-vous nous faire part de votre position sur ce point ?
Mme Marie-Anne Chapdelaine. L’examen de la loi sur le renseignement a donné lieu en France à des discussions portant sur la protection des sources des journalistes. Pouvez-vous nous indiquer comment vous avez abordé cette question en Allemagne et si la réflexion qui s’est engagée sur ce point a eu des conséquences sur le plan législatif ?
Par ailleurs, en ce qui concerne les problèmes relatifs aux pratiques des services de renseignement allemands, avez-vous prévu de systématiser les procédures d’évaluation afin d’améliorer l’efficacité de ces services, mais aussi le respect des libertés publiques ?
M. Stephan Mayer. (Interprétation) Uli Grötsch et moi-même faisons partie de l’instance parlementaire ayant vocation à contrôler les trois services de renseignement allemands. Si je reconnais volontiers que le contrôle parlementaire doit encore être amélioré, j’estime que nous disposons déjà de la possibilité d’exercer un contrôle parlementaire tout à fait satisfaisant. Certes, des erreurs ont été commises au sein du BND au cours des dernières années, notamment dans le cadre de la coopération avec la NSA. Si les engagements nationaux doivent être honorés, il convient également de veiller au respect des droits des entreprises et des personnalités politiques.
Contrairement à l’opposition, la coalition considère que la coopération entre les services – je pense en particulier à celle entretenue avec les services américains de la NSA – est nécessaire. La coopération avec la NSA, possible depuis 2011, nous a permis de découvrir et de déjouer des attentats en préparation, notamment contre des soldats en Afghanistan. La NSA est peut-être une organisation ne répondant pas à toutes nos attentes et nos valeurs, mais je pense que la sécurité des citoyens allemands profite, dans une certaine mesure, de la coopération entre le BND et la NSA. Pour ce qui est du contrôle parlementaire, il peut encore être amélioré, et nous devons le faire, en renforçant au besoin certaines règles de contrôle.
Nous nous apprêtons à adopter une nouvelle loi relative au renseignement, portant notamment sur les télécommunications interceptées à l’étranger de citoyens non allemands. En tout état de cause, je ne pense pas qu’il faille condamner en bloc le BND et sa coopération avec la NSA, et je souligne que les accusations d’espionnage économique n’ont pas été prouvées : en la matière, il n’y a que des indices et des rumeurs, mais aucune preuve du fait que les données communiquées par le BND ont permis à la NSA d’espionner les entreprises allemandes de manière à favoriser la compétitivité des entreprises américaines – même si la tentation est grande pour les services de renseignement étrangers de découvrir les secrets des grandes entreprises européennes dont les noms ont été cités, notamment EADS et Eurocopter. Le cadre juridique dans lequel travaille le BND lui permet aujourd’hui de recueillir et de communiquer des métadonnées, de surveiller de grandes entreprises – notamment celles pouvant être soupçonnées de fournir des armes ou des moyens quelconques à des réseaux terroristes ou à des pays non fiables – et il est à mon sens tout à fait justifié que ces entreprises soient soumises au contrôle de leurs communications par le BND.
Mme Martina Renner. (Interprétation) La coalition gouvernementale a présenté un projet de loi prévoyant la possibilité de stocker les données, sans qu’aucune protection ne soit prévue pour les journalistes – alors même qu’une telle protection est prévue pour d’autres professionnels. Certes, des mesures existent pour éviter que les données collectées ne soient exploitées et valorisées, mais je pense tout de même que les journalistes devraient être protégés.
M. le président Wolfgang Bosbach. (Interprétation) Je précise qu’en fait, les données sont stockées de manière indifférenciée et qu’elles restent en possession des autorités de télécommunications. C’est dans l’accès à ces données et l’utilisation qui peut en être faite qu’une distinction va être établie en fonction des groupes professionnels – dont certains, notamment les journalistes, ont vocation à être protégés.
Le BND est un service de renseignement : il ne surveille pas les citoyens allemands, mais s’occupe uniquement de renseignement extérieur. Ce principe vaut aussi bien pour les télécommunications que pour la surveillance d’internet : dès lors qu’un numéro de téléphone a pour indicatif 0049 ou qu’une adresse internet a un nom de domaine en .de, c’est tabou pour le BND !
M. Gerold Reichenbach. (Interprétation) Je ne pense pas qu’il existe en Allemagne une évaluation systématique des lois par rapport aux droits de l’homme et du citoyen. L’autorité responsable de la protection des données est indépendante par rapport aux autorités européennes et nous mettons régulièrement en œuvre, depuis 2011, un droit d’évaluation des données : dans un certain délai, les mesures juridiques adoptées doivent être évaluées par des spécialistes, et l’instance de contrôle parlementaire doit tenir compte des études ainsi réalisées. La semaine prochaine, nous allons adopter un projet de loi sur lequel nous avons travaillé durant plus de quatre ans, notamment en sollicitant l’avis d’experts.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Vous entendre parler d’un projet de loi étudié pendant quatre ans ne peut que susciter l’admiration des parlementaires français que nous sommes : chez nous, il est déjà exceptionnel que l’examen d’un projet de loi par une chambre dure huit mois.
Mme Irene Mihalic, membre de la commission de l’Intérieur du Bundestag. (Interprétation) Je suis membre du groupe parlementaire d’opposition des Verts et, contrairement à ce qu’a affirmé M. Mayer, je n’ai jamais entendu un membre de l’opposition remettre en cause la coopération entre les services de renseignement : nous considérons en effet que la coopération entre les services de renseignement au niveau international est tout à fait essentielle. En revanche, il nous paraît évident qu’il y a un problème dès lors que la coopération est prétexte à des pratiques d’espionnage mutuel et que des informations primordiales ne sont pas communiquées au service de contrôle parlementaire. Nous critiquons vivement cette situation et considérons que la coopération au niveau international doit être régulée d’une manière différente : nous devons parvenir à mieux organiser la coopération internationale afin de ne pas la mettre en danger.
Pour ce qui est de l’évaluation des lois et du stockage de données, l’opposition est régulièrement en désaccord avec la coalition au sujet de l’efficacité des lois sur la sécurité. Martina Renner a dit tout à l’heure que les lois votées après le 11 septembre 2001 devaient être réexaminées et réévaluées afin de contrôler leur efficacité et de se demander si un réaménagement n’était pas nécessaire. Stephan Mayer a, quant à lui, évoqué le durcissement de certaines dispositions récemment adoptées par le Parlement, mais tout ce que nous voyons depuis le début de la législature, ce sont des décisions prises trop tard : commencer à agir une fois que les attentats ont eu lieu ne saurait être satisfaisant.
Le procureur général dit aussi qu’il faudrait s’intéresser au financement du terrorisme. Là encore, le dispositif législatif a été durci. Pour ce qui est de la pénalisation du départ pour le djihad, le procureur général considère que les choses seront très difficiles à mettre en œuvre. Les lois votées en la matière sont-elles réellement efficaces, leur mise en œuvre n’est-elle pas trop difficile ? De réelles divergences existent sur ces questions entre la coalition et l’opposition : nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord sur ce qui constitue la meilleure voie à suivre.
J’ai beaucoup d’admiration pour ce que vous faites en France, notamment pour ce qui est des dotations des services en personnel, mais aussi des dotations financières des programmes de prévention au sein de la population civile. Je pense que nous pourrions faire beaucoup plus en la matière en Allemagne. Si nous avons mis en œuvre une bonne prévention dans certains domaines, notamment celui de la lutte contre les mouvements radicaux d’extrême droite, nous n’en sommes qu’à nos premiers pas en matière de lutte contre le terrorisme islamique, et le groupe parlementaire dont je fais partie estime que l’Allemagne a un gros travail de rattrapage à effectuer dans ce domaine.
Comme vous le savez peut-être, nous avons récemment modifié notre loi relative aux papiers d’identité et il est désormais possible de retirer la carte d’identité d’un individu afin de l’empêcher de partir faire le djihad. Une loi similaire existant en France, j’aimerais savoir à combien de retraits de pièces d’identité vous avez déjà procédé et si vous avez constaté que la mesure était efficace. Le nombre de personnes partant faire le djihad a-t-il diminué depuis que vous avez introduit cette mesure ? Par ailleurs, établissez-vous, en cas de retrait, une carte d’identité de substitution ? Cette question fait l’objet d’une vive polémique en Allemagne, où l’on se demande si le document de substitution n’a pas pour effet de stigmatiser la personne concernée en la faisant passer pour un terroriste aux yeux de tous – ce qui serait grave si c’était avéré.
Enfin, en matière de prévention, j’ai noté qu’un très grand nombre d’imams officient dans les prisons françaises – ce qui me paraît une bonne chose – alors qu’en Allemagne, il n’y en a que deux en tout et pour tout. Je vous remercie de nous éclairer sur le rôle de ces imams – ne s’agit-il que de prévention, ou également de déradicalisation ? – et sur les compétences et qualifications qui leur ont valu d’être choisis pour exercer leurs fonctions.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Pour ce qui est des retraits de carte d’identité, il en a été effectué 78 depuis que la loi a été votée.
Je donne maintenant la parole à Christian Assaf qui, ayant récemment fait partie de la commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, dispose sans doute d’éléments de réponse au sujet du renseignement pénitentiaire.
M. Christian Assaf. Je suis membre du groupe Socialiste, républicain et citoyen et député d’une circonscription du sud de la France située au bord de la Méditerranée, présentant la particularité d’abriter la ville de Lunel, connue pour avoir été le point de départ d’une trentaine de jeunes djihadistes. Cette petite commune ne compte pourtant que 20 000 habitants et est située en zone périurbaine, en Camargue : bref, ce n’est vraiment pas le lieu que l’on imaginerait constituer un centre de recrutement pour le djihadisme.
La commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, dont le rapport va être rendu public dans quelques jours, avait pour mission d’étudier les individus et les filières djihadistes sur le territoire national et de déterminer les moyens à mettre en œuvre pour lutter contre ces individus et ces filières. Elle fait suite à une autre commission d’enquête créée à la suite de l’affaire Merah – un terroriste ayant opéré en région toulousaine. Je veux dire à Stephan Mayer qu’avant de faire partie de cette commission d’enquête, mes collègues et moi-même avions tendance à penser que nombre des filières djihadistes étaient constituées de jeunes hommes musulmans, ayant basculé dans l’islamisme à l’issue d’un processus de radicalisation opéré au sein des mosquées. Or, nous devons nous défaire de tels préjugés : en réalité, comme l’a dit tout à l’heure le ministre de l’Intérieur, nous devons actuellement faire face à une menace protéiforme. Ainsi, nous nous sommes rendu compte que nombre de jeunes radicalisés n’étaient pas passés par la prison : leur radicalisation s’était faite uniquement par le biais d’internet, comme c’est le cas pour les « loups solitaires », et il s’agissait souvent de jeunes convertis à l’islam depuis quelques mois seulement – et pas seulement de jeunes hommes, mais souvent aussi de jeunes femmes ; de même, nous avons constaté que certains processus de radicalisation ne se faisaient pas au cœur de grandes agglomérations, mais en milieu rural ou périurbain.
Si la radicalisation au sein des prisons a justifié la mise en place des mesures qu’a citées le ministre de l’Intérieur, nous pensons qu’il faut aujourd’hui aller plus loin, notamment en créant un service de renseignement pénitentiaire efficace, agissant en lien avec le renseignement national. Pour ce qui est des imams, ils nous paraissent trop nombreux et insuffisamment formés : un gros effort doit également être accompli en la matière. Quant au retrait des cartes d’identité, il ne peut se concevoir sans la mise en place de contrôles accrus. Ainsi la commission d’enquête a-t-elle émis le souhait de rétablir le contrôle d’identité lors de l’embarquement en avion, y compris sur les vols intérieurs, les charters et low cost.
Enfin, j’aimerais à mon tour vous poser une question au sujet des moyens financiers, évoqués tout à l’heure sur le ton de la boutade par le ministre de l’Intérieur. Nous savons que cette guerre intérieure qu’est la lutte contre le terrorisme nécessite d’importants moyens. Dans un contexte de redressement des comptes publics, il me semble que les exécutifs français et allemand pourraient mener ensemble une réflexion afin de déterminer si l’efficacité de la lutte contre le terrorisme ne passe pas par une sacralisation des moyens qui y sont nécessaires – c’est-à-dire par le fait de ne pas appliquer à ces moyens les critères de rigueur budgétaire s’appliquant au reste de nos finances publiques.
M. Dominique Raimbourg. Je suis député du groupe Socialiste, républicain et citoyen, élu d’une circonscription de la ville de Nantes, située en Loire-Atlantique, sur l’embouchure de la Loire – et vice-président de la commission des Lois de notre assemblée.
En réponse à la question qui a été posée au sujet du nombre d’aumôniers musulmans, je précise qu’ils sont 183 pour une population pénitentiaire s’élevant à environ 68 000 détenus. Nous considérons que ce chiffre est encore largement insuffisant quand on sait qu’il y a 300 aumôniers protestants et entre 600 et 700 aumôniers catholiques : l’effort accompli dans ce domaine doit être amplifié. Les lois françaises nous interdisant de mener des investigations poussées afin de déterminer l’appartenance religieuse des détenus, nous ignorons la proportion de musulmans parmi eux. La seule indication dont nous disposions est le chiffre de 18 000 détenus pratiquant le ramadan, étant précisé que ce chiffre doit être considéré avec précaution : d’une part, tous les musulmans ne font pas le ramadan, d’autre part, certains détenus non musulmans peuvent faire le ramadan afin de bénéficier d’un repas du soir amélioré.
Quant à la formation des aumôniers musulmans, nous l’estimons insatisfaisante : un effort doit être fait en la matière. J’en profite pour vous poser une question au sujet de l’instance de dialogue avec le culte musulman que vous avez évoquée tout à l’heure. Pouvez-vous nous décrire son fonctionnement en quelques mots et nous préciser si elle prévoit des dispositions particulières pour la formation des imams et des aumôniers ? Je sais que les religions sont organisées selon des règles très différentes en France et en Allemagne, mais existe-t-il outre-Rhin l’équivalent d’un institut de théologie ?
M. Uli Grötsch. (Interprétation) Comme vous le savez, l’Allemagne est un État fédéral constitué de Länder, qui sont compétents en matière de justice : le Bundestag n’a donc qu’une influence très limitée sur cette question. Alors que plusieurs Länder ont déjà signé des accords dans ce domaine avec l’Union turco-islamique pour les affaires religieuses (DITIB) – une organisation avec laquelle travaille l’État turc –, d’autres Länder ignorent totalement cette question : nous estimons donc qu’il conviendrait d’intensifier le processus de conclusion de tels accords. En effet, il est important de pouvoir bénéficier d’une instance de dialogue, mais aussi de contrôle, ayant vocation à servir d’interlocuteur à la chancellerie. À l’initiative du ministre de l’Intérieur, il existe actuellement une conférence du monde musulman qui réunit régulièrement tous les acteurs de la communauté musulmane ainsi que des représentants de l’État, cela afin d’éviter que le dialogue ne soit rompu. Il nous semble important que nos obligations envers la communauté musulmane soient prises au sérieux : il ne faut pas exploiter cette communauté ou tenter de l’utiliser à des fins inappropriées.
Contrairement aux aumôniers chrétiens, les imams interviennent encore de façon très limitée au sein des établissements pénitentiaires, ce qui est un problème – or, nous n’avons que peu d’influence sur l’État fédéral : c’est à chacun des Länder qu’il revient de prendre des initiatives, et nous allons essayer de les inciter à le faire.
Mme Marietta Karamanli. Je suis députée de la Sarthe, membre de la commission des Lois et vice-présidente de la commission des Affaires européennes.
En matière de PNR et de données personnelles, il est évident que nous devons encore améliorer le contrôle parlementaire, mais faute de pouvoir recourir à un système européen sur ces deux questions, nous nous trouvons dans l’obligation de coopérer, donc d’accepter les conditions imposées par d’autres. Il est donc de notre intérêt d’avancer sur ces sujets : à défaut, nous devons nous contenter de systèmes venant de l’extérieur, qui ne nous conviennent pas forcément et, parfois, ne correspondent pas à notre culture européenne.
J’en viens à l’agenda européen en matière de migration, un sujet sur lequel travaillent actuellement la commission des Lois et la commission des Affaires européennes de notre assemblée. La Commission européenne a décidé de mettre en œuvre des mesures concrètes telles que des programmes de relocalisation et de réinstallation des migrants ayant atteint les pays placés en première ligne – je pense notamment à l’Espagne et à l’Italie – vers d'autres États membres de l'Union européenne.
Le principe selon lequel on ne peut instaurer de quotas pour les demandeurs d’asile – puisque l’asile est un droit – a également été affirmé. Sur ce point, la proposition figurant dans l’agenda européen repose sur un système de clés de répartition. En matière d’accueil des migrants, l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne ont déjà fait des efforts depuis longtemps, l’asile faisant partie de leur culture. Les clés de répartition prennent en compte des facteurs tels que la population, le PIB, le nombre de demandes d’asile reçues et de places de réinstallation déjà offertes au cours des cinq dernières années, ainsi que le taux de chômage. Les pourcentages retenus pour la répartition suscitent des interrogations dans la mesure où chaque État membre de l’Union européenne se trouve dans une situation qui lui est propre. Pour notre part, nous souhaitons que cela donne lieu à un débat dans les semaines à venir. Pouvez-vous nous faire part de votre avis sur ce point ?
M. Uli Grötsch. (Interprétation) Le problème des flux migratoires et des réfugiés arrivant par la Méditerranée est la conséquence des situations graves auxquelles sont confrontés les pays d’origine des migrants. Nous y voyons un sujet prioritaire, dont nous discutons chaque semaine. Pour ce qui est de la relocalisation et des quotas, nous considérons que peu de pays européens prennent ce sujet au sérieux et se sentent obligés de faire quelque chose. Lors des trois derniers jours, nous étions à Bruxelles, où nous avons rencontré de nombreux membres de la Commission européenne, des représentants des ONG et des parlementaires européens. Nous avons entendu dire que, dans une grande partie de l’Union européenne, il n’existe pas de véritable volonté d’agir : certains États n’ont aucune envie d’accueillir des réfugiés d’Érythrée ou de Syrie.
Pour notre part, nous considérons que la République fédérale doit s’engager sur cette question. Chez nous, les gens se sont déclarés disposés à aider, tout en rappelant qu’ils ne pourront pas le faire seuls : il faut que leurs partenaires européens prennent leur part, car un État ne peut accueillir à lui seul les millions de réfugiés qui s’annoncent, toutes ces personnes venues d’Afrique qui s’apprêtent à traverser la Méditerranée. J’insiste sur ce point : c’est une tâche à laquelle tous les pays de l’Union européenne doivent prendre part et, puisque certains États ne semblent pas avoir envie de le faire de leur plein gré, il faut les secouer pour leur faire comprendre qu’il s’agit d’une obligation.
Pour ce qui est de l’espionnage, je fais partie de l’instance parlementaire qui contrôle les services de renseignement en Allemagne et, pour moi, il n’est pas acceptable que nous nous espionnions les uns les autres au sein même de « la maison Europe ». Ainsi, il me paraît tout à fait inconcevable qu’un service allemand puisse espionner les services français, a fortiori quand c’est à la demande de la NSA. Je ne veux pas que les Polonais, les Danois, les Néerlandais, les Portugais soient écoutés et que les données recueillies soient transmises à la NSA : cela ne correspond pas à ma philosophie.
Vous avez un bon service de renseignement intérieur, qui travaille en étroite collaboration avec le service de renseignement intérieur allemand, comme avec les services de renseignement de l’Europe tout entière. Lors des élections législatives allemandes de 2013, la chancelière Merkel a affirmé aux citoyens qu’il existait un accord de non-espionnage avec les États-Unis, ce dont il n’a en réalité jamais été question, comme nous le savons désormais. Pour ma part, j’estime qu’un tel accord de non-espionnage doit être un sujet de réflexion pour l’Europe, et j’aimerais connaître votre avis sur ce point.
Mme Irene Mihalic. (Interprétation) Je voudrais compléter ce que vient de dire Uli Grötsch à propos de l’évolution en matière d’accueil des réfugiés. Nous, les Verts, sommes très sceptiques sur le principe de relocalisation par quotas des réfugiés. Nous pensons que les pays européens disposent de capacités d’accueil très variables, et que les normes applicables diffèrent elles aussi d’un pays à l’autre. Le droit d’asile est un droit de l’homme qu’il est essentiel de respecter, et nous aimerions accueillir de notre mieux les réfugiés arrivant en Europe. Pour cela, nous ne pouvons nous permettre de les exporter sans leur accord vers tel ou tel pays qui n’est pas forcément en mesure d’offrir des conditions d’accueil satisfaisantes.
Ce point suscite d’ailleurs une controverse au sein de la population allemande. Si le peuple allemand est prêt à faire de son mieux pour accueillir un maximum de réfugiés, certains groupes extrémistes d’extrême droite tentent de déstabiliser la situation et de saper les efforts de la majorité de la population allemande en créant une ambiance haineuse contre les réfugiés. J’espère que nous parviendrons à mettre en place, dans toute l’Union européenne, des normes similaires permettant de respecter les valeurs humanitaires, notamment celles visant à favoriser le rapprochement des familles : nous ne voudrions pas que des réfugiés ayant des parents déjà installés en Allemagne soient obligés d’aller dans d’autres pays. Il nous paraît important de ne pas perdre de vue la dimension humaine lorsque l’on parle de réfugiés.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Pour répondre à la question de l’espionnage évoquée par Uli Grötsch, je vous rappelle ce que j’ai dit hier à ce sujet, à savoir qu’il n’existe pas en France de loi sur les services de renseignement. Dans ce domaine, il n’y a pour le moment qu’un texte de 1991 encadrant les écoutes téléphoniques, et le projet de loi dont nous discutons actuellement doit justement permettre d’encadrer globalement les services.
J’observe le milieu du renseignement depuis maintenant quatre ans, notamment en ma qualité de membre de la structure commune à l’Assemblée nationale et au Sénat ayant vocation à surveiller les services de renseignement, et je me suis bâti une philosophie assez simple en la matière : dans le domaine de la surveillance et du renseignement, les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Il faut donc que nous soyons lucides : nous avons des partenariats – nous travaillons aussi bien avec le BND qu’avec les services anglais, le Mossad israélien ou la NSA – mais souhaitons rester souverains, c’est-à-dire recourir à nos propres outils et ne pas dépendre d’une autre structure.
Dans le passé, une discussion a eu lieu sur ce point avec les Américains et, quand ils sont venus nous proposer des collaborations, nous les avons refusées au motif que nous ne discutions qu’une fois munis de nos propres outils. Le respect de ce principe nous permet aujourd’hui, quand nous intervenons sur les théâtres d’opérations étrangers, notamment au Mali, de ne pas dépendre d’informations provenant d’une puissance étrangère, fût-elle amie.
De ce fait, quand j’ai découvert que les services de renseignement allemands avaient espionné les Français pour le compte de la NSA, cela ne m’a pas posé de problème. Nous travaillons en parfaite harmonie avec nos partenaires sur certains sujets – la lutte contre le terrorisme en est un – et, quand notre pays a été frappé par des attentats, le principal service de renseignement intérieur a reçu immédiatement le soutien de tous les autres services occidentaux, qui l’ont appelé pour mettre à sa disposition les renseignements en leur possession susceptibles de l’intéresser.
Cela dit, je ne crois pas à une dimension véritablement européenne en matière de renseignement. Je me suis rendu vendredi devant la commission LIBE présidée par M. Claude Moraes, où j’ai pu constater que nos amis roumains et polonais étaient très énervés contre les services de renseignement allemands et américains. Pour ma part, je considère utopique d’imaginer que nous ne nous renseignions pas sur tout le monde – y compris sur nos amis – et je ne trouve pas cela anormal du moment que nous n’en faisons pas mystère.
Ce qui me gêne, en revanche, c’est que le Parlement ne soit pas en mesure de savoir tout ce que font les services de renseignement – c’est pourquoi nous voulons légiférer sur ce point : la loi à venir donnera aux services les moyens qui leur font actuellement défaut et, en contrepartie de ces moyens nouveaux, les assujettira à des contrôles beaucoup plus forts. Si tout le monde s’est déclaré d’accord sur le principe, il restera à voir ce qu’il en est en pratique : disposer d’un droit de regard théorique est une chose, avoir les moyens de l’exercer en est une autre. Notre travail – nous en avons parlé ce matin lors d’une réunion avec nos collègues du Sénat – va consister, une fois la loi votée, à faire en sorte que nous soyons dotés des moyens humains et techniques qui s’imposent. Sur ce dernier point, j’insiste sur l’importance pour nous de disposer des mêmes outils technologiques que les services que nous sommes censés contrôler, et des compétences nécessaires pour les faire fonctionner. C’est, pour le Parlement français, une bataille à gagner dans les deux ans à venir.
M. Gerold Reichenbach. (Interprétation) Je veux revenir sur la question relative au PNR, dont il a déjà beaucoup été question à la Commission européenne. Un cadre sera vraisemblablement défini d’ici à deux ans, qui permettra d’assurer la protection des données individuelles. Le plus important est de savoir quelles données seront transférées, en particulier aux États-Unis. Nous aurons un cadre législatif commun en Europe dès le début de l’année 2016, peut-être même fin 2015 – je crois que le Conseil européen est déjà largement d’accord sur ce point. Le représentant de la Commission pense que l’accord sur les États-Unis permettra de réglementer l’échange de données : on attend pour le moment que le Sénat et le Congrès américains acceptent les conditions posées par l’Union européenne.
Par ailleurs, le Parlement européen et la Commission européenne doivent faire en sorte que la directive sur l’échange de données en Europe pour tout ce qui concerne la coopération policière et juridique se fasse dans le même cadre que ce qui concerne la protection des données, en particulier l’accord sur le PNR. La directive PNR devrait être prête au début de l’année 2016. Notre ministre a souligné à Bruxelles que c’était notre intérêt commun. Les travaux déjà réalisés devraient favoriser une ligne de compromis en matière de coopération policière et judiciaire. Nous aurons alors un texte qui réglementera l’échange de données en Europe.
Mme Élisabeth Pochon. Vous avez dit tout à l’heure que la sécurité venait au troisième rang des préoccupations des Allemands : pouvez-vous nous indiquer quelles sont les deux premières ? Par ailleurs, les associations expriment-elles, en Allemagne, de fortes revendications en matière de liberté sur internet ?
M. Gerold Reichenbach. (Interprétation) Si les choses varient un peu en fonction des sondages, il est généralement admis que les premières préoccupations des Allemands sont d’une part la justice sociale, notamment les prestations sociales, d’autre part la sécurité des retraites – nos compatriotes craignent beaucoup la pauvreté dans la vieillesse.
Pour ce qui est de la résistance des associations à la surveillance d’internet, on constate en Allemagne, comme c’est sans doute également le cas en France, des pressions très fortes de la part de lobbyistes économiques, qui s’expriment pour défendre leurs intérêts économiques. À cela, je réponds toujours par l’article 1er de la Loi fondamentale, qui affirme que la dignité de l’être humain est intangible tout comme notre modèle économique.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vous remercie toutes et tous pour cet échange au cours duquel j’ai personnellement beaucoup appris. Au nom de notre Commission, je souhaite un bon retour à nos collègues allemands.
La séance est levée à 11 heures 45.
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Information relative à la Commission
La Commission a désigné :
– Mme Danielle Auroi, rapporteure sur la proposition de résolution européenne de Mme Danielle Auroi relative à la responsabilité sociétale des entreprises au sein de l'Union européenne (n° 2762).
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Christian Assaf, M. Dominique Bussereau, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Jean-Michel Clément, M. Philippe Doucet, Mme Marietta Karamanli, Mme Elisabeth Pochon, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant
Excusés. - M. Jacques Bompard, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Jean-Pierre Decool, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Hugues Fourage, M. Guy Geoffroy, M. Daniel Gibbes, M. Philippe Gosselin, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Sandrine Mazetier, M. Jacques Pélissard, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Bernard Roman, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Paola Zanetti, M. Michel Zumkeller