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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 7 juillet 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 84

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Audition de Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, sur le projet de loi organique relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté (n° 2912) (M. René Dosière, rapporteur) et le projet de loi relatif à la modernisation du droit de l’outre-mer (n° 2910) (Mme Paola Zanetti, rapporteure) et examen de ces textes

La séance est ouverte à 16 heures 35.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l’audition de Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, dans le cadre de l’examen du projet de loi organique relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté (n° 2912) (M. René Dosière, rapporteur) et du projet de loi relatif à la modernisation du droit de l’outre-mer (n° 2910) (Mme Paola Zanetti, rapporteure).

La Commission examine tout d’abord, sur le rapport de M. René Dosière, le projet de loi organique, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté (n° 2912).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, que je remercie pour sa disponibilité – d’autant plus appréciable que son domaine de compétences l’amène souvent à s’éloigner de la métropole. Pour utiliser au mieux le temps que vous consacrez au Parlement, nous vous avons invitée alors que nous devons étudier deux textes : un projet de loi organique relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, dont René Dosière est le rapporteur, et un projet de loi dit de modernisation du droit de l’outre-mer, dont Paola Zanetti est la rapporteure.

Je vous propose, madame la ministre, de vous exprimer pour commencer sur le projet de loi organique relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, qui ne fait l’objet d’aucun amendement.

Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, c’est toujours un plaisir de revenir à l’Assemblée nationale.

Le projet de loi organique sur la Nouvelle-Calédonie, sous des dehors techniques, voire austères, marque une étape significative dans le processus de sortie de l’Accord de Nouméa, ouvert l’an dernier, qui doit préparer la consultation relative à l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Cette consultation, prévue par le point 5 de l’Accord, doit intervenir entre aujourd’hui – si le Congrès de la Nouvelle-Calédonie le souhaite – et fin 2018. Le présent texte propose une série de mesures qui doivent être mises en œuvre pour qu’elle se déroule de la manière la plus paisible et la plus incontestable possible. Il fait suite au comité des signataires de l’Accord de Nouméa, qui s’est tenu à Paris le 3 octobre 2014. À cette occasion, le Gouvernement s’était engagé à déposer un projet de loi organique permettant, d’une part, d’étendre les cas d’inscription d’office sur la liste électorale spéciale pour la consultation prévue par le point 5 de l’Accord de Nouméa, et d’autre part, d’améliorer le fonctionnement des commissions administratives spéciales chargées d’établir la liste électorale spéciale pour la consultation et de réviser la liste électorale spéciale pour les élections provinciales. Nous avons enfin prévu de mettre en place une instance consultative d’experts chargée d’harmoniser les pratiques des différentes commissions administratives spéciales, leur fonctionnement ayant fait l’objet de récriminations récurrentes.


Le projet initial du Gouvernement, qui respectait strictement les avis du Conseil d’État, a suscité l’inquiétude d’une partie des Calédoniens. Aussi l’avis rendu par le congrès de Nouvelle-Calédonie était-il réservé et assorti d’une série de propositions d’amendements. À la suite de cet avis, le Gouvernement a lancé des consultations afin d’identifier, parmi les amendements proposés par le congrès, ceux susceptibles de faire l’objet d’un large accord entre les partenaires calédoniens. À cette occasion, le président de votre Commission, Jean-Jacques Urvoas, ainsi que le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui s’étaient rendus en Nouvelle-Calédonie dans le cadre d’une mission parlementaire se sont émus de l’incompréhension manifeste dont ce texte faisait l’objet sur place. Le Premier ministre a donc décidé de convoquer un comité des signataires extraordinaire, autrement dit l’instance politique calédonienne du plus haut niveau – qui de surcroît a l’avantage de réunir toutes les parties, y compris les indépendantistes non représentés au Parlement – susceptible d’apporter des réponses à ces interrogations.

Ce comité, présidé par le Premier ministre, s’est tenu le 5 juin dernier. Il fut extraordinaire à plus d’un titre : par son sujet – les questions électorales –, par sa durée – plus de douze heures –, et par ses conclusions – un accord très attendu. Je tiens à saluer devant vous l’ensemble des acteurs politiques de la Nouvelle-Calédonie qui ont rendu ce compromis possible, notamment les députés de la Nouvelle-Calédonie : Mme Sonia Lagarde et M. Philippe Gomes. Au Sénat, j’ai également rendu hommage au sénateur Pierre Frogier et à M. Rock Wamytan ; tous ont fait souffler sur ce comité un esprit de concorde salutaire.

Le comité des signataires a permis de lever des doutes et des malentendus. Tous les partenaires étaient convaincus que s’il fallait discuter de manière franche et sincère, il était tout aussi indispensable de trouver des solutions politiques aux questions posées. Ils se sont ainsi accordés sur la nécessité d’étendre à la plupart des citoyens calédoniens nés sur le territoire la procédure d’inscription d’office qui permettra de les dispenser des formalités d’inscription sur les listes électorales spéciales. L’administration se chargera de la constitution des dossiers de demande d’inscription en croisant des listes d’ores et déjà existantes qui peuvent permettre d’identifier les différentes catégories concernées. Au total, plus de 80 % des électeurs potentiels verront leur inscription facilitée et n’auront aucune démarche individuelle à faire. Si les démarches des électeurs en seront grandement facilitées, la tâche de l’administration sera autrement plus complexe, puisqu’il lui faudra retrouver tous les électeurs en droit de participer à la consultation et de vérifier qu’ils sont bien en droit de le faire.

En second lieu, les partenaires ont débattu du fonctionnement des commissions administratives spéciales. Le président de chaque commission pourra lancer des mesures d’investigation en cas de doute sur les cas qui lui seront soumis. Mais les partenaires n’ont pas souhaité donner suite à notre proposition de permettre au président d’éliminer des demandes manifestement infondées, préférant que la commission se prononce elle-même. Enfin, il a été question, pour renforcer l’objectivité attendue de ces commissions, d’y faire figurer un deuxième magistrat ; finalement, les parties se sont entendues pour le remplacer par une personnalité qualifiée indépendante, chargée d’un rôle d’observateur, afin de rendre le travail de ces commissions incontestable.

La question des listes électorales spéciales pour les élections provinciales fait l’objet d’un débat déjà ancien : certains pensaient, que compte tenu de l’Accord de Nouméa, certains électeurs y figuraient indûment. Le critère déterminant posait également problème : est-ce le fait d’avoir habité en Nouvelle-Calédonie avant 1998 ou celui d’avoir été inscrit sur les listes électorales à la même période ? Au fil des années, les réponses ont varié. Le comité a pris une position sage en souhaitant commencer par évaluer l’ampleur du problème : le litige n’est pas du même ordre selon que le nombre de personnes indûment inscrites est de cinq ou de trente mille personnes. Nous avons décidé de procéder à une analyse sur des listes anonymisées afin de vérifier que tous ceux qui y sont inscrits ne prêtent à aucune contestation, mais il faudra sans doute distinguer entre les inscriptions intervenues avant et après 1998. Une fois les données du litige clarifiées, le prochain comité des signataires pourra apporter une solution juridiquement correcte et politiquement acceptable. Cet accord raisonnable a été accueilli par la population calédonienne avec soulagement et espoir. Le déroulement du comité a montré la volonté de l’État de demeurer équidistant, mais également sa détermination à s’engager pleinement dans le processus en tant que partenaire de l’Accord de Nouméa – attitude de nature à apaiser les esprits sur place.

Dans la foulée du comité du 5 juin 2015, des réunions ont été organisées sur place pour transcrire en droit cet accord politique. Des amendements ont été débattus par les partenaires calédoniens à Nouméa, sous l’égide du haut-commissaire, puis adoptés à l’unanimité en commission des Lois au Sénat. En effet, les sénateurs ont admis que si les partenaires calédoniens étaient parvenus à un accord tout en nuances, il fallait respecter cet équilibre et n’y toucher que d’une main tremblante. C’est pourquoi le Gouvernement ne souhaite pas rouvrir la discussion sur d’autres sujets, aussi légitimes soient-ils, que ceux évoqués lors du comité des signataires du 5 juin dernier. Ce texte étant centré sur la consultation de sortie de l’Accord de Nouméa, nous avons obtenu des sénateurs de renoncer à y intégrer des amendements qui ne s’inscrivaient pas dans ce cadre. Je souhaiterais que les députés adoptent une position similaire : ce texte transcrit un équilibre politique abouti qu’il importe de ne pas alourdir par des scories. Nous avons besoin de l’adopter rapidement car le travail pour construire la liste électorale sera long et il conviendrait de le commencer rapidement. En revanche, nous aurons l’occasion, cet automne, de travailler sur une proposition de loi organique relative à la Polynésie dans laquelle il sera possible – si les Polynésiens l’acceptent – d’insérer des dispositions relatives aux autres territoires d’outre-mer. Cette façon de légiférer laissera au présent texte une forme d’unité qui me semble souhaitable.

Nous sommes aujourd’hui bien engagés dans la voie de sortie de l’Accord de Nouméa et nous avons besoin du concours de tous, des acteurs de la majorité comme de ceux de l’opposition, au niveau local comme au niveau national. Le Gouvernement est très investi dans cette tâche, mais je compte beaucoup sur les parlementaires de tous bords pour nous permettre de mener la Nouvelle-Calédonie jusqu’à cette consultation dans des conditions aussi apaisées et incontestables que possible. Chacun a sa part à prendre dans cette tâche délicate.

M. René Dosière, rapporteur. Pour être technique, ce texte n’en est pas moins d’une grande importance politique pour la Nouvelle-Calédonie. En effet, il touche au corps électoral ; or dans ce que l’accord de Nouméa nomme le « processus de décolonisation pacifique de la Nouvelle-Calédonie », le principe de sortie démocratique a été accepté par tous les partenaires, y compris les Kanaks. Les années précédentes, le Gouvernement avait eu la tentation de faire de la Nouvelle-Calédonie une colonie de peuplement en mettant les Kanaks en minorité par rapport aux Européens. C’est pourquoi les Kanaks ont souhaité, tant dans les accords Matignon que dans l’Accord de Nouméa, restreindre le corps électoral aux seuls Calédoniens directement concernés, qui justifiaient d’une période de résidence d’au moins dix ans au moment du vote. Toutefois, si tous les partenaires ont accepté le principe d’un corps électoral restreint, certains estimaient que celui-ci devait être glissant – au bout de dix ans, on retrouvait le droit de vote – alors que d’autres soutenaient qu’il devait être gelé à la date du vote sur l’Accord de Nouméa, le 8 novembre 1998. Après quelques péripéties, en 2007, le Parlement, par révision constitutionnelle, a opté pour la seconde solution.

Depuis, certains Français, que cette disposition privait du droit de vote lors des élections provinciales, ont pu être inscrits sur les listes, ce qui a suscité des contestations. Ce problème, que le texte examiné laisse de côté, a été acté par les partenaires du comité des signataires et fera l’objet d’une étude politique ultérieure. Le projet de loi organique ne porte que sur la consultation finale de l’Accord de Nouméa, qui décidera de l’éventuel accès à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. Cette consultation n’interviendra vraisemblablement qu’en novembre 2018, mais le Gouvernement s’est attaché à la rendre inattaquable en établissant rapidement cette liste électorale particulière. Contrairement aux listes spécifiques aux élections provinciales, la composition de la liste de sortie n’a jamais fait l’objet de contestation ; mais il faut l’élaborer assez tôt pour qu’un maximum d’électeurs puissent y être inscrits d’office, conformément à la décision du comité des signataires. S’il faut encore veiller à améliorer le fonctionnement des commissions électorales, on doit se réjouir que le contentieux électoral soit d’ores et déjà réglé.

L’Accord de Nouméa prévoyait que si la première consultation de sortie était négative, une deuxième devait avoir lieu ; si celle-ci était à nouveau négative, il en fallait une troisième. En établissant la loi organique en 1999, nous avions estimé possible de s’arrêter à deux consultations, mais le Conseil constitutionnel en a jugé autrement, considérant qu’il fallait respecter les termes de l’Accord de Nouméa. Suivant sa demande, le Gouvernement a rétabli cette disposition.

Le domaine étant éminemment politique, l’Assemblée nationale peut ratifier le texte approuvé par les partenaires locaux. Pourtant, si en l’occurrence une ratification paraît souhaitable et conforme à l’Accord de Nouméa, l’Assemblée aura tout loisir de retrouver son pouvoir d’initiative à l’occasion d’autres dispositions relatives à la Nouvelle-Calédonie sans avoir à consulter systématiquement le comité des signataires qui, et c’est heureux, n’est pas compétent dans tous les domaines touchant au fonctionnement de ce territoire.

Je vous invite, à l’instar des sénateurs, à adopter ce texte en l’état.

M. Philippe Gomes. Ce texte, qui vise à définir les catégories de Calédoniens qui seront inscrits d’office sur la liste électorale du référendum de sortie, est pour nous d’une grande importance. En l’état, la loi prévoit que chacun des 150 000 Calédoniens doit effectuer une démarche individuelle auprès de sa commune ; cette procédure serait inefficace et aurait probablement conduit beaucoup de Calédoniens à ne pas user de leur droit, mettant la sincérité du scrutin en question. Ce n’est pas une mince affaire de dire si l’on est pour ou contre l’indépendance du pays ; il est donc souhaitable que le scrutin se déroule dans les meilleures conditions possible, et que celles et ceux qui peuvent voter en aient tous la possibilité. Ce texte représente donc une très bonne nouvelle.

Aux termes du comité des signataires d’octobre 2014 – dont ce projet de loi est directement issu –, deux catégories de Calédoniens devaient être inscrits d’office : les Calédoniens de statut civil coutumier, c’est-à-dire les Kanaks, et les Calédoniens nés en Nouvelle-Calédonie et y ayant le centre de leurs intérêts matériels et moraux. Le comité des signataires d’octobre 2014 avait considéré que l’inscription de ces citoyens sur la liste électorale générale suffisait à prouver que le centre de leurs intérêts matériels et moraux était situé en Nouvelle-Calédonie ; ce critère a été retenu dans le projet de loi rédigé dans le prolongement de ce comité, mais le Conseil d’État, madame la ministre, l’a jugé insuffisant, estimant que la seule inscription sur la liste électorale générale ne signifiait pas à elle seule que l’on y avait le centre de ses intérêts matériels et moraux. Mais tout en fermant cette porte, le Conseil d’État en avait pourtant ouvert une autre en précisant que son avis ne visait qu’une inscription sur la liste générale non assortie d’une condition de durée. Hélas, le Gouvernement n’a pas exploré cette piste, le projet de loi organique initialement retenu prévoyant en effet que les Kanaks seront inscrits d’office, alors que les autres citoyens devront effectuer des démarches individuelles. Ce dispositif était grotesque, voire dangereux : en effet, comment parler de citoyenneté calédonienne rassemblant les Calédoniens au-delà de leur couleur de peau et de leurs histoires, comment parler d’un destin commun à construire ensemble si une partie de la population calédonienne, d’origine kanak, est inscrite d’office alors que l’autre doit se plier à une série de démarches individuelles pour pouvoir voter ?

Des manifestations locales ont exprimé l’émotion et l’incompréhension de la population face à ce dispositif. Une mission parlementaire présidée par Claude Bartolone et comprenant Jean-Jacques Urvoas et Philippe Gosselin s’est déplacée en Nouvelle-Calédonie et a proposé au Premier ministre de réunir un comité des signataires exceptionnel afin de ne pas poursuivre dans cette voie sans issue. Le comité des signataires du 5 juin 2015 a opté pour la solution esquissée en octobre 2014 en empruntant la porte ouverte par le Conseil d’État : dès lors qu’ils sont inscrits sur la liste pour les élections provinciales – c’est-à-dire qu’ils sont citoyens calédoniens –, les Calédoniens nés en Nouvelle-Calédonie pourront être inscrits d’office sur la liste électorale de sortie. En effet, pour être inscrit sur la liste provinciale et être citoyen, il faut être arrivé en Nouvelle-Calédonie avant novembre 1998. Or le Conseil d’État considère que le fait d’être citoyen constitue le faisceau d’indices nécessaire pour estimer que le centre des intérêts matériels et moraux de la personne se trouve en Nouvelle-Calédonie.

Le texte proposé aujourd’hui prévoit que les Calédoniens de statut civil coutumier comme les Calédoniens nés en Nouvelle-Calédonie et inscrits, en qualité de citoyens, sur la liste électorale provinciale, seront tous inscrits d’office pour le référendum de sortie de l’Accord de Nouméa. Cette disposition concerne donc 80 à 85 % des Calédoniens. Les 10 à 15 % restants devront effectuer des démarches individuelles et fournir des documents justifiant leur droit à être inscrits sur cette liste électorale. Même s’il ne traite que d’une modalité technique du scrutin, ce texte contribue à construire le destin commun auquel nous sommes les uns et les autres appelés sur cette terre, malgré les heurts qui ont pu nous opposer à certains moments de l’histoire.

Mme Sonia Lagarde. Ce projet de loi organique appelle plusieurs observations. Il s’agit tout d’abord de mettre l’accent sur le consensus obtenu sur cette question polémique et douloureuse du corps électoral lors du comité des signataires exceptionnel qui s’est tenu le 5 juin dernier. Le projet de loi organique initial avait soulevé la colère des Calédoniens, et le président de l’Assemblée nationale en avait fait les frais lors de son récent voyage. Après ce comité des signataires, le Gouvernement a assoupli le projet en inscrivant d’office les électeurs nés après le 1er janvier 1989, inscrits sur la liste électorale spéciale pour les élections provinciales et dont l’un des parents a été admis à participer à la consultation du 6 novembre 1998, ainsi que les natifs de Nouvelle-Calédonie inscrits sur la liste spéciale pour les élections provinciales.

Le problème du corps électoral a été tranché, mais seulement pour partie : chaque année, au moment de la révision des listes électorales en mairie, ressurgissent les demandes de radiation déposées par les indépendantistes. II était temps de sortir de cette impasse pour aborder plus sereinement les discussions sur l’avenir du territoire. Moins contraignantes que dans le premier projet, les dispositions retenues ne sont certes pas totalement satisfaisantes, mais elles marquent une avancée. Tout découle du gel du corps électoral de 2007 et de la situation conflictuelle qui s’en est suivie sur l’interprétation de l’Accord de Nouméa, dont la rédaction particulièrement complexe prêtait à toutes les interprétations.

Le comité des signataires a revêtu une forme consensuelle et permis une avancée sur la question du corps électoral ; mais s’est-il pour autant inscrit dans une réelle volonté d’aboutir dans le processus des discussions sur l’avenir institutionnel ? Rien n’est moins sûr. Le temps presse, le compte à rebours est déjà bien entamé sans que rien ne se passe. C’est là que réside désormais le principal sujet d’inquiétude.

Le projet examiné est le fruit d’un dialogue constructif. Je souhaite qu’à l’instar du Sénat, la Commission comme l’Assemblée nationale, le 15 juillet prochain, fassent preuve de sagesse. Espérons que le consensus trouvé lors du dernier comité des signataires exceptionnel s’étende désormais aux discussions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Nous jouons la montre. Il faudrait se mettre autour d’une table pour entrer dans le vif du sujet : la construction d’un vivre-ensemble. C’est aujourd’hui un autre sujet d’inquiétude.

M. Sébastien Denaja. Au nom des députés du groupe Socialiste, républicain et citoyen, je voudrais avant tout saluer l’esprit de concorde qui a inspiré les travaux du comité des signataires et les efforts du rapporteur – fin connaisseur de la Nouvelle-Calédonie – qui ont conduit à l’élaboration de ce texte. Je voudrais également assurer le Gouvernement, et en particulier Mme la ministre, de notre soutien total. Ce texte consensuel nous semble répondre aux attentes de la population calédonienne et de tous ceux qui veulent bâtir ensemble l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, de Nouméa à Koumac, de Bourail à Hienghène, de Lifou à Ouvéa, en passant par Maré. Soyez assurée, madame la ministre, que les députés de notre groupe seront à vos côtés pour que continue de souffler l’esprit de concorde que vous avez évoqué dans votre propos liminaire ; la sérénité de votre voix ne pourra qu’inspirer la continuité de nos travaux.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Madame la ministre, je voudrais exprimer mon soulagement devant l’issue que vous nous proposez. Lors des débats au Sénat, un de nos collègues a qualifié ce projet d’« enfant du miracle ». Le terme me paraît assez adapté. Quand le 24 avril, le président Bartolone et moi nous sommes rendus à Nouméa dans un déplacement prévu de longue date, nous ne nous attendions pas à constater l’incompréhension qu’évoquait Philippe Gomes. Il est troublant, en atterrissant à la Tontouta, de voir des panneaux annonçant une manifestation : « Tous Calédoniens, tous Français : non à l’indépendance ! » On n’avait pas vu ce genre d’affichage politique depuis très longtemps en Nouvelle-Calédonie. Jamais je n’avais davantage constaté combien la distance entre Paris et Nouméa ne pèse pas le même poids quand on va dans un sens et dans l’autre : une information qui vient de Paris et arrive à Nouméa gagne en déflagration, alors qu’un message qui part de Nouméa vers Paris perd au contraire en intensité. Le président Bartolone, Philippe Gosselin et moi-même n’avions pas le sentiment d’arriver dans une terre où l’État socialiste allait préparer un « trucage » des listes électorales pour organiser une marche forcée vers l’indépendance ! Il n’était qu’à lire les slogans inscrits sur les affiches de la manifestation du 24 avril devant les grilles du haut-commissariat : « Non aux socialos collabos ! », « Nous entrons en résistance contre l’État socialiste ! », « Non au trucage des listes électorales ! » Quand on vient animé par l’esprit de consensus qui a marqué les travaux de l’Assemblée nationale depuis les accords de Matignon, avec Michel Rocard, et l’Accord de Nouméa, avec Lionel Jospin, qu’on a accompagné Jean-Marc Ayrault en juillet 2013 devant le congrès de Nouvelle-Calédonie, et le président de la République, François Hollande, dans son voyage de novembre 2014, on ne peut qu’être surpris d’entendre l’inquiétude manifestée par les huit à dix mille personnes rassemblées devant les grilles du haut-commissariat. Il est donc heureux que le Gouvernement ait, avec patience et ténacité, expliqué nos intentions.

Quand on cherche à comprendre la Nouvelle-Calédonie, on est d’abord confronté à une incroyable difficulté de lecture : entre l’Accord de Nouméa, le titre XIII de la Constitution et la loi organique du 19 mars 1999 – l’article 218 d’un côté, et l’article 188 de l’autre –, le pointillisme juridique va jusqu’à rendre les choses totalement incompréhensibles. La notion de corps électoral restreint – qui laisse à penser qu’un citoyen calédonien pourrait être privé d’un droit de vote – ne peut qu’heurter celui qui débarque sur la Caillou. Il fallait donc ramener le calme et la sérénité. L’initiative du président de l’Assemblée nationale – dont il vous a informée, madame la ministre – a permis de parvenir à cette proposition. Vous l’avez concrétisée et il faut vous en remercier, tout comme il faut remercier le Premier ministre d’avoir présidé ce comité des signataires exceptionnel qui le fut tant par sa durée – douze heures – que par la qualité des propositions auxquelles il a abouti.

René Dosière l’a rappelé, il est toujours frustrant pour les parlementaires d’être cantonnés dans un rôle de greffier scrupuleux ; mais nous l’acceptons aujourd’hui avec responsabilité, convaincus qu’il s’agit d’une page supplémentaire de l’histoire qui fait honneur aux élus de Nouvelle-Calédonie et aux signataires des accords, parmi lesquels Jean Lèques, Harold Martin, Simon Loueckhote, Rock Wamytan, Paul Néaoutyine et Pierre Frogier. Je voudrais rendre hommage à tous ceux qui participent aux travaux du comité ; ils se montrent à la hauteur du défi et contribuent à la construction par la France de ce processus de décolonisation qui figure dans l’Accord de Nouméa.

En relisant les propos visionnaires de François Mitterrand dans sa Lettre à tous les Français de 1988 et les mémoires de Jacques Lafleur, L’Assiégé, on mesure à quel point l’histoire mord la nuque des élus actuels ; nous devons rester dans les pas de ceux qui ont posé ces actes de pacification. Le texte proposé aujourd’hui représente un très bon projet de loi organique ; il permettra, d’ici la prochaine réunion du comité des signataires, d’en concrétiser les orientations : si les Kanaks sont automatiquement inscrits sur la liste de sortie, encore faudra-t-il s’assurer que l’on dispose d’un registre fiable : il peut se poser des problèmes d’homonymie, par exemple. Si la question du tableau annexe a fait l’objet de tant de débats, c’est parce que l’État ne l’a pas traitée au moment où il le fallait. En prenant aujourd’hui des engagements d’automaticité, essayons de tirer les leçons de nos échecs. C’est avec beaucoup de soulagement que je voterai ce texte en séance.

M. Dominique Bussereau. Avant de m’exprimer en tant que président de la mission d’information sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie – dont, monsieur le président, vous êtes le rapporteur –, je voudrais m’exprimer en tant que député. Pour faire partie de cette Commission qui a travaillé sur les statuts de la Nouvelle-Calédonie depuis 1987, et pour m’être souvent rendu sur ce territoire, j’estime que la teneur de ces panneaux qui vous ont tant choqués s’explique par le sentiment d’exclusion d’une grande partie de l’électorat de la Nouvelle-Calédonie. Si une partie de la population ne peut pas participer à un scrutin, ou ne peut y accéder qu’au prix de démarches complexes, il est normal qu’elle réagisse fortement. N’oublions pas que 10 000 personnes manifestant en Nouvelle-Calédonie, cela équivaut à 2 millions de gens dans les rues de Paris : on a déjà vu des pouvoirs reculer, y compris sur des sujets de société tels que l’école libre. Ces événements ne sont donc pas anodins, mais je partage l’esprit des paroles fortes que vous avez prononcées. Sitôt après le comité des signataires, la mission d’information a reçu Mme la ministre et entendu nos collègues Philippe Gomes et Sonia Lagarde et les sénateurs. Il est heureux que nous soyons sortis par le haut d’une difficulté qui allait à l’encontre de notre objectif commun : une réflexion non partisane sur la Nouvelle-Calédonie et l’organisation des suites des accords de Matignon et de l’Accord de Nouméa, dans un esprit de consensus plus que d’affrontement.

M. Philippe Gosselin. Nous semblons tous éprouver le même soulagement et cela augure bien de la suite. Le début de l’année a été marqué par de grandes inquiétudes ; la tension est montée rapidement, mais nous n’imaginions pas, au moment de notre déplacement en Nouvelle-Calédonie aux côtés du président Bartolone, à quel point cette mission tombait au moment opportun.

Il faut nous réjouir de la victoire de la raison et de la bonne volonté, même si nous sommes encore loin de la fin du processus. Les groupes de travail se sont régulièrement réunis et le comité des signataires a passé de longues heures à valider les dispositions esquissées sur place. Mais le résultat va bien au-delà de ces éléments techniques, car pouvoir retirer des hommes et des femmes des listes électorales qui leur permettent de voter sur leur avenir, c’est pratiquement avoir sur eux un droit de vie ou de mort ! Il est heureux que le bon sens l’ait emporté et je tiens à saluer les efforts des uns et des autres qui ont conduit à ce dénouement : je veux y voir un petit signe favorable pour les mois et les années durant lesquels nous travaillerons sur ce dossier qui intéresse au plus haut point nos concitoyens calédoniens. Nous avons aujourd’hui collectivement franchi une étape importante.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je crois, madame la ministre, que votre appel à la sérénité et au rassemblement aura été entendu !

Mme la ministre. Je ne sous-estime pas l’émotion qui s’est manifestée à Nouméa à la suite de la première version du projet de loi organique. Reste que nous vivons dans un État de droit et un Gouvernement ne peut pas déposer un texte sans tenir compte de l’avis du Conseil d’État. Je ne crois pas que ce dernier se soit décidé au vu de considérations ethniques : il a simplement considéré que, dans certains cas, l’on pouvait s’appuyer sur des données objectives pour autoriser une inscription d’office alors que dans d’autres, c’était plus compliqué. Mais il ne s’agissait pas de priver qui que ce soit de son droit d’être électeur.

Une fois qu’on a pris la mesure de l’émotion, les juristes du ministère des Outre-mer et ceux du secrétariat général du Gouvernement ont cherché une formule permettant de créer une passerelle entre le but visé et la conception habituelle du centre des intérêts matériels et moraux – notion très connue et très contestée dans les territoires d’outre-mer –, sur laquelle s’était appuyé l’Accord de Nouméa. C’est tous ensemble que nous avons trouvé cette voie étroite.

Si j’ai adhéré à l’idée d’un comité des signataires, c’est qu’une partie seulement des forces politiques est représentée à l’Assemblée. L’avis du comité était utile pour faire évoluer les textes, car il regroupe toutes les tendances, indépendantistes et non-indépendantistes. Cette suggestion nous a permis de progresser sans brutaliser l’une ou l’autre des parties. Cela étant, Mme Lagarde a raison : une fois qu’on aura commencé à constituer la liste électorale, il faudra qu’une réflexion s’ouvre entre Calédoniens pour savoir comment définir le vivre-ensemble de manière équitable et juste. Le Gouvernement pourra accompagner cette réflexion, mais ce sera aux Calédoniens de décider ce qu’ils voudront faire de leur territoire.

La Commission passe à l’examen des articles.

Chapitre Ier
Modification du titre V de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie

Article 1er (art. 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie) : Composition et fonctionnement des commissions administratives spéciales

La Commission adopte l’article 1er sans modification.

Chapitre II

Modification du titre IX de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie

Article 2 (art. 217 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie) Conditions de délais et de forme pour la mise en œuvre de la troisième consultation sur l’accession à la pleine souveraineté

La Commission adopte l’article 2 sans modification.

Article 3 (art. 218-1 et 218-2 [nouveaux] de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie) : Création d’une commission consultative d’experts – Simplification de l’accès à la consultation sur l’accès à la pleine souveraineté par l’inscription d’office de certaines catégories d’électeurs

La Commission adopte l’article 3 sans modification.

Article 4 (art. 219 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie) : Modalités d’élaboration de la liste électorale spéciale pour la consultation et règles d’organisation de la consultation

La Commission adopte l’article 4 sans modification.

Article 5 (art. 221 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie) : Mesures d’application du titre IX ne relevant pas d’un décret en Conseil d’État délibéré en conseil des ministres pris après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie

La Commission adopte l’article 5 sans modification.

Elle adopte l’ensemble du projet de loi organique sans modification.

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La Commission examine ensuite, sur le rapport de Mme Paola Zanetti, le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la modernisation du droit de l’outre-mer (n° 2910).

Mme la ministre George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer. Le projet de loi relatif à la modernisation du droit de l’outre-mer traite de sujets variés, d’autant qu’il s’étoffe au fur et à mesure que progresse la discussion au Parlement. Il nous faut adapter les textes à différentes collectivités et actualiser nombre de dispositions. Les mesures qui figurent dans ce texte – demandées, voire réclamées depuis longtemps par les acteurs des territoires ultras-marins – concernent l’économie, la maîtrise et l’aménagement foncier, la fonction publique, les collectivités territoriales, la sécurité et la sûreté.

Dans le domaine économique, le Gouvernement a souhaité étendre à la collectivité de Saint-Martin les dispositions relatives à la modération des prix, instituées par la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer. En effet, les résultats dont nous disposons montrent que les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) et les boucliers qualité prix (BQP), négociés sous l’égide des préfets, ont eu des effets notables sur le niveau des prix, permettant une baisse moyenne de 11 % sur les produits concernés dans l’ensemble des cinq départements. Avec l’élargissement de ces dispositifs à la collectivité de Saint-Martin, nous ferons œuvre utile.

Vous aurez également à débattre du changement de statut de l’Agence des outre-mer pour la mobilité (LADOM), actuellement placée sous celui – devenu rarissime – de société d’État inscrite au registre du commerce. On a longtemps hésité à le modifier dans la mesure où l’Agence intervient au cas par cas et octroie des aides individuelles ; elle a donc besoin de souplesse. Toutefois, ses missions en matière d’insertion professionnelle des personnes, en particulier des jeunes résidant outre-mer, justifient de la transformer en établissement public administratif, ce qui aidera à en encadrer la gestion. Pour donner aux salariés la possibilité de conserver leur contrat de travail inchangé et répondre au mieux aux recommandations formulées par la Cour des comptes, nous avons dû créer un établissement public particulier.

Enfin, le projet de loi permettra une plus juste représentation du monde agricole dans les instances des caisses d’allocation familiales. En effet, les organismes représentatifs à l’échelon local n’y sont pas toujours représentés ; le projet de loi permettra de combler cette lacune.

La maîtrise foncière et l’aménagement du territoire représentent la deuxième grande thématique abordée dans ce projet de loi. En effet, les outre-mer font face à des situations démographiques différentes de l’hexagone. La Guyane et Mayotte notamment sont deux territoires en pleine expansion. La rareté des acteurs aptes à conduire des opérations d’aménagement y constitue un véritable défi, alors qu’il faut impérativement répondre aux enjeux de construction de logements, notamment sociaux, d’équipement et d’aménagement. Aussi, il nous a semblé indispensable de doter ces deux territoires d’outils adaptés. Les structures spécifiques en matière d’aménagement et de gestion foncière qui seront créées disposeront de toutes les compétences nécessaires.

Par ailleurs, héritage lointain de l’Ancien régime, existent dans les outre-mer des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des « cinquante pas géométriques », situés sur le littoral et souvent occupée par un habitat spontané et informel. Ces agences ont pour mission d’élaborer des programmes d’équipement des espaces urbains, de vérifier la compatibilité des demandes de cession avec le programme d’équipement et de réaliser des travaux dans les quartiers. Elles doivent également faciliter la cession de leurs maisons aux personnes qui habitent depuis longtemps cette zone, sans disposer pour autant de titres de propriété. Beaucoup de dossiers n’étant toujours pas réglés, nous avons décidé de prolonger une nouvelle fois la durée de vie de ces agences. Au Sénat, on nous a objecté que bien des sujets en suspens le seront encore demain : tout porte à croire que les gens qui n’ont pas les moyens d’acheter une maison resteront dans la même situation. Il faut également déterminer qui a compétence pour organiser le territoire et réaliser l’aménagement. Nous souhaitons donc programmer, après évaluation, le transfert des agences aux collectivités territoriales, en dotant celles-ci des moyens nécessaires ; en effet, ce sont les collectivités qui prennent ces sujets à bras-le-corps.

Troisième thématique : la modernisation du droit applicable aux agents de la fonction publique. Nous sommes particulièrement préoccupés par ce qui se passe à Wallis-et-Futuna où l’on doit régulariser la situation d’agents qui exercent des missions de service public pour le compte de l’État. Nous souhaitons qu’ils puissent bénéficier des dispositions de la loi relative à l’accès à l’emploi titulaire, dite « loi Sauvadet ». Ces agents verront leur situation évoluer en parallèle et pourront opter pour un statut de droit public.

Pour ce qui est des agents contractuels de la fonction publique des communes et des groupements de communes de la Polynésie française, nous avions, en juillet 2015, fixé un délai pour organiser leur intégration dans la fonction publique ou leurs conditions de rémunération s’ils ne l’intègrent pas. Pour ceux qui choisissent cette deuxième option, un décret en Conseil d’État définira les modalités de révision de la rémunération. Nous aurons l’occasion d’échanger sur la question du délai, la commission des Lois du Sénat ayant proposé qu’il soit raccourci. Nous souhaiterions régler ces problèmes le plus rapidement possible, mais ce personnel exige toujours des solutions sui generis et nous voulons trouver une issue juridiquement correcte, acceptable par les agents concernés et financièrement supportable pour les collectivités.

Le projet de loi prévoit que les fonctionnaires des communes de Polynésie française auront la faculté d’effectuer des mobilités au sein des trois fonctions publiques métropolitaines. Quatre mille six cents agents pourraient bénéficier de cette disposition.

Quatrième thématique, les collectivités territoriales. Le Gouvernement souhaite renforcer la transparence financière des procédures budgétaires et comptables. Des mesures nouvelles s’appliqueront aux maires des communes et aux présidents des établissements publics de coopération intercommunale de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie Française. Ils devront désormais présenter, devant l’assemblée délibérante, un rapport détaillant les actions entreprises à la suite des observations de la chambre territoriale des comptes.

En outre, en Nouvelle-Calédonie, dans les communes comptant 3 500 habitants ou plus, le débat d’orientation budgétaire devra être précédé d’un rapport de l’exécutif portant non seulement sur les orientations générales du budget et les engagements pluriannuels, mais également sur la structure et la gestion de la dette. Dans les communes de 10 000 habitants et plus, ce rapport devra, de surcroît, faire l’objet d’une publication.

Pour répondre à une demande exprimée par les élus néo-calédoniens le projet de loi prévoit la possibilité pour les communes de plus de 80 000 habitants, de créer des postes d’adjoints chargés des quartiers.

Cinquième thématique : la sécurité et la sûreté. Il est apparu que l’alinéa rendant applicable la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme dans les Terres australes et antarctiques françaises avait été supprimé. Quand bien même les actes de terrorisme ne sont pas particulièrement violents dans ces territoires, c’était bel et bien une erreur que le projet de loi vient donc corriger.

Face au risque de prolifération des armes sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie et à ses conséquences potentielles en matière d’ordre public, le renforcement de la sécurité des Néo-calédoniens apparaît indispensable. Afin de maîtriser cette prolifération, ce texte donne une base législative à l’instauration par voie réglementaire d’un quota d’armes qui relèvent de la catégorie C et du 1° de la catégorie D pouvant être détenues dans ce territoire par les personnes majeures.

Le décret en Conseil d’État prévoira les conditions de remise, de cession ou de destruction des armes excédentaires relevant de ces deux catégories dans un délai variant de trois mois à deux ans, en fonction de la date d’achat de ces armes. Je n’ignore pas les réserves des élus néo-calédoniens sur cette possibilité donnée à l’État de réglementer les achats d’armes sur le territoire. Mais nous considérons qu’il est de notre devoir de trouver des mesures d’encadrement équilibrées. Cette question fera l’objet d’une concertation mais il ne nous paraît pas judicieux de laisser autant d’armes en circulation sur le territoire.

Depuis le 1er janvier 2012, la collectivité de Saint-Barthélemy a cessé d’être une région ultrapériphérique pour entrer dans la catégorie des pays et territoires d’outre-mer. Par conséquent, le droit dérivé de l’Union européenne ne s’applique plus de plein droit dans cette collectivité ultramarine. Tel est le cas des dispositions européennes qui portent sur la protection du consommateur dans le domaine du transport aérien. Le projet de loi vise donc à étendre à Saint-Barthélemy l’application des règles relatives par exemple à l’obligation de disposer d’un plan d’aide aux victimes et à leurs familles en cas d’accident aérien, autant de dispositions utiles pour les habitants de cette collectivité.

Le Gouvernement vous demande de l’habiliter à prendre plusieurs ordonnances dans des domaines très variés. Je sais que cette méthode ne plaît guère aux parlementaires. Elle ne me convainc pas totalement non plus. Nous savons pourtant que, dans la plupart des textes présentés, la partie relative aux outre-mer n’est pas prête et est renvoyée à des ordonnances. Encore faut-il que les ordonnances soient prises. Très souvent, même si le ministère des outre-mer essaie de faire le gendarme, il est difficile d’obtenir qu’elles soient prises dans les délais. Je partage les critiques émises par un certain nombre de parlementaires sur le recours aux ordonnances estimant que cette manière de légiférer n’est pas totalement satisfaisante mais, pour l’instant, je n’en vois pas de préférable pour réussir à mettre à niveau le droit des outre-mer dans un délai raisonnable. Nous réfléchissons aux moyens permettant aux parlementaires de travailler en amont pour être en mesure de proposer les solutions applicables dans les outre-mer dès le vote du texte. Mais, pour l’instant, nous devons rattraper un important retard. Dans le cas de Mayotte, des pans entiers du code du travail, dont chacun connaît l’épaisseur, doivent être adaptés : une session particulière du Parlement n’y suffirait probablement pas. Je sollicite donc de nouveau des habilitations : vous apprécierez…

Un certain nombre d’articles additionnels ont été ajoutés, tant et si bien que le projet de loi, qui en comptait trente-cinq à l’origine, en compte beaucoup plus après l’examen au Sénat – près de cent, me suis-je laissée dire… Cette progression montre en tout cas qu’il était nécessaire d’actualiser le droit des outre-mer.

De manière très positive, le Sénat a étendu les dispositions relatives aux titres restaurant à Mayotte et clarifié certaines zones d’ombre pour assurer la création des collectivités uniques en Guyane et à la Martinique. Il a également étendu les dispositions relatives aux langues régionales à l’ensemble des collectivités d’outre-mer et créé une antenne locale sécurité sociale à Saint-Barthélemy.

En revanche, le Sénat a adopté certaines dispositions dont le Gouvernement n’est pas totalement convaincu de la pertinence. Ainsi, il ne me semble pas opportun que les conseils départementaux de La Réunion et de Guadeloupe soient représentés au conseil d’administration de LADOM. Cette solution valait par le passé lorsque LADOM exerçait une mission particulière dans le domaine social. Aujourd’hui, alors que cette instance est dotée d’une compétence particulière en matière de formation professionnelle, il revient manifestement à la région ou aux collectivités uniques de siéger au conseil d’administration.

Enfin, le Gouvernement présente des amendements qui, en raison de leur dépôt tardif et de leur aridité rédactionnelle, avaient été rejetés par les sénateurs en séance publique alors même qu’ils entendent inscrire des avancées utiles. Nous vous les présenterons à nouveau et j’espère que vous les adopterez.

Ce texte balaie assez largement plusieurs points de droit relatifs aux outre-mer. Ce ne sera peut-être pas le texte du siècle mais c’est un texte utile que, je l’espère, vous allez continuer à enrichir.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Fort heureusement, madame la ministre, le projet de loi ne compte pas encore cent articles… Mais il n’est pas exclu que nous atteignions ce chiffre à l’issue de nos débats ! En fait, le projet de loi initial comptait 27 articles ; le Sénat a contribué de manière significative à sa densification en ajoutant 22 articles, ce qui nous amène à 49 articles. C’est une progression honorable. Il n’est pas certain qu’il faille tenter le record. C’est l’occasion pour moi de dédouaner le Gouvernement qui n’est pas toujours responsable de la longueur des textes. Il peut arriver que les parlementaires contribuent avec efficacité à rendre la loi prévisible et lisible. Je ne doute pas que nous allons encore le démontrer…

Mme Paola Zanetti, rapporteure. Mme la ministre a rappelé très clairement les dispositions du projet de loi qui visent principalement à proroger des dispositifs transitoires et à étendre l’application de mesures législatives aux collectivités régies par le principe de spécialité législative. Elle a précisé les différents domaines concernés par ce texte ainsi que les habilitations ou renouvellements d’habilitations demandés sur plusieurs sujets, comme la constatation des infractions en Nouvelle-Calédonie et dans les collectivités d’outre-mer. Enfin, Mme la ministre a souligné, à juste titre, que le projet de loi vient conforter certaines avancées pour nos concitoyens d’outre-mer.

Ayant eu la chance de pouvoir auditionner le cabinet de la ministre avant de rédiger mon rapport, je préfère laisser la parole à mes collègues ultramarins.

M. Ibrahim Aboubacar. Au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen, je voudrais souligner l’utilité de ce texte. Il est vrai qu’il est toujours tentant d’élaborer de grands textes accompagnés de grandes annonces. Mais il est parfois utile de s’interroger sur l’efficacité et la sécurité juridique de ce que nous votons. Ce texte a au moins ces deux mérites : il conforte la sécurité juridique des actes des uns et des autres et, partant, améliore l’efficacité dans l’action quotidienne de nos collectivités locales. L’opportunité nous est donnée aujourd’hui de l’enrichir, et nous ne manquerons pas de la saisir.

Je voudrais d’abord vous interroger sur la stratégie foncière de l’État dans les outre-mer, en particulier dans la zone des cinquante pas géométriques. Je me réjouis de l’amendement gouvernemental qui semble dégager une solution pour la Martinique, en partie, et pour la Guadeloupe. Mais je voudrais à ce que cette stratégie gagne en lisibilité, en particulier en Guyane et à la Martinique, et que, une fois pour toutes, le législateur statue sur les différentes options posées sur la table. S’agissant de la Guyane et de Mayotte, deux questions restent en suspens : dans le domaine agricole, quelle structure exercera la compétence des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) ? Dans la zone des cinquante pas géométriques, quel établissement sera en charge de la titrisation des parcelles ? Sur les questions foncières, le statu quo ne fait qu’aggraver la situation.

Deuxièmement, nous sommes préoccupés par l’habitat indigne sur lequel M. Letchimy travaille beaucoup. Cette préoccupation est croissante car, dans certaines collectivités, le problème s’aggrave. Au-delà des travaux parlementaires, alors que les collectivités auront à statuer sur les nouvelles dispositions sur la politique de la ville, quelle est la stratégie gouvernementale pour lutter contre l’habitat indigne ?

Troisièmement, vous venez de le dire, le projet de loi se contente de modifier le statut de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité (LADOM). Vous avez entendu la revendication des présidents de départements de siéger au conseil d’administration. S’il est vrai que le dispositif se concentre de plus en plus sur la formation professionnelle, la question de la continuité territoriale ne doit pas pour autant être négligée. Je souhaite connaître la stratégie et les objectifs du Gouvernement en la matière afin d’aller de l’avant.

Quatrièmement, s’agissant de la précarité dans la fonction publique – grande question –, au-delà de la loi « Sauvadet », comment le Gouvernement entend-il traiter ces problématiques connues de nombreux territoires qui couvrent à la fois la lutte contre la précarité, parfois la lutte contre les discriminations, mais également la recherche d’équité dans le traitement des situations ?

Cinquième question, le projet de loi se contente d’étendre à Saint-Barthélemy et Saint-Martin les dispositifs relatifs à la lutte contre la vie chère. On ne peut pas ignorer qu’il s’agit d’un grand texte porté par votre prédécesseur. Sur les produits de consommation courante, vous avez rappelé les résultats obtenus. Mais on ne peut pas davantage ignorer les travaux de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer, qui juge les résultats mitigés. Dans cette matière dans laquelle le combat doit être permanent, quelle est la stratégie du Gouvernement pour continuer à lutter efficacement contre le fléau de la vie chère outre-mer ?

Enfin, en écho au titre du projet de loi, l’applicabilité des textes dans les collectivités outre-mer pose question. Si nul n’est censé ignorer la loi, dans bien des endroits, la confusion est telle que les citoyens s’interrogent sur les textes applicables. Que devons-nous faire pour améliorer la lisibilité juridique dans ces collectivités et garantir un meilleur accès au droit pour nos concitoyens ?

M. Daniel Gibbes. Vous l’avez dit, madame la ministre, ce n’est sans doute pas le texte du siècle. Malgré tout, il permet aux élus ultramarins de l’utiliser comme un véhicule : nous avons donc tout lieu de nous en satisfaire. Il ne faut pas trop minimiser son utilité.

La collectivité de Saint-Martin ayant statué seulement ce matin, j’attendrai la séance publique pour défendre les amendements qui s’y rapportent.

S’agissant de Saint-Barthélemy, le Sénat a rejeté l’amendement du sénateur Magras visant à supprimer les mots : « imprévues et urgentes d’une durée limitée » dans l’article L. 6732-3 du code des transports, dont l’objectif était de sécuriser les critères permettant de déroger à la législation européenne relative aux aérodromes à usage restreint pour l’adapter aux caractéristiques de l’aéroport de Saint-Barthélemy. L’article 22 bis adopté par le Sénat, qui ajoute un alinéa supplémentaire, ne règle en rien la situation de l’aéroport. Au contraire, il renforce la confusion.

En l’état actuel du texte, les dérogations ne sont possibles que lorsque des circonstances ou des nécessités opérationnelles imprévues et urgentes l’imposent. Elles doivent en outre être limitées dans le temps. Or l’aéroport de Saint-Barthélemy est par définition un aéroport à usage restreint qui bénéficie de dérogations afin de rester ouvert à la circulation aérienne publique. Par conséquent, seuls certains types d’avions peuvent fréquenter l’aéroport, en bénéficiant eux aussi de dérogations. L’Agence européenne de sécurité aérienne a élaboré un règlement baptisé « Air-OPS » comportant des restrictions qui mettent en difficulté l’exploitation de certains types d’appareil, tels que le C208 Caravan, que le président de la République a du reste emprunté lors de son passage à Saint-Barthélemy. Or cet appareil est exploité à Saint-Barthélemy depuis plus de quinze ans. Un commandant de bord ne peut pas se poser sur un aéroport à usage restreint s’il n’a pas obtenu une qualification préalable. Depuis 2012 et le changement de statut de Saint-Barthélemy, les directives et règlements européens qui relèvent des domaines de compétence de l’État peuvent être adaptés par le Gouvernement français afin que l’autorité compétente – la direction générale de l’aviation civile – puisse délivrer des dérogations dès lors que le niveau de sécurité n’est pas remis en cause, conformément à l’article précité du code des transports.

Or la topographie des lieux et la configuration de l’aéroport ne sont ni imprévues ni urgentes. L’amendement de M. Magras, que je compte redéposer en séance, vise donc à assouplir les règles afin de rendre la dérogation valable pour des périodes plus longues, en cohérence avec le statut de l’aéroport.

Je déposerai un autre amendement sur la caisse de sécurité sociale de Saint-Martin sur lequel je travaillerai avec vos services.

M. Serge Letchimy. Je vous remercie de m’accueillir dans votre commission, monsieur le président.

Madame la ministre, vous faites preuve de beaucoup de courage et d’honnêteté en reconnaissant le caractère fourre-tout de ce texte. À juste titre : il traite de plusieurs problématiques qui traînent depuis des années, parfois même depuis près de trois cent cinquante ans dans le cas des pas géométriques. M. Aboubacar l’a souligné, il faut parfois savoir collectionner les maldonnes, les oublis et les catastrophes pour traiter enfin les problèmes. Mais je ne voudrais pas laisser croire en Guadeloupe, à la Martinique ou ailleurs, que nous allons adopter un grand texte susceptible de régler les problèmes, en particulier les problèmes économiques. Je tiens sur ce point à éviter toute confusion, d’autant que nous ne sommes plus qu’à quelques encablures de l’échéance de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM), texte de portée économique dont l’application prendra fin en 2017. On peut aimer cette loi ou pas, peu importe, mais il faut absolument que le Gouvernement précise ses intentions à son égard : s’il veut la supprimer, il faut nous prévenir pour nous laisser le temps de nous y préparer ; s’il s’agit de la modifier, il faut prendre le temps d’y travailler.

J’ai proposé de nombreux amendements ; deux ou trois d’entre eux sont des amendements que je qualifierais de vitaux. Malheureusement, à cause du couperet de l’article 40 de la Constitution, ces amendements ne seront pas discutés. Je souhaite que le Gouvernement les reprenne. J’en cite trois.

Le premier concerne LADOM. Dans les années 1960 et 1970, une politique avait été mise en place pour expurger le surplus démographique dans nos territoires. Elle a permis aux Réunionnais et aux Antillais de venir travailler en métropole. Mais elle a eu une autre conséquence grave : la plupart des forces vives sur le plan démographique se sont retrouvées en métropole. La Guadeloupe et la Martinique seront bientôt les deux plus vieux départements de France, avec la Corse. D’ici 2030, la Martinique comptera 36 % de personnes âgées de plus de soixante ans. La population risque de ne pas se renouveler avec des conséquences sociales et économiques extrêmement graves.

Pire, à cela s’ajoute – c’est la raison pour laquelle j’ai insisté sur le développement économique – un deuxième phénomène : le départ des jeunes. Après le BUMIDOM (bureau pour le développement des migrations des départements d’outre-mer), nous sommes confrontés à l’exil de ceux qui veulent être formés ailleurs. 83 % des étudiants quittent les Antilles et deux sur trois ne reviennent pas. Du coup, nous subissons un double couperet : l’absence de fécondité des jeunes qui partent et la disparition de la fécondité des anciens partis depuis trente ans. La Martinique a ainsi perdu 16 700 habitants au cours des cinq dernières années. En continuant sur cette pente, la Martinique perdra encore dans les cinq prochaines années 16 000 habitants. Je vous propose de créer, après « LADOM aller », « LADOM retour ». Je sais que les gens se déplacent pour des raisons sociales entre les Antilles et la métropole et je connais le volet formation de LADOM auquel la région participe. Mais la situation est grave : nous avons constaté au cours des quatre dernières années que l’université Antilles-Guyane en Martinique a perdu 800 étudiants, selon les données de votre ministère. La décadence est en marche.

Qu’est-ce que « LADOM retour » ? Pour l’heure, un slogan. Mais derrière le slogan, le besoin d’une organisation qui aurait une mission : accompagner tous les jeunes qui veulent revenir chez nous dans le cadre des processus de développement que nous initions.

Deuxième proposition, plus technique et plus classique : généraliser les plans locaux de lutte contre l’habitat indigne dans l’ensemble des départements d’outre-mer. La loi de 2011, dont j’étais le rapporteur, n’a pas prévu d’obligation en la matière. Votre ministère y est favorable, mais mon amendement a été victime de l’article 40 de la Constitution. Seul le Gouvernement peut le présenter.

Troisième sujet de préoccupation : les cinquante pas géométriques. Cette histoire est une histoire grave. Il s’agit d’une possession datant du XVIIsiècle, une bande de terrain de 81,20 mètres, propriété de la colonie. Paradoxalement, c’est là que de petites gens, dans les bourgs et les quartiers populaires, se sont installées pour survivre après avoir quitté les plantations dans lesquelles ils étaient traités comme des esclaves ou des paysans sous tutelle. La loi du 30 décembre 1996 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d’outre-mer a ouvert la possibilité de délivrer des titres de propriété à ces gens qui n’étaient jusqu’alors que des squatters à vie, condamnées à l’informel alors qu’elles sont des rouages de la société. C’est rendre justice à ces familles pauvres que de leur accorder des titres de propriété. C’est fondamental. L’État a mis en place le processus mais, à distance, à 8 000 kilomètres, il n’est pas possible de traiter ce genre de problème. Il ne s’agit pas de donner un bout d’îlet à un propriétaire béké du coin, mais de subdiviser des parcelles de 500 mètres carrés sans eau, sans électricité et sans accessibilité.

L’État a lancé un processus de cession de terrains non viabilisés. Ce n’est plus une question de justice mais de respect de l’autre. Le président Brottes pensait que le problème était réglé depuis cinq ou dix ans. Eh bien non ! Le principal échec dans la cession de ces parcelles aux petites gens tient à ce que ces terrains ne sont pas correctement délimités et ne sont pas viabilisés. La Martinique a demandé à prendre la responsabilité de la gestion de ces cessions, l’État lui transférant la compétence. Vous avez répondu par l’affirmative. Je salue votre évolution car, au départ, votre approbation s’accompagnait d’une relative indifférence. Vous transférez des compétences, mais sans vous préoccuper des charges qui en découlaient. Je veux remercier les services techniques qui ont beaucoup travaillé avec nous pour avancer sur ce dossier. Mais vos propositions ne sont pas encore satisfaisantes.

Avec Yves Blein, nous avons beaucoup travaillé : ce sont des milliers de maisons et d’hectares, des centaines de quartiers et de bouts de terrain qui sont concernés. Il va falloir s’en occuper très sérieusement. L’accès à la mer est fondamental pour le désenclavement de l’île. C’est un sujet très sérieux. Je vous remercie d’avoir accepté de prolonger le délai de trois à cinq ans. Cette période intermédiaire laissera le temps à l’État de procéder à des évaluations financières. Il faut mettre au point une vraie fiscalité pour permettre à l’établissement public de réaliser les cessions, ce qu’il ne peut pas faire sans aménagement et sans en connaître le coût. On ne peut pas imposer la double peine : obliger ceux qui n’avaient pas de terrain à aller squatter un bout de terrain dans un coin et ensuite leur céder le terrain sans eau, sans route, sans rien du tout. Je vous invite à accepter le sous-amendement que nous présentons à votre amendement, ce qui fera tomber l’amendement de M. Blein.

Mme Maina Sage. Je rejoins les propos de mes collègues. Parce que ce texte s’adresse à l’ensemble des collectivités d’outre-mer et aborde donc des problématiques spécifiques à chacun d’entre eux, il peut donner l’impression d’être très divers, voire fourre-tout. Mais je considère avec pragmatisme qu’il est utile. Nous devrions songer à rendre automatique ce type de loi pour l’outre-mer afin que, chaque année, dans nos collectivités, nous puissions mieux nous préparer à l’arrivée de ce texte – à une période fixe à définir ensemble – et travailler en amont. Entre les consultations préalables des collectivités autonomes, la présentation en conseil des ministres, l’examen par le Sénat et par les commissions, des opportunités se créent : la demande d’un collègue des Antilles ou de Calédonie éveille d’autres sujets pour la Polynésie et vice-versa, ce qui explique l’inflation du nombre d’articles en cours de discussion. C’est un mal pour un bien ; cela démontre l’intérêt de tous pour ces textes qui sont autant d’opportunités pour les collectivités d’avancer et de faire progresser le droit au profit de nos concitoyens.

Je propose une série d’amendements qui visent à améliorer la lisibilité et l’accessibilité du droit pour nos concitoyens polynésiens. Il peut paraître délicat de créer un titre spécifique au sein du code civil pour la Polynésie. Je souhaite que mes collègues n’y voient aucune volonté de la Polynésie de marquer sa différence, mais plutôt le souhait d’améliorer l’accessibilité du droit pour les Polynésiens. Croyez-moi, au quotidien, ce n’est pas évident. Les amendements sur le code monétaire et financier démontrent l’intérêt pour le Gouvernement de clarifier certaines dispositions et de faire comprendre ce qui est applicable et ce qui ne l’est pas. Nous avons tous besoin de codes beaucoup plus clairs et lisibles. Je profite de ce texte pour vous faire part de cette exigence. Il y va de notre responsabilité collective ; nous pourrions d’ailleurs mettre en place une instance permanente pour y travailler.

Sur le volet économique, je souhaite revenir sur un débat qui nous a occupés lors de la loi de finances pour 2014 sur l’utilisation de la continuité territoriale et la mobilité des étudiants. L’excellent rapport du président de la commission des Lois sur la Polynésie met en avant les difficultés liées aux contraintes géographiques. La Polynésie représente la moitié de la surface maritime française, 5 millions de kilomètres carrés : il me faut trois d’heures d’avion pour aller d’un bout à l’autre de ma circonscription ! Il faut vraiment qu’à Paris, on intègre ce paramètre. Ce handicap ne pourra jamais être comblé, il est structurel : nos îles resteront toujours éparpillées sur cette surface ; cette géographie engendre des difficultés pour assurer les missions de service public en matière d’éducation et de santé. Elles justifient une aide à la continuité territoriale intérieure, à l’instar de celle qui existe en Guyane. Que prévoyez-vous en la matière d’ici la fin de l’année ? Vous aviez envisagé l’an dernier de revoir le dispositif dans le prochain projet de loi de finances. Je souhaite également plaider pour la continuité territoriale réciproque afin de permettre aux familles qui vivent dans l’hexagone de revenir dans leur territoire.

Je soutiens mes collègues sur la question foncière. Cette problématique est commune à l’ensemble des outre-mer, puisque nous sommes tous d’anciennes colonies françaises. Malgré nos différences, nous recherchons tous la même chose : que les autochtones, ceux qui sont issus de ces territoires, ceux qui ont fait souche, ceux qui sont adoptés et ceux qui sont résidents mais sont confrontés à des difficultés d’identification des titres fonciers puissent, comme tout citoyen, avoir la possibilité de bénéficier de dispositifs de régularisation. Aux Antilles, on parle beaucoup des cinquante pas géométriques ; pour la Polynésie, le groupe de travail sur le tribunal foncier avance bien mais, comme je l’ai dit, nous avons besoin d’une réforme de fond du code civil afin de disposer des outils adaptés en matière de sortie d’indivision. Je reprends la question de mon collègue sur la stratégie foncière de l’État.

Je me félicite de l’article relatif aux conditions d’intégration des agents communaux. J’ai noté l’évolution de cet article au Sénat, qui règle le problème de la période transitoire entre la fin du délai d’intégration en juillet 2015 et la promulgation de la loi. Pouvez-vous nous rassurer sur la consultation des parties en Polynésie sur le décret d’application qui fixera les conditions de l’examen périodique des agents qui auront intégré la fonction publique communale ?

Enfin, le projet de loi a prévu d’homologuer certaines parties d’une loi sur les géomètres experts. Cela soulève un problème de fond. Par voie d’amendement, je vous propose d’homologuer des lois beaucoup plus nombreuses. Nous devons nous interroger sur la méthodologie d’homologation des peines d’emprisonnement. À chaque fois que nous prévoyons un cadre juridique assorti de peines d’emprisonnement, nous devons attendre une loi d’homologation pour rendre ces peines effectives. C’est au petit bonheur la chance : soit nous trouvons un véhicule législatif idoine, soit nous devons attendre un texte-balai. Mais nous pourrions envisager un système d’homologation automatique des peines. Je souhaiterais connaître votre avis. J’aimerais que nous puissions dans ce projet de loi homologuer l’ensemble des peines prévues dans une dizaine de textes.

Voilà pour mes principales remarques, l’examen des articles nous permettra d’entrer dans le détail.

Mme Sonia Lagarde. J’ai une sollicitation concernant l’article 17 qui instaure un quota d’armes en Nouvelle-Calédonie. Au préalable, je rappelle que l’État a libéralisé les armes en 2011. Des amendements de suppression de cet article ont été déposés. Je ne pense pas, madame la ministre, qu’il faille passer en force sur ce sujet. La Nouvelle-Calédonie est un pays de chasseur et de pratique du tir sportif. Aujourd’hui, les fédérations de chasse ont déjà recueilli plus de 6 000 signatures contre ce projet, et ce chiffre augmente tous les jours.

Il faut privilégier la concertation. Sur le projet de loi organique, nous avons évoqué le consensus. Je crois qu’il faut absolument privilégier le dialogue et trouver les voies et moyens d’un consensus sur ces quotas avant que la rue ne s’empare de cette question. Il faut se donner du temps. Les discussions qui avaient commencé il y a un an et demi n’ont pas tout à fait abouti. Le projet que vous présentez est mal perçu. J’aimerais que vous acceptiez la suppression de cet article pour nous donner et vous donner du temps et y revenir ensuite, une fois que le consensus aura été trouvé.

Madame la ministre, ce n’est qu’une question de sagesse.

Mme Chantal Berthelot. Madame la ministre, je suis inquiète. Je n’arrive pas à comprendre l’intitulé de ce projet de loi. Le mot de « modernisation » laisse croire à une vision progressiste des relations entre la France et les outre-mer et une volonté d’aller de l’avant. Malheureusement, j’ai l’impression qu’au contraire, on fait marche arrière. Je regrette que l’expression « les outre-mer » ait disparu du titre au profit de l’outre-mer. Je redoute une régression. Cela m’ennuie beaucoup.

Votre prédécesseur, lors de l’examen de la loi d’orientation sur l’agriculture, ainsi que le ministre de l’Agriculture avaient prévu une mission sur la mise en place d’un outil adéquat pour gérer le foncier agricole. Je sais que le président de cette Commission – que je remercie de nous recevoir – n’aime pas les rapports. Sachez que mon amendement est un amendement d’appel afin que le Gouvernement justifie l’absence de rapport en dépit de l’engagement de deux ministres.

Comment un territoire de la superficie de la Guyane peut-il se contenter d’un seul outil pour gérer le foncier urbain et le foncier agricole ? Le Gouvernement met en avant l’absence de concurrence et de hiérarchie entre les deux, j’en conviens. Mais cela n’est pas logique. Je partage les interrogations de M. Aboubacar à plus d’un titre : quelle est la stratégie foncière de l’État sur le territoire de la Guyane pour répondre aux aspirations légitimes des paysans à posséder une terre et à bénéficier d’une rétrocession la plus rapide et la plus correcte possible du foncier ?

J’attends les débats sur les articles pour connaître les arguments qui seront avancés. Mais le peu que j’ai pu voir m’inquiète beaucoup. Rassurez-moi, madame la ministre, maintenant ou après ! Évitons d’arriver à un point de non-retour dans nos échanges.

M. Yves Blein, rapporteur pour avis de la commission des Affaires économiques. Je vous remercie de m’accueillir pour vous livrer l’avis de la commission des Affaires économiques sur la dizaine d’articles dont elle s’est saisie.

En matière économique, la commission s’est intéressée à la création de l’observatoire des prix, des marges et des revenus à Saint-Martin et Saint-Barthélemy qui nous semble intéressante.

En matière d’urbanisme et d’action foncière, notre commission a accueilli favorablement le cumul des compétences d’acquisition et d’aménagement pour les établissements publics concernés en Guyane et à Mayotte. Elle s’est intéressée également à l’agence des cinquante pas géométriques en proposant des modalités plus résolues que dans la version initiale qui rejoignent la proposition du Gouvernement de prendre le temps nécessaire – cinq années – pour que ces agences puissent utilement être confiées aux collectivités de référence, en ayant pris préalablement le soin d’en évaluer les actifs et passifs et de donner aux collectivités qui vont les recevoir les moyens nécessaires pour exercer ces compétences.

Enfin, la commission a adopté un amendement à l’article 8 prévoyant d’obliger les collectivités à lutter contre l’habitat indigne et à engager fortement sa résorption.

Mme la ministre. Il est impossible de répondre à toutes les contributions qui ont été apportées à ce débat.

M. Aboubacar a évoqué la titrisation des parcelles et la stratégie foncière de l’État. Il n’est pas possible de définir une vision stratégique pour l’ensemble de l’outre-mer. Mme Berthelot a raison : nous allons corriger le titre du projet de loi en reprenant le terme « les outre-mer » puisque nous sommes pleinement conscients de la diversité des situations.

À Mayotte, nous avons proposé la création d’un établissement public foncier de l’État afin de permettre à la collectivité d’avancer sur ce sujet compliqué. Vous savez comme moi que la population de Mayotte s’accroît à un rythme très soutenu. Notre volonté de lutter contre l’habitat insalubre ou l’habitat spontané risque de se heurter à cette réalité qui évolue bien plus rapidement que toutes les mesures de modernisation envisagées par l’État et les élus locaux.

Quant à la continuité territoriale, nous voulons garantir la mobilité des jeunes en formation professionnelle. Mayotte profite aujourd’hui assez largement de ce dispositif : c’est même une des îles où il est le mieux utilisé. Le projet de loi de finances pour 2015 a fixé une enveloppe budgétaire car nous ne pouvions pas laisser augmenter indéfiniment ce poste. En revanche, pour la mobilité des jeunes en formation professionnelle, nous finançons ce qui est nécessaire. Vous pensez sans doute aux lycéens – les étudiants sont pris en charge par le dispositif existant. Il fut un temps où les lycéens étaient obligés de venir étudier en métropole. Aujourd’hui, la stratégie de l’État consiste plutôt à construire des établissements scolaires outre-mer. Nous espérons ainsi dispenser des jeunes de devoir quitter leur famille pour étudier au lycée.

Quant au dispositif de lutte contre la vie chère, il semble fonctionner. Nous avons donc intérêt à poursuivre dans cette voie et à intensifier les efforts. Je vous confirme que nous nous battons pour continuer l’excellent travail de Victorin Lurel et garantir aux consommateurs ultramarins qu’ils ne paient pas des sommes indues.

Nous sommes également attentifs à la précarité dans la fonction publique. La difficulté à Mayotte tient au fait qu’il faut intégrer un grand nombre d’agents dans des conditions qui leur permettent d’accéder à des emplois compatibles avec leur formation, améliorer leur formation et veiller à ce que les collectivités ne soient pas écrasées par les coûts. C’est la raison pour laquelle cette intégration est effectuée de manière progressive.

Le député Gibbes nous a rassurés sur l’utilité de ce projet de loi. Il a raison de souligner les particularismes de l’aéroport de Saint-Barthélemy. Je suis soulagée de savoir qu’une compétence spécifique est exigée des pilotes pour y atterrir. Avec le président de la République, nous avons failli ne pas pouvoir repartir puisque, passée une certaine heure, les vols sont interdits. Nous allons étudier vos amendements afin de nous assurer que la situation de Saint-Barthélemy, qui s’apparente à une dérogation permanente, est bien prise en compte. Toutefois, le texte comporte déjà une disposition applicable à Saint-Barthélemy car nous sommes conscients des problèmes spécifiques qui s’y posent.

L’agriculture dans les outre-mer, qu’ont évoquée M. Aboubacar et Mme Berthelot, pose un certain nombre de questions, en particulier à Mayotte et en Guyane. Je ne suis pas convaincue que la SAFER soit la réponse au besoin de performance de l’agriculture. Je veux bien en reparler avec le ministère de l’Agriculture. Nous faisons déjà un pas en créant une structure qui prenne en compte ces problèmes. Si elle ne remplit pas son rôle, nous pourrons envisager d’aller plus loin. Mais il me semble que c’est prendre un risque que de refuser une structure déjà bien lancée pour lui préférer une autre qui n’est pas encore sur les rails. Cette solution de continuité me semble dangereuse, notamment pour l’agriculture.

Je suis en accord sur de nombreux points avec le président Letchimy. La zone des cinquante pas géométriques remonte à l’époque des rois. C’est donc une vieille histoire. Sur ces espaces près des mers se sont installés des gens extrêmement modestes. C’est l’une des raisons pour lesquelles les agences n’ont pas progressé autant qu’il le faudrait : la solvabilité des résidents est parfois un problème difficile à résoudre. Je suis favorable à ce que nous travaillions ensemble avec détermination car il n’est pas satisfaisant de constater que des problèmes identifiés depuis quinze ans n’ont toujours pas trouvé de solution. Puisque ces questions vont être transférées aux collectivités, il faut que, dans le délai de cinq ans, nous réussissions à progresser significativement. L’amendement permettant de déposer des dossiers jusqu’à la fin du délai de cinq ans me semble être une fausse bonne idée : si des dossiers sont déposés à la dernière minute, on ne parviendra pas à résoudre les problèmes dans le délai imparti.

Une grande partie des enfants ou des héritiers de ces occupants sont disséminés sur le territoire métropolitain. Les agences ont donc du mal à retrouver les propriétaires potentiels de ces petites maisons et à reconstituer l’hérédité. Nous devons sortir de cette difficulté. Les agences ont été dotées de moyens : nous devons étudier comment les utiliser le plus efficacement possible pour mener à bien cette affaire de titrisation ; peut-être aussi faudra-t-il faire un choix dans l’affectation des moyens entre les équipements du territoire et la régularisation des situations individuelles.

S’agissant de LADOM, je partage votre analyse sans en tirer les mêmes conclusions. De nombreuses personnes ont quitté les Antilles – la moitié de la population de la Martinique, me semble-t-il – et n’y font donc plus d’enfants. Tant l’État que les régions financent la formation des jeunes. Je suis souvent étonnée de constater que l’on investit beaucoup d’argent pour former les jeunes mais beaucoup moins d’attention pour leur permettre de saisir les opportunités d’emploi dans leur département d’origine. Nous devons réussir à établir une liaison entre LADOM, les collectivités régionales qui souvent connaissent les projets économiques et passent les commandes publiques, et Pôle emploi qui doit associer les jeunes aux opportunités existant sur leur territoire. Je suis persuadée que nous pouvons y parvenir sans mettre en place des usines à gaz. Si, pour commencer, une concertation régulière était organisée entre LADOM, la région et Pôle emploi sur les jeunes diplômés ou formés, susceptibles de revenir dans leur département d’origine, nous aurions déjà significativement progressé. Peut-être devrait-on consacrer un groupe de travail à cette question. Pour l’instant, je ne suis pas persuadée que cette mission doive être confiée à LADOM en tant que telle. Nous avons à créer une structure réunissant les trois entités, qui prenne à bras-le-corps cette question. La situation actuelle n’est pas satisfaisante : souvent, ces jeunes ne se voient pas proposer de mettre leurs compétences au service de la collectivité qui les a aidés à bénéficier d’une formation.

Il est vrai, madame Sage, que ce type de projet de loi est l’occasion de faire surgir ou arriver à maturité des sujets qui sont en discussion depuis un certain temps. Vous avez abordé tant la question de la continuité territoriale au sens où elle est le plus largement entendue que celle de la continuité territoriale interne. Sur ce sujet, il convient de distinguer entre ce qui relève de l’État et ce qui relève de la compétence territoriale, car chacun doit intervenir à l’intérieur de sa sphère de compétences. Pour ce qui est de l’État, il peut, grâce à la défiscalisation des avions, faciliter les mouvements nécessaires entre les îles de la Polynésie française, car la taille de ce territoire rend ces liaisons difficiles à vendre.

Quant à l’homologation des peines, un fort toilettage des textes a eu lieu grâce à vous, mais il est difficile d’arriver en cette matière à l’automaticité, car l’État demeure l’autorité compétente en matière pénale. Je conviens cependant que des lois de pays tardent à être homologuées, ce qui n’est pas satisfaisant du point de vue de la politique pénale, qui mériterait un toilettage régulier.

Mme Lagarde, nous ne sommes pas tout à fait d’accord sur la question des armes, dont on débat depuis plus d’un an. Mais nous nous accordons sur la nécessité d’une concertation approfondie qui doit permettre de rendre ce décret acceptable par tous. Pour ce faire, nous devons pourtant d’abord habiliter le pouvoir réglementaire à le prendre. La concertation sera la plus large possible en Nouvelle-Calédonie, une fois que nous serons habilités. Nous ne remplirions pas nos obligations en ne traitant pas de cette question.

Mme Berthelot a déclaré d’une manière très ferme que nous n’allons pas tomber d’accord, ce qui m’attriste quelque peu… Mais nous ferons tout pour améliorer les choses. S’agissant de l’emploi du terme outre-mer au singulier ou au pluriel, sa suggestion est tout à fait positive. Sur la question du foncier, un certain nombre de rapports concernant la Guyane ont déjà été publiés, car le sujet est ancien : ce territoire a longtemps été marqué par le fait qu’il n’avait qu’une population réduite pour une vaste étendue. Mais cette population se développe beaucoup aujourd’hui, tant et si bien que nous sommes désormais en mesure de mieux tirer parti de ce vaste territoire, pour y faire de l’agriculture et pour y réaliser des équipements. L’État a déjà mis à disposition des terrains pour construire des équipements. Cela étant, lorsque des projets d’aménagement sont adoptés, compte tenu de la vitesse où ils se mettent en place, il n’est pas rare que les parcelles concernées, quand les travaux démarrent enfin, aient fait entre-temps l’objet d’un squat. Ce problème doit être traité.

S’agissant de l’agriculture, la Guyane est certes le poumon de la planète, mais la population doit pouvoir cultiver plus de terrain pour sa subsistance. Peut-être devra-t-on, sur cette question, partir de la réflexion contenue dans les rapports existants ? Je verrai avec M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, si l’Agence foncière de Guyane peut être la structure capable de porter certaines missions qui vous semblent indispensables. Mais si nous adoptons de ce projet de loi, car les projets pourront alors démarrer immédiatement, ce qui n’est pas sans intérêt.

La commission des Affaires économiques a abordé la question des observatoires des prix et de leur fonctionnement, du transfert dans de bonnes conditions aux collectivités des agences des cinquante pas géométriques. La lutte contre l’habitat indigne est également au nombre de ses préoccupations, lutte où les collectivités territoriales me semblent s’y être déjà engagées. Malheureusement, ce type d’habitat se reforme pourtant régulièrement. La ville de Pointe-à-Pitre par exemple était un vaste bidonville qui a été totalement reconstruit ; mais quarante ans plus tard, il se recrée de nouveaux bidonvilles… Nous devons motiver les élus en leur donnant le moyen de prendre le problème à bras-le-corps. Des crédits de la politique de la ville et de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) sont déjà disponibles pour lutter contre l’habitat insalubre, mais il reste toujours des gens trop modestes pour accéder à l’habitat social. On ne luttera bien avec succès contre l’habitat insalubre que le jour où l’on sera en mesure de faire échapper un plus grand nombre d’habitants des outre-mer.

M. Philippe Gomes. Je me bornerai à parler de la Nouvelle-Calédonie. Certains sujets peuvent sembler de faibles importances, mais ils conditionnent l’application des lois et règlements calédoniens, en matière d’actualisation du code pénal, de procédure contentieuse et procédure pénale pour les autorisations d’urbanisme, de constatation des infractions par les agents assermentés dans le domaine social et médico-social. Toutes ces dispositions doivent nous être étendues par ordonnance ; j’ai présenté une série d’amendements d’appel destinés à inviter le Gouvernement à prendre, si tant est que cela soit juridiquement possible, ces dispositions à caractère purement techniques, mais sans lesquelles nos textes resteront lettre morte.

D’autres amendements concernent la jeunesse calédonienne. Une fracture se fait jour entre deux jeunesses : une jeunesse qui prend le train de son avenir grâce aux bourses, aux dispositifs d’accompagnement et d’insertion sociale et professionnelle, et une autre qui reste sur le quai, en déshérence, tombant dans le désarroi sur elle-même et sur sa place dans la société. Aussi voudrais-je attirer l’attention sur l’intérêt d’une extension des établissements publics d’insertion par la défense (EPIDe) en Nouvelle-Calédonie. À une question écrite de ma part, le ministre de la Défense m’a aimablement répondu que ces établissements n’ont pas leur place en Nouvelle-Calédonie, au motif que le service militaire adapté y existe déjà. Or ce n’est pas du tout la même clientèle : certes, le groupement du service militaire adapté (GSMA) reçoit, à Koumac et à Koné, non moins de 500 stagiaires par an ; la Nouvelle-Calédonie contribue au financement des installations, tandis que l’État prend en charge leu fonctionnement. Mais l’EPIDe s’adresse à des jeunes qui ne seraient pas retenus pour le GSMA, car la demande est largement plus importante que l’offre. Le dispositif militaire adapté peut être un moyen de les aider à retrouver un droit chemin, et certains repères qu’ils ont perdus. En ce domaine, c’est l’État qui est compétent. L’outil a fait, en métropole, la preuve de sa validité. Il aurait toute sa pertinence dans notre territoire.

En matière d’habitat social, j’ai formulé une proposition qui fait son chemin depuis trois ans, jusqu’à présent sans succès. La première fois, l’Assemblée nationale ne l’a pas adoptée. La deuxième fois, elle a été adoptée, mais la commission mixte paritaire l’a finalement laissée de côté. Gageons que la troisième fois sera la bonne et que l’État pourra bientôt céder des parcelles de son domaine pour la réalisation de projets collectifs par les collectivités ou pour la réalisation de programmes d’habitat social par les organismes habilités à construire des logements sociaux. Cette possibilité a été prévue par la loi de finances initiale de 2010 ou de 2011. Le décret d’application a été adopté, qui prévoit de dresser une liste des terrains cessibles, qui peuvent faire l’objet d’une décote plus ou moins forte, voire d’une cession gratuite. Cette liste est établie après la consultation des collectivités concernées. Or, aucune disposition ne prévoit quelles collectivités sont consultées en Nouvelle-Calédonie, si bien que la liste n’a pu être dressée. Je voudrais seulement rectifier ce petit oubli. À ma deuxième tentative, les spécialistes du ministère étaient d’accord avec la formulation de mon amendement. Un rapport récent de la chambre territoriale des comptes souligne au demeurant qu’il faut produire non moins de 1 100 logements sociaux par an en Nouvelle-Calédonie. La capacité à disposer du foncier est l’une des clefs pour atteindre ces objectifs. Aussi est-il particulièrement important que ce dispositif devienne opérationnel.

Quant à la défiscalisation, nous nous trouvons en ce moment dans un no man’s land juridique très préjudiciable à l’économie des collectivités françaises du Pacifique. Il était prévu l’an dernier que de nouveaux dispositifs ou la prorogation des dispositifs de soutien existants à nos collectivités soient présentés d’ici la fin de cette année. Rien n’est paru. Pourtant, si aucun signe d’une prochaine prolongation ou de modalités nouvelles d’intervention n’est donné en 2015, les dossiers cesseront dès maintenant d’être déposés, car les projets correspondants ne sauraient aboutir pour 2017, année où le dispositif existant arrive à échéance. Aucun investisseur n’acceptera de s’engager sans être sûr de bénéficier d’une défiscalisation. Du coup, on tue le dispositif existant. Même si ce sujet ne saurait être traité dans ce projet de loi, il serait opportun que des précisions soient données à notre commission et à l’Assemblée afin que nous puissions traverser le mur de 2017 et offrir un nouvel horizon aux investissements productifs en outre-mer, en particulier dans les collectivités françaises du Pacifique.

Sur la question des armes enfin, madame la ministre, j’ai failli tomber de ma chaise en vous entendant. L’État a pris un décret que le haut-commissaire a découvert dans le Journal officiel… J’y vois un dysfonctionnement majeur. Le projet de texte a en effet été présenté à M. Jean-Jacques Brot lorsqu’il était haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, mais non à son successeur. Un an avant sa parution et selon les modalités prévues par la loi organique, il avait par ailleurs été soumis au gouvernement néo-calédonien, qui avait rendu un avis défavorable. Aussi les choses semblaient-elles devoir en rester là, faute de consensus. Pourtant, à quelques aménagements près, le décret a fini par être publié au Journal officiel !

S’il ne prévoit pas de plafond à la détention d’armes détenues par un particulier majeur, cela n’est dû qu’au fait que le Conseil d’État a jugé qu’il s’agit d’une atteinte à une liberté publique ne pouvant être régie que par la loi. Mais soyez assurés que le décret aurait sinon d’ores et déjà limité cette détention à quatre armes par personne. Pourquoi seulement quatre armes en Nouvelle-Calédonie alors qu’on peut en posséder deux mille sur le reste du territoire national ? Nous aurions pour une fois aimé que, dans ce domaine, on ne fasse pas état de notre spécificité… Comme toute région du territoire national, comme toute campagne française, la Nouvelle-Calédonie a ses traditions de chasse, qu’il s’agisse des propriétaires terriens de souche européenne ou des membres des tribus kanakes. Tout le monde a par tradition une ou plusieurs armes. Cela fait partie du mode de vie calédonien. Et cela ne se limite pas à de la chasse sportive : cela sert à se nourrir. Tous les congélateurs calédoniens, dans les tribus, dans les vallées, dans les villages, sont remplis de viande de cerf ou de cochon sauvage. Et les armes sont transmises de père en fils : c’est ainsi que se retrouvent dans les maisons les armes de ceux qui chassent régulièrement, mais aussi celles des frères, des sœurs, des enfants, des grands-parents.

Pourquoi faudrait-il les limiter à quatre par personne ? Je cherche en vain la réponse à cette question dans le rapport. L’article 17 du projet de loi renvoie seulement à un décret en Conseil d’État pour fixer un plafond. S’agit-il peut-être de démanteler des arsenaux constitués ? Lorsque j’ai demandé si la gendarmerie ou les renseignements généraux en auraient trouvé, il m’a pourtant été répondu que non. Une autre raison, avancée par le haut-commissaire au cours d’un entretien au journal télévisé, serait que l’on tire sur les gendarmes. Certes, à Canala, dans un passage entre deux tribus, une balle est venue perforer la carrosserie d’un véhicule de gendarmerie, certes non blindé. Mais en quoi la limitation de la détention à quatre armes par personne aurait-elle pu protéger les gendarmes de ce tir qui provenait d’une arme unique et très probablement volée ?

Aucun des arguments développés pour justifier cette limitation ne tient. Pire, au lieu de remettre de l’ordre, cela aura l’effet inverse. Comme je l’avais fait à la suite de l’avis du Conseil d’État du 29 janvier sur la possibilité d’inscrire les Calédoniens nés en Calédonie, je vous mets en garde aujourd’hui : si, en application de ce texte, l’État envoie ses agents dans toutes les fermes de Nouvelle-Calédonie pour y compter toutes les pétoires et confisquer celles qui seraient en surnombre – et il peut y en avoir beaucoup : même sans être collectionneur, il arrive d’en détenir une quinzaine –, cela créera inévitablement des désordres.

M. Patrick Mennucci. Vous trouvez que c’est normal d’avoir quinze armes chez soi ?

M. Philippe Gomes. Laissez-moi finir ! Venez d’abord en Nouvelle-Calédonie, après vous pourrez m’expliquer !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. On ne peut pas parler ainsi dans la République.

M. Philippe Gomes. En République, on n’interrompt pas celui qui parle !

M. Patrick Mennucci. Mesurez-vous bien ce que vous dites ?

M. Philippe Gomes. Parfaitement ! Il doit se trouver aussi pas mal d’armes dans les campagnes de France, puisque leur nombre n’est pas limité sur le territoire national.

Enfin, Philippe Gomes est-il le seul à défendre la suppression de cet article ? J’ai entendu tout à l’heure de grandes déclarations sur l’alpha et l’oméga de la politique calédonienne, qui reposerait sur la recherche d’un consensus à trouver et sans lequel rien n’est possible. Or précisément, un consensus total s’est fait jour pour supprimer cet article. Une lettre en ce sens vous a été adressée, madame la ministre, signée par les trois présidents de province, MM. Paul Néaoutyine, Néko Hnepeune et Philippe Michel, par le président du gouvernement néo-calédonien, par le président du Congrès de Nouvelle-Calédonie, M. Yanno, et par les présidents de ses cinq groupes politiques, ainsi que par les députés et sénateurs de Nouvelle-Calédonie. C’est un consensus absolu, qui rassemble Européens et Kanaks, indépendantistes et non-indépendantistes, habitants de la Grande-Terre et habitants des îles. Si tous vous disent, toutes sensibilités politiques confondues, que cet article est inopportun, considérez-moi seulement comme leur porte-parole et faites en sorte qu’il soit supprimé.

Mme la ministre. Sur l’idée de créer un établissement public d’insertion de la défense en outre-mer, je voudrais rappeler que les EPIDe ne sont qu’une adaptation en métropole du service militaire adapté (SMA) d’outre-mer. Dès lors, pourquoi réintroduire en outre-mer la forme édulcorée de SMA que sont les EPIDe ? Je comprends néanmoins votre volonté d’agir en faveur des jeunes décrocheurs. Cela est possible grâce aux écoles de la deuxième chance et aux internats de la réussite, sans qu’il soit besoin de dupliquer le SMA. Nous allons examiner votre amendement en nous intéressant aux structures qui peuvent répondre aux besoins qui s’y expriment. Mais je rappelle qu’en métropole, là où les EPIDe existent, une réflexion est précisément lancée pour réintroduire un SMA. Ne tournons donc pas en rond.

L’idée de donner des parcelles pour construire du logement social me semble très positive. Elle va dans le sens de nos autres actions outre-mer, qui visent à répondre aux besoins tant en équipements qu’en logements.

Pour ce qui est de la défiscalisation, la question ne se pose pas jusqu’au 31 décembre 2017. Les dossiers sont jusque-là acceptés sans difficulté. Dans le projet de loi de finances pour 2016, des dispositions seront prises, soit pour définir un dispositif préférable au dispositif actuel, soit pour prolonger celui-ci. Je pense donc que ceux qui s’inquiètent ont tort de le faire. Nous restons convaincus que la défiscalisation répond aux besoins de l’outre-mer.

S’agissant des armes, j’ai bien compris que nous n’étions pas d’accord… Rappelons que la limitation de la présence d’armes n’est pas propre à la Nouvelle-Calédonie. Des mesures sont prises en ce sens dans les quartiers sensibles, pour y éviter la circulation de kalachnikovs. En Martinique ou à la Guadeloupe, des campagnes ont été menées, non sans succès, pour que leurs détenteurs puissent les rapporter, y compris lorsqu’elles venaient de la famille. Il s’agit d’une politique qui me paraît tout à fait raisonnable, l’État restant en charge de la sécurité dans ce pays. Dans le projet de loi, le Gouvernement demande seulement la possibilité d’adopter un texte après la consultation de toutes les parties concernées. Mon grand-père était chasseur à la Martinique, mais il ne possédait que deux ou trois fusils et cela lui suffisait largement… La multiplication des armes n’est pas souhaitable dans un pays démocratique.

La Commission passe ensuite à l’examen des articles du projet de loi.

Chapitre Ier
Dispositions relatives à l’économie

Section I : Des observatoires des marges, des prix et des revenus

Article 1er (art. L. 410-5, L. 910-1 A et L. 910-1 C du code de commerce) : Création d’un observatoire des prix, des marges et des revenus à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement CL86 du Gouvernement.

Elle adopte ensuite l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

La Commission examine l’amendement CL11 de Mme Ericka Bareigts.

M. Ibrahim Aboubacar. Les difficultés des très petites entreprises d’outre-mer à recouvrer leurs créances constituent de longue date un problème préoccupant. Aussi cet amendement tend-il à ce que les sommes dues par les débiteurs publics aient valeur libératoire vis-à-vis du fisc. Nous devons trouver des solutions pour faire disparaître les mauvais payeurs publics dans les outre-mer.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Si l’objectif de cet amendement est de contourner les retards de paiement des personnes morales de droit public, collectivités, hôpitaux, etc., à l’égard des TPE et PME d’outre-mer en leur permettant de s’acquitter d’une dette fiscale ou sociale auprès du Trésor public par la cession d’une créance qu’elles détiennent sur ces personnes publiques, ce dispositif pose néanmoins, au-delà des réelles préoccupations des entreprises locales en outre-mer, d’importantes difficultés : il instaure un dispositif dérogatoire au paiement de l’impôt au seul bénéfice des PME dans les départements d’outre-mer de nature à heurter le principe d’égalité devant l’impôt ; il transfère au Trésor public la charge de recouvrer une créance détenue au préalable par une entreprise privée sur une personne morale de droit public dont il n’est pas certain qu’elle s’acquitte de la créance, en dehors même des cas liés à l’existence de contentieux ; enfin, il intervient alors que la loi du 28 janvier 2013 et son décret d’application du 29 mars 2013 ont fixé des règles strictes pour améliorer les délais de paiement par les personnes publiques, applicables outre-mer. Ce délai est fixé à trente jours pour les collectivités territoriales, sous peine du paiement d’intérêts moratoires et d’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.

Adopter cet amendement ne serait donc pas du tout incitatif à l’égard des personnes morales de droit public pour régler leurs dettes aux entreprises qu’elles sollicitent.

Mme la ministre. Vous soulevez un problème réel : la difficulté des entreprises à répondre à leurs obligations fiscales et sociales faute d’avoir été payées par leurs fournisseurs publics. Mais il serait de meilleure politique, me semble-t-il, de s’attaquer à la question en cherchant à appliquer correctement la loi du 28 janvier 2013.

M. Ibrahim Aboubacar. Certes, il faut l’appliquer plus rigoureusement ! Mais son adoption n’empêche pas les TPE de se retrouver parfois dans des situations critiques. Le précédent délai de paiement maximal de quarante-cinq jours n’était pas respecté, les délais diminués ne le sont pas davantage. Car les collectivités locales ne se soumettent pas à ces règles – je parle d’expérience.

La Commission rejette l’amendement.

Puis la Commission examine l’amendement CL57 de M. Serge Letchimy.

M. Serge Letchimy. J’ai écouté attentivement les réponses de la rapporteure et de la ministre, qui ne m’ont convaincu ni l’une ni l’autre. Non seulement les PME et TPE se heurtent à de réelles difficultés pour recouvrer leurs créances auprès des mairies et des collectivités locales, mais si elles ne sont par contrecoup pas à jour vis-à-vis de la sécurité sociale et du fisc, elles ne peuvent participer aux marchés publics. En pratique, deux séries d’enveloppe sont ouvertes. Avec les premières enveloppes, il est apprécié si les entreprises soumettantes sont à jour vis-à-vis de la sécurité sociale et du fisc. Si tel n’est pas le cas, les propositions de prix, contenues dans la deuxième enveloppe, ne sont pas mêmes ouvertes. L’État cautionne la mise en difficulté de petites entreprises par des personnes publiques !

L’amendement CL57 que je défends avait été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi Macron, mais il a été supprimé au Sénat. C’est pourquoi je vous invite à le reprendre : il s’agit d’autoriser les administrations financières à délivrer des attestations certifiant, au regard notamment des créances publiques qu’elles détiennent, de la capacité des entreprises à se voir attribuer un marché public.

Mme la rapporteure. Je souhaiterais que l’auteur de cet amendement accepte de le retirer, en raison des motivations retenues par le Sénat pour le supprimer dans le projet de loi Macron.

Ces dispositions sont contraires au principe d’égalité des candidats dans l’accès à la commande publique. En outre, le dispositif n’apparaît pas réellement opérationnel : les « administrations financière » ont la simple faculté de délivrer de telles attestations ; cela paraît peu compatible avec le régime de responsabilité personnelle des comptables publics, par exemple. En tout état de cause, les termes de l’amendement sont beaucoup trop vagues : de quelles administrations financières parle-t-on ? Quelles « créances publiques » vise-t-on ?

Sans nier les difficultés rencontrées par les entreprises locales dans les DOM par rapport aux collectivités, je pense que le dispositif proposé ne les résoudra pas et pose un problème constitutionnel réel. Je vous invite donc à le retirer, mais nous pourrons travailler à nouveau sur cette question.

M. Serge Letchimy. Je préférerais le soumettre au vote. Notre assemblée ne l’a-t-elle pas déjà adopté au cours d’un précédent débat ? Aurait-elle commis une erreur ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Cela lui arrive quelquefois.

M. Serge Letchimy. Le Sénat a une vision trop conservatrice et insuffisamment dynamique.

Mme la ministre. Votre amendement répond à une situation qui pose problème. Mais, en raison des objections de nature constitutionnelle soulevées au Sénat, mieux vaudrait sans doute le rédiger à nouveau.

M. Serge Letchimy. Travaillons ensemble à cette nouvelle rédaction, plus précise, pour une adoption en commun en séance publique…

L’amendement est retiré.

Section II : De la continuité territoriale

Article 2 (art. L. 1803-10 à L. 1803-16 [nouveaux] du code des transports) : Transformation de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité (LADOM) en établissement public administratif

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement CL85 du Gouvernement. Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL160 de la rapporteure.

Enfin, la Commission adopte l’article 2 modifié.

Article 3 : Conditions de reprise des salariés et des droits réels de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité (LADOM)

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL159, CL162, CL163 et CL161 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 3 modifié.

Section III : De l’applicabilité du code de la sécurité sociale

Après l’article 3

La Commission examine l’amendement CL43 de M. Ibrahim Aboubacar.

M. Ibrahim Aboubacar. Dans les dispositifs de la loi sur la continuité territoriale, ce sont en principe les étudiants qui sont pris en charge par les collectivités, et par exception les lycéens à Saint-Barthélemy et à Saint-Pierre-et-Miquelon, faute d’établissement d’enseignement sur place. L’extension de cette dérogation à Mayotte pourrait concerner également Wallis-et-Futuna, voire Saint-Martin si j’en crois les informations recueillies par la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer (CNEPEOM). Je rappelle que la vice-rectrice de Mayotte oriente entre 300 et 400 enfants chaque année vers des établissements du second degré de la métropole.

L’insuffisance de notre offre de formation est donc réelle. Ma proposition cadre au demeurant avec votre volonté de réorienter de manière prioritaire les fonds de la continuité territoriale vers l’insertion et la formation.

Mme la rapporteure. Je vous demanderais de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, je serais obligée d’émettre un avis défavorable à son adoption.

Votre amendement conduirait à une réorientation des crédits du fonds de continuité territoriale au détriment des collectivités qui en bénéficient déjà, à moins de vouloir augmenter l’enveloppe de crédits pour tenir compte de l’extension du dispositif aux élèves de Mayotte. En l’état, cela paraît donc difficilement acceptable, sauf si le Gouvernement voulait s’engager sur des crédits supplémentaires.

Cela dit, le Gouvernement a récemment annoncé un plan de soutien à Mayotte, prévoyant notamment un renforcement des moyens de l’Éducation nationale pour élargir la palette des filières ouvertes aux élèves des dix lycées de Mayotte. La mesure que vous proposez irait à l’encontre des objectifs de ce plan en les incitant à quitter le territoire mahorais.

M. Ibrahim Aboubacar. Je vais retirer mon amendement, mais pour un autre motif que celui que la rapporteure a indiqué. Il ne s’agit pas d’inciter les élèves à quitter le territoire de Mayotte, mais de répondre au problème du manque de places. Les élus sont souvent approchés en début d’année, car il n’est même plus possible de redoubler. Du coup, lorsqu’on a raté l’examen d’entrée, il n’est pas possible de le repasser. Il s’agit au contraire d’offrir à ces enfants une chance de poursuivre leurs études, y compris dans le secondaire.

J’entends parfois dire que les élèves en situation irrégulière ne sont pas admis à fréquenter les établissements scolaires. Mais les élèves français ne le sont parfois pas eux-mêmes. Ceux qui ont seize ans et qui sont en situation irrégulière, on ne les prend plus du tout, tout simplement parce qu’il n’y a pas aucune possibilité de les accueillir. Ce déficit de l’offre de scolarisation a des conséquences extrêmement graves.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL12 de Mme Ericka Bareigts.

M. Ibrahim Aboubacar. Cet amendement fait suite au rapport de Mme Bareigts sur les dispositifs de lutte contre la vie chère. Il concerne les tarifs du service universel de la Poste, qui doivent être rapprochés de ceux qui sont pratiqués en métropole.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je n’en disconviens pas, mais je ne vois pas en quoi la rédaction d’un rapport sur le sujet apporterait quoi que ce soit…

M. Ibrahim Aboubacar. Je sais que la commission des Lois n’aime pas les rapports ; reste que les dispositifs de lutte contre la vie chère, dans bien des domaines, méritent d’être améliorés, y compris pour ce qui touche aux tarifs des services publics.

Mme la rapporteure. Je me rallie à la jurisprudence Urvoas, hostile à l’adoption de tout amendement tendant à une remise de rapport au Parlement. Examiné au cours du débat sur la loi Macron, un amendement de ce type avait déjà été rejeté. Avis défavorable.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous mettons un point d’honneur à ne pas alourdir la charge du Gouvernement…

La Commission rejette l’amendement.

Article 4 (art. L. 751-1, L. 752-1, L. 752-2, L. 752-5, L. 752-6, L. 752-9, L. 752-10, L. 752-11, L. 753-1, L. 753-2, L. 753-4, L. 753-5, L. 753-6, L. 753-7, L. 753-8, L. 753-9, L. 754-1, L. 755-1, L. 755-3, L. 755-9, L. 755-10, L. 755-17, L. 755-19, L. 755-20, L. 755-21, L. 755-21-1, L. 755-22, L. 755-29, L. 755-33, L. 756-1, L. 756-2, L. 756-4, L. 757-1, L. 757-3, L. 758-1, L. 758-2, L. 758-3, L. 815-24, L. 821-1 et L. 831-1 du code de la sécurité sociale) : Application du code de la sécurité sociale à Saint-Barthélemy et Saint-Martin

La Commission adopte successivement l’amendement de coordination CL175, l’amendement rédactionnel CL164, l’amendement de coordination CL165, l’amendement rédactionnel CL166 et l’amendement de coordination CL169 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 4 modifié.

Section IV : De l’applicabilité du code du travail à Mayotte

Article 4 bis (nouveau) (chapitre VII [nouveau] du titre IV du livre premier du code du travail applicable à Mayotte) : Extension de la législation sur les titres-restaurant à Mayotte

La Commission adopte l’article 4 bis sans modification.

Article 4 ter (nouveau) (loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, code du travail applicable à Mayotte) : Extension de la loi relative à l’économie sociale et solidaire à Mayotte

La Commission adopte l’amendement de précision CL170 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 4 ter modifié.

Après l’article 4 ter

La Commission examine l’amendement CL41 de M. Ibrahim Aboubacar.

M. Ibrahim Aboubacar. Mon amendement CL41 renvoie à des lacunes du code du travail, dont certaines des dispositions ne sont pas applicables à Mayotte. Cela a des conséquences sur les règles relatives au service à la personne. Certains sénateurs ont soutenu que la loi du 31 juillet 2014 sur l’économie sociale et solidaire n’était pas applicable à Mayotte, au motif que l’ordonnance d’extension prévue à l’article 96 de ladite loi n’aurait pas été prise. Ce n’est pas la lecture que j’en fais.

L’article 96 dispose : « Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution et dans un délai de neuf mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance les mesures permettant de procéder aux adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières des départements et régions d’outre-mer et du Département de Mayotte dans les conditions prévues à l’article 73 de la Constitution. » L’habilitation donnée au Gouvernement de prendre une ordonnance lui est donc donnée dans les mêmes conditions et dans les mêmes termes pour Mayotte que pour les quatre autres départements d’outre-mer. Prétendre que la loi sur l’économie sociale et solidaire ne serait pas applicable à Mayotte revient donc à dire qu’elle ne serait pas applicable non plus dans ces quatre départements. Cela ne fait que jeter la confusion au sujet de l’applicabilité de la loi à Mayotte.

Ce sont plutôt certaines dispositions du code du travail auxquelles ladite loi renvoie qui ne sont pas applicables à Mayotte, de sorte qu’elle ne l’y est pas non plus elle-même. Mon amendement vise donc à rendre la loi sur l’économie sociale et solidaire effectivement applicable à Mayotte dans le champ du service à la personne, où l’urgence est criante.

Mme la rapporteure. Le présent amendement transpose, à l’identique, dans le code du travail à Mayotte les articles L. 7232-1 et suivants du code du travail relatifs aux activités de service à la personne pour développer l’emploi dans cette branche sur ce territoire.

Cette réforme est réclamée depuis longtemps par les Mahorais au ministère du Travail. Avis favorable.

Mme la ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis la Commission examine l’amendement CL35 de M. Serge Letchimy.

M. Serge Letchimy. Cet amendement se défend par son évidence même. UbiFrance et l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII) ont été fusionnés pour devenir BusinessFrance. Or la nouvelle entité n’intervient pas dans l’outre-mer. L’amendement tend à faire que cela devienne possible.

Mme la rapporteure. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis la Commission examine l’amendement CL36 de M. Serge Letchimy.

M. Serge Letchimy. Il s’agit d’un amendement de cohérence qui découle du précédent. Je rappelle que la Caraïbe compte plus de 35 millions d’habitants.

Mme la rapporteure. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Section V : De d’applicabilité des dispositions monétaires et financières

Article 4 quater (nouveau) (art. L. 711-5, L. 712-5-1, L. 711-6-1 et L. 712-7-1 [nouveaux] du code monétaire et financier et art. 3 de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics) : Modernisation de l’Institut d’émission d’outre-mer (IEOM) et de l’Institut d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM)

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL171 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement CL44 de M. Philippe Gomes.

M. Philippe Gomes. Les frais bancaires et les taux d’intérêt pratiqués en Nouvelle-Calédonie et dans les collectivités du Pacifique sont nettement plus élevés qu’en métropole et même que dans les départements d’outre-mer. Un dispositif législatif habilite ainsi le haut-commissaire à négocier chaque année avec les établissements bancaires pour faire baisser leurs tarifs, le but étant qu’à compter de 2017, ceux-ci ne dépassent pas de plus de 50 % les frais perçus pour une opération identique en métropole. Nous sommes donc sur la bonne voie, même si le chemin n’est pas très rapide…

Mais le génie bancaire se développe sans cesse. Certains articles du code monétaire et financier ne sont pas étendus à la Nouvelle-Calédonie. Ainsi un compte bancaire inactif se définit en métropole comme un compte sur lequel aucune opération n’est enregistrée depuis douze mois, alors qu’il suffit de trois mois pour dresser ce constat en Nouvelle-Calédonie, en vertu de l’ancien article en vigueur sur le territoire. Les frais facturés sont ainsi plus importants en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

Je sollicite donc l’extension à ces deux collectivités de l’article 312-19 du code monétaire et financier.

Mme la rapporteure. Je vous demanderais cependant de retirer votre amendement, pour le déposer peut-être à nouveau en séance publique. L’objectif que vous poursuivez est tout à fait louable, mais je ne comprends pas pourquoi l’extension proposée ne couvrirait pas également l’article 312-20 du code monétaire et financier qui prévoit par ailleurs une obligation de dépôt à la Caisse des dépôts et consignations.

M. Philippe Gomes. J’accepte le retrait en espérant travailler d’ici à la séance à une meilleure formulation avec les services compétents.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’article 4 quater modifié.

Après l’article 4 quater

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement CL87 du Gouvernement.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte ensuite l’amendement CL88 du Gouvernement.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous songeons, au sein de la commission des Lois, à étendre notre jurisprudence hostile aux amendements tendant à la remise d’un rapport aux amendements du Gouvernement portant article additionnel à ses propres projets de loi. C’est un procédé que les parlementaires ont quelque mal à comprendre…

Mme la ministre. Au fur et à mesure, la discussion s’enrichit…

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Eh bien, dorénavant, le Gouvernement devra réfléchir avant d’écrire !

Chapitre II
Dispositions relatives à la maîtrise foncière et à l’aménagement

Section I : Établissements publics fonciers et d’aménagement

Article 5 (section 3 du chapitre Ier du titre II du livre II et art. L. 321-36-1 à L. 321-36-7 [nouveaux] du code de l’urbanisme) : Statut de l’établissement public d’aménagement de Guyane et création de l’établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL144 de la rapporteure.

Puis elle examine, en discussion commune, l’amendement CL105 du Gouvernement, objet du sous-amendement rédactionnel CL177 de la rapporteure, et l’amendement CL38 de Mme Chantal Berthelot.

Mme Chantal Berthelot. Comme l’a dit la rapporteure, il existe en Guyane un établissement public d’aménagement en Guyane (EPAG) auquel s’applique déjà l’alinéa 9, car cet établissement peut céder par convention ou donner en bail emphytéotique des terrains. Mais faute de disposer de crédits à cet effet, l’EPAG a demandé à l’État de lui rétrocéder gratuitement des terrains, qu’il cède via des baux à ferme ou emphytéotiques aux agriculteurs.

Madame la ministre, je suis surprise que les arguments que vous préparent vos conseillers ne soient pas les bons. Si vous créez de nouveau l’EPAG alors qu’il existe déjà, c’est tout simplement parce que la loi vous imposait de le scinder en deux à compter du 1er janvier 2016, en créant un établissement foncier et un établissement public d’aménagement. Encore faudrait-il trouver comment financer la partie « aménagement », dans la mesure où le ministère de la Ville finance déjà le financement de cet outil, qui n’a jamais bénéficié des financements suffisants. Même si la situation s’est un peu améliorée depuis 2000, la situation de l’EPAG reste celle d’un établissement sous-financé.

Je ne conteste pas que la Guyane ait besoin d’un outil pour conduire de l’aménagement foncier au regard des besoins de logement en Guyane. Mais vous ne pouvez pas comparer la Guyane et Mayotte, et soutenir que l’établissement public d’aménagement en Guyane et que l’établissement public foncier d’aménagement à Mayotte sont la même chose. Les superficies ne sont en rien comparables. Un même établissement ne saurait s’y occuper à la fois d’agriculture et d’aménagement foncier. Selon l’Agence d’urbanisme et de développement de la Guyane (AUDEG), la Guyane a perdu, entre 2000 et 2010, 3 700 hectares agricoles en Guyane, soit l’équivalent de dix terrains de football par semaine, faute de maîtrise des terrains agricoles et de l’urbanisation.

L’outil que vous proposez, madame la ministre, ne répond pas aux besoins de la gestion des terres agricoles en tant que telles. Un rapport de 2012 avait dessiné quatre scénarios possibles. Mais le rapport suivant, que le Gouvernement nous avait pourtant promis, se fait attendre. Le foncier est une vraie problématique sur la Guyane. Comme je l’ai dit au cours du débat sur la loi de modernisation de l’agriculture, ce pourrait même être un sujet qui pourrait mettre ce territoire mis à feu et à sang. Je regrette que l’État ne prenne pas la mesure de l’ampleur du problème en apportant les moyens nécessaires. Il convient en tout état de cause d’enlever son volet agricole à l’EPAG.

Enfin, une loi de 2006 donne à l’EPAG un droit de préemption, mais la consultation sur le décret d’application n’est pas toujours pas à l’ordre du jour. Plus exactement, il avait été inscrit à l’ordre du jour de la commission de développement et d’orientation agricole (CDOA), mais le représentant de l’État l’en a fait retirer. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Le problème est que votre amendement va tomber, madame Berthelot, dans la mesure où l’amendement du Gouvernement propose une nouvelle rédaction de l’alinéa 9 de l’article 5. Le Gouvernement répondra à vos questions en séance publique.

M. Ibrahim Aboubacar. Je vous remercie, monsieur le président, pour votre ouverture aux préoccupations exprimées par notre collègue, Mme Chantal Berthelot. Nous partageons la stratégie d’utilisation des outils fonciers en Guyane qu’elle vient d’exposer. En Guyane, la dimension du territoire rend cette question spécifique, et nous nous étions mis d’accord pour que l’amendement ne s’applique qu’à ce territoire et non à Mayotte.

Madame la ministre, je ne souhaite pas que trois instruments différents soient déployés à Mayotte. J’ai déposé des amendements, frappés d’irrecevabilité, qui demandaient en revanche qu’une décision soit prise. Dès lors que l’on ne crée pas une multitude d’outils fonciers pour régler ces problèmes, il faut confier à l’établissement public foncier et d’aménagement les missions foncières et de titrisation. La loi du 17 octobre 2013 visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques et à faciliter la reconstitution des titres de propriété en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte et à Saint-Martin, issue de la proposition de loi du sénateur M. Serge Larcher, prorogeait de deux ans l’existence des agences des pas géométriques et avait ouvert une option pour Mayotte et la Guyane. Or cette dernière n’a pas été utilisée. Voilà pourquoi nous réclamons qu’une décision soit prise et mise en œuvre ! Le statu quo empêche l’installation d’agriculteurs. Nous souhaitons donc qu’une option soit arrêtée pour la séance publique, afin que la loi fixe les missions de ce nouvel établissement ; du fait de l’article 40 de la Constitution, seul le Gouvernement peut procéder à cette clarification, les parlementaires n’en ayant pas la possibilité.

La Commission adopte l’amendement CL105 sous-amendé.

En conséquence, l’amendement CL38 tombe.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL145 de la rapporteure.

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* *

La séance est levée à 19 heures 30.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Dominique Bussereau, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Olivier Dussopt, M. Daniel Gibbes, M. Philippe Gomes, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Houillon, Mme Sonia Lagarde, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Serge Letchimy, M. Patrick Mennucci, M. Dominique Raimbourg, Mme Maina Sage, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Paola Zanetti

Excusés. - M. Jacques Bompard, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Carlos Da Silva, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Guy Geoffroy, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Sandrine Mazetier, M. Bernard Roman

Assistaient également à la réunion. - Mme Chantal Berthelot, M. Yves Blein