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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 25 novembre 2015

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 18

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale (n° 3202) (M. Pascal Popelin, rapporteur)

– Examen de la proposition de loi visant à réprimer la négation des génocides et des crimes contre l'humanité du XXème siècle (n° 2276) (Mme Valérie Boyer, rapporteure)

– Examen de la proposition de loi visant à rendre automatique l'incapacité pénale d'exercice pour les personnes définitivement condamnées pour des faits de pédophilie ou de détention d'images pédopornographiques (n° 3140) (M. Claude de Ganay, rapporteur)

La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission examine d’abord, sur le rapport de M. Pascal Popelin, la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale (n° 3202).

M. Pascal Popelin, rapporteur. Déposée le 9 juin dernier par M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste du Sénat, puis adoptée à l’unanimité par la Haute Assemblée le 5 novembre, la présente proposition de loi vise à rétablir les sanctions pénales contre les partis politiques ayant accepté des dons de personnes morales. En effet, ces sanctions avaient été involontairement supprimées par la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, à la suite d’un défaut de coordination de certaines dispositions, après l’adoption d’un amendement au Sénat.

Cette faille n’a été détectée par personne, jusqu’à ce que, en juin 2015, confronté à une violation de la loi du 11 mars 1988 sur le financement des partis par une formation qui n’a pas plus la tête haute que les mains propres, le juge pénal se retrouve dans l’incapacité de lui appliquer les sanctions réprimant le financement illégal par une personne morale.

Le législateur est alors intervenu immédiatement : dès ce même mois de juin, à l’initiative de notre excellent collègue Dominique Raimbourg, l’Assemblée nationale a introduit un dispositif rétablissant, en substance, le droit antérieur, au sein du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, qui a été adopté définitivement le 23 juillet. Cette disposition ne semblait pas sans lien avec l’objet du projet de loi puisqu’elle visait à renforcer la sécurité juridique de procédures pénales. Las ! Telle n’a pas été l’analyse du Conseil constitutionnel qui, saisi par des sénateurs, a jugé l’article en question dépourvu de « lien, même indirect, avec le projet de loi initial ».

Errare humanum est, perseverare diabolicum. La proposition de loi que nous examinons ce matin vise, modestement, à en terminer avec ce chemin de croix législatif. Elle rétablit les sanctions – à savoir un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende – à l’encontre de tout bénéficiaire de dons consentis par une personne morale, quel que soit le montant du don et qu’il s’agisse d’une personne morale de droit français ou de droit étranger, y compris un État étranger.

Les mêmes sanctions restent également applicables, sans changement, aux partis recevant des dons consentis par une même personne physique en méconnaissance du plafond de 7 500 euros par an. L’un des mérites de la loi sur la transparence de 2013 a été, je le rappelle, de fixer ce nouveau plafond, qui s’appliquait auparavant non par donateur, mais par parti politique. Ainsi, une même personne pouvait donner chaque année 7 500 euros à autant de partis qu’elle le souhaitait.

En tant que rapporteur, après avoir vérifié la solidité juridique du nouveau dispositif, j’appelle à une adoption rapide de cette proposition de loi. Une telle adoption pose d’autant moins de difficultés que la rédaction issue des travaux du Sénat – en particulier d’un amendement du rapporteur Michel Delebarre – s’inspire très largement de celle que notre Assemblée avait retenue dans la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, en juillet dernier.

En conséquence, rien ne s’oppose à l’adoption, sans modification, de cette proposition de loi, qui permettra de rétablir au plus vite, dans toute son efficacité, le dispositif encadrant le financement des partis politiques. L’absence d’amendement déposé préalablement à l’examen du texte par notre Commission m’incite à penser que l’ensemble des groupes partagent cette opinion. Cela devrait nous permettre de conclure promptement nos travaux sur ce point, dans un beau moment de consensus républicain.

M. Paul Molac. Cette proposition de loi va dans le bon sens. Ainsi que cela a été rappelé, l’article 11-5 de la loi du 11 mars 1988 ne pénalise plus, depuis sa réécriture, le financement illégal des partis par les personnes morales. Cela pose un problème très important, d’autant que nous avons été témoins de quelques cas impliquant le Front national, lequel a prêté de l’argent à ses candidats à un taux prohibitif ou leur a fourni certaines prestations payées chèrement, notamment deux sites internet dont on ne trouve pas trace – la presse s’en est fait l’écho. Ce texte arrive donc, selon moi, au bon moment. Nous avions déjà essayé de régler le problème, mais la disposition correspondante avait été censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle constituait un cavalier législatif. Notre groupe votera bien évidemment en faveur de cette proposition de loi, tout en estimant qu’il faut aller plus loin. À cet égard, nous examinerons avec beaucoup d’attention les propositions de loi en préparation, tant celle de notre collègue Romain Colas que celles qui ont été déposées par le Président de notre Commission.

M. Georges Fenech. Ce dispositif recueillera un avis très consensuel de tous les membres de la commission des Lois. On peut néanmoins se poser une question : ce texte, tel qu’il est rédigé, tient-il bien compte de la notion d’élément intentionnel ? Nous sommes tous très attachés, notamment en droit pénal, à ce que l’infraction soit imputée lorsque l’élément intentionnel – la connaissance de cause, la mauvaise foi – est parfaitement établi. Ayant l’expérience des campagnes électorales, nous savons tous qu’un médecin ou un dentiste qui souhaite faire un don peut, involontairement, faire un chèque émanant de son cabinet médical. Il arrive donc que l’on reçoive des dons de la part de personnes morales et qu’on les inscrive dans les comptes de campagne sans qu’il y ait véritablement volonté d’enfreindre les règles de financement. Certes, le texte laisse entendre que l’infraction doit avoir un caractère intentionnel, qu’il appartient au juge d’apprécier, mais n’aurait-il pas été plus sécurisant de le préciser explicitement ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen est satisfait que nous examinions cette proposition de loi, dont notre collègue Jean-Pierre Sueur a pris l’initiative et qui a été votée à l’unanimité par le Sénat. Elle vient utilement corriger un vide juridique apparu à la suite d’une erreur de coordination dans la loi relative à la transparence de la vie publique, ainsi que l’a parfaitement expliqué le rapporteur. Nous sommes dans une situation aberrante : il n’est plus possible de sanctionner une pratique interdite, à savoir l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale. Il faut y remédier au plus vite. Je suis favorable à un vote conforme, les sénateurs ayant réalisé un travail de qualité sur ce texte. Compte tenu de l’absence d’amendement, cette idée semble très consensuelle. C’est en tout cas la ligne que suivra le groupe Socialiste, républicain et citoyen, y compris en séance publique.

M. René Dosière. Selon moi, cet épisode révèle, d’une part, les risques de la procédure accélérée et, d’autre part, l’intérêt du bicamérisme.

M. Jacques Bompard. Le mode de financement de la vie politique française me semble anormal, car il pervertit l’esprit de la Constitution de la Ve République : il fait le jeu des factions et, donc, des gros partis. Ainsi, il devient de plus en plus problématique de concevoir qu’il y ait un financement public de la vie politique française. On convient aisément qu’il fallait sortir des histoires financières des syndicats professionnels ou des années Mitterrand, mais les Français ont désormais l’impression que l’État organise un théâtre factice qui ne correspond plus à la réalité.

Je regrette donc que le texte n’aborde pas plusieurs questions majeures que les Français se posent. Premièrement, cela a-t-il un sens de continuer à financer des partis politiques qui se distinguent le plus souvent par la répétition du prêt-à-penser ? Ces partis apportent-ils quoi que ce soit à la vie de la cité ?

Deuxièmement, si la logique est d’encourager la diffusion d’idées par des mouvements politiques, n’est-il pas temps de procéder à un remboursement dégressif des frais de campagne afin de cesser de soutenir les énormes structures partisanes ?

Troisièmement, la loi du 11 mars 1988 dispose qu’« aucune association de financement ou aucun mandataire financier d’un parti politique ne peut recevoir, directement ou indirectement, des contributions ou aides matérielles d’un État étranger ou d’une personne morale de droit étranger ». Cette disposition me paraît volontairement floue. Elle contribue à maintenir la tradition des intrusions étrangères dans la vie politique française et dans nos débats. Il faut remonter à la IIIe République pour trouver un tel niveau d’interventions étrangères !

D’autre part, à l’instar de notre collègue Georges Fenech, j’estime essentiel de préserver le caractère intentionnel de l’infraction.

Je soutiens les dispositions de ce texte, car il va dans le bon sens. Cependant, il laisse de côté cette interrogation : n’aurions-nous pas tous intérêt à réformer en profondeur l’articulation entre vie politique, financement des partis et représentation du pays réel, les Français se détournant toujours davantage des structures partisanes ?

M. Gilbert Collard. Vous ne serez pas étonnés, mes chers collègues : je suis plus que favorable à ce texte – je le dis avec une insistance soulignée. J’appelle cependant votre attention sur un point : si nous renonçons à la notion d’intention dans la définition des incriminations, c’est-à-dire au fait qu’il doit y avoir une volonté de commettre l’acte répréhensible, nous prenons le risque de robotiser la pénalité. Il s’agit, au demeurant, d’un choix de société. Je crains que le Conseil constitutionnel ne s’intéresse à cet aspect de la question – ce serait, du reste, normal. Mis à part cette difficulté, qui me paraît relever davantage de l’humanisme judiciaire que de la structure des infractions, le texte a toute mon approbation.

M. Lionel Tardy. Lorsque l’Agence France-Presse a fait état de cette bourde en juin dernier, nous avons tous été surpris, ou plutôt relativement surpris car, vu les conditions dans lesquelles certains textes importants sont examinés, ce genre de bévue n’est pas tellement étonnant. Malheureusement, ce ne sera peut-être pas la dernière. Nous nous trouvons donc dans une situation absurde : depuis plus de deux ans, le fait pour un parti de recevoir des dons d’une personne morale n’est plus pénalisé. Il est évident qu’il faut corriger cette erreur, et je souhaite, comme nous tous je crois, un vote conforme, afin que cette proposition de loi soit adoptée très rapidement. Elle aurait dû l’être il y a plusieurs mois déjà.

Cette adoption ne nous empêchera pas d’avoir, je l’espère, un véritable débat sur la transparence financière des partis politiques, les affaires récentes montrant que la législation doit encore évoluer. À ce titre, je regrette que les propositions de loi déposées récemment par le président de la commission Jean-Jacques Urvoas ne traitent que de l’élection présidentielle, car le chantier est bien plus vaste. J’ai moi-même déposé l’année dernière une proposition de loi relative à la transparence financière des partis et groupements politiques, et je souhaite qu’une large discussion ait lieu, de nombreuses questions restant en suspens. En tout cas, celle du financement par une personne morale doit être tranchée. C’est pourquoi cette proposition de loi doit être votée sans plus attendre.

M. le rapporteur. Je réponds à la question soulevée par plusieurs d’entre vous, en premier lieu par M. Fenech – je comprends l’acuité que peut présenter ce problème pour lui à titre personnel. Il peut arriver que l’on supprime une disposition juridique « à l’insu de son plein gré ». La preuve : c’est ce qui s’est passé pour les sanctions dont nous discutons. Quoi qu’il en soit, le texte vise à pénaliser non pas le fait de recevoir des dons de la part d’une personne morale, mais celui d’en accepter. Les partis ont donc la responsabilité de vérifier les dons qu’ils reçoivent.

D’autre part, lorsque le juge apprécie une infraction, il vérifie toujours son caractère intentionnel. C’est un principe général du droit pénal – j’ai scrupule à m’exprimer ainsi devant d’éminents spécialistes de cette branche du droit. Il n’est donc pas nécessaire de l’indiquer explicitement dans la loi. Le cas échéant, on précise plutôt le contraire, à savoir que l’infraction peut être constituée sans caractère intentionnel. Tel est le cas, par exemple, de l’homicide involontaire.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er (art. 11-5 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique) : Sanctions pénales applicables en matière de financement des partis politiques

La Commission adopte l’article 1er sans modification.

Article 2 : Application outre-mer

La Commission adopte l’article 2 sans modification.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi à l’unanimité.

*

* *

La Commission examine ensuite, sur le rapport de Mme Valérie Boyer, la proposition de loi visant à réprimer la négation des génocides et des crimes contre l’humanité du XXe siècle (n° 2276).

Mme Valérie Boyer, rapporteure. J’ai déposé la présente proposition de loi sur le bureau de l’Assemblée nationale, avec plusieurs de mes collègues, il y a maintenant plus d’un an, en octobre 2014.

Contrairement à ce que certains pourraient prétendre à tort, il ne s’agit en rien d’une « loi mémorielle » : elle n’est pas une simple loi déclarative, comme le sont généralement les lois mémorielles, et ne fait référence à aucun événement historique en particulier. D’ailleurs, nous nous gardons bien dans ce texte de porter un quelconque regard sur tel ou tel événement historique.

Cette proposition de loi revêt une incontestable portée normative : elle vise à réprimer la négation des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité, afin de mettre fin au déni de justice dont souffrent actuellement les victimes de ces crimes et leurs familles, en particulier leurs descendants. Il ne s’agit nullement de mettre en concurrence les victimes de ces crimes, mais de leur offrir à toutes une protection universelle et intemporelle contre le négationnisme.

Actuellement, en l’absence d’incrimination générale du délit de négationnisme dans notre législation – hors les cas prévus par la « loi Gayssot » du 13 juillet 1990, dont le champ est circonscrit aux seuls crimes contre l’humanité commis pendant la Seconde Guerre mondiale –, les auteurs de propos négationnistes ne peuvent être poursuivis que pour diffamation ou injure raciale, provocation à la haine raciale ou apologie de crimes contre l’humanité. En d’autres termes, si les propos négationnistes tenus échappent à l’une de ces infractions et ne s’inscrivent pas non plus dans le champ d’application de la loi Gayssot précitée, les auteurs de ces propos ne peuvent aujourd’hui faire l’objet d’aucune poursuite pénale, au mépris du respect dû à la mémoire des victimes des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité.

Cette proposition de loi est le fruit d’un long parcours législatif, qui a été entamé il y a plus de dix ans et reste semé d’embûches. Comme vous le savez tous, le projet de loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, adopté définitivement le 23 janvier 2012 par le Parlement, n’a pu entrer en vigueur en raison de sa censure par le Conseil constitutionnel dans une décision du 28 février 2012.

Je n’ignore rien de ces difficultés juridiques et – peut-être plus que tout autre ici – je suis particulièrement attachée à la liberté d’expression et aux libertés, constitutionnellement garanties, de la recherche et de l’enseignement supérieur, dont bénéficient et doivent continuer à bénéficier les historiens et, plus largement, les universitaires et les enseignants-chercheurs. Selon Serge Klarsfeld, depuis l’adoption de la loi Gayssot, rien n’a empêché les historiens de travailler ni de publier sur ces sujets.

C’est au nom de l’exigence de protection de ces libertés fondamentales et sacrées que je vous proposerai, au cours de la discussion des articles, de récrire le dispositif proposé, en vue d’en garantir la pleine et entière sécurité juridique. En effet, j’ai mené ces dernières semaines de nombreuses auditions, afin de recueillir l’avis de plusieurs éminents juristes et historiens de notre pays. Lors de ces travaux préparatoires, j’ai acquis la conviction que, en améliorant le présent texte, nous pouvons franchir tous ensemble, dès à présent, une nouvelle étape dans le respect des exigences constitutionnelles et conventionnelles. Plutôt que de vous présenter le texte initial de la proposition de loi, je détaillerai donc la portée de l’amendement à l’article 1er que j’envisage de soumettre à votre examen. Cette réécriture ne vise qu’un seul et même objectif : assurer la conformité du délit de négationnisme à la Constitution et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Au regard de l’exigence de conformité à la Constitution et dans le respect de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 28 février 2012, je vous proposerai ainsi deux modifications par rapport au texte initial. La première consistera à introduire des éléments d’extériorité, afin que la reconnaissance d’un crime de génocide ou d’un crime contre l’humanité dépende non pas du seul législateur – comme c’était le cas en 2012, ce qui nous a d’ailleurs été reproché –, mais soit d’un traité ou d’un accord international auquel la France est partie, soit d’une décision de justice rendue par une juridiction nationale ou par une juridiction internationale établie par un traité ou un accord international régulièrement ratifié ou approuvé par la France.

La seconde de ces modifications reviendra à prévoir de nouveaux garde-fous destinés à garantir la liberté d’expression : l’incrimination sera définie plus précisément, les éléments les plus difficiles à qualifier pénalement, tels que la « banalisation » ou la « minimisation grossière », étant supprimés au profit d’éléments plus aisés à caractériser juridiquement, à savoir la « négation par principe », la « contestation systématique » ou la « tentative de justification » des crimes de génocide ou des crimes contre l’humanité.

Compte tenu de la jurisprudence de la CEDH, notamment de l’arrêt Perinçek contre Suisse du 15 octobre 2015, mon amendement tend à mieux protéger la liberté d’expression, en subordonnant la peine encourue pour négationnisme à une liste de conditions cumulatives strictement énumérées. Premièrement, les faits incriminés devront constituer une incitation directe ou indirecte à la violence ou à la haine à l’égard des victimes, de leurs ascendants ou de leurs descendants, ou bien porter atteinte à la dignité de ces mêmes personnes. Deuxièmement, ils devront être commis au moyen de preuves ou de témoignages ayant été délibérément omis, altérés ou détruits.

Enfin, dans un souci constant de respecter le principe d’égalité devant la loi pénale, j’apporterai, par mon amendement, deux innovations indispensables.

En premier lieu, la loi visera non pas les seuls crimes de génocide ou crimes contre l’humanité commis au XXe siècle, mais bien l’ensemble de ces crimes, à la condition qu’ils aient été reconnus par un instrument juridique international ou bien par une juridiction nationale ou internationale.

En second lieu, si nous inscrivions le nouveau délit de négationnisme dans le code pénal, ainsi que le prévoit le texte initial, nous créerions un régime procédural plus favorable que pour les faits relevant d’une loi spéciale, tels que, paradoxalement, la négation du génocide juif, qui figure dans la loi sur la liberté de la presse. En effet, les infractions de presse sont soumises à des dispositions plus contraignantes : prescription d’un an au lieu de trois, interdiction d’utiliser la comparution immédiate et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, limitation des saisies et perquisitions. Dans un souci d’égalité, je vous proposerai d’inscrire le nouveau délit de négationnisme dans la loi sur la liberté de la presse, afin qu’il obéisse au même régime procédural que la négation des crimes contre l’humanité définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international de Nuremberg.

Compte tenu de ces différents éléments, vous pouvez constater, mes chers collègues, qu’il s’agit non pas d’un texte de circonstance, mais, bien au contraire, d’un texte qui se veut universel et intemporel, en offrant à toutes les victimes de ces crimes une même protection contre le négationnisme.

Dans notre société, la perte de repères aboutit parfois à des dérives absolument dramatiques. Dans la période particulièrement troublée et difficile que nous vivons, le respect de la dignité humaine doit être au cœur de nos préoccupations. J’espère que nous parviendrons à trouver ensemble un chemin afin de la préserver.

C’est pourquoi je vous invite humblement, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi, que le groupe Les Républicains a choisi d’inscrire – dans une approche consensuelle et au-delà de tout clivage partisan ou politique – à l’ordre du jour du jeudi 3 décembre 2015, journée qui lui est réservée en application de l’article 48 de la Constitution.

M. Paul Molac. L’objet de cette proposition de loi est de surmonter un obstacle constitutionnel, un texte analogue ayant été censuré par le Conseil constitutionnel. Depuis la loi Gayssot, nous nous posons de nombreuses questions sur ces lois qui consistent à reconnaître tel ou tel forfait commis dans l’histoire, qu’il s’agisse de l’esclavage ou des génocides. En adoptant ce texte, nous élargirions le champ des génocides concernés à tous les génocides qui ont été commis au XXsiècle. Nous étendrions aussi la liste des éléments constitutifs du délit de négationnisme, le texte visant à punir notamment la « banalisation », la « minimisation grossière » et la « tentative de justification » des crimes contre l’humanité.

Je ne suis pas toujours d’accord avec le Conseil constitutionnel, mais, en l’espèce, il faut agir selon moi avec beaucoup de doigté. Je crains que l’on en vienne à tout juger. Nous pourrions en effet faire des lois dans toute une série de domaines : par exemple, certains pourraient faire valoir que les hommes ont opprimé les femmes pendant de nombreuses années. Je ne suis pas sûr que cela contribuerait à la concorde sociale. Je relève qu’un arrêt de la grande chambre de la CEDH a encadré strictement la pénalisation du négationnisme : d’une part, les faits incriminés doivent constituer un appel à la haine et à l’intolérance ; d’autre part, il faut qu’il existe un lien direct entre le pays considéré et le génocide en question – tel serait le cas, par exemple, s’il s’agissait de la Turquie et du génocide arménien. Je vous avoue mon trouble et demeure très réservé quant à cette proposition de loi.

M. Jacques Bompard. Madame la rapporteure, je comprends parfaitement votre ambition d’inscrire le génocide arménien au cœur de la loi française, et j’y suis tout à fait favorable. Ce génocide d’une violence incomparable n’a rien à envier aux autres crimes issus de la folie des hommes. Rien : il y eut des déportations, des viols, des tortures, une volonté d’épuration ethnique et religieuse. Tout cela a été mené par les officines ultra-laïques des Jeunes Turcs, qui alliaient déjà haine des chrétiens et volonté d’épuration ethnique. De Mardin à Diyarbakir, la violence fut infinie. L’année dernière, au Liban, les Arméniens ont d’ailleurs manifesté en scandant : « Ni oubli, ni pardon », pendant que les services turcs organisaient des contre-cérémonies à Tripoli.

Soyez certaine que je salue votre démarche, d’autant que, dans le même temps, le président islamiste Recep Tayyip Erdogan continue à montrer la nature de ses convictions et de ses alliances. Signalons tout de même que cet homme est venu récemment prêcher la mobilisation communautaire à Strasbourg, alors que la constitution de la Turquie interdit la simple évocation politique des minorités présentes sur son sol !

Si l’on veut aller au bout de votre démarche, il faut oser dire au Conseil constitutionnel que soit la loi Gayssot doit être complétée, soit l’on crée des hiérarchies entre les horreurs et entre les génocides, attitude qui ne peut qu’accentuer les violences mémorielles. D’ailleurs, pourquoi limiter le champ des horreurs et des génocides considérés au seul XXe siècle ? Il est désormais clairement établi par bon nombre d’historiens que les massacres ordonnés par les révolutionnaires, tant ceux qui furent perpétrés en Vendée par les colonnes infernales, qui brûlèrent notamment des enfants, que les exécutions de carmélites, telles qu’il y en eut à Orange, faisaient partie d’un plan. Or il ne viendrait à l’esprit de personne de criminaliser les commentateurs de cette période. Pourtant, selon Soljenitsyne, c’est dans ces procédés que l’on trouve la matrice de tous les génocides du XXe siècle.

La loi instaure de fait une hiérarchie entre les génocides. Elle établit la négation d’un génocide en un délit contre l’humanité, alors qu’il s’agit plutôt, selon moi, d’un crime contre l’esprit. Madame la rapporteure, vous nous posez un cas de conscience. Si l’on va complètement dans le sens de la loi Gayssot, il faut étendre son champ aux camps de rééducation gauchistes du général Giap, aux expérimentations culturelles de Mao, aux assassinats de Katyn et à tant d’autres expériences menées par des idéologues de toute sorte. Soit on ouvre cette loi à toutes les horreurs, soit on la cantonne à une seule d’entre elles. Tel est le dilemme.

Quoi qu’il en soit, je salue pleinement votre engagement en faveur de la mémoire du génocide arménien et en faveur des Chrétiens d’Orient, et vous en remercie.

M. Gilbert Collard. Je comprends que l’on veuille punir ceux qui contestent les génocides, en particulier celui des Arméniens. C’est le premier des génocides, celui qui a servi d’exemple. Lorsqu’on lui reprochait le génocide des Juifs, Hitler répondait que personne ne s’était intéressé à celui des Arméniens – tous les historiens l’ont signalé.

D’un point de vue moral, intellectuel et humaniste, je comprends donc la démarche. Mais, du point de vue juridique, j’ai l’impression que ce texte vient surcharger le dispositif existant, et que nous entrons désormais dans une surenchère des mémoires douloureuses. Or je ne crois pas que ce soit un élément d’apaisement pour le pays. Je crains même que l’on en vienne – ce serait vraiment terrible – à une forme de concurrence dans la défense des mémoires douloureuses.

D’autre part, élargir la pénalisation du négationnisme et incriminer la banalisation, c’est se heurter de front à la définition donnée par la CEDH. On sait très bien que la jurisprudence européenne, à laquelle nous sommes soumis, ne va pas du tout dans ce sens-là. Nous nous ferions donc sanctionner à la première occasion. Donc, oui à ce texte si l’on suit le cœur, mais non point si l’on suit la raison juridique, laquelle doit l’emporter dans une démocratie.

M. Sergio Coronado. Il ne fait de doute aux yeux de personne dans cette salle que les massacres perpétrés par la Turquie contre les Arméniens s’inscrivent dans l’histoire des génocides. Mais là n’est pas la question : elle est de savoir si, au fond, nous avons raison d’ajouter un texte supplémentaire à la liste des lois mémorielles et si, d’autre part, ce texte est solidement rédigé et franchira l’obstacle du Conseil constitutionnel – ce qui n’avait pas été le cas de votre texte précédent, madame la rapporteure.

Le débat sur la reconnaissance du génocide arménien a commencé, je le rappelle, entre 1997 et 2002. Le premier texte a été d’origine parlementaire : il a été voté à l’initiative d’André Aschieri, député des Alpes-Maritimes – je note d’ailleurs la sensibilité particulière des élus de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur sur cette question.

La rédaction que vous avez retenue, madame la rapporteure, contient encore un certain nombre d’éléments susceptibles d’être censurés par le Conseil constitutionnel. J’en mentionnerai quelques-uns. Ainsi, vous allez très loin en prévoyant la pénalisation non seulement de la stricte négation des crimes visés, mais aussi de leur « banalisation », de leur « minimisation grossière » et de la « tentative de les justifier ». Or vous n’apportez à aucun moment de définition précise de ce que vous entendez par là. Vous multipliez les termes flous : « allégations faisant appel à l’ignorance d’opinions rencontrant l’adhésion de personnes assez qualifiées ou éclairées », « dénaturation des indices recueillis » ou encore « absence de tentative loyale de réfutation des avis des experts ». J’ignore ce que cela signifie en termes juridiques et ce que pourrait en déduire un juge.

Certes, nous sommes persuadés que le massacre des Arméniens constitue un génocide, mais cette question fait l’objet de débats scientifiques entre historiens, et tout texte qui vient entraver ces débats me paraît inapproprié. L’avis des écologistes a évolué depuis 1997, car nous avons constaté les effets parfois contre-productifs de ces textes. Pour ma part, je ne voterai pas votre proposition de loi, madame la rapporteure. Vous faites preuve selon moi de bonne volonté, mais la rédaction que vous proposez n’est pas suffisamment solide et, surtout, les lois mémorielles présentent un danger pour le débat historique, lequel n’a pas vocation à être tranché, à mon sens, par une assemblée parlementaire.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. La proposition de loi que nous examinons soulève des considérations humaines, diplomatiques et historiques ; chacun de ces points mérite un débat. Je m’en tiendrai, pour ma part, à l’aspect juridique du texte, en l’occurrence au problème de sa constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel a déjà privé d’effet juridique une première proposition de loi portant sur ces questions ; celle-ci essaie de contourner cette décision sans lever la difficulté de la disparition des témoins et de la seule reconnaissance d’un génocide. Parce qu’ils peuvent porter atteinte à la liberté d’expression, les délits d’opinion et d’ignorance sont rarement tolérés par le Conseil. Le texte va également à l’encontre du principe de l’égalité puisque faute de définition précise en droit de ces délits, le législateur se reposerait entièrement sur le juge. Par ailleurs, la Cour pénale internationale, pourtant compétente, ne prévoit pas d’excuse absolutoire telle que décrite par la proposition de loi. Enfin, l’invalidation éventuelle du texte rendrait incertain l’avenir de la loi Gayssot.

Pour toutes ces raisons, mais aussi parce que j’ai entendu, dans les auditions, des professeurs de droit émettre des doutes quant à la pertinence du dispositif, le groupe Socialiste, républicain et citoyen votera contre cette proposition de loi.

M. Hugues Fourage. Le texte – dont l’amendement proposé change jusqu’au titre – a été complètement remanié. Au départ, il s’agissait de la répression de la négation des génocides et des crimes contre l’humanité du XXe siècle ; cette précision temporelle disparaît dans l’amendement. De quoi parle-t-on ? L’initiative peut sembler opportune, mais le texte apparaît insuffisamment solide sur le plan juridique et prête sérieusement à discussion. M. Bompard a évoqué la Vendée ; la question exige à l’évidence de la circonspection et du recul. Le mot « génocide » est apparu en 1948 ; ne confondons pas tout.

M. Patrick Devedjian. L’affaire est délicate et juridiquement complexe. Les individus qui nient les génocides – par exemple la Shoah – ne s’honorent pas, mais je crois à la liberté d’opinion, y compris sur cette question qui pourtant me touche profondément. Le vrai sujet, c’est le négationnisme d’État. Pouvons-nous tolérer qu’un État vienne diffuser en France une propagande organisée sur ce thème ? J’en ai assez de recevoir, en tant que parlementaire, des documents en provenance d’institutions d’une nation étrangère qui dédie d’importants budgets à cette communication confiée à des agences faisant commerce de la négation du génocide. Cette propagande vise expressément une catégorie de citoyens français qui, pour être d’origine étrangère, n’en sont pas moins des Français comme les autres. Ils ont trouvé dans notre pays refuge et liberté, mais ils se voient aujourd’hui pourchassés, comme l’ont été leurs parents, par le même État. Cette propagande porte atteinte à leur identité puisque le génocide – pour les Juifs, comme pour les Arméniens et probablement les Rwandais – marque un peuple au fer rouge. La République peut-elle accepter qu’une partie de ses citoyens fasse l’objet de cette propagande qui promeut la négation du génocide, longtemps après, mais en continuité avec les faits qui sont à l’origine de leur présence sur le territoire français et de leur adhésion à la communauté nationale ? Le négationnisme d’État me semble totalement inacceptable et ne doit pas pouvoir s’abriter derrière la nécessaire liberté d’expression – qui reste parfaitement défendable, quels qu’en soient les errements.

Le discours sur les lois mémorielles commence à me fatiguer. D’abord, aux historiens qui s’inquiètent de leur liberté lorsqu’il est question du génocide arménien, je suis navré de répondre qu’il aura fallu des actes très violents pour que quelques-uns d’entre eux commencent à s’y intéresser. Un seul, Yves Ternon, avait travaillé sur le sujet depuis longtemps, parlant et écrivant dans un désert absolu. De plus, l’argument consistant à dire que réglementer l’histoire par la loi porte atteinte à la liberté des historiens ne tient pas : je rappelle ainsi que la célébration du 14 juillet est une loi mémorielle fondatrice de notre identité nationale. La politique – au sens noble du terme – est fondée sur la mémoire et sur une conception de l’histoire. On peut toujours en débattre : ainsi, les monarchistes trouvent que les républicains exagèrent la portée de la prise de la Bastille où il n’y avait finalement pas grand monde à part le marquis de Sade ; mais la mémoire de cet événement fonde notre pacte national. Même si l’interprétation officielle des faits peut être contestée, c’est notre droit de faire ce choix de la vision de notre passé. Évitons donc de dire trop de mal des lois mémorielles. De plus, celles-ci peuvent changer car ce qu’une loi fait, une autre loi peut le défaire. Il arrive souvent que l’on se trompe sur l’interprétation d’un fait historique : il a ainsi fallu attendre François Furet pour disposer d’une histoire de la Révolution française acceptable, mettant à bas les préjugés de M. Soboul ou de M. Mathiez. L’histoire est sans arrêt revisitée, mais à chaque fois elle fonde un projet et des engagements politiques.

Mme la rapporteure. Le texte de 2011 – qui n’a rien à voir avec celui que nous examinons aujourd’hui – a été voté par l’Assemblée nationale, puis le Sénat. Pendant que nous l’examinions, des manifestants étrangers clamaient que nous, députés et sénateurs français, n’avions pas le droit de traiter de certains sujets, nous envoyant courriers et menaces. En même temps, des chercheurs de l’université de Galatasaray travaillaient à démonter les arguments que nous avions employés. Chacun jugera de la pertinence d’une telle ingérence dans les affaires intérieures d’un pays, alors même que le texte voté ne mentionnait ni le mot « turc », ni le mot « arménien ».

Monsieur Molac, je partage vos préoccupations : il faut être humble et prudent. C’est pourquoi je souhaite que nous examinions attentivement l’amendement proposé afin de l’améliorer et de le sécuriser.

Monsieur Bompard, je comprends également les objections que vous avez soulevées. Mais mon amendement correspond précisément à une volonté de faire prévaloir l’égalité devant la loi pénale. Le fait de confier au juge la qualification du crime de génocide sécurise la proposition de loi.

Monsieur Collard, je prends acte de vos remarques. Mais mon travail vise justement à éviter la concurrence entre les victimes et les mémoires. Je partage totalement l’avis de Patrick Devedjian sur les lois mémorielles, et de surcroît, en l’occurrence, le texte n’en est pas une. Pour vous en convaincre, il suffit de l’examiner. C’est notre droit actuel qui organise la concurrence des victimes et des mémoires : la loi Gayssot s’attache aux crimes de génocide du XXe siècle et porte un dispositif de pénalisation du négationnisme, faisant suite au procès de Nuremberg ; mais l’autre génocide reconnu par la loi française ne bénéficie pas d’un dispositif comparable. Les victimes des deux génocides ne sont donc pas mises à égalité. C’est ce que je souhaite corriger afin que les victimes de crimes contre l’humanité ou de génocides reconnus par le droit français, et leurs descendants, ne soient pas mis en concurrence. Je vous signale par ailleurs que la jurisprudence dans ce domaine est très claire ; le fameux arrêt Perinçek de la CEDH – que je vous invite à lire – est strictement circonscrit à la Suisse. Lorsqu’il cite la France, c’est pour souligner que la situation peut y être différente.

Monsieur Coronado, il ne s’agit pas – je l’ai dit – d’une loi mémorielle. J’espère que son dispositif est solidement rédigé, mais je suis venue dans cette commission pour que l’on y travaille ensemble. Ce n’est pas un texte partisan, sa genèse le prouve. Lorsqu’en 2012, le texte que j’avais déjà déposé a été censuré par le Conseil constitutionnel, je me suis attachée à y retravailler. J’ai déposé une nouvelle proposition de loi en 2014 et je l’ai adressée à l’ensemble des groupes parlementaires et des groupes d’amitié France-Arménie, en précisant que j’étais ouverte à tout contact. J’ai recommencé la démarche lorsque mon groupe a décidé que ce texte pouvait être inscrit dans une « niche ». Je sais que tous les groupes politiques sont partagés sur cette question ; mais bien des avis convergent, d’où l’approbation de ma première proposition de loi en 2011 et en 2012 par l’Assemblée nationale et le Sénat. Je souhaite éviter au texte que – j’espère – nous aurons voté la censure du Conseil constitutionnel ; c’est pourquoi, monsieur Coronado, les phrases et expressions floues que vous pointez dans vos remarques ont disparu de la version présentée dans mon amendement qui réécrit la proposition de loi initiale. Le travail parlementaire nous permet ainsi d’évoluer et d’améliorer le texte.

Madame Chapdelaine, ma proposition de loi n’est pas anticonstitutionnelle. Le Conseil constitutionnel nous demande de nous en remettre à une décision ayant l’autorité de la chose jugée, qui affirme que le législateur ne peut reconnaître un génocide ou un crime contre l’humanité, et les juger lui-même. Dans la nouvelle rédaction, je me suis conformée aux remarques du Conseil constitutionnel exprimées dans sa décision de 2012.

Monsieur Fourage, je suis ouverte à toutes les propositions que vous pourrez formuler pour améliorer ce texte. Celui-ci, je le rappelle, est également issu d’engagements pris par les deux candidats à la présidence de la République entre les deux tours de l’élection présidentielle, le 24 avril 2012, lors des commémorations au pied de la statue de Komitas. Cela fait désormais quatre ans que l’Élysée travaille sur des propositions. En ce qui me concerne, seul m’importe l’objectif ; l’on ne saurait reprocher à un texte d’évoluer puisqu’il s’agit de l’essence même du travail parlementaire. Si vous jugez mon texte imparfait, j’attends avec impatience vos propositions qui pourraient l’améliorer, afin de prendre en compte le souci des droits de l’homme qui nous anime tous.

Comme le note Yves Ternon, le négationnisme est l’accessoire du crime de génocide. Au vu de ce qui se passe aujourd’hui à quatre heures d’avion de notre pays, nous devons affirmer notre vision de ces crimes abominables. En effet, l’histoire se répète et nous fait revivre les crimes de génocide du XXe siècle, au même endroit et dans les mêmes conditions ; chacun peut voir sur sa tablette ou son téléphone portable des vidéos terribles qui en témoignent. Ce texte montrera que la France a une vision particulière des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide, et qu’elle est en capacité d’en protéger les victimes et les descendants.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Madame la rapporteure, je vais vous donner mon sentiment sur votre texte. J’y ai beaucoup travaillé car il s’agit d’un sujet important : la France reconnaît le génocide arménien depuis la loi du 29 janvier 2001 ; je connais également les engagements du Président de la République dans ce domaine, qu’en tant que parlementaire de la majorité, je souhaite voir tenus.

C’est peu de dire que votre proposition de loi avait beaucoup d’anomalies, parmi lesquelles le fait de faire régir ces délits par le code pénal, et non par les dispositions de la loi de 1881 – erreur que vous avez rectifiée –, mais aussi celui de prévoir, Marie-Anne Chapdelaine l’a rappelé, une excuse absolutoire. Un génocide étant par définition une atteinte au principe de dignité, comment pourrait-on faire jouer cette excuse ? L’absence de précision enfin puisque vous faisiez figurer un délit dans un chapitre du code pénal qui concerne les crimes. Ces vices juridiques interdisaient l’adoption de votre proposition de loi.

Vous dites avoir changé le texte, il faut vous reconnaître cette humilité. Jusqu’à lundi soir, vous avez procédé à des auditions. Mais vous avez déposé un amendement réécrivant l’ensemble du texte – ainsi que des amendements supprimant la totalité des autres articles – hier soir, à vingt et une heures ; il est compliqué pour nos collègues d’en apprécier la pertinence. Je n’ai pas une très longue expérience de président de la Commission, mais c’est la première fois que je vois un rapporteur adopter une telle démarche. Depuis hier soir, je n’ai pas pu travailler ce texte en profondeur ; c’est pourquoi, alors que je trouve votre intention parfaitement honorable, je suis contraint de voter contre votre proposition, pour me laisser le temps de l’examiner d’ici à la séance publique. En effet, je ne sais pas si la nouvelle rédaction répond à l’ensemble des objections que je comptais faire ; si c’est le cas, tant mieux ; sinon, la commission des lois s’honorerait en s’accordant ce délai.

Mme la rapporteure. Monsieur le président, je vous remercie de votre courtoisie. Pourtant, même si je n’en suis qu’à mon deuxième mandat, je sais que nous sommes régulièrement soumis à ce régime. Lundi et mardi par exemple, lors de l’examen du projet de loi relatif à la santé et du PLFSS, nous avons parfois découvert des amendements longs de dix pages, déposés en séance alors que nous avions déjà commencé l’étude du texte.

M. Patrick Devedjian. Seul le Gouvernement est autorisé à le faire !

Mme la rapporteure. Ces conditions de travail sont compliquées, mais nous y sommes habitués.

Par ailleurs, si je comprends qu’il ne soit pas aisé d’examiner un texte pour le lendemain, je trouve à l’inverse que quatre ans de réflexion, dans les salons de l’Élysée, constituent un délai un peu trop long ! Compte tenu des promesses et des engagements pris, il est étonnant que nous ne disposions pas aujourd’hui d’une réflexion juridiquement aboutie. C’est pourquoi j’ai dit au président du groupe Socialiste, républicain et citoyen, M. Bruno Le Roux, qui m’a convoquée hier soir dans son bureau, que j’étais tout à fait disposée à travailler pour parvenir ensemble à un accord qui permettrait de faire disparaître la concurrence entre les victimes. Il faut faire évoluer notre droit de manière constructive en matière de crimes contre l’humanité et de dignité humaine. Permettez-moi donc de m’étonner qu’au bout de quatre ans de promesses et de travaux, rien ne soit aujourd’hui proposé à la représentation nationale pour faire aboutir cet objectif commun à l’ensemble de nos bancs. En tant que rapporteure, je peux déposer des amendements en séance jusqu’au dernier moment ; je suis à votre disposition pour travailler sur ce texte jour et nuit, jusqu’au jeudi 3 décembre.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er (art. 213-6 [nouveau] du code pénal) : Création d’un délit de contestation, de négation, de banalisation, de minimisation et de tentative de justification des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité commis au XXe siècle

La Commission rejette l’amendement CL5 de la rapporteure.

Puis elle rejette l’article 1er.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je note l’abstention de M. Patrick Mennucci, M. Erwann Binet et Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Article 2 : Reconnaissance d’une clause d’irresponsabilité pénale pour des faits de négation, de contestation, de banalisation, de minimisation ou de justification des crimes de guerre ou contre l’humanité résultant de découvertes ou de recherches historiques

La Commission rejette l’amendement CL1 de la rapporteure.

Puis elle rejette l’article 2.

Article 3 : Application du délai de prescription de droit commun – Clarification des règles de conduite de l’action publique dans le temps

La Commission rejette l’amendement CL2 de la rapporteure.

Puis elle rejette l’article 3.

Article 4 : Peines complémentaires susceptibles d’être prononcées en cas de condamnation pour contestation, négation, banalisation ou tentative de justification de crimes de génocide ou de crimes contre l’humanité

La Commission rejette l’amendement CL3 de la rapporteure.

Puis elle rejette l’article 4.

Article 5 (art. 2-4 du code de procédure pénale) : Exercice des droits reconnus à la partie civile par les associations combattant les crimes contre l’humanité et de génocide et entretenant la mémoire de ces crimes

La Commission rejette l’amendement CL4 de la rapporteure.

Puis elle rejette l’article 5.

Titre

La Commission rejette l’amendement CL6 de la rapporteure.

L’ensemble des articles ayant été rejetés, la proposition de loi est rejetée.

Mme la rapporteure. J’aurais aimé examiner l’amendement CL5 ligne par ligne et réfléchir avec vous sur la façon d’amender le texte. Mais je reste à votre disposition pour y travailler jusqu’à la séance de jeudi prochain.

M. René Dosière. Madame la rapporteure, à quoi fait référence le « péché » en droit civil ?

Mme la rapporteure. C’est une question juridique passionnante !

*

* *

La Commission examine enfin, sur le rapport de M. Claude de Ganay, la proposition de loi visant à rendre automatique l’incapacité pénale d’exercice pour les personnes définitivement condamnées pour des faits de pédophilie ou de détention d’images pédopornographiques (n° 3140).

M. Claude de Ganay, rapporteur. Je vous remercie de m’accueillir à la commission des Lois pour examiner, en première lecture, la proposition de loi que j’ai déposée le 14 octobre 2015, visant à rendre automatique l’incapacité pénale d’exercice pour les personnes définitivement condamnées pour des faits de pédophilie ou de détention d’images pédopornographiques.

Mon initiative fait suite à deux récentes affaires médiatisées de pédophilie survenues dans des établissements scolaires au printemps 2015 : d’une part, à Villefontaine, en Isère, et d’autre part, à Orgères, en Ille-et-Vilaine. À l’occasion de ces deux affaires, il était apparu que des personnes mises en cause pour des actes pédophiles avaient pu continuer à exercer leurs fonctions professionnelles au contact de mineurs, alors même qu’elles avaient déjà été condamnées en 2006 et 2008 respectivement pour détention d’images pédopornographiques et pour recel de biens provenant de la diffusion d’images pédopornographiques.

Ces affaires avaient conduit les ministres de la justice et de l’éducation nationale à diligenter une enquête administrative, confiée conjointement à l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche et à l’inspection générale des services judiciaires, afin d’identifier les éventuelles défaillances organisationnelles des deux ministères et de faire des propositions pour y remédier. À la suite de la remise, le 4 mai 2015, d’un « rapport d’étape sur les faits de Villefontaine et d’Orgères », réalisé par les services d’inspection, le Gouvernement avait décidé d’introduire, par voie d’amendement, un article dans le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, alors en cours d’examen devant les assemblées. Il s’agissait de remédier aux lacunes de notre législation en matière de transmission d’informations aux autorités administratives de tutelle en cas de condamnation ou de procédure judiciaire en cours pour des infractions sexuelles contre mineur concernant un agent public.

Sur mon initiative et avec la bienveillance de Dominique Raimbourg, rapporteur de la loi – que je tiens ici à remercier –, l’Assemblée nationale avait complété ce dispositif en votant un amendement interdisant à toute personne condamnée définitivement pour certains délits, indépendamment de la nature et du quantum de la peine prononcée, d’exploiter, de diriger ou d’exercer au sein de l’un des établissements, services ou lieux de vie et d’accueil régis par le code de l’action sociale et des familles.

Le Sénat s’était cependant opposé à cette démarche, tant pour des raisons de forme que pour des motifs de fond. Le dispositif gouvernemental – à l’exclusion de la disposition issue de mon amendement – avait alors été jugé comme portant une atteinte substantielle au principe constitutionnel de présomption d’innocence. Dans sa décision du 13 août 2015 sur la loi définitivement adoptée par l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel, saisi par plus de soixante sénateurs, avait déclaré ces dispositions, ainsi que vingt-six autres articles additionnels, contraires à la Constitution, considérant qu’elles ne présentaient pas de lien, même indirect, avec l’objet du projet de loi.

Il n’en reste pas moins que la législation pénale relative aux infractions sexuelles commises contre les mineurs doit aujourd’hui faire l’objet d’améliorations dans les meilleurs délais. Je soutiens ce point de vue de longue date : dès le 8 avril 2015, j’avais déposé une première proposition de loi visant à rendre automatique l’incapacité pénale d’exercice pour les personnes condamnées pour des faits de pédophilie ou de détention d’images pédopornographiques. Lors de l’examen en première lecture, en mai 2015, de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, j’avais défendu un amendement poursuivant le même objectif que le présent texte.

C’est à la lumière de ces débats et des articles adoptés en lecture définitive au mois de juillet par la commission des Lois et l’Assemblée nationale que j’ai souhaité déposer ce texte, afin de créer un dispositif simple permettant d’améliorer efficacement la protection des mineurs contre les actes de pédophilie, dans le respect de nos principes constitutionnels. Son article unique entend rendre plus systématique, à l’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles, la peine complémentaire d’interdiction d’activité auprès des mineurs au sein des établissements, services ou lieux de vie et d’accueil régis par le même code en cas de condamnation définitive pour un certain nombre d’infractions : délit d’agressions sexuelles autres que le viol imposées à un mineur de quinze ans, délit de mise en péril des mineurs, délit de recel d’images à caractère pédopornographique, etc.

Dès lors que des personnes sont condamnées pour infraction sexuelle contre mineur, le législateur doit définir des mécanismes garantissant leur mise à l’écart d’un milieu professionnel qui les placerait au contact des moins de dix-huit ans. Il apparaît donc indispensable, en cas de condamnation pour de telles infractions, de rendre plus systématique le prononcé de la peine complémentaire d’interdiction d’exercice.

C’est pourquoi je vous invite tous, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi que le groupe Les Républicains a choisi d’inscrire à l’ordre du jour du jeudi 3 décembre 2015 – journée qui lui est réservée en application de l’article 48, alinéa 5, de la Constitution.

M. Georges Fenech. Je soutiens très fortement cette proposition de loi. L’incapacité d’exercer dans un établissement recevant des mineurs pour les personnes définitivement condamnées pour des faits de pédophilie n’est pas une peine supplémentaire à proprement parler puisqu’elle ne relève pas du code pénal mais de l’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles. Il me paraît incohérent que cette incapacité ne s’applique que si a été prononcée par le juge une peine ferme sans sursis de deux mois minimum. Car il se peut très bien que l’auteur d’un acte de pédophilie relevant de l’obligation de soins soit condamné par le juge à un sursis avec mise à l’épreuve. Ce fut d’ailleurs le cas dans l’affaire de Bourgoin. Il n’est pas toujours indispensable qu’un tribunal condamne une personne à une peine de prison ferme pour considérer comme graves les faits commis. Il convient donc de faire jouer le risque zéro dans ce domaine, de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection des mineurs hors d’état de se protéger eux-mêmes, et donc de prévoir une incapacité non pas en vertu du quantum de la peine mais de la nature du fait ayant entraîné la condamnation – qui peut révéler en soi un état dangereux totalement incompatible avec l’exercice de fonctions telles que celles d’instituteur, par exemple.

M. Guy Geoffroy. Je ne reprendrai ni l’argumentaire détaillé du rapporteur ni celui de Georges Fenech qui le complète. J’insisterai simplement sur l’importance qu’il y a à ne pas nous déjuger. Je rappellerai à mon tour le rôle qu’a joué Dominique Raimbourg dans le traitement de cette question, comme dans celui d’autres sujets qui y étaient liés. Il a en effet accepté – dans le cadre de l’examen d’un véhicule législatif qui, certes, n’était pas tout à fait adapté – cette disposition tant sur le fond que dans sa forme. Je n’ose penser que ce qui a été adopté naguère par nous tous dans la clarté et la transparence ne puisse l’être aujourd’hui. Le Gouvernement avait d’ailleurs beaucoup insisté à l’époque pour que toutes les mesures relatives à l’affaire de Villefontaine soient intégrées à son projet de loi, vu leur importance et l’urgence du problème à régler. Je souhaite donc vraiment que, loin de l’idée que qui que ce soit veuille « récupérer la mise », ce dispositif soit voté. Nous avions accepté, avec la complicité bienveillante de Dominique Raimbourg, que ces mesures fassent partie d’une loi portée par le Gouvernement et donc par la majorité. J’espère que cette dernière continuera sur la même lancée et acceptera aujourd’hui de soutenir cette proposition de loi. Si nous avons déposé le présent texte dans le cadre de notre « niche », c’est que nous souhaitons être efficaces : il ne s’agit aucunement de tirer à nous une couverture qui ne doit être utilisée que pour protéger nos enfants. Nous ne pouvons tarder davantage alors que, du fait de la décision – par ailleurs compréhensible – du Conseil constitutionnel, nous avons déjà pris plusieurs mois de retard. Ce message doit être à nouveau envoyé à nos concitoyens avec la même clarté et la même transparence que lors de l’examen du texte gouvernemental, avant l’été.

M. Dominique Raimbourg. Le suspense ne durera guère : le groupe Socialiste, républicain et citoyen est favorable à cette proposition de loi et la votera – pour les raisons qui ont été indiquées. Ce texte, qui vise les établissements accueillant des mineurs en marge de l’éducation nationale, est d’autant plus nécessaire que ceux-ci sont généralement dans des situations difficiles.

Cela étant, des questions de procédure vont se poser. Le 8 décembre, en effet, viendra en discussion un projet de loi, examiné en ce moment même par le conseil des ministres, qui compte un article reprenant termes pour termes cette proposition de loi. Or, ce projet de loi sera vraisemblablement adopté plus rapidement que la présente proposition de loi qui ne pourra l’être avant la prochaine « niche » du groupe Les Républicains au Sénat. Comme nous sommes tous d’accord sur le fond, nous trouverons le moyen de faire avancer ce dossier le plus rapidement possible.

M. François Vannson. Je rappellerai à mon tour que notre Assemblée a déjà voté le principe de l’application de ce dispositif de précaution. Nous souhaitons cette fois utiliser un véhicule législatif plus adapté que le précédent et non susceptible d’être censuré par le Conseil constitutionnel. J’espère donc qu’il y aura consensus sur ce texte qui me semble correspondre à une démarche de bon sens.

M. Paul Molac. Nous avions déjà adopté plusieurs dispositions dans la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne (DADUE) car il était urgent que les associations et les administrations puissent être informées des condamnations incriminant certains de leurs bénévoles ou de leurs salariés. Nous avons été marris que le Conseil constitutionnel estime que cette loi DADUE n’était pas le bon vecteur législatif, nous obligeant ainsi à « remettre le couvert ». Lors de nos discussions, j’avais noté la volonté de tous les groupes politiques d’adopter le dispositif et les efforts consentis par notre rapporteur – il avait notamment été troublé qu’il soit proposé de rendre obligatoire, avant qu’une affaire ne soit jugée, la notification aux administrations ou aux associations du fait qu’une personne était susceptible d’être condamnée pour des actes pédophiles ou pédopornographiques.

Nous voterons aujourd’hui cette proposition de loi car si son objet est de moindre importance que ce que nous avions adopté, elle va dans le bon sens en prévoyant l’information de l’autorité administrative par le ministère, une adaptation du code du sport visant à interdire d’enseigner, d’animer, d’encadrer des activités physiques ou sportives auprès de mineurs à titre bénévole et une modification du régime disciplinaire des chefs d’établissement d’enseignement du premier degré.

J’espère que ce texte sera intégré dans sa totalité dans le projet de loi dont nous discuterons le mardi 8 décembre de façon à ce que tous les aspects du problème soient enfin réglés. C’est ce qu’attendent non seulement les chefs d’établissement mais aussi les présidents d’association qui peuvent se faire condamner alors qu’en toute bonne foi, ils n’ont pas les moyens de recouper l’information ni de savoir si le bénévole concerné est véritablement dangereux pour les enfants ou pas. Dans ma circonscription, le président d’une association a ainsi été condamné à une amende de 10 000 euros.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Le sujet abordé dans la proposition de loi de notre collègue Claude de Ganay est suffisamment grave pour transcender les divisions partisanes et faire consensus – ce qui semble aujourd’hui acquis. La nécessité de rendre automatique l’impossibilité pour les personnes définitivement condamnées pour des faits de nature pédophile d’exercer des fonctions professionnelles au contact de mineurs est une évidence ; ne pas légiférer en ce sens serait irresponsable. Quel parent pourrait accepter que son enfant soit encadré ou éduqué par une personne ayant accompli des actes de nature pédophile et ayant à ce titre été condamnée par la justice ? Pourquoi faire perdurer plus longtemps une telle faille dans notre système de protection des mineurs contre les actes pédophiles ? La proposition de loi que nous examinons ce matin prévoit un dispositif simple permettant d’améliorer efficacement cette protection et ce, dans le respect des principes constitutionnels. Que les personnes condamnées aient été qualifiées de criminels ou de délinquants par la justice, les actes qu’elles ont commis demeurent à caractère pédophile et cette différence dans la qualification juridique des faits – crime ou délit – ne doit pas aboutir à une différence de traitement en matière d’incapacité pénale d’exercer professionnellement auprès de mineurs. En votant en faveur de cette proposition de loi, nous nous assurons que des drames tels que ceux qui ont eu lieu au printemps dernier dans des établissements scolaires à Villefontaine et à Orgères ne se reproduiront plus.

Mme Marie-Françoise Bechtel. J’approuve bien sûr l’ensemble des propos qui viennent d’être tenus. J’ignore quel véhicule législatif portera finalement cette disposition. Je note cependant que le titre de cette proposition de loi attire inutilement l’attention sur l’idée d’automaticité des peines – qui a connu le parcours constitutionnel que l’on sait. Je ne comprends guère pourquoi cet intitulé contient l’expression d’incapacité « pénale » : il s’agit d’une incapacité administrative résultant d’un jugement pénal. Cet adjectif n’a donc rien à faire dans le titre de cette proposition de loi que j’approuve par ailleurs.

M. Sergio Coronado. Si l’adoption du dispositif avait fait consensus lors de l’examen de la loi DADUE, nous avions cependant débattu sur la méthode utilisée par le Gouvernement. Certains d’entre nous avaient ainsi appelé l’attention sur le risque de censure de cet article introduit par voie d’amendement – ce qui n’a pas manqué de se produire. Notre collègue Raimbourg a raison de souligner que le projet qui sera déposé aujourd’hui par le Gouvernement a toutes les chances d’être le véhicule législatif le plus adéquat, non seulement parce que son adoption sera plus rapide, mais aussi en raison de la solidité juridique du texte – puisqu’il a fait l’objet d’un avis du Conseil d’État.

Cela étant, nous n’avons pas d’opposition de principe à la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui puisqu’elle est plus restreinte et que, comme l’a rappelé Georges Fenech, son article unique rend systématique l’incapacité administrative d’exercer dans un établissement pour toute personne définitivement condamnée, indépendamment de la nature et du quantum de la peine prononcée pour des délits sexuels commis envers des mineurs ou pour détention d’images ou de vidéos à caractère pédopornographique.

Il n’en reste pas moins que, contrairement à ce qu’a affirmé notre collègue Paul Molac, trois dispositions qui figuraient dans l’amendement qui a été considéré comme un cavalier par le Conseil constitutionnel ne se trouvent plus dans la proposition de loi présentée aujourd’hui : l’information de l’autorité administrative par le ministère public en cas de poursuite ou de condamnation d’une personne exerçant une activité auprès des mineurs, l’adaptation du code du sport pour interdire d’enseigner, d’animer ou d’encadrer une activité physique ou sportive auprès des mineurs à titre bénévole et la modification du régime disciplinaire des chefs d’établissement d’enseignement du premier degré privé. Je préfèrerais donc que nous attendions le 8 décembre pour nous attaquer à ce problème qui nous inquiète tous.

M. Jacques Bompard. Cette proposition de loi est très bienvenue. L’automaticité de l’incapacité d’exercer dans certains cas tombe tellement sous le sens qu’on se demande comment elle a pu ne pas s’appliquer auparavant à l’article 222-29-1 qui traite des agressions sexuelles sur mineur de moins de quinze ans. Pourquoi ne pas appliquer cette automaticité aux coupables de délits inscrits à l’article 227-22 qui vise le fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur, ou encore à l’article 227-27 qui concerne les atteintes sexuelles consenties lorsqu’elles sont commises par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ? Pourquoi exclure ces atteintes qui révèlent à tout le moins une grande fébrilité sexuelle chez les personnes condamnées ? Enfin, il conviendrait de compléter ces dispositions par une réflexion sur les milieux fréquentés par les auteurs de tels faits : des connaissances peuvent camoufler, atténuer ou minimiser des signes révélateurs de déviance chez la personne en cause. Comment des personnes ayant été complices ou ayant volontairement ignoré de tels agissements pourraient-elles encore exercer auprès d’un jeune ?

M. le rapporteur. Je remercie Georges Fenech d’avoir souligné la nécessité de prendre en urgence une telle mesure de protection, et Guy Geoffroy qui a co-piloté ce dossier important depuis avril 2015. Je me réjouis qu’au niveau du Gouvernement également, on retrouve le même consensus. Les nombreuses familles concernées avec lesquelles je continue à m’entretenir au téléphone et par courrier seront satisfaites que ce débat sensible réunisse l’ensemble des groupes. Je remercie encore M. Raimbourg, pour ses multiples interventions et son soutien. Je rappelle que ce texte ne concerne pas que l’éducation nationale mais toutes les structures accueillant de jeunes enfants. Les activités relevant du temps périscolaire appellent des mesures de précaution en ce domaine. En réponse à M. Paul Molac, il y avait effectivement un problème de défaillance dans la communication entre les ministères ou services concernés – j’espère qu’il sera bientôt résolu. J’ai bien compris la remarque de Mme Bechtel et l’lui en sais gré, même si le titre n’a guère de portée normative.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique.

Article unique : (art. L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles) : Extension de l’incapacité de diriger ou d’exercer au sein des établissements, services ou lieux de vie et d’accueil régis par le code de l’action sociale et des familles, en cas de condamnation définitive, indépendamment de la nature et du quantum de la peine prononcée, pour certains délits

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL2 et CL1 du rapporteur. Puis elle adopte à l’unanimité l’article unique de la proposition de loi modifié.

Par conséquent, la proposition de loi est adoptée ainsi modifiée.

La séance est levée à 11 heures 30.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ibrahim Aboubacar, Mme Nathalie Appéré, M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Luc Belot, M. Erwann Binet, M. Jacques Bompard, Mme Valérie Boyer, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Gilbert Collard, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Jean-Pierre Decool, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, M. Olivier Dussopt, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Claude de Ganay, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Olivier Marleix, Mme Sandrine Mazetier, M. Patrick Mennucci, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. François de Rugy, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François Vannson, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Jean-Michel Clément, M. Carlos Da Silva, Mme Laurence Dumont, M. Philippe Gomes, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg