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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 1er juin 2016

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 91

Présidence de M. Dominique Raimbourg, Président

– Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à permettre le maintien des communes associées, sous forme de communes déléguées, en cas de création d'une commune nouvelle (texte adopté par la commission n° 3777) (Mme Christine Pires Beaune, rapporteure)

– Audition de M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, accompagné de M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre, MM. Christian Martin et Roch-Olivier Maistre, conseillers maîtres, présidents de section, et MM. Yves Rolland et Jean-Pierre Lafaure, conseillers maîtres, sur les travaux récents de la Cour des comptes concernant les missions Justice et Sécurité») 5

La réunion débute à 16 heures 15.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, président.

La Commission examine, en application de l’article 88 du Règlement, les amendements à la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à permettre le maintien des communes associées, sous forme de communes déléguées, en cas de création d'une commune nouvelle (texte adopté par la commission n° 3777) (Mme Christine Pires Beaune, rapporteure).

Le tableau ci-dessous récapitule les décisions de la Commission :

Article

Amendement

Auteur

Groupe

Sort

1er

27

Mme PIRES BEAUNE Christine

Socialiste, écologiste et républicain

Accepté

1er

30 rect.

Mme PIRES BEAUNE Christine

Socialiste, écologiste et républicain

Accepté

ap. 1er

36

Gouvernement

 

Accepté

1er quater

21

Mme RABAULT Valérie

Socialiste, écologiste et républicain

Repoussé

1er sexies

28

Mme PIRES BEAUNE Christine

Socialiste, écologiste et républicain

Accepté

ap. 1er sexies

37 rect.

Gouvernement

 

Accepté

1er octies

31 rect.

Mme PIRES BEAUNE Christine

Socialiste, écologiste et républicain

Accepté

1er octies

24

Mme PIRES BEAUNE Christine

Socialiste, écologiste et républicain

Accepté

1er nonies

23

Gouvernement

 

Repoussé

1er nonies

39 (CL1)

Commission des Lois

 

Adopté

1er decies

25

Mme PIRES BEAUNE Christine

Socialiste, écologiste et républicain

Accepté

1er decies

26

Mme PIRES BEAUNE Christine

Socialiste, écologiste et républicain

Accepté

ap. 1er decies

20

M. MOLAC Paul

Socialiste, écologiste et républicain

Repoussé

ap. 1er decies

18

M. BAILLIART Guy

Socialiste, écologiste et républicain

Repoussé

ap. 1er decies

19

M. MARSAC Jean-René

Socialiste, écologiste et républicain

Repoussé

ap. 1er decies

38 rect.

Gouvernement

 

Accepté

ap. 1er decies

9

M. PÉLISSARD Jacques

Les Républicains

Repoussé

ap. 1er decies

13

M. SADDIER Martial

Les Républicains

Repoussé

ap. 1er decies

32

Mme PIRES BEAUNE Christine

Socialiste, écologiste et républicain

Accepté

ap. 1er decies

33

Mme PIRES BEAUNE Christine

Socialiste, écologiste et républicain

Accepté

ap. 1er decies

14 rect.

M. SADDIER Martial

Les Républicains

Accepté

ap. 1er decies

34 rect.

Mme PIRES BEAUNE Christine

Socialiste, écologiste et républicain

Accepté

ap. 2

12

M. PÉLISSARD Jacques

Les Républicains

Repoussé

ap. 2

16

M. SADDIER Martial

Les Républicains

Repoussé

ap. 2

11

M. PÉLISSARD Jacques

Les Républicains

Repoussé

ap. 2

17

M. SADDIER Martial

Les Républicains

Repoussé

ap. 2

10

M. PÉLISSARD Jacques

Les Républicains

Repoussé

ap. 2

15

M. SADDIER Martial

Les Républicains

Repoussé

M. le président Dominique Raimbourg. Madame la rapporteure, vous souhaitiez apporter une précision ?

Mme Christine Pires Beaune, rapporteure. Merci, Monsieur le président. Les amendements examinés au titre de l’article 88 de notre Règlement ne peuvent qu’être acceptés ou repoussés, selon une logique binaire. Toutefois, je tenais à préciser que, si l’amendement n° 21 de Mme Valérie Rabault a été repoussé, j’ai un avis de sagesse, attendant une réponse de la part de nos collègues sénateurs que j’ai interrogés.

Par ailleurs, les amendements n°s 32 et 33 que je présente et qui ont été acceptés seront retirés en séance au bénéfice de l’amendement n° 38 rectifié du Gouvernement, dont la rédaction me semble meilleure. J’inviterai les auteurs des amendements identiques n°s  9 et 13, qui portent sur le même objet, à faire de même.

M. le président Dominique Raimbourg. Merci, Madame la rapporteure. M. Warsmann, vous avez la parole.

M. Jean-Luc Warsmann. Merci, Monsieur le président. Je tiens tout d’abord à saluer le travail de notre rapporteure, qui s’inscrit dans le cadre d’une démarche d’amélioration du dispositif législatif relatif aux communes nouvelles. Je souhaiterais poser trois questions.

Tout d’abord, Madame la rapporteure, s’agissant de votre amendement n° 28, quelles sont les conséquences d’une opposition du préfet sur le rattachement d’une commune nouvelle à un EPCI décidé par l’ensemble des conseils municipaux concernés ?

Ensuite, que prévoit votre amendement s’agissant du fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACE) ?

Enfin, en écho à la question que j’avais posée lors de l’examen au fond de cette proposition de loi par notre commission, lorsqu’une commune nouvelle s’est déjà constituée et qu’existe en son sein une commune associée au titre de la « loi Marcellin », pourriez-vous nous proposer un dispositif afin que, pour ces communes-là, le conseil municipal de la commune nouvelle puisse décider, dans un délai que je laisse à votre appréciation mais qui pourrait par exemple être de trois mois, de recréer une commune associée ? Cette dernière étant dépourvue de la personnalité morale, j’avoue ne pas comprendre l’argument soulevé par la direction générale des collectivités locales.

Mme Christine Pires Beaune, rapporteure. Pour répondre à votre première question, l’amendement permet, pour les communes qui sont prêtes à le faire, de choisir l’EPCI de rattachement de la commune nouvelle dès la création de cette dernière, par une délibération unique. Cela n’enlève rien aux prérogatives dont dispose le préfet, si celui-ci considère que le choix fait n’est pas pertinent au regard du schéma départemental de coopération intercommunale.

Pour ce qui est du maintien du bénéfice du régime des aides au titre du FACE, mon amendement a été déclaré irrecevable sur le fondement de l’article 40 de la Constitution, mais le Gouvernement en a déposé un, le n° 37 rectifié, qui a le même objet et qui devrait ainsi vous satisfaire.

S’agissant de votre troisième question, la loi n’est pas rétroactive. En revanche, si une délibération créant une commune nouvelle a été prise après le 1er janvier 2016 mais avant l’entrée en vigueur de la future loi, elle ne prendra effet qu’au 1er janvier 2017 et la loi s’appliquera bien à elle à compter de cette date. Toutefois, pour les communes nouvelles créées au 1er janvier 2016 ou au 1er janvier 2015, la future loi ne s’appliquera pas.

M. Jean-Luc Warsmann. Je vous remercie pour ces précisions, Madame la rapporteure. S’agissant de ma dernière question, le sujet ne porte pas seulement sur la question du 1er janvier. Dans le département dont je suis issu, existe une commune nouvelle créée au 1er juin 2016, qui comprend une commune associée et d’autres communes indépendantes. Le préfet n’a pu que constater que les communes concernées étaient des communes déléguées. Or, au sein de l’une des communes qui s’est « mariée », il y avait une commune associée au titre de la « loi Marcellin ». Dès lors, serait-il envisageable qu’un amendement, d’ici la séance de ce soir, soit déposé afin que, lorsqu’une commune s’est associée dans le cadre d’une commune nouvelle avant la promulgation de la loi que nous discutons, le conseil municipal de la commune nouvelle permette de transformer une ancienne commune associée en commune déléguée ? Ce dispositif, auquel l’argument de la rétroactivité ne me paraît pas opposable, n’entraînerait aucun coût, n’emporterait pas la création d’une nouvelle personne juridique et pourrait résoudre un certain nombre de difficultés.

M. le président Dominique Raimbourg. Monsieur Marleix, vous souhaitez intervenir ?

M. Olivier Marleix. Merci, Monsieur le président. Je voudrais intervenir sur l’amendement n° 12 de notre collègue Jacques Pélissard. Aujourd’hui, il y a des projets de création de communes nouvelles qui achoppent lorsque les communes se rendent compte que leur regroupement aura des conséquences s’agissant des obligations posées par la loi SRU en matière de logements sociaux.

À titre d’exemple, imaginons une commune dont la population est proche de 3 000 habitants et à la périphérie de laquelle se trouve une commune de 200 habitants. Même si la première de ces communes était voisine de l’objectif de 20 % de logements sociaux prévu par la loi SRU, le fait qu’à l’avenir, la comptabilisation des logements sociaux se fasse sur la base de l’ensemble de la population, entraînerait une chute de son taux de logements sociaux. Ce taux s’éloignerait ainsi du seuil légal de 20 % et la rendrait éligible aux pénalités prévues par la loi. En raison de ce phénomène, de nombreuses communes décident de faire machine arrière et de ne plus constituer de communes nouvelles.

Le président Pélissard soulève là un sujet important, et j’aurais aimé connaître les motifs de votre avis défavorable à cet amendement n° 12. S’agit-il de considérations de fond ou d’une opposition d’ordre rédactionnel ?

M. le président Dominique Raimbourg. Mes chers collègues, je comprends que le sujet de la proposition de loi suscite de nombreuses interrogations mais je me dois de vous rappeler que nous sommes réunis au titre de l’article 88 de notre règlement, afin de donner un avis sur les amendements déposés en vue de la séance publique. Il me semble que le débat trouverait plus sa place ce soir, en séance, plutôt qu’ici. Nous nous retrouverons donc dans l’hémicycle.

*

* *

Puis la Commission auditionne M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, accompagné de M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre, MM. Christian Martin et Roch-Olivier Maistre, conseillers maîtres, présidents de section, MM. Yves Rolland et Jean-Pierre Lafaure, conseillers maîtres, sur les travaux récents de la Cour des comptes concernant les missions Justice et Sécurité.

M. le président Dominique Raimbourg. Monsieur le premier président, messieurs, merci d’avoir accepté de venir présenter à la commission des Lois vos travaux sur les missions « Justice » et « Sécurités ».

Nous sommes tous inquiets, monsieur le premier président, des déclarations du ministre de la justice, selon qui notre justice est financièrement « sinistrée ». Nous sommes tous interrogés, dans nos circonscriptions, par des magistrats qui dénoncent leur manque de moyens, par des directeurs d’établissements pénitentiaires qui dénoncent la surpopulation des prisons, par des policiers qui dénoncent leur manque de moyens humains mais aussi matériels. Les systèmes informatiques ne semblent pas toujours opérationnels. La chaîne qui lie sécurité publique, police judiciaire, justice, administration pénitentiaire connaît des dysfonctionnements.

Les budgets de la justice comme de la police et de la gendarmerie augmentent régulièrement. Ce que nous mesurons mal, c’est l’augmentation de la charge de travail. Nous avons imposé la présence de l’avocat dès la première heure de garde à vue : c’est bien, mais cela complique le travail. Nous avons imposé l’intervention du juge des libertés et de la détention avant tout placement en détention par le juge d’instruction : c’est bien, mais cela complique le travail. Il en va de même encore de la judiciarisation de l’application des peines et, en matière civile, de la possibilité de contester les procédures d’exécution devant un juge de l’exécution, de la révision tous les cinq ans de la situation des personnes majeures placées sous tutelle…

On peut donc faire l’hypothèse que l’accroissement des charges est sans commune mesure avec celui des budgets. Pouvez-vous infirmer ou confirmer ces intuitions ?

Comme tous les responsables politiques, nous nous tournons vers la Cour avec une question : avez-vous des solutions ? (Sourires.)

Nous vous accordons en tout cas la plus entière confiance, et nous vous écoutons avec le plus grand intérêt.

M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, c’est très volontiers que nous répondons à votre invitation à exposer nos travaux sur la justice et la sécurité intérieure, politiques publiques qui ont été érigées en priorités budgétaires par les pouvoirs publics.

Si des rapporteurs de la Cour sont parfois auditionnés par des membres de votre Commission, cette audition d’un premier président est une première dont je me réjouis. Nous souhaitons toujours que les parlementaires s’intéressent aux résultats obtenus : notre récent rapport sur l’exécution du budget en 2015 nous permettra de formuler devant vous des constats et des propositions.

Nous vous remercions de votre confiance même si, monsieur le président, c’est bien de la représentation nationale que doit venir la solution ! (Sourires.)

Je suis accompagné de magistrats de la Cour particulièrement qualifiés sur ces sujets : Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre, chargée de contrôler les ministères de la justice et de l’intérieur ; Christian Martin et Roch-Olivier Maistre, respectivement présidents de la section « Intérieur » et de la section compétente pour la justice ; Yves Rolland et Jean-Pierre Lafaure, conseillers maîtres, responsables de ces secteurs au sein de la quatrième chambre.

Je traiterai d’abord de la justice, confrontée à des défis majeurs, qui ne sont pas uniquement d’ordre budgétaire, et qu’elle peine à relever faute d’une profonde rénovation de sa gestion. J’aborderai ensuite la sécurité intérieure ; de la même façon, elle constitue une priorité budgétaire, mais cela ne dispense pas les pouvoirs publics d’une réflexion sur les pistes d’une gestion plus efficace et plus efficiente.

J’appuierai mon intervention sur une appréciation globale des moyens de ces missions, telles qu’elles sont analysées dans le cadre du rapport de la Cour publié la semaine dernière sur le budget de l’État. Je ferai aussi référence à des travaux spécifiques de la Cour sur le ministère de la justice, sur les services judiciaires et sur les forces de sécurité intérieure.

Depuis dix ans, toutes majorités confondues, la mission « Justice » constitue une priorité budgétaire pour notre pays. Face aux attentes pressantes des acteurs du monde judiciaire comme de l’ensemble des Français, tous les gouvernements en ont fait un axe privilégié de leur action.

Pourtant, malgré cet effort continu et significatif, le constat est souvent sombre : pour reprendre des mots entendus récemment, la justice serait « sinistrée », en voie de « clochardisation », voire en « état d’alerte absolue ». Il y a là une discordance entre les attentes et les résultats qui mérite assurément un temps de réflexion pour tenter de démêler le vrai du faux et pour comprendre la situation dans toute sa complexité.

La Cour des comptes a mis la mission « Justice » au cœur de ses travaux ; nous nous attachons depuis quelques années à examiner au plus près le fonctionnement de ce ministère. Dans le cadre de notre programmation triennale, nous réalisons un contrôle complet de toutes les fonctions de cette grande administration ; il sera achevé d’ici trois ans. Le président Vachia pourra vous présenter certains de ces travaux, déjà terminés ou encore en cours.

Dès à présent, à la lumière des enquêtes déjà menées, la Cour est en mesure d’établir un triple constat.

Tout d’abord, les crédits de la Justice ont, dans les faits, considérablement progressé depuis dix ans. Toutefois, malgré cet effort important, le ministère reste confronté à des défis majeurs. Enfin, si des choix politiques de fond sont nécessaires, le ministère ne parviendra à surmonter ces défis qu’au prix d’une profonde rénovation de sa gestion. Ce ministère doit être administré !

La justice étant considérée comme une mission prioritaire depuis dix ans, ses crédits ont, malgré un contexte budgétaire difficile, considérablement et régulièrement progressé sur la période : 5,9 milliards d’euros en 2006, 7,84 milliards d’euros en 2015, et 8,19 milliards d’euros en loi de finances initiale pour 2016. Cela représente une augmentation de 38 % en dix ans. La mission « Justice » vient d’ailleurs de bénéficier d’un dégel de ses crédits 2016 pour un peu plus de 100 millions d’euros. Ce budget demeure relativement modeste : 2,17 % des dépenses de l’État en 2006, et 2,60 % en 2015.

Bien que tous les programmes qui composent la mission « Justice » aient bénéficié d’une augmentation de leurs ressources, la progression du programme 107 « Administration pénitentiaire » se révèle particulièrement forte. Il concentre une part croissante des crédits de la mission : 35 % en 2006, 45 % en 2015. En valeur, cela représente 2,1 milliards d’euros en 2006, 3,3 milliards d’euros en 2015 et 3,5 milliards d’euros en 2016, soit 57 % de plus en dix ans. De ce programme relèvent près de 38 000 agents ; les dépenses de personnel représentent 61 % des crédits. Leur progression est forte : de 2009 à 2014, tandis que les effectifs de la pénitentiaire augmentaient de 9 %, la masse salariale progressait de 14 %, dont 18 % pour les primes. Les pratiques de la négociation sociale, comme les protocoles conclus régulièrement entre le ministère de la justice et les organisations syndicales des personnels pénitentiaires, entraînent des charges incompressibles sur le long terme.

De la même façon, la signature, jusqu’en 2012, d’importants contrats immobiliers sous forme de partenariats public-privé (PPP) se traduit par une forte augmentation des dépenses contractuelles. Or celles-ci ont un effet d’éviction sur les autres dépenses de fonctionnement de la mission. Le montant total des crédits de paiement consacrés aux seuls programmes sous PPP de la pénitentiaire s’élève à 5,3 milliards d’euros sur l’ensemble de la période des contrats. Ainsi, depuis 2013, les dépenses de l’administration pénitentiaire sont supérieures à celles de la justice judiciaire.

À l’inverse, la part des crédits consacrés aux deux autres programmes principaux de la mission « Justice » se réduit, même s’ils augmentent en valeur absolue.

À cet égard, de manière paradoxale, malgré l’augmentation des crédits, le nombre de magistrats réellement en activité est en baisse depuis 2012 : 8 060 en 2012 ; 8 015 en 2015. Cette situation, source d’importantes tensions dans les juridictions, témoigne d’insuffisances dans le pilotage de ce corps et dans l’anticipation de l’augmentation des départs en retraite.

Les perspectives laissent présager une poursuite mécanique de l’augmentation des dépenses. Les économies induites par les réformes en cours ne paraissent pas en mesure de les compenser. Déjà significatifs, les paiements au titre des PPP vont encore augmenter à partir de 2017 avec la livraison du palais de justice de Paris.

Les repyramidages des effectifs, les revalorisations catégorielles et les recrutements nombreux créent les conditions d’une augmentation durable de la masse salariale, qui représente déjà la part la plus importante des dépenses de la mission. Le financement de la réforme de l’aide juridique à partir de 2017 reste en suspens.

Dans ce contexte budgétaire, le ministère est confronté à des défis considérables mais aussi à de très fortes attentes.

Les alternatives à l’incarcération ont été élevées au rang de priorité, notamment par la loi du 15 août 2014. Pourtant, la multiplication des modifications législatives et leur complexité ont fait et font peser sur l’administration pénitentiaire une pression croissante.

Au 1er janvier 2016, on dénombrait 249 298 personnes prises en charge par l’administration pénitentiaire, dont 172 007 suivies en milieu ouvert et 76 601 sous écrou ; 187 établissements pénitentiaires, dont 103 services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ; et 37 801 agents.

La surpopulation carcérale est dénoncée tant par les instances européennes ad hoc que par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou les parlementaires : elle est de l’ordre de 134 % dans les maisons d’arrêt. Il est nécessaire de renouveler et d’élargir le parc des prisons, ainsi que d’accroître les effectifs correspondants.

La multiplication des textes de loi, qu’elle soit d’initiative nationale ou qu’elle résulte de la transposition de directives européennes, contribue à l’accroissement de la dépense en matière de frais de justice. Le même constat peut être fait sur l’aide juridique, dont l’extension continue du champ est un élément d’accroissement de la dépense.

La judiciarisation croissante de la société conduit à une saturation des juridictions. Selon les données du ministère au titre de l’année 2014, 2 618 374 décisions ont été rendues en matière civile et commerciale, dont 262 147 référés ; 1 203 339 décisions ont été rendues en matière pénale. Il faut également noter que 182 968 affaires traitées mettent en cause des mineurs ; le juge des enfants a été saisi du cas de 107 672 mineurs en danger.

La seule Cour de cassation, qui examinait environ 5 000 pourvois en 1900, est désormais saisie de plus de 30 000 affaires nouvelles par an.

Enfin, l’évolution des attentes de la société et des techniques d’investigation conduit à la mise en œuvre de procédures coûteuses. C’est notamment le cas en matière de frais de justice – environ 500 millions d’euros par an. Un pilotage efficace de cette dépense est indispensable, comme la Cour l’a recommandé dans ses communications au Parlement.

Au regard de ces constats, la réponse aux difficultés de la justice ne saurait être uniquement budgétaire. Des choix de fond sont nécessaires. Je parle de choix politiques, qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour, et dont le Parlement est régulièrement saisi lors de l’adoption de textes législatifs.

La question se pose tout d’abord d’un mouvement de « déjudiciarisation ». L’Assemblée nationale vient d’adopter deux dispositions, l’une relative au divorce par consentement mutuel, l’autre à certains délits routiers. Ce choix est de nature à alléger sensiblement la charge de juridictions souvent encombrées. Vous assistez certainement régulièrement aux audiences solennelles des tribunaux de grande instance ou de cours d’appel : ce sont souvent l’occasion pour les magistrats de formuler des propositions.

On peut également penser, à l’instar du premier président de la Cour de cassation, qu’il serait bon de simplifier certaines procédures : il a récemment souligné la longueur de nombre d’entre elles, et le fait que l’appel, « au lieu d’être une voie de réformation, est une voie de recommencement du procès ». S’agissant de la cassation, l’instauration d’un mécanisme de filtrage des pourvois analogue à celui d’autres démocraties occidentales permettrait à la Cour de cassation de ne connaître que des questions de principe, d’évolution du droit ou d’unification de la jurisprudence.

Au-delà de ces choix de fond et du renforcement de ses moyens de fonctionnement, le ministère doit engager une réflexion sur sa gestion, sur son fonctionnement, et je dirais même sur son management. J’évoquerai ici trois champs de réforme souhaitables, dans des domaines où le ministère pâtit de faiblesses structurelles.

Tout d’abord, la Cour relève régulièrement un manque de transversalité et un pilotage insuffisant des politiques et des moyens, en raison d’une organisation « en silo ». Cette faiblesse caractérise un ministère dont les composantes – services judiciaires, administration pénitentiaire, protection judiciaire de la jeunesse – ont des cultures, des pratiques, des statuts et même des modes d’organisation administrative et territoriale différents.

Le récent contrôle consacré au suivi des majeurs condamnés a confirmé le manque de continuité, voire les ruptures dans la chaîne des acteurs concernés. Le renforcement du secrétariat général du ministère redonnerait des leviers de progrès à cette administration, en particulier en matière de ressources humaines ; mais le ministère a toujours reculé, jusqu’à maintenant, devant cette solution. Il serait bon, en outre, de mettre en place une inspection générale unique, intégrant les inspections techniques des directions de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse.

Plusieurs députés du groupe socialiste, écologiste et républicain. C’est voté !

M. Didier Migaud. Mais cela reste à confirmer, puis à faire. (Sourires.)

Au plan budgétaire et comptable, le temps semble venu d’envisager la fusion, en un réseau ministériel unique consacré au paiement déconcentré de la dépense, du réseau des directions interrégionales des services pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse d’une part, et des pôles Chorus, services déconcentrés de la direction des services judiciaires, d’autre part.

La nécessité de moderniser la gestion des ressources humaines est criante. Cela vaut aussi bien pour les services judiciaires que pour l’administration pénitentiaire, qui a du mal à recruter. Une déconcentration de la gestion des personnels pénitentiaires apparaît indispensable.

Ensuite, l’examen de grands projets d’investissement, comme l’application CASSIOPÉE (Chaîne applicative supportant le système d’information orienté procédure pénale et enfants) ou la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), a illustré les difficultés de telles opérations. Les économies escomptées ne sont pas au rendez-vous ; elles sont mêmes négatives si l’on porte l’attention sur les surcoûts et les retards observés. Le potentiel des dispositifs mis en place n’est pas pleinement exploité. Plus largement, les systèmes d’information décisionnels sont défaillants, d’autant que de nombreux champs de données statistiques ne sont pas renseignés dans les documents budgétaires.

Enfin, une meilleure connaissance des pratiques et de leurs effets permettrait de mieux dépenser. Les contrôles réalisés sur la protection judiciaire de la jeunesse et sur la gestion par l’administration pénitentiaire des personnes majeures placées sous main de justice montrent la faiblesse de l’évaluation. De même, la Cour n’a pas pu se prononcer sur l’efficacité de la gestion des personnes majeures condamnées, en l’absence totale d’outils d’évaluation et de connaissance des coûts des actions de probation. Pourtant, leur développement est un objectif du ministère de la justice.

Je pourrais citer d’autres exemples : nous avons par exemple travaillé sur la carte judiciaire, dont la réforme pourrait certainement être complétée. Le nombre de cours d’appel demeure trop important.

J’en viens maintenant à la politique de sécurité intérieure, en soulignant tout d’abord avec force le dévouement quotidien des personnels de la police et de la gendarmerie. Plus encore que dans le passé, ils sont soumis à des exigences d’efficacité accrue dans l’exercice de leurs missions. Les Français attendent d’eux qu’ils luttent avec succès à la fois contre la délinquance de proximité et la grande criminalité organisée. De façon plus aiguë désormais, ils doivent parvenir à faire reculer la menace terroriste.

Les moyens de la police et de la gendarmerie ont été accrus ces dernières années. De 2012 à 2015, leurs dépenses ont respectivement augmenté de 5,4 % et 3,8 %, ce qui mérite d’être relevé au regard de l’objectif de stabilisation des dépenses de l’État.

Pour la Cour, depuis plusieurs années, le manque de maîtrise de l’évolution de la masse salariale des forces de sécurité constitue l’une des principales faiblesses de leur gestion.

Le phénomène n’est pas nouveau : en 2013, la Cour a constaté que les dépenses de rémunération s’étaient alourdies de 10,5 % dans la police et de 5,1 % dans la gendarmerie. Cette progression soutenue a été observée en dépit de la suppression d’environ 3 % des emplois entre 2006 et 2011.

La hausse a résulté de réformes qui ont modifié profondément la pyramide des corps. Elles ont notamment accéléré les promotions de grade et se sont accompagnées de nombreuses mesures catégorielles à caractère indemnitaire et indiciaire. Elles ont alourdi sensiblement le coût moyen des emplois. Leurs effets, qui ne sont pas seulement budgétaires, se font encore sentir aujourd’hui.

Ces réformes coûteuses n’ont pas été guidées par une vision stratégique. Elles ont créé des situations problématiques, voire des blocages, dans les déroulements de carrière. Ainsi, au sein du corps des gradés et des gardiens de la paix, la proportion de gradés est passée de 16,5 % en 2004 à 46 % en 2012 : on compte désormais presque un encadrant pour un encadré. Pour prendre la mesure de ces chiffres, je tiens à rappeler qu’ils concernent un effectif de 100 000 fonctionnaires. Parmi les officiers, les capitaines sont trois fois plus nombreux que les lieutenants. Les commandants et les commandants fonctionnels sont aussi nombreux que les capitaines.

Depuis l’achèvement de la réforme des corps et carrières et la mise en œuvre du Plan d’adaptation des grades aux responsabilités exercées (PAGRE) en 2012, et jusqu’à 2015, les dépenses de rémunération ont continué de progresser de 5,1 % dans la police et de 3,9 % dans la gendarmerie. En parallèle, les dépenses hors titre 2 ont baissé, ce qui suggère un effet d’éviction. Une forte tension est régulièrement relevée sur les crédits de fonctionnement – le titre 3 – et d’investissement – le titre 5. On peut légitimement s’interroger sur le maintien des capacités opérationnelles des forces.

Le premier plan de lutte anti-terroriste (PLAT 1) a prévu pour les années 2015 à 2017 l’inscription de 233 millions d’euros de crédits supplémentaires et de 1 400 emplois équivalents temps plein (ETP) au titre de la mission « Sécurités ». Il s’est traduit, en 2015, par l’ouverture par décret d’avance de 110 millions d’euros et par des dégels portant sur 80 millions d’euros. Finalement, l’exécution a été inférieure de 54 millions d’euros aux crédits de la loi de finances initiale. Les recrutements de 500 policiers et gendarmes supplémentaires sont toutefois surtout intervenus en fin d’année : l’impact budgétaire pour l’exercice 2015 a été faible.

Le PLAT 1 a aussi renforcé les crédits d’équipement et d’investissement des forces de sécurité, en rupture avec la tendance observée au cours des exercices précédents. Il a permis de renforcer les moyens des unités chargées de répondre à la menace terroriste, mais aussi de rattraper partiellement les retards d’équipement d’autres unités, de réhabilitation immobilière et d’acquisition de véhicules.

Même si les recrutements prévus ont été tardifs, la progression des dépenses de rémunération s’est poursuivie en 2015 à un rythme soutenu, indépendamment des créations d’emplois dans le cadre du PLAT 1. Elle devrait s’accélérer à nouveau en 2016, avec de nouvelles créations d’emplois – plus de 1 300 en plus de ceux déjà prévus. Enfin, au titre du second plan de lutte anti-terroriste (PLAT 2), 4 535 emplois supplémentaires devraient être créés en deux ans sur la mission « Sécurités », dont 3 150 emplois en 2016.

Par ailleurs, le protocole récemment signé par le ministre de l’intérieur visant à revaloriser les carrières et la rémunération des policiers représente un effort budgétaire qui atteindrait 400 millions d’euros d’ici à 2022. Un protocole équivalent a été conclu le même jour dans la gendarmerie ; son coût s’élèverait à 213 millions d’euros.

Il est loisible de se demander si l’effort de rattrapage opéré en matière de fonctionnement et d’investissement est soutenable au regard des perspectives de croissance accélérée de la masse salariale.

Les pouvoirs publics ont fait de la politique de sécurité intérieure une priorité budgétaire. Cela ne doit pas dispenser les décideurs et les gestionnaires de rechercher aussi des pistes d’économies en vue d’une gestion plus efficace et plus efficiente des forces de police et de gendarmerie.

Lorsque je présente les travaux de la Cour des comptes, je rappelle régulièrement que les résultats d’une politique publique ne sont pas toujours directement corrélés aux moyens. Avant de décider d’augmenter les moyens, il est toujours utile d’évaluer les résultats déjà obtenus afin d’apprécier l’efficacité et l’efficience de la politique en question. Si on faisait plus systématiquement cet effort, on prendrait conscience que l’amélioration d’une politique publique dépend autant, voire davantage, d’une meilleure répartition des moyens et de mesures de réorganisation. Tout n’est pas une question de budget ; beaucoup dépend de l’organisation, du fonctionnement, de la répartition des moyens sur le territoire.

Dans de nombreux domaines, il est possible de faire mieux en dépensant autant, voire en dépensant moins – à condition de faire les choix qui s’imposent. En matière de sécurité intérieure, les rapports de la Cour et ceux des inspections générales font le même constat : alors que des moyens supplémentaires ont été octroyés à cette politique publique, ces choix sont encore plus nécessaires. Dans le cas contraire, on prendrait le risque d’un impact modéré, voire médiocre, de ces crédits supplémentaires sur l’efficacité des services. En d’autres termes, au-delà du symbole, l’annonce de nouveaux moyens ne garantit pas obligatoirement, dans la durée, des résultats à la hauteur des attentes.

La Cour constate, en particulier, que toutes les possibilités de mutualisation entre les services de police et les unités de gendarmerie n’ont pas encore été exploitées, alors que cette dernière a été intégrée en 2009 au ministère de l’intérieur.

De rares démarches de rapprochement entre police et gendarmerie sont à relever, au niveau central – en matière de coopération internationale, de systèmes d’information et d’achats – et déconcentré, avec la mise en place des secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’intérieur. Toutefois, bon nombre des réformes attendues du rapprochement de la police et de la gendarmerie se sont arrêtées au milieu du gué.

Bien qu’engagée, la mutualisation de la maintenance du parc automobile est loin d’avoir produit tous ses effets. Le mouvement de mise en commun des structures de police technique et scientifique paraît avoir fait long feu ; la Cour y reviendra prochainement. Les mutualisations restent bien trop limitées en matière de recrutement et de formation des policiers et des gendarmes.

Au-delà, la complémentarité des forces de police et de gendarmerie pourrait être renforcée. Une enquête sur la police judiciaire a mis en évidence une situation de concurrence entre services.

Le renseignement, clé de voûte du métier des enquêteurs judiciaires, n’est que trop rarement partagé et alimente même les rivalités entre police et gendarmerie. Par exemple, les services centraux des deux forces continuent de gérer leurs informateurs judiciaires sur deux fichiers séparés. Cette concurrence a un effet négatif sur l’emploi des moyens. Les effectifs des services d’enquête de la police et de la gendarmerie sont affectés dans les territoires sans concertation. Ce constat est confirmé a contrario par les résultats obtenus dans les zones de sécurité prioritaires, où les progrès sont réels.

Enfin, un meilleur emploi des moyens disponibles paraît possible au sein de chacune des deux forces. Les résultats obtenus en matière d’élucidation des faits de délinquance connaissent des écarts importants, par exemple entre services de sécurité publique et entre les services de sûreté urbaine ou départementale. De même, dans la gendarmerie, le taux moyen d’élucidation des crimes et délits présente des écarts importants d’une région à l’autre et, plus encore, d’un département à l’autre.

Voilà les principaux constats dont je souhaitais vous faire part. La justice comme la sécurité intérieure ont vu leur charge de travail augmenter ; elles ont aussi bénéficié ces dernières années de moyens accrus. Mais, aujourd’hui, la question se pose de leur bonne gestion, de leur administration, tout simplement. À l’heure où des crédits supplémentaires leur sont à nouveau affectés, il serait judicieux de s’interroger sur les résultats obtenus jusqu’ici et sur les leviers de progrès qui existent : choix politiques de fond, mesures de réorganisation, meilleure allocation et répartition des moyens, mutualisations.

Des marges de manœuvre existent, retracées dans les nombreux travaux de la Cour, dont j’invite la représentation nationale à se saisir. Vous y trouverez, mesdames et messieurs les députés, des développements propres à ouvrir des pistes de réformes.

Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition, avec les magistrats qui m’entourent, pour répondre à vos questions.

M. Patrick Mennucci. Merci de cette intervention, monsieur le premier président. Cette invitation est une heureuse initiative, qui nous permettra de mieux travailler à l’avenir.

Vous avez dit que le nombre de magistrats était resté à peu près stable au cours des dernières années ; il y a pourtant eu une accélération des recrutements. Combien d’années faudra-t-il pour que les effectifs des magistrats augmentent réellement ? Par ailleurs, beaucoup de magistrats, je crois, ne sont pas affectés dans des juridictions. Pouvez-vous apporter des précisions sur ce point ?

S’agissant des PPP, j’ai cru entendre dans vos propos – comment dire ? – une certaine distance vis-à-vis de cette technique de financement. Pouvez-vous développer la question des conséquences des PPP sur le budget de la justice ?

M. Pascal Popelin. En tant que rapporteur pour avis de la mission « Sécurités » pour la partie « Sécurité », je voudrais d’abord connaître votre avis sur le dispositif policier de coopération internationale. Faudrait-il revoir le réseau des attachés de sécurité intérieure, actuellement composé de 250 policiers et gendarmes ?

Avez-vous pu évaluer le coût de cette coopération internationale, tant pour la police que pour la gendarmerie ? La création en 2010 d’une direction de la coopération internationale, commune aux deux forces, a-t-elle selon vous permis une rationalisation ?

Enfin, vous menez en ce moment, je crois, une enquête sur la police technique et scientifique. Estimez-vous possible de rationaliser l’implantation des laboratoires ? Vous paraît-il souhaitable d’aligner les statuts et les procédures des techniciens de la police et de la gendarmerie ?

M. Joaquim Pueyo. Dans un référé rendu public le 24 mars dernier, la Cour des comptes a jugé notre système de gestion des personnels pénitentiaires « à la limite de l’épuisement ». Vous pointez même des pratiques irrégulières. En particulier, la gestion des heures supplémentaires pose problème : de nombreux surveillants travaillent loin de leur famille, et préfèrent effectuer de longues journées de travail et cumuler des heures supplémentaires. La Cour a notamment déploré l’absence de contrôle interne.

Vous avez évoqué une déconcentration de la gestion des personnels pénitentiaires. L’administration s’est déjà posé cette question : il peut s’agir d’une bonne méthode. Mais un problème se poserait en région parisienne, la plupart des personnels des grands établissements venant de province, et même d’outre-mer.

En ce qui concerne les PPP, il manque 10 000 places : le Gouvernement doit absolument construire rapidement des prisons pour améliorer les conditions de détention, mais aussi les conditions de travail des personnels. Si l’on veut qu’une peine puisse avoir un sens, c’est essentiel : au XIXe siècle, la cellule individuelle était déjà reconnue comme indispensable, à la suite d’un rapport du vicomte d’Haussonville. Or nous en sommes loin.

Avez-vous des recommandations à faire sur le choix entre une gestion purement publique et une gestion mixte, mise en place dans les années 1990, où l’on confie à des entreprises privées le soin de gérer l’hôtellerie, la formation professionnelle, les transports, la technique, la maintenance…?

M. Didier Migaud. Nous vous répondrons à partir de travaux terminés, mais aussi à partir des premiers résultats d’enquêtes en cours – sur lesquels j’appelle à la prudence.

S’agissant du nombre de magistrats, il ne suffit pas de créer des postes : il y a un temps de scolarité à l’École nationale de la magistrature (ENM). Nous avons critiqué une mauvaise anticipation des départs par le ministère, et donc des nécessités d’organisation de concours. De plus, les capacités de formation peuvent arriver à saturation. La situation est d’ailleurs la même pour la police et la gendarmerie : il ne suffit pas de voter des recrutements pour qu’ils interviennent tout de suite. Le décalage est de deux à trois ans.

Je redis qu’il faut aussi réorganiser, et peut-être redéfinir certaines missions : le temps des magistrats peut être mieux utilisé, en allégeant des procédures notamment. J’ai cité l’exemple du divorce et des délits routiers.

S’agissant de la coopération internationale, nous y avons travaillé, et nos constats sont les mêmes que dans d’autres domaines : la pratique de l’évaluation des actions demeure très limitée. La développer serait fort utile. Les moyens financiers et humains consacrés à l’action internationale sont modestes – 90 millions d’euros au total – et ils ont plutôt décru au cours des dernières années, ce qui a conduit les responsables à rechercher des moyens nouveaux, notamment au niveau européen.

Là encore, pendant longtemps, la coopération internationale du ministère de l’intérieur a souffert d’une absence de stratégie clairement définie. En 2013, une stratégie ministérielle dans le domaine international et européen a été définie pour la première fois, grâce à la forte implication du ministre. Mais de nombreux services du ministère continuent d’intervenir, ce qui traduit une organisation en directions générales verticales, qui n’ont pas l’habitude de dialoguer entre elles.

Nous n’avons que deux exemples positifs de mutualisation qui concernent la police et la gendarmerie : la création au sein de la direction centrale de la police judiciaire, en 2000, de la section de coopération opérationnelle de police (SCCOPOL), composée de policiers et de gendarmes ; d’autre part, la mise en place, en 2010, d’une direction commune de la coopération internationale.

En revanche, le ministère s’est révélé incapable – malgré la réforme de l’administration centrale décidée en 2013 – d’imposer l’existence d’une direction transverse, légitime pour coordonner l’action en matière de coopération internationale. Cela demeure pour nous une préoccupation.

Nous menons en ce moment une enquête sur les PPP. Une enquête sur la police technique et scientifique nous a été demandée par la commission des Finances de l’Assemblée nationale, en lien avec votre Commission. Elle est en cours. Nous avons également mené des travaux relatifs à l’administration pénitentiaire. Le président Vachia pourra vous en parler.

M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. Les questions immobilières du ministère de la justice et les PPP constituent pour nous une question lancinante. Nous avions mené en 2011, à la demande du Parlement, une enquête qui montrait que les contrats de PPP étaient très et sans doute trop longs et trop globaux – ce qui rendait difficile l’appréciation de la performance. Nous avions conclu qu’il serait nécessaire d’y revenir plus tard pour examiner l’exécution des contrats en cours, et c’est ce que nous sommes en train de faire.

Une enquête est donc menée en ce moment sur l’ensemble de la fonction immobilière du ministère de la justice. Les implantations immobilières de ce ministère représentent 6 millions de mètres carrés de surface hors œuvre nette, répartis sur plus de 1 800 sites, notamment 700 sites judiciaires et 293 établissements pénitentiaires. La dépense immobilière annuelle du ministère de la justice atteint presque un milliard d’euros.

Nous enquêtons en ce moment sur l’Agence publique pour l’immobilier de la justice et l’Établissement public du palais de justice de Paris. Nous cherchons notamment à établir des comparaisons entre les performances des opérations dont la maîtrise d’œuvre est publique et de celles qui relèvent d’un PPP.

Comme l’a dit M. Pueyo, il y a eu différentes générations de PPP – les premiers portant sur la gestion, d’autres sur la construction. Nous nous concentrons en ce moment sur ceux qui comprennent à la fois la construction et la gestion.

En 2011, nous avions constaté qu’un PPP permettait la livraison rapide de prisons nouvelles. À long terme, toutefois, des questions se posent sur la performance et sur les conséquences en termes de dépenses publiques. La note d’exécution budgétaire de la mission « Justice » relève le poids croissant, notamment pour le programme « Administration pénitentiaire », du coût annuel des PPP, ce qui limite les marges de manœuvre. Le ministère de la justice subit ainsi des contraintes fortes : dépenses de personnel, cela a été dit, et PPP. Les autorisations d’engagement dépassent un milliard d’euros en 2015.

Nous espérons avoir terminé cette enquête au début de l’année 2017.

S’agissant des personnels pénitentiaires, je voudrais insister sur la question du pilotage par la direction de l’administration pénitentiaire. Nous avons estimé que cette gestion était trop concentrée. Elle serait sans doute meilleure, plus aisée et plus dynamique si les directeurs interrégionaux des services pénitentiaires étaient mieux associés aux décisions prises – ils ont en effet des responsabilités budgétaires, puisqu’ils sont responsables du budget opérationnel de programme tant en titre 2 (dépenses de personnel) qu’hors titre 2. Ils devraient donc pouvoir gérer de façon plus fine les dépenses de rémunération. Il serait sans doute également judicieux de mieux responsabiliser les directeurs de prison, notamment en ce qui concerne le dialogue social. Au niveau central, le secrétaire général devrait être plus impliqué dans ces décisions.

Dans notre référé, nous avons notamment proposé de transférer aux directeurs d’établissement la prononciation des sanctions du premier groupe, c’est-à-dire des sanctions de base.

Vous avez raison, monsieur le député, sur la question des personnels originaires de province ou d’outre-mer affectés en région parisienne. Ces personnels sont tentés de regrouper leur temps de travail d’une semaine sur peu de jours, c’est-à-dire d’effectuer un travail très intensif pendant une courte durée. Beaucoup sont logés en région parisienne tant bien que mal, et plutôt mal que bien ; pour le reste ils retournent en province. C’est un phénomène qui nous semble inquiétant, et c’est bien l’organisation du temps de travail qui doit être remise à plat dans les prisons. Bien entendu, c’est très difficile, mais les marges de manœuvre existent.

Il serait à notre sens possible d’expérimenter un concours à vocation régionale, comme cela a été fait pour les policiers.

En tout cas, la situation actuelle de la gestion des personnels n’est pas satisfaisante, non seulement d’un point de vue budgétaire, mais plus globalement.

S’agissant de la police scientifique et technique, une enquête au titre de l’article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) est en cours. Nous remettrons notre travail au début du mois d’octobre prochain. Je regrette de devoir d’ores et déjà dire que nous serons à nouveau amenés à constater, comme dans d’autres domaines, l’extrême insuffisance – c’est une litote – des mutualisations entre police et gendarmerie, et même au sein de la police. Il existe là des marges de manœuvre budgétaires.

M. Olivier Marleix. Je lis chaque année avec attention les notes que vous consacrez à la mission « Sécurités ». S’agissant des programmes 176 « Police nationale » et 152 « Gendarmerie nationale », en 2015, il résulte des tableaux présentés en page 32 de votre note d’analyse de l’exécution budgétaire 2015 qu’il y aurait 239 430 emplois équivalents temps plein. Or, en 2011, nous étions à environ 240 000.

J’ai bien du mal à retrouver dans ces chiffres les 9 000 créations de postes dont le ministre de l’intérieur nous parle quotidiennement. Depuis 2011, le plafond d’emplois a certes peu varié ; il a plutôt augmenté au cours des trois dernières années, notamment grâce au PLAT. Mais, en exécution, entre 2011 et 2015, le solde est négatif de 828 pour les deux programmes 176 et 152.

N’y a-t-il pas là un vrai problème de sous-exécution ? La sécurité des Français est un sujet suffisamment important pour que les chiffres communiqués par le Gouvernement correspondent à ceux qui résultent des travaux de la Cour.

M. Alain Tourret. En qualité de rapporteur pour avis sur la fonction publique, j’aimerais vous interroger sur le temps de travail des fonctionnaires tant du ministère de la justice que de celui de l’intérieur, dans le contexte de la publication toute récente du rapport de M. Philippe Laurent.

J’occupais déjà ces fonctions en 1999 et 2000, et je me rappelle les difficultés rencontrées pour contrôler le temps de travail des magistrats. Tout le monde pense que les magistrats travaillent au moins soixante heures par semaine, naturellement. Mais il y a des avocats généraux, à la Cour de cassation ou à la cour d’appel de Paris, qui viennent une ou deux fois par an ! Des enquêtes étaient prévues dans des cours d’appel, où en est-on ? Il est bien difficile pour un avocat de traiter de ces sujets, car les personnels se sentent très maltraités dès lors que l’on ose même soulever la question ! Je peux vous assurer, pourtant, que, pour arriver devant un juge des affaires familiales le mercredi après-midi à Paris, vous aurez bien du mal.

Pouvez-vous nous apporter certaines réponses ? Cela me semble indispensable.

Que pensez-vous, d’autre part, de l’augmentation sans contrepartie du point d’indice de la fonction publique ? Cette hausse de 1,2 % peut être légitime, à la condition que certaines obligations soient remplies, à commencer par celle de travailler trente-cinq heures par semaine.

Vous avez évoqué la possibilité d’utiliser autrement les postes de magistrats existants, notamment en déjudiciarisant les divorces par consentement mutuel. On peut estimer le nombre de ces divorces à 70 000 par an : si l’on estime le temps de travail annuel à 1 800 heures et le temps passé sur chaque dossier à une heure, on peut espérer récupérer ainsi une quarantaine de postes de magistrats, ainsi qu’un nombre équivalent de postes de greffiers. Ce n’est pas rien.

Enfin, le « rapport Laurent » estime à une quinzaine la différence entre le nombre de jours de travail par an dans le secteur privé et dans le secteur public. La situation est-elle la même dans les différents secteurs de la fonction publique, et en particulier dans ceux dont vous nous parlez aujourd’hui ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Cette Commission a toujours été attentive aux questions budgétaires et à l’efficience de la justice – mais il serait regrettable d’en arriver à organiser notre appareil judiciaire en fonction de sa capacité plutôt qu’en se fondant sur le seul intérêt du justiciable. De ce point de vue, nous sommes réticents face aux évolutions annoncées de la Cour de cassation : s’il est nécessaire d’alléger les procédures inutiles, il ne faut pas remettre en cause les principes fondamentaux de notre justice, et notamment l’accès au droit. Le chemin est étroit.

Ma première question porte sur le gel des crédits.

Alors que nous avons passé des mois à examiner le budget de la Nation, nous voici confrontés à des gels de crédits effectués dans des conditions scandaleuses par rapport aux décisions du Parlement puisque la pertinence de celles-ci n’est pas même prise en compte. Ce à quoi veille le garde des Sceaux en ce moment, c’est à obtenir des dégels afin de ne pas aggraver la situation budgétaire de la justice – il n’est pas question pour l’heure d’augmentation de moyens. Si les dégels interviennent plus tard, au mois de septembre ou d’octobre, les crédits ne pourront pas être utilisés par les juridictions d’une manière compatible avec leur fonctionnement. Depuis quelques années, j’ai eu l’occasion de dénoncer dans les rapports pour avis de la commission des Lois sur les crédits de la justice administrative et judiciaire les conditions dans lesquelles se trouvent ceux qui gèrent ces fonds : ils ne peuvent inscrire leur action dans la durée.

Prenons l’exemple des frais de justice. Il y a deux ans, nous avions obtenu une augmentation en cours d’année budgétaire, mais nous nous trouvons aujourd’hui dans la même situation que celle que nous avions combattue, confrontés que nous sommes à la tentative de payer seulement un peu jusqu’à la fin de l’année alors que certaines juridictions sont d’ores et déjà en quasi-cessation de paiement. N’oublions pas que ces contraintes budgétaires peuvent peser sur la décision juridictionnelle elle-même, en limitant le recours aux expertises, aux enquêtes, aux autopsies.

Comment, selon vous, mieux prendre en compte les modes de gestion ?

Ma deuxième question porte sur l’informatique et la dématérialisation.

Nous ne comprenons pas pourquoi le ministère de la justice ne parvient pas à faire évoluer ces techniques de manière aussi pertinente que d’autres administrations, comme l’administration fiscale. Il n’est qu’à voir la laborieuse montée en puissance qu’a connue l’application CASSIOPÉE. Pourquoi les objectifs de dématérialisation sont-ils remis à 2022 ou 2023 alors que beaucoup d’autres administrations les ont déjà atteints ?

Ne faudrait-il pas revoir le modèle même de gestion de la justice ? On sait le poids que représente la centralisation, on sait aussi la place qu’occupent les magistrats. Pourquoi ne pas les décharger de tâches de gestion administrative afin qu’ils se consacrent pleinement au difficile métier de juger ? Nous sommes de ceux qui considèrent que la justice doit être gérée par des fonctionnaires, au service de l’appareil de la justice et des magistrats.

M. Didier Migaud. Oui, monsieur Le Bouillonnec, il faut revoir le fonctionnement et l’organisation du ministère de la justice. Il gagnerait bien sûr à avoir des administrateurs. Les marges de progrès sont sans nul doute importantes. Je le disais tout à l’heure : tout n’est pas qu’une question de budget. Beaucoup tient dans la façon même de gérer. Le président Vachia ou Roch-Olivier Maistre pourraient vous le confirmer.

Seulement il faut convaincre les magistrats eux-mêmes que ce n’est pas remettre en cause leur indépendance que de confier certaines responsabilités de gestion à des administrateurs. Des postes d’attachés ont été créés dans les juridictions et ils seront très utiles aux chefs de juridiction pour les décharger de certaines tâches, ce qui leur permettra de se recentrer sur leur métier.

C’est aux pouvoirs publics qu’il appartient de définir les missions que doivent assurer les magistrats. La Cour des comptes, de son côté, insiste sur le lien à établir entre les effectifs et les missions. Trop souvent, la réflexion n’est pas globale et les mêmes questions se posent en ce qui concerne l’administration de l’État, les préfectures ou les sous-préfectures. Que doit faire l’État ? Que doivent faire les magistrats ? Il faut bien voir que l’indépendance des magistrats n’est absolument pas antinomique avec le fait qu’ils doivent rendre des comptes sur le bon emploi des fonds publics et l’efficacité de leurs emplois. Les magistrats de l’ordre administratif ont eux aussi des comptes à rendre et ils ne sont pas moins indépendants pour autant.

Les frais de justice sont un sujet que j’ai examiné de près dans une vie antérieure, au moment de l’élaboration de la loi organique relative aux lois de finances. Les magistrats étaient très remontés contre le fait que ces crédits aient désormais un caractère limitatif et non plus évaluatif, estimant que cela contribuerait à remettre en cause leur indépendance. Depuis, ils se sont rendu compte qu’il était possible de gérer les frais de justice en mettant en concurrence les prestataires de services – opérateurs téléphoniques, laboratoires, entreprises de dépannage – et en négociant pour faire baisser les prix.

Monsieur Marleix, les chiffres concernant les personnels ne recouvrent pas forcément la même chose. Il peut s’agir de créations d’emplois correspondant à une période donnée, par exemple. En outre, il est rare que les plafonds d’emplois soient saturés car il faut aussi prendre en compte les contraintes budgétaires. La plupart du temps, les crédits de personnel ne permettent pas d’atteindre les effectifs visés dans les plafonds. Ainsi, à la Cour des comptes, nous n’avons pas de crédits suffisants pour assurer la rémunération des 1 840 personnels de notre plafond d’emplois. Il en va de même pour la justice judiciaire ou même la police.

Sur le temps de travail, monsieur Tourret, nous n’avons pas effectué d’étude globale sur la fonction publique comme Philippe Laurent l’a fait dans le rapport qu’il vient de remettre. Nous avons conduit des travaux portant sur la police et la gendarmerie mais pas sur les services pénitentiaires ou les magistrats. Soit dit en passant, les magistrats ne pointant pas, c’est plutôt en termes de journée de travail qu’il faut raisonner. Le problème que vous soulignez résulte du temps partiel : dans la magistrature, certaines personnes ont un service à 80 % ou à mi-temps. En outre, les magistrats travaillent aussi à domicile et le week-end, selon leurs astreintes.

Le dégel du point d’indice relève non de la responsabilité de la Cour mais des autorités politiques et des représentants de la Nation. Notre tâche est de vérifier que les engagements pris par le Parlement puissent être respectés. Si, par exemple, vous décidez que les dépenses de personnel ne doivent pas augmenter d’une année sur l’autre et que, parallèlement, vous dégelez le point d’indice et créez des effectifs complémentaires, il nous appartiendra de vous rappeler que c’est antinomique.

Nos contrôles montrent une grande diversité de situations dans les administrations, qu’il s’agisse de la fonction publique territoriale, hospitalière ou d’État. Les 1 607 heures ne sont pas toujours effectives. Des jours de congé peuvent, par exemple, être ajoutés aux jours de congé traditionnels par des circulaires.

Nous insistons sur les limites de la politique du rabot car lorsqu’elle s’installe dans la durée, elle est synonyme de non-choix, puisqu’il n’y a plus vraiment de priorités. Le gel du point d’indice ne peut être éternel. Pour maîtriser les dépenses de personnel, il faut jouer sur tout un panel de mesures : organisation, temps de travail, avancement, politiques catégorielles.

S’agissant du gel de crédits, rappelons que le Parlement fixe le montant de la réserve de précaution, inscrite dans la loi de finances initiale, conformément à la LOLF. Les parlementaires ne sont donc pas pris en traître.

Vous avez, je crois, une réflexion à conduire sur le vote de la loi de finances. Le Parlement consacre presque trois mois au processus d’adoption de la loi de finances initiale alors qu’il ne consacre que vingt-quatre heures à l’examen de son exécution dans le cadre de la loi de règlement. La France est presque le seul pays au monde à procéder ainsi. Or la réalité d’une politique budgétaire s’apprécie davantage par rapport à l’exécution des dépenses. Cela impose sans doute de réviser la Constitution, qui impose certaines contraintes. Ajoutons que les études d’impact sont rarement effectuées, ce qui veut dire que vous adoptez des dispositifs législatifs sans disposer de tous les éléments nécessaires pour vous éclairer.

M. Jean-Philippe Vachia. Je commencerai, monsieur Marleix, par les plafonds d’emplois. Tous les éléments d’information sont disponibles dans notre note d’analyse sur l’exécution budgétaire. S’agissant de la mission « Sécurités », de 2013 à 2015, les emplois prévus et autorisés sont passés de 241 875 à 244 816 ; les emplois exécutés, de 239 991 à 241 852. De manière globale, l’exécution est donc très inférieure aux prévisions, du moins avant les effets des PLAT 1 et 2.

Pour la gendarmerie est en cause le phénomène bien connu de l’insuffisance des crédits budgétaires ou tout au moins de la non-adéquation des crédits budgétaires de titre 2 par rapport au nombre d’emplois. Il faut prendre en compte aussi le problème de la non-maîtrise de la masse salariale en gestion infra-annuelle, en raison d’un glissement vieillesse-technicité (GVT) mal anticipé et surtout d’une insuffisante capacité à programmer les arrivées et les départs, excepté en 2015 où il y a eu de nettes améliorations. Tout cela a des répercussions sur les processus de recrutement, qui sont marqués par des à-coups. Cela se vérifie aussi pour la mission « Justice ». En outre, les recrutements tardifs ont des impacts sur l’année suivante.

Vous évoquez le chiffre de 9 000 créations d’emplois. Page 137 du rapport général sur l’exécution du budget, nous nous sommes interrogés sur l’accumulation des créations d’emplois en loi de finances initiale puis en loi de finances rectificative et en cours d’année à la faveur des PLAT 1 et 2. Elle a abouti à ce qu’il y ait plus de créations d’emplois que prévu, toutes choses égales par ailleurs. Si vous faites la somme entre 2015 et 2017 des emplois dont la création a été prévue en loi de finances, des recrutements visés dans les PLAT 1 et 2 et de ceux qui prennent place dans le cadre du plan « migrants », on aboutit à 8 132 emplois, un total qui s’approche du chiffre que vous citiez.

Les frais de justice constituent un grand problème. Nous les avons évoqués dans notre communication de 2014 et dans notre récent référé sur la plateforme nationale des interceptions judiciaires.

Originellement, ils sont l’effet d’une décision juridictionnelle ; en réalité, beaucoup d’entre eux sont prédéterminés dans les textes de loi, ce qui en fait des dépenses quasi-automatiques, je pense à la visite médicale pour les personnes en garde à vue ou à la présence d’un interprète pour les étrangers en rétention.

Par ailleurs, nous avons constaté que l’instrument de mesure, déjà médiocre, s’est dégradé dans le sens où il n’y a plus d’engagement préalable des crédits : la dépense est constatée au moment où elle se fait. Nous placions beaucoup d’espoirs dans la mise en place du portail « Chorus pro » de dématérialisation des frais de justice, qui permet l’enregistrement en temps réel des mémoires des prestataires de l’administration mais son bon fonctionnement suppose que les chefs de cour en tirent les conséquences qui s’imposent en termes de management de la dépense.

Le régime des frais de justice est largement archaïque. Une bonne partie pourrait être réintroduite en frais de fonctionnement sans porter atteinte à l’indépendance des magistrats. De ce point de vue, l’exemple des interceptions judiciaires est parlant. En dix ans, elles ont mobilisé 1 milliard d’euros de dépenses : paiements des opérateurs de communications électroniques, de sociétés prestataires de services d’analyse, dépenses d’équipements, marché avec Thalès. Nous avons constaté que 400 millions auraient pu être économisés si le projet de réorganisation avait été mené à bonne fin en temps utile. Pour des raisons proprement incompréhensibles, il y a eu une défaillance dans la gestion globale : les opérateurs de communications électroniques et les prestataires ont continué d’être payés à la pièce alors même qu’il aurait fallu faire appel à la concurrence, négocier et passer des marchés. La plateforme nationale des interceptions judiciaires est enfin en place mais elle n’est pas encore performante. Cela oblige à recourir à l’ancien système, et toujours sans marché, ce qui est profondément déplorable. Nous avons formulé des propositions extrêmement fortes tout en appelant le Gouvernement à réexaminer le choix qui a été fait de loger, pour des raisons qui ne nous ont pas été expliquées convenablement, la plateforme chez Thalès et non dans des locaux de l’État. La PNIJ est aussi une illustration des grandes difficultés qu’éprouvent le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice à travailler ensemble.

J’en viens à l’informatique.

Le coût complet de CASSIOPÉE a atteint plus de 100 millions d’euros, soit le double de ce qui était initialement prévu. La conduite du projet a été très défaillante pendant longtemps sauf en fin de période, grâce à une meilleure relation avec la prestation de services. L’administration de la justice ne s’était pas mise en mesure de garder les rênes de la conduite du projet. Nous avons constaté à la fin de l’année 2014 que le système n’était pas utilisé au plein de ses fonctionnalités, notamment par les cabinets de juges d’instruction ou de juges pour enfants ou encore pour la gestion des scellés. En outre, nous avons été très déçus de l’incapacité du dispositif à produire des statistiques d’ensemble sur l’exécution des peines. Aussi avons-nous formulé des recommandations pour qu’à l’occasion du projet PORTALIS, qui concerne la justice civile, ces problèmes ne se reproduisent pas.

Dans le cadre d’une enquête plus large sur les secrétaires généraux ministériels, nous avons relevé qu’il fallait absolument leur donner la capacité à assumer les fonctions transversales liées à leurs responsabilités en matière de finances, de ressources humaines et d’informatique. Et cela vaut bien sûr pour le secrétaire général du ministère de la justice.

Le premier président a cité un exemple typique d’économies à faire, dont on peut s’étonner qu’elles ne soient pas faites : l’existence d’un double système de paiement déconcentré de la dépense, avec d’une part les plateformes interrégionales pour le paiement de toutes les dépenses déconcentrées du ministère de la justice et, d’autre part, la plateforme Chorus pour la justice judiciaire. Il n’y a aucune justification technique à cette dualité. Dans mon intervention liminaire, j’ai évoqué en creux toutes les économies qui auraient pu être effectuées grâce à une meilleure gestion des crédits.

M. Christian Martin, conseiller maître, président de section à la Cour des comptes. Nous avons mené une enquête qui a conduit à la publication en 2013 d’un rapport thématique sur le temps de travail des policiers et des gendarmes. Comme vous le savez, police et gendarmerie sont régies par deux systèmes très différents, puisque les gendarmes ne connaissent pas de limitation de leur durée de travail.

Il n’est pas anormal que certains policiers effectuent moins de 1 607 heures par an. Je pense en particulier aux policiers travaillant en régime cyclique avec, par exemple, quatre jours de travail pour deux jours de repos : une fois sur trois, ils sont de service la nuit.

Ce qui est perfectible, c’est le système de récupération des heures supplémentaires. Un policier appelé au service de nuit ou un jour férié, ou les deux en même temps, aura droit pour une heure supplémentaire effectuée à une heure et demie, deux heures voire trois heures de récupération. Sur l’ensemble d’une année ou l’ensemble d’une carrière, on aboutit à un volume d’heures extrêmement élevé. Il existe aujourd’hui un stock de 19 millions d’heures, que la police ne parvient pas à réduire, ce qui crée une lourde contrainte sur l’emploi des forces.

La Cour constatait dans son rapport qu’il y avait de bonnes raisons pour réexaminer ce dispositif en modulant les coefficients de calcul des heures récupérables en fonction des besoins opérationnels. La prise en compte de ces besoins devrait également dicter une analyse fine du choix des régimes cycliques. Il y a des cas où l’activité justifierait plutôt un régime hebdomadaire, moins consommateur d’heures.

Nous effectuerons d’ici à la fin de l’année un contrôle de suivi du temps de travail des policiers et des gendarmes. L’examen de ces systèmes montre qu’au sein de l’appareil de l’État, il existe beaucoup de cas particuliers dans l’organisation de temps de travail.

M. Jean-Philippe Vachia. Pour répondre aux questions sur l’administration pénitentiaire, je m’appuierai sur le référé que la Cour a publié sur la gestion des personnels pénitentiaires.

Il portait en premier lieu sur l’organisation du régime des horaires des gardiens de prison. Le système est extraordinairement compliqué avec un mécanisme d’accumulation d’heures récupérées au titre des heures supplémentaires. Sans entrer dans les détails techniques, je dirai que le dispositif lui-même était extrêmement permissif dans la mesure où des heures théoriques pouvaient être comptabilisées en tant qu’heures effectuées. Nous avions également constaté, pratique éminemment critiquable, qu’un gardien A pouvait se faire remplacer par un gardien B pour une heure de travail sans que cette heure soit prise en compte dans l’application informatique de gestion des heures de travail. Cela posait une question grave de sécurité pour les intéressés eux-mêmes.

Le problème n’est pas tant de vérifier la conformité à un volume global d’heures à effectuer que de s’assurer que les heures effectuées par ce personnel, dont le travail est très difficile, soient contrôlées et contrôlables par l’administration pénitentiaire. Or le système actuel est totalement insatisfaisant voire opaque.

M. René Dosière. Il serait souhaitable de connaître les résultats des exercices budgétaires précédents pour en tirer les conclusions nécessaires à l’élaboration du budget pour l’année suivante. Le problème est que nous ne sommes pas du tout organisés pour examiner l’exécution des dépenses. Le premier président a souligné que le calendrier budgétaire marchait sur la tête : nous consacrons de longues semaines aux prévisions budgétaires et très peu de temps aux résultats, alors même que le rapport général de la Cour des comptes et les soixante-trois notes d’exécution budgétaire sont désormais publiés beaucoup plus tôt dans l’année.

La Cour, compte tenu de son autorité et de son rôle de conseil du Parlement, ne pourrait-elle pas insister sur la nécessité de modifier ce calendrier ? L’un des pères de la LOLF serait parfaitement en droit de le faire, me semble-t-il.

En attendant cette réforme constitutionnelle, la commission des Lois ne pourrait-elle consacrer des réunions sur plusieurs jours, aux alentours du mois de juin, à l’examen des résultats de la politique suivie dans tel ou tel domaine relevant de ses attributions ? Nous nous appuierions sur le rapport d’exécution ministériel et sur les analyses de la Cour des comptes. Nos rapporteurs préciseraient si les objectifs ont été atteints ou non et nous permettraient d’y voir plus clair pour l’année suivante. Nous risquons sinon de continuer à tourner à rond.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je dois vous dire en toute honnêteté que je suis sidérée à plusieurs titres.

La carte judiciaire fait apparaître une dysharmonie entre le ressort des cours d’appel et les autres ressorts. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il faut faire du passé table rase mais, en l’occurrence, nous héritons tout à la fois de la République et de l’Ancien régime. Espérons que la récente réforme territoriale apporte un peu plus de cohérence.

L’organisation de la hiérarchie au sein de la police est préoccupante. Il est difficile de discerner qui fait quoi en fonction de l’âge et du grade, entre les corps accessibles par concours externe, les corps inaccessibles dans le cadre de la formation continue et les corps éventuellement accessibles par concours interne. Et le problème se pose aussi dans la magistrature. Des commissaires de police de vingt-deux ans tout juste sortis de leur école côtoient des gradés de cinquante ans qui ne seront jamais commissaire de police. Il y a un décalage entre ce qui est vécu de l’intérieur du système et ce que nos concitoyens peuvent percevoir. L’organisation de la police et de la justice est incompréhensible, notamment du fait des dénominations employées. Une simplification s’impose.

M. Marleix se pose la question de savoir où sont les postes, mais la véritable question est de savoir où sont les gens. J’ai longtemps travaillé dans un EPIC qui recourait à la procédure simple du « classer payé » qui permettait de déterminer très exactement ce que recouvrait la masse salariale. Ce n’est apparemment pas le cas dans le système judiciaire. Chaque fois que j’ai eu l’occasion d’écrire aux hautes instances pour signaler qu’il manquait des greffiers ou des magistrats, il m’a toujours été répondu que tout allait bien. Or les personnes ne sont tout simplement pas présentes : elles ont peut-être été nommées, elles ont peut-être été affectées mais elles n’ont pas pris leurs fonctions. Entre la nomination et la prise de fonctions, il peut se passer un an voire un an et demi, période pendant laquelle la personne est toujours payée. Pouvez-vous nous en dire plus sur la répartition des personnels entre Paris et la province ? J’aimerais savoir s’il existe des ratios simples qui déterminent que pour tant de justiciables, il y a tant de magistrats, tant de greffiers en chef, tant de greffiers. Comment se fait-il qu’il y ait autant de magistrats, de greffiers et de policiers en région parisienne et aussi peu en province ?

Par ailleurs, je pense que le problème n’est pas tant l’argent que la gestion de l’argent. Je citerai le cas d’un commissariat de police de Montpellier où il a fallu attendre dix ans pour que soient effectués les travaux à la suite d’un dégât des eaux. Les 120 000 euros nécessaires à la réfection étaient systématiquement affectés ailleurs, car ils relevaient du système déconcentré que vous avez décrit. Le ministre Bernard Cazeneuve et moi-même avons dû pousser un coup de gueule pour que les trente-sept policiers qui s’entassaient au rez-de-chaussée puissent accéder à l’étage supérieur et que les femmes disposent enfin de toilettes et de vestiaires séparés. Est-il pertinent que ce soit la hiérarchie qui ait la main sur les crédits et non pas des professionnels de la gestion ?

J’aimerais maintenant aborder l’avenir des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) dont personne ne parle. À travers les travaux que j’ai menés sur l’évaluation de la lutte contre l’usage de substances illicites, j’ai pu constater que les personnels arrivés en force dans les années soixante et soixante-dix, à une période où la puissance publique voulait structurer ces services, sont en fin de carrière. Or il n’y a, semble-t-il, aucune perspective pour le recrutement de directeurs, d’assistants sociaux, de conseillers de probation.

Enfin, s’agissant de l’informatique, au-delà de CASSIOPÉE et de Portalis, je suis abasourdie par les problèmes de saturation des messageries. Du haut en bas de la hiérarchie, les personnels de la justice doivent scinder des fichiers pour alléger leur poids et les envoyer à onze heures du soir pour qu’ils puissent passer.

Pour conclure, je fais mien le vœu exprimé par René Dosière. Pour qu’une société démocratique fonctionne bien, il faut une confiance a priori et un contrôle a posteriori. Or c’est l’inverse que nous faisons.

M. Didier Migaud. Nous n’avons pas les réponses à toutes les questions, qui peuvent renvoyer à des travaux en cours ou des travaux futurs.

Monsieur Dosière, la Cour des comptes s’est exprimée à plusieurs reprises sur ces questions budgétaires. Je ne suis pas sûr que nous puissions en dire plus que ce que nous avons déjà dit. La balle est dans le camp des décideurs. Tout dépend de votre capacité à faire partager des constats et des propositions consensuelles sur ces sujets. Des parlementaires de toutes sensibilités pourraient s’inspirer de la démarche qui a présidé à l’élaboration de la LOLF. Sachez que nous nous tenons à votre disposition pour revenir devant vous quand vous le souhaiterez, pour vous présenter nos travaux sur l’exécution budgétaire.

Il se pose indéniablement, madame Le Dain, un problème de gestion des crédits. Il pourrait y avoir une augmentation des crédits sans pour autant que les dysfonctionnements sur lesquels nous avons appelé votre attention ou que vous avez déjà cernés soient réglés. Des questions d’organisation ou de coopération sont en jeu, en particulier pour les SPIP.

Nous pourrons vous fournir des précisions s’agissant des moyens du ministère de l’intérieur.

S’agissant de la gestion des carrières, je ne trouve pas choquant qu’il y ait aussi des commissaires jeunes. Point n’est besoin d’avoir atteint cinquante ans pour être un bon commissaire. Nous pourrons également vous apporter des précisions à ce sujet.

M. Jean-Philippe Vachia. Dans une insertion au rapport public annuel de 2014, nous avons mis l’accent sur la problématique des cours d’appel. La réforme reste à accomplir, à l’évidence.

J’ai déjà fait allusion au mode de recrutement des magistrats et des greffiers dans un référé relatif aux quatre écoles du ministère de la justice, à savoir l’École nationale de la magistrature, l’École nationale des greffes, l’École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, l’École nationale de l’administration pénitentiaire. S’il y a beaucoup de bonnes choses, on peut déplorer que la coordination entre elles ne soit pas parfaite : il existe des marges de manœuvre pour mettre en place une plus grande mutualisation. En outre, il leur est très difficile de faire de la prospective : cela renvoie à la bonne utilisation des crédits budgétaires pour recruter mais aussi à la capacité à assurer dans de bonnes conditions la formation en temps et en heure.

Les SPIP nous ont beaucoup occupés l’année dernière et nous les évoquons dans le récent référé sur la prise en charge et le suivi, par l’administration pénitentiaire, des majeurs condamnés. Ils sont avant tout confrontés à des problèmes de moyens et d’organisation. La charge de travail est mal évaluée et mal répartie entre les différentes unités territoriales. Les conseillers de probation et d’insertion sont des professionnels très dévoués qui travaillent bien mais il n’existe aucun référentiel définissant leurs tâches. Le ministre dans sa réponse annonce qu’il en sera élaboré un. Le schéma d’organisation géographique doit être certainement revu car il n’est pas du tout adapté. Sans faire preuve d’un effroyable esprit bureaucratique, nous estimons que les directeurs fonctionnels devraient fournir un effort d’encadrement interne. Enfin se pose un problème de relations avec les autres acteurs. Il faut absolument améliorer la transmission des informations, enjeu qui concerne le ministère de la justice de manière plus globale : nous notons une inquiétante incapacité à faire correctement transiter des dossiers d’un responsable à un autre, que cela soit au sein d’un même ressort ou entre ressorts. Un condamné qui fait l’objet d’un sursis avec mise à l’épreuve peut fort bien sortir d’une prison d’un département A pour aller résider dans un département B, ce qui suppose que son dossier soit transféré et du bureau du juge d’application des peines et du SPIP.

Nous nous sommes beaucoup posé la question de l’évaluation du condamné au point de départ et de l’impact des mesures de suivi par les conseillers d’insertion et de probation, notamment pour les condamnés faisant l’objet d’un suivi socio-judiciaire. C’est un point essentiel.

Avant même de créer de nouveaux emplois, d’énormes efforts sont à accomplir pour améliorer l’organisation et les référentiels des métiers.

Vous avez encore évoqué les responsabilités au sein de la police et de la gendarmerie, madame Le Dain. Elles ont connu chacune une grande réforme de leur gestion des ressources humaines : la réforme des corps et carrières pour la police ; le PAGRE pour la gendarmerie. Toutes deux ont abouti à des élévations massives de grade jusqu’à saturer les emplois supérieurs de chaque catégorie, si bien qu’il y a un nombre très important de commandants fonctionnels. La police a diminué le nombre de commissaires, en procédant à une réduction à deux grades –commissaires et commissaires divisionnaires – mais le corps des officiers est devenu beaucoup plus important que précédemment si bien qu’il y a désormais un encadrant pour un encadré. À quoi servent tous ces commandants fonctionnels qui peuvent être amenés à faire le même genre de travail que des commissaires de police ? Était-ce une bonne chose de réduire autant le nombre de commissaires ?

Le haut des pyramides statutaires est engorgé et de nombreux policiers, près de dix ans avant leur retraite, arrivent au sommet de leur corps alors que les voies de passage sont limitées, en particulier entre les commandants et les commissaires. Et dans la gendarmerie, les lieutenants-colonels et les colonels sont en surabondance.

On peut se demander quelle vision stratégique a sous-tendu ces réformes engagées en 2008 et 2009. Leurs effets rendent aujourd’hui extrêmement difficile la gestion de ces corps et sont source d’insatisfactions parmi les personnels, malgré les suppléments de rémunération. Il importe que police et gendarmerie mènent une réflexion sur l’adéquation entre les grades et les emplois réels. Dans le référé du 3 février 2015 sur la gestion des carrières dans la police et la gendarmerie nationales, nous demandions qu’une véritable stratégie à moyen terme soit développée, notamment à travers la définition de parcours-type de carrière.

S’agissant de la répartition des personnels entre Paris et la province, je ne reviens pas sur ce qui a été dit sur le maintien dans l’emploi des gardiens de prison en région parisienne. Il n’est pas satisfaisant que les plus jeunes soient affectés en région parisienne et les plus expérimentés en province.

Dans un référé du 22 décembre 2014 sur la fonction de police judiciaire dans la police et la gendarmerie, nous posions la question de la répartition territoriale des effectifs. Nous nous interrogions notamment sur la cohabitation dans certaines villes d’une brigade de recherches de la gendarmerie et d’une antenne du service régional de police judiciaire (SRPJ) car elle n’est pas justifiée partout. De manière générale, la police judiciaire est marquée par une logique de concurrence. Nous constations aussi la nécessité de restructurer le réseau des antennes de police judiciaire mais aussi de revoir l’affectation des effectifs au sein de la sécurité publique dans chaque département en fonction des besoins, notamment la répartition entre les sûretés urbaines ou départementales et les circonscriptions de base, ainsi qu’entre les différentes catégories de brigades de gendarmerie. Un énorme effort de rationalisation reste à accomplir pour une meilleure répartition des effectifs de police et de gendarmerie pour la seule police judiciaire.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Et qu’en est-il des greffiers et des magistrats ?

M. Jean-Philippe Vachia. Nous pourrons revenir devant votre commission pour vous en dire plus à ce sujet car nous allons travailler spécifiquement sur les magistrats l’année prochaine.

M. le président Dominique Raimbourg. Contrairement à ce que nous espérions, toutes les questions n’ont pas été résolues. (Sourires.)

Je partage l’idée avancée par René Dosière. Il serait sans doute possible de consacrer, à l’occasion de l’examen de la loi de réglement, plusieurs réunions à l’exécution du budget en votre présence : cela nous permettrait non seulement d’exercer un contrôle mais aussi de préparer le travail des rapporteurs pour avis. Les travaux de la Cour des comptes nous éclairent beaucoup même si les constations auxquelles vous aboutissez recoupent pour partie les nôtres. Toute la difficulté est de réformer des administrations publiques extrêmement lourdes qui emploient beaucoup de personnels – nous savons quel frein représente le poids des habitudes.

Il me reste, messieurs, à vous remercier de vous être livrés à cet exercice qui a rassemblé un auditoire plus nombreux qu’à l’accoutumée pour une réunion de l’après-midi. Vous avez été écoutés dans un silence de meilleure qualité qu’habituellement car vous avez visiblement beaucoup intéressé, je le dis sans volonté de flatterie. Nous aurons plaisir à vous revoir bientôt.

La réunion s’achève à 18 heures 45.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, M. Jacques Bompard, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Olivier Dussopt, M. Guy Geoffroy, M. Olivier Marleix, M. Patrick Mennucci, Mme Christine Pires Beaune, M. Pascal Popelin, M. Joaquim Pueyo, M. Dominique Raimbourg, Mme Maina Sage, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Luc Warsmann

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, Mme Huguette Bello, Mme Valérie Boyer, M. Jean-Michel Clément, M. Sergio Coronado, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Daniel Gibbes, M. Philippe Gosselin, Mme Sandrine Mazetier, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistait également à la réunion. - M. Christophe Premat