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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 6 septembre 2016

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 104

Présidence de M. Dominique Raimbourg, Président

– Audition de Mme Marie-France Monéger-Guyomarc’h, directrice, cheffe de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), accompagnée de M. Bertrand Michelin, directeur-adjoint, et de M. Serge Rivayrand, contrôleur général, sur le rapport de l'enquête administrative relative à l’« évaluation du dispositif de sécurité et d’ordre public mis en place à Nice dans la nuit du 14 au 15 juillet 2016 ».

– Information relative à la Commission

La réunion débute à 15 heures.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, président.

La Commission auditionne Mme Marie-France Monéger-Guyomarc’h, directrice, cheffe de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), accompagnée de M. Bertrand Michelin, directeur-adjoint, et de M. Serge Rivayrand, contrôleur général, sur le rapport de l’enquête administrative relative à l’« évaluation du dispositif de sécurité et d’ordre public mis en place à Nice dans la nuit du 14 au 15 juillet 2016 ».

M. le président Dominique Raimbourg. C’est avec émotion et gravité que j’ouvre cette séance, durant laquelle seront évoqués les événements qui se sont produits à Nice le 14 juillet dernier, au terme desquels 86 de nos compatriotes et visiteurs étrangers ont trouvé la mort et qui ont fait des dizaines de blessés. J’aurai ici une pensée pour tous ceux qui ont perdu la vie dans des conditions atroces, alors qu’ils étaient venus se distraire et admirer le feu d’artifice sur cette promenade des Anglais, d’ordinaire si agréable.

À la suite de ces faits, trois procédures d’enquête et d’information ont été ouvertes.

La première est une enquête judiciaire pour assassinat, visant non seulement l’auteur de l’attentat, qui a été abattu, mais également ses proches, dont certains ont été interpellés, mis en examen et placés en détention.

Une deuxième enquête judiciaire est en cours. Elle fait suite à la polémique qui a éclaté cet été au sujet des bandes de vidéosurveillance saisies au centre de supervision urbain (CSU).

Votre enquête, madame Monéger-Guyomarc’h, qui ne doit naturellement pas empiéter sur les enquêtes judiciaires, porte, quant à elle, sur un point précis, à savoir la conception, la dimension et la pertinence du dispositif de sécurité mis en place ce jour-là.

Avant de nous développer vos conclusions, sans doute pourrez-vous nous rappeler en quelques mots ce qu’est l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), quels sont ses liens avec la police nationale et de quelle façon son indépendance est garantie.

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc’h, directrice, cheffe de l’Inspection générale de la police nationale. Le service que je dirige depuis près de quatre ans compte aujourd’hui 260 agents. Il a connu une réforme importante en 2013, avec la fusion de l’Inspection générale des services (IGS), compétente pour la préfecture de police, et l’IGPN, compétente pour la Direction générale de la police nationale (DGPN). S’il a gardé le nom d’Inspection générale de la police nationale, ce service a profondément changé, se dotant de nouvelles structures et se fixant de nouvelles missions.

L’IGPN assume aujourd’hui cinq missions principales. Une mission d’enquête d’abord, qui occupe une centaine d’agents, lesquels réalisent des enquêtes judiciaires, qui permettent de déterminer si les éléments constitutifs d’une infraction sont ou non réunis, ainsi que des enquêtes administratives, destinées à déterminer si les éléments constitutifs d’un manquement sont ou non réunis.

Nous assurons également une mission de contrôle interne et de maîtrise des risques, qui concerne l’ensemble des activités de la police nationale, mais aussi – et c’est nouveau – une mission d’appui et de conseil aux chefs de services en difficulté ou en réorganisation.

Nous menons enfin des missions classiques d’audit interne, qui permettent de vérifier que les procédures de contrôle interne sont solides, ainsi que des missions d’étude et d’audit de commandement : c’est dans cette dernière catégorie que s’inscrit l’action que je vais vous présenter aujourd’hui.

En ce qui concerne notre indépendance, si elle n’est pas garantie par les textes et par nos statuts comme c’est le cas pour l’Inspection générale de l’administration (IGA), nous avons néanmoins des habitudes solidement ancrées, bien antérieures à mon arrivée à la tête du service, et l’IGPN a toujours été considérée par sa hiérarchie – le directeur général de la police nationale, le préfet de police et le ministre de l’intérieur – comme capable de faire des analyses, des études, des audits et des missions d’enquête sans qu’il soit nécessaire de lui dicter sa conduite. Aucune de ces missions n’a, ces quatre dernières années, ni justifié ni suscité d’intervention de cette hiérarchie, à quelque niveau que ce soit.

Nous nous sommes par ailleurs dotés d’une charte, qui décline notamment quatre valeurs cardinales, au premier rang desquelles l’exemplarité. Cela implique que nous travaillions en nous appuyant sur nos compétences et sur notre connaissance de la « maison » pour dire ce qu’il nous semble devoir être dit et accomplir un travail reconnu par tous au sein de la police.

Notre ouverture, en outre, est garante de notre indépendance : nous comptons maintenant dans nos rangs des personnels qui ne sont pas des policiers, notamment un magistrat de l’ordre administratif, des consultants externes, des militaires, des stagiaires et des apprentis. Ce recrutement devrait s’élargir encore à l’avenir.

Enfin, nous avons mis en place un comité d’orientation du contrôle interne, qui se réunit deux à trois fois par an et est composé pour moitié de personnes étrangères à l’administration – journalistes, élus, universitaires, avocats, présidents d’associations, ainsi que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et le Défenseur des droits. Ce comité d’orientation, ouvert sur l’extérieur, participe de cette indépendance sur laquelle l’IGPN fonde son éthique.

J’en viens à présent aux événements funestes du 14 juillet dernier. L’Inspection générale a été saisie le 21 juillet par le directeur de cabinet du ministre, qui lui a demandé de « procéder à une mission technique d’évaluation du dispositif d’ordre public, tel qu’il a été conçu, puis mis en œuvre par les services de police dans la ville de Nice, le 14 juillet 2016 ». J’ai confié cette mission aux conseillers généraux Jean-François Bas – aujourd’hui à la retraite – et Serge Rivayrand, qui, du fait de leur expérience et de leurs compétences en matière de sécurité et d’ordre public, me paraissaient les mieux à même de gérer cette mission.

Ils ont procédé selon la méthode classique de l’audit, recueillant dans un premier temps tous les documents relatifs à la préparation de l’événement, les notes de service rédigées par la police nationale et la police municipale, cette année mais également en 2014 et 2015, lors des éditions précédentes de l’événement, ainsi que les comptes rendus de tous les agents de la police nationale concernés. Des entretiens ont été menés avec toutes les parties prenantes. Ont en revanche été exclues de nos investigations les bandes de vidéosurveillance, dont le visionnage est une prérogative de l’enquête judiciaire, avec laquelle j’avais demandé aux missionnaires de prendre garde de ne pas interférer.

Nos investigations nous ont conduits à rencontrer les trois acteurs de la sécurité à Nice. Le premier d’entre eux est évidemment la police nationale. Chargée de la sécurité publique, elle remplit sa mission de police générale, assurant la sécurité des personnes et des biens et la répression des crimes et délits. La circonscription de police de Nice, coiffée par sa direction départementale, compte environ 850 agents de tous corps. Le directeur départemental de la sécurité publique, M. Marcel Authier, et une grande partie de son équipe ont été entendus.

Le deuxième acteur, c’est la police municipale, qui assure, en vertu du pouvoir des maires, « le bon ordre, la sureté, la sécurité et la salubrité publique ». La police municipale de Nice est l’une des plus anciennes et des plus importantes, puisqu’elle compte un peu moins de quatre cents policiers municipaux armés. Elle dispose d’un système de vidéosurveillance de premier ordre, avec environ mille trois cents caméras, exploitées par un centre de supervision urbain. Les missionnaires ont rencontré le maire de Nice, M. Philippe Pradal, et la conseillère pour la sécurité au cabinet du maire, Mme Véronique Borré.

Enfin, le troisième acteur est le préfet, autorité de police générale et responsable à ce titre de l’ordre public. Il coordonne la préparation et la mise en place des dispositifs de sécurité. La mission a donc entendu le préfet Adolphe Colrat, ainsi que son directeur de cabinet, M. François-Xavier Lauch.

C’est le code de la sécurité intérieure qui organise la coopération entre la police nationale et la police municipale, notamment par le biais de conventions de coordination des interventions. Ces conventions, conclues entre le préfet et le maire, après avis du procureur de la République, sont adaptées aux besoins locaux à partir d’une convention type déclinée en fonction des situations ; elles prévoient une coopération opérationnelle renforcée, notamment en matière de sécurité routière et d’encadrement des événements se déroulant dans l’espace public.

À Nice, une convention de ce type a été signée en 2013 entre le préfet des Alpes-Maritimes et le maire de Nice ; elle a été prorogée d’un an en 2016. Elle précise, s’agissant des grandes manifestations, particulièrement nombreuses à Nice et dans le département, que « la surveillance est assurée soit par la police municipale, soit par les forces de sécurité de l’État, soit en commun dans le respect des compétences de chaque service ».

La répartition des missions s’établit donc par accord préalable et se précise en fonction des événements, la clé de répartition normale étant que la police municipale assure la circulation et la police nationale la surveillance générale, avec une exception cependant, précisément pour le 14 juillet, puisque, à Nice, la police municipale participe traditionnellement au défilé de l’après-midi et que les défilants sont ensuite invités à la garden-party du maire. Ce sont donc les policiers nationaux qui assurent les points de circulation sur le périmètre de l’événement, avant d’être relevés vers 20 heures 30 par les policiers municipaux qui reprennent leur mission de circulation. Il était donc normal – et je réponds ici à l’une des questions soulevées dans la presse – qu’à partir de 21 heures l’on trouve à l’angle du boulevard Gambetta et de la promenade des Anglais deux policiers municipaux devant un barriérage qui déviait la circulation.

S’agissant des tragiques événements du 14 juillet 2016, on disposait pour assurer la sécurité de cet événement festif récurrent – il s’agit en effet non seulement d’un événement qui a lieu chaque année mais à quatre reprises au cours de l’été, où la promenade des Anglais accueille des animations, un feu d’artifice étant tiré le 14 juillet et le 15 août –, des forces de la police nationale et de celles de la police municipale, mais non, contrairement aux années précédentes, des forces mobiles. En effet, ces dernières avaient été particulièrement sollicitées au plan national du fait de l’Euro 2016 et du Tour de France encore en cours, ce à quoi il faut ajouter la lutte contre l’immigration irrégulière, qui requiert ces forces de façon permanente.

Pour autant, la zone de défense et de sécurité Sud disposait de cinq unités de forces mobiles pour la journée du 14 juillet, réparties par le préfet de zone selon trois critères : la participation prévisionnelle – estimée entre 20 000 et 30 000 personnes par les autorités niçoises, contre 500 000 personnes attendues le même jour à Carcassonne pour l’« embrasement » de la cité –, les risques de violence urbaine, et enfin les contraintes inhérentes à ce type de festivités et à la multiplication potentielle des troubles à l’ordre public. En examinant ces trois critères, ainsi que l’ensemble des nombreuses manifestations festives prévues dans la zone, le préfet de zone a choisi d’affecter ces cinq unités mobiles à d’autres événements prioritaires. En conséquence, la préfecture du département a demandé à la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) d’augmenter considérablement les effectifs prévus. Le directeur départemental a ainsi puisé dans ses propres forces de quoi augmenter de vingt fonctionnaires les effectifs, pour atteindre un total en hausse de 50 % par rapport à l’année précédente.

Clôturant une journée riche en manifestations – préparation du défilé, défilé sur la promenade des Anglais, garden-party du maire – la Prom’ Party a débuté aux alentours de 19 heures, 64 policiers nationaux et 42 policiers municipaux étant engagés sur le secteur. L’économie générale du dispositif était celle qui avait été retenue en février 2015 par le cabinet du ministre de l’intérieur et les élus niçois, reçus au ministère pour repenser les dispositifs de sécurité après les attentats contre Charlie Hebdo, notamment en prévision du carnaval de Nice. À côté des priorités traditionnelles que sont la lutte contre la délinquance et la préservation de la santé publique, le risque terroriste avait donc évidemment été pris en compte et, compte tenu des précédents, le dispositif intégrait le risque d’un attentat commis par des individus lourdement armés ou porteurs d’explosifs.

Ce dispositif comportait deux périmètres concentriques. Le premier, délimité par des points de circulation et de déviation permettant de fermer la promenade des Anglais et le quai des États-Unis a principalement été tenu, pendant le défilé militaire, par la police nationale, puis, à partir de 20 heures 30, pour la Prom’ Party et le feu d’artifice, par la police municipale. Ce périmètre large englobait deux secteurs piétonnisés, un secteur ouest, du boulevard Gambetta à la promenade des Anglais, et un secteur est, du quai des États-Unis à la place de l’Île-de-Beauté ; il devait contribuer à la sécurisation du secteur réservé au public qui constituait le périmètre central. Compris entre la rue Meyerbeer et l’avenue des Phocéens, ce second périmètre réservé à la Prom’ Party et à ses animations faisait face à la barge d’où a été tiré le feu d’artifice. Il était tenu par la police nationale, grâce à une alternance de postes fixes et de patrouilles dynamiques.

Les postes fixes sont des postes de filtrage, situés à l’entrée du périmètre. Il ne s’agit pas de points de contrôle, comme il en existe pour les stades, mais de postes de contrôle visuels préservant la fluidité de la circulation du public et où peuvent être exercés, en fonction des instructions délivrées, des contrôles aléatoires de sacs, voire de vêtements s’il arrivait qu’un individu se présente en plein été vêtu d’une doudoune pouvant cacher une ceinture d’explosifs. Quant aux patrouilles dynamiques, elles évoluent à l’intérieur du secteur en même temps que la foule, et sont chargées de veiller au bon déroulement de la soirée.

Le 14 juillet, ce dispositif de surveillance a été assuré par des sections de la compagnie départementale d’intervention (CDI), des brigades anti-criminalité (BAC) et des brigades de sécurité territoriale (BST), c’est-à-dire des personnels parfaitement rompus à cet exercice. Sur la base des réquisitions délivrées par le procureur de la République à la demande du directeur départemental, des instructions claires avaient été données à chaque policier national : surveillance du public ; détection et repérage des individus ou des groupes paraissant suspects, hostiles, ou susceptibles de générer des troubles à l’ordre public ; contrôle et identification de toute personne au comportement suspect. En outre, il leur avait évidemment été demandé d’être proactifs dans la sécurisation dynamique du secteur couvert.

Le drame survient environ quinze minutes après la fin du feu d’artifice, au moment où la foule quitte les lieux. Il revient à l’enquête judiciaire de faire toute la lumière. Pour autant l’Inspection générale a fait quelques observations que je vous livre ici. Tout d’abord, l’alerte a été donnée très rapidement par un équipage de la police municipale, qui ne faisait d’ailleurs pas partie du dispositif. Le camion est monté sur le trottoir de la promenade des Anglais bien en amont – deux kilomètres environ – de l’endroit où a été tiré le feu d’artifice. Ensuite, il se déroule très peu de temps – deux minutes tout au plus – entre le moment où le camion est monté sur le trottoir de la promenade des Anglais et la neutralisation du terroriste. Cette neutralisation intervient quelque cent soixante mètres après le premier point de contrôle assuré par la police nationale, ce qui n’a pas empêché le terroriste de faire 84 victimes immédiates – 86 aujourd’hui – et de très nombreux blessés.

La mission a rencontré des interlocuteurs très marqués par les événements dramatiques qu’ils ont vécus et face auxquels ils ont fait montre d’un engagement que je tiens à souligner ici. Si on le doit avant tout à leur conscience professionnelle, cette réactivité est également le résultat des cinq exercices réalisés dans le cadre de la préparation à l’Euro, qui ont permis à chacun, lors de cette soirée tragique, de s’inscrire dans une chaîne organisée et de travailler ensemble. Ils ont donc très mal vécu les polémiques qui ont éclaté dès le lendemain alors que le temps de l’analyse n’était pas encore venu.

Quelle que soit l’horreur de la situation, quelle que soit l’émotion légitime suscitée par cet épouvantable drame, dont chacun souhaiterait qu’il n’ait jamais eu lieu et qu’il ne se reproduise jamais, il ne faut pas céder à la tentation d’élaborer des scénarios qui ne résisteraient pas à l’épreuve des faits tels qu’ils se présentaient avant le 14 juillet et le soir du drame.

L’IGPN a donc voulu examiner en toute objectivité l’ensemble des paramètres, tels qu’ils se présentaient aux multiples acteurs de la sécurité à Nice au moment de la conception du service d’ordre du 14 juillet. À l’issue de sa mission, elle considère que, pour un événement qui n’avait rien d’exceptionnel au vu des nombreuses festivités organisées à Nice tout au long de l’année et plus spécialement en été, et sans indication concernant l’imminence d’une menace particulière, le service d’ordre était normalement proportionné. Il n’était néanmoins pas adapté à l’attaque inédite et d’une violence inouïe que nous avons connue mais que rien ne laissait présager. Il aurait fallu que ce service d’ordre soit d’une tout autre nature pour essayer d’éviter ce drame épouvantable.

L’IGPN considère également que la coopération entre police municipale et police nationale, marquée par une grande expérience et une confiance réciproque, était jusqu’alors bonne ; elle s’inquiète donc des répercussions des différentes polémiques sur ces relations, qui sont pourtant essentielles à une coproduction de sécurité efficace.

D’une manière plus générale, l’IGPN considère que les menaces qui pèsent aujourd’hui sur la France nécessitent une approche particulièrement large des questions de sécurité. La coproduction de sécurité n’est plus seulement l’apanage des forces de sécurité, même au sens large, mais elle se partage avec tous les acteurs de la société et fait appel à un sens de la responsabilité collective sur lequel il nous faudra travailler.

M. le président Dominique Raimbourg. Merci, madame. Avant de donner la parole au premier orateur, j’aimerais vous demander quelques précisions.

Par « forces mobiles », entendez-vous bien des escadrons de gendarmerie ou des compagnies républicaines de sécurité ?

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc’h. Oui.

M. le président Dominique Raimbourg. Y a-t-il eu des réunions préparatoires ? Si oui, combien ? Connaissez-vous les participants ?

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc’h. Il y a eu quatre réunions préparatoires à l’installation du dispositif. Deux d’entre elles se sont déroulées en préfecture, le 28 juin et le 7 juillet ; elles ont fait l’objet de comptes rendus. Les deux autres se sont tenues à la DDSP, le 1er et le 12 juillet, et n’ont malheureusement pas donné lieu à compte rendu. Cet état de fait, très dommageable, s’explique paradoxalement par la confiance qui règne, ou plutôt qui régnait, entre les deux acteurs de la sécurité à Nice : ayant l’habitude de travailler ensemble, ces derniers avaient volontiers des échanges tout à fait informels. L’absence de comptes rendus a compliqué le travail de l’IGPN : nous avons entendu trop de « j’avais demandé ceci » et, en regard, de « je ne m’en souviens pas ». L’une de nos préconisations – peut-être pas la plus importante – est donc la formalisation des relations entre ces deux acteurs appelés à collaborer : c’est absolument indispensable.

M. le président Dominique Raimbourg. Confirmez-vous néanmoins que les trois acteurs que vous avez cités – la préfecture, la police nationale et la ville – ont participé à ces réunions ?

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc’h. Aux réunions à la préfecture, oui. En revanche, celles qui se sont tenues à la DDSP rassemblaient la police municipale et la police nationale, mais pas la préfecture.

M. Éric Ciotti. Au nom du groupe Les Républicains, je vous remercie, monsieur le président, d’avoir accédé à notre demande, formulée au moment du débat sur l’état d’urgence, de réunir la Commission en vue d’obtenir des éléments de précision après la tragédie subie par la ville de Nice et les interrogations légitimes qu’elle a suscitées. Dans mon intervention, j’aurai naturellement soin d’éviter toute forme de polémique. Vous avez rappelé le contexte, madame ; je vous en donne acte.

Comme je l’avais fait à l’époque ici même et à la tribune de l’Assemblée, je veux redire aujourd’hui toute ma reconnaissance aux forces de l’ordre qui sont intervenues ce soir-là, au premier rang desquelles la police nationale, placée sous l’autorité du contrôleur général Marcel Authier. Je n’oublierai jamais le regard de cette jeune policière qui, dans la nuit du 14 au 15 juillet, devant le Palais de la Méditerranée, a relaté au ministre de l’intérieur, en présence de plusieurs élus dont je faisais partie, les circonstances dans lesquelles, avec deux de ses collègues de la police nationale, elle a intercepté avec un extraordinaire courage le camion qui venait de causer la tragédie. Ma gratitude va également à la police municipale et – même si ce n’est pas l’objet de l’audition – à tous les services de secours, dont l’action, de l’avis de tous, fut exemplaire, qu’il s’agisse des sapeurs-pompiers du service départemental d’incendie et de secours (SDIS), que je préside, ou des services hospitaliers, qui ont organisé une chaîne de secours remarquable.

Près de deux mois après la tragédie, nous ne pouvons évoquer les faits sans dire aussi l’émotion que nous inspirent les nombreuses victimes – 86 morts, plus de 300 blessés, plusieurs milliers de personnes concernées.

Il convient aujourd’hui d’apporter des réponses très précises, avec sérénité, avec le recul du temps, mais aussi avec la volonté de tirer toutes les conséquences du drame pour, en améliorant nos dispositifs, éviter que celui-ci ne se reproduise ailleurs. Vous l’avez dit, des polémiques se sont fait jour. Personnellement, je ne peux bien entendu que le regretter, car elles ajoutent à l’émotion et à la gravité de la tragédie vécue par la ville de Nice, que j’ai l’honneur de représenter à l’Assemblée nationale. Néanmoins, ces polémiques, dont il ne s’agit pas ici de savoir qui les a suscitées, se sont fondées sur certaines contradictions : dans leur communication, les services de l’État, notamment, ont, sur des sujets très particuliers, fourni des éléments contradictoires ou qui, de manière peut-être tout à fait involontaire, donnaient l’impression de l’être.

La question des effectifs, d’abord, doit être posée. Sur ce point, nous avons entendu des versions très différentes, et c’est ce qui a donné lieu aux débats. Ainsi, le samedi 16 juillet, le porte-parole du Gouvernement, M. Le Foll, parlait de 185 policiers présents sur place. Deux heures plus tard, lors d’une conférence de presse, le préfet des Alpes-Maritimes évoquait, lui, 64 policiers, avant de diffuser peu après, au cours d’une autre conférence de presse qui faisait suite à l’article paru dans Libération, un document PowerPoint mentionnant 36 policiers au sein du dispositif. Sur cette question centrale, les différences étaient donc notables.

On a aussi entendu des versions qui pouvaient sembler contradictoires concernant la tenue du point de contrôle de l’accès à la zone piétonne. Dans un premier temps, il a été indiqué que ce point de contrôle était tenu par un véhicule de police en des termes qui, dans la bouche du préfet, pouvaient être interprété comme désignant la police nationale. Puis Libération a publié en une des images montrant qu’il s’agissait d’un véhicule de police municipale.

Le troisième débat a porté sur un sujet dont vous ne vous êtes pas saisie ; personnellement, je le regrette et j’aimerais que vous nous expliquiez pourquoi. Je veux parler de la polémique née de la captation des images au centre de supervision urbain (CSU). Dans Le Journal du dimanche, la responsable du centre a évoqué l’intervention d’une source policière, expliquant qu’un commissaire de police était venu réclamer les images. L’article paraît le dimanche matin. À 14 heures, le procureur Molins, chargé de l’enquête, indique que ce n’est pas possible puisque les seules saisies d’images enregistrées par les caméras de vidéosurveillance ont été effectuées dans le cadre de l’enquête judiciaire, ce qui est tout à fait légitime, et par l’intermédiaire de deux brigadiers de la police judiciaire intervenus à sa requête. Tout cela paraît normal. Le procureur Molins semble donc contredire la version de la responsable du CSU. Mais, à 17 heures, M. Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale, indique que, outre ces deux brigadiers, un commissaire de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) est lui-même intervenu au titre d’une mission d’information classique, en vue de transmettre des images et une analyse à sa hiérarchie.

Je ne porte aucun jugement, mais, sur ces trois points, on constate des contradictions émanant des services mêmes de l’État, ou par lesquelles des responsables ministériels s’écartent des autorités judiciaires ou policières. Si des questions se posent, c’est à cause de ces versions très différentes. J’ai eu l’occasion de le dire au ministre de l’intérieur : pour éviter toute polémique, il faut avoir une communication précise. En particulier, le fait qu’il y ait eu trois versions distinctes concernant le nombre de policiers présents et une telle différence entre les propos du DGPN et ceux du procureur de la République de Paris a pu instiller des doutes, et c’est inopportun.

J’aimerais vous interroger, madame, sur votre analyse actuelle de la situation. Pour vous, en conscience, le dispositif de sécurité était-il suffisamment bien dimensionné ?

Nice est la cinquième ville de France ; sa population double en période estivale, comme celle de l’ensemble du département au moment du 14 juillet ; la manifestation constituée du feu d’artifice et de la Prom’ Party devait accueillir environ 30 000 personnes. Vous soulignez vous-même un point très important en établissant une comparaison avec les deux éditions précédentes, qui – contrairement à celle-ci, hélas – ne se déroulaient pourtant pas dans le cadre de l’état d’urgence.

C’est essentiel dans un département où le nombre d’individus signalés pour radicalisation dépasse 500 et où le nombre de départs pour les théâtres de guerre en Syrie et en Irak avoisine la centaine. Les Alpes-Maritimes subissent de ce fait une menace particulière ; les deux commissions d’enquête présidées respectivement par moi-même et par Georges Fenech l’ont démontré. Vous évoquez l’absence d’alerte de la part du renseignement territorial, mais avez-vous interrogé la sécurité intérieure dans le cadre de votre mission ? À ma connaissance, il existait tout de même des indicateurs à prendre en considération. À Nice, un individu qui apparaissait comme extraordinairement dangereux ne vient-il pas d’être condamné à trois ans de prison ferme pour apologie du terrorisme ?

C’est vous, et je vous en donne acte, qui avez la première, au côté des syndicats de police, posé ce problème : comment se fait-il que, contrairement à ce qui s’était passé en 2014 et en 2015, il n’y ait pas eu à Nice d’unités de forces mobiles ? Vous soulignez que cinq unités de forces mobiles étaient présentes dans la zone de défense Sud, affectées par le préfet délégué pour la sécurité : une à Carcassonne, une à Montpellier, une à Toulouse, une à Marseille et une à Avignon. Vous ne précisez d’ailleurs pas le cadre d’intervention de cette dernière unité, dont je crois savoir qu’elle relevait des gendarmes, alors que vous le faites pour les quatre autres villes. Pour quel dispositif les gendarmes mobiles étaient-ils donc requis à Avignon ? Selon vous, était-il judicieux de refuser une unité de forces mobiles à Nice dans ce contexte, dans cet environnement ?

Je m’étonne aussi que vous n’ayez pas souhaité vous saisir, dans le cadre de votre mission, des images de vidéoprotection, qui représentent tout de même un élément essentiel. Vous dites ne pas pouvoir le faire parce qu’elles relèvent de l’enquête judiciaire. Mais l’intervention de la DCSP pour réclamer ces bandes ne se situait pas dans le cadre de l’enquête judiciaire ! Vous auriez donc pu, dans le même esprit, les utiliser, ce qui vous aurait fourni un élément d’appréciation fondamental du calibrage du dispositif et de l’articulation entre police nationale et municipale en son sein.

Monsieur le président, je vous remercie à nouveau de cette audition. Je souhaite que nous tirions collectivement les leçons de ce qui s’est passé, en adaptant nos dispositifs de sécurisation à la lumière des événements de cette nuit d’horreur sur la promenade des Anglais.

M. Sébastien Pietrasanta. Je m’exprimerai pour ma part au nom du groupe Socialiste, écologiste et républicain.

Avant toute chose, je souhaite souligner l’effort de transparence qu’a consenti le ministre de l’intérieur en confiant à l’IGPN, autorité indépendante, le soin d’éclairer les Français sur le terrible drame survenu à Nice le 14 juillet.

Je vous remercie également, monsieur le président, d’avoir inscrit ce point à l’ordre du jour de notre première réunion suivant l’été, ce qui représente un autre gage de transparence.

En matière de terrorisme, nous devons éviter les polémiques inutiles, stériles ou blessantes. Nous avons un devoir de dignité vis-à-vis des Français, surtout des 86 victimes et de leurs familles. Nous ne pouvons donc que regretter et dénoncer l’indécence dont a pu faire preuve une partie de la classe politique quelques minutes seulement après le drame.

Votre rapport, madame, factuel, clair, précis, souligne plusieurs points. Il montre d’abord que, contrairement à certaines affirmations, les effectifs de la police nationale annoncés étaient bien présents sur le terrain et, dites-vous, adaptés à l’événement. Selon vous, des effectifs supplémentaires, en particulier des brigades de CRS et de gendarmerie mobile, auraient-ils vraiment fait la différence par rapport à l’action exemplaire de la police nationale, dont on a vu avec quel courage elle est intervenue, en moins de deux minutes ?

Le rapport insiste également sur la bonne coopération entre la police municipale et la police nationale. Vous vous inquiétez d’ailleurs des conséquences éventuelles des polémiques sur sa qualité future. S’agissant du 14 juillet, cette bonne coopération s’est traduite par les réunions dont vous avez fait état en préfecture et à la DDSP. Chacun sait, en particulier les maires, que la sécurité est le fruit d’une coproduction et que, de ce point de vue, la municipalité joue un rôle essentiel dans l’organisation d’événements publics.

J’aimerais vous poser deux questions supplémentaires à ce sujet.

Vous avez réaffirmé que la responsabilité de la circulation incombe à la police municipale. La police municipale était-elle bien chargée de la circulation les 12 et 13 juillet derniers, au cours desquels on a pu voir, grâce à la vidéosurveillance de la ville de Nice, le fameux camion circuler sur la promenade des Anglais alors qu’un arrêté l’interdisait ?

Au moment précis de l’attentat, qui était responsable de la circulation ? La police municipale ou la police nationale ?

Je tiens enfin à exprimer de nouveau toute notre gratitude aux policiers et aux gendarmes qui agissent au quotidien pour protéger les Français. Dans une période particulièrement troublée, alors que l’avenir est sombre, que d’autres actes terroristes sont malheureusement à prévoir, la classe politique s’honorerait en faisant taire les polémiques et en tirant les leçons de ce qui est arrivé. Tel est le sens de la mission qui vous a été confiée, dans le but de continuer d’améliorer nos dispositifs de sécurité.

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc’h. Je ne peux qu’être d’accord avec vous, messieurs les députés, sur le fait qu’il nous faut tirer tous les enseignements de cet épouvantable drame afin d’éviter absolument qu’il ne se reproduise. À cette fin, plusieurs actions ont été lancées, dont des « retours d’expérience » sous la responsabilité du directeur départemental de la sécurité publique à Nice et du préfet du département ; d’autres seront organisés au niveau de la direction générale, qui vont nous amener à décliner du point de vue technique des mesures très pointues. L’idée est de tirer les conséquences de l’événement à tous les niveaux d’activité de la police – le renseignement, l’ordre public, la sécurité publique, etc. – pour produire des instructions nouvelles et, surtout, des « fiches réflexes » car, sur le terrain, les agents ont besoin de réagir très vite, non seulement selon leur cœur et avec leur courage, mais de manière très professionnelle et articulée à l’action des autres. Je puis vous assurer que la nécessité de ces retours d’expérience après le drame épouvantable qui nous a tous marqués fait consensus à tous les échelons du ministère de l’intérieur.

J’en viens aux effectifs, à la tenue des points de contrôle et aux polémiques qui ont jailli très rapidement autour des différences entre les chiffres, ou entre leurs diverses présentations. Cette situation, évidemment tout à fait regrettable, doit être mise en rapport avec l’immense émotion que la France entière a éprouvée et avec la pression née d’une très forte demande de communication, au demeurant parfaitement compréhensible en démocratie. Cela étant, nous nous sommes aperçus que, de tout ce qui avait été dit, rien n’était faux ; simplement, les présentations étaient parcellaires et différentes. Il me semble que tout le monde n’a pas tout compris de la même manière : la rapidité avec laquelle on a voulu donner des informations en faisant preuve d’une grande transparence a amené à des confusions et à des interprétations diverses.

En ce qui concerne les effectifs, la mission de l’IGPN a pu vérifier sur le terrain, à l’unité près, qu’il y avait bien 64 policiers nationaux au sein du dispositif. La note de service de la sécurité publique montre que 39 d’entre eux étaient prépositionnés sur la promenade des Anglais, depuis le point Meyerbeer jusqu’aux Phocéens. Ce qui a été dit n’était donc pas faux. Que le premier chiffre donné ait été plus élevé s’explique probablement par le fait que 197 policiers nationaux ont pris leur service et assuré une mission de sécurité à Nice le 14 juillet. Parmi eux, 107 ont concouru spécialement à l’ensemble des festivités du 14 juillet – défilé et Prom’ Party –, dont 64 étaient présents à la Prom’ Party, y compris les 39 prépositionnés.

Toutefois, comme j’ai tenté de l’expliquer, le prépositionnement correspond à l’endroit où les agents prennent leur service. Mais certains ne vont pas bouger – ils sont aux points de contrôle –, tandis que les autres se déplacent en même temps que la foule. C’est ainsi qu’un service est fait ; il serait inutile que des agents attendent sur la promenade, devant la barge d’où est tiré le feu d’artifice, cependant que la foule, elle, s’en va : il faut l’accompagner, et même la précéder.

Bref, tous les chiffres qui ont été cités sont vrais, mais ils n’ont pas tous été mis en perspective. De ce fait, ils ont pu être diversement interprétés et susciter des interrogations, dans un but polémique ou tout simplement afin de mieux comprendre.

J’en viens à la polémique sur l’appartenance des véhicules à la police municipale ou nationale. Comme je l’ai expliqué, spécialement pour le 14 juillet, la police nationale a gardé jusqu’à 20 heures 30 les points de circulation, habituellement tenus par la police municipale, afin de permettre aux collègues appartenant à cette dernière de défiler et de se rendre à la garden-party du maire. Ensuite a lieu la relève, afin d’assurer normalement la mission de circulation, de sorte que c’est bien la police municipale qui tient le point Gambetta à 21 heures ou 21 heures 30. Sur ce point non plus, il n’y a rien de caché, rien d’obscur, et il n’y a certainement pas de mensonge.

Monsieur Pietrasanta, il est évident que la responsabilité de la circulation incombe à la police municipale. C’est ainsi que le code général des collectivités territoriales le dispose, que la convention précitée le stipule à Nice et que les notes de service des deux forces le prévoient – moyennant le basculement propre au 14 juillet, aux alentours de 20 heures 30 ou 21 heures.

En ce qui concerne la captation des images, je vous entends, monsieur Ciotti, et j’aurais personnellement été beaucoup plus à l’aise si j’avais pu les voir. Mais l’IGPN, dans sa compétence d’audit, s’efface devant l’enquête judiciaire menée par le procureur de la République. Voilà pourquoi il ne me serait jamais venu à l’esprit de demander à celui-ci de me communiquer ces images au cours des journées qui ont suivi l’attentat. Nous avons été saisis le 21 juillet, les deux contrôleurs généraux ont pris l’avion le 22 et, à cette date, les choses sont claires, le procureur de la République de Paris ayant lui-même été très clair : l’IGPN ne verra pas les images, elle se l’interdit totalement, en sus de l’interdiction légale qui pèse sur elle.

J’ai lu Le Journal du dimanche avec intérêt. L’IGPN, cette fois au titre de sa compétence d’enquête – d’enquête judiciaire –, est bien saisie de l’affaire par le procureur de la République de Nice, eu égard aux deux signalements qui ont été effectués en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale : le premier par Mme Bertin, responsable du centre de supervision urbain de la police municipale, le second par MM. Pradal et Estrosi. Dans ces conditions, vous comprendrez que je ne puisse en dire un seul mot. Le procureur de la République de Paris a quant à lui saisi la police judiciaire de Paris à la suite de la plainte déposée par le ministre de l’intérieur. Sur ces sujets aussi, les enquêtes judiciaires prennent le pas sur les autres démarches, de sorte que je ne puis rien en dire.

J’en viens à l’analyse de la situation – le point le plus important. Je ne peux évidemment que constater l’absence, cette année, de forces mobiles – CRS ou gendarmes mobiles. De même, je ne peux que constater que le directeur départemental de la sécurité publique, auquel ces forces mobiles ont manqué, a fait tout son possible pour augmenter peu à peu ses effectifs, mais que ses effectifs globaux sont légèrement inférieurs à ceux de l’année dernière et à ceux de l’année précédente. Je constate aussi la très forte tension qui pèse sur les effectifs, notamment ceux des forces mobiles qui ont vécu une année particulièrement lourde – nul besoin d’égrener ici les innombrables missions qui leur ont été confiées. La déflation qu’ils ont subie n’étant pas encore rééquilibrée et face à l’ampleur des événements, ces forces ont donc été « sur-sollicitées ».

Nous avons calculé le nombre d’agents de la police nationale affectés aux Alpes-Maritimes, soit dans le cadre d’événements importants, soit pour accomplir des missions de contrôle des frontières et de l’immigration irrégulière : il est particulièrement élevé. Entre le début de l’année et le 25 juillet, 105 unités de forces mobiles ont été mobilisées dans le département pour une durée totale d’engagement de 57 jours – à quoi s’ajoutent les missions liées à l’Euro 2016, qui ont mobilisé jusqu’à quatre unités par jour, et les opérations de contrôle aux frontières, qui ont mobilisé deux à quatre unités par jour. Plus d’une demande de concours sur deux a été honorée – une proportion qui n’est pas atteinte dans beaucoup d’autres départements. Le 14 juillet, cinq unités de forces mobiles étaient disponibles dans la zone, et rien dans leur répartition ne me semble choquant. Il était justifié d’affecter des unités de forces mobiles à certains secteurs et à certains événements.

L’affectation de forces mobiles sur place aurait-elle changé quelque chose ? Il va de soi que la présence d’une unité de forces mobiles aurait réduit d’autant l’investissement de la direction départementale de la sécurité publique, puisqu’elle n’aurait pas été affectée en plus des forces locales, mais en leur lieu et place. Les notes de service de 2014 et 2015 montrent que les unités de forces mobiles déployées à l’époque ont accompli exactement les mêmes missions que les unités de la DDSP cette année. Autrement dit, si des forces mobiles – vingt ou trente agents, par exemple – avaient été affectées cette année, elles auraient été réparties de la même manière que l’ont été les unités locales – aux points de contrôle et dans les patrouilles mobiles – puisque l’analyse du risque, elle, serait demeurée identique. Or, l’attaque a commencé deux kilomètres plus haut ; ce n’est pas à cet endroit que les forces mobiles auraient été déployées, et le camion aurait donc pris le même chemin en faisant autant de victimes. Au fond, plus que par l’affectation d’hommes et de femmes sur le terrain, c’est en déployant des dispositifs techniques adaptés à ce type d’attaques que l’on pourra sécuriser un site. Avec des « si », on mettrait Paris en bouteille, et là n’est pas mon propos ; encore une fois, je ne suis pas sûre que la présence de vingt ou trente agents supplémentaires aurait modifié la conception même du dispositif et, par conséquent, le résultat.

Il faut désormais s’interroger sur la manière de sécuriser des sites comme la promenade des Anglais. Ce lieu merveilleux a été conçu pour être ouvert et entièrement accessible, de sorte que chacun puisse s’y promener sans être gêné. Pour les promeneurs et les touristes, le résultat est magnifique ; en termes de sécurité, ce caractère ouvert pose problème. À Nice comme partout ailleurs en France, il me semble donc nécessaire de procéder au réexamen systématique du format, de la conception et du déroulement d’événements comme celui du 14 juillet. Nous devons imaginer des solutions alternatives qui garantissent une meilleure sécurité et en accepter le coût – non pas seulement en termes d’effectifs. À mon sens, il faut même si possible s’interroger sur les lieux choisis. Il va de soi que les feux d’artifice ne seront jamais tirés dans des gymnases, mais les événements doivent être programmés dans des lieux où la sécurité peut être mieux assurée. Il convient par exemple d’aménager la voie publique en installant des plots et en rehaussant les trottoirs – comme le sait bien M. Ciotti, la promenade des Anglais est, en certains endroits, dépourvue de trottoirs, précisément parce que l’idée était d’en faire un lieu ouvert, ce qui se comprend très bien. Un mobilier urbain adapté doit permettre de sécuriser les lieux, mais il nous faut dans le même temps garder à l’esprit que l’ouverture est nécessaire à la circulation des personnes, notamment lorsqu’elles sont rassemblées en foule. Nous avons connu assez d’incidents dus à des foules non maîtrisées qui, s’étant emballées, ont provoqué l’écrasement de personnes ; les concepteurs d’événements sont toujours attentifs à canaliser voire, le cas échéant, à évacuer rapidement une foule en évitant tout risque d’écrasement. De ce point de vue, la sécurité situationnelle peut nous ouvrir des pistes et nous conduire à prendre certaines décisions qui concerneront tout à la fois le matériel, le mobilier et les effectifs.

M. Éric Ciotti. S’agissant des bandes de vidéoprotection sur lesquelles figurent les images de l’attentat, vous nous avez indiqué que l’IGPN était saisie dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte par le procureur de la République de Nice, et que vous ne pouviez dès lors communiquer aucun élément à ce sujet – ce qui est parfaitement normal. Vous nous avez dit ceci : il ne vous serait « jamais venu à l’idée » de demander à voir les images, puisque cela vous était légalement interdit. Je comprends donc que cette analyse vaut également pour la direction centrale de la sécurité publique, dont l’intervention ne relève pas du cadre de l’enquête judiciaire puisque, comme l’a précisé le procureur François Molins dans son communiqué, seule la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) était saisie.

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc’h. Reprenons le déroulement de cet épouvantable dossier. Le procureur de la République de Nice est arrivé sur les lieux immédiatement après les faits ; dans les heures qui ont suivi, le parquet antiterroriste – donc le procureur de la République de Paris – a été saisi. Une fois saisie, la police judiciaire s’est fait remettre une copie des bandes d’enregistrement afin de pouvoir les exploiter – c’est bien normal. Le lendemain matin, la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), qui est chargée d’informer la direction générale et les autorités ministérielles, a sollicité le centre de supervision urbain pour trouver des informations qui lui permettraient de répondre à une rumeur qui commençait à se répandre sur les réseaux sociaux. Comme l’a clairement expliqué le directeur général, c’est dans ce cadre que la DCSP a demandé à la police municipale de visionner certaines images. Ce n’est qu’ensuite que le procureur de la République a expressément demandé que ces bandes soient détruites pour éviter qu’elles ne circulent, comme cela s’était produit en d’autres circonstances. Cette instruction n’a d’ailleurs pas été très bien comprise par la police municipale, qui s’est interrogée sur sa légalité ; le procureur l’a rassurée en lui expliquant ce qu’il en était.

Le Journal du dimanche est sorti le 24 juillet, mais Mme Bertin y rapporte des faits qui se seraient produits le 15 juillet ; autrement dit, le temps a passé entre ces deux dates. Chacun a donc à ce moment-là tenté de reconstituer le fil des événements du 15 juillet. Le procureur de la République a indiqué très légitimement qu’il n’avait envoyé que deux brigadiers de la police judiciaire pour détruire les bandes.

M. Éric Ciotti. Ou plutôt pour les saisir !

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc’h. Soit ; cela revient au même, puisque l’idée était qu’aucune copie n’en soit faite et que l’enregistrement unique soit mis sous scellé pour être exploité ultérieurement. Le directeur général, quant à lui, a expliqué pourquoi ses services avaient contacté la police municipale le 15 juillet.

Encore une fois, Le Journal du dimanche a donné une information, à laquelle chacun a réagi en apportant des informations selon sa sphère de compétences, l’une et les autres n’étant certainement pas contradictoires.

M. le président Dominique Raimbourg. Pour éviter toute rumeur sur ce point, vous confirmez, madame la directrice, que les enregistrements vidéo sont désormais saisis, que leur contenu sera analysé par la justice et que la question sera tranchée ; vous confirmez également que la polémique entre la responsable du CSU de la police municipale de Nice et le ministère de l’intérieur fait elle aussi l’objet d’une saisine judiciaire et que cette question sera ainsi tranchée. Il n’y a donc ni secret ni complot d’État : des magistrats indépendants se saisiront de la question. Il me semble important de donner cette précision, de sorte qu’aucune rumeur ne se répande sur les réseaux sociaux, parfois prompts à s’enflammer.

M. Éric Ciotti. La question de l’enregistrement vidéo a fait polémique, mais elle ne me semble pas essentielle et ne permet pas d’établir que d’autres mesures auraient peut-être permis d’atténuer ou d’éviter les conséquences de l’attentat. La question étant juridique, je fais confiance à la justice : l’enquête établira ou non la légalité de l’intervention de la DCSP, de même que celle de la copie de la bande réalisée à la demande du directeur de cabinet du préfet des Alpes-Maritimes afin que les bandes puissent être visionnées dès le lendemain des faits par certaines hautes autorités de la République. Vous nous avez indiqué, comme le compte rendu en atteste, qu’il ne vous serait « jamais venu à l’idée » de visionner ces images en raison de l’interdiction légale qui s’applique hors du cadre de l’enquête – mais, au fond, ce point n’est pas essentiel puisqu’il intervient après l’attentat lui-même.

Ce qui importe, c’est de déterminer ce que l’on aurait pu ou dû faire. Qui, cependant, peut avoir la prétention de le savoir ? Le « résultat », avez-vous estimé en employant un terme quelque peu maladroit, aurait été le même avec davantage d’effectifs. Qui peut le dire ? Qui peut dire que l’attentat aurait été évité si les effectifs avaient été beaucoup plus nombreux ? Pour ma part, je ne l’oserai jamais. Inversement, qui peut prétendre que des effectifs supplémentaires n’auraient rien changé ? Peut-être le camion aurait-il pu être intercepté plus tôt si des effectifs avaient été positionnés en amont. Songez que vingt-cinq personnes ont été tuées sur le segment longeant la façade du Palais de la Méditerranée, longue de 80 mètres environ, à la fin du parcours du camion. C’est là que trois policiers nationaux, ayant couru depuis la rue Meyerbeer, sont intervenus avec un courage et un sang-froid extraordinaires, dans des circonstances très difficiles où il fallait éviter tout risque de blesser des témoins et autres intervenants civils. Quoi qu’il en soit, nul ne saurait avoir la prétention d’affirmer qu’un, dix ou cent policiers supplémentaires auraient permis d’éviter l’attentat. La question, toutefois, n’est pas illégitime, et vous comprendrez que nous la posions.

Vous ne m’avez pas répondu sur la question de l’affectation des forces mobiles. Je comprends la nécessité d’affecter des forces mobiles à Carcassonne où 500 000 personnes étaient rassemblées, à Montpellier, Toulouse et Marseille, grandes cités présentant des risques de violences urbaines à cette date. Nice, cinquième ville de France, avait reçu l’affectation de forces mobiles les années précédentes – 37 CRS en 2014 et 60 gendarmes mobiles en 2015. Que se passait-il ce jour-là à Avignon pour que l’arbitrage concernant l’affectation des forces mobiles se fasse en faveur de cette ville et non de Nice ?

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc’h. Des forces mobiles ont en effet été déployées à Marseille, où un risque de violences urbaines existait dans les quartiers nord et où un départ d’incendie aurait pu nécessiter leur intervention, à Toulouse pour les mêmes motifs de troubles à l’ordre public, à Montpellier où s’est déroulé le départ de la douzième étape du Tour de France, à Carcassonne où 500 000 spectateurs étaient attendus pour l’embrasement de la ville et à Avignon, à l’occasion du festival de théâtre, où se rendait, ce soir-là, le Président de la République.

M. Éric Ciotti. Pourquoi votre rapport n’apporte-t-il aucune justification pour l’affectation de forces mobiles à Avignon alors qu’il le fait pour les autres villes ?

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc’h. Il n’y a en effet aucune raison de cacher ces motifs. Le rapport a été rédigé dans des délais tels que cette précision a pu nous échapper, mais n’y voyez aucune malice ni aucun souhait de dissimuler quoi que ce soit.

M. Guillaume Larrivé. Nul ne met ici en cause le travail des acteurs de terrain qui sont intervenus le 14 juillet, mais les interrogations de M. Ciotti et de notre groupe portent sur le commandement et surtout sur la doctrine d’emploi des forces. La question de l’affectation des forces mobiles n’est pas anecdotique. En toute franchise, madame, nous avons été surpris, à la lecture attentive de ce rapport qui nous a été transmis dès le mois de juillet, que les motifs justifiant l’affectation de forces mobiles soient explicitement mentionnés pour chacune des villes citées à l’exception de celle dans laquelle se trouvait le chef de l’État. Il va de soi que nous comprenons très bien que l’autorité préfectorale décide d’affecter une ou plusieurs unités de forces mobiles afin de sécuriser le dîner que le Président de la République a tenu à l’Hôtel d’Europe avec des artistes, comme l’a relaté la presse ; ce choix d’opportunité est légitime. En revanche, nous comprenons moins bien qu’il soit nécessaire de poser directement la question pour obtenir cette réponse, cet élément ne figurant pas dans le rapport de l’Inspection générale de la police nationale, alors que l’affectation de forces mobiles dans les autres villes est justifiée expressis verbis, entre parenthèses – risque de violences urbaines à Marseille et de troubles à l’ordre public à Toulouse, douzième étape du Tour de France à Montpellier, « embrasement » de la ville à Carcassonne. Si nous connaissions les motifs de l’affectation de forces mobiles à Avignon, c’est parce que nous lisons la presse ; il est curieux, toutefois, que le rapport de l’IGPN ne le précise pas et qu’il faille attendre la réunion de la commission des Lois pour l’apprendre.

Ma deuxième remarque porte sur la doctrine d’emploi des forces. Peu avant ces événements du 14 juillet, la France a accueilli l’Euro 2016, qui a été sécurisé dans des conditions telles qu’heureusement pour l’intérêt général et pour notre pays, aucun incident majeur n’a été à déplorer. Nous nous interrogeons tout de même sur certains écarts de proportion. Ainsi, 1 500 policiers et gendarmes ont été mobilisés pour sécuriser la fan zone du Champ-de-Mars, qui accueillait 90 000 personnes. À Nice, où 30 000 personnes étaient rassemblées le 14 juillet, comme l’indique votre rapport, 64 policiers nationaux étaient déployés, dont 39 prépositionnés. Autrement dit, il y avait 64 policiers pour 30 000 personnes d’un côté, 1 500 policiers pour 90 000 personnes de l’autre. En disant cela, je ne prétends évidemment pas qu’il fallait déployer moins de policiers sur le Champ-de-Mars, ni que les deux situations étaient exactement identiques en termes de risque, mais cette disproportion pose question et m’incite à vous demander si, du point de vue non pas des unités opérationnelles mais de l’administration centrale, une réflexion doctrinale est en cours sur la mobilisation des unités mobiles ou des unités de sécurité publique lors d’événements qui, au fond, sont assez similaires – puisque dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de rassemblements de foule à des dates fixes et dans des lieux dont le périmètre est borné. Pourquoi donc une telle disproportion ? Au vu de votre rapport factuel, qui est tout à fait intéressant, le ministère de l’intérieur a-t-il engagé une réflexion doctrinale pour éventuellement améliorer la gestion de ce type d’événements et l’organisation des forces chargées de les sécuriser ?

M. Daniel Vaillant. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir organisé cette réunion, et je remercie Mme la directrice et ses collaborateurs d’être venus nous présenter le rapport intègre de l’IGPN, dont je salue la réforme adoptée en 2013, qui a permis d’améliorer nettement la situation par rapport à celle qui prévalait à Paris à l’époque de l’inspection générale des services.

Chacun a à l’esprit cette nuit tragique du 14 juillet, qui a frappé la population niçoise, celle des Alpes-Maritimes et au-delà – je connais hélas certaines des victimes, dont de jeunes enfants, venues de Paris pour assister au feu d’artifice.

Nous ne sommes pas à l’abri d’actes terroristes parfois imprévisibles, et cela durera au-delà des échéances démocratiques qui nous concernent les uns et les autres. Nous devons donc tous rester prudents, vigilants, mesurés et faire preuve de sang-froid. Gardons-nous d’accuser les autres pour nous dédouaner nous-mêmes ; c’est certes un grand classique, mais ce n’est pas mon conseil aux uns et aux autres. La polémique est facile et mauvaise conseillère, et ne profite qu’à ceux qui recherchent un intérêt politique. Nous nous souvenons de l’accueil réservé au Premier ministre à Nice en période de deuil. Les sifflets et manifestations intempestives qu’il a subis ne représentent pas les formations politiques ici présentes, mais ne tombons pas dans le panneau de cet esprit polémique qui, au fond, nuit aux victimes, à leurs familles et à l’intérêt général.

Nous avons tous réaffirmé avec raison notre soutien et notre confiance aux forces de sécurité, en particulier les trois policiers – il n’était pas nécessaire qu’ils soient soixante-quatre – qui ont été déterminants pour bloquer l’assassin qui commettait cet attentat préparé, qui n’avait rien de spontané comme on l’a d’abord pensé, puisque le coup était prémédité.

Sans entrer dans le débat concernant la saisie des bandes d’enregistrement, j’espère qu’elles démontreront l’imperfection de ce système, en révélant par exemple que le camion s’est rendu sur les lieux et y a circulé deux ou trois jours avant l’attaque alors qu’il n’avait rien à y faire, et ce malgré l’interdiction et malgré la vidéoprotection. Si ce camion avait été repéré à ce moment-là, peut-être des dispositions préventives auraient-elles pu être prises.

D’autre part, il est démontré qu’un partenariat noué cartes sur table est nécessaire pour préparer ce type de manifestations – c’est ce que l’on appelle de la « coproduction préventive ». En effet, nous ne faisons les uns et les autres jamais assez. En l’occurrence, chacun a fait ce qu’il devait faire, mais des failles existent. Encore une fois, il est inutile d’accuser l’autre, a fortiori lorsqu’une inspection est déclenchée – comme le ministre de l’intérieur a eu raison de le faire, puisque cette inspection apporte des réponses ; s’il l’a fait, convenons néanmoins que c’est parce que la polémique existait, que les autorités de l’État et la police nationale étaient mises en cause et qu’il a fallu y mettre un terme, car c’était déplorable pour tout le monde, y compris pour les auteurs des accusations.

Voilà ce qu’il faut garder à l’esprit pour se prémunir contre d’autres actes dont nous ne serons pas à l’abri dans les années qui viennent. Je me réjouis donc de la parution de ce rapport qui éclaire singulièrement la réalité des faits et les défaillances, le cas échéant. Il a été confirmé que la circulation relevait de la compétence municipale, ce qui à ce stade n’est pas le cas à Paris, par exemple.

M. Philippe Goujon. Pas encore…

M. Daniel Vaillant. L’équilibre trouvé en 2001, alors que j’étais ministre de l’intérieur, permet notamment la création de fan zones. Pourquoi comparer la fan zone de Paris, en plein Euro 2016, avec une manifestation annuelle à Nice – même s’il eut été préférable, il est vrai, d’y disposer de forces mobiles ? Je ne voudrais pas que les élus du groupe Les Républicains estiment que tout cela correspond à un calcul stratégique de la DGPN. Les forces sont affectées en fonction des nécessités, des urgences, des risques. Nul n’est à l’abri d’une erreur ; qui, aux responsabilités, n’en a pas commis ? Est-on sûr que personne n’en commettra plus ? Préservons un esprit républicain qui nous épargne des polémiques inutiles qui ne profitent qu’à ceux qui les exploitent.

M. Philippe Goujon. Monsieur le président, je voudrais saluer l’initiative d’Éric Ciotti et Guillaume Larrivé qui vous ont proposé d’organiser cette réunion d’information avec l’Inspection générale, et vous remercier de l’avoir accepté.

Certes, comme l’a dit excellemment notre collègue Daniel Vaillant, les circonstances étaient très différentes lors de l’Euro 2016, sur la fan zone du Champ-de-Mars à Paris, et le 14 juillet à Nice. Reste que, dans les deux cas, plusieurs dizaines de milliers de personnes se trouvaient rassemblées.

S’agissant de l’organisation des fan zones, j’avais émis quelques critiques : au-delà du fait que la puissance publique a pris un risque supplémentaire par rapport à la menace terroriste qui existait déjà sur le territoire et dans les stades, ces fan zones ont mobilisé de façon excessive les forces de police : pour le seul Champ-de-Mars, 1 000 à 1 500 policiers chaque jour, toute la journée, pendant un mois entier, sans oublier les 450 agents de surveillance privés et plusieurs dizaines d’inspecteurs de sécurité de la Ville ! Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que cela représente : les policiers auraient, dit-on, acquis une vingtaine de millions d’heures supplémentaires, ce qui est considérable. Et, à l’évidence, les forces de police qui ont été mobilisées n’ont pu être affectées ailleurs.

On a fait le choix des fan zones. Cela supposait la présence d’importantes forces de sécurité, ce que nous avons évidemment tous approuvé. Mais l’ensemble du territoire s’est trouvé largement démuni. J’observe qu’il faudra bien récupérer toutes ces heures, et je me demande comment on pourra le faire sans trop dégarnir le dispositif policier.

Je ne dis pas que l’attentat soit une résultante de ce choix. Tel n’est pas le sujet. Mais j’insiste sur le fait que la mobilisation normale, logique, cohérente, de forces de police considérables sur les fan zones, notamment celle du Champ-de-Mars, a diminué le potentiel de nos forces mobiles sur l’ensemble du territoire.

M. Pascal Popelin. Nous reprenons nos travaux après l’interruption de la session parlementaire en nous penchant sur un bien triste sujet. Je voudrais tout naturellement rendre hommage non seulement aux victimes décédées, aux blessés, à ceux qui sont encore dans nos hôpitaux, mais aussi aux policiers, plus particulièrement aux agents de la police nationale qui ont arrêté ce fou criminel, le 14 juillet, à Nice.

Je voudrais également m’associer, monsieur le président, aux remerciements qui vous ont été adressés pour avoir organisé cette réunion. Je tiens enfin à souligner la qualité du rapport que nous a présenté Mme la directrice de l’IGPN. Les réponses qu’elle a apportées aux questions légitimes qui lui sont posées montrent que ce qui peut apparaître de prime abord comme une remarque de bon sens se heurte parfois à la réalité et à la complexité des faits.

Madame, vous n’êtes ni ministre de l’intérieur ni directrice générale de la police nationale, et sans doute ne pourrez-vous donc pas répondre à la question relative à la mise en œuvre des unités de forces mobiles que tout le monde réclame à cor et à cris. Mais j’observe que, si celles-ci ont été extrêmement sollicitées au cours du mois de juillet et des mois précédents en raison de l’état d’urgence, 15 escadrons de gendarmes mobiles avaient été supprimés entre 2007 et 2012, et que, face aux nouvelles priorités de la lutte antiterroriste et du renseignement, il est difficile de reconstituer les effectifs qui ont été malheureusement perdus au cours du quinquennat précédent. Mais ce n’est pas l’objet de mon intervention.

Dans le rapport, vous expliquez clairement que, compte tenu des éléments d’information à disposition et de la topographie des lieux, le parti avait été pris d’écarter toute logique de sanctuarisation du périmètre et d’installer plutôt des points de sécurité périmétriques et de contrôle aléatoire des personnes.

Par ailleurs, vous y décrivez le partage des tâches qui avait été décidé entre la police nationale et la police municipale – même si vous regrettez que ce partage n’ait pas été mieux formalisé sur le papier. En résumé, dans la soirée, la police municipale était en charge du dispositif de dérivation de la circulation aux abords de l’événement, pour le périmètre extérieur, dit « large » ; la police nationale avait quant à elle une mission de patrouille, de sécurisation au sein du rassemblement, dans le deuxième cercle, plus rapproché, qui correspondait à la zone resserrée de l’évènement.

Enfin, à propos des points de sécurité périmétriques, vous avez évoqué la question de la protection physique par des dispositifs inertes, ayant éventuellement vocation à améliorer, au-delà d’un barriérage traditionnel, les dispositifs d’interdiction de circulation. Je voudrais donc vous demander à qui incombe l’installation de tels dispositifs. Est-elle de la responsabilité de la police nationale, ou de l’autorité municipale organisatrice de l’événement ? Si je me souviens bien de mes cours de droit, cela incombe à cette dernière. Et, dans l’hypothèse où elle n’est pas en situation d’assumer cette responsabilité, est-ce que l’autorité administrative, en l’occurrence le préfet, a la possibilité de l’imposer ? A-t-elle les moyens, à la fois juridiques et techniques, de pallier une telle carence ?

M. Guy Geoffroy. Madame, je voudrais moi aussi saluer votre présence et vous remercier de vos réponses. J’ai conscience qu’il n’est pas facile de répondre à nos interrogations face à tant d’incertitudes. Que se serait-il passé – ou non – dans d’autres circonstances, avec d’autres moyens ? Nous ne pouvons que demeurer très modestes…

Ma question porte sur vos propos de tout à l’heure concernant l’absence d’effectifs supplémentaires à Nice – contrairement aux années précédentes.

J’ai cru comprendre que l’absence de renforts en forces mobiles et en CRS avait conduit la DDSP à compenser ce que ceux-ci leur avaient apporté les années précédentes : une demi-unité de CRS en 2014, un escadron de gendarmerie mobile en 2015.

A ce propos, certains adjectifs mériteraient d’être précisés. Page 5, on peut lire que le dispositif du 14 juillet 2016 n’a pas été « soutenu » par une unité de forces mobiles, contrairement aux éditions précédentes, au sujet desquelles vous employez, à la note 3 de la page 6, un terme différent, écrivant que la demi-unité de CRS présente en 2014 et l’escadron de gendarmerie mobile présent en 2015 avaient « renforcé » le dispositif niçois.

Vous disiez également, et nous en sommes persuadés, que la DDSP avait pris acte du fait que l’on avait choisi en 2016 d’assurer une présence supplémentaire à Avignon parce que le Président de la République s’y rendait pour assister au festival. Nous en prenons acte nous aussi, et cela ne pose aucun problème.

Je terminerai sur cette question : est-ce que le soutien – ou le renforcement – des années précédentes a conduit à augmenter davantage les forces de sécurité relevant de l’État en 2014 et en 2015 qu’en 2016, malgré l’effort fait par la DDSP cette année pour compenser leur absence ? En un mot, la compensation a-t-elle été totale ou seulement partielle ?

Mme Élisabeth Pochon. Il est évident que nous pensons aujourd’hui aux victimes. Nous nous étions déjà rencontrés, Madame, dans le cadre d’une réflexion sur les problématiques liées à l’intervention des policiers lors de tueries de masse, et je ne pensais pas que nous serions un jour amenés à imaginer qu’un camion pourrait servir à faire autant de morts. Cela va dans le sens de ce que vous disiez tout à l’heure à propos de l’analyse du risque qui, selon moi, va devenir bien compliquée en France.

J’observe que le laps de temps dans lequel a eu lieu cette intervention aussi meurtrière a été très court, et que les effectifs ont su réagir assez rapidement. Mais avez-vous pensé, au moins pour limiter le nombre de victimes, à impliquer davantage les citoyens ? En effet, j’ai été frappée de constater que non seulement certaines personnes se trouvaient dans un état de sidération, mais que d’autres, en raison du bruit et des circonstances, ne se sont pas rendu compte – ou ont mis du temps à le faire – qu’un camion fou avait été lancé dans la foule. Je pense à des systèmes d’alarme mobiles, à des dispositifs impliquant les citoyens dans la protection des sites où des attentats de cette sorte pourraient se produire.

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc’h. Dans ce rapport, nous avons essayé d’être le plus précis possible et n’avons rien voulu cacher.

Quand on utilise un mot, puis un autre, ce n’est pas forcément parce que l’on veut cacher quelque chose : « soutenu » et « renforcé » ont pour nous tout à fait la même signification. Ensuite, s’il n’y a pas de parenthèse donnant des précisions après la mention de la présence de forces mobiles à Avignon, c’est probablement parce que cela nous a échappé. Il n’est pas dans l’éthique de l’IGPN de cacher quoi que ce soit. C’est une erreur que je dois évidemment reconnaître, mais il n’y avait là rien de secret.

Nous avons voulu faire ressortir que la répartition des forces mobiles, dans une période de tension sur les effectifs, est très complexe. Je peux vous assurer que c’est une préoccupation quotidienne au niveau de la DGPN. Si l’on revenait aux temps où l’on pouvait distribuer des forces mobiles à tous ceux qui en faisaient la demande, notre tâche en serait évidemment facilitée ; mais il se trouve qu’il faut faire des choix. C’est de la responsabilité de la DGPN, qui décide en fonction des éléments dont elle dispose, et elle prend cette décision en conscience – selon le terme que vous avez utilisé, monsieur le député. Pour ma part, je pense que les choix qui ont été faits ne sont aucunement scandaleux.

Encore une fois, on peut toujours tout comparer, mais il y a des choses qui ne sont pas comparables. Je rappelle qu’à Nice, après l’Euro 2016, étaient prévus la Prom’ Party – quatre soirées pendant l’été –, puis le concert de Rihanna le lendemain du 14 juillet, et le festival de jazz à partir du surlendemain. Effectivement, à un moment donné, il convient de faire des choix.

Vous avez raison, monsieur Popelin : c’est à celui qui organise une festivité de la sécuriser. Mais je reviens à ce que je disais tout à l’heure : il est très difficile de mettre des dispositifs inertes sur la Promenade des Anglais, compte tenu de la configuration des lieux. Où les installer ? A quel niveau ? Deux kilomètres avant ? Au niveau du périmètre « police municipale », ou du périmètre « police nationale » ? Que faire avec toutes ces rues qui débouchent sur la Promenade ? Il faut rappeler que le dispositif n’était pas, comme celui de la fan zone, installé pour quatre semaines, mais pour quelques heures, et qu’entre minuit et une heure du matin la Promenade devait être rendue à la circulation.

Quoi qu’il en soit, en droit, c’est à l’organisateur qu’il appartient de sécuriser la zone, le préfet pouvant éventuellement se substituer à lui s’il considère que les choses ne sont pas faites comme il se doit.

M. Pascal Popelin. En a-t-il les moyens techniques ?

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc’h Il en a les moyens légaux. Il peut se substituer à l’organisateur, il peut constater une carence, et le constat de carence peut l’amener à interdire un certain nombre d’évènements.

Reste que, techniquement, aucune municipalité ne me semble capable de mettre en place suffisamment de blocs de béton pour sanctuariser, « bunkériser » un lieu comme la Promenade des Anglais.

C’est pourquoi nous devrons réfléchir à l’ensemble de ces questions et lancer des recherches. Aujourd’hui, la police peut recourir à des dispositifs d’interception de véhicules automobiles (DIVA). Ceux-ci sont efficaces dans un nombre considérable de cas, mais pas sur des camions. Il nous faudra donc travailler avec les industriels pour trouver des systèmes permettant de stopper des camions lancés à toute vitesse avec des fous furieux au volant.

Il existe aussi le dispositif des plots amovibles, et un certain nombre de dispositifs qui ont naturellement un coût financier, mais qu’il faut encore inventer et développer.

Madame Pochon, parmi les préconisations du rapport figure en effet l’implication des citoyens. Vous parliez des messages d’alerte que l’on peut leur adresser une fois que l’attentat a eu lieu. Je crois qu’il faut aller beaucoup plus loin. Nos concitoyens doivent aussi devenir les acteurs de leur propre sécurité. Il faut les faire réfléchir sur leur rôle, sur ce qu’ils voient, ce qu’ils observent, ce qu’ils supposent, etc. Cela demandera probablement des actions très fortes de la part des services de sécurité.

Pour conclure, je crois que le vrai sujet, c’est la coproduction de sécurité. Plus personne ne peut considérer aujourd’hui que la sécurité relève de la responsabilité des uns ou des autres. La responsabilité est collective.

M. le président Dominique Raimbourg. Madame la directrice, vous avez dit qu’il y avait eu un effort en effectifs de la part de la DDSP. Je rejoins la question de M. Geoffroy : est-ce un effort supérieur à 50 % ?

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc’h. Tout à fait.

Nous avons clairement dit les choses, telles qu’elles se présentaient. Cela figure dans le rapport. Rien n’a été éludé : il y a eu en 2016 moins d’effectifs qu’en 2015 ; et en 2014, il y en avait également moins qu’en 2015. Ces fluctuations s’expliquent par le fait que lorsqu’on envoie des forces mobiles, il s’agit toujours au moins d’une demi-compagnie ou d’un demi-escadron, soit trente à quarante personnes. De fait, entre 2014 et 2015, il y a eu une fluctuation à la hausse, et, entre 2015 et 2016, une fluctuation à la baisse.

M. le président Dominique Raimbourg. Il ne me reste plus qu’à vous remercier, madame, et à me faire l’interprète de l’ensemble de mes collègues pour vous demander de transmettre aux forces de police et de gendarmerie toute notre gratitude. De la même façon, je demande à M. Ciotti, élu niçois, de transmettre toute notre gratitude aux forces municipales de la ville de Nice ainsi qu’au SDIS.

M. Eric Ciotti. Merci.

La réunion s’achève à 17 heures.

——fpfp——

Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Victorin Lurel rapporteur sur le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (n° 4000).

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Luc Belot, M. Jean-Yves Caullet, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Olivier Dussopt, M. Guy Geoffroy, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Pascal Popelin, M. Joaquim Pueyo, M. Dominique Raimbourg, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, Mme Huguette Bello, M. Sergio Coronado, M. Jean-Pierre Decool, Mme Sophie Dion, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, Mme Françoise Guégot, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Victorin Lurel, Mme Sandrine Mazetier, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Paola Zanetti, Mme Marie-Jo Zimmermann

Assistaient également à la réunion. - M. Régis Juanico, M. Pascal Terrasse