Accueil > Travaux en commission > Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République > Les comptes rendus |
La réunion débute à 16 heures 40.
Présidence de M. Dominique Raimbourg, président.
La Commission auditionne Mme Ericka Bareigts, ministre des Outre-Mer, et procède à une discussion générale sur le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (n° 4000) (M. Victorin Lurel, rapporteur).
M. le président Dominique Raimbourg. Notre séance est consacrée au projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique. Ce projet a été déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale le 3 août 2016 et renvoyé à la commission des Lois. Nous procéderons donc, après l’audition de la ministre des outre-mer, à la discussion générale sur le texte.
La commission des Affaires économiques et la commission des Affaires sociales se sont saisies pour avis, et ont respectivement désigné comme rapporteurs M. Serge Letchimy et Mme Monique Orphé. Elles se réuniront le lundi 26 septembre pour procéder à l’examen des articles, ce que la commission des Lois fera le mardi 27 septembre au soir et le mercredi 28 dans la matinée.
Est également présent parmi nous M. Jean-Claude Fruteau, en sa qualité de président de la Délégation aux outre-mer, laquelle se réunira le mardi 27 septembre dans l’après-midi pour rendre un avis sur le texte.
Nous devons encore désigner un co-rapporteur d’application, membre de l’opposition. Le groupe Les Républicains ayant suggéré la candidature de M. Daniel Gibbes, je vous propose qu’il en soit ainsi décidé.
La parole est à Mme Ericka Bareigts.
Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer. Je suis très heureuse de vous retrouver pour engager le travail sur ce projet de loi. Cette discussion est un rendez-vous important pour nos territoires, qui attendent de nouveaux progrès et de nouvelles avancées. Il y a soixante-dix ans, Aimé Césaire, Léopold Bissol, Gaston Monnerville et Raymond Vergès s’unissaient dans un combat politique pour la reconnaissance des outre-mer et la consolidation des piliers de la République dans ces territoires : la loi de départementalisation de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion et de la Guyane a permis de franchir des étapes essentielles sur le chemin de l’égalité, des droits sociaux notamment. C’est en quelque sorte la marche de l’histoire que nous devons sans cesse nous rappeler. Robert Badinter expliquait le nécessaire travail de mémoire, un travail qui permet de « revenir aux sources, dresser le bilan, ouvrir des voies nouvelles ». Voilà ce à quoi nous devons nous atteler maintenant : ouvrir des voies nouvelles.
En 2016, les progrès accomplis sont importants – nous en sommes tous conscients –, mais les écarts de niveau de vie demeurent persistants : je pense au chômage, au taux de pauvreté, aux inégalités de revenu, au taux d’illettrisme, mais aussi à la mortalité infantile, domaine dans lequel nous sommes dans la situation qui était celle de l’Hexagone il y a vingt ans. Cette réalité constitue une insulte aux principes républicains et enferme nos concitoyens des départements et collectivités d’outre-mer dans des conditions de vie particulièrement pénibles. Il nous faut donc poursuivre et parachever la dynamique de développement et l’accompagner de politiques volontaristes. Il nous faut permettre aux Ultramarins de bénéficier des mêmes opportunités que les Métropolitains, qu’il s’agisse des conditions de vie, de l’accès aux droits, de l’éducation ou du développement personnel et professionnel. C’est cela, l’égalité républicaine.
Le Gouvernement a ainsi souhaité qu’un projet de loi soit présenté au Parlement, pour faire du principe d’égalité une réalité pour les près de trois millions de compatriotes résidant dans les DOM, les COM et la Nouvelle-Calédonie. C’est pourquoi le Président de la République et le Premier ministre ont confié à Victorin Lurel le soin de rédiger un rapport visant à préparer ce rendez-vous législatif. Ce dernier est l’aboutissement d’un long et exemplaire processus de concertation et de consultation : universitaires, socio-professionnels – notamment via le Conseil économique, social et environnemental (CESE) – et, bien entendu, parlementaires ont été mobilisés dans des délais très contraints. Je souhaite ici rendre hommage au travail des députés et sénateurs, tous territoires et tendances politiques confondus : votre voix compte, et votre rôle sera essentiel, tout au long de notre discussion. Cette mobilisation démontre notre capacité à construire un projet pour une France qui se pense au-delà des frontières hexagonales.
Le texte qui vous est soumis ne constitue que la première étape d’une stratégie globale en faveur de l’égalité réelle outre-mer. Il détaille les principes, les outils, la méthodologie et plusieurs mesures économiques et sociales y contribuant. Je souhaite maintenant vous en présenter les différents volets.
Le titre Ier définit les principes et l’objectif à atteindre pour l’égalité réelle. Il est nécessaire d’affirmer un horizon commun pour la conduite des politiques publiques dans les outre-mer. Cet horizon, c’est celui de l’égalité réelle. Il permet de poser le cadre d’une stratégie destinée à engager un nouvel élan.
L’histoire républicaine des outre-mer doit continuer de s’écrire, et cette nouvelle page sera celle de l’égalité réelle. Ma conviction profonde est que nous sommes arrivés au bout d’un modèle qui a consisté, exclusivement, à réduire les écarts immenses entre l’Hexagone et les outre-mer, sans toujours y parvenir, notamment en termes d’opportunités de développement ou de droits sociaux.
Selon moi, il faut définir une nouvelle approche stratégique, qui doit s’inscrire pleinement dans le projet républicain. Les outre-mer disposent chacun de singularités constituant autant d’atouts pour l’attractivité de ces territoires. Nous entrons aujourd’hui dans une nouvelle étape de notre histoire, celle de la mise en place d’un modèle économique et social dynamique, puissant, solidaire, tourné vers l’environnement régional de chaque territoire, qui permette aux Ultramarins de libérer pleinement leur potentiel et aux territoires d’être des atouts pour le développement et la réussite française au sein d’aires géoéconomiques en pleine expansion.
C’est dans cette perspective que le projet de loi, dans sa première partie, est consacré à l’ensemble des mesures de programmation pour l’égalité réelle. Il affirme que cette égalité entre les outre-mer et l’Hexagone constitue une priorité de la Nation, et définit les objectifs des politiques publiques qui y concourent. C’est ce qui permettra d’accroître les niveaux de vie, de réduire les inégalités, d’encourager le développement des territoires, bref de faire en sorte que ces territoires et leurs habitants bénéficient des mêmes opportunités que leurs compatriotes de l’Hexagone.
L’égalité est, bien sûr, inscrite dans nos principes républicains mais, à l’instar de la République, elle ne saurait être seulement évoquée ou invoquée, alors qu’aujourd’hui encore elle n’est qu’un vain mot pour certains Français. Il nous faut donc, ensemble, assurer à toutes les citoyennes et à tous les citoyens, quels que soient leurs lieux d’habitation, leur couleur de peau, leur identité culturelle ou cultuelle, les moyens adaptés pour se réaliser et progresser dans notre société. Notre devoir est de faire prévaloir la solidarité nationale.
Dès ma nomination au secrétariat d’État à l’égalité réelle auprès du Premier ministre en février dernier, je l’avais déclaré : l’égalité ne se décrète pas ; elle est un processus, un projet de société qui s’inscrit dans le long terme et concerne des territoires qui connaissent de grandes disparités structurelles, du fait, entre autres, de l’éloignement géographique, de dotations inégales en ressources naturelles ou encore d’une attractivité touristique plus ou moins grande. Avancer sur le chemin de l’égalité réelle, c’est prendre en compte ces différences et les aborder avec des outils adaptés.
C’est ce projet, cette stratégie globale que nous vous proposons d’inscrire dans la loi. Un texte de loi qui définit une ambition, une méthodologie et des outils. Un texte de loi qui irriguera les futures politiques publiques mises en place.
Une fois l’objectif posé, il nous faut définir une méthode d’action. C’est l’objet du titre II, qui crée, à cette fin, un nouvel instrument de planification de la trajectoire de convergence et de réduction des écarts de développement, territoire par territoire : le plan de convergence.
Les plans de convergence permettront de définir une méthode commune à tous les acteurs pour concrétiser l’égalité réelle. Ils seront le fruit d’un travail de coconstruction qui impliquera les citoyens, les associations, les acteurs économiques, les collectivités et les corps constitués. Cette méthode constitue une condition sine qua non pour que les plans répondent effectivement aux besoins locaux et que les différents acteurs se les approprient pleinement.
Les plans de convergence préciseront ainsi les mesures et actions à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs. Ils comprendront notamment un volet relatif au périmètre et à la durée du plan ; un diagnostic économique, social, financier et environnemental ; une stratégie de convergence ; des actions opérationnelles ; des expérimentations ; une programmation financière et un tableau de suivi. Ils s’appuieront sur les outils contractuels déjà existants.
La Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer (CNEPEOM) assurera le suivi du plan de convergence de chaque collectivité. Cette démarche d’évaluation permettra de mesurer les progrès réalisés, les objectifs atteints, les endroits où il reste encore du travail à faire. Cette évaluation s’appuiera notamment sur un tableau de bord, qui regroupera les principaux indicateurs de la convergence, prenant en compte les spécificités locales.
Cette démarche de contractualisation permettra d’installer une dynamique collective pour mutualiser les moyens et définir une stratégie partenariale, et les plans de convergence, élaborés de manière participative, se présenteront sous la forme d’un document de programmation transverse, contractualisé et d’une durée de dix à vingt ans.
Un horizon défini, une méthodologie efficace sont ainsi proposés dans ce projet de loi, qui contient aussi des mesures visant à renforcer le modèle social des territoires ultramarins et leur développement économique.
Le titre III est consacré à des dispositions sociales en faveur de l’égalité dans le département de Mayotte. La recherche de l’égalité sociale constitue un thème toujours actuel et attendu par nos concitoyens ultramarins. Depuis soixante-dix ans, la gauche a été au rendez-vous du progrès, et a porté des avancées concrètes. Ainsi, sous l’impulsion de Michel Rocard, les allocations familiales ont-elles été alignées, en 1993, sur les montants hexagonaux. Et en 2000, quatre ans après l’alignement du SMIC sous l’égide du gouvernement de Lionel Jospin, la loi d’orientation pour l’outre-mer a aligné le RMI en deux ans.
Deux articles prévoient des mesures relatives à l’égalité sociale à Mayotte, où la départementalisation est intervenue il n’y a que cinq ans. Je précise que le volet social de ce texte aura vocation à être affiné, complété et enrichi durant l’ensemble du processus parlementaire. Des avancées volontaristes et équilibrées pourront ainsi être obtenues de concert.
Le premier objectif de ce titre est d’accélérer la logique de convergence à l’œuvre, afin de permettre à nos compatriotes mahorais de disposer d’une politique familiale renforcée. C’était l’engagement pris par le Premier ministre Manuel Valls dans le document stratégique « Mayotte 2025 », signé en juin 2015. Nous le réalisons dans ce projet de loi.
Rappelons que, depuis mai 2012, de nombreuses avancées ont déjà eu lieu grâce au concours actif des services du ministère des affaires sociales et de la santé : alignement de l’allocation de rentrée scolaire, hausse significative du RSA, mise en place des allocations logement, instauration de la prime d’activité.
L’article 9 prévoit d’accélérer le rythme d’augmentation des allocations familiales. Il prévoit également, comme dans les DOM « historiques », la mise en place du complément familial outre-mer. De plus, ce même article procède à l’extension des compléments de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) à Mayotte, et ce aux mêmes conditions que dans l’Hexagone. Ces différentes mesures permettront de renforcer le soutien apporté aux familles, en particulier aux foyers les plus modestes, alors que le PIB par habitant n’atteint pas, dans ce département, 30 % de la moyenne nationale.
Le deuxième objectif est d’accompagner la mise en place d’un système complet d’assurance vieillesse dans ce département. L’article 10 institue notamment un dispositif spécifique de garantie des pensions des salariés du secteur privé, ce « minimum contributif » devant permettre aux retraités ayant cotisé de manière significative au titre de la retraite de disposer d’une pension supérieure à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), actuellement inférieure à 400 euros par mois. L’article prévoit par ailleurs la mise en œuvre simultanée des systèmes de retraite complémentaire obligatoire existant dans l’Hexagone et dans les six autres collectivités ultramarines régies par le droit social national. Ce volet est ainsi une étape importante dans le développement humain de nos territoires.
Enfin, le titre IV vise à ouvrir de nouvelles opportunités économiques et à faciliter l’initiative entrepreneuriale. Les outre-mer seront amenés à faire face dans les prochaines années à d’importants défis démographiques, sociaux mais aussi économiques, et je crois profondément que nous devons proposer une nouvelle vision, un nouveau modèle économique pour nos territoires. J’évoquais la fin d’un processus : il nous faut inventer l’avenir. Les douze territoires des outre-mer ne sauraient être à part dans la réussite économique de la France. Ils en sont parties prenantes, et doivent être mieux connus, et reconnus en tant que tels.
Cessons de voir ces territoires comme des périphéries, des lieux d’exotisme, mais considérons tout leur potentiel et leurs atouts, géopolitiques et surtout humains. Prenons l’exemple entrepreneurial : le tissu économique y est composé pour près de 90% par de petites et moyennes entreprises, et le dynamisme de la jeunesse ultramarine est avéré. Les outre-mer sont des terres d’innovation, une innovation qui s’appuie sur des traditions, des savoir-faire, des échanges commerciaux diversifiés. À nous de les renforcer et de les développer.
Plusieurs dispositions sont ainsi prévues dans le titre IV, notamment en matière de formation. À Mayotte, nous proposons de renforcer l’accès des personnes à la formation puis à des emplois de haut niveau dans les administrations publiques et dans le secteur privé. Nous nous inspirons pour cela du dispositif « cadres avenir », qui a très bien fonctionné en Nouvelle-Calédonie.
Pour compléter les dispositifs en faveur de la jeunesse ultramarine dans l’ensemble des territoires, le projet de loi définit un nouveau dispositif de continuité territoriale financé par le fonds de continuité territoriale géré par l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité (LADOM). Ainsi, les élèves et étudiants qui effectuent un stage dans le cadre de leur formation professionnelle à l’extérieur de la collectivité de leur établissement pourront bénéficier d’une aide. Il s’agit d’une substantielle avancée en matière de mobilité.
Favoriser les dispositifs de formation est aussi l’objectif poursuivi par l’article 13. Il permet d’étendre la possibilité d’intégrer les travailleurs informels dans une démarche de validation des acquis de l’expérience (VAE) en contrepartie de leur insertion dans un parcours de formalisation progressive de leurs activités.
Enfin, les articles 14 et 15 sont des dispositions techniques permettant d’assurer la modération des prix par les transporteurs maritimes et via la lutte contre la concentration des activités commerciales.
Ce projet de loi constitue un véritable levier économique et social pour les outre-mer. Il a pour ambition de les inscrire dans une démarche d’excellence économique, environnementale et éducative, mais aussi de combler les retards sociaux – plus d’une vingtaine d’années en termes d’indice de développement humain (IDH) –, en luttant davantage contre la pauvreté et les inégalités, notamment en investissant encore plus dans le capital humain. Cette démarche, c’est celle de l’égalité réelle.
Ce projet ambitieux, je souhaite qu’il soit affiné, complété et enrichi durant l’ensemble du processus parlementaire, et notamment en ce qui concerne son volet social. Je serai très attentive à vos propositions et souhaite que nous concrétisions notre ambition.
La loi sur l’égalité réelle outre-mer sera l’un des derniers vecteurs législatifs du quinquennat. Nous devons donc être à la hauteur de ce rendez-vous et participer ainsi au renforcement de l’inclusion républicaine de ces territoires.
M. Victorin Lurel, rapporteur. C’est avec grand plaisir que je me retrouve devant la commission des Lois qui est la première commission au sein de laquelle j’ai siégé à l’Assemblée nationale. Le plaisir est d’autant plus grand que je suis ici en tant que rapporteur d’un texte que nous attendons depuis longtemps. Un tel projet de loi s’apparente en effet pour les outre-mer à un graal, voire à une obsession en ce qui concerne les élus, notamment ceux de ma formation politique. C’est qu’il correspond à l’engagement 29, pris par François Hollande lors de sa campagne électorale, d’encourager un nouveau modèle de développement de l’outre-mer, comportant un programme d’investissements et une action prioritaire pour l’emploi et la formation des jeunes. Il répond enfin à un désir ardent des associations qui ont milité pour qu’au cours de la législature soit adopté un texte qui, après soixante-dix ans de départementalisation, constitue, sinon un aboutissement, du moins une étape majeure de notre marche vers l’égalité.
J’ai travaillé dans un esprit transpartisan, en auditionnant l’ensemble des formations politiques, des experts et les représentants de diverses institutions. Je voudrais en particulier évoquer ici les échanges que j’ai eus avec Patrick Ollier, grand serviteur des outre-mer, toujours attentif à nos difficultés et à nos atouts : dès lors que la responsabilité de la société était mise en cause dans le développement des inégalités, il est apparu que nous ne pourrions-nous entendre sur une même définition de l’égalité. Nous pouvions en revanche tomber d’accord sur la notion d’égalité des chances et considérer, en d’autres termes, qu’une politique visant à promouvoir l’égalité consiste à donner à tous les mêmes chances au départ, le reste du parcours dépendant ensuite de chacun : s’il y a au bout du compte des inégalités, ce sont des inégalités, pas des injustices.
Le rapport qui a inspiré le projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui entendait donc promouvoir cette politique d’égalité des chances et identifier les moyens permettant aux outre-mer de s’aligner en une génération sur les ratios nationaux. Ce délai de vingt ans, fixé par le Président de la République, admet naturellement des ajustements, en particulier pour les territoires ayant besoin d’un horizon plus lointain, comme Mayotte et la Guyane, ou qui, au contraire, peuvent espérer, comme la Martinique, atteindre l’objectif en douze ou quatorze ans ou en une quinzaine d’années, à l’image de la Guadeloupe. Peu importe ces compromis puisque, comme le disait Keynes, à long terme nous serons tous morts.
Un certain nombre de critères ont été définis, à partir desquels mesurer la réduction des écarts : le revenu per capita, le PIB par habitant, le revenu disponible brut par habitant, l’indice de développement humain. Notre mission ne portant pas uniquement sur les inégalités entre les outre-mer et la métropole mais également sur les inégalités internes à ces territoires, ont également été retenus des indicateurs comme le coefficient de Gini ou le rapport interdécile, qui mesure l’écart entre les plus riches et les plus pauvres, l’ensemble de ces données devant permettre d’évaluer sur une génération la trajectoire vers l’égalité.
Afin que le plus grand nombre de nos concitoyens soient associés à sa démarche, le Gouvernement a enfin souhaité organiser une grande campagne participative, dont les résultats devraient être connus sous peu.
Au total, malgré les conditions difficiles dans lesquelles nous avons travaillé compte tenu des délais, ce texte mérite pleinement, compte tenu de sa nature et de son contenu, de devenir un bel exemple de coproduction législative. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’aurai quelques questions à vous poser, madame la ministre.
Le projet de loi comporte quatre titres, que, d’une manière ou d’une autre, nous souhaitons consolider. C’est particulièrement vrai pour le titre Ier, qui comporte les articles ayant vocation à redéfinir ce que sont les principes fondateurs de l’action gouvernementale dans les outre-mer pour mener à son terme une marche commencée avec l’égalité civile et citoyenne, poursuivie, en 1946 avec l’égalité administrative et politique, puis, dans les années 90, avec l’égalité sociale, laquelle reste à parachever.
En ce qui concerne le titre II, malgré la batterie d’indicateurs retenus, on peut craindre que l’évaluation de l’action gouvernementale ne soit pas réalisée avec suffisamment de précision.
J’ajoute qu’il s’agit là d’une loi transversale, qui va s’appliquer aux onze territoires d’outre-mer habités, dans le respect de notre devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. Cela signifie qu’en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy, qui vivent sous des régimes législatifs différents, l’égalité doit transcender les statuts et s’inscrire en surplomb des régimes législatifs. Pour le dire autrement, l’obligation morale et juridique portée par notre devise doit s’appliquer aux outre-mer dans le respect du principe de libre administration territoriale, ce qui constitue un exercice délicat.
Au-delà d’une consolidation des quatre titres que comporte le projet de loi, nous souhaitons également en ajouter qui touchent aux questions culturelles, environnementales mais aussi à l’implication des entités subétatiques d’outre-mer dans la coopération régionale et les relations internationales.
Enfin, nous pensons qu’il convient de rééquilibrer le projet de loi, qui comporte en l’état beaucoup de mesures programmatiques, et d’étoffer son volet normatif pour le rendre plus contraignant, tout en respectant le principe de libre administration.
En matière de convergence, nous avions suggéré d’établir des plans sur quinze ou vingt ans, mais déclinés selon des contrats de convergence alignés sur le mandat des élus locaux – six ans – afin qu’un élu ne soit pas contraint par ce qu’a fait son prédécesseur. Or cela ne figure pas dans le projet de loi.
Nous sommes d’accord sur la nécessité d’intégrer au débat d’orientation budgétaire les orientations et les engagements qui auront été pris. Néanmoins le projet de loi n’oblige pas à inscrire les crédits dans le budget primitif, le budget supplémentaire ou les décisions modificatives. Certes, le préfet, le haut commissaire ou l’administrateur supérieur à Wallis-et-Futuna seront garants de la sincérité budgétaire, mais nous préférerions voir cette obligation inscrite dans le texte.
Les délais de convergence ont donné lieu à débats, mais il me semble pertinent de prévoir que la trajectoire s’étalera sur vingt ans. À l’exception de Saint-Barthélemy et de la Nouvelle-Calédonie, je ne vois pas en effet lequel de nos territoires pourrait prétendre se rapprocher des ratios nationaux en cinq ou dix ans. Il faut donc s’inscrire dans un horizon long, au sein duquel les exécutifs territoriaux garderont une marge de négociations.
Quant à la contractualisation, elle doit être soumise à délais. Le texte indique qu’elle concerne l’ensemble des collectivités, soit, lorsqu’ils existent encore, comme en Guadeloupe et à La Réunion, la région et le département, auxquels il faut ajouter les communes, ce qui, pour la Guadeloupe, porte le nombre de contractants à trente-six, chiffre qui grimpe à plus de quarante si l’on inclut également les EPCI et les syndicats uniques. Est-il pertinent d’impliquer autant d’acteurs ?
En ce qui concerne le suivi et le contrôle de la convergence, le projet de loi propose que la CNEPEOM procède à une évaluation tous les dix-huit ou vingt-quatre mois, soit à deux reprises au cours de la législature, de manière à pouvoir procéder, le cas échéant, à des ajustements. Nous nous interrogeons cependant sur ce choix de la CNEPEOM, et l’une de nos collègues suggérait plutôt la création d’une autorité indépendante, composée d’élus locaux et nationaux, d’experts et de fonctionnaires. Si d’aventure une telle proposition devait se heurter à l’article 40, seriez-vous prête, madame la ministre, à vous y montrer favorable ?
Le titre III, consacré aux dispositions sociales, concerne essentiellement Mayotte. J’ai entendu en séance publique certains déclarer que l’outre-mer avait déjà trop reçu, mais dois-je rappeler que, depuis une quinzaine d’années, la mission « Outre-mer », ce n’est, dans chaque projet de loi de finances, que 2 milliards d’euros de crédits ? Et encore l’actuel Gouvernement l’a-t-il revalorisée, car nous avions perdu 450 millions d’euros.
Des inégalités de traitement – certains parleraient de discriminations – subsistent en matière sociale, dans l’attribution de l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), du complément familial, de l’allocation logement ou dans les conditions d’éligibilité au régime social des indépendants (RSI), puisque, à la différence de ce qui se passe ici, le bénéfice des prestations familiales est subordonné pour les travailleurs indépendants à l’acquittement des cotisations. Si l’État a des créances à recouvrer, il doit avoir d’autres moyens pour le faire, et nous serons intraitables, en l’occurrence, sur le respect du principe d’égalité.
Enfin, au plan économique, le projet de loi comporte deux mesures intéressantes, mais nous devons aller plus loin, notamment dans le soutien aux PME. Nous préconisons en particulier, compte tenu de l’ampleur et de la prégnance du chômage partiel outre-mer, que les entreprises en difficulté n’aient plus à faire l’avance de fonds, qui serait assumée par Pôle emploi dans les cas de chômage technique. En matière de délais de paiement, nous suggérons également d’avoir recours au dispositif Dailly, par exemple auprès de la Banque publique d’investissement.
Nous ne manquons donc pas d’idées, toute la question étant de savoir si, sur l’ensemble de ces questions sociales, économiques, culturelles et diplomatiques, l’État est prêt à lever le gage et à nous donner les moyens de mettre en œuvre une coproduction législative efficace pour donner naissance à une loi qui réponde à l’ambition fixée par le Président de la République et le Premier ministre : faire qu’en une génération, les outre-mer conquièrent leur graal, c’est-à-dire l’égalité par rapport à la métropole.
Mme Monique Orphé, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. Je me félicite de ce projet de loi en faveur de l’égalité réelle, qui concrétise un engagement du Président de la République et est très attendu dans les territoires ultramarins. Néanmoins, madame la ministre, si des félicitations s’imposent, je constate que le titre III, qui renferme les dispositions sociales, porte uniquement sur le régime particulier mahorais.
Il est vrai que les spécificités du territoire mahorais et le processus de départementalisation, somme toute encore assez récent, rendent d’autant plus urgentes les mesures de convergence contenues dans le projet de loi. Il me semble pourtant que le rapport rendu au Premier ministre par Victorin Lurel montre qu’un très long chemin reste encore à parcourir pour assurer l’égalité réelle entre les outre-mer et l’Hexagone. Même si beaucoup a déjà été fait, les territoires ultramarins restent les plus inégalitaires, et des retards persistent – on parle de douze ans pour la Martinique et la Guadeloupe, de vingt-cinq ans pour La Réunion et de trente ans pour Mayotte.
Pour réduire ces écarts, il faut, au-delà de la programmation, des mesures fortes en matière sociale. C’est la raison pour laquelle je souhaiterais recueillir votre avis, madame la ministre, sur d’éventuelles dispositions complémentaires susceptibles d’enrichir le projet de loi que vous nous soumettez aujourd’hui, si tant est qu’elles ne soient pas déclarées irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution.
J’attire en premier lieu votre attention sur l’ASPA, qui bénéficie aux personnes qui n’ont pas travaillé mais complète surtout les petites retraites, d’autant plus faibles dans les territoires ultramarins que le rattrapage du SMIC y a été tardif et que nombre de salariés n’ont pas cotisé, les employeurs ne les ayant pas déclarés à l’époque. Or le mécanisme de récupération sur succession propre à cette allocation est très mal vécu par nos concitoyens ultramarins, dont certains vont jusqu’à renoncer à la percevoir pour préserver le petit patrimoine qu’ils lègueront à leurs héritiers. Si cela peut se justifier pour des personnes n’ayant pas travaillé, pour les autres au contraire, c’est d’autant plus injuste qu’elles sont frappées par une double peine : non seulement leur retraite est inférieure à celles des personnes qui n’ont pas travaillé mais, en outre, elles ne peuvent pas émarger à certaines prestations dues aux allocataires du minimum vieillesse, parce que leurs revenus sont supérieurs à celui-ci.
Pour résoudre ce problème, plusieurs solutions peuvent être envisagées. La première consisterait à supprimer le mécanisme de récupération sur succession. La seconde serait de relever le seuil au-delà duquel s’opère le recouvrement sur succession : de 39 000 euros aujourd’hui, ne pourrait-on envisager de le porter à 50 000 voire à 100 000 euros ? La troisième solution consisterait enfin à instaurer un minimum contributif majoré à hauteur de l’ASPA, et ce pendant une durée de trente ans, puisque le SMIC a été aligné en 1996. Ce sont là trois propositions que je vous soumets concernant l’ASPA et les petites retraites.
Le deuxième problème est celui des prestations familiales. Vous le savez comme moi, les critères de leur attribution sont parfois différents de ceux qui s’appliquent en métropole, ce qui pénalise certaines familles. Ainsi, le complément familial n’est ouvert dans les DOM qu’aux parents d’enfants âgés de trois à cinq ans, alors que, dans l’Hexagone, il bénéficie aux familles d’au moins trois enfants, mais dès leurs trois ans et jusqu’à leur vingt et unième année. Bien sûr, les objectifs poursuivis par la politique familiale ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Néanmoins, ne devrait-on pas envisager d’étendre le bénéfice de ce complément dans les outre-mer, par exemple jusqu’à seize ans, âge limite de scolarisation, quitte, le cas échéant, à restreindre le dispositif aux familles de plusieurs enfants ? Jusqu’aux cinq ans de l’enfant, c’est peu vu le coût certain que représente la scolarisation, notamment pour les familles ultramarines.
Le troisième et dernier problème que j’aimerais soulever est l’application de l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), qui, dans les DOM, n’est ouverte qu’aux parents d’enfants handicapés, alors qu’elle bénéficie en métropole à tous les parents ayant réduit ou cessé leur activité pour s’occuper de leurs enfants – sous condition de ressources, naturellement. Je souhaite que l’on revienne sur ce que je considère comme une profonde inégalité. Madame la ministre, quel est votre avis sur l’extension de ce dispositif ?
M. Jean-Claude Fruteau, président de la délégation aux outre-mer. Monsieur le président, permettez-moi tout d’abord de vous remercier de votre invitation. J’y vois la marque de la reconnaissance d’une nécessité : l’expression autonome et persévérante de la voix des outre-mer dans nos débats parlementaires. La géographie, l’économie, les particularités et les situations juridiques sont telles que, parfois, les problèmes spécifiques des outre-mer sont méconnus, ou mal abordés lors de la préparation de ces débats. Je vous sais certes vigilante, madame la ministre, lorsqu’il s’agit de parer à ces risques. Mais enfin les procédures préalables sont complexes, les arbitrages peuvent être aléatoires ; dès lors, il est bon – et cela peut rendre de grands services au Gouvernement – qu’une instance parlementaire endosse en quelque sorte la tenue du veilleur, pour assurer, partout où cela est nécessaire, la prise en considération de ces problèmes spécifiques.
Ce fut une préoccupation constante de notre délégation dès les premiers mois de la législature. Bien entendu, nous n’en sommes pas restés à cette attitude défensive, car nous avons en commun le souci positif de mettre en valeur l’apport spécifique de nos collectivités au sein de la République. Situer la prise en considération, secteur après secteur, projet après projet, des spécificités des outre-mer dans une perspective globale de promotion et de développement de nos territoires : ainsi pourrait être décrit ce qui sert de fil rouge à l’action de la délégation sous ses diverses formes. Vous ne serez donc pas surpris que je suive ce fil pour aborder le présent projet de loi.
On ne peut qu’être frappé, à première lecture, par son architecture, qui constitue en elle-même un appel à l’engagement : le texte parle d’abord stratégie, avant de fonder juridiquement l’objectif général de convergence, puis de définir une série de mesures sectorielles dont on comprend immédiatement qu’elles ne sont que les premières applications du principe consacré par le projet. L’initiative parlementaire trouvera certainement à s’employer, dans le cadre de la présente discussion et plus tard, en vue d’ajouter à ces premières mesures d’autres dispositions allant dans le sens de l’égalité réelle.
La notion de convergence, détaillée dans le titre II, me paraît établir que le concept d’égalité réelle ne peut renvoyer exclusivement, ni même principalement, à l’idée de rattrapage des écarts économiques et sociaux entre les outre-mer et l’Hexagone – comme si l’on pouvait figer à une date donnée une réalité collective toujours en mouvement. Il faut, bien entendu, procéder à de tels rattrapages lorsqu’ils sont nécessaires, et ils le sont souvent. Mais si, comme l’énonce l’exposé des motifs, l’égalité réelle est « un processus que les politiques publiques doivent contribuer à atteindre », alors elle implique l’ouverture d’un dialogue permanent et concret sur des projets positifs de développement, sans se limiter à une perspective strictement mathématique. Les plans de convergence institués par le projet de loi s’inscrivent d’ailleurs dans une tradition française dont, si je ne me trompe, le dernier avatar fut la loi de juillet 1982 par laquelle Michel Rocard a entendu rénover les instruments de concertation de la planification nationale à la française.
C’est dire que ces plans ne réussiront que si l’État, mais aussi les élus des territoires, ont la volonté politique de faire réellement fonctionner les nouveaux instruments créés par la loi, de s’imposer le respect de leurs dispositions, d’assurer le suivi effectif des politiques qu’ils intègrent. Il y aura convergence entre les situations si les engagements contractés pour parvenir à cet objectif sont concrètement substantiels : la convergence ne se fera pas à l’économie.
Nombreux sont les domaines dans lesquels il y a lieu d’ouvrir la perspective de l’égalité réelle. Certains sont traités dans le projet de loi initial ; les débats qui commencent aujourd’hui permettront assurément d’en faire apparaître d’autres, d’autant que la programmation dont il est ici question ne s’épuise pas dans des initiatives à caractère juridique. J’évoquerai deux de ces domaines, en m’inspirant des travaux de la délégation.
Le premier est constitué des politiques d’adaptation et d’atténuation rendues nécessaires par le changement climatique. Les travaux de la délégation sur le sujet l’ont bien montré : nous sommes tous appelés à adapter nos comportements en fonction des phénomènes liés au changement climatique, mais les outre-mer subissent à cet égard, si j’ose dire, une double peine. En butte à ces phénomènes plus que l’Hexagone du fait de leur situation géographique, ils sont en outre désavantagés s’agissant des moyens nécessaires pour en contenir ou en contrer les effets. L’Assemblée nationale a bien voulu adopter la proposition de résolution, votée à l’unanimité par notre délégation, qui traduisait notre préoccupation à ce sujet. Mais peut-être pourriez-vous, madame la ministre, nous donner des précisions sur les initiatives spécifiques aux outre-mer qui ont été prises après la COP21 et dans lesquelles le schéma de l’égalité réelle trouve parfaitement à s’appliquer.
Le second domaine est l’éducation, particulièrement le problème posé par l’instruction dispensée aux jeunes dont la langue maternelle et usuelle n’est pas le français. Nous avons ainsi été alertés sur la situation délicate des jeunes Amérindiens de Guyane par nos collègues Marie-Anne Chapdelaine et Chantal Berthelot ; un rapport à ce sujet, cosigné par Mme Chapdelaine, a été remis au Premier ministre. Voilà l’exemple le plus clair qui soit du fait que l’égalité réelle ne peut pas être mathématique, mais résulte de l’acceptation raisonnée d’une spécificité culturelle. Quelles dispositions ont été prises pour faire suite au constat et aux préconisations de ce rapport ?
En vous posant ces deux questions, madame la ministre, j’exerce au nom de mes collègues, dans le cadre particulier du présent débat, la fonction de veille dont la délégation aux outre-mer a été investie par la Conférence des présidents au début de cette législature. Alors que nous parvenons presque au terme de celle-ci, je forme le vœu que cette fonction – dont, en m’invitant, vous avez bien voulu, monsieur le président, reconnaître l’importance – soit consolidée, du point de vue symbolique et juridique, par le renforcement du fondement juridique de la délégation. Je déposerai un amendement en ce sens.
Avant de conclure, j’aimerais vous livrer un sentiment que je sais partagé par mes collègues de la délégation aux outre-mer, quelle que soit leur appartenance politique. L’égalité réelle commence par l’égalité dans la considération. Or même celle-ci ne nous est pas garantie. Que de fois, lors de discussions, de réunions préparatoires en vue d’apprécier des propositions d’amendements, nous voyons chez nos interlocuteurs des comportements regrettables ! On ignore nos spécificités ; on les sous-évalue ; on feint de découvrir les implications ultramarines de telle ou telle disposition ; on invoque trop facilement de prétendus objectifs fondamentaux pour minimiser l’importance de nos questions. La condescendance infligée est une forme bien réelle d’inégalité. Il faut espérer que sinon la lettre du droit, du moins l’esprit de la loi nouvelle incitera ceux qui adoptent cette attitude à s’en abstenir désormais, et que le respect nourrira la convergence.
Je souhaite que le débat qui commence ouvre de nouvelles perspectives à nos outre-mer et leur donne davantage de moyens pour contribuer, dans le respect de leurs spécificités et de nos traditions, au rayonnement national.
Mme la ministre. M. le rapporteur a soulevé des questions de fond qui sont essentielles : il s’agit de permettre la stabilisation du dispositif de convergence et de le rendre pleinement efficient dans la durée.
Le contexte est difficile, bien que je voie quel engouement le débat qui s’engage suscite en chacun de vous. Car les délais, très contraints, vous obligent à travailler au pas de charge. Nous avons dû, nous aussi, nous hâter de déposer ce projet de loi, pour apporter au moins une première réponse, dans les territoires, à la question fondamentale de l’égalité réelle.
« L’égalité transcende les statuts », disiez-vous, monsieur le rapporteur. Telle est en tout cas la volonté qui a présidé à l’écriture du texte. Les plans de convergence concernent les territoires régis par l’article 73 de la Constitution comme ceux qui relèvent de l’article 74. Et la démarche du Gouvernement transcende dès à présent les statuts. Je songe à celle qui caractérise le travail en cours sur les accords de Papeete : il s’agit bien là d’égalité réelle et de co-construction, fruit de la volonté que le territoire et la solidarité nationale agissent ensemble, dans le respect des règles constitutionnelles et des lois organiques qui obligent l’un et l’autre. L’exercice est donc possible, puisqu’il est réalisé ; il est voulu, puisqu’il est prévu dans la loi ; mais il doit s’inscrire dans le cadre juridique et réglementaire qui est le nôtre.
En ce qui concerne l’idée d’enrichir le texte, je l’ai dit de façon très sincère et très volontaire dans mon exposé : c’est nécessaire, d’autant que nous avons tous été soumis à des délais très contraints et que les questions abordées sont importantes. Mais l’égalité réelle est une notion très vaste, et nous pourrions être tentés d’inclure tant de choses dans le projet que nous en perdrions le fil conducteur de notre action.
Il s’agit donc de garder ce fil tout en étendant les dispositions, en les enrichissant, le cas échéant par des titres – portant, par exemple, sur la coopération décentralisée ou régionale, un sujet qui a donné lieu à de très importants travaux ; je songe à la proposition de loi de Serge Letchimy, qui contribue à renforcer l’ancrage des territoires dans leur grand bassin. De tels éléments concourent à libérer nos territoires de ce qui les emprisonnait.
Tel est le sens de la convergence. J’ai beaucoup aimé l’approche des plans de convergence défendue par le président Jean-Claude Fruteau : en effet, il ne s’agit pas seulement de rattrapage, mais d’une dynamique, de la volonté commune à un territoire ultramarin et à la nation, et c’est par cette volonté que nous pourrons déverrouiller nos outre-mer.
Outre la coopération, la culture et l’environnement sont de nature à y contribuer, et nous pouvons envisager de travailler sur ces sujets.
En ce qui concerne l’opposabilité et l’évaluation, j’établis un lien entre ces deux aspects, car ils touchent l’un et l’autre à l’efficacité de l’action que nous allons mener.
Fallait-il des plans de convergence ou des contrats de convergence ? Nous nous sommes posé la question. Mais le plan de convergence intégrera les autres instruments contractuels, dont le contrat de plan État-région, alors que l’on se demande où celui-ci trouverait sa place si nous options pour un contrat de convergence. Le plan de convergence est un document stratégique qui réunit les engagements contractuels et leur donne sens. Tel est l’état actuel de notre réflexion ; nous pourrons étudier au cours du débat la possibilité d’évoluer sur cette question, et d’ajouter des éléments qui concourraient à l’efficacité de la démarche.
S’agissant de l’évaluation, je souhaite vivement son amélioration. Si une autorité administrative indépendante peut en être l’outil – mais il faudra y travailler –, je suis favorable à cette proposition. Car c’est par l’évaluation des politiques publiques que l’on garde le fil, surtout à un horizon de dix à vingt ans : c’est elle qui permet le réajustement. Cette évaluation peut être portée par une autorité indépendante ; elle peut aussi avoir lieu lors des discussions budgétaires, puisque le présent texte fait du débat d’orientation budgétaire l’occasion, pour la collectivité associée au plan de convergence, de rendre compte de l’état d’avancement de celui-ci. Ainsi, lors des échéances fixées par une autorité, ou par la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer (CNEPEOM) comme le prévoit actuellement le texte, ou encore lors des débats d’orientation budgétaire, nous pourrons, sur la base d’éléments publics, objectifs et sérieux, ajuster les politiques et les rendre plus efficaces. C’est ce que veulent nos concitoyens.
J’en viens au titre « social ». C’est un volet sur lequel nous travaillons beaucoup, madame la rapporteure pour avis. Certes, l’égalité réelle ne se réduit pas au rattrapage ; toujours est-il que certaines prestations ne sont pas encore appliquées dans nos territoires. Vous qui avez occupé mes fonctions, monsieur le rapporteur, vous savez, comme je le sais moi-même pour avoir été députée, que nous devons y œuvrer en commun et unir nos ambitions – bien que l’équilibre soit difficile à trouver –, car il est absolument nécessaire de progresser vers l’égalité sociale, l’un des éléments de la convergence vers l’égalité réelle.
Nous travaillons sur l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’assurance vieillesse des parents au foyer, le complément familial, madame la rapporteure pour avis. Nous avons des rendez-vous interministériels sur ces sujets et, du point de vue technique, nous avons bien avancé. Nous allons continuer ce travail ensemble, si vous le voulez bien.
En ce qui concerne le changement climatique, monsieur le président Fruteau, nos territoires souffrent en effet d’une double peine – au moins. Cette question a d’ailleurs fait l’objet d’un rapport de Mme Sage et de MM. Aboubacar et Letchimy auprès de votre délégation. Lors du prochain débat budgétaire, mon ministère vous proposera donc la création d’une ligne budgétaire permettant de contracter auprès de l’Agence française de développement (AFD) des prêts affectés à des investissements structurels destinés à protéger les territoires. Nous nous inspirons ici du Fonds vert. Nous accompagnerons les collectivités locales en vue d’investissements protégeant de la houle, des risques cycloniques et des autres problèmes que nous connaissons.
S’agissant du rapport de Mme Marie-Anne Chapdelaine et de ses 37 propositions, nous avons progressé dans la prise en charge psychiatrique des personnes en crise suicidaire, en particulier en développant des actions de prévention et de lutte contre les addictions, notamment à l’alcool.
Nous travaillons aussi, monsieur Fruteau, sur le problème de l’école et de l’apprentissage de la langue. Les écoles du fleuve guyanais disposent aujourd’hui d’intervenants en langue maternelle, qui ont pour mission de faire l’intermédiaire entre les enfants qui ne maîtrisent pas le français et les enseignants. Ce système est encouragé par l’État ; le pacte d’avenir actuellement en discussion prévoit de le renforcer et de l’étendre à toutes les populations de la forêt et du fleuve.
Je terminerai par votre amendement tendant à donner une base légale à la délégation aux outre-mer. Il faut évidemment, pour toutes les raisons que vous avez citées, conserver à celle-ci sa fonction de veille. Mais son rôle va plus loin : il s’agit de défendre les outre-mer et de diffuser les bons messages, ceux qui permettront la reconnaissance de ces territoires tels qu’ils sont, avec leurs atouts et leurs handicaps. Cette démarche volontaire, beaucoup plus ambitieuse, indique le sens du travail que nous avons à faire ensemble.
Mme Huguette Bello. Ce texte intervient à un moment où la convergence des bouleversements est maximale et où les inégalités ne cessent de s’accroître dans le monde, en France continentale et dans les outre-mer. Il représente donc un défi qui suppose une volonté politique – elle aussi – réelle et de long terme.
L’aspiration des outre-mer à l’égalité est constante ; elle est inscrite dans nos histoires respectives. L’égalité réelle en constitue une nouvelle étape. Elle a donné lieu à des définitions et suscite parfois des interrogations. Quoi qu’il en soit, elle ne saurait se réduire au rattrapage ; elle n’est assurément pas un prétexte à uniformisation, ni le simple prolongement de politiques déjà appliquées. S’inscrire dans le mouvement de l’égalité réelle, c’est avant tout réfléchir et agir à partir de nous-mêmes ; c’est s’inspirer, comme aurait dit Péguy, de notre réalité réelle ; c’est permettre à l’ensemble de nos potentialités de se déployer.
Pour cela, il faut d’abord lever les obstacles créés de toutes pièces, singulièrement ceux qui sont dus à une législation et à des règles inadaptées. En voici deux exemples parmi d’autres. La loi du 9 janvier 1985, dite « loi montagne », appliquée de manière mécanique, entrave le développement des activités touristiques dans les Hauts de La Réunion. La politique européenne commune de la pêche, conçue pour les pays du Nord, n’est pas du tout adaptée à nos régions où les ressources halieutiques sont abondantes. En interdisant depuis plus d’une décennie les aides à la construction des navires dans les régions ultrapériphériques françaises, l’Europe ne nous permet pas de disposer d’une flotte de pêche à la mesure de nos potentialités.
L’égalité réelle, c’est aussi parachever l’égalité sociale qui a été au fondement de la loi de départementalisation du 19 mars 1946. Je pense aux prestations sociales non encore alignées, mais aussi aux petites retraites. Ce qui vient d’arriver aux agriculteurs retraités dans nos régions est significatif et paradoxal : en raison des inégalités du passé, ils ne bénéficieront pas de l’augmentation générale des retraites agricoles qui porte celles-ci à 75 % du salaire minimum.
L’égalité réelle, c’est encore compléter et renforcer les politiques publiques dans des domaines aussi fondamentaux que l’éducation, où les retards persistent à tous les niveaux en dépit de progrès considérables ; la lutte contre l’illettrisme – lequel continue de concerner un pourcentage inquiétant de la population ; la santé, où les indicateurs sont presque toujours défavorables ; le logement social, mais aussi intermédiaire ; la petite enfance, où tout se joue et où beaucoup reste à faire.
S’engager sur la voie de l’égalité réelle, c’est bien sûr créer les conditions d’un développement qui soit une source d’emplois et de richesse. Or il est devenu évident que la première de ces conditions est de concilier toutes nos appartenances, et d’abord notre double appartenance géographique et politique à l’océan Indien et à l’Union européenne. L’égalité réelle passe donc nécessairement par les retrouvailles avec la géographie. Comment pourrait-il en être autrement pour La Réunion, au moment même où l’océan Indien retrouve sa place dans l’économie mondiale, où les échanges Sud-Sud s’intensifient, où les perspectives dans le domaine maritime se font de plus en plus précises ? À cet égard, il est surprenant que le mot « géographie » n’apparaisse jamais dans le projet de loi.
L’égalité réelle, c’est donc rejeter définitivement les oppositions binaires. Mais retrouver la géographie impose d’abord une véritable politique en faveur de tous les désenclavements : en l’absence de ce que l’on appelle désormais les interconnectivités, toutes les politiques de développement, tous les dispositifs sont tôt ou tard voués à l’échec. La Réunion sera toujours une île, mais une île dans le monde. De ce point de vue, les avancées incontestables que nous opérons depuis peu vers le désenclavement maritime doivent nous inspirer dans l’aérien et le numérique.
Ce texte doit poser les bases d’un désenclavement aérien pensé comme moyen de développement, mais aussi comme facteur de développement, pour une continuité territoriale au service de la mobilité des ultramarins, du tourisme, de la production locale. Le dispositif actuel d’aide au voyage, que les Réunionnais financent d’ailleurs en grande partie eux-mêmes, ne saurait être considéré comme une solution durable à laquelle il suffirait d’apporter quelques ajouts. En outre, nos relations avec les pays de notre environnement géographique et notre développement international requièrent une politique aérienne plus ouverte.
Le texte doit aussi permettre à nos régions de se classer dans le peloton de tête du numérique. Plus que d’autres, nous avons le devoir de nous approprier cette technologie qui nous donne enfin l’occasion de lever tous les obstacles liés à l’éloignement, à l’insularité, à l’absence d’économies d’échelle, ces fameux « handicaps structurels ». L’alternative est simple et redoutable : subir la fracture numérique et contrarier le développement pendant longtemps encore, ou faire de cette technologie un facteur de compétitivité et ouvrir la voie à des milliers d’emplois et à d’innombrables perspectives.
Madame la ministre, je ne saurais conclure sans vous parler de l’exposé des motifs du projet de loi – qu’il est évidemment impossible d’amender. On y a oublié une fois de plus La Réunion, ses hommes mais aussi ses femmes qui ont combattu pour la liberté, ceux qui ont résisté sur place – on n’en parle jamais –, qui ont ouvert leur chemise pour mourir pour la France, ces soldats qui sont partis par centaines. Ce texte n’est pas le seul à les oublier ; croyez que cela nous blesse profondément.
M. Ibrahim Aboubacar. Comme responsable du texte au sein du groupe Socialiste, écologiste et républicain, je me réjouis de ce projet qui répond à une demande avérée de nos territoires. Nous sommes particulièrement satisfaits de la méthode utilisée : le rapport de Victorin Lurel et la concertation que celui-ci a organisée à cette occasion sont tout à fait remarquables. Je n’oublie pas non plus la consultation numérique lancée par le Gouvernement. À quel moment aurons-nous connaissance de son contenu et comment le Gouvernement compte-t-il l’intégrer au projet ? Car la prise en considération de l’expression des citoyens contribuera à la crédibilité de notre travail et, sans doute, à la mobilisation citoyenne en vue de l’application des mesures qui auront été arrêtées.
Le calendrier de travail est contraint, mais l’enjeu en vaut la peine. Notre groupe est donc décidé à tout faire pour que le texte soit adopté au cours de la présente législature. Les outre-mer le méritent.
Sans vouloir revenir sur les questions soulevées par nos rapporteurs, il sera sans doute nécessaire d’apporter au cours du débat quelques précisions sur le calendrier et les modalités d’élaboration des plans de convergence, afin d’y voir plus clair quant à leur valeur, notamment au regard des autres outils de planification ou de programmation.
J’en viens au suivi du dispositif. L’idée que la CNEPEOM – au sein de laquelle j’ai été rapporteur il y a deux ans, et que je préside aujourd’hui – pourrait en être l’outil n’est pas mauvaise à condition, vu la nature des plans de convergence, d’en revoir sans doute la composition et, à coup sûr, les moyens. Au-delà de la CNEPEOM, le suivi supposera un renforcement très significatif de l’appareil statistique disponible pour tous les outre-mer. Car s’il est une observation récurrente dans les travaux de la CNEPEOM depuis trois ans, c’est l’indisponibilité d’outils spécifiques comparables d’un territoire à l’autre et existant dans l’ensemble des outre-mer, fondant des évaluations crédibles, sérieuses, susceptibles de mobiliser les énergies. C’est pourtant nécessaire pour que les collectivités puissent contracter sur des bases claires.
Madame la ministre nous ayant invités à enrichir le texte, je proposerai les pistes suivantes.
L’égalité réelle est égalité entre les outre-mer, mais aussi à l’intérieur de chacun de nos territoires. À cet égard, parmi tous les indicateurs mobilisés, il ne faudra pas oublier l’égalité entre les hommes et les femmes, particulièrement à Mayotte : la question a fait l’objet d’un rapport de la délégation aux droits des femmes de notre Assemblée, présenté par sa présidente, Mme Catherine Coutelle, et par sa vice-présidente, Mme Monique Orphé ; j’en retiens particulièrement la proposition 14. D’une manière générale, l’égalité entre les hommes et les femmes doit être un fil rouge de nos travaux dans les territoires d’outre-mer concernés par cet enjeu – et ils sont nombreux.
J’ai bien entendu le président Fruteau au sujet des questions économiques, mais l’égalité réelle passera aussi par le renforcement des appareils économiques de nos territoires. Nous avons inventé des dispositifs pour dix, vingt ou vingt-cinq ans. Victorin Lurel a parlé de vingt ans. Or la permanence des outils économiques à notre disposition fait l’objet d’un débat récurrent. Certes, madame la ministre, nous avons obtenu l’année dernière une visibilité jusqu’en 2020, voire 2025, s’agissant de la fiscalité des collectivités et d’autres efforts sont en cours. Mais l’on ne peut pas inviter les acteurs concernés à réfléchir sur vingt ans si les outils économiques fluctuent comme ils l’ont fait au cours des dernières années : pour mobiliser les énergies, il faut que leur durée soit compatible avec les plans dont il est question au niveau européen comme à l’échelon national.
Il me paraît important de le dire dès le début de la discussion, même si ce n’est pas nécessairement dans le présent texte que nous pourrons traiter des questions de cette nature : il faudra bien, à un moment donné, répartir les dispositions entre ce support législatif et d’autres, notamment les lois de finances.
Beaucoup ont parlé de l’éducation. J’aimerais insister pour ma part sur un secteur qui contribue à l’efficacité de l’action publique dans nos collectivités et, en ce sens, à l’égalité : la fonction publique. Ce sujet nous a déjà mobilisés : dans la dernière loi relative à l’outre-mer, nous avons abordé plusieurs questions concernant la Polynésie française ainsi que Wallis-et-Futuna ; nous avons créé le dispositif du CIMM (centre des intérêts moraux et matériels). Le présent texte doit nous permettre de progresser encore sur cette voie ainsi qu’en matière de retraites, au-delà du cas de Mayotte.
Je suis tout à fait d’accord avec Mme Orphé : il faut renforcer le volet social pour tous les territoires, quel que soit leur statut. Toutefois, n’oublions pas que, ici comme souvent, Mayotte doit effectuer deux exercices en un. On parle d’égalité réelle mais, pour Mayotte, il s’agit d’aller vers l’égalité réelle en sautant l’étape de l’égalité sociale, ou de construire l’égalité réelle en contournant l’égalité sociale, ou encore de mélanger les deux : le chemin n’y sera pas nécessairement le même que dans les autres départements d’outre-mer, qui ont connu deux processus successifs. Ceci explique le contenu de la partie du texte relative aux prestations sociales.
Cette première réunion va nous permettre d’obtenir des clarifications concernant la démarche engagée, la portée de la loi et la force qu’il conviendra de lui donner. Puisque la plupart de nos amendements tomberont sous le coup de l’article 40, nous apprécierons particulièrement une co-construction législative raisonnable mais résolue, pour un résultat à la mesure des espérances de nos outre-mer.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Madame la ministre, j’aimerais revenir un instant sur la mission, que j’avais conduite avec Mme la sénatrice Aline Archimbaud, sur le suicide chez les Amérindiens et les Bushinenges. Nous avions soulevé la question de la réforme du Conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinenge (CCPAB), qui est relativement prégnante, comme le savent mes collègues de Guyane Chantal Berthelot et Gabriel Serville. Ce conseil peut se saisir du devenir des Amérindiens et traiter du suicide mais il nécessite une réforme. Seriez-vous favorable à une telle évolution ? Jetteriez-vous un œil bienveillant, pour reprendre le qualificatif employé par notre rapporteur, sur l’amendement qui la porte, afin qu’il puisse être adopté dans ce projet de loi ?
Je voudrais aussi revenir sur l’éducation. On parle d’égalité réelle mais on devrait déjà parler d’égalité tout court. Dans les outre-mer, il existe des situations que les députés métropolitains ne toléreraient pas, qui feraient sortir les parents d’élèves et les élus dans la rue. Je crois beaucoup à ce projet de loi qui doit être à la hauteur afin que les enfants, où qu’ils soient, aient accès à l’éducation. Certains élèves, qui doivent affronter quarante-huit heures de pirogue pour revenir chez eux, sont maintenus trois mois dans un internat alors qu’ils pourraient rentrer tous les week-ends si les transports étaient améliorés.
Madame la ministre, j’ose espérer que ce projet de loi s’étoffera de ces questions-là. J’espère que vous appuierez les propositions de mes collègues, qui vont dans ce sens.
M. Philippe Houillon. Mon intervention va être extrêmement brève, monsieur le président, car – vous l’avez sans doute remarqué comme moi – les principales critiques ont été faites par nos rapporteurs. Ces critiques ont certes été formulées dans des termes extrêmement choisis, élégants et diplomates. Leurs interventions ont néanmoins exprimé la déception face à une certaine pauvreté de ce texte. Notre collègue Lurel a fait trente-cinq propositions dans l’important rapport qu’il a rédigé à l’issue d’un long travail. On en retrouve peu de chose dans le texte qui nous est soumis.
En première approche, même si nous sommes en fin de législature et qu’il aurait été préférable de prendre cette initiative plus tôt, on ne peut qu’être satisfait de voir le Gouvernement porter une attention particulière aux outre-mer. Cela étant, je partage la remarque que j’entends sur tous les bancs : face à une formidable attente, nous avons un texte avec seulement trois articles déclaratifs et un agrégat de quelques mesures qui sont très en deçà des enjeux.
Ce texte est donc extrêmement décevant. C’est sans doute la raison pour laquelle je vous ai entendue, madame la ministre, dire que le Gouvernement souhaitait qu’il soit enrichi. Au-delà de leurs critiques pertinentes et à fleuret moucheté, les rapporteurs eux-mêmes suggèrent de faire de la coproduction législative, ce qui est une autre façon de dire que le texte n’est pas satisfaisant en l’état. Monsieur le rapporteur, vous l’avez dit de manière infiniment plus élégante que moi, mais vous l’avez dit quand même.
Je ne sais pas si cette coproduction législative que vous appelez de vos vœux interviendra pendant ce débat, dans le cadre de délais contraints. Il y a beaucoup de chemin à parcourir en faveur de nos outre-mer à partir d’un texte pauvre. Si cette coproduction n’aboutissait pas, ce serait vraiment une occasion ratée. Certains mauvais esprits – dont je ne suis pas – diraient probablement que le but électoraliste n’est pas loin, compte tenu du calendrier électoral.
Pour terminer, je souligne qu’il n’y a aucune mesure dynamique et offensive en faveur des entreprises, par exemple, pour régler le problème du chômage dont il n’est pas question non plus dans le projet de loi. Il n’y a rien de tout cela. Il est évident que certaines mesures intéressant les entreprises doivent impérativement être contenues dans le texte final. C’est aussi l’une des clefs de l’égalité réelle.
M. le président Dominique Raimbourg. Monsieur Houillon, l’ancien président de la commission des Lois, que vous êtes, est très certainement favorable à la coproduction législative !
M. Philippe Houillon. C’était d’ailleurs une idée d’un de mes anciens présidents de groupe, qui est actuellement candidat ! Vous voyez de qui je veux parler…
M. le président Dominique Raimbourg. Nous allons nous retrouver !
M. Guillaume Larrivé. J’aurais une question ponctuelle mais importante, je crois, à l’endroit de Mme la ministre sur la portée de l’article 9. Pour l’essentiel, cet article prévoit à Mayotte, conformément à une déclaration du Premier ministre, d’accélérer le rythme d’augmentation des allocations familiales pour se rapprocher dès 2021, au lieu de 2026, des montants en vigueur au plan national. J’ai lu attentivement la documentation d’étude d’impact sur cet article 9 sans y voir nulle part le mot « immigration ». Ce mot n’est pas un tabou et il correspond à une réalité vécue douloureusement par la population de Mayotte puisqu’une partie très importante des habitants est de nationalité étrangère sans titre de séjour.
Pourquoi le Gouvernement n’envisage-t-il pas de nous indiquer l’impact de cette forte augmentation des allocations familiales à Mayotte sur cette problématique de l’immigration ? Y a-t-il un impact ? N’y en a-t-il aucun ? Cette question doit être d’autant plus posée que, par ailleurs, d’autres membres du Gouvernement – je pense au ministre de l’intérieur – nous indiquent que l’effort de lutte contre l’immigration irrégulière à Mayotte doit être maintenu, voire amplifié. Quelle est l’articulation entre ces deux domaines de l’action publique ? Quel est l’impact, au regard de la nécessaire maîtrise de l’immigration, de cette augmentation très forte des allocations familiales que vous envisagez d’accélérer ?
Mme Maina Sage. Avant de vous donner mon sentiment sur ce texte, je voulais rappeler pourquoi nous sommes là aujourd’hui, à étudier un dispositif particulier de rattrapage en vue d’une plus grande équité – avant l’égalité – pour nos territoires.
Pour ma part, je porte un regard très pragmatique sur les chiffres. À cet égard, je voulais remercier notre collègue Victorin Lurel pour le travail mené pendant presque deux ans. La réalité des chiffres est déplorable. Avant tout, il ne faut pas perdre de vue ce diagnostic. Nous pourrons débattre pendant des heures ou des années des mesures à prendre pour rectifier le tir, mais le constat est celui d’un échec partagé que nous devons être capables de regarder en face.
La différence de PIB va de 15 % à 75 %. Le PIB national moyen est de 35 000 euros, avec certes des différences entre les régions de l’Hexagone, l’Île-de-France étant à 56 000 euros et le Limousin à 26 000 euros. Ces différences sont cependant incomparables avec celles qui existent en outre-mer, ou entre l’Hexagone et l’outre-mer. Il ne s’agit là que du PIB, mais on peut aussi parler de l’accès à l’éducation ou à la santé, du niveau d’illettrisme. On peut aussi prendre certains critères de l’indice de développement humain (IDH) sur le logement, les taux de natalité et de mortalité. Sur le plan économique, le taux de chômage en outre-mer est deux fois plus élevé que le taux de chômage moyen national.
Nous avons le devoir de nous interroger sur ces écarts et de construire ensemble une relation entre l’État et ses territoires d’outre-mer, qui soit différente de celle que nous avons vécue. Malgré tout ce qu’on aura tenté de faire, nous devons malheureusement dresser un constat d’échec : le résultat est là, face à nous. Que nous soyons de gauche, de droite ou du centre, nous portons tous cette responsabilité. Ce sont tous nos concitoyens français. Les différences sont trop importantes pour que nous nous cachions derrière des a priori et des excuses. De nombreux a priori m’ont violemment frappée lorsque j’ai commencé à exercer ce mandat national : la désinformation ; le manque de connaissances de nos territoires sur le plan juridique ; le manque de connaissances sur notre capital humain, notre jeunesse, nos tissus économiques, nos richesses environnementales et culturelles.
En aparté, je voudrais vous faire part d’une réflexion que j’ai eu l’occasion de partager avec notre ministre : je regrette que ces sujets n’aient pas été traités dans le texte sur l’égalité et la citoyenneté. Cette différence symbolise l’existence d’un problème dans notre société, dans la manière dont nous traitons nos territoires. Le texte sur l’égalité et la citoyenneté a réuni tous les députés alors que – je le regrette d’avance – nous allons examiner celui-ci principalement entre nous, les ultramarins. Au passage, je remercie mes collègues Houillon et Larrivé de leur présence parmi nous.
Ce sont ces sujets de fond que je souhaiterais aborder au cours de nos débats. Nous aurons le temps d’examiner les mesures, mais nous devons partir de ce diagnostic, de ce constat d’échec collectif et partagé. Nous devons être innovants, ambitieux afin de construire une autre relation entre l’État et ses collectivités et territoires d’outre-mer. Dans ce cadre, nous transcendons effectivement des différences juridiques prévues par les articles 73 et 74 de la Constitution ou les statuts de la Nouvelle-Calédonie.
Sur le plan général, j’ai deux remarques majeures à faire. La première porte sur les fondements de ce texte. Les rapports produits permettent de dresser le constat de manière très honnête et transparente, mais ce projet répond-il à l’ambition de départ ? Certains estiment que nous passons à côté de l’objectif alors que d’autres considèrent que nous l’atteignons. Pour ma part, peut-être parce que je suis du centre, je suis plus mesurée : je pense que nous ne l’atteignons que très partiellement et que nous pouvons aller beaucoup plus loin. Je crois que notre travail de parlementaire doit s’exprimer pleinement sur ce texte. C’est à nous de l’enrichir. Le Gouvernement nous a invités à le faire. Faisons-le pleinement en essayant de tirer le meilleur parti de cette volonté commune. Donnons-nous le courage d’atteindre ces objectifs.
Deuxième remarque : il faut consolider l’article 1er et poser les jalons de ce que nous considérons comme essentiel en termes d’accès aux services publics. On peut parler de tous les sujets – économie, éducation, environnement, culture – sur lesquels nous avons tous des choses à dire, mais il faut commencer par cette définition. Chaque territoire fixera ensuite ses priorités : éducation, santé, désenclavement géographique ou autre.
Pour ma part, j’aurais souhaité introduire à l’article 1er deux notions : l’isolement et le genre.
L’isolement est lié à la fragmentation et à la taille de nos territoires, à la distance par rapport à la métropole, à l’éclatement géographique. Il faut prendre en compte ces réalités pour établir un bon diagnostic et faire en sorte que les mesures préconisées soient en cohérence avec les freins à l’origine d’un retard que nous ne rattraperons jamais. On parle de rattrapage mais il existe des handicaps structurels que nous n’effacerons pas. Il faut pouvoir intégrer cela. Les territoires comme les nôtres, qui sont des collectivités autonomes, demandent la solidarité nationale. Lorsqu’on a un territoire qui est à 20 000 kilomètres de la métropole, à huit heures d’avion du continent le plus proche, éclaté sur une surface maritime grande comme l’Europe, peuplé de moins de 300 000 habitants répartis sur 118 îles, croyez-moi, c’est un défi quotidien. Nous savons très bien que nous n’y arriverons pas tout seuls. C’est pour cela que nous demandons la solidarité nationale. Nous ne pourrons jamais combler totalement le retard mais nous pourrons l’atténuer grâce à des efforts de désenclavement s’appuyant sur le numérique, par exemple. Quoi qu’il en soit, nous devons tenir compte de l’échelle de ces territoires, des distances, des contraintes géographiques.
La question du genre, de l’égalité entre les hommes et les femmes, doit aussi être intégrée parmi les indicateurs des politiques publiques tendant à favoriser les rattrapages dans différents domaines.
Le contrôle, le suivi et l’évaluation des mesures exceptionnelles de rattrapage devraient être organisés autour d’une structure qui soit la plus indépendante possible et dotée de moyens importants lui permettant de soutenir ces politiques de convergence. Si nous voulons aboutir à un résultat probant et être capable de le mesurer efficacement, nous devons nous doter d’un outil à la mesure de l’enjeu. À mon sens, il peut prendre la forme d’une autorité indépendante, même si d’autres solutions sont peut-être possibles. L’idée est de renforcer le CNEPEOM dans ses missions et dans ses moyens, et d’envisager toute la politique de suivi statistique de nos territoires.
Madame la ministre, nous étions hier ensemble aux Assises du tourisme. Je vous remercie d’avoir organisé un débat sur la manière de concrétiser les vingt-sept mesures annoncées l’an dernier par le Conseil de promotion du tourisme (CPT) pour renforcer la contribution des destinations d’outre-mer dans l’attractivité touristique de la France. Vous voyez bien que le point de départ est le pilotage, la donnée, le diagnostic sans lequel aucune prescription n’est possible.
Sur un plan plus personnel, j’aurai à revenir sur des mesures particulières pour la Polynésie, concernant la continuité territoriale ou le soutien aux étudiants. Aujourd’hui, je voulais me cantonner à des remarques plus générales au profit de tous les territoires d’outre-mer.
Enfin, je voudrais remercier le président Jean-Claude Fruteau d’avoir parlé de la justice climatique, un sujet qui a toute sa place dans ce texte.
Mme Chantal Berthelot. Madame la ministre, merci pour le ton sincère de votre présentation et pour les réponses que vous avez déjà apportées à l’une de mes questions. Après le président de la Délégation à l’outre-mer, je remercie le président de la commission des Lois de nous accueillir. Je remercie également les membres de cette commission pour leur présence, leur intérêt pour ce sujet. Comme le dit Maina Sage, il ne faut pas que nous restions entre ultramarins. D’un autre côté, je trouve toujours un peu curieux qu’un texte sur l’outre-mer soit examiné en commission des Lois. La loi est quelque chose. Elle nous fixe un cadre de vie commun ; elle doit faire respecter les principes de la République : liberté, égalité, fraternité.
Permettez-moi une petite parenthèse concernant l’actualité parce que je ne peux pas me taire. Il est important pour moi de rappeler le respect de la République. L’égalité réelle passe aussi par le respect de l’autre et donc de son origine.
M. le rapporteur. Origine gauloise, évidemment !
Mme Chantal Berthelot. Notamment en Guyane, nous sommes très fiers de nos origines diverses et variées, très fiers de nos ancêtres qui ne sont pas des Gaulois. Nos ancêtres sont des Chinois, des Eurasiens, des Amérindiens ou des Bushinenges.
S’agissant de l’égalité réelle, le Gouvernement a fait preuve de beaucoup d’ambition et il s’est fixé des objectifs louables, mais le texte produit me laisse perplexe, comme j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire. Vous m’avez partiellement répondu en disant que vous laissiez une place à la coproduction. Victorin Lurel a même parlé de très belle coproduction. Alors, étonnez-moi ! Faites en sorte que nous puissions sortir de nos travaux avec une très belle coproduction, et mes commentaires seront alors complètement différents.
Nos compatriotes ultramarins souffrent d’inégalités d’une manière très quotidienne, madame la ministre, comme vous avez pu vous en rendre compte sur le terrain à l’occasion de votre mission parlementaire. Les inégalités concernent l’accès à des services publics sur tout le territoire, à des soins de qualité, à l’emploi, à l’énergie, au logement, au numérique, à la garantie d’une plus grande sécurité, à l’éducation, à la culture. Il existe des inégalités externes et internes. En Guyane comme en Polynésie française, les inégalités internes sont aussi importantes que les inégalités externes.
La liste est longue, composée également de besoins que d’aucuns pourraient juger futiles ou accessoires. Permettez-moi de rappeler que nos concitoyens aimeraient avoir des abonnements internet et téléphoniques à des prix aussi décents que ceux qu’ils voient dans les publicités télévisées. Ils aimeraient aussi avoir accès à des billets d’avions à des tarifs abordables pour rejoindre l’Hexagone et les autres outre-mer. Pour aller de Guyane en Martinique ou en Guadeloupe, il faut parfois dépenser 700 euros dans un billet d’avion. À la lecture de ce projet de loi, force est de constater que les mesures proposées à ce stade ne permettront pas à nos concitoyens d’atteindre l’égalité réelle sur ces problématiques très précises.
Les mesures sociales doivent être densifiées. Des mesures économiques, sanitaires, environnementales et sécuritaires apparaissent indispensables. Vous avez indiqué, madame la ministre, que la coopération régionale, la culture et l’environnement pourraient faire l’objet de nouveaux titres. Sur l’environnement, j’ai des amendements prêts et quasiment déposés. Il faudrait y travailler ainsi que sur la culture.
J’aimerais aussi revenir sur l’évaluation, un sujet sur lequel j’ai commis un rapport avec Ibrahim Aboubacar et d’autres collègues. Nous y avons rappelé que l’évaluation des politiques publiques commence à prendre corps en France, même si elle chemine lentement. Il s’agit d’un enjeu important pour nous tous. Comme les points de convergence vont être territorialisés, chacun va proposer une stratégie et des objectifs. Sans données fiables et indicateurs très concrets, on ne pourra pas évaluer ces politiques publiques.
Dans un communiqué publié hier, France Stratégie rappelle la manière d’évaluer l’impact des politiques publiques sur nos territoires, évoquant une entité indépendante et des experts. « Encore faut-il pour cela disposer d’informations précises qui permettront d’arbitrer en faveur des solutions produisant les meilleurs résultats », indique le communiqué. Il est donc nécessaire de disposer d’une méthode et de données en amont. Nous pourrions nous inspirer du guide édité par France Stratégie pour faire des propositions concrètes concernant l’article 8 et de vraies mesures d’évaluations. Nous devons en effet nous interroger sur nos objectifs et les moyens employés pour y parvenir. Les mesures prises sont-elles les bonnes ? Il s’agit de moyens financiers mais aussi d’adaptation au territoire.
Nous partageons le constat d’échec évoqué par Maina Sage. Il me semble que les échecs sont surtout dus à des choix qui n’étaient pas adaptés à nos réalités géographiques et culturelles, à notre environnement, à nos particularismes. Avec une bonne évaluation, peut-être coproduirons-nous une loi ouvrant le chemin vers l’égalité réelle souhaitée par ceux qui nous ont précédés en 1946. Nos concitoyens l’exigent de nous aujourd’hui.
M. Boinali Said. Au regard de la présentation de ce texte et de ses effets escomptés, ces notions de convergence et de contrat me permettent d’espérer qu’à terme, dans une génération, nous voyions aboutir ces questions liées à l’égalité.
L’égalité pourrait aussi se construire à partir de ce qu’on appelle un changement de paradigme, de modèle, en intégrant la dimension régionale. Mais au vu des complexités de nos territoires et des retards structurels accumulés, je pense que la problématique de l’égalité tend aussi à la réduction des inégalités internes et à une réflexion plus approfondie autour des schémas économiques, des interactions entre les économies informelles et formelles. Quelle est la place de la transition vers l’économie formelle puisque la plupart de nos communes et régions sont traversées par ces activités informelles ?
M. Gabriel Serville. C’est avec un réel plaisir que j’accueille l’analyse de ce nouveau texte qui permet de porter un regard particulier et positivement différencié sur les outre-mer et sur l’impérieuse nécessité de tendre vers l’égalité réelle.
Madame la ministre, vous avez pris le temps de récapituler les nombreuses avancées obtenues par les outre-mer, suivant les trente engagements du Président de la République. Nous ne pouvons qu’en être satisfaits. Néanmoins, si beaucoup a été fait, on ne peut nier que beaucoup reste à réaliser. On pourrait s’interroger sur la sémantique utilisée et sur la notion d’égalité réelle, comme si nous étions confrontés à une autre forme d’égalité que celle qui est si chère à la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. Notre collègue Victorin Lurel n’a-t-il pas évoqué une quasi-égalité après soixante-dix ans de départementalisation ?
En réalité, je considère qu'il ne saurait y avoir d’égalité réelle sans une profonde compréhension de nos vérités fondamentales et, comme l’a rappelé notre collègue Chantal Berthelot, sans une relation de respect mutuel. À titre d’exemple, l’absence d’égalité a transpiré à travers le rejet de tous les amendements que j’ai présentés lors des discussions sur la loi réformant le droit d’asile. Conséquence : à ce jour, pas moins de 6 000 migrants ont été recensés en Guyane pour une population d’environ 250 000 personnes. Lorsque l’on recense 10 000 migrants dans l’Hexagone peuplé de 67 millions d’habitants, cela donne des sueurs froides à la République. Cet exemple montre bien qu’il y a deux poids, deux mesures.
Le chantier est vaste et nous nous y attellerons avec la plus grande détermination, sans faillir. En revanche, conformément à mes déclarations relatives au pacte d’avenir de la Guyane, je pense que des questions profondes subsistent quant aux traductions budgétaires et financières dont fera l’objet ce projet de loi. La procédure accélérée et le temps imparti, juste avant les prochaines élections, me laissent perplexes. C’est pourquoi je souhaiterais avoir des précisions sur les moyens réellement déployés pour garantir la mise en œuvre des quelques dispositions contenues dans ce projet de loi. Ce dernier ne répond pas véritablement à toutes nos attentes, mais si nous pouvions avoir quelques garanties et assurances sur le plan des moyens, nous pourrions rassurer les populations concernées.
Mme la ministre. Mesdames et Messieurs les députés, il est nécessaire de reposer les choses. Le Gouvernement est très fier de porter le sujet de l’égalité réelle, soixante-dix ans après la départementalisation. Si nous avions manqué ce rendez-vous, nous n’aurions pas eu de débat, pas eu non plus le courage de regarder les choses en face et nous n’aurions pas développé l’ambition de nous projeter dans le futur. En vous écoutant les uns et les autres, je n’ai pas peur de comparer notre projet pour l’égalité réelle avec celui de la départementalisation en 1946. Vos interventions montrent bien que nous nous trouvons à un rendez-vous important, car nous souhaitons construire l’avenir selon un modèle, une vision et une transparence nouveaux et sur un lien différent entre l’Hexagone et les territoires ultramarins. On écrit une nouvelle page en utilisant la méthode de la co-construction. Le texte de 1946 comprenait quatre articles, mais l’important ne réside pas dans la longueur d’un texte : il est dans le sens de notre combat politique et dans l’ambition que nous portons pour nos territoires. Saisir ces enjeux nécessite de bien connaître ces régions ; dans le cas contraire, on se laisse aller à des polémiques politiciennes et on n’écoute pas les arguments de l’autre.
C’est vrai, le temps est contraint. Le Gouvernement fait le pari d’effectuer le travail législatif en quatre mois ; cela ne sera pas simple, mais nous ne voulons pas manquer l’occasion de travailler au service de l’égalité réelle dans un esprit de co-construction avec le Parlement.
On ne peut pas dresser un constat d’échec global des soixante-dix dernières années. En effet, nos grands-parents n’ont pas connu l’école, nos parents y sont allés et ma génération a accédé à l’université. Il s’agit là du déploiement, pendant trois générations, d’un projet qui reposait sur la stratégie du rattrapage. Nous proposons d’écrire le futur en remplaçant cette stratégie par la dynamique de la convergence. On a construit imparfaitement des territoires depuis soixante-dix ans, peut-être à cause d’une volonté de mimétisme que nous écartons aujourd’hui, les enjeux et notre ambition ayant évolué.
Ce texte aussi est imparfait, car on ne peut pas arriver à un résultat sans défaut en aussi peu de temps, mais l’enjeu est grand et nous devons honorer ce rendez-vous. Ministre, j’ai souhaité la co-construction, parce que nous avons collectivement la responsabilité d’accomplir la première étape de l’égalité réelle. Il ne s’agit que d’un premier pas, ce texte devant servir de socle à des approfondissements futurs dans l’économie ou l’éducation. Ce travail nous oblige les uns et les autres, et je suis très fière et heureuse de participer avec vous à cette entreprise ; les gens nous attendent et ont besoin de disposer de nouveaux projets et d’une gouvernance renouvelée, fondée sur des façons de faire et des pilotages inédits ; tel est le discours que j’ai tenu hier aux Assises du tourisme.
Madame Bello, je participerai aux travaux de l’Observatoire de la connectivité, mis en place par mes collègues MM. Matthias Fekl et Alain Vidalies, afin d’agir dans ce domaine. Le Gouvernement intervient dans le dossier des mobilités aériennes, car les dispositifs régionaux actuels s’avèrent trop inflationnistes. Il convient également d’aborder ce sujet sous l’angle de la transparence de la formation des prix et de la concurrence. Dans ces matières, nous devons conserver le souci du dialogue et de l’équilibre de nos territoires.
Monsieur Aboubacar, je partage votre volonté de développer une co-construction raisonnable et raisonnée.
J’ai participé aux travaux, présidés par Mme Chantal Berthelot, de la CNEPEOM, et il m’apparaît nécessaire de réfléchir aux moyens d’améliorer l’évaluation.
Nous soutenons la proposition de Mme Marie-Anne Chapdelaine de réformer le Conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinenges.
Nous voulons l’égalité, et la loi doit permettre d’adapter les dispositifs à ce que nous sommes, afin que les énergies puissent être libérées et que nous puissions tirer le meilleur parti de nos atouts. Comment pouvons-nous, en respectant le cadre législatif, atteindre cet objectif dans une République une et indivisible, mais diverse ?
Malgré la volonté de certains de l’attiser, il n’y a pas de polémique particulière sur les allocations familiales : leur obtention est soumise, y compris à Mayotte, aux conditions du droit commun, celles-ci comprenant la régularité du séjour sur le sol national.
Afin de sécuriser les populations, nous avons déployé un plan sécurité en Guyane et à Mayotte et lui avons affecté des moyens élevés.
Nous devons intensifier notre effort en matière de prévention, la reconstruction de la cohésion et du lien sociaux exigeant de renforcer le tissu associatif.
Enfin, il nous faut développer des projets de coopération avec les territoires ultra-marins : cela se révèle parfois compliqué, mais nous continuons à avancer dans ce domaine.
M. le président Dominique Raimbourg. Nous vous remercions, madame la ministre, de vos réponses. Je remercie également Mme la rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales, M. le rapporteur, M. le président de la Délégation aux outre-mer, ainsi que l’ensemble des intervenants pour leur participation active à cette réunion.
La réunion s’achève à dix-huit heures cinquante-cinq.
——fpfp——
Information relative à la Commission
La Commission a désigné M. Daniel Gibbes co-rapporteur sur la mise en application de la loi qui serait issue de l’adoption du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (n° 4000).
Présents. - M. Ibrahim Aboubacar, Mme Huguette Bello, M. Erwann Binet, M. Jean-Yves Caullet, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. René Dosière, M. Olivier Dussopt, M. Philippe Houillon, M. Guillaume Larrivé, M. Victorin Lurel, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, Mme Maina Sage, Mme Paola Zanetti
Excusés. - M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Guy Geoffroy, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, Mme Françoise Guégot, Mme Marietta Karamanli, Mme Sandrine Mazetier, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Jean-Luc Warsmann
Assistaient également à la réunion. - Mme Chantal Berthelot, M. Stéphane Claireaux, M. Jean-Claude Fruteau, Mme Sonia Lagarde, Mme Monique Orphé, M. Napole Polutélé, M. Boinali Said, M. Gabriel Serville