COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER
LE PROJET DE LOI « ÉGALITÉ ET CITOYENNETÉ »
Mercredi 8 juin 2016
La séance est ouverte à seize heures trente.
(Présidence de Mme Annick Lepetit, présidente de la Commission spéciale)
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La Commission spéciale procède à l’audition de M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.
Mme la présidente Annick Lepetit. Après avoir abordé ce matin avec Mme Ericka Bareigts les questions relatives au titre III du projet de loi Égalité et citoyenneté, nous sommes ravis de vous accueillir, monsieur le ministre de la ville, pour en évoquer le titre Ier.
Notre commission a décidé d’entamer ses travaux en organisant une table ronde réunissant une dizaine d’associations et de groupes représentatifs de la jeunesse ; nous avons, à cette occasion, eu le plaisir de constater qu’il existe un réel besoin d’engagement républicain parmi les jeunes. Il nous faut donc réfléchir aux différentes formes que peut prendre cet engagement, et envisager comment y inclure toutes les composantes de la jeunesse qui aspirent à être encouragées et reconnues, mais aussi comment transmettre les valeurs de la République par des actions concrètes et des bonnes pratiques qui nous permettront de traduire « en actes » les recommandations émises lors des différents comités interministériels à l’égalité et à la citoyenneté (CIEC).
M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Je tiens avant toute chose à remercier les rapporteurs pour le travail entrepris ensemble depuis plusieurs semaines. Vous avez déjà auditionné deux autres membres du Gouvernement ; vous me pardonnerez donc d’éventuelles redites – qui vaudront toujours mieux que des contradictions.
J’évoquerai principalement le titre Ier du projet de loi, mais aussi le titre III, par exemple la place des conseils citoyens dans notre future démocratie participative.
Un mot, tout d’abord, du contexte et des motivations qui ont conduit le Gouvernement à vous présenter ce texte : l’année 2015 nous a rappelé que la République a besoin de se vivre au quotidien, d’être incarnée, et qu’elle recule parfois face aux intégrismes et aux idéologies populistes ou encore faute de tenir sa promesse de manière suffisamment explicite. Si la République est une immense ambition, encore faut-il lui donner corps davantage. Comme toutes les constructions humaines, la République est vulnérable ; il nous appartient de ne jamais cesser de lui donner du souffle et de la réinventer en fonction de son environnement.
Ce texte est une pierre à l’édifice. « Ne te crois point si important que les autres te paraissent insignifiants », disait Confucius : je souhaite que l’examen parlementaire de ce projet de loi soit très ambitieux. C’est la ligne de conduite que je suis dans les échanges interministériels comme dans mon dialogue avec le rapporteur général et les rapporteurs thématiques.
C’est aussi pour cette raison qu’avec mes collègues Emmanuelle Cosse et Ericka Bareigts, nous avons lancé – comme Axelle Lemaire l’avait déjà fait pour le texte qu’elle défend – une consultation numérique qui a rassemblé plus de 40 000 visiteurs et donné lieu à 800 contributions. Ses conclusions viennent d’être remises aux rapporteurs ; elles constituent un apport utile. Sachons tirer parti de cette expérimentation.
J’entends parfois dire que ce projet de loi serait composite. Je crois, au contraire, qu’il a sa cohérence en ce qu’il vise à faire vivre les valeurs de la République. Il concerne tous les Français, où qu’ils vivent, d’où qu’ils viennent et quelle que soit leur condition, parce qu’il touche aux réalités les plus concrètes : l’accès au logement, le parcours d’autonomie des jeunes, la lutte contre les discriminations, l’engagement au service des autres. Chacun, dans toute sa singularité, est donc concerné.
Il encourage, tout d’abord, l’engagement citoyen. Nous devons créer une culture de l’engagement au point qu’il devienne une seconde nature pour tous nos concitoyens. Songez que 23 millions de Français adhèrent à une association et 16 millions d’entre eux sont des bénévoles, dont trois quarts à titre régulier – autrement dit, ce sont des bénévoles militants. Pourtant, le rapport d’enquête de Mme Françoise Dumas a révélé les freins encore trop nombreux qui entravent l’engagement des actifs. C’est pourquoi nous allons instituer un congé d’engagement fractionnable de six jours pour tous les salariés. Je vous présenterai à ce sujet un amendement visant à étendre le champ des bénévoles concernés sur le modèle de ce qui est proposé dans le projet de loi « Travail » à propos du compte d’engagement citoyen. L’objectif est d’englober le plus grand nombre de personnes, y compris les encadrants de bénévoles et les membres des conseils citoyens. Ces mesures prolongent l’ordonnance de simplification du régime des associations, présentée en juillet et que je vous proposerai de ratifier.
Plusieurs d’entre vous m’ont déjà fait part de leur volonté de travailler sur la définition de l’intérêt général associatif ou encore sur les fonds associatifs en déshérence. J’examinerai avec intérêt vos propositions d’amendement, en particulier sur la notion d’intérêt général au sujet de laquelle j’ai récemment reçu un rapport très complet et intéressant du Haut Conseil à la vie associative (HCVA).
Ensuite, ce texte crée la réserve citoyenne. Les crises majeures que nous venons de vivre nous rappellent que nombreux sont nos concitoyens qui veulent être utiles. Il nous faut examiner comment mieux organiser cette volonté spontanée de servir les personnes qui se trouvent dans la difficulté – dont les récentes inondations nous ont donné l’illustration. C’est pourquoi nous souhaitons que la réserve citoyenne existe sous diverses formes, afin que chacun puisse occasionnellement se mettre au service de l’intérêt général et contribuer à faire vivre les valeurs de la République, notamment la solidarité. Cette proposition figurait dans le rapport présenté par Claude Bartolone en 2015.
De même, nous allons donner un nouvel élan au service civique. Nombreux sont les parlementaires qui, depuis 2010 et même plus tôt, se sont impliqués dans ce dispositif dont l’initiateur, Martin Hirsch, suit l’évolution avec beaucoup d’attention. Le Président de la République a fixé un objectif extrêmement ambitieux : le service civique fondé sur le volontariat devrait concerner une demi-classe d’âge, soit 350 000 jeunes, dès 2018. Nous devons réussir la montée en charge de cette mesure sans mettre en cause ni les missions du service citoyen, ni sa différence avec l’emploi. Je refuse, en effet, de sacrifier le service civique sur l’autel de la quantité. Je souhaite donc que nous examinions les amendements au texte à la lumière de ces deux exigences, et je proposerai moi-même un amendement rappelant que le service civique n’est pas un substitutif à l’emploi.
Le projet de loi prévoit aussi de compléter les structures pouvant être agréées afin d’enrichir le nombre des missions pour lesquelles les personnes morales de droit public déjà agréées peuvent mettre des jeunes à disposition auprès d’autres structures de droit public qui, non agréées, satisfont néanmoins aux conditions d’agrément. Ce montage permet d’élargir le spectre du service civique à un vivier très large, que constituent notamment les centres de secours des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS).
Je vous proposerai par voie d’amendement de créer une carte du service civique, à l’image de la carte d’étudiant des métiers créée par la loi de 2011 pour le développement de l’alternance, qui donne droit aux mêmes avantages que ceux dont bénéficient les étudiants.
Je saisis cette occasion pour vous annoncer que le conseil des ministres a décidé ce matin même, sur proposition du Premier ministre, d’agréer la nomination de M. Yannick Blanc, au poste de Haut-Commissaire à l’engagement, à la place de M. François Chérèque, qui a dû démissionner pour de graves raisons de santé et à qui je fais part de mon amitié – que je sais partagée par bon nombre d’entre vous. Souhaitons bon vent à M. Blanc, ancien préfet du Val-d’Oise et président de la Fonda.
Le projet de loi consacre également la reconnaissance de l’engagement étudiant, laquelle existe déjà dans certains établissements – je pense à l’Université de Nancy, par exemple. Nous souhaitons l’étendre à toutes les formations supérieures. Conformément à la proposition du Président de la République et comme l’a préconisé M. Jean-Pierre Allossery dans son rapport sur les crédits de la vie associative, l’engagement des étudiants sera valorisé dans leurs diplômes. La question de la valorisation de l’engagement dans le secondaire demeure ouverte : j’espère que ce débat aura lieu, même si je connais les préventions qu’il suscite. L’article 15 du projet de loi permet aux mineurs de seize ans et plus de devenir directeur de publication. Plusieurs d’entre vous souhaitent, en outre, que les mineurs âgés d’au moins seize ans puissent créer, gérer et animer une association sans autorisation parentale. Il me semblerait donc incohérent d’élargir le droit de constituer une association aux mineurs de seize ans sans permettre la valorisation de l’engagement dans son parcours lycéen.
Après l’engagement, j’en viens à la question de l’autonomie des jeunes. Près de 8 millions de Français ont entre quinze et vingt-cinq ans. Notre démographie positive est une formidable richesse qui nous sera très utile dans les années à venir, même si elle constitue aujourd’hui un défi à relever. Le Président de la République a fait de notre jeunesse sa priorité. Ce n’est pas qu’un slogan : je pourrais énumérer toutes les mesures prises en la matière depuis le début du quinquennat. Cette priorité produit ses résultats : le chômage des jeunes a baissé de plus de 6 % en un an, pour revenir à son niveau de mai 2014. C’est une bonne nouvelle, et nous devons continuer d’avancer en ce sens. Un taux de chômage des jeunes non scolarisés dans le secondaire et le supérieur qui s’établit à plus de 20 % n’est pas acceptable dans un pays qui place la jeunesse au cœur de ses priorités politiques.
Le 11 avril dernier, le Premier ministre a annoncé des mesures complémentaires en direction des jeunes. Nous les traduisons dans le projet de loi « Travail » de Myriam El Khomri, par la création de l’allocation de recherche du premier emploi destinée aux jeunes diplômés boursiers, mais aussi par la généralisation et l’accompagnement renforcé de la garantie jeunes, dont les directeurs de missions locales se félicitent et qui est un formidable succès ; elle concerne 50 000 jeunes cette année et en touchera 200 000 dans les deux ans.
Dans le présent texte, nous vous proposerons des amendements visant à consolider l’accès à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) pour les jeunes se trouvant en situation de rupture familiale. S’agissant de la question prégnante de l’accès au logement pour les jeunes, le Premier ministre a annoncé le 11 avril, devant les organisations de jeunesse, une mesure de garantie des loyers destinée aux jeunes de moins de trente ans, qui sera prise par voie réglementaire et entrera en vigueur dès la rentrée prochaine. Ces mesures s’ajouteront à celles qui figurent déjà dans le texte, qui visent notamment à renforcer le pilotage de l’information des jeunes en en confiant le chef de filât aux régions, c’est-à-dire un rôle de coordination de l’action des collectivités, et non une compétence exclusive.
L’information est souvent le nœud du problème. De nombreux dispositifs existent, qui sont parfois inconnus, et souvent méconnus des jeunes issus de milieux défavorisés. Je vous annonce que nous créerons à la rentrée une boussole des droits qui sera mise en ligne afin que les jeunes puissent, sur un portail unique, accéder à l’ensemble des informations relatives à leurs droits au niveau national et local. Chaque jeune âgé de seize à vingt-trois ans pourra bénéficier d’une information individualisée sur ses droits en matière de couverture santé, de prévention voire d’examens gratuits de santé. Les capacités de la médecine scolaire sont un problème ancien. J’ai autrefois souhaité que cette compétence soit transférée aux départements et, en le rappelant, je suis conscient d’ouvrir une boîte de Pandore ; il me semblait souhaitable, en effet, de créer des blocs de compétences cohérents.
Je défends depuis plusieurs mois un certain nombre de mesures en matière d’accès au logement. L’article 20 du projet de loi vise à établir un meilleur équilibre dans l’occupation du parc social en favorisant l’accès des ménages les plus pauvres aux secteurs situés hors des 1 500 quartiers prioritaires de la politique de la ville qui existent en France métropolitaine et ultramarine. Il sera ainsi mis fin à la pratique de la préférence communale. À l’article 26, nous accorderons aux bailleurs sociaux une plus grande liberté dans la fixation des loyers des logements sociaux, à condition qu’ils satisfassent aux objectifs de mixité sociale et de réorganisation des loyers sans augmentation de la masse globale des loyers plafond – je sais que vous avez eu un débat technique approfondi avec Emmanuelle Cosse sur ce point. Enfin, les articles 31 et 32 permettront de mieux appliquer la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), qui est encore contournée. J’ai récemment constaté dans les Alpes-Maritimes à quel point certaines municipalités sont loin de répondre à leurs obligations. Or porter l’écharpe tricolore donne des droits, mais surtout un devoir : celui de respecter la loi de la République.
Dernier sujet, enfin : l’égalité réelle – une belle exigence. À la fragmentation de notre société, si visible depuis 2015, nous voulons répondre par l’engagement et par la possibilité pour chaque jeune d’où qu’il vienne de former son destin. Il faut aussi que chacun, sans distinction aucune, se sente une composante de la République à l’égal de tous. C’est l’objectif du titre III auquel, en tant que ministre de la ville et de la jeunesse, je suis particulièrement attentif. En 2015, vous avez créé les conseils citoyens par la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite « loi Lamy ». Aujourd’hui, nous les renforçons en leur donnant un véritable droit d’interpellation du préfet en vue, le cas échéant, de procéder à une adaptation du contrat de ville, à laquelle je suis favorable. Suite au comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté, je vous annonce que ma collègue Hélène Geoffroy et moi-même avons obtenu une enveloppe de 7 millions d’euros pour la formation des membres des conseils citoyens. J’ai aussi souhaité que ceux-ci puissent bénéficier d’un congé d’engagement, qui vous sera proposé par voie d’amendement.
Nous renforçons ainsi notre arsenal de lutte contre les discriminations, le racisme, l’antisémitisme et tout ce qui, subrepticement ou bruyamment, altère chaque jour davantage le lien social. Dans le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, vous avez créé l’action de groupe contre les discriminations, à laquelle votre rapporteur général, Razzy Hammadi, a largement contribué. Nous allons plus loin encore avec ce texte en généralisant la circonstance aggravante de racisme, d’antisémitisme, d’homophobie, afin notamment d’améliorer la répression du délit de provocation et d’injure raciste ou discriminatoire par le renforcement des peines encourues. Un chiffre suffira à vous convaincre : en 2014, seules 221 condamnations ont été prononcées, alors qu’il suffit de parcourir les réseaux sociaux pour dénombrer des centaines de provocations, voire davantage, qui mériteraient tout autant de sévérité. En ce domaine plus qu’en tout autre, nous avons un devoir d’efficacité. De nombreux amendements à ces dispositions seront présentés ; je proposerai, par exemple, de renforcer l’intégration des sportifs handicapés, qui subissent hélas ! une autre forme de discrimination.
Avec vos rapporteurs, je me fixe l’objectif d’être le garant – peut-être mon parcours le justifie-t-il – de la cohérence de ce texte. Nous ne pourrons pas tout faire, mais nous ferons beaucoup. Je ne méconnais pas le calendrier et je sais que de nombreux débats ont déjà eu lieu à l’occasion de précédents projets de loi. Je n’en demeure pas moins ambitieux quant à l’examen parlementaire qui s’annonce, et j’aurai le plaisir d’être à vos côtés, la semaine prochaine, pour enrichir encore ce beau projet de loi qui, in fine, sera notre œuvre commune pour une République ferme, généreuse, « en actes ».
M. Yves Blein. Trois questions relevant du titre Ier ont particulièrement retenu l’attention des députés du groupe socialiste, écologiste et républicain. La première a trait au soutien à l’engagement au sens large – celui de la jeunesse, mais aussi au-delà –, sur lequel le rapport rendu par Claude Bartolone au début 2015 proposait plusieurs mesures. Or la question de l’engagement est l’une de celles qui constituent la colonne vertébrale de ce texte.
Nous nous sommes interrogés sur la définition de l’intérêt général. C’est une question qui concerne l’ensemble du monde associatif qui, parce que les ressources que lui accorde la puissance publique ont diminué, doit élargir ses sources de revenus et, pour ce faire, se tourne naturellement vers les dons d’entreprises ou de personnes privées. Or la notion d’intérêt général étant la grille de lecture qu’utilisent les services fiscaux, il est sans doute opportun de la revoir dans son ensemble, et non seulement à travers la lunette fiscale. Ainsi, la définition de l’intérêt général – qui pourrait figurer dans le présent texte – permettrait de tenir davantage compte de l’objet même des associations visées.
La question du soutien à l’engagement renvoie à celle des moyens alloués au mouvement associatif dans son ensemble. À ce titre, nous reviendrons sur les biens en déshérence et les biens mal acquis. Elle renvoie aussi à celle des personnes susceptibles de diriger une association. De ce point de vue, nous sommes favorables à votre proposition d’étendre cette possibilité aux mineurs de plus de seize ans.
Si l’on veut encourager la jeunesse à s’engager davantage, encore faut-il lui donner des droits nouveaux. Nous sommes tous conscients des difficultés que les jeunes rencontrent pour se déplacer, par exemple. Les voyages forment la jeunesse, dit-on, mais il est aujourd’hui bien difficile de réunir les moyens nécessaires pour parcourir l’Europe, a fortiori le monde. Nous souhaiterons donc aborder avec vous la mobilité sous tous ses aspects, y compris le permis de conduire.
De même, nous aurons à débattre d’autres droits : l’accès à la CMU-C, l’accès au logement, l’accès aux stages à différents niveaux de formation.
Quelques mots, enfin, sur le service civique : nous ne manquons pas de jeunes volontaires, mais de missions. Il faut donc mobiliser l’ensemble de la sphère publique – puisque 80 % des missions de service civique sont actuellement proposées par le monde associatif et les collectivités locales, même si les administrations d’État leur emboîtent progressivement le pas. Les collectivités locales sont encore trop peu impliquées dans ce dispositif ; il faut encourager ce mouvement si nous voulons atteindre l’objectif de 350 000 jeunes concernés. Sans doute faudra-t-il aussi assouplir le cadre du service civique pour en faire bénéficier des jeunes dont les missions ne correspondent pas strictement à certains critères tels que celui des 24 heures hebdomadaires d’engagement. De même, nous aurons à travailler sur la question du statut du dirigeant associatif.
M. Xavier Breton. S’agissant du titre Ier du projet de loi, je commencerai par évoquer les travaux de la mission de réflexion sur l’engagement citoyen et le sentiment d’appartenance à la nation qui a donné lieu au rapport du président Bartolone : plusieurs de ses préconisations n’ont pas été reprises dans le projet de loi, concernant par exemple l’évolution de la journée défense et citoyenneté (JDC), dont le format actuel d’une journée n’est pas suffisant. Certains amendements proposant d’en porter la durée à trois jours sont en préparation : avez-vous exploré cette piste intéressante ?
De même, l’une des propositions phares du rapport précité consistait à instaurer le vote obligatoire. Cette idée a-t-elle suscité un débat, voire un arbitrage du Gouvernement, dans le contexte d’abstentionnisme que nous constatons élection après élection ?
M. Jean-Pierre Allossery. Depuis quelques années, le débat sur la création d’une culture de l’engagement parmi les jeunes traverse de nombreuses organisations. Il était au cœur du rapport thématique que j’ai rendu dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015 sur la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». Plusieurs constats y étaient dressés : tout d’abord, il n’existe pas de crise de l’engagement chez les jeunes, mais plutôt une mutation des formes de leur engagement. Ensuite, le besoin qu’ont les jeunes de s’engager se réalise dans des actions concrètes, collectives et ponctuelles. De plus, l’engagement dans la vie de la cité semble être un espace qu’ils privilégient. Enfin, lors du premier forum européen des jeunes engagés, qui s’est tenu en août 2014 à Poitiers, les jeunes ont largement évoqué la crise sévère qui existe entre eux, les partis politiques et les dirigeants de formes diverses.
Le projet de loi nous offre l’occasion d’instaurer de nouvelles formes de démocratie participative, particulièrement avec les jeunes. Force est de constater que les liens entre jeunes citoyens, élus et institutions publiques sont de plus en plus distendus. Si nous ne revoyons pas nos processus de participation et de décision collective, je crains que nous n’échappions à l’engagement citoyen qui est exigé de chacun d’entre nous dans le cadre de notre pacte citoyen.
Les conseils d’enfants et de jeunes, dont l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes (ANACEJ) est la tête de réseau à l’échelle nationale, permettent un dialogue entre les jeunes et les élus locaux. Ces actions locales ont produit de réels impacts positifs sur les personnes, les décisions et les territoires. Ces conseils constituent donc une première réponse concrète à la participation des jeunes à la vie publique, qu’il convient de renforcer par l’instauration de dialogues structurés autour des politiques de jeunesse. Ainsi, l’ensemble des collectivités, sous la responsabilité de l’État, pourraient par exemple nouer un nouveau dialogue structuré avec les jeunes représentant la société civile et les pouvoirs publics dans le cadre des conférences territoriales de l’action publique. Concrètement, il s’agit de mettre en place un processus ouvert de participation à la décision publique entre les jeunes et les décideurs.
Ce copilotage entre société civile et pouvoirs publics peut également servir à lever les freins actuels à l’engagement. Chacun peut intervenir à sa manière, selon ses disponibilités, n’importe où sur le territoire. Promue par l’Union européenne et proposée par les soixante-quinze têtes de réseau du Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire (CNAJEP), cette méthode prolongerait également la spécificité du présent projet de loi ; une consultation numérique a d’ailleurs été organisée afin que les citoyens et les associations puissent exprimer leur avis. Que pensez-vous de cette proposition de dialogue structuré, monsieur le ministre ?
Mme Valérie Corre, rapporteure thématique. Vous avez raison, Monsieur le ministre : ce projet de loi est important et va dans le bon sens, comme nous l’ont prouvé les nombreuses auditions que nous avons conduites. Cependant, il est sans doute encore possible de l’améliorer ; c’est la mission que je me suis donnée en ma qualité de rapporteure sur le Titre Ier.
Pour ouvrir le champ des possibles, je commencerai par noter que ce texte vise à favoriser l’engagement, en particulier parmi les jeunes, mais qu’il ne comporte aucune disposition concernant les élus et les institutions. Certes, les questions relatives au cumul, à l’âge des candidatures ou encore au vote obligatoire n’ont peut-être pas toute leur place dans ce texte, mais on ne saurait les omettre dès lors qu’il est question d’engagement citoyen.
Ce projet de loi envoie aux jeunes un message positif de confiance et de détermination à les accompagner davantage dans leur engagement et dans leur accès à l’information. Plusieurs questions restent néanmoins en suspens.
Pour encourager et reconnaître l’engagement sans pour autant le rendre obligatoire, il faut en effet, monsieur le ministre, développer une culture de l’engagement et trouver un juste équilibre entre incitation et contrainte – étant entendu qu’un engagement ne saurait par définition être obligatoire. Partagez-vous cette analyse ?
De même, s’il faut encourager le dialogue, la consultation et la coconstruction, ce sont là des processus qui ne se décrètent pas ; je préfère, là encore, l’incitation à l’obligation.
Se pose aussi la question de l’accès aux droits et, avant elle, celle de l’accès à l’information. Je me réjouis de la création d’une boussole des droits ; son lancement devra s’accompagner d’une grande campagne d’information des jeunes. Qui sera chargé de la mise à jour du portail afin qu’il évolue au quotidien ?
Toujours en matière d’information des jeunes, vous avez précisé, monsieur le ministre, que le chef de filât accordé aux régions constituera une compétence de coordination. Jusqu’où s’étendra-t-elle ? Les régions pourront-elles imposer un schéma prescriptif ou bien les seuls échanges informels en conférence territoriale de l’action publique (CTAP) suffiront-ils ? De même, jugez-vous indispensable – pour ma part, je ne le crois pas – de rendre obligatoires les conseils consultatifs de jeunes ?
Quel sera l’échelon le plus pertinent de gouvernance locale du service civique ?
Sur le sujet de la prémajorité associative, je défendrai des amendements précis.
L’article 19 prévoit de réserver des places aux bacheliers méritants, en particulier les boursiers, dans les filières non sélectives. Nous sommes plusieurs à nous interroger, avec les mouvements de jeunesse, sur cette disposition : j’en conçois l’intérêt, mais je m’interroge sur l’opportunité de la maintenir en l’état, car nous avons sans doute péché par manque de pédagogie autour de cet article.
M. Julien Dive. Je constate que les dispositions du titre III en matière d’insertion professionnelle consistent principalement à favoriser l’accès aux concours de la fonction publique. Je regrette que l’entrepreneuriat soit oublié, et je déposerai des amendements pour y remédier. Devenir fonctionnaire n’est pas l’unique avenir de tous les jeunes : au-delà de l’égal accès aux emplois publics, c’est l’égal accès à l’emploi tout court que nous devons soutenir. D’un côté, la France forme de jeunes talents qui s’expatrient au Royaume-Uni ou au Québec, par exemple dans le secteur du numérique, et elle dispose d’excellentes écoles sans pour autant parvenir à retenir ses diplômés ; d’un autre côté, de nombreux jeunes sans diplômes, qui ne sont pas toujours adaptés aux études supérieures, ne manquent pourtant pas d’audace, mais nous ne leur donnons pas les moyens de s’affranchir du déterminisme social. Aider chaque jeune à devenir entrepreneur, c’est favoriser ceux qui ont des idées avant d’avoir des ressources ; leur donner les capacités d’entreprendre, c’est s’assurer d’une insertion réussie et d’un dynamisme pour la France. Le Gouvernement est-il prêt, monsieur le ministre, à accueillir dans ce texte sur la jeunesse de telles dispositions permettant de favoriser la création d’entreprises pour tous les jeunes ?
Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure thématique. Je me réjouis d’emblée de l’annonce que vient de nous faire M. le ministre au sujet des 7 millions d’euros alloués à la formation des membres des conseils citoyens : dans ces conditions, certains amendements pourront sans doute trouver un écho positif.
Lorsque nous les avons interrogés sur les dispositions relatives à la diversité des recrutements, les représentants de la chambre des métiers nous ont signalé une forme de discrimination touchant les apprentis en matière d’accès aux œuvres universitaires, en particulier les restaurants universitaires. Or leur permettre d’y accéder – particulièrement s’ils exercent non loin d’une cité universitaire – présente non seulement des avantages en termes de mixité, mais leur donne aussi la possibilité de déjeuner correctement à un prix modeste. Cette question peut-elle être résolue ?
Par ailleurs, la mise à la disposition d’autres personnes morales d’engagés de service civique pourrait-elle bénéficier à des associations ? Des collectivités territoriales pourraient ainsi accepter de recruter des jeunes en service civique pour les mettre à disposition d’associations, en contrepartie de quoi le reliquat de 100 euros leur échoirait.
Enfin, comme ma collègue rapporteure thématique vient de le faire, je salue l’esprit de cette loi qui rendra notre jeunesse autonome. Notre jeunesse est notre avenir. Je remercie donc le Gouvernement de nous soumettre ce projet de loi, même si le Parlement ne manquera pas de l’enrichir.
M. Bernard Lesterlin. Je saisis cette occasion pour adresser, je le crois, en notre nom à tous, un cordial salut à François Chérèque, qui incarne l’image même d’un homme d’engagement, et pour souhaiter bon vent à son successeur, Yannick Blanc.
Ce projet de loi dessine enfin un véritable parcours d’engagement dans la citoyenneté : à l’école d’abord, avec le parcours citoyen à l’école, puis à l’adolescence et pendant la jeunesse avec les différentes formes de service civique, enfin tout au long de la vie avec la réserve. La version initiale du projet intégrait cette notion de continuum en prévoyant un livret citoyen qui précise explicitement que le parcours citoyen à l’école constitue la première étape d’un parcours plus long. Cette disposition semble avoir disparu du texte : qu’en est-il ?
S’agissant de la journée défense et citoyenneté, elle fait partie des obligations du service national universel prévues dans le code du service national, mais chacun convient qu’elle ne donne pas satisfaction. Le Président de la République lui-même s’est interrogé sur son bien-fondé il y a un an, lors du cinquième anniversaire de l’adoption de la loi sur le service civique ; depuis, il a suggéré de la spécialiser et d’en étendre la durée ou de la répartir sur plusieurs journées, la première avant dix-sept ans, les deux autres avant les deux anniversaires suivants, par exemple. Qu’adviendra-t-il à la rentrée prochaine ?
Enfin, il me semble qu’il existe dans ce texte une confusion entre l’accès à l’engagement citoyen et au service civique des jeunes étrangers qui ont fait le choix de venir vivre en France – pour qui il était en effet nécessaire de préciser les choses – et l’accès de ceux qui, dans le cadre de la réciprocité, viennent réaliser leur propre engagement citoyen en France avant de regagner leur pays. Leur présence est le fruit d’accords réciproques – de coopération décentralisée, notamment – qui nous permettent d’envoyer de jeunes Français effectuer leur service civique dans les pays amis qui veulent bien les accueillir. Or le texte ne comprend aucune disposition relative à cette dimension internationale, alors que le statut du jeune étranger en engagement citoyen en France pose problème, puisqu’il touche soit au code du service national, soit au code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Une harmonisation est donc nécessaire.
Sur ces trois points, qui me semblent être des omissions, les travaux parlementaires permettront, je l’espère, d’améliorer le texte.
Mme Maud Olivier. Je me réjouis, monsieur le ministre, que vous ayez employé l’expression de « belle exigence d’égalité ». Permettez-moi de formuler à ce sujet quelques propositions. Je souhaite tout d’abord que les missions locales mettent en œuvre les objectifs d’égalité entre les femmes et les hommes afin de lutter contre les stéréotypes sexués et de favoriser la mixité des emplois. En effet, les jeunes femmes se heurtent à des obstacles spécifiques, que j’ai pu largement constater lorsque je présidais une mission locale.
Qui plus est, il convient de faire du sexisme une circonstance aggravante des crimes et délits au même titre que l’homophobie ou le racisme ; Mme Bareigts semble partager ce point de vue.
Ensuite, je propose d’ajouter la mise en œuvre de politiques d’égalité entre les femmes et les hommes aux compétences partagées des collectivités qui sont prévues dans le code général des collectivités territoriales, aux côtés du tourisme, de l’éducation populaire, du sport ou encore de la culture. L’égalité entre les femmes et les hommes y a toute sa place, or elle n’y a pas été inscrite par la loi NOTRe.
Le titre II s’intitule « Mixité sociale et égalité des chances dans l’habitat » : je regrette qu’il ne soit à aucun moment fait état du rôle utile que peut jouer l’habitant dans sa propre ville.
Enfin, l’Essonne a testé le curriculum vitae anonyme lorsque j’étais vice-présidente du conseil général, et cette expérience a produit des résultats très intéressants non seulement en matière de non-discrimination en fonction de l’origine et de la couleur de peau, mais aussi en matière d’égalité entre les femmes et les hommes : de nombreuses femmes ont ainsi pu surmonter ce premier obstacle pour obtenir un entretien, voire une embauche. Je suis consciente que ce débat est loin d’être tranché, mais il me semble utile de l’avoir.
M. Régis Juanico. Je commencerai par me réjouir de la création d’une boussole des droits : ce portail unique d’information de la jeunesse est une excellente idée, qui correspond à une proposition que Jean-Frédéric Poisson et moi-même avions formulée à la fin 2013 dans notre rapport sur la mobilité sociale des jeunes, où nous évoquions trois grands portails d’information, l’un sur la mobilité, l’autre sur l’orientation et le troisième sur l’accompagnement des jeunes peu ou pas qualifiés. De même, je me réjouis de la création
– suite, là encore, à l’une de nos propositions – d’un conseil d’orientation de la jeunesse, qui permettra de mieux associer les jeunes aux politiques qui les concernent directement.
L’article 14 porte sur la valorisation de l’engagement citoyen dans les formations supérieures. Nous réfléchissons parallèlement à un dispositif plus large de parcours citoyen comprenant tout à la fois le service civique et la journée défense et citoyenneté. Ce parcours citoyen englobe également les quatre parcours qui existent dans l’application FOLIOS de l’éducation nationale, et qui seront généralisés à la rentrée prochaine : parcours éducatif de santé, parcours d’avenir, parcours citoyen et parcours artistique et culturel. Il faudrait d’ailleurs que ce dispositif existe dès l’école élémentaire, car certaines responsabilités
– délégué de classe, conseil municipal des enfants, formations aux premiers secours – s’exercent très tôt et pourraient être répertoriées dans ce document. À seize ans, c’est le livret citoyen qui recense les différents engagements des jeunes. Après seize ans, le projet de loi « Travail » prévoit un compte d’engagement citoyen assortis de droits dans le cadre du compte personnel d’activité. Ne peut-on pas envisager d’unifier ces différents outils dans un même dispositif, par exemple un livret citoyen numérique qui permettrait de mieux valoriser l’engagement dès l’école, pendant la jeunesse puis tout au long de la vie ?
Enfin, monsieur le ministre, vous avez évoqué la question des comptes bancaires associatifs en déshérence. Depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2014 relative aux comptes bancaires inactifs, dite « loi Eckert », les banques ont l’obligation de répertorier les comptes en déshérence et d’en publier les encours. À l’issue d’un délai de trente ans d’inactivité, ces sommes sont acquises à l’État. Or il y a parmi ces comptes inactifs près d’un million de comptes associatifs sur 2,4 millions de comptes associatifs recensés, sachant qu’il existe environ 1,4 million d’associations actives. Un récent rapport de la Cour des comptes estime que les comptes inactifs des personnes physiques contiennent en moyenne 800 à 1 000 euros ; même si le nombre de comptes demeurant inactifs pendant trente ans ne dépasse pas deux à trois cent mille et que chacun de ces comptes ne contient en moyenne que 500 euros, le montant total en jeu atteint plusieurs centaines de millions d’euros. Nous proposons d’affecter ce montant au Fonds de développement de la vie associative. L’article 40 nous empêche de déposer un amendement à ces fins et nous devrons nous contenter de demander un rapport au Gouvernement sur le sujet, mais j’espère que le Gouvernement pourra prendre une mesure en ce sens, ce qui permettrait de décupler, voire davantage, les moyens accordés au développement des associations.
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Je tiens, avant toute chose, à me féliciter de la qualité de ce texte et à saluer votre engagement, monsieur le ministre.
Les associations sont diverses et constituent un formidable levier de démocratie, d’innovation et de solidarité. Il me semble qu’il faudrait trouver le moyen de les conforter et de les sécuriser dans leurs missions par des financements pérennes. Certaines initiatives comme les contrats pluriannuels, existent déjà et portent leurs fruits, mais les associations se heurtent depuis plusieurs années à de réelles difficultés de moyens. Il existait dans les années 2000 une charte d’engagement entre les associations et les financeurs, qui concernait principalement les associations gérant des établissements ou des services publics, mais qui avait le mérite de permettre aux uns et aux autres de se retrouver, de partager des engagements réciproques et de faire en sorte qu’au fil des missions, les activités donnent lieu à un dialogue sain. Ne serait-il pas possible de reproduire ce modèle pour que le monde associatif retrouve quelque sérénité dans ses activités ?
Vous avez eu une très belle expression, monsieur le ministre : « Comme toutes les constructions humaines, la République est vulnérable ». Avec ce texte, nous avons justement l’occasion de montrer comment la République protège les publics les plus vulnérables, par exemple les personnes en situation de handicap. Nous proposerons plusieurs amendements visant à renforcer l’accès aux droits et la participation et à la citoyenneté de ces catégories. Pour ce faire, il faut aussi renforcer leur accès à l’information, car toutes ces catégories n’ont pas les mêmes possibilités de s’informer. La boussole des droits est une excellente initiative ; par quel support pourra-t-elle être consultée par tous ? On touche ici à la notion d’accessibilité universelle. Nous devons, en outre, mettre notre droit en cohérence avec les récentes recommandations de la conférence nationale du handicap, qui s’est tenue le 19 mai à l’Élysée.
M. Jean-Louis Bricout. Ma question porte sur l’inégalité d’accès aux soins dans le monde rural. La France manque cruellement de médecins généralistes : leur nombre a baissé de 8 % entre 2007 et 2016, et cette baisse est encore plus forte dans les zones rurales, pouvant atteindre jusqu’à 20 % dans un département comme l’Aisne. Ce manque de médecins s’explique principalement par un facteur d’attractivité. Certes, il existe des mécanismes incitatifs comme les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), un outil indispensable sur les territoires. Pourtant, les territoires se trouvent aujourd’hui presque en situation de concurrence pour attirer les médecins dans ces structures. Je connais ainsi un bourg-centre qui, venant de créer une MSP, a débauché le médecin du bourg-centre voisin. À cela s’ajoute une course à la baisse des loyers qui donne presque le sentiment qu’il faudra bientôt payer les médecins pour qu’ils acceptent de s’installer dans les MSP. Un dernier exemple dans ma communauté de communes, mais dans la circonscription de M. Dive : les trois bourgs d’Étreillers, de Vermand et de Holnon ont chacun une pharmacie, mais se battent pour accueillir la MSP.
Autrement dit, les méthodes incitatives sont certes utiles, mais il me semblerait plus pertinent de recourir à des méthodes coercitives mais citoyennes, consistant à proposer à de jeunes médecins d’effectuer leur première installation dans une MSP ; ce serait une forme d’engagement citoyen en faveur de la ruralité.
Mme Brigitte Bourguignon. Permettez-moi de formuler trois propositions pouvant s’ajouter aux dispositions du texte. En matière de lutte contre les inégalités, tout d’abord, il serait utile, à titre expérimental, de développer dans les quartiers difficiles la présence de travailleurs sociaux, en particulier d’éducateurs de jeunes enfants dans les écoles maternelles ou d’éducateurs spécialisés à l’école primaire, qui sont formés pour détecter très tôt les cas les plus problématiques. Ce serait une articulation pertinente entre ce texte et l’éducation nationale, que je défendrai par voie d’amendement.
En matière de lutte contre les discriminations, le problème des réseaux sociaux n’est pas abordé. Il requiert pourtant une vigilance organisée et citoyenne ainsi qu’une formation accrue des jeunes qui ont à faire avec ces réseaux, car on ne mesure pas encore la portée et la rapidité des messages négatifs diffusés par ce nouveau vecteur.
Enfin, je reçois d’innombrables interpellations concernant le dispositif des « voisins vigilants » ; je souhaite que l’on crée parallèlement un mécanisme de voisins bienveillants. Il serait utile que chaque bâtiment dispose de son propre réseau de citoyens engagés, quel que soit leur âge, pour exercer une vigilance bienveillante concernant les personnes isolées, par exemple.
Mme Audrey Linkenheld. Permettez-moi une incursion dans le titre III du texte afin d’évoquer la médiation sociale. En privilégiant l’écoute et le dialogue et en facilitant une meilleure compréhension des situations, des normes et des points de vue, mais aussi des conséquences sociales qu’ont les comportements des uns et des autres, la médiation sociale contribue non seulement à l’apprentissage du vivre-ensemble, mais aussi à l’émergence de solutions nouvelles et adaptées à l’évolution de la société pour favoriser l’égalité réelle des personnes qui sont les plus éloignées de leurs droits. À ce titre, il me semble que la médiation sociale aurait toute sa place dans ce texte, car elle permet d’assurer un égal accès au droit, de redonner confiance dans la République comme espace d’émancipation du citoyen et lieu privilégié du vivre-ensemble. À la fin 2014, le Président de la République lui-même, lors d’un discours prononcé à Lens, avait salué le travail des médiateurs sociaux et appelé à la reconnaissance et à la professionnalisation de ce métier à part entière de la cohésion sociale, mais aussi de la politique de la ville, puisque les contrats de ville font de plus en plus souvent une place à la médiation sociale. Le Premier ministre a repris cette idée en 2015. Pouvez-vous confirmer que cette loi sera l’occasion de reconnaître la médiation sociale, à laquelle nous sommes nombreux à croire ?
Mme Marie-Françoise Bechtel. Ma question portera sur le service civique, même si j’ai bien conscience qu’elle tranche avec les choix formulés dans ce texte. Qu’il s’agisse de sécurité ou d’intégration, j’estime que notre République se heurte à des problèmes qui dureront une génération au moins, et nous ne devons pas les mésestimer.
Avec le service civique, monsieur le ministre, vous proposez un dispositif beaucoup plus ambitieux que les outils connus jusqu’ici. Il existe cependant une autre option encore plus ambitieuse : le service national universel et obligatoire – entièrement repensé, cela va de soi, dans sa durée et dans ses formes – pour une meilleure intégration civique. Ce dispositif serait un devoir pour chaque citoyen au service de la collectivité. Ce qui manque au service civique tel que vous le proposez est ce caractère obligatoire et universel. Si nous voulons reconstruire la République, il faut inculquer l’idée d’un dû à la collectivité. Ce dû fait fortement retour vers les jeunes : toutes les enquêtes montrent en effet que de nombreux jeunes, pas forcément issus des quartiers défavorisés, sont en quête de règles – ceux d’entre eux qui s’engagent dans le djihad souhaitent précisément y trouver des règles qu’ils n’ont pas jusque-là connues ni dans leur famille, ni dans leur quartier, ni dans leur éducation. J’ajoute que les jeunes qui ne sont pas demandeurs de règles seront peut-être les plus utiles à intégrer, y compris dans les classes favorisées où une forme d’égoïsme et d’absence de bienveillance est parfois plus forte que dans les quartiers défavorisés.
Je sais qu’une telle proposition ne va pas dans le sens de ce que vous proposez. Néanmoins, j’ai lancé une pétition – que plusieurs collègues ici présents ont signée – et un site qui ont produit des retours très positifs de la population, y compris dans les Hauts-de-France, et les sondages indiquent que 80 % des Français sont favorables au retour d’un service national naturellement repensé – car l’ancien service était inégalitaire et ne doit pas être reproduit, et nous possédons une armée professionnelle qu’il ne faut pas remettre en cause. Quoi qu’il en soit, il me semblerait utile à terme de réfléchir, peut-être dans le cadre d’une loi de programmation, à l’instauration d’un véritable service national universel – touchant tous les jeunes, garçons et filles – et obligatoire qui permettrait sinon l’apprentissage des armes, au moins celui de la protection civile, à l’heure où nous manquons de jeunes pompiers bénévoles et où nous gagnerions à mobiliser des jeunes formés en cas d’attentat ou de grave risque sécuritaire, y compris pour libérer de certaines tâches les soldats affectés à l’opération Sentinelle. J’ai espoir que cette idée chemine car, alors qu’il faut consolider notre République, je crains l’éparpillement des bonnes idées ; au contraire, une idée forte et simple, plébiscitée par la population, aurait peut-être ici sa place.
M. Razzy Hammadi, rapporteur général. Je m’associe naturellement à l’ensemble des encouragements et félicitations qui vous ont été adressés, monsieur le ministre, non seulement pour le texte lui-même mais aussi pour les mesures que vous venez d’annoncer, dont certaines avaient été suggérées par nos collègues ici présents et correspondent à l’état d’esprit dans lequel travaille notre commission spéciale. Nous avons, en effet, essayé d’aborder les problèmes de manière transversale : la question de la jeunesse, par exemple, apparaît dans les trois titres du texte. Valérie Corre et d’autres ont très justement souligné la notion de participation, que ce soit dans les conseils citoyens, dans les syndicats et associations de locataires du parc social ou encore dans la jeunesse.
Puisque votre mission est de garantir la cohérence de ce texte, monsieur le ministre, nous allons vous y aider. Je souhaite, de ce point de vue, appeler votre attention sur plusieurs sujets. Permettez-moi, avant de le faire, de rappeler que les délais d’examen de ce texte ont été très serrés et qu’ils nous ont compliqué la tâche, même si je suis convaincu que nous réussirons. Plusieurs propositions, toutefois, devront sans doute mûrir jusqu’à la séance.
Parmi les amendements que nous vous proposerons pour garantir la cohérence du texte sans en altérer le sens profond, je pense à ceux qui porteront sur la multiplicité des outils existants – livret citoyen, future carte du service civique, livret d’engagement, et autres. Nous perdons en lisibilité. Pour mémoire, les seuls documents physiques que les Français conservent depuis la naissance sont le carnet de santé et le livret de famille.
Deuxième ensemble de mesures sur lesquelles nous devrons travailler : le congé d’engagement citoyen, le compte personnel d’activité, la formation, le livret citoyen, les crédits européens dits ECTS qui favorisent les étudiants engagés au détriment de ceux qui n’en ont pas le temps. Là encore, nous devrons unifier les dispositifs pour les rendre plus lisibles. Nous ne pourrons pas tout faire, mais nous pourrons faire beaucoup ; or ce Gouvernement et cette majorité font beaucoup, mais ce qu’ils font n’est pas assez connu. Le travail parlementaire peut contribuer à y remédier.
Les questions soulevées par Valérie Corre et Régis Juanico devront être tranchées. Il faut, par exemple, asseoir dans la loi le rôle du conseil d’orientation de la jeunesse, et ce dès l’examen en commission ; dans le même temps, nous devrons trouver les articulations nécessaires avec les questions de participation.
Se posent enfin deux questions qui concernent spécifiquement la jeunesse. La première a trait à la régulation du service civique, qui doit se faire tout en préservant une souplesse nécessaire à sa généralisation. Il faut, en effet, préciser davantage que par une simple déclaration de principe que le service civique ne se substitue pas à l’emploi.
D’autres questions mériteront d’être rassemblées autour du titre III : l’égalité entre les femmes et les hommes, mais aussi tout le volet social de l’action en faveur de la jeunesse, qu’il s’agisse de l’assouplissement et de la garantie de l’accès des jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans à la CMU-C, du logement, de la garantie universelle ou encore la mobilité. Tous ces sujets méritent d’être regroupés dans une partie commune concernant le nouveau contrat social avec la jeunesse.
Enfin, je vous remercie d’établir un chef de filât en matière d’information des jeunes, car il était incroyable que la jeunesse, pourtant priorité du Gouvernement, demeure dans la loi NOTRe la seule compétence partagée au point que tout le monde s’en occupe – et donc personne. Nous proposerons d’adosser ce chef de filât à un document stratégique de coordination pluriannuelle claire et ambitieuse des différents acteurs.
Mme la présidente Annick Lepetit. Pouvez-vous dresser un bref bilan de la consultation citoyenne que vous avez organisée autour de ce projet de loi ?
Comment peut-on inciter les personnes qui sortent rarement de leur quartier ou de leur hameau à s’engager ? Malgré des mesures d’encouragement et l’action des associations, nous constatons en effet que, même à Paris où les transports collectifs sont extrêmement développés, certains adolescents ne sont encore jamais sortis de leur quartier. Quel est l’état de vos réflexions en la matière ?
M. le ministre. Les questions sont nombreuses, je les reprendrai dans l’ordre.
Je m’étonne, monsieur Blein, que vous n’ayez pas évoqué la clause d’impact jeunesse, à laquelle je vous sais attaché : elle existe désormais, au terme d’un long débat – je devrais même parler de long combat –, comme il existe une clause d’impact sur l’égalité entre les femmes et les hommes et sur les personnes en situation de handicap. Je suis fier d’offrir à notre jeunesse un outil qui permettra à terme de vérifier que les textes législatifs sont criblés en faveur des intérêts des jeunes.
S’agissant de la définition de l’intérêt général, nous disposons désormais d’un outil avec le rapport du Haut conseil à la vie association (HCVA) et la reconnaissance du congé d’engagement pour les dirigeants associatifs. Il est vrai qu’à ce stade, nous nous sommes limités aux structures éligibles aux déductions fiscales grâce à la reconnaissance de l’intérêt général. La question sera de nouveau abordée au fil du débat parlementaire, mais nous estimons d’ores et déjà à deux millions le nombre de personnes qui pourront bénéficier du congé d’engagement en vertu de la définition actuelle des associations à caractère d’intérêt général, sachant que des extensions sont possibles pour englober les bénévoles encadrant d’autres bénévoles. Nous étudierons comment mieux cibler cette notion d’intérêt général compte tenu des droits nouveaux ouverts grâce au congé d’engagement.
Vous avez également évoqué le droit – presque opposable – à la mobilité qui, pour les jeunes, passe par le permis de conduire. Autoriser le passage du code au niveau scolaire ouvre un débat complexe qui suppose une négociation avec le ministère de l’intérieur et avec les auto-écoles, naturellement jalouses de leur pré carré. Je le dis en toute franchise : c’est une question sensible qui a des implications économiques. Cela étant, nous connaissons trop de jeunes dont les recherches d’emploi échouent car ils ne possèdent pas ce sésame qu’est le permis de conduire. Le Gouvernement et le Parlement devront donc s’interroger sur ce droit absolu ; reste à savoir quelles conditions juridiques et financières doivent encadrer son obtention.
M. le rapporteur général. Nous avons quelques idées…
M. le ministre. Il est vrai que le nombre de missions de service civique dans la sphère publique est insuffisant, même si les associations représentent 70 % des missions, et non 80 %, contre 30 % à la sphère publique. Les administrations publiques progressent donc, bien que les collectivités, en particulier les communes, demeurent très en retard. Les ministères font des efforts ; les collectivités locales doivent s’engager davantage, comme je l’ai récemment indiqué à François Baroin, président de l’Association des maires de France.
Faut-il moduler l’intensité du service civique en abaissant le plancher d’heures pour multiplier le nombre d’engagements ? Le débat doit avoir lieu.
Rares sont les jeunes, monsieur Breton, pour qui la journée Défense et citoyenneté constitue un moment essentiel dans leur parcours – c’est un euphémisme. Je crois que cette JDC peut évoluer ; à titre personnel, je suis favorable à ce qu’elle soit portée à six ou sept jours et qu’elle comprenne des modules complets afin de donner corps aux notions de brassage et de mixité tout en étant utile à chaque jeune concerné. Le Président le République n’a pas écarté cette hypothèse, dont il faudra débattre peut-être dans le cadre de cette loi, peut-être aussi à l’occasion des échéances démocratiques qui approchent. L’allongement à plusieurs jours de la JDC n’est pas sans conséquences sur le budget de l’État : aujourd’hui, elle représente une dépense d’environ 100 millions d’euros ; son extension sur plusieurs jours à toute une génération, soit environ 800 000 jeunes, coûterait entre 500 et 600 millions d’euros.
Ce débat est utile. Il est en lien avec la question de Mme Bechtel : à titre personnel, je ne suis pas favorable à la création d’un nouveau service universel et obligatoire pour tous, avant tout parce qu’il serait contraire à la notion même d’engagement. Face à toute obligation, le sport favori des intéressés consiste à chercher les moyens de ne pas la remplir. Pour mémoire, la dernière conscription du service militaire obligatoire, en 1997, n’a réuni que 240 000 jeunes hommes environ, soit à peine plus de la moitié des jeunes pouvant être appelés – ce qui signifie qu’un nombre important de jeunes ont été réformés ou exemptés. Le débat existe certes, dans l’exécutif comme au Parlement. Cependant, les jeunes que je côtoie sont résolument attirés par un service à la nation sur la base de l’engagement ; très rares sont ceux qui souhaitent qu’il soit rendu obligatoire. Au contraire, ils préfèrent un engagement utile et reconnu. En clair, il y a là un véritable débat que le présent texte ne permettra sans doute pas de trancher, mais qui pourra se poursuivre.
Vous avez également, monsieur Breton, évoqué le vote obligatoire. Il supposerait sans doute de reconnaître le vote blanc, de prévoir des sanctions et d’organiser les scrutins non plus le dimanche, mais en période de travail ; le sujet est donc très vaste. Je ne suis pas certain que le projet de loi constitue le support le plus adapté pour en débattre, mais cette question se pose naturellement, compte tenu de l’expérience de certains pays étrangers comme le Royaume-Uni, par exemple.
M. Allossery a eu raison de rappeler qu’il n’existe pas de crise de l’engagement : les jeunes veulent pouvoir être reconnus. De ce point de vue, il nous appartient de leur donner des outils d’expression officiels. Je rencontre régulièrement le collège des jeunes du Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui bénéficie d’une véritable reconnaissance au sein de la troisième assemblée de la République. Pourquoi ne pas imaginer que les CESE régionaux comportent eux aussi des collèges de jeunes ? De même, il faut encourager – et non contraindre – les collectivités territoriales à créer des conseils de jeunes irriguant les territoires et susceptibles d’alimenter les travaux du futur conseil d’orientation des politiques de la jeunesse. Celui-ci ne figure pas dans le texte, mais je sais que le rapporteur général voudrait l’y introduire ; il semble qu’une telle disposition relève du pouvoir réglementaire, mais le débat est légitime. Quoi qu’il en soit, il existe en France des lieux où les jeunes peuvent s’exprimer et faire valoir leur avis ; pour les développer, je préfère convaincre plutôt que contraindre les collectivités.
Quant au dialogue structuré que vous évoquez, monsieur Allossery, il est une méthode employée au niveau européen ; au niveau national, je vous ai répondu.
Mme Corre s’est inquiétée que différentes questions institutionnelles comme le droit de vote à seize ans et le cumul des mandats ne soient pas évoquées dans le projet de loi, mais il ne me semble pas qu’il puisse y répondre. En revanche, j’ai commandé, voici plus d’un an, un rapport à France Stratégie, qui m’a remis un document dont je vous recommande la lecture et qui contient des propositions iconoclastes telles que l’instauration du droit de vote à seize ans ou l’interdiction de se représenter à une élection après l’âge de soixante-dix ans – mesure dont je suis certain qu’elle ne fait pas l’unanimité au sein du Parlement… Le rapport en question comportait bien d’autres recommandations intéressantes, comme le non-cumul des mandats dans le temps. Le présent projet de loi n’est pas adapté à ce type de mesures. De plus, si nous voulons qu’il chemine et aboutisse à un consensus, tout du moins à un rapprochement des points de vue, il faudra faire le tri des questions devant y être abordées – ce qui n’empêche pas que le débat pourra avoir lieu, peut-être à l’occasion d’un prochain moment démocratique.
S’agissant de l’alternative entre contrainte et volontariat, je suis partisan de faire de l’engagement une obligation naturelle dans les esprits.
Quant au chef de filât accordé aux régions en matière d’information des jeunes, levons tout malentendu : il ne s’agit pas d’une compétence exclusive. La proposition que vous faites, madame Corre, de prévoir des schémas d’orientation est néanmoins intéressante : s’il y a un chef de file, il faut aussi un document obligatoire, même si ses conclusions ne sont pas contraignantes, pour inciter tous les partenaires à travailler ensemble autour de la région, qui est la collectivité la plus indiquée pour assurer cette coordination.
Le dispositif « meilleurs bacheliers », proposé par la ministre de l’éducation nationale, n’a pas suscité que des réactions favorables ; nous y reviendrons au cours du débat, puisque des amendements seront défendus pour le remettre en cause, et nous devrons choisir les modalités les plus favorables aux jeunes bacheliers.
Il est vrai, monsieur Dive, que les concours de la fonction publique ne sont pas la seule et unique perspective des jeunes ; c’est pourquoi nous encourageons l’initiative entrepreneuriale, notamment dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. C’est la raison d’être de l’agence France Entrepreneur qui est présidée par M. Mohed Altrad, un homme extrêmement dynamique que l’on ne présente plus dans cette commission. L’objectif est de faire comprendre aux jeunes que le manque de diplômes n’est pas forcément un frein à la création d’une entreprise. De même, la création lors du comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté de la grande école du numérique permet à des jeunes d’entrer dans la dynamique salariale et entrepreneuriale dans le secteur du numérique sans posséder les habituels diplômes requis. C’est aussi pour cette raison qu’une disposition figurant dans le projet de loi défendu par Axelle Lemaire vise à ouvrir les bourses aux jeunes inscrits dans cette grande école. En clair, il va de soi que la création d’entreprises fait partie des priorités du Gouvernement, qui agit en lien avec les chambres consulaires.
Nous avons voulu donner du sens aux conseils citoyens par la formation de leurs membres, madame Chapdelaine, car l’absence de formation peut vite se traduire par une forme de démagogie. Des personnes qui peinent à s’exprimer en public, qui ignorent le fonctionnement de l’institution ou qui ont du mal à élaborer des projets, ne seront pas des interlocuteurs crédibles pour les élus. Pour enclencher une dynamique de démocratie participative, nous devons pouvoir faire confiance aux membres des conseils citoyens, qu’ils aient été désignés ou qu’ils aient présenté leur candidature spontanée : l’objectif, en effet, est qu’ils deviennent de véritables relais de l’opinion et de la parole citoyenne, mais aussi des interlocuteurs actifs des élus locaux. Je précise que le conseil citoyen n’est pas un conseil municipal bis : la souveraineté reste l’apanage des élus et la démocratie représentative est préservée, mais elle ne peut que s’enrichir de l’expérience de terrain que possèdent les citoyens réunis dans ces conseils.
La proposition très pertinente que vous faites concernant l’accès aux restaurants universitaires est actuellement étudiée par le ministère de l’éducation nationale et devrait donner lieu à une mesure d’ordre réglementaire.
Je suis réservé quant à la possibilité pour les collectivités locales de mettre des jeunes en service civique à la disposition d’associations. Accueillir un jeune en service civique suppose d’en être responsable et confère une obligation non seulement juridique, mais aussi morale. Je ne souhaite pas qu’il soit possible à une collectivité d’engager cent jeunes en service civique pour en mettre quatre-vingt-dix à la disposition d’associations et, ce faisant, se défausser de toute responsabilité, car ce n’est pas dans notre intérêt. Peut-être pourrons-nous envisager cette éventualité lorsque le service civique sera généralisé et que nous aurons un recul suffisant mais, à ce stade initial, je préfère que les collectivités accueillant des missions de service civique en assument toutes les responsabilités.
J’ai toujours été persuadé, monsieur Lesterlin, de la cohérence entre les trois cents heures d’enseignement moral et civique, la journée Défense et citoyenneté telle qu’elle est remaniée, le service civique et la réserve citoyenne ; c’est sur ces piliers que repose la culture de l’engagement.
Vous m’avez interrogé sur la réciprocité de certains services civiques. Il existe d’ores et déjà un service civique européen qu’il faut développer, ce pour quoi nous négocions avec l’Europe la pérennisation de différents dispositifs de financement. En matière de mobilité internationale, les freins auxquels se heurtent de nombreux jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville n’ont pas encore été levés. En effet, sur les 110 000 jeunes qui effectuent un service ou une mission de telle ou telle sorte à l’étranger, un sur dix seulement est issu des quartiers défavorisés. Il nous faudra combler cette fracture civique internationale, et ce texte peut y contribuer.
L’égalité entre les femmes et les hommes relève déjà des compétences des missions locales, madame Olivier, même s’il faudra sans doute faire davantage en la matière. Avec la garantie jeunes, les missions locales sont des partenaires indispensables du service public de l’insertion des jeunes et leur contribution ne se limite pas qu’à l’emploi. Votre proposition est donc tout à fait pertinente. De même, je ne vois que des avantages à faire du sexisme une circonstance aggravante des crimes et délits.
En revanche, je ne suis pas favorable au curriculum vitae anonyme, et ce pour des raisons philosophiques. Je ne vois pas pourquoi cette pratique devrait être nécessaire pour que les qualités d’un jeune de couleur, portant un nom nord-africain ou résidant à une adresse stigmatisée puissent être reconnues. Je préfère le développement du curriculum vitae sous format vidéo, comme le fait la fondation Face, car il permet aux jeunes de montrer toutes leurs qualités quels que soient leur origine, leur sexe, leur couleur de peau, leur adresse. En outre, l’anonymat tombe nécessairement lors de l’entretien d’embauche. L’obligation de présenter un CV anonyme a d’ailleurs été supprimée dans un texte défendu par François Rebsamen. Je suis néanmoins conscient que cette pratique donne des résultats dans certaines structures et entreprises ; je n’y suis donc pas définitivement défavorable, mais je n’en souhaite pas la généralisation.
Je ne vois que des avantages, monsieur Juanico, à ce que le conseil d’orientation de la jeunesse soit de nouveau abordé lors du débat parlementaire, avec les réserves que j’ai évoquées. Quant au livret citoyen, il relève du pouvoir réglementaire. Enfin, la recherche de la cohérence est, à mon sens, l’une des principales priorités de ce texte, car cette culture de l’engagement doit permettre à chacun de savoir que ce qu’il ou elle fait pour la nation à tout moment de sa vie sera reconnu. C’est pour cette raison que le compte personnel d’activité tiendra compte des engagements des titulaires.
Nous avons fait des progrès en matière de financement du secteur associatif, madame Carrillon-Couvreur, avec la charte des engagements réciproques et le dossier de subvention unique. De même, les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens vont peu à peu devenir la règle dans le secteur associatif. On ne peut, en effet, demander aux associations de concourir à la mission d’intérêt général de la nation sans leur faciliter la tâche. Je regrette que le secteur associatif, comme je l’ai récemment entendu dire au congrès des maires de France, soit la variable d’ajustement des finances municipales, même si je n’ignore pas que les élus locaux doivent, plus encore aujourd’hui qu’hier, fixer des priorités. Pour autant, il ne me semble pas souhaitable de mettre en péril ces partenaires des missions d’intérêt général que sont les associations. Cela étant, chacun doit rendre des comptes, et reconnaissons que certaines associations ont encore des progrès à faire dans leur fonctionnement démocratique.
Est-il encore facile de vivre dans le monde rural, monsieur Bricout ? Non. Faut-il prendre les mesures permettant à la ruralité de constituer l’ADN de notre pays ? Oui. C’est tout l’objet des comités interministériels à la ruralité, dont le dernier s’est réuni à Privas. La question de la santé en milieu rural n’a cessé d’y être posée. Parallèlement à la multiplication des maisons pluriprofessionnelles de santé, la ministre de la santé a décidé de fixer, grâce à un mécanisme de bourses, des quotas de jeunes médecins affectés dans les zones rurales ou défavorisées. Je sais, monsieur le député, que l’Aisne souhaite pouvoir se développer tout en permettant à son secteur rural d’exister.
De même, nombreux sont les jeunes qui souhaitent rester dans la zone rurale où ils habitent, à condition de pouvoir y disposer des équipements publics nécessaires. La création d’un dojo dans votre ville, monsieur Bricout, répond aussi à cette préoccupation : les jeunes ne se maintiendront pas dans les territoires ruraux si ceux-ci ne disposent pas d’une offre suffisante en termes d’équipements, d’animation et de perspectives, pour que la solution du départ vers la ville ne soit jamais choisie par défaut et en raison des circonstances.
Je ne vous cache pas mon inquiétude, madame Bourguignon, que certains clubs d’éducation spécialisée soient mis en péril. Mme Linkenheld a raison de rappeler que nous avons besoin de médiation sociale – même si je ne suis pas certain qu’il faille aller jusqu’à adopter sa proposition en la matière. Il faut, en tout état de cause, mailler le territoire de professionnels capables de répondre à la situation de publics parfois fragiles. Il me semble, par exemple, inacceptable que certains départements soient dépourvus de pédopsychiatres. Pour éviter l’embrigadement de jeunes perturbés par des extrémistes malveillants, un accompagnement psychologique professionnel – que les parents et l’entourage ne sont pas en mesure d’apporter – est parfois nécessaire. Les pouvoirs publics dans leur ensemble doivent se saisir de cette difficulté.
Je prends note, madame Bourguignon, de votre proposition de créer des réseaux de voisins bienveillants, qui puissent aussi – pourquoi pas ? – lutter contre les dérives qui peuvent se produire sur les réseaux sociaux. Quoi qu’il en soit, la notion de voisinage est reconnue par le label « La France s’engage », qui permet notamment de financer des structures de développement du voisinage et de la solidarité partagée ; votre idée est donc tout à fait réaliste et s’inscrit dans le processus général de réserve citoyenne.
Sans doute ce projet de loi donnera-t-il lieu à un débat sur le service national universel et obligatoire, madame Bechtel ; c’est un sujet ouvert que le Premier ministre lui-même évoque. À ce stade, je me fonde sur la loi créant les services civiques telle qu’elle a été votée en 2010 ; la campagne électorale permettra sans doute de débattre de l’opportunité de son évolution.
Je conviens, monsieur le rapporteur général, que les délais d’examen du texte sont très courts, et je le regrette. Je connais néanmoins votre motivation et ne doute pas que vous parviendrez à conclure vos travaux. Je partage votre sentiment à propos du besoin de cohérence et du conseil d’orientation de la jeunesse. Le nouveau contrat social avec la jeunesse est une obligation républicaine qui découle tacitement de ce texte, même s’il comporte des mesures très variées ; à nous de le transformer en geste fort envers nos concitoyens.
Les résultats de la consultation citoyenne seront synthétisés, madame la présidente, et la commission en aura naturellement connaissance.
Vous avez conclu par une question essentielle : comment encourager les jeunes à ne pas considérer leur territoire de vie comme une forme de prison sans barreaux ? Au fond, c’est en appliquant toutes les mesures que nous venons d’évoquer que nous permettrons leur émancipation, leur engagement, leur accès aux soins, au logement et à l’insertion professionnelle, pour que ces jeunes soient non pas des relégués de la République mais des partenaires incontournables de notre société. On mesure, en effet, le niveau de civilisation d’une société à l’aune de la place qu’elle accorde à ses jeunes.
Mme la présidente Annick Lepetit. Monsieur le ministre, nous vous remercions.
La séance est levée à dix-huit heures vingt-cinq.
——fpfp——
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi « Égalité et citoyenneté »
Réunion du mercredi 8 juin 2016 à 16 heures 30
Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Philippe Bies, M. Yves Blein, Mme Brigitte Bourguignon, M. Xavier Breton, M. Jean-Louis Bricout, Mme Colette Capdevielle, Mme Martine Carrillon-Couvreur, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Guillaume Chevrollier, Mme Valérie Corre, M. Pascal Demarthe, M. Julien Dive, M. Jean-Patrick Gille, M. Razzy Hammadi, M. Régis Juanico, M. Laurent Kalinowski, Mme Anne-Christine Lang, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annick Lepetit, M. Bernard Lesterlin, Mme Audrey Linkenheld, M. Victorin Lurel, Mme Jacqueline Maquet, Mme Maud Olivier, M. Rémi Pauvros, M. Arnaud Richard
Excusée. – Mme Lucette Lousteau
Assistait également à la réunion. – Mme Marie-Françoise Bechtel