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Commission spéciale pour l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Mercredi 17 septembre 2014

Séance de 8 heures 15

Compte rendu n° 11

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Houtman, directrice des affaires générales à la direction générale Énergie de la Commission européenne

M. le président François Brottes. Je remercie Mme Anne Houtman, directrice des affaires générales à la direction générale Énergie de la Commission européenne, de sa présence parmi nous.

On déplore souvent que le cadre général de l’Europe ne concerne, pour l’énergie, que deux ou trois sujets : les interconnexions dans le secteur de l’électricité, le stockage et le transport du gaz, chaque pays construisant son mix dans son coin, alors que nous sommes réellement interdépendants et que cette interdépendance appellerait une plus grande cohérence. Par ailleurs, la directive sur l’énergie et le climat est parfois contredite par des directives sectorielles. Le fait de développer la concurrence entre opérateurs incite plus à la consommation qu’à la sobriété, à l’efficacité ou à l’émergence des énergies renouvelables.

Il existe en France un monopole du transport du gaz et de l’électricité, reconnu et admis par l’Europe, et c’est de bons sens : imagine-t-on deux ou trois réseaux parallèles de lignes à très haute tension ? Nous avons également, depuis 1946, un monopole de la distribution d’électricité et de gaz, ce qui n’est pas forcément le cas d’autres pays. Quant à la perspective de la mise en concurrence des concessions d’hydroélectricité, elle a tendance à nous agacer. La France possède en la matière un potentiel sans égal, qui justifie, dans le cadre d’un mix électrique où domine le nucléaire, une approche singulière. La variété des modes de production entre les pays ne rend pas souhaitable d’imposer un modèle unique.

Le présent projet de loi sur la transition énergétique a vocation, bien sûr, à être eurocompatible : c’est la règle du jeu lorsque nous légiférons. Il comporte d’ailleurs quelques éléments de transposition. Quel regard, madame Houtman, portez-vous sur ce texte ? Quel est, surtout, l’état d’esprit de la nouvelle Commission européenne et de ses services ? J’ai rencontré il y a quelques années, au cours d’une délégation conduite par mon prédécesseur, le patron de la DG Énergie : celui-ci avait admis, avec beaucoup de franchise, que l’ouverture à la concurrence n’avait pas donné les résultats attendus en termes de prix, et que ses présupposés étaient sans doute erronés.

Mme Anne Houtman, directrice des affaires générales à la direction générale Énergie de la Commission européenne. Il faut féliciter la France pour ce projet de loi, que M. Ristori, directeur général de la DG Énergie, qui aurait souhaité pouvoir venir s’exprimer devant vous, a qualifié d’avant-gardiste. C’est un projet ambitieux, par ses objectifs chiffrés comme par l’ampleur des mesures proposées. Avec ce projet, le gouvernement français montre qu’il soutient les objectifs européens proposés par la Commission pour 2030 en matière de changement climatique, d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique.

Il serait souhaitable que le gouvernement français le présente à ses partenaires dans le cadre des différents forums européens. Un tel état d’esprit contribuerait à une plus grande compréhension entre les États membres, à une plus grande coopération, au moment où tout le monde souhaite une politique énergétique européenne plus cohérente, et où le nouveau président élu de la Commission européenne, M. Juncker, a présenté l’énergie comme une priorité, avançant l’idée d’une Union européenne de l’énergie.

Ce projet de loi comporte des objectifs chiffrés en ligne avec ceux de la Commission européenne, ainsi que de nombreuses mesures. Il faudra naturellement le financer dans le cadre d’une politique durable des finances publiques, ce qui suppose de privilégier, plutôt que les avantages fiscaux et les subventions, les prêts à taux très modéré, rendus possibles par le taux directeur, très bas, de la BCE ainsi qu’aux nouveaux prêts de cette dernière aux banques.

Afin d’atteindre les objectifs en matière d’énergies renouvelables, le gouvernement français devra trouver des solutions non seulement financières, mais aussi technologiques, qui offrent le meilleur rapport coût-efficacité, et veiller au respect des nouvelles règles édictées au mois de mai en matière d’aides d’État à l’énergie.

Il conviendrait également qu’il envisage des solutions alternatives en matière d’énergies renouvelables, notamment via des interconnexions avec les pays voisins, en particulier l’Espagne. La Commission a publié en novembre dernier un document définissant des orientations en vue du recours à des mécanismes de coopération pour les énergies renouvelables, qui pourraient s’avérer utiles. Elle considère que les interconnexions sont l’un des moyens les plus efficaces pour unifier le marché européen, le rendre plus compétitif dans l’intérêt des consommateurs et accroître la sécurité des approvisionnements.

Ces interconnexions permettraient à la France d’accéder aux énergies renouvelables à des prix plus bas. Dans la stratégie présentée au printemps, la Commission a proposé un objectif d’interconnexion de 15 %, dans la ligne de celui de 10 % adopté à Barcelone en 2002. L’Espagne et le Portugal sont fortement attachés à cet objectif, car ces pays constituent actuellement une « île » énergétique. En annexe du même document, la Commission a présenté deux projets d’interconnexion, l’un pour le gaz, l’autre pour l’électricité, entre la France et l’Espagne. Mes collègues de la DG Énergie ont pris l’initiative d’organiser cet été des rencontres de haut niveau avec les gestionnaires de réseau.

La Commission se félicite des dispositions prévues par le projet de loi français en matière d’hydroélectricité. Nous veillerons à ce qu’elles soient suivies d’effets.

Par ailleurs, la Commission a été très heureuse de voir que le Conseil européen du mois de juin entendait parvenir, d’ici à sa réunion d’octobre, à un accord sur les objectifs pour 2030, en ligne avec nos objectifs climatiques pour 2050. Le but final est de parvenir à une position forte et unie de l’Europe en vue d’un accord à la Conférence Paris Climat 2015, dite COP 21, en décembre 2015. Nous comptons sur le soutien actif de la France pour convaincre ses partenaires européens, dont certains, telle la Pologne, sont encore réticents. Nous y travaillons dans le cadre de réunions de sherpas. Il faut que nos objectifs soient approuvés le plus tôt possible, notamment en vue du sommet organisé par M. Ban Ki Moon, secrétaire général des Nations unies, en septembre.

Au-delà des aspects climatiques, nous devons poursuivre nos efforts pour que l’accord du Conseil européen d’octobre comporte des objectifs ambitieux sur l’énergie renouvelable et l’efficacité énergétique. Les objectifs proposés par la Commission pour 2030 sont les suivants : moins 40 % de CO2, 27 % d’énergies renouvelables, 30 % d’efficacité énergétique en plus. Nous sommes heureux de constater que le gouvernement français a inscrit dans son projet de loi des objectifs aussi ambitieux, voire plus ambitieux encore dans le cas des renouvelables.

Nous avons relevé en particulier le volontarisme de la France quant au développement de la chaleur renouvelable. L’idée de concentrer les efforts sur la rénovation thermique des bâtiments est conforme à l’analyse de la Commission, qui considère qu’il s’agit probablement du secteur le plus porteur.

M. le président François Brottes. Nous sommes très sensibles à votre attention aux concessions hydrauliques. Vous nous direz comment cela se passe dans les autres pays, tous exemplaires dans ce domaine, bien évidemment…

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titre Ier et V du projet de loi. Nous avons entendu avec une grande satisfaction que vous considériez notre projet de loi comme ambitieux. Quel regard portez-vous sur la réforme du soutien au développement des énergies renouvelables, à savoir sur le complément de rémunération ? J’ai cru comprendre qu’une action sur les prêts, donc sur l’investissement, vous paraissait la plus pertinente. Par ailleurs, quelles contraintes nous opposera demain la Commission européenne sur les mécanismes d’obligation d’achat ?

Vous vous réjouissez des possibilités ouvertes par le texte en matière d’hydroélectricité. Laquelle retient le plus votre attention ? La Commission entend-elle que le système électrique français repose sur un équilibre particulier, voire unique, eu égard à sa capacité de stockage hydraulique, et que la France a besoin d’une hydroélectricité forte pour développer les renouvelables, énergies intermittentes qui requièrent en tant que telles d’importantes capacités de stockage ? Ne devons-nous pas sécuriser ce dispositif, dès lors que sa déstabilisation nous empêcherait d’atteindre nos objectifs ambitieux ?

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Le projet de loi prévoit la création de budgets carbone : la France se fixe ainsi, pour une période de quinze ans, avec des possibilités de révision tous les cinq ans, un niveau maximum d’émissions, réparties entre les différentes activités. Cela vous paraît-il pertinent pour atteindre les objectifs européens ? Ce dispositif inclut par ailleurs une valeur « tutélaire » du carbone : est-ce, selon vous, un objectif intéressant ?

Les marchés spot de l’électricité fixant des prix bas, toute nouvelle installation de production électrique est non rentable. Cela ne contribue pas à sécuriser la production pendant la pointe ou à développer des cycles combinés gaz. La Commission européenne prévoit-elle de mettre la question du marché de l’électricité de nouveau sur la table ?

Quelle est la doctrine de la Commission concernant les aides d’État aux centrales nucléaires ? Il semblerait que, de l’autre côté de la Manche, des aides considérables soient envisagées pour la construction de nouveaux réacteurs…

M. le président François Brottes. Vous poserez la même question sur l’éolien, j’imagine.

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. La doctrine sur l’éolien est connue. Les énergies renouvelables étant les énergies de l’avenir, il est normal que nous les soutenions.

S’agissant de la maîtrise énergétique, quel contrôle la Commission exerce-t-elle sur les déclarations des États, leur sincérité ? Des écarts peuvent exister entre ce qui est envoyé à la Commission et la réalité.

Enfin, comme l’a rappelé le président Brottes, la situation de notre pays est particulière. Nous avons une entreprise intégrée, EDF, avec des filiales chargées du transport et de la distribution. Quelle est la doctrine de la Commission sur cette situation atypique ? Une telle filialisation est de nature à faire obstacle à des investissements pertinents, les distributeurs pouvant être davantage soucieux des intérêts de la maison mère que des besoins de distribution.

Mme Éricka Bareigts, rapporteure sur le titre VII et le chapitre IV du titre VIII du projet de loi. Outre-mer, nous sommes des femmes et des hommes non interconnectés. Du fait de notre situation insulaire, nous devons nous suffire à nous-mêmes, et identifier les ressources, les stratégies, les gouvernances qui nous permettent de porter la transition énergétique. Quel est votre point de vue sur la situation de ces zones non interconnectées (ZNI) ? Bien qu’elle ne soit pas une île, la Guyane en fait également partie, car elle aussi se suffit à elle-même. Nos zones présentent des coûts d’approvisionnement importants, de même que des coûts liés à une énergie très carbonée, avec le fioul, et connaissent des retards de structuration, de filières, de réseaux. L’Europe a adopté pour ces régions ultrapériphériques (RUP) des approches spécifiques, sous forme d’aides. Celles-ci seront-elles confirmées ?

Enfin, comme Denis Baupin, je pense qu’il faut évaluer les efforts consentis pour atteindre les objectifs. Ces derniers sont très hauts, et les moyens, comme la gouvernance, encore un peu timides sur certains territoires.

M. Julien Aubert. Ma première question a trait au dispositif allemand d’aides aux entreprises énergo-intensives. Est-il dans le collimateur de la Commission européenne ? Dans la mesure où nous réfléchissons à un dispositif semblable, il serait bon de savoir s’il existe un risque juridique.

Dans le nouveau « paquet énergie climat », le seul objectif contraignant est désormais l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Celui en matière d’énergies vertes semble en revanche avoir disparu. Comme il est présent dans le projet de loi, je souhaiterais savoir s’il fait encore partie des contraintes prévues au plan européen pour les États membres.

Par ailleurs, étant donné que certains défendent l’idée de modifier le statut d’Électricité Réseau Distribution France (ERDF), le projet de mise en concurrence de la distribution est-il encore d’actualité ?

Le projet du Gouvernement limite la capacité nucléaire de la France à ce qu’elle est aujourd’hui. Or cette capacité résulte de l’activité d’un seul opérateur. Comme de nouvelles capacités ne pourront être créées que si des centrales sont fermées, cela signifie que, si un nouvel acteur souhaitait entrer sur le marché français, il devrait demander à son concurrent, EDF, de fermer une centrale. Je doute qu’EDF soit enchantée par la perspective de supporter le coût d’une indemnisation tout en ouvrant la porte à un concurrent. Y a-t-il, au plan juridique, un risque de voir cette confirmation du monopole d’EDF geler la situation de la production française ?

M. Jean-Yves Caullet. Nous avons reçu hier des représentants des dirigeants d’entreprise, qui nous ont alertés sur l’importance de l’interconnexion pour leur compétitivité. Pensez-vous que la progression de l’interconnexion puisse être l’une des prémices à l’harmonisation des conditions de mise à disposition de l’énergie, qui serait, comme l’harmonisation fiscale et sociale, un objectif à long terme de l’Europe ?

Notre projet de loi est assez ambitieux en matière d’habitat. Connaissez-vous des exemples de politiques réussies, dont nous pourrions nous inspirer ? Je sais que la Grande-Bretagne a lancé il y a quelques années des tiers financements ; cela fonctionne-t-il ?

Nous estimons à 60 % les besoins énergétiques pouvant être assurés à terme par la biomasse. Dans la biomasse, il y a la forêt. Paradoxalement, le renouvellement de la ressource forestière n’est pas assuré, du fait que l’exportation de bois non transformé ne fait l’objet, en Europe, d’aucune politique particulière. L’Europe perd ainsi l’écoproduit de ses bois et la valeur ajoutée de la transformation. Ne vous paraîtrait-il pas utile, quand cette matière première est exportée sans transformation, qu’elle acquitte aux frontières de l’Europe une cotisation modique permettant sa reconstitution ? Certains pays tiers ont, avec la brutalité qui les caractérise parfois, interdit l’exportation de bois non transformé. La forêt est une source d’énergie, une source de matériaux renouvelables. L’Europe s’est faite sur un matériau, l’acier, et une énergie, le charbon : il serait juste qu’elle continue dans le domaine forestier.

M. Christophe Premat. La Commission européenne a publié en juillet 2014 un document sur la question des déchets et l’économie circulaire, abordée au titre IV du projet de loi. Le plan déchets 2014-2025 décline plusieurs modalités pour favoriser l’économie circulaire. Pensez-vous que le titre IV du projet soit suffisant pour respecter ce plan ? En Europe du Nord, la combustion des déchets et la consignation des bouteilles sont bien plus avancées.

Le même plan fait référence à une initiative « Emplois verts » en vue de favoriser l’émergence de PME dans le secteur de la transition énergétique. Pensez-vous que le projet de loi soit pertinent à cet égard ?

M. le président François Brottes. Que pensez-vous également, madame la directrice, de la magnifique réussite du marché du carbone au sein de l’Union européenne, si je peux me permettre de poser cette question perfide ? (Sourires.)

Mme Anne Houtman. Tout le monde reconnaît que l’un des problèmes auxquels nous sommes confrontés est le dysfonctionnement du marché du carbone. Le prix ne fournit pas une incitation suffisante pour que les investissements aient lieu là où ils permettraient d’atteindre les objectifs climatiques. C’est aussi pour cette raison que la Commission a mis sur la table, en même temps que des objectifs d’émission de gaz à effet de serre, une proposition pour établir à partir de 2020 une réserve de marché. Avant cette date, nous avons tenté de différer une partie des droits, mais cela n’a pas pleinement résolu le problème. Pour la période après 2020, nous espérons que ce mécanisme de réserve de marché permettra des corrections quand le marché est défaillant.

Cela renvoie à la question de la cohérence des objectifs entre eux. Nous avons travaillé à des modèles permettant que la poursuite des objectifs quant aux renouvelables et à l’efficacité énergétique ne mette pas à mal le système d’échanges de droits d’émission.

Le complément de rémunération entre dans le cadre des aides d’État aux énergies renouvelables. Rappelons les principes généraux qui s’appliquent à toutes les aides d’État. Tout d’abord, il faut que l’État démontre que le marché ne conduit pas aux objectifs souhaités et que son intervention financière est par conséquent indispensable. Ensuite, cette intervention ne doit jamais aller au-delà du nécessaire : elle doit être proportionnée et ne pas dépasser la différence entre les coûts réels et les coûts de marché. L’existence de surcompensations par le passé est l’une des raisons pour lesquelles les prix de l’énergie ont fortement augmenté : les systèmes de taxes, contributions et aides mis en place ont été trop coûteux. En outre, au fur et à mesure que les technologies deviennent meilleur marché, il convient d’ajuster les subventions.

Je ne pense pas qu’il y ait de problème s’agissant des obligations d’achat. Je m’en assurerai.

S’agissant de l’hydroélectricité, nous sommes conscients que c’est à la fois une façon de produire de l’électricité – elle représente 40 % de l’électricité renouvelable en France : c’est le taux européen le plus élevé – et un moyen de stockage permettant de résoudre le problème de l’intermittence des énergies renouvelables. Un État membre peut toujours imposer des obligations de service public aux opérateurs. L’ouverture de la gestion des concessions d’hydroélectricité n’empêche pas l’État d’imposer aux gestionnaires, quels qu’ils soient, des contraintes dans le sens des objectifs politiques en matière de stockage ou de renouvelables.

M. le président François Brottes. Contraindre coûte parfois très cher. Celui à qui on fait obligation le fait payer.

Mme Anne Houtman. De ce point de vue, l’opérateur historique est dans la même situation que les autres. Il existe peut-être des opérateurs capables de gérer une centrale à un coût meilleur pour la collectivité que celui d’EDF. L’ouverture à la concurrence ne vise pas à empêcher EDF d’être gestionnaire mais de donner la possibilité à d’autres, s’ils sont meilleurs, d’assurer cette gestion. Si, lors d’un appel d’offres, EDF est le meilleur offrant, c’est cette société qui sera retenue, dans la plus parfaite légalité européenne.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titre Ier et V du projet de loi. Pouvez-vous nous donner un exemple de pays européen ayant mis en place une concurrence telle que vous la demandez ? Il s’agit de la question de la réciprocité.

Mme Anne Houtman. Je m’en informerai, mais il ne s’agit justement pas de réciprocité : la réciprocité est le contraire même de la logique du marché intérieur et du droit européen. Le fait qu’un autre État membre se trouve en infraction ne rend pas moins grave celle éventuellement commise par la France. Le gouvernement français, en 2002 ou 2003, avait pris des engagements, assortis d’un calendrier ; sur cette base, nous avons retiré la procédure d’infraction, mais ces engagements n’ont jamais été tenus. Les nouvelles règles sur les concessions permettent de respecter l’intérêt général dans les États membres. Michel Barnier a tenu à s’en assurer.

M. le président François Brottes. Les modèles sont différents. L’obligation de mise en concurrence ne s’impose pas, je crois, en Allemagne, qui a un autre régime juridique que nous. Les voies de contournement sont nombreuses.

Je note que des engagements ont été pris en 2003. J’avais pourtant cru comprendre qu’il n’y en avait pas eu…

Mme Anne Houtman. Pour le carbone, il existe deux marchés, dont l’un est soumis au système d’échanges de quotas. Dans ce système, les droits sont mis aux enchères, ce qui est incompatible avec une fixation de limites au niveau européen.

Tout le monde à la Commission européenne reconnaît que le marché de l’électricité fonctionne mal, et ce parce qu’il n’est pas encore vraiment intégré et que les outils de la coopération entre États fait défaut. C’est ce que nous essayons d’améliorer dans les forums dédiés à ces questions. La carte européenne des prix de l’électricité montre des différences énormes, qui n’existeraient pas si un véritable marché intérieur de l’électricité fonctionnait. Un opérateur rationnel constatant qu’il peut vendre plus cher dans un État voisin devrait être incité par là-même à financer des interconnexions. Cette question des interconnexions est intimement liée à celle du marché intérieur.

Il n’existe pas de règles spécifiques concernant les aides au nucléaire. Je suppose que M. le rapporteur fait référence au dossier Hinkley Point. Nous avons ouvert une procédure, pour permettre à toutes les parties de nous présenter leurs observations. Le dossier est complexe : il s’agit d’examiner le mécanisme de compensation prévu, qui se situe à la croisée de deux systèmes que nous connaissons, et de vérifier les conditions qu’offrirait le marché pour des prêts dans ce genre d’investissements à très long terme. Nous ne sommes pas encore parvenus à une position définitive.

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Le nucléaire n’est donc pas bon marché ?

Mme Anne Houtman. Les nouvelles centrales ne sont pas bon marché, en effet, et il existe en outre de nombreuses incertitudes sur l’avenir. En élaborant la feuille de route pour 2050, nous avons bien vu combien il est difficile de faire des hypothèses sur le prix des énergies à long terme.

M. le président François Brottes. Je me suis toujours demandé comment l’Europe pouvait prétendre réguler la production d’énergie alors que nous sommes si dépendants du pétrole et du gaz extérieurs. Si les marchés du pétrole et du gaz étaient régulés, cela se saurait. Il y a là, me semble-t-il, une forme de naïveté.

Mme Anne Houtman. Ce n’est pas vraiment le cas. Dans les prix de l’électricité et du gaz, il faut distinguer le prix de la production et les autres prix : utilisation des réseaux, distribution, taxes et contributions. Nous avons publié, au mois de janvier, une étude sur les coûts et les prix de l’énergie : la différence de coûts n’a pas tant pour origine les coûts de gros que les coûts de détail. Ce sont surtout les coûts d’accès au réseau, les coûts de commercialisation, ainsi que les taxes et contributions qui ont fait monter les prix. Nous ne régulons pas les coûts de gros, sur lesquels nous avons en effet peu de prise dans la mesure où nous dépendons de pays exportateurs, mais nous pouvons diminuer les autres prix.

Cela m’amène à la question centrale du signal de prix. D’un côté, nous voulons l’efficacité énergétique, laquelle pourrait être obtenue par un prix élevé, mais, de l’autre, nous voulons comprimer les prix pour que les consommateurs et l’industrie ne souffrent pas. Tout ce qui peut l’être doit être comprimé, notamment par une plus grande efficacité du transport, de la distribution, de la commercialisation, des subventions. Mais nous prenons aussi des mesures d’efficacité énergétique, telles que la promotion de l’écoconception, afin d’obliger les opérateurs à retirer du marché les produits les moins efficaces, et de l’étiquetage, pour permettre aux consommateurs de choisir des produits en tenant compte non seulement du prix d’achat mais aussi de l’efficacité énergétique. Les industriels sont beaucoup plus sensibles à cette donnée : en Europe, ils ont accompli de grands progrès en matière d’efficacité énergétique, alors que le consommateur individuel a encore tendance à choisir en fonction du seul prix d’achat. On se moque souvent de la Commission quand elle demande de retirer des aspirateurs du marché, mais nous avons besoin de telles mesures, car le consommateur n’a pas toujours une vision à suffisamment long terme.

La directive sur l’efficacité énergétique prévoit que les États membres soumettent à la Commission des plans assez détaillés, dans lesquels ils avancent leurs estimations des gains potentiels de chaque mesure. Nous vérifions si les États sont sur la bonne trajectoire pour atteindre les objectifs. En matière d’efficacité énergétique, ces objectifs ne sont pas contraignants, contrairement aux objectifs de renouvelables de la directive ; il ne peut donc y avoir de procédure d’infraction. Il s’agit d’un processus de nature politique. Malheureusement, on sait que, souvent, les États ne respectent pas leurs engagements. Le rôle de la Commission est de les leur rappeler et de tenter de les convaincre ; elle n’a pas d’autres armes.

La séparation de la production, du transport et de la distribution d’énergie est une obligation aux termes du troisième « paquet énergie ». Cela s’applique d’ailleurs à d’autres opérateurs, notamment à l’opérateur du gaz russe. Cela a été très controversé. Nous sommes actuellement au stade du dialogue avec les États membres. Des procédures d’infraction pourraient être lancées si mes collègues considéraient que le troisième paquet n’est pas respecté.

L’outre-mer, et en particulier les régions ultrapériphériques, bénéficient, en raison des handicaps liés à leur isolement, de financements et d’avantages prévus par la législation européenne. La Commission étant consciente des coûts supplémentaires occasionnés par l’isolement, elle encourage, quand c’est possible, les interconnexions, et, quand c’est impossible, elle autorise des compensations, soutenues par des budgets européens spécifiques.

S’agissant des aides allemandes aux entreprises électro-intensives, je pense qu’il y a une procédure en cours ; je le vérifierai.

Le renouvelable n’a pas disparu : nous avons proposé un objectif de 27 % contraignant au niveau européen. La différence avec la période précédente, c’est que l’objectif n’est pas contraignant au niveau des États membres. Il s’agit d’un système d’indicateurs et de gouvernance sur la base duquel la Commission entrera en dialogue avec chaque État pour les encourager à contribuer. Nous verrons, au Conseil européen, si les États sont unanimes sur cet objectif de 27 %. Ils doivent se montrer cohérents.

M. Julien Aubert. Dans ces négociations avec les États, l’effort demandé sera-t-il pondéré en fonction du niveau des émissions ? Considérerez-vous qu’un pays comme la France, qui dégage déjà beaucoup moins de gaz à effets de serre que d’autres, peut se voir demander moins d’efforts ?

Mme Anne Houtman. Nous avons demandé par le passé aux États membres quelle était leur offre, en fonction de leur potentiel. Certains ont un potentiel supérieur, mais le critère n’est pas le niveau d’émission de CO2.

M. Julien Aubert. On ne récompense pas les plus vertueux !

Mme Anne Houtman. L’objectif du projet de loi français est supérieur à celui proposé par la Commission, mais la France ne fait pas partie des premiers États membres au regard du renouvelable, notamment parce qu’elle atteint ses objectifs en matière de CO2 grâce au nucléaire.

M. le président François Brottes. La France pourrait-elle vendre à d’autres pays des droits à polluer ?

Mme Anne Houtman. Le système d’échanges ETS est destiné à le permettre, mais pour le carbone, non pour les énergies renouvelables. Une possibilité pour atteindre des objectifs ambitieux en termes de consommation de renouvelables serait d’en acheter moins cher, par exemple à l’Espagne, qui a des surcapacités dans le domaine. Toute la logique des interconnexions est de permettre d’atteindre les objectifs en matière de renouvelables, avec le meilleur rapport coût-bénéfice.

Une limitation de la capacité du nucléaire, dans un contexte de monopole de la production, est de nature à créer des doutes sur la compatibilité avec le marché intérieur, puisque cela peut représenter, au moins à court terme, un obstacle pour les nouveaux entrants. Le principe du traité, c’est que les États membres ont une compétence exclusive sur le choix de leur bouquet énergétique. Ainsi, les Allemands ont librement choisi de supprimer à terme le nucléaire. Nous aurions cependant souhaité qu’ils se concertent avec leurs partenaires, et, dans le cadre du semestre européen, nous le leur avons dit. À plus long terme, toutefois, la question ne se pose pas, car des centrales vont devenir obsolètes, ce qui créera des opportunités pour de nouveaux entrants.

M. Julien Aubert. Pourrez-vous nous fournir des éléments complémentaires d’analyse par écrit ?

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Si vous regrettez, madame, que l’Allemagne ne se soit pas concertée avec ses voisins sur la suppression du nucléaire, j’imagine que vous regrettez aussi que la France ne l’ait pas fait avant de décider de rester à un tel niveau de nucléaire ?

Mme Anne Houtman. Comme je l’ai dit au tout début de mon intervention, il serait souhaitable que la France communique avec ses partenaires européens sur son projet de loi. Pour qu’il y ait une politique européenne plus cohérente, une véritable Union européenne de l’énergie, il faut que les États acceptent de collaborer. L’interdépendance est évidente ; elle permettrait de faire baisser les prix et rendrait possible une solidarité en cas de problèmes. La crise ukrainienne a rendu cruciale cette question de la solidarité. Pour certains États membres, c’est absolument vital, en raison de leur dépendance. Nous avons obtenu des droits de passage entre la Slovaquie et l’Ukraine, nous avons pris des mesures de stockage d’urgence… Les interconnexions ont joué un rôle important.

M. le président François Brottes. Le choix du nucléaire en France, monsieur le rapporteur, a été décidé quelque peu avant l’adoption des directives européennes en matière d’énergie, alors que la décision allemande est intervenue après…

La France est la seule République à avoir créé l’ARENH (Sourires), l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, qui impose à l’opérateur unique de partager avec les autres opérateurs. C’est le moyen qu’a imaginé notre pays pour qu’il existe une concurrence dans ce domaine.

Mme Anne Houtman. Une meilleure interconnexion, monsieur Caullet, devrait conduire à une plus grande convergence des prix. Ceux qui peuvent produire à meilleur marché devraient pouvoir exporter, ce qui ferait baisser les prix dans les autres États.

Je me renseignerai sur des exemples de politiques réussies en matière d’habitat, mais je ne risque pas trop de me tromper en disant que les pays nordiques en font partie.

Sur la question de la biomasse et des forêts, j’utilise mon joker. Pourquoi le prix du renouvellement de la ressource ne se trouve-t-il pas déjà inclus dans le prix de vente ? L’exploitant d’une forêt devrait logiquement considérer qu’une partie de sa structure de coûts a vocation à être consacrée au renouvellement de la ressource. Si ce n’est pas le cas, si le marché ne fonctionne pas bien, il est toujours possible de prévoir des obligations de service public. Rien, dans le droit européen, n’empêche un État membre d’imposer aux exploitants de forêt une obligation de renouvellement.

M. Jean-Yves Caullet. Cela existe déjà : dans la plupart des pays européens, l’exploitation ne doit pas conduire à la déforestation. Simplement, nous nous comportons, au plan européen, comme un pays en voie de développement qui vend sa ressource, sans transformation, sans valeur ajoutée, en perdant l’écoproduit. Si nous étions producteurs de pétrole, nous nous poserions la question de savoir s’il n’est pas plus pertinent de raffiner et de consommer le pétrole chez nous plutôt que de le vendre dans l’hémisphère sud.

Mme Anne Houtman. J’avais cru comprendre que votre question portait sur la compatibilité d’une contribution au renouvellement avec le droit européen, mais vous parlez de politique industrielle.

J’utilise un second joker sur la question de l’économie circulaire, car je n’ai pas analysé le texte assez en détail pour savoir si les mesures sont suffisantes. Elles me semblent à première vue en ligne avec la politique européenne, et je ne prévois donc pas de difficulté.

M. le président François Brottes. Merci, madame la directrice, d’avoir éclairé nos débats sur le texte français relatif à la transition énergétique.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Réunion du mercredi 17 septembre 2014 à 8 h 15

Présents. - M. Bernard Accoyer, Mme Sylviane Alaux, M. Julien Aubert, Mme Ericka Bareigts, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. Yves Blein, M. Jean-Luc Bleunven, M. François Brottes, Mme Sabine Buis, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Jacques Cottel, M. Pascal Deguilhem, M. Daniel Fasquelle, M. Claude de Ganay, M. Jean-Luc Laurent, M. Alain Leboeuf, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Victorin Lurel, Mme Frédérique Massat, M. Philippe Plisson, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, Mme Béatrice Santais, M. Michel Sordi, M. Lionel Tardy, M. Stéphane Travert, Mme Catherine Troallic, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Françoise Dubois, M. Antoine Herth, M. Franck Reynier

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Louis Bricout, M. Christian Franqueville, M. Jean-Claude Fruteau, M. Alain Gest, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Michel Lesage, Mme Barbara Pompili, M. Dominique Potier, M. Christophe Premat, Mme Catherine Quéré, M. Bernard Reynès