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Commission spéciale pour l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Mercredi 17 septembre 2014

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 14

Présidence de Mme Béatrice Santais Vice-Présidente puis de M. François Brottes Président

– Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Alexandre Grillat, secrétaire national de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC), Mme Marie-Claire Cailletaud, secrétaire fédérale de la Confédération générale du travail (CGT) et M. Dominique Launay, secrétaire général de l’Union interfédérale des transports de la CGT, M. Dominique Olivier, de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), accompagné de M. François Delatronchette, et M. Jacky Chorin, secrétaire fédéral de Force ouvrière (FO)

Mme Béatrice Santais, présidente. Notre commission spéciale reçoit aujourd’hui des représentants des syndicats, qui vont exposer tour à tour leur position sur le projet de loi relatif à la transition énergétique.

M. Dominique Olivier, secrétaire confédéral de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Bien que la CFDT approuve les grands objectifs définis dans le projet de loi relatif à la transition énergétique, je voudrais formuler quelques réserves et remarques.

Il nous semble que la recherche d’un « prix compétitif de l’énergie » va à l’encontre de la philosophie du signal-prix, qui tend à dissuader la consommation. Si le projet de loi pose en principe l’économie circulaire, cette référence au prix compétitif est dénuée de sens, puisque le but est précisément de se passer du recours à l’énergie.

Par ailleurs, plutôt qu’un « accès de tous à l’énergie », il vaudrait mieux évoquer un « accès aux services requérant de l’énergie ». Il ne faut pas se borner à viser l’optimisation des ressources et de l’énergie, mais englober cet objectif dans une approche plus large incluant le transport et la mobilité durable, notamment pour définir les territoires à énergie positive.

La CFDT approuve et soutient les objectifs ambitieux du projet de loi, notamment la division par quatre des gaz à effet de serre d’ici à 2050, ainsi que la division par deux des consommations finales d’énergie. Mais il manque, à ses yeux, un objectif intermédiaire de réduction de la consommation pour 2030. Nous souhaiterions également que la loi précise que la sobriété passe avant l’efficacité énergétique, alors que le projet de loi prend le chemin inverse. Enfin, la question des informations stratégiques à protéger dans le champ de l’énergie et de la mobilité n’est pas traitée. Certaines sociétés pourraient faire main basse sur des informations commerciales ou des données de géolocalisation, et il ne faudrait pas que, demain, le consommateur soit contraint de passer par elles, comme il est aujourd’hui obligé de passer par Booking.com pour réserver une chambre d’hôtel. C’est la puissance publique – par le biais d’une agence, par exemple – qui doit garder la mainmise sur ces données : ceux qui en ont besoin y auront accès, mais elles ne seront pas monnayées.

En matière de rénovation thermique, nous sommes plutôt favorables aux mesures envisagées, notamment celles qui visent à lever les freins en matière de règles d’urbanisme pour des obligations de travaux motivées et limitées. Il manque toutefois un cadrage des guichets uniques pour les candidats à la rénovation thermique des bâtiments. Nous avons aujourd’hui des espaces Info-énergie et des structures décentralisées de l’ADEME : que vont-ils devenir ?

Le tiers financement doit également être facilité, afin que les collectivités territoriales puissent nouer des partenariats avec les établissements bancaires. Cela exigerait une dérogation, limitée et ponctuelle, au code monétaire et financier.

En ce qui concerne le transport et la mobilité durable, nous critiquons la priorité donnée aux véhicules électriques et hybrides rechargeables, dont l’usage ne devrait pas être généralisé. Le chiffrage des bornes de recharge est au demeurant fantaisiste, car elles coûteront sans doute plus cher. Il faut d’ailleurs préciser ce que sont des véhicules propres. Nous donnons la priorité à la motorisation au gaz renouvelable, issu de la biomasse, qui permettrait d’éviter l’usage de gasoil très polluant et émetteur de particules fines. Certaines innovations, comme l’Hybrid Air de Peugeot, sont déjà assez performantes.

Les transports par câble, tel le téléphérique urbain, sont quasi inexistants en France. Ils représentent pourtant un fort potentiel : quatre-vingts pays en sont déjà équipés.

Quant au soutien aux énergies renouvelables (EnR), la modulation du tarif d’achat en fonction d’un prix de marché et d’un complément de rémunération est une formule qui nous convient. Mieux vaut en effet encourager l’investissement que la rente, car un tarif d’achat garanti n’est rien d’autre qu’une rente sur vingt ans.

Nous estimons que les citoyens et les collectifs citoyens doivent pouvoir participer à des sociétés de projet d’EnR, sans que cela soit une simple option.

Au sujet des concessions hydrauliques, il faut éviter la politique de l’autruche et répondre aux exigences de l’Union européenne. Le système proposé présente cependant des faiblesses. Certes, il sécurise l’emploi et le statut des salariés des ouvrages. Mais le sort des services généraux resterait incertain, car ils ne seraient pas intégrés aux sociétés d’économie mixte (SEM), mais ne pourraient travailler pour l’opérateur historique. Enfin, le système intégré de l’hydroélectricité serait affaibli, puisque la production et le réseau seraient nettement séparés. Mieux vaut ouvrir une large concertation et surseoir à ce qui est envisagé.

Au-delà des chiffres invoqués comme des totems, la CFDT défend une réduction de la part d’électricité provenant du nucléaire, mais elle la chiffre à 60 % en 2030. Bien sûr, certaines centrales devront fermer, mais il convient de réfléchir à la manière de s’y préparer. En l’état, le dialogue social ne permet pas de répondre aux questions posées. La transition professionnelle doit être envisagée. Les personnels non statutaires, sous-traitants et prestataires, sont les plus menacés. Les offres de mobilité peuvent apporter des solutions aux personnels statutaires, mais elles peuvent aussi entraîner des problèmes humains et familiaux.

Parmi les points que le projet de loi ne fait qu’effleurer, je citerai l’information des populations. Il ne définit pas les conditions d’une prolongation au-delà de quarante ans de la durée de vie d’une centrale : doit-elle faire l’objet d’une simple information des populations ou d’une concertation enrichie ? Comme la convention d’Aarhus doit-elle s’appliquer en pareil cas ? Loin des préoccupations idéologiques, il faut mener un débat de qualité avec nos concitoyens, pour faire reculer les refus de principe au profit d’une approche plus pragmatique.

Au sujet de la gouvernance, nous approuvons particulièrement la définition d’une stratégie bas carbone avec des budgets carbone sectoriels, de même que la programmation pluriannuelle de l’énergie. Tout cela doit être mis en cohérence avec la déclinaison territoriale prévue dans les schémas régionaux climat, air, énergie (SRCAE). Le volet de l’emploi, des compétences et de la transition professionnelle fait cependant défaut à tous ces instruments de planification. Nous ferons dès demain des propositions écrites à ce sujet.

D’autre part, si le secteur des transports se voit allouer un budget carbone en baisse, comment cette évolution sera-t-elle accompagnée sur le plan social ? La grande distribution est ciblée, alors que d’autres secteurs – auxquels chacun pense – ne le sont pas, tel celui des transports.

M. Jacky Chorin, secrétaire fédéral de Force ouvrière (FO). Le projet de loi sur la transition énergétique, fût-il rebaptisé « pour la croissance verte », reprend plusieurs points qui n’avaient pas fait consensus lors du débat national sur la transition énergétique : la réduction de 50 % de la consommation d’énergie en 2050 et la réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique à l’horizon 2025. Force ouvrière réaffirme son opposition à ces deux points.

Pour FO, il est indispensable, en matière d’énergie, de partir d’abord des besoins des citoyens et de se situer dans une volonté de développement économique, et notamment industriel, de notre pays. L’objectif de réduction de 50 % de consommation d’énergie, que nombre d’experts estiment d’ailleurs irréalisable, va à l’encontre de ces objectifs et suppose à nos yeux un abandon de toute ambition industrielle et une logique de décroissance.

FO soutient la poursuite des efforts en matière d’efficacité énergétique dès lors qu’elle est fondée sur des incitations. C’est d’ailleurs pourquoi nous sommes opposés aux obligations de travaux prévues par ce texte, qui sont à nos yeux contre-productives. En outre, l’importance des moyens financiers qui doivent être mobilisés dans un contexte de réduction budgétaire, ajouté au fait que le texte n’institue aucune garantie de performance des travaux – elle est pourtant à nos yeux une des conditions de la réussite –, nous fait sérieusement douter de la réalisation des objectifs ambitieux prévus par ce texte.

S’agissant des mix énergétique et électrique, FO rappelle que, pour elle, le mix énergétique optimal doit articuler des impératifs de coût pour les ménages et les entreprises, la sécurité d’approvisionnement pour notre pays, la sûreté des installations – aspect qui, pour le nucléaire, est assuré par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) –, ainsi que la maîtrise des émissions directes ou indirectes de dioxyde de carbone, du nombre des emplois et du niveau des garanties collectives.

FO constate que le projet de loi cible particulièrement l’électricité d’origine nucléaire et laisse très largement de côté le pétrole et le gaz. De ce point de vue, il s’agit plus d’une loi sur l’électricité que d’une loi sur l’énergie. Elle apparaît, en bien des points, calquée sur la politique énergétique menée outre-Rhin, dont l’échec est pourtant aujourd’hui patent.

C’est pourquoi Force ouvrière tient à souligner l’aspect idéologique de ces dispositions, d’autant plus incompréhensibles qu’elles frappent un secteur industriel dans lequel la France est le leader mondial et qui emploie 220 000 salariés. Pour FO, le nucléaire est une industrie d’avenir.

En outre, plusieurs dispositions concernant le nucléaire paraissent inconstitutionnelles : celles plafonnant la part du nucléaire dans le mix électrique ou celles imposant à la seule EDF l’élaboration d’un plan stratégique soumis au contrôle du gouvernement. Il est d’ailleurs singulier de constater que les contraintes ne pèsent que sur l’opérateur énergétique public, mais que les entreprises privées en sont totalement exclues. Nous sommes donc opposés à ces dispositions, et nous en demandons le retrait.

FO s’étonne également que la représentation nationale soit amenée à se prononcer sans que les aspects financiers du texte ne soient documentés. Il n’y a en particulier aucune indication sur l’impact que l’augmentation de la part des énergies renouvelables prônée par ce texte aurait sur la contribution au service public de l’électricité (CSPE) que payent les usagers, pas plus que sur le coût complet des énergies intermittentes, notamment les coûts de réseau. Il n’y a pas non plus d’indications sur l’indemnité, dont le principe est reconnu dans l’étude d’impact, qui devrait être versée à EDF si le texte devait être promulgué en l’état s’agissant du plafonnement du nucléaire.

En réalité, le projet de loi occulte l’échec des politiques de déréglementation et de concurrence mises en œuvre au plan européen sur l’électricité et sur le gaz, avec l’appui des gouvernements français successifs. Il va même plus loin, puisqu’il prévoit des dispositions organisant la mise en concurrence des concessions hydro-électriques. Pourtant, la récente directive européenne sur les concessions permet de maintenir des droits exclusifs au profit des services d’intérêt économique général. Or, en raison du rôle qu’elle joue en matière d’équilibrage des réseaux, l’hydraulique permet de fonder de tels droits exclusifs. Nous demandons donc le retrait des articles sur l’hydraulique : le Gouvernement a ici l’occasion de faire preuve de volontarisme en tournant enfin le dos aux déréglementations.

Quant au volet social du texte, force est de constater qu’il est quasi inexistant. La communication ministérielle affirme que l’efficacité énergétique devrait créer plusieurs milliers d’emplois. Mais ces emplois, dont le nombre dépendra de conditions que nous avons déjà précisées, sont pour nous indépendants du mix énergétique ou électrique choisi.

S’agissant des emplois dans l’électricité, nous tenons à souligner que notre Confédération n’oppose pas les énergies les unes aux autres, encore moins les salariés qui y travaillent. Nous défendons avec la même détermination les salariés de Photowatt, de Total, de GDF Suez, d’Areva, d’EDF et tous ceux qui vont travailler dans la filière de l’efficacité énergétique. Il n’en est pas moins vrai que les salariés du nucléaire se sentent aujourd’hui injustement mis en cause. Pourtant, le Comité stratégique de filière nucléaire prévoit que, d’ici à 2020, 100 000 postes devront faire l’objet de remplacements. Que deviennent ces prévisions avec ce projet de loi ? Aucune indication n’est donnée.

La question de l’emploi se double d’une question de plus en plus prégnante sur les garanties collectives des salariés du secteur, en particulier ceux qui sont soumis au statut du personnel des industries électriques et gazières. En effet, au mépris des textes existants, les exploitants d’éoliennes de plus de 8 mégawatts n’appliquent pas le statut : ils créent des sociétés de projet et sous-traitent l’ensemble de leurs activités. C’est là une fraude à la loi et un dumping social d’autant plus intolérable dans un contexte où l’on souhaite développer les EnR. Le périmètre du statut résultant de la loi et du décret, nous demandons que l’État en garantisse effectivement l’application.

C’est d’autant plus indispensable que l’un des opérateurs historiques, GDF Suez, cherche aussi à se débarrasser des personnels bénéficiant du statut de la maison-mère. Plusieurs parlementaires de la majorité et de l’opposition ont d’ailleurs saisi la ministre de cette question, et nous sommes dans l’attente de sa réponse. Pour éviter toute interprétation, nous demandons donc une modification de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME, qui, en 2010, a réécrit le périmètre du statut.

Enfin, nous approuvons la création d’un chèque énergie pour les usagers modestes, quel que soit le mode de chauffage choisi, mais nous n’avons cependant pas bien compris le mode de financement de cet outil.

Présidence de M. François Brottes, président de la commission spéciale.

M. Alexandre Grillat, secrétaire national de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Comme vous le savez, la CFE-CGC s’est pleinement investie dans les débats depuis deux ans. Elle est donc, dans la branche des industries électrique et gazière, satisfaite de pouvoir vous livrer son point de vue sur le projet de loi relatif à la transition énergétique.

Nous partageons deux grands objectifs de cette loi : la lutte contre le réchauffement climatique et le combat pour la croissance et l’emploi. Ces deux piliers sont indispensables pour préserver le modèle social européen et offrir un avenir acceptable aux générations futures.

Les derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) montrent qu’il est urgent de développer une véritable stratégie mondiale bas carbone. Cette loi doit donc permettre d’inscrire pleinement la France dans un leadership mondial positif. Car nous sommes convaincus que la lutte contre les conséquences du réchauffement climatique et la croissance ne sont pas incompatibles. Nous nous inscrivons clairement dans la perspective de la Conférence Paris Climat (COP 21) de décembre 2015, mais aussi dans une perspective de long terme.

Nous soutenons donc pleinement l’ambition de cette loi en matière de facteur 4. Mais cela ne saurait rester un vœu pieux et doit absolument s’inscrire dans une politique européenne forte et cohérente. La nouvelle organisation de la Commission européenne semble aller dans le bon sens, puisque les portefeuilles de l’énergie et de l’action climatique seraient confiés à un seul et même commissaire. Nous allons donc devoir être plus présents sur la scène européenne.

L’urgence climatique nous commande d’aller vite, nous devons donc être à la fois ambitieux et réalistes. Au plan industriel, nous avons à la fois des leaders mondiaux et des start-up : il faut s’appuyer sur eux, non seulement pour qu’ils se développent, mais aussi pour qu’ils continuent à investir en France et à croire en notre pays. C’est l’un des paradoxes de cette loi. Nous sommes dans une économie mondialisée, le réchauffement climatique est mondial, mais c’est l’avenir de la France que nous devons écrire, ce sont les emplois d’aujourd’hui que nous devons défendre, ce sont les emplois de demain qu’il faut préparer.

À la lecture du projet de loi, nous éprouvons quelques regrets. Le principal porte sur la faiblesse du volet social et professionnel. Le projet de loi n’emporte aucun marqueur social, pourtant élément indispensable à la mobilisation des salariés. La CFE-CGC a souhaité voir l’élargissement de la branche professionnelle des industries électriques et gazières à tous les acteurs de la transition énergétique. Cette ambition sociale, à laquelle nous sommes attachés, est l’occasion d’offrir à tous les salariés un horizon social unifié.

Ce marqueur social permettra de préparer les indispensables transitions professionnelles et d’emporter l’adhésion des salariés, et plus globalement des Français. La transition énergétique doit être incarnée, palpable. Nos concitoyens, qui sont tous concernés dans leur famille par le chômage de masse, s’investiront d’autant plus pour changer de mode de vie et de consommation énergétique, s’ils voient dans cette mutation un espoir en matière de travail.

Mais, pour créer de l’emploi durable, le projet doit permettre la construction de filières pérennes. Nous sommes convaincus que les dispositions en faveur de l’efficacité énergétique passive – par l’isolation des bâtiments – ou active – par le pilotage des usages – créent rapidement des emplois, à condition que leur modèle économique repose sur une équation durable, soutenable par le consommateur et le contribuable. Nous plaidons donc en faveur d’un véritable signal prix pour l’énergie et d’un prix incitatif du carbone pour permettre les investissements et le transfert des usages vers des technologies moins émettrices.

Dans ce contexte, nous contestons formellement les propositions d’évolution de la construction tarifaire de l’électricité prévues à l’article 41. Comme le dit Marcel Boiteux, « les tarifs sont là pour dire les coûts, comme les horloges sont faites pour dire l’heure ». C’est la condition sine qua non pour permettre l’investissement dans le secteur électrique. Il est donc inacceptable, pour la CFE-CGC, de renoncer au principe de couverture des coûts. Introduire une variable aussi aléatoire que le prix de marché est pour nous un non-sens économique.

Tout le monde connaît les importantes distorsions qui affectent le prix de marché, en France et plus encore en Europe, en raison des dispositifs publics de soutien aux énergies renouvelables. On a même vu apparaître des prix de marché négatifs ! A contrario, les périodes anticycloniques de nuit peuvent conduire à une explosion des prix. À cela s’ajoutent les incertitudes sur le productible nucléaire belge et les alertes de Réseau de transport d’électricité (RTE) à propos des difficultés d’approvisionnement qui pourraient survenir cet hiver et des mises sous cocon des sites combinés à gaz pour des raisons économiques. Une commission d’enquête sur les tarifs de l’électricité vient d’être lancée. Nous vous proposons d’attendre ses conclusions avant d’engager toute réforme tarifaire.

Nous regrettons d’ailleurs nous aussi qu’une loi aussi fondamentale soit aussi électro-centrée : plus de 60 % de ses articles sont consacrés à l’électricité, et le pétrole, qui représente pourtant 50 % des consommations, en est quasi absent. Quelques esprits mal intentionnés pourraient y voir une loi anti-EDF. Nous sommes de ceux qui disent qu’EDF est au contraire une des solutions françaises pour réussir le pari d’une transition énergétique cohérente, responsable et pragmatique.

C’est pourquoi nous ne pouvons être favorables au volet hydroélectrique de la loi, alors même que les conséquences du réchauffement climatique à l’horizon 2020-2025 vont imposer aux ouvrages hydrauliques de nouvelles contraintes, voire de nouvelles missions de service public : protection contre les crues, limitation de la sécheresse. Nous rejetons donc la privatisation rampante – décidée au nom d’obscures promesses bruxelloises – d’outils stratégiques qui seront encore plus indispensables demain. L’urgence climatique et la Charte de l’environnement inscrite dans la Constitution nous fournissent tous les éléments pour proposer une autre alternative à la concurrence pure et dure.

Il nous semble d’ailleurs que cette loi devrait être l’occasion de renforcer la charte de 2004 sur la base du choix d’un modèle de société bas carbone.

Nous soutenons la stratégie bas carbone proposée, mais tous les objectifs doivent être en cohérence. Nous soutenons tout autant la programmation pluriannuelle de l’énergie qui en découle. Mais elle devra être en cohérence avec tous les dispositifs territoriaux, des SCRAE aux conférences NOME, entre autorités concédantes et autorités gestionnaires des réseaux de distribution. Pour être efficace, la programmation pluriannuelle de l’énergie devra pouvoir être déclinée sur les territoires et être chiffrée.

Par ailleurs, la stratégie bas carbone doit absolument intégrer toutes les composantes du mix énergétique, ainsi que ses indispensables adaptations aux évolutions climatiques. Elle doit intégrer la politique de transport et de mobilité du pays et tenir compte de l’ensemble des énergies.

Il nous semble donc prématuré de fixer une trajectoire pour la production nucléaire, qu’il s’agisse d’une limitation à 50 % ou d’un plafonnement à 63,2 gigawatts, en l’absence de définition du point de départ de notre stratégie bas carbone, qui permettrait de mesurer les valeurs de référence. Un volet géostratégique nous paraît tout aussi indispensable pour préparer l’avenir.

Afin de mettre en œuvre cette stratégie, nous sommes favorables à une priorisation des politiques publiques visant à l’efficacité énergétique en fonction du coût de la tonne de carbone évitée. Il faut donc prioriser les actions d’efficacité énergétique. Mais cette politique sera sans effet si elle n’est pas totalement connectée à la politique du logement et de l’urbanisme. Le coût de la tonne de dioxyde de carbone évitée ou, mieux, de notre empreinte carbone globale doit aussi guider notre politique de développement des énergies renouvelables. De même qu’il faut donner un coût au dioxyde de carbone, il faut déterminer qui finance le coût de l’intermittence de certaines EnR, et privilégier celles qui produisent en continu.

Nous sommes également favorables à une remise à plat de la CSPE et à tous les dispositifs qui favoriseront la transparence vis-à-vis de nos concitoyens, que ce soit à propos des coûts, des impositions de toute nature ou de l’application de la TVA. Il en va de la gouvernance démocratique du système énergétique.

L’évolution de la gouvernance du système énergétique est indispensable pour permettre l’adhésion des salariés, et plus globalement de tous les Français, pour bâtir en toute confiance un socle commun. Nous devons mettre le service public au cœur de la transition énergétique et aller vers un modèle plus participatif dans le secteur de l’énergie, y compris pour mobiliser l’épargne des Français vers la transition énergétique.

Sans confiance, il n’y aura pas de mobilisation ni d’élan créatif, alors que cette loi devrait voir refleurir le génie français.

M. le président François Brottes. Nous n’avons pas eu de nouvelles de M. Denis Lavat, secrétaire fédéral adjoint de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), qui avait pourtant accepté notre invitation.

Mme Marie-Claire Cailletaud, secrétaire fédérale de la Confédération générale du travail (CGT). Depuis plusieurs années, la CGT s’est engagée dans ce débat qui concerne les salariés, l’emploi, les activités productives et, bien sûr, tous les citoyens. Aussi, nous déplorons que le Gouvernement ait eu recours à la procédure législative accélérée, qui ampute le nécessaire débat démocratique sur un sujet portant des enjeux de société essentiels pour les décennies à venir.

La CGT considère que le projet de loi relatif à la « transition énergétique » n’en porte que le nom. En effet, il n’embrasse pas l’ensemble des questions énergétiques dans une dynamique de réponse aux besoins des populations, dans le contexte inédit et urgent de la limitation drastique de nos émissions de gaz à effet de serre. Le projet de loi traite essentiellement la question de l’électricité, et ce, de manière partielle. Pétrole, charbon et gaz sont absents, en dehors de la volonté globale affichée de la diminution des ressources fossiles.

La CGT estime que ce projet de loi est très en deçà des ambitions exprimées dans la synthèse des débats qui ont mobilisé de nombreux acteurs pendant plus de six mois.

Elle conteste deux objectifs principaux du projet. Le premier concerne l’objectif de diviser par deux la consommation d’énergie à l’horizon 2050. Cette perspective est incohérente avec la démographie dynamique de la France, avec le redressement souhaitable de notre industrie et avec la satisfaction des besoins sociaux. Les baisses de consommation observées ces dernières années ne sont que l’expression des conséquences qu’ont sur l’activité la crise et la disparition de l’industrie dans les territoires.

Pour la CGT, la responsabilité historique devant laquelle nous sommes placés impose un objectif très ambitieux : nous devons contribuer à réduire de 40 % en 2030 les émissions de gaz à effet de serre en Europe. Pour y parvenir, la France dispose de plusieurs leviers à utiliser au mieux en fonction des atouts dont elle dispose et des moyens matériels qu’elle peut et doit mobiliser. Rien n’oblige à miser de façon aussi massive sur la baisse de la consommation, même si l’efficacité énergétique est une composante de la baisse des émissions de gaz à effet de serre.

Plusieurs raisons fondent notre conception. D’abord, le redressement de notre industrie, condition primordiale au redressement du pays, suppose un accroissement de nos capacités de production. Compte tenu de l’intégration des dispositifs d’efficacité énergétique dans les process industriels, une baisse massive de la consommation énergétique ne peut être obtenue que par la poursuite de la désindustrialisation du pays.

Ensuite, les délocalisations conduisent à faire fabriquer à l’extérieur les produits que nous devons ensuite importer. Les émissions de gaz à effet de serre correspondantes sont le plus souvent bien plus fortes, compte tenu de la production énergétique des pays concernés. Il s’avère donc pertinent pour la planète et ses peuples de contrecarrer les délocalisations, voire de favoriser les relocalisations.

En outre, selon les meilleures prévisions, la population française devrait passer de 65 millions d’habitants aujourd’hui à 70 millions en 2050. Cette réalité a été clairement sous-estimée dans la cible d’une division par deux de la consommation. En effet, cela supposerait que chaque habitant consommerait 54 % d’énergie en moins.

Est également sous-estimé le transfert d’usage, c’est-à-dire le changement des sources d’énergie utilisées, pour satisfaire un besoin déterminé, alors qu’il peut apporter une contribution importante à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est la raison pour laquelle la CGT a fortement insisté lors de la conférence environnementale de 2012 pour que la dimension des transports soit incluse dans la loi.

Par ailleurs, les nouvelles technologies très consommatrices d’électricité se développent fortement. Enfin, l’accent mis dans le projet de loi sur le développement du véhicule électrique va dans le sens d’un transfert d’usage dans l’utilisation du véhicule individuel vers une source d’énergie peu émettrice de gaz à effet de serre, l’électricité.

Pour toutes ces raisons, la CGT estime que la part de l’électricité va croître dans le bouquet énergétique.

À côté de l’objectif de réduction de 40 % en 2030 des émissions de gaz à effet de serre au niveau européen et de la division par deux de la consommation d’énergie en France, le projet de loi fixe des objectifs quantifiés quant à la part du nucléaire et celle de la consommation d’énergie fossile, et promeut enfin le développement des EnR.

Le second point contesté par la CGT a trait à la diminution du nucléaire. Pour la CGT, ces objectifs sectoriels sont difficilement conciliables et peuvent conduire à des surcoûts, voire à des impasses. Quand on considère la place centrale de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, on ne peut réduire de façon automatique la part du nucléaire sans expliciter les moyens de produire les 50 % restants. Or le projet de loi est muet sur ce point.

Cela s’explique par deux raisons essentielles qu’il faut savoir lire en filigrane. D’une part, le coût du soutien direct aux EnR est en passe de devenir insoutenable. C’est l’essence du projet de réforme du dispositif d’obligation d’achat, que la CGT a demandé de longue date. C’est aussi pour cette raison que le projet propose la mise en place d’un comité de la CSPE, pour surveiller la montée en charge de cette contribution qui pèse sur les consommateurs. D’autre part, l’adaptation des réseaux au développement des EnR, en électricité comme en gaz, se heurte à des besoins d’investissements, et n’est pas sans poser problème à la sécurité du système énergétique. Cette réalité appelle, pour la CGT, à favoriser et à soutenir la recherche afin de lever les obstacles de tous ordres au développement massif des EnR.

La CGT remarque également que la composante thermique classique, gaz et charbon principalement, n’est pas évoquée dans le projet de loi. Or les pays qui ont fortement développé les énergies renouvelables disposent de capacités thermiques importantes, contrairement à la France. La baisse de 30 % des consommations d’énergies fossiles annoncée en 2030 exclut a priori un recours massif au thermique dans la production d’électricité. Les chiffres avancés semblent donc difficiles à concilier. De plus, la manière dont ils ont été choisis n’est pas non plus explicitée.

Plutôt qu’un plafonnement a priori du parc nucléaire, la CGT estime judicieux un processus d’évolution du bouquet énergétique au fur et à mesure de la maturité des technologies sous le triple aspect social, environnemental et économique. Les choix opérés ont des conséquences dans ces trois domaines.

La hausse des tarifs consécutive à des décisions incohérentes aura des conséquences non seulement sur les usagers, notamment par la hausse des factures, mais également sur l’industrie. Or chacun sait que l’accès à une énergie fiable à un coût abordable constitue un facteur majeur de localisation industrielle, et que cela ne concerne pas seulement les énergo-intensifs.

La France fournit un mix énergétique à un prix moyen inférieur à celui de ses voisins européens. Le prix de l’électricité fournie aux particuliers est en Allemagne de 80 % supérieur à celui pratiqué en France. L’énergie entre en moyenne pour plus de 8 % dans le budget des ménages, ce taux étant cependant plus important pour les ménages modestes. Les taxes qui frappent l’énergie sont lourdes. Pour la CGT, le maintien de choix énergétiques assurant une énergie accessible à tous doit rester une priorité.

Concernant l’efficacité énergétique, la question des transports – premier secteur émetteur de gaz à effet de serre et consommant un quart de l’énergie – n’est évoquée qu’au travers du développement du véhicule électrique. Quant aux questions qui fâchent, elles ne sont pas abordées : le fret ferroviaire ; les fermetures de lignes secondaires ; l’autorisation de circulation des camions de 44 tonnes ; la sous-tarification des transports – maritime, routier, marchandises – ; la multimodalité ; l’urbanisme, qui devrait créer les conditions pour que les salariés n’aient pas à habiter loin de leur lieu du travail en raison du coût des logements ; l’appareil productif manquant pour produire ou recycler, qui conduit à importer la majorité des produits de consommation, sans compter le dioxyde de carbone importé.

Depuis deux ans, la CGT insiste pour que la question des transports soit partie intégrante de la transition énergétique. Comment expliquer que le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre soit évacué de la réflexion ? Cela signifie-t-il que la diminution de nos émissions n’est en réalité qu’un objectif secondaire ? À cet égard, il est inacceptable que la table ronde sur les transports organisée lors de la conférence environnementale de la mi-novembre doive se tenir après le vote de la loi de transition énergétique. C’est d’autant plus ahurissant que cette réunion a été précisément organisée pour réfléchir aux impacts des transports sur l’émission des gaz à effet de serre.

La CGT souhaite formuler plusieurs remarques complémentaires. En ce qui concerne l’isolation des bâtiments, le projet de loi ne répond pas à deux importantes questions. Quelle filière professionnelle voulons-nous ? Celle de la construction a perdu 70 000 emplois en deux ans et emploie 200 000 salariés détachés, payés 600 euros par mois. Quels financements seront disponibles ? On annonce que 500 000 logements seront isolés chaque année, mais cela nécessite de mobiliser entre 10 et 15 milliards d’euros par an. L’obligation d’isolation des bâtiments induite par le projet de loi va poser de sérieux problèmes si les financements adéquats ne sont pas prévus. Même les plus beaux prêts à taux zéro ou les crédits d’impôt ne permettront pas aux propriétaires d’isoler leur maison. En pleine période d’austérité, alors que le « précaire énergétique » type est un propriétaire, vivant dans le monde rural, âgé, et qui se chauffe au fioul, qui peut croire qu’il pourra dégager 250 euros par mètre carré pour financer ces travaux d’isolation qui n’auront un retour sur investissement qu’au bout de vingt ou trente ans ?

Concernant le secteur énergétique, la CGT réaffirme sa totale opposition à l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques au travers de SEM. Le projet de loi n’apporte aucune précision quant au périmètre retenu pour l’application de la méthode des barycentres, qui regroupe les concessions au regard d’un critère d’équilibre économique. Par ailleurs, le modèle de SEM retenu fait la part belle aux opérateurs, celle des collectivités territoriales et des personnes, entreprises ou organismes publics, pouvant se limiter à 34 %.

En l’état, ce projet s’avère être la privatisation pure et simple de la production hydroélectrique nationale par le biais du renouvellement par mise en concurrence. Il ne comporte aucune référence au devenir des salariés concernés, et les questions sociales en sont absentes. L’enjeu que va représenter dans les années à venir la gestion d’une ressource essentielle, l’eau, n’est pas davantage abordé.

Des aides consacrées à la précarité énergétique prendraient la forme d’un chèque énergie. Si ce dispositif peut offrir l’avantage de couvrir plusieurs modes de production, tels le fioul et le bois, les montants et conditions d’attribution ne sont pas explicités, non plus que l’assiette précise de la contribution. De même, le devenir des mesures des mécanismes sociaux actuels n’est pas clair.

Des dispositifs variés sont instaurés pour permettre l’efficacité énergétique ou le développement de certaines énergies renouvelables. Le risque est grand de créer une fois de plus des bulles spéculatives pour des entreprises privées, comme sur le marché de l’effacement ou des capacités. In fine, ce sont les entreprises publiques et l’usager qui en paieront le prix, d’autant plus que les mesures annoncées sont incompatibles avec les politiques d’austérité menées.

La question de l’économie circulaire est abordée par le petit bout de la lorgnette, à savoir celui des déchets. La CGT porte une autre ambition, celle de l’éco-conception qui prend en compte les impacts environnementaux dès la conception du produit et tout au long de son cycle de vie : matières premières, fabrication, logistique, distribution, usage, recyclage, déchets. De surcroît, la question particulière du tri des déchets est trop souvent réduite à l’économie sociale et solidaire, et à des emplois de réinsertion. La CGT est favorable à toutes mesures visant à l’effectivité du droit au travail pour tous et à l’emploi de qualité. À ce titre, elle estime que les emplois dits d’insertion doivent constituer une étape dans un parcours professionnel et ne peuvent se cantonner à des secteurs précis.

Enfin, le projet de loi développe l’idée de territoires à énergie positive. La CGT établit un corollaire entre ce projet et ceux visant la réorganisation institutionnelle de la République et de l’action publique dans les territoires. Cette conception de territoires à énergie positive risque de créer des inégalités entre les territoires disposant de moyens de production et ceux qui en sont dépourvus. La mise en place de diverses formes de société permettant de régionaliser la production ou la distribution, s’appuyant sur l’aspiration légitime des citoyens à participer aux décisions ou sur la nécessité pour les collectivités locales de trouver des sources de financement nouvelles, risque de porter un coup fatal au service public national. Ce processus porte en germe la fin du système de péréquation tarifaire, de l’égalité de traitement, des solidarités entre régions. Vous l’aurez compris, cette partie du projet de loi nous préoccupe au plus haut point. La CGT en conteste le principe.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titre Ier et V du projet de loi. Je souhaite vous interroger sur les seuls titres du projet de loi dont je suis rapporteure, ayant au demeurant déjà échangé avec vous, à l’occasion des auditions qu’Éric Straumann et moi-même avons conduites pour préparer notre rapport sur les concessions hydro-électriques.

Ce projet de loi se veut une loi-cadre qui sera complétée, pour ses modalités, par des décrets et ordonnances lui permettant de s’adapter à l’évolution de l’économie.

Vous avez assez peu parlé des mécanismes de soutien à la production d’énergies renouvelables. Que pensez-vous du complément de rémunération et de ses modalités de calcul ?

En 2010, Jean-Louis Borloo a décidé le principe de la mise en concurrence pour le renouvellement de toute concession hydro-électrique touchant à sa fin. Depuis, la réflexion a progressé. La solution des SEM est désormais ouverte, même si elle n’a pas vocation à se généraliser, mais vous l’avez tous critiquée. Quel devrait être, selon vous, le capital public minimal pour que ces SEM puissent correctement gérer leur production et avoir une capacité d’investissement suffisante ? Les opérateurs historiques pourraient-ils mettre leurs agents à disposition de ces sociétés de projet ? Il en va de la préservation du système EDF.

Que pensez-vous d’une prolongation de la durée des concessions, ou de leur renouvellement sur la base de la méthode des barycentres, ou d’un renouvellement encadré par une conditionnalité ? Comment définir en ce cas la vallée pertinente ? Autrefois, les concessions étaient accordées ouvrage par ouvrage, la cohérence de la chaîne étant au contraire privilégiée aujourd’hui.

Mme Éricka Bareigts, rapporteure pour information au nom de la commission des affaires économiques, et rapporteure de la commission spéciale pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII du projet de loi. Je voudrais entendre votre point de vue sur les zones non interconnectées (ZNI), telles qu’il en existe par exemple en outre-mer. Elles se trouvent dans une situation particulière et sont organisées selon un modèle différent, dont l’évolution constitue un enjeu important pour l’avenir.

M. Philippe Plisson, rapporteur pour les titres III et VI du projet de loi. Je ne pourrai répondre à toutes vos questions, mais je dois rappeler que les objectifs de la loi, en matière de réduction de la production nucléaire, sont déjà actés. Monsieur Olivier, nous avions déjà échangé sur la question des transports. Le biogaz doit être mis au nombre des carburants durables, et il le sera. Sans conteste, il faut également enrichir la politique des transports en commun.

Dans le secteur du nucléaire, quel jugement portez-vous sur le statut des travailleurs sous-traitants ?

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII du projet de loi. Je ne répondrai pas non plus à l’ensemble de vos interpellations, mais j’observe que l’exercice auquel nous nous livrons favorise une approche qui tourne parfois à la caricature, alors que nos échanges sont généralement guidés par la recherche d’un consensus. Précisons seulement qu’il ne s’agit pas d’une loi anti-EDF. Comme rapporteur de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, j’ai d’ailleurs pris position pour que l’entreprise soit reconnue comme un acteur majeur de la transition énergétique.

Étant rapporteur sur le titre du projet de loi consacré à la gouvernance, je voudrais vous demander comment vous jugez le retour des pouvoirs publics dans la politique de l’énergie, à travers la programmation pluriannuelle de l’énergie, la définition de budgets carbone ou le meilleur pilotage d’EDF par l’État.

Dans l’avis rendu sur le projet de loi, le Conseil économique, social et environnemental recommande de mettre en place un plan de programmation de l’emploi et des compétences. Qu’en pensez-vous ?

Quel type de financement faut-il imaginer pour que le chèque énergie puisse secourir les plus précaires ?

Par ailleurs, pensez-vous que l’assiette de la CSPE devrait être élargie à d’autres énergies que l’électricité ?

En alimentant les caisses d’ERDF (Électricité réseau distribution France), le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) ne finit-il pas par soutenir le cours de Bourse de son actionnaire EDF ? Ce n’est pas pour cela que les Français ont payé le TURPE, mais pour avoir des réseaux performants. Ne devrait-on pas plafonner la remontée des dividendes qui s’opère d’ERDF vers EDF ? Les territoires, notamment les autorités organisatrices de la distribution d’électricité, qui sont les propriétaires des réseaux, ne pourraient-elles être associées à la définition de sa politique d’investissement ?

Il est envisagé de prolonger au-delà de quarante années la durée de vie des centrales nucléaires. Quelles seraient, selon vous, les procédures pour permettre à la population de prendre position sur une telle prolongation ?

Enfin, la question des sous-traitants du nucléaire, qu’avait mise en lumière la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire, est très préoccupante. La loi ne devrait-elle pas leur assurer une meilleure protection ?

M. Julien Aubert. Je vous remercie, madame et messieurs, pour la clarté de vos exposés. Par vos remarques concrètes, vous avez pointé les défauts majeurs de ce texte, centré sur l’électricité et essentiellement sur le nucléaire. Ce projet de loi part du postulat que la croissance verte conduit automatiquement à la création d’emplois et que la reproduction du modèle allemand aura forcément un effet positif sur notre économie. C’est à se demander si l’objectif poursuivi est de sortir du nucléaire ou de lutter contre l’émission de gaz à effet de serre.

Seriez-vous favorable à ce que la loi précise que les décisions prises en matière de transition énergétique doivent être évaluées à l’aune du coût de la tonne de CO2 évité et à ce que le critère d’efficacité budgétaire des moyens alloués à la lutte contre le réchauffement climatique serve d’étalon pour déterminer les grands choix à opérer en matière de transition énergétique ?

Pensez-vous que nous devrions ouvrir un débat, dans le cadre de l’examen de ce projet de loi sur la transition énergétique, sur les hydrocarbures non conventionnels ? Et si, par hasard, le pétrole de schiste devait être exploité, que pensez-vous de la proposition, formulée par l’UMP, tendant à ce que les ressources de l’État tirées de cette exploitation servent à financer la transition énergétique et le développement des énergies vertes afin d’alléger la facture qui pèse aujourd’hui principalement sur le nucléaire et sur le contribuable ?

Je ne saurais dire si ce projet de loi est anti-EDF. Mais quel effet le texte aura-t-il selon vous sur cette entreprise? Le projet de loi la renationalise-t-il dans la mesure où sa stratégie d’investissement sera fortement encadrée ? D’autre part, le Médiateur de l’énergie a proposé que le mode de nomination du président d’ERDF soit désormais inspiré de celui du président de RTE, directement nommé en Conseil des ministres : cela constituerait une évolution importante de l’entreprise EDF dont ERDF représente la moitié des effectifs. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, disposez-vous d’éléments juridiques relatifs aux droits exclusifs liés aux services d’intérêt général, tels que définis par le droit européen ? En effet, le texte renvoie au décret le soin de déterminer les secteurs stratégiques, alors qu’il pourrait être utile qu’il en soit décidé par le législateur.

M. Christophe Bouillon. Comme mes collègues, j’ai entendu des propos tranchés mais clairs. Ce texte semble ne pas trouver grâce aux yeux de certains d’entre vous. Pourtant, ce qui fonde cette loi, c’est à la fois la lutte contre le réchauffement climatique, l’objectif d’indépendance énergétique, l’enjeu du pouvoir d’achat et celui de la compétitivité. Ne pas agir en la matière ne serait bénéfique ni pour le temps présent ni aux générations futures. Rester les bras croisés empêcherait la France de tenir ses engagements.

S’agissant de l’emploi, le sentiment domine que les objectifs de rénovation de bâtiments publics fixés dans le projet de loi entraîneront la création de nombreux postes. En outre, lorsqu’un territoire s’apprête à accueillir un projet d’installation d’un système de production d’énergie renouvelable, on sait assez précisément combien d’emplois vont y être créés. En tant qu’élu normand, j’ai pu constater la dynamique que suscitaient les projets d’installation d’éoliennes offshore. Pour autant, le maintien de la capacité nucléaire nécessite des besoins d’emploi de remplacement qu’EDF et Areva ont souvent évoqués lors de leurs auditions à l’Assemblée nationale. Se pose aussi la question des transitions d’emploi devant accompagner le démantèlement de certaines centrales. C’est pourquoi la notion de croissance verte est présente dans l’intitulé de ce texte.

Que pensez-vous des notions d’efficacité et de sobriété énergétique ? Quelle autre trajectoire énergétique imagineriez-vous pour permettre à la France de tenir ses engagements internationaux – enjeu nécessaire face à l’urgence climatique ?

M. Charles de Courson. Êtes-vous favorables à l’extension de l’assiette de la CSPE à l’ensemble des énergies – gaz, charbon et pétrole ? Et à une réforme de la fiscalité de l’énergie, les énergies renouvelables n’étant pas taxées, contrairement aux énergies non renouvelables ? Êtes-vous favorables au plafonnement de la puissance globale des réacteurs nucléaires à 63,2 gigawatts comme le prévoit le texte ? Comment ce plafond pourrait-il être réparti entre les différents producteurs, puisqu’il y en a parfois plusieurs ?

M. le président François Brottes. Il n’y en a qu’un en France !

M. Charles de Courson. EDF n’est pas le seul propriétaire des centrales de Chooz et de Fessenheim. Si cette dernière ferme, il faudra indemniser ses trois opérateurs suisses et son opérateur allemand. Comment s’y prendra-t-on ?

M. le président François Brottes. La centrale n’a cependant qu’un seul exploitant.

M. Charles de Courson. Êtes-vous favorables à l’autonomisation juridique d’ERDF ? Enfin, ce texte vous paraît-il cohérent avec la nécessité d’instituer une politique européenne de l’énergie ?

Mme Cécile Duflot. Quels outils de transparence privilégieriez-vous pour assurer la protection des salariés sous-traitants de l’industrie nucléaire ?

Mme Cailletaud a émis des réserves quant au programme de rénovation thermique et énergétique, alors qu’il recoupe la politique de lutte contre la précarité énergétique. Selon chacun d’entre vous, quels objectifs chiffrés vous semblerait-il réaliste et normal d’afficher en ce domaine ? Que pensez-vous du fait de rendre obligatoires les travaux de rénovation ? Quels moyens faudrait-il allouer à cette fin ?

M. Chorin a évoqué la question de la gouvernance des projets d’énergie renouvelable – notamment le fait d’y associer des collectivités locales ou des structures d’économie sociale et solidaire.

Enfin, des remarques ont été formulées sur le sens même du projet de loi. Du point de vue du groupe écologiste, la transition écologique est une absolue nécessité pour notre pays. On peut débattre des termes de la loi et des moyens auxquels recourir, mais pas de cette nécessité. Cela suppose évidemment une mutation de tous les secteurs de l’emploi, puisqu’il ne s’agit pas seulement de créer des emplois verts, mais bien de réaliser une mutation culturelle – y compris en termes de choix de matériaux et donc de formation des salariés dans le secteur de la construction. Dans des versions antérieures du projet de loi, il était explicitement proposé d’impliquer les comités d’entreprise, et donc les salariés, afin qu’ils prennent mieux en compte l’impact de la transition écologique et énergétique dans leur entreprise. Y seriez-vous favorables ? Comment formaliser une telle implication ?

M. Jean Launay. Vous avez tous trouvé peu ou prou que ce texte était trop centré sur l’électricité et avez tous évoqué la CSPE. Nous sommes plusieurs à penser que l’élargissement de son assiette à toutes les énergies constituerait un progrès. Cela pourrait apporter des résultats visibles pour nos concitoyens : tout d’abord, la compensation à l’opérateur EDF de l’obligation d’achat serait plus rapide ; ensuite, le financement du chèque énergie serait élargi ; enfin, dès lors que l’on reporte une partie de la CSPE sur les utilisateurs de chauffage au fioul et au propane, on pourrait faire diminuer le prix des factures d’électricité. Si les avis de chacun d’entre vous convergeaient sur ce sujet, cela nous aiderait dans le débat.

M. Michel Sordi. Si je ne crois pas qu’on puisse parler de loi anti-EDF, ce texte comprend bien un volet anti-nucléaire. Or EDF produit 80 % de son électricité à l’aide du nucléaire…

Il me paraît déraisonnable d’arrêter la centrale de Fessenheim, située dans ma circonscription, compte tenu des fonds qui y ont été investis pour réaliser les travaux de l’après-Fukushima et des 2 000 emplois directs et indirects qu’implique le fonctionnement de la centrale. Nous ne disposons aujourd’hui d’aucun chiffrage du coût de cet arrêt : nous allons donc décider d’en écrêter la production les yeux bandés.

Enfin, nous avons évoqué au cours de ces auditions les réacteurs de quatrième génération. Je regrette que, en 1997, Mme Voynet ait arrêté les programmes de recherche Superphénix. Pour l’avenir, de tels programmes doivent être amplifiés afin de préparer la transition énergétique. Je suis convaincu que le nucléaire a toute sa place dans ce processus.

M. Dominique Olivier. S’agissant des concessions, le schéma envisagé ne répond pas à tous les problèmes posés. Même si la méthode des barycentres protège de nombreux ouvrages, une telle protection ne serait pas définitive, puisque des opérateurs européens sont prêts à « acheter » des vallées entières. Quant à la taille adéquate des SEM, à la limite, si l’on créait une grosse SEM englobant toutes les vallées, cela permettrait d’associer l’opérateur historique, un investisseur public et les collectivités territoriales dans lesquelles sont implantés les ouvrages concernés. Cette solution n’est cependant pas en discussion. Si l’on abandonne ce qui est envisagé aujourd’hui, c’est parce que c’est insatisfaisant pour les métiers de l’ingénierie et de la recherche. On ouvre seulement une concertation afin de rechercher une solution optimale.

En ce qui concerne les zones non interconnectées et l’outre-mer, nous les considérons comme une omission flagrante du projet de loi. On semble dire aux territoires concernés qu’ils doivent faire pour le mieux et qu’ils bénéficieront peut-être de quelques mesures dérogatoires. Or les besoins de ces territoires sont considérables et ont des incidences sociales importantes. Face à ces besoins, le potentiel en EnR est considérable. Il est donc aberrant de brûler du gasoil ou du pétrole pour produire de l’électricité dans des territoires où la mer, le soleil et le vent ne manquent pas. Le projet de loi pèche par manque de soutien à ces territoires.

La question des sous-traitants et des prestataires du nucléaire représente effectivement une difficulté. Dès que seront annoncés l’arrêt d’une centrale et la préparation de son démantèlement, les gens concernés disparaîtront, car ils seront soucieux de se recycler sans tarder. Mais, lorsqu’ils rencontreront des difficultés de reconversion, ils ne pourront pas faire valoir qu’ils ont été victimes de la fermeture d’une centrale. Nous n’avons donc pas de réponse évidente à vous fournir sur le sujet. Chaque fois que des contraintes s’imposeront à des secteurs donnés – qu’il s’agisse de budgets carbone, de décisions de fermeture de centrales ou de baisse de la production pétrolière –, il faudra assurer un traitement de proximité de ces personnels et préparer leur reconversion professionnelle. Il faudra donc prévoir des lieux d’accueil appropriés, sachant que les maisons de l’emploi sont très hétérogènes et qu’elles ne couvrent pas tout le territoire.

Nous sommes favorables à la participation des collectivités territoriales et des citoyens à la gouvernance. La proposition de Mme Duflot consistant à y ajouter les salariés est intéressante. L’économie sociale et solidaire peut dans ce cas constituer une solution possible. Le statut de coopérative en est une autre, de même que la prise de participations au capital d’une société anonyme de production d’énergie renouvelable. La participation de ces acteurs est de nature à faire baisser les tensions lorsque des projets importants sont prévus.

Nous revendiquons depuis plusieurs années déjà que l’assiette de la CSPE englobe l’énergie dans son ensemble et non la seule électricité. Cela permet en effet de répartir la charge de cette contribution de manière plus équitable. De plus, de nombreuses sources d’énergie ont aujourd’hui des équivalents. Il est possible que cet élargissement complique le mode de gestion de cette contribution, mais certains spécialistes savent résoudre ce type de problèmes.

Nous sommes sceptiques à l’égard de la notion de tonne de carbone évité, car elle ne permettrait de prendre en compte qu’une partie de la question, alors que les gains d’efficacité énergétique produisent d’autres effets – notamment sanitaires et sur le plan de la sécurité. Enfin, la tonne de carbone ne valant plus rien aujourd’hui, il conviendrait d’abord d’en fixer le prix plancher – au niveau français ou européen – et de viser à atteindre en 2030 la valeur tutélaire de 100 euros la tonne.

En l’état actuel des connaissances et des modes d’extraction, il ne nous paraît pas souhaitable de développer l’exploitation des gaz de schiste. Cela étant, nous sommes par principe favorables à la production de connaissances et au développement de la recherche. Cela vaut non seulement pour les gaz de schiste, mais aussi pour la totalité du sous-sol, minéraux inclus. À l’heure actuelle, nous ne connaissons pas un dixième du potentiel de nos sous-sols. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) pourrait retrouver là une activité utile. Ce développement de la recherche doit être le fait d’entités publiques afin que, si l’on trouve quelque chose, seule la puissance publique puisse vendre ces données.

Nous sommes plutôt favorables à un accroissement de l’autonomie d’ERDF, mais avec des réserves : pour nous, l’objectif serait surtout de faire en sorte que sa capacité d’investissement soit restaurée. Il ressort selon nous de certaines de ses dispositions que le projet de loi vise à mieux intégrer les coûts d’investissement, notamment dans le TURPE ou dans le coût de l’électricité, en remplaçant les tarifs réglementés par une notion beaucoup plus économique que comptable.

Nous sommes également plutôt favorables au plafonnement de la puissance nucléaire, point de départ si l’on souhaite faire baisser la part de l’électricité d’origine nucléaire. Cela correspond à une position ancienne de la CFDT qui, depuis 40 ans, est contre le tout nucléaire. Cette énergie a cependant encore une utilité, pour peu que ses conditions de sécurité et de sûreté soient garanties au mieux. En cela, les progrès de l’ASN sont encourageants. Nous disposons d’ailleurs sans doute de la meilleure autorité de sûreté au monde. Il nous faut poursuivre dans cette voie pour sécuriser nos installations. C’est pourquoi j’ai posé la question du dépassement des quarante ans et ai évoqué la nécessité d’appliquer une procédure de gouvernance citoyenne – la référence en la matière étant pour nous la convention d’Aarhus.

M. François Delatronchette (CFDT). Je souhaiterais compléter les propos de mon collègue en évoquant la question des transports : pour la CFDT, les transports publics doivent contribuer à la transition énergétique et à la mobilité durable. Nous regrettons donc fortement que seule la voiture électrique soit mentionnée dans le projet de loi. Il convient de favoriser le développement de moyens de transport publics innovants à la fois pour les voyageurs, dont tout le monde parle, et pour les marchandises, souvent oubliées dans le débat. Pour les voyageurs, il convient de développer les transports en commun en site propre.

M. le président François Brottes. Pardonnez-moi de vous interrompre. Il n’est plus temps de se lancer dans un propos liminaire. Pourriez-vous simplement répondre aux questions qui ont été posées sur les transports ? Je vous laisse un temps de réflexion et cède la parole au représentant de FO.

M. Jacky Chorin. On nous assure que ce texte n’est pas une loi anti-EDF. En tout cas, ce n’est pas une loi pro-EDF. On y vise en effet le nucléaire, l’hydraulique et, à présent, la distribution : nous assistons donc à un quasi-démantèlement de l’entreprise. Ensuite, on nous dit qu’il ne s’agit pas d’une loi électrique. Or les trois quarts des questions qui nous ont été posées portent sur l’électricité.

M. Baupin a demandé si ce texte reprenait le pouvoir sur l’énergie : pour cela, encore faudrait-il cesser de mettre en concurrence l’électricité et le gaz. En fait, le texte ne traite que du nucléaire. Mais, comme il ne fait pas confiance aux pouvoirs publics, actuels ou futurs, il tente d’installer une usine à gaz pour contraindre l’entreprise à appliquer des décisions dont il subodore qu’elles ne seront pas exécutées. C’est du jamais vu ! Ce n’est ni sur Total ni sur GDF Suez que l’on fait peser des contraintes de gouvernance, mais sur EDF, entreprise dont l’État détient 85 % du capital. Peut-être y a-t-il un problème interne au sein de l’État qui m’échappe. Mais la réponse apportée par le projet de loi est baroque. Si un problème de pouvoir se pose, il est possible le régler. Notre syndicat a des propositions à formuler en la matière : considérant la mise en concurrence de l’électricité et du gaz comme un échec, nous pouvons vous proposer des amendements afin d’en revenir à un service public national qui avait fait les preuves de son efficacité.

S’agissant du gaz de schiste, nous avons participé aux travaux réalisés par Jean-Claude Lenoir et Christian Bataille dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Il va de soi que nous sommes, comme tout le monde ici, attachés à la protection de l’environnement. Cela ne doit cependant pas empêcher que la recherche se poursuive. Tous les opérateurs énergéticiens français – publics, parapublics et privés – sont aujourd’hui en train d’investir dans le gaz de schiste. Un tel décalage nous interroge.

Nous sommes tout à fait opposés à l’autonomisation d’ERDF, nouvelle tentative pour casser le groupe EDF. Le prétexte retenu pour prendre une telle mesure est que le niveau d’investissement de la filiale ne serait pas atteint. Or je rappelle que l’État est tout de même propriétaire d’EDF, qu’il siège donc dans les conseils de surveillance ainsi qu’au conseil d’administration de l’entreprise. C’est pourquoi il me semble que l’on veut une fois de plus porter atteinte à celle-ci. Si le niveau d’investissement d’ERDF est insuffisant, que l’on utilise les moyens à disposition pour faire appliquer la règle. Mais d’en tirer comme conséquence qu’il faudrait casser en permanence un opérateur public qui, au demeurant, jouit d’une bonne image auprès des Français, cela est ressenti par ses personnels comme une forme d’acharnement.

S’agissant de Fessenheim, le plafonnement de la capacité nucléaire signifierait que, dès lors que l’on mettrait sur le réseau Flamanville III, il faudrait arrêter deux centrales équivalentes. Subissant actuellement le pacte de responsabilité, nous pouvons vous dire tout le mal que nous en pensons. La proposition qui nous est faite consiste à arrêter une centrale qui marche. Une indemnité est mentionnée dans l’étude d’impact du projet de loi, mais on n’en connaît pas le montant : nous trouvons cela irresponsable ! On peut certes fixer des objectifs de politique énergétique, mais, en arrêtant une centrale qui marche, on démoralise complètement les personnels. Cela revient à leur faire comprendre que, quels que soient les efforts qu’ils accomplissent, il faudra arrêter la centrale dans laquelle ils travaillent pour la seule raison qu’on a décidé, à un moment donné, qu’il fallait le faire. De plus, l’étude d’impact renvoie à EDF le soin de décider quelle centrale fermer sous prétexte que c’est elle qui a la capacité d’apprécier la situation et qui a la connaissance intime du mécanisme. Ce n’était donc pas la peine de dire qu’il fallait fermer Fessenheim.

En ce qui concerne l’emploi, 100 000 des 220 000 salariés du nucléaire doivent être remplacés d’ici à 2020. Quelles conséquences le projet de loi tire-t-il des 100 000 embauches nouvelles qui devront être effectuées ? Un problème se pose par ailleurs dans le secteur éolien, où le statut n’est pas appliqué et où règne aujourd’hui le dumping social. Quant aux embauches dans ce secteur, elles ne sont pas à la hauteur des destructions d’emplois qui pourraient se produire dans le nucléaire si, d’aventure, on fermait plusieurs centrales.

Enfin, je retiens que certains élus souhaiteraient une note sur l’hydraulique : je maintiens que la directive sur les concessions qui a été négociée au Parlement européen, puis votée par les gouvernements des États membres, permet de maintenir des droits exclusifs dans ce secteur. Je vous fournirai également une note sur le périmètre du statut.

M. Alexandre Grillat. S’agissant des énergies renouvelables, il faut selon nous –ainsi que la Suède l’a décidé dans le cadre de sa stratégie bas carbone – privilégier les EnR thermiques que sont les réseaux de chaleur renouvelables, la méthanisation et le biogaz. Ce sont en effet des EnR continues et locales. Le développement des EnR électriques en substitution du nucléaire et non en substitution des énergies fossiles est un non-sens au vu de l’objectif de réduction des émissions de CO2. De plus, ces EnR-là présentent l’inconvénient d’être intermittentes, ce qui induit des coûts importants pour le réseau.

Nous sommes favorables à l’évolution des mécanismes de soutien aux ENR et à une exposition progressive des ENR des filières technologiques matures aux prix de marché, afin d’obtenir une neutralité régulatoire sur l’ensemble des technologies de production d’électricité et d’éviter les distorsions ayant conduit à une déstructuration du marché électrique européen.

Quant au processus d’appels d’offres qui a été développé pour les EnR produites par des éoliennes offshore, il permet de soutenir des filières industrielles et par conséquent de disposer d’un complément de tarif qui soit lié au développement de filières réellement françaises. Et le dispositif de complément de prix ne doit pas s’appliquer ex ante, mais plutôt ex post.

Les dispositions des articles 28 et 29 sur l’hydraulique ne nous paraissent pas parfaitement cohérentes avec les objectifs de la loi. S’il s’agit de satisfaire à une obligation de mise en concurrence, cela fait plusieurs années que l’on hésite sur le sujet. L’organisation nationale de l’hydraulique est le fruit de l’histoire de l’organisation du système électrique français. Quant à l’organisation par vallées, elle ne répond pas aux enjeux de sûreté du système électrique. Comme l’a souligné mon collègue de la CFDT, l’ingénierie et la recherche en matière hydraulique, qui permettent à la France de jouir d’un leadership mondial, ont une dimension nationale. Nous sommes donc favorables à toute disposition qui permettrait de préserver l’organisation nationale de l’hydroélectricité, qui correspond à l’organisation actuelle.

Nous sommes favorables à la prolongation des concessions hydrauliques, en échange d’une relance immédiate des investissements qui sont créateurs d’emplois dans les territoires.

Nous soutenons aussi l’idée de créer une SEM nationale autour des groupements d’intérêt économique (GIE) regroupant EDF et GDF Suez. Cela contribuera à préserver la filière et les emplois. Les propositions qui ont été formulées par M. Straumann et Mme Battistel mériteraient d’être étudiées afin de répondre à l’enjeu des conséquences du réchauffement climatique sur la réalité du parc hydraulique français. Lorsqu’il y aura davantage de sécheresses, on se heurtera à des problèmes de tenue des barrages et de conflits d’usage de l’eau – problèmes dont on n’a pas tenu compte dans la réflexion sur l’avenir des concessions hydrauliques et qui relèvent de la dimension de service public environnemental de ces installations, voire des services d’intérêt économique général (SIEG).

En ce qui concerne ERDF, nous sommes convaincus que les réseaux de distribution d’électricité et de gaz sont au cœur de la mise en œuvre d’une transition énergétique qui soit économiquement et techniquement pertinente. Qu’il s’agisse de l’intégration rationnelle des EnR dans les territoires ou de la gestion active de la demande, nous soutiendrons toute disposition en matière de gouvernance qui permettra de conforter l’organisation nationale de la distribution telle que nous la connaissons aujourd’hui et de renforcer le dialogue avec les collectivités locales.

On peut effectivement élargir l’assiette de la CSPE à l’ensemble des énergies, mais il conviendrait aussi d’optimiser les charges pesant sur le service public, au premier rang desquelles figurent les subventions aux EnR et aux ZNI. En outre, la CSPE finance aujourd’hui le tarif de première nécessité (TPN). Si ce tarif disparaît au profit du chèque énergie, il conviendra de s’interroger sur le financement de ce dernier qui concernera toutes les énergies et ne devra donc pas être financé exclusivement par les consommateurs d’électricité et de gaz. Il serait paradoxal et incohérent avec la stratégie dite du « bas carbone » que les consommateurs d’énergie peu carbonée financent le chèque énergie des énergies fossiles.

Avant de se poser la question de l’utilisation de la rente supposée des gaz de schiste, il conviendrait de s’interroger sur la réalité du potentiel français : à quel coût peut-on exploiter ces gaz et quelle technologie permettrait de le faire dans le respect de l’environnement ?

Enfin, concernant la gouvernance, cette loi est effectivement électro-centrée. La programmation pluriannuelle de l’énergie vise essentiellement l’électricité et le gaz et ne comprend aucun dispositif de pilotage dans le domaine pétrolier. Le plafonnement et le projet stratégique ne concernent qu’EDF et pas Total.

La transition énergétique doit être l’occasion d’instaurer un modèle de gouvernance de la transition et des opérateurs qui soit plus participatif, et qui associe plus fortement les citoyens – non seulement par le biais du financement citoyen des projets EnR mais aussi des opérateurs. Nous proposons de faire évoluer la gouvernance d’EDF afin de sortir de la logique boursière et de remettre le service public au cœur de la gouvernance de la transition énergétique, condition indispensable du succès de cette transition.

Mme Marie-Claire Cailletaud. Personne ne conteste qu’il est important d’opérer la transition énergétique. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut faire n’importe quoi. Or ce texte n’opère pas une transition énergétique, mais, au mieux, une transition électrique. Si la transition énergétique consiste à faire en sorte de répondre aux besoins des populations en France, en Europe et hors du continent dans le cadre contraint du réchauffement climatique, alors il convient d’observer de quels leviers on dispose pour agir. L’un des premiers leviers est celui de l’efficacité énergétique – qui n’est pas du rationnement. En France, les secteurs les plus consommateurs d’énergie et ceux qui émettent le plus de COsont les transports et le logement. Or, s’il n’est pas question des transports dans le projet de loi, on y évoque le logement. En l’occurrence, il s’agit moins de fixer des objectifs chiffrés de logements à rénover que de créer une filière professionnelle et de mobiliser les financements nécessaires. Cela permettra de créer de l’emploi, de promouvoir l’efficacité énergétique et de rééquilibrer notre balance commerciale – déficitaire en raison de l’importation du pétrole et du gaz. Mais ne nous contentons pas d’instaurer une obligation légale d’isolation alors que l’on sait que les gens n’auront pas les moyens de la respecter. Si nous voulons vraiment diminuer notre consommation d’énergie, c’est à notre mode de développement qu’il faut nous attaquer, en commençant par l’urbanisme. Si les salariés sont obligés d’aller habiter à deux heures de leur lieu de travail, c’est en raison de la cherté des logements. Il convient aussi de réfléchir à l’économie circulaire et à la relocalisation des moyens de production. Je constate par ailleurs une incohérence entre les objectifs du projet de loi : la manière dont on mettra en application les engagements du Président de la République ne sont pas explicités, mais il faut quand même les appliquer, pour la seule raison qu’il les a pris !

En ce qui concerne les concessions, je rappelle que l’hydraulique est un moyen de produire de l’électricité peu chère sans émettre de CO2 et de maintenir facilement l’équilibre entre production et consommation. C’est grâce à l’hydroélectricité que l’on a pu redémarrer les centrales en 2008 et que l’on peut évacuer les énergies fatales provenant d’Allemagne. Pensez-vous que, une fois que les barrages auront été cédés à des concessionnaires privés, il sera possible de faire la même chose ? C’est là une question d’intérêt général. Je sais bien que des négociations ont eu lieu à Bruxelles concernant le dépassement par la France de la règle des 3 % de déficit et que nous avons dû céder quelque chose en échange, dont les concessions hydrauliques faisaient partie. Mais cela n’est pas sérieux.

S’agissant des ZNI, il importe de conserver une égalité entre les territoires et de ne pas favoriser l’autonomie régionale.

La sous-traitance dans le nucléaire est une question qui nous tient particulièrement à cœur et sur laquelle la CGT se bat depuis des années. Nous proposons d’une part de ré-internaliser les activités du secteur, pour en finir avec les aberrations techniques, économiques et sociales auxquelles nous sommes parvenus, et, d’autre part, que tous les travailleurs du secteur disposent du même niveau de garanties collectives.

Nous ne sommes pas d’accord avec M. Baupin lorsqu’il affirme que l’amélioration du pilotage d’EDF suppose un retour de l’État dans la politique énergétique, car celle-ci ne concerne pas que l’électricité. Si l’État veut vraiment piloter la politique énergétique, qu’il gère aussi Total et GDF Suez. Nous proposons pour notre part la constitution d’un pôle public de l’énergie, et non seulement de l’électricité. Bien que l’État détienne 85 % d’EDF, ses administrateurs ne jouent pas leur rôle : il se comporte comme le pire des actionnaires, se contentant d’essayer de faire remonter des dividendes ou d’utiliser ses participations pour rentrer au capital d’autres entreprises. Ainsi, il a récemment vendu des parts de GDF Suez afin d’entrer au capital Alstom. Ce n’est pas une bonne manière de mener une politique industrielle ! Nous proposons donc la création d’un pôle public de l’énergie en lien avec l’Agence européenne de l’énergie afin de mettre en cohérence les grands choix des différents États membres, en particulier en ce qui concerne la recherche, les réseaux, les contrats d’approvisionnement et les émissions de CO2.

S’agissant de la CSPE, nous prônons le développement des EnR en filières industrielles : ce qui veut dire que l’on ferait de la recherche en amont, que l’on porterait les technologies à maturité, puis qu’on les incorporerait au bouquet énergétique, plutôt que d’instaurer des tarifs de rachat créateurs de bulles spéculatives. En l’état actuel de la situation, la moins mauvaise des solutions consiste effectivement à étendre la CSPE à toutes les formes d’énergie.

La recherche revêt à nos yeux une très grande importance dans le domaine énergétique. Or on n’en fait pas assez en France, car elle est mal financée et mal organisée, notamment en raison d’un manque d’articulation entre la recherche fondamentale et la recherche technique. La recherche concerne non seulement les EnR, mais aussi le stockage de l’électricité et la quatrième génération de centrales – qui devra obligatoirement être envisagée si l’on pense, comme nous, que la filière nucléaire a de l’avenir.

En ce qui concerne le plafonnement du nucléaire, nous jugeons insensé de fixer des quotas : il nous faut avancer au fur et à mesure des évolutions technologiques, en nous appuyant sur les trois piliers économique, social et environnemental.

Quant à l’élargissement des accords de la branche des industries électriques et gazières à d’autres salariés, nous y sommes favorables, mais commençons par appliquer la loi NOME qui prévoit que tous les salariés contribuant à la production, au transport ou à la distribution d’électricité peuvent bénéficier du statut.

S’agissant de la prolongation jusqu’à quarante ans de la durée de vie des centrales, je fais confiance à l’ASN qui joue bien son rôle. Nous luttons d’ailleurs sur le plan syndical pour que l’Autorité et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) disposent de davantage de moyens, car l’État est en train de diminuer ses budgets. C’est à l’État de définir sa politique énergétique, et aux entreprises productrices de respecter ce cadre. Nous nous sommes dotés d’une autorité de sûreté capable de dire si l’on peut prolonger la durée de vie des centrales au regard de critères économiques et de sécurité.

En ce qui concerne ERDF, nous sommes très attachés au maintien d’une entreprise verticalement intégrée qui a fait ses preuves dans les domaines de la production, des transports et de la distribution. Il est vrai que, aujourd’hui, les liens se distendent. Mais l’on n’évoque nullement dans cette loi les dégâts qu’ont produits sur le secteur les politiques de déréglementation et de mise en concurrence. Celles-ci génèrent pourtant des gaspillages. Pour diminuer nos émissions de CO2 et faire des économies, il conviendrait donc d’y remettre de l’ordre. Il n’est pas question pour nous d’ouvrir le capital d’ERDF ou de changer de modèle. En revanche, il serait logique que les collectivités territoriales aient leur mot à dire sur les stratégies des entreprises. Nous sommes donc favorables à une évolution de la gouvernance de sorte que ces collectivités puissent entrer dans les conseils d’administration et de surveillance de ces entreprises, et qu’elles puissent y faire entendre leur voix. Elles sont en effet concernées au premier chef par toutes les questions liées aux réseaux.

Nous sommes opposés à l’exploitation des gaz de schiste à l’aide des technologies actuelles qui posent un problème environnemental. Toutefois, il faut absolument promouvoir la recherche afin de mieux connaître nos sous-sols. Et, s’il s’avère intéressant d’exploiter les gaz de schiste, il conviendra aussi de mener les recherches nécessaires pour que cette exploitation s’opère dans des conditions acceptables du point de vue environnemental et social. Nous nous trouverions, autrement, dans la situation assez hypocrite où l’on importerait du gaz, mais où l’on n’utiliserait surtout pas celui que l’on a sous les pieds.

M. Jacky Chorin. Je souhaiterais ajouter, en réponse à Mme Battistel, que nous souhaitons qu’il soit possible de bénéficier de droits exclusifs, mais, en tout état de cause, la prolongation de la durée des concessions hydroélectriques serait un élément positif.

M. François Delatronchette. Les transports publics doivent contribuer à la transition énergétique et à la mobilité durable. Il convient de favoriser le développement des moyens de transport publics innovants. Pour les voyageurs, il faut développer les transports en commun, l’intermodalité, prendre en compte les territoires urbains mais aussi les territoires ruraux où l’on trouve peu d’alternatives à la route, et développer une offre d’information multimodale et des services de mobilité s’appuyant sur des réseaux intelligents. Pour les marchandises, il conviendrait de définir un plan d’action concret pour favoriser la multimodalité – fluviale et ferroviaire notamment –, développer le transport combiné et le wagon isolé, définir une politique tarifaire spécifique et coresponsable, et développer la logistique urbaine en l’intégrant aux plans de déplacements urbains.

Les déplacements entre le domicile et le travail peuvent contribuer à la transition énergétique. Les plans de déplacements d’entreprise constituant un objectif intéressant, nous regrettons que le projet de loi les mentionne sans les rendre obligatoires. Ils devraient le devenir dans les entreprises de cinquante salariés et plus, comme en Belgique. Nous souhaiterions également qu’ils fassent l’objet d’un dialogue social avec les syndicats.

Enfin, nous préconisons d’assurer la santé de la population et des salariés des transports en garantissant une bonne qualité de l’air. Les salariés des transports sont encore plus exposés à la pollution que le reste de la population, car ils le sont toute la journée. Ainsi, dans le métro, la norme, aberrante, permet une exposition aux particules PM10 cent fois supérieure à celle applicable au reste de la population. Nous souhaiterions que la tutelle oblige les entreprises de transport dont elle est chargée à mettre fin à cette anomalie, en particulier dans les tunnels, le métro et les aéroports, ainsi qu’aux péages autoroutiers.

M. Dominique Launay, secrétaire général de l’Union interfédérale des transports de la CGT. Le transport est le premier émetteur de gaz à effet de serre. Or l’objectif de la transition énergétique consiste à diminuer ces émissions. Il est donc regrettable que le premier secteur qui en produit ne soit pas abordé dans le projet de loi. Ce secteur est un important consommateur d’énergies fossiles, et en particulier de pétrole. Or, depuis le Grenelle de l’environnement, le report modal sur le rail et le fluvial – modes alternatifs à la route – n’a pas été opéré. Les parts modales du fer et du fluvial ont même baissé depuis l’adoption de la loi.

Il est donc nécessaire de promouvoir la multimodalité et le juste coût du transport. Le transport de marchandises est tellement sous-évalué, tant sur le mode routier que sur mer, qu’il n’est plus un frein aux délocalisations ni aux trafics parasites. Nous en avons vu quelques exemples dernièrement en France dans le transport de produits alimentaires. Il est nécessaire d’assurer un rééquilibrage des modes. Or, pour garantir un juste coût du transport qui permette un rééquilibrage, il est nécessaire d’assurer le financement d’infrastructures nouvelles pour développer les modes alternatifs – ferré et fluvial – et la régénération des réseaux. Cette dernière doit d’ailleurs aussi concerner les réseaux routiers secondaires, aujourd’hui en très mauvais état. En effet, dans une logique multimodale, nous avons besoin de tous les modes de transport. S’il convient de rééquilibrer les modes entre eux, c’est non seulement pour des raisons environnementales, mais aussi pour permettre la relocalisation des productions industrielles et donc favoriser l’économie circulaire.

Il convient également de renforcer la maîtrise et le financement publics des infrastructures. Les partenariats public-privé et les concessions vont à l’encontre du développement économique et de l’aménagement du territoire, et créent des déséquilibres entre les territoires.

Nous proposons de développer les transports collectifs publics, quels que soient les modes. Or, là encore, le manque de ressources financières de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) remet en cause de nombreux projets de transport urbain et de développement de modes alternatifs. Il aurait fallu que ce volet essentiel soit traité dans le projet de loi : nous le porterons lors de la table ronde qui sera prochainement organisée dans le cadre de la conférence environnementale, mais les risques sont grands qu’il ne soit pas intégré au texte qui nous occupe aujourd’hui.

Nous insistons aussi pour que le transport ferroviaire et fluvial de marchandises et le cabotage maritime soient déclarés d’intérêt général. Nous demandons que soit promu le concept de wagon isolé, sans lequel aucun report modal sur le mode ferré ne sera possible. Cela nécessite des infrastructures ainsi que la modernisation et la rénovation des réseaux secondaires. Certaines entreprises plaident en faveur de la rénovation et du maintien du réseau capillaire afin d’éviter la désertification de certains territoires.

Enfin, cessons de créer des besoins de transport. L’urbanisme anarchique et le développement de zones commerciales et de zones logistiques déconnectées des voies navigables ou ferrées incitent encore davantage à recourir aux camions. L’évolution induite par les nouvelles lois territoriales, notamment le développement des grandes métropoles, créent de nouveaux besoins de transport tout en déplaçant les habitants hors de régions qui se désertifient. L’Auvergne en est un exemple particulier. Dans les territoires désertifiés, il ne sera plus possible d’accéder aux transports, si ce n’est par la route. Dans le même temps, les salariés habitent sur de nouveaux territoires de plus en plus éloignés de leurs lieux de travail et de vie.

Nous nous trouvons donc confrontés à des enjeux d’urbanisation, de développement économique et d’aménagement du territoire. Il aurait été souhaitable que l’on puisse en débattre dans le cadre de ce projet de loi, pour ne pas continuer à recourir à la route. Nous voyons aujourd’hui arriver des 44 tonnes et certains évoquent même des 60 tonnes : voilà qui va à contre-courant de la notion de report modal et des enjeux environnementaux auxquels nous sommes confrontés.

M. le président François Brottes. Madame, messieurs, je vous remercie.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Réunion du mercredi 17 septembre 2014 à 18 h 30

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Julien Aubert, Mme Ericka Bareigts, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. Christophe Borgel, M. Christophe Bouillon, M. François Brottes, M. Jean-Yves Caullet, M. Charles de Courson, Mme Françoise Dubois, Mme Cécile Duflot, M. Jean Launay, M. Alain Leboeuf, Mme Anne-Yvonne Le Dain, Mme Frédérique Massat, M. Philippe Plisson, Mme Béatrice Santais, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann

Excusés. - M. Jean-Paul Chanteguet, M. Franck Reynier