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Commission spéciale pour l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Jeudi 18 septembre 2014

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 17

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF-Suez

M. le président François Brottes. Monsieur le président-directeur général, soyez le bienvenu. Le responsable du groupe mondial que vous êtes juge-t-il pertinent, pour un pays comme la France, de s’engager dans une transition énergétique, indépendamment de la qualité du texte qui s’y rapporte ? Le marché de l’énergie, devenu mondial, n’échappera-t-il pas de toute façon aux choix politiques ? Je ne fais bien entendu que poser la question, sans émettre d’avis.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF-Suez. Monsieur le président Je suis heureux de l’occasion qui m’est donnée d’échanger avec votre commission, mais également de ce projet de loi. La transition énergétique est déjà une réalité en Europe et en Amérique du Nord, et le deviendra bientôt dans le reste du monde. Miniaturisés grâce aux technologies renouvelables, les équipements de production d’électricité deviennent plus accessibles dans les territoires, au plus près des consommateurs, auxquels le croisement des technologies énergétique et digitale donne la capacité de gérer leur énergie. Nous passons ainsi d’un modèle dominé par les grandes centrales à un autre, décentralisé et producteur d’énergie décarbonée. Cette transformation est irréversible. Elle s’effectue en Europe de façon assez chaotique, sans être soutenable ni durable dans tous les pays. L’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne sont allés trop vite et trop loin : outre la déstabilisation des marchés de l’électricité, cela a eu un coût considérable pour ces pays et pour les consommateurs. L’encadrement de ce mouvement par les pouvoirs publics est donc une nécessité.

Nous avons accueilli ce projet de loi, comme le débat qui l’a précédé, avec satisfaction car il permet d’encadrer la transition énergétique, voire de l’accélérer là où c’est utile. GDF-Suez a précisé, au début de l’année, sa stratégie qui repose sur deux piliers. Déjà présents dans soixante-dix pays, nous entendons devenir l’énergéticien de référence dans les pays à croissance rapide ; en Europe, nous souhaitons être le groupe leader de la transition énergétique, signe que nous avons pris acte du changement de modèle. Les vieilles centrales au charbon seront déclassées, même si le charbon survit temporairement grâce à la production américaine ; aussi GDF-Suez a-t-il décidé d’augmenter le rythme de ses investissements, passant de 7 milliards d’euros l’an dernier à 9 à 10 milliards annuels pour les trois prochaines années. En Europe, nous mettons l’accent sur les énergies renouvelables, les EnR – électricité, chaleur et gaz –, et sur l’efficacité énergétique, à laquelle sont spécifiquement dédiés 90 000 emplois, dont 40 000 en France. Cela fait de notre groupe le leader européen et même mondial – même s’il doit encore accroître son implantation dans les pays émergents – en matière d’efficacité énergétique.

Nous nous sommes mobilisés en interne à l’occasion du débat sur la transition énergétique ; cela nous a permis de formuler vingt-deux propositions, dont une sur le passeport de rénovation énergétique, et une autre sur le biogaz. Lors du débat, nous avions d’ailleurs insisté pour que la loi vise toutes les formes d’énergie, et non la seule électricité, qui représente moins de 20 % de la consommation énergétique globale. C’est ce que fait le projet de loi ; il vient donc à point nommé pour accompagner cette révolution irréversible.

Notre groupe est un énergéticien à part entière – Suez environnement étant un groupe indépendant. Il génère un chiffre d’affaires de 82 milliards d’euros et emploie 150 000 personnes, dont la moitié en France. Il faut souligner que, même dans un contexte de croissance nulle et de baisse de la consommation d’électricité et de gaz, le secteur des services de l’efficacité énergétique, lui, continue de croître, à un rythme de 2 à 2,5 % par an. Ce secteur est faible en capital mais riche en emplois, si bien que GDF-Suez embauche en France : 10 000 personnes l’an dernier. Nous prévoyons d’en embaucher 45 000 autres dans les cinq prochaines années, principalement dans ce secteur.

Le projet de loi met l’accent sur la rénovation énergétique des bâtiments ; le passeport de rénovation énergétique pourra être intégré, sous réserve de précision expresse, dans les programmes de certificat d’économies d’énergie.

Nous nous réjouissons également de voir accrus les moyens annoncés pour le fonds chaleur et la méthanisation. GDF-Suez a d’ores et déjà lancé cinq opérations de réinjection du biométhane dans le réseau de gaz. Le projet de loi fixe des objectifs stratégiques à l’horizon 2020 ou 2030 ; à ce sujet, un objectif d’au moins 10 % de biogaz dans la consommation française d’ici à 2030 nous semble atteignable : cela signifierait une économie de 10 % du gaz importé.

M. le président François Brottes. Quel montant d’investissements cela suppose-t-il ?

M. Bruno Bensasson, directeur d’Énergie France, GDF-Suez. L’impact sur le prix global du gaz, même si ce n’est pas votre question, serait d’environ 5 %.

M. Gérard Mestrallet. Quoi qu’il en soit, nous avons signé des accords avec le ministère de l’agriculture, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles et l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture pour développer cette source d’énergie. Les cinq projets de réinjection que j’évoquais s’ajoutent bien entendu à l’ensemble des petits méthaniseurs déjà en service.

Autre volet important du texte : une gouvernance de l’énergie plus favorable aux investissements de long terme, la programmation pluriannuelle de l’énergie visant l’ensemble des ressources. Les acteurs que nous sommes ont besoin de ce cadrage, à partir duquel ils peuvent exercer leur métier et assumer les risques pris. Est également prise en compte la volonté croissante des collectivités de prendre en main leur destin énergétique, notamment sous la forme du territoire à énergie positive, le TEPOS. Nous déclinons d’ailleurs cette idée à travers l’offre Terr’innove, pour laquelle des contrats ont été signés avec plusieurs collectivités, parmi lesquelles la commune de Jurançon et le département de la Vendée.

Bien que le texte couvre déjà un spectre très large, il gagnerait à insister davantage sur la recherche et développement ou sur la formation aux nouvelles technologies énergétiques. Il importe d’inscrire la stratégie française dans un contexte international et européen. Le lien entre ce projet de loi et la Conference of the parties (COP), organisée à Paris en 2015, est d’ailleurs évident. Au niveau européen, une action s’impose pour assurer le bon fonctionnement du système des quotas. Les grands énergéticiens européens, que j’ai réunis au sein du groupe Magritte, ont formulé un diagnostic sévère sur la situation de l’énergie dans le Vieux Continent. Depuis, nous avons proposé de réduire de 40 % les émissions de CO2 à l’horizon 2030 à la faveur d’un nouveau système de quotas, le précédent – avec la régulation de la Banque centrale et l’ajustement automatique du nombre de certificats émis chaque année sur la croissance économique européenne – ayant échoué. Ces propositions, qui avaient surpris de la part d’énergéticiens comptant dans leurs rangs le plus gros émetteur de CO2 du monde, le groupe allemand Rheinisch-Westfälisches Elektrizitätswerk Aktiengesellschaft (RWE), ont été reprises par la Commission européenne : elles doivent désormais être validées par le Conseil et le Parlement européens.

S’agissant de la décentralisation, il faudra aussi veiller à l’articulation des différentes compétences locales relatives à l’énergie.

Avec 7 gigawatts, les EnR atteignent en France un niveau de production raisonnable et soutenable – en Belgique aussi, d’ailleurs –, ce qui n’est pas le cas dans tous les grands pays voisins.

Même si ce point ne figure pas dans le projet de loi, il est parfois question d’étendre la contribution au service public de l’électricité aux énergies fossiles. J’y suis résolument opposé, non seulement pour protéger le secteur du gaz, mais aussi en vertu de l’équité et de la cohérence du système. Chaque ressource doit en quelque sorte payer ses propres énergies vertes ; et si le coût des EnR est encore modeste s’agissant du gaz, l’ambition française pour le biométhane représentera quelque 5,5 % du prix du gaz, auxquels il faut ajouter la taxe carbone – 7,5 % : trois fois 2,5 % –, soit 13 % d’augmentation programmée. C’est davantage que la répercussion de la CSPE dans le tarif de l’électricité.

M. le président François Brottes. Ce que les consommateurs ne paieront pas sur l’électricité, ils le paieront sur le gaz : à la sortie, cela s’équilibre.

M. Gérard Mestrallet. Pourquoi les consommateurs de gaz paieraient-ils pour une électricité qu’ils n’ont pas consommée ? La CSPE était au demeurant, pour EDF, un problème que le Gouvernement a résolu en garantissant l’extinction progressive de la créance.

Reste que l’extension de la CSPE, je le répète, ne figure pas, et c’est heureux, dans le projet de loi.

M. le président François Brottes. Elle a néanmoins été évoquée dans toutes nos auditions, preuve que vous les suivez !

M. Gérard Mestrallet. J’en viens aux pistes d’amélioration.

Le texte prévoit une réduction de 30 % des énergies fossiles à l’horizon 2030. Cet objectif est d’autant plus difficile que, le charbon étant déjà absent de notre mix, la réduction portera essentiellement sur le gaz et le pétrole, sans référence au contenu de CO2 pourtant variable selon les énergies : peut-être faudrait-il compléter le texte sur ce point.

Sur le développement des EnR, la France en est restée à une production raisonnable, de 7 gigawatts – soit la puissance de sept centrales nucléaires –, contre 70 gigawatts en Allemagne, qui ne peut plus faire face au coût. Ce développement, en France, a été freiné par la complexité administrative.

M. le président François Brottes. C’est bien la première fois qu’elle nous rend service ! (Sourires.)

M. Gérard Mestrallet. Il serait bon, toutefois, de débloquer certains de ces freins. Le guichet unique a été mis en place à titre expérimental par voie d’ordonnance : peut-être faudrait-il envisager une autorisation unique, qui dispense du permis de construire, sur le modèle de la législation applicable aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

En tout état de cause, c’est la logique inverse qui avait prévalu en Allemagne : n’importe quel propriétaire terrien pouvait obtenir un permis de construire du maire, avec à la clé vingt ans de subventions garanties. Le coût de ce système atteindra 25 milliards d’euros pendant vingt ans, soit au total 500 milliards. C’est plus que le coût de la réunification.

L’association des riverains au capital des projets éoliens est une très bonne idée, que nous mettons déjà en œuvre localement en France et en Belgique.

Le projet de loi prévoit aussi de regrouper les concessions hydroélectriques au sein de sociétés d’économie mixte, sur le modèle de la Compagnie nationale du Rhône. Cette idée nous semble adaptée, aussi bien au regard d’une ouverture nécessaire que de la conciliation des intérêts des parties prenantes. Une centaine d’élus de la vallée du Rhône et la Caisse des dépôts, qui représentent ensemble une majorité, souhaitent voir prolongée de quinze ans la durée de la concession de la CNR. Le modeste actionnaire minoritaire que nous sommes soutient cette demande.

M. le président François Brottes. Avec 49,9 % du capital, votre modestie vous honore. (Sourires.)

M. Gérard Mestrallet. Quoi qu’il en soit cette structure nous convient et la demande est équitable : alors que toutes les concessions d’EDF ont une durée de soixante-quinze ans, la concession unique de la CNR ne dépasse pas soixante ans. J’ajoute que la CNR est la seule à acquitter une redevance de 24 % sur son chiffre d’affaires, ce qui représente 180 millions d’euros par an pour l’État.

L’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité hydraulique est souhaitable, moyennant le respect de quelques principes : un calendrier équitable au regard des positions des uns et des autres, et un encouragement aux investissements dans les montages car il reste, sur ce point, un potentiel encore inexploité.

M. le président François Brottes. À quel niveau ? Environ 10 % de la production actuelle ?

M. Gérard Mestrallet. Oui, soit quelque 5 milliards d’euros. C’est là un chiffre non négligeable pour ce qui reste la plus belle technologie de production électrique.

Des garanties doivent être apportées aux personnels : les concessions hydrauliques bénéficient d’une expérience qu’il faut préserver. La formule retenue permettra aussi à de gros consommateurs industriels d’électricité de s’associer à certains projets, au cas par cas.

Bruno Bensasson m’indique à l’instant que 12 milliards d’euros d’investissements au total – méthanisation et raccordement au réseau – sont nécessaires pour atteindre l’objectif d’une réinjection de biogaz dans le circuit.

Le texte comporte aussi des avancées dans le domaine des transports. Pour réduire la part du diesel, on pense souvent à l’électricité mais l’on oublie parfois le biogaz, voire le gaz tout court. Pourtant, dans plusieurs grandes villes du monde, les bus fonctionnent au gaz, qui a l’avantage de ne pas émettre de particules ; or celles-ci, rappelons-le, sont en grande partie responsables de la pollution à Paris. En Chine, la pollution urbaine tient principalement au charbon et au diesel, si bien que la solution la plus rapide, le vice-Premier ministre chinois me l’a confié, consiste à les remplacer par le gaz. Nous avons par ailleurs signé, avec la RATP, un premier accord pour alimenter 900 bus en biogaz. Peut-être faudrait-il enfin étendre aux collectivités l’obligation faite à l’État d’alimenter une partie de ses flottes de véhicules avec des combustibles renouvelables, ou à tout le moins de les inciter à le faire pour leurs véhicules lourds.

Je termine par un mot sur le chèque énergie. Depuis cinq ou six ans, GDF-Suez milite en faveur de l’extension des tarifs sociaux du gaz – qui est loin de bénéficier à tous les ménages en réelle situation de précarité énergétique –, couplée à la transparence des tarifs. Ce fut chose faite, une première fois avec la nouvelle tarification du gaz décidée par Mme Batho par voie réglementaire, et une seconde fois avec la loi Brottes. Nous sommes satisfaits du système, dont le nombre de bénéficiaires est passé de 600 000 en 2009 à 2,6 millions aujourd’hui, avec un potentiel de 4 millions. Quoi qu’il en soit, l’obligation qui nous est faite de rendre automatique le bénéfice des tarifs sociaux est de la plus grande simplicité pour les consommateurs, qui n’ont aucune démarche à effectuer : ils s’aperçoivent seulement que leur facture a baissé.

Le chèque énergie est une bonne idée, qui d’ailleurs concerne aussi le fioul, le bois ou les réseaux de chaleur ; mais nous appelons l’attention sur un risque de complexité administrative. Les bénéficiaires recevront un chèque, sur le modèle du chèque restaurant, qu’ils devront renvoyer à l’un des fournisseurs d’énergie en acquittant la différence puisque c’est le tarif normal qui s’appliquera : cela pourrait générer des « pertes en ligne ».

M. le président François Brottes. Verriez-vous cohabiter les deux systèmes ?

M. Gérard Mestrallet. Oui, et je conclus sur ce point.

M. le président François Brottes. Avez-vous constaté, pendant la trêve hivernale, des effets d’aubaine s’agissant de l’interdiction de coupure ? Vous le craigniez, à l’époque où j’avais fait adopter cette mesure.

M. Bruno Bensasson. Il est vrai que nous le craignions, mais nous n’avons pas observé de dérives pendant l’hiver dernier.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titres Ier et V du projet de loi. La prime envisagée au titre du soutien au développement des EnR doit-elle, selon vous, porter sur la production ou sur l’investissement de départ ? Doit-elle faire l’objet d’un calcul ex ante ou ex post ?

Vous préconisez, comme le prévoit déjà le texte, de faciliter la mise en œuvre de financements participatifs des projets d’EnR : avez-vous des solutions pratiques à nous suggérer ?

L’idée de remplacer EDF par RTE, Réseau de transport d’électricité, comme acheteur obligé a été évoquée au cours de certaines auditions : qu’en pensez-vous ?

Vous connaissez mon attachement tout particulier à l’hydraulique, qu’il s’agisse des ouvrages gérés par la CNR, la Société hydraulique du Midi (SHEM) ou par EDF : cet outil très précieux constitue un pilier majeur pour la transition énergétique. J’ai compris, en tout cas, que vous étiez favorable à la création de SEM dans le cadre du renouvellement des concessions. Quel vous paraît être le niveau optimal de participation publique, au regard de la gouvernance comme de l’efficacité de la production ?

Que pensez-vous de la formule de prolongation par calcul barycentrique, et d’une prolongation qui serait conditionnée à des investissements ou à une nouvelle redevance ?

Ne craignez-vous pas, avec les SEM, une régionalisation de l’hydroélectricité qui entraînerait une concurrence entre les régions préjudiciable, à terme, à l’optimisation de la production ?

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Je me félicite que le modèle d’affaires des énergéticiens évolue vers l’efficacité énergétique : nous étions un certain nombre à le préconiser depuis longtemps.

Je me limiterai au titre VIII, dont je suis rapporteur. S’agissant des programmations pluriannuelles et des budgets carbone, une hiérarchisation des énergies fossiles en fonction de leur contribution au dérèglement climatique paraît en effet légitime.

Par ailleurs, le texte prévoit de fixer une valeur tutélaire du carbone, sans préciser son usage, que ce soit à travers la fiscalité ou l’évaluation des politiques. Avez-vous des suggestions sur ce point, au vu par exemple de vos travaux au sein du groupe Magritte ?

Comment assurer la cohabitation que vous préconisez entre le chèque énergie et les tarifs sociaux ? Le choix serait-il laissé aux usagers ? L’avantage du chèque est de pouvoir être utilisé dans le cadre d’une politique de prévention : son bénéficiaire peut faire baisser sa facture en réalisant des travaux ou en achetant des matériels électroménagers sobres en énergie, par exemple. Le tarif social, lui, fait baisser mécaniquement la facture.

Les collectivités, pour mettre en œuvre leurs politiques énergétiques, doivent pouvoir cibler les besoins prioritaires : même si la question relève davantage de GRDF que de GDF-Suez, comment leur assurer un meilleur accès aux données, tout en préservant bien entendu la confidentialité des clients ?

Enfin, qu’en est-il du « power to gas », c’est-à-dire du stockage de la surproduction en électricité grâce à leur transformation en gaz ? GDF-Suez travaille-t-il en ce sens ?

Mme Bernadette Laclais. Je vous remercie de votre plaidoyer en faveur de l’hydroélectricité, qui peut en effet contribuer à la réussite de la transition énergétique. Pensez-vous cependant que la grande hydroélectricité a un avenir en France ? Je suis toujours étonnée que le Centre national d’équipements hydrauliques (CNEH), que nous avons la chance d’héberger, soit plus connu à l’étranger que dans notre pays. Enfin, les industries électrointensives pourraient-elles s’associer aux SEM ?

M. Alain Leboeuf. Vous venez de signer un accord sur les bus au gaz avec la RATP ; mais aucun travail de recherche n’est mené sur les bus intercités, compte tenu des réserves déjà installées sur les bus urbains. Or le transport intercités est un véritable enjeu, notamment pour les enfants, en milieu rural et sur l’ensemble du territoire national. Avez-vous des contacts avec les constructeurs pour les inciter à fabriquer des bus intercités au gaz ?

M. Julien Aubert. Le groupe UMP estime que le gaz est une énergie orange, entre le vert et le rouge, indispensable à la transition énergétique. Hier, nous avons entendu des voix discordantes sur ce point.

Une politique différenciée vous semble-t-elle nécessaire, afin de privilégier les énergies selon les types de véhicules ?

GDF-Suez est un opérateur nucléaire en Belgique ; or le projet de loi gèle le monopole d’EDF sur l’ensemble des centrales en France, de sorte qu’il faudrait en fermer une – avec au besoin une indemnisation de l’État – dans l’hypothèse où vous souhaiteriez vous-même en ouvrir une. Quelle remarque cela appelle-t-il de votre part ?

Les gazo-intensifs se plaignent de la différence du prix du gaz entre le Sud et le Nord de la France : une unification du marché vous semble-t-elle possible ?

Vous avez pris le leadership européen pour mettre en garde contre le développement massif des énergies électriques intermittentes, tout en vous opposant à un élargissement de la CSPE, qui permet de financer le déploiement des énergies vertes. J’y vois une forme de contradiction. Faut-il donc renoncer aux énergies vertes électriques au profit des thermiques, ou plafonner la partie de la CSPE destinée à financer les énergies renouvelables ? Cette dernière solution permettrait de réaffecter des crédits vers le chèque énergie, de privilégier certaines énergies vertes et de contrôler partiellement l’enveloppe qui, après le vote de ce texte, pourrait dépasser les 80 milliards engagés. Peut-être d’ailleurs y a-t-il une troisième option ?

M. Jean-Yves Caullet. Au vu des objectifs du texte, les énergies fossiles n’ont effectivement pas le même intérêt, le gaz étant de surcroît remplaçable par une énergie renouvelable. Cela signifie-t-il à vos yeux qu’il serait stratégique de développer le gaz par rapport aux autres énergies fossiles ? Le cas échéant, à quel rythme devrait se faire la substitution ?

Le biogaz requiert une matière première dispersée. Quelle est l’architecture optimale, entre le réseau, l’implantation des lieux de production et la disponibilité de cette matière ? Y a-t-il un problème d’acceptabilité sociale des installations ? Le système énergétique centralisé fait porter de fortes contraintes locales, mais elles sont aisément compensées par des aménités budgétaires… Avec le nouveau modèle, le consommateur rencontre le citoyen en voyant des méthaniseurs à côté de chez lui.

Quant aux transports, les constructeurs français ne sont visiblement pas en pointe sur la motorisation au gaz : y a-t-il des actions à mener en ce domaine ?

M. Bertrand Pancher. Comment expliquez-vous que le gaz soit le grand absent du texte, d’autant que, vous l’avez rappelé, il peut contribuer à l’atteinte de nos objectifs, y compris pour la limitation des émissions de gaz à effet de serre ?

Vous plaidez en faveur du biogaz et du biométhane. Nous recevons beaucoup de propositions d’amendement, entre lesquelles nous aurons à trancher dans de brefs délais. Or, si l’on excepte les rapporteurs, les parlementaires ne disposent pour ce faire que de capacités d’expertise limitées. Quoi qu’il en soit, le développement du biogaz et du biométhane nécessite des dispositifs d’aides ; c’est toute la question, notamment, du fonds chaleur. D’une façon générale, quel regard portez-vous sur l’accompagnement financier de ce type de production ? Certains, en effet, rêvent d’une écologie qui se passerait de ces soutiens.

M. Daniel Fasquelle. On sait qu’en Allemagne, la transition énergétique n’a pas conduit aux résultats espérés. Le modèle français vous semble-t-il apte à assurer la réussite de cette transition énergétique dans notre pays ? Sinon, sur quels paramètres pourrait-on agir pour assurer cette réussite ? Pour ma part, je juge ce projet de loi trop imprécis, notamment sur la question du financement. Par ailleurs, je n’en partage pas tous les objectifs, et je considère que des énergies comme le gaz ou le nucléaire doivent être préservées.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la tarification du gaz et de la réglementation française dans ce domaine ? Il s’agit d’une question primordiale pour le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises, et je regrette que la majorité, qui a souhaité la création d’une commission d’enquête sur la tarification de l’électricité, ne l’ait pas étendue au gaz.

Pourquoi enfin sommes-nous incapables de mener des recherches qui permettraient de mesurer nos capacités en matière de gaz de schiste ? N’est-ce pas une source d’énergie importante, que nous avons tort de délaisser ?

M. Guy Geoffroy. Si l’on souhaite accroître notre production de biogaz renouvelable, ne serait-il pas souhaitable de développer la méthanisation des déchets ménagers ? Utiliser la partie fermentescible de ces déchets permettrait non seulement de produire de l’énergie mais également de rendre à la terre une partie de la matière organique qui en a été prélevée, avec à la clef l’idée, vertueuse, que le biogaz produit pourrait servir à faire circuler les véhicules de collecte. La transition énergétique sera d’autant plus réussie qu’elle saura susciter l’adhésion de nos concitoyens. Cela passe par ce type d’innovations simples et faciles à comprendre.

M. le président François Brottes. Le marché de capacité, en théorie, sert à pallier les difficultés entraînées par la variation de la demande d’électricité. On pourrait penser qu’il garantit aux opérateurs concernés la rentabilité de leurs centrales thermiques à gaz. Or vous avez récemment annoncé que vous en aviez fermé plus d’une dizaine, qu’il sera difficile de réactiver en cas de besoin, et cela même alors que RTE prévoit pour l’an prochain des problèmes d’approvisionnement. Dans ces conditions, il est problématique de se priver de ces centrales qui permettent d’ajuster nos capacités.

Faut-il donc réviser le mode de financement du marché de capacité pour éviter d’en arriver là ? Ne pourrait-on envisager un système de forfait garanti assorti d’un complément de rémunération en cas de recours prolongé à ces centrales ?

Que faut-il penser, par ailleurs, de l’hydrogène décarboné produit à partir des énergies renouvelables et non à partir de la reconversion du pétrole ? J’ai cru comprendre qu’il pouvait constituer une solution au problème du stockage de l’électricité et qu’il existait pour cela trois procédés. Le premier consiste à reconvertir cet hydrogène en électricité en cas de besoin, mais c’est une solution apparemment peu rentable ; le deuxième consiste à en injecter un certain pourcentage – limité à 10 % – directement dans le réseau gazier, à l’instar du biogaz ; le troisième enfin, jugé le plus performant par le secrétaire général du CEA, consiste à avoir recours à l’électrolyse, qui permet de transformer 90 % de l’électricité en gaz à usage des véhicules propres. Cela relève-t-il pour vous de la science-fiction ? On consacre chaque année près d’un milliard d’euros à adapter les réseaux de transports et de distribution aux dysfonctionnements de l’intermittence. Si les problèmes d’intermittence étaient résolus grâce au stockage, cela limiterait les besoins en investissement dans les réseaux et permettrait de consacrer les sommes économisées à développer les technologies de l’hydrogène. Quoi qu’il en soit, il faudra bien réfléchir à d’autres modèles si nous voulons faire bouger les lignes… Votre avis nous sera précieux.

M. Gérard Mestrallet. En matière de soutien aux EnR, la Commission européenne a recommandé un système d’aides qui combine prime et prix du marché. Nous sommes favorables à ce type de dispositif pour les technologies déjà matures – l’éolien terrestre et le photovoltaïque classique –, le système des feed-in tariffs (tarifs de rachat) ou tarifs fixes garantis sur quinze ou vingt ans, trop généreux, ayant entraîné dans certains pays un phénomène de surinvestissement. Les tarifs fixes garantis en revanche doivent être réservés aux technologies de demain, qui ne peuvent se développer sans le soutien des aides publiques : je pense à l’éolien offshore, à l’énergie solaire à concentration ou à l’hydrolien, mais également à toutes les recherches portant sur les techniques de stockage.

Je ne sais comment on pourrait améliorer le financement participatif. Il est en tout cas essentiel de pouvoir associer les citoyens et, dans certains cas les riverains, à des projets de développement des EnR. Pourquoi ne pas envisager un système de déductibilité des investissements, comme cela se pratique pour la création de PME, afin de développer une forme sympathique de crowdfunding territorial et renouvelable ?

L’idée de faire de RTE l’acheteur unique n’est pas mauvaise ; encore faudrait-il savoir ce que RTE ferait ensuite de cette électricité, qu’EDF a actuellement obligation de racheter dans sa totalité à un prix compensé – à retardement – par la CSPE. On pourrait également imaginer que les producteurs d’énergie renouvelable aient l’obligation de placer eux-mêmes leur électricité sur le marché et qu’ils reçoivent en contrepartie la compensation correspondante. Le système actuel conduit en fait à renforcer la position dominante du plus gros opérateur. Si d’aventure la France ne produisait plus que des EnR et du nucléaire – sur lequel EDF a le monopole – la totalité de l’électricité produite en France se retrouverait aux mains d’un seul opérateur, qui aurait l’exclusivité de sa commercialisation, tous les autres étant dépendants de cet opérateur unique, ce qui est en contradiction avec la logique de l’ouverture des marchés. Confier l’achat à RTE est donc une piste à creuser, sachant que le volume d’EnR concerné est largement supérieur à ce qui est nécessaire pour compenser les pertes en ligne.

51% me paraît un bon taux de participation publique dans les SEM hydroélectriques. Cela laisse de la place aux consortiums privés et notamment aux éventuels industriels électro-intensifs qui auraient ainsi droit à leur quote-part d’électricité produite, qu’ils paieraient à son coût de production. C’est en tout cas le modèle de la CNR.

Le barycentre est un bon système, et allonger de quinze ans la durée de vie de la concession de la CNR est une application équitable de l’esprit du barycentre.

Il est normal par ailleurs que la concession soit accordée sous condition d’investissements. C’est obligatoire pour la CNR, qui assume des missions d’intérêt général, c’est facultatif dans les vallées des Pyrénées où nous investissons néanmoins pour soutenir l’intégration de nos sites dans l’écosystème – enjeu d’autant plus important que, dans le domaine de l’hydroélectricité, les impacts environnementaux sont très forts.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titres Ier et V du projet de loi. Ma question portait sur l’investissement productif sur les ouvrages et non sur l’aménagement territorial qui, pour moi, va de soi.

M. Gérard Mestrallet. Il faut en effet investir pour améliorer et optimiser les barrages, ce que font déjà certains concessionnaires, mais il est également normal que les opérateurs en compétition pour les concessions présentent aux collectivités locales leur programme d’investissement et d’aménagement des équipements hydrauliques.

Il n’y a pas de risque à mes yeux d’une régionalisation de l’hydroélectricité. Les régions vont davantage s’impliquer, mais les infrastructures existantes continueront de dominer la filière ; les nouvelles constructions, dans les vallées où tout le potentiel hydroélectrique n’a pas encore été exploité, ne représentent qu’une augmentation de 10% des investissements et de la production. Quant aux retombées économiques et financières, elles se répartiront en toute logique entre les différents niveaux de collectivités territoriales, mais je n’imagine pas de concurrence entre les régions.

Que ce soit au sein du groupe Magritte ou dans la perspective de la Conférence des parties signataires de la convention Climat (COP) de l’an prochain, nous militons pour la fixation d’un prix mondial du carbone. C’est certes un peu utopique, mais c’est ce qui avait été tenté en Europe ou en Australie. Le prix du carbone doit être le paramètre principal, primant sur tous les autres – efficacité énergétique ou part des énergies vertes –, qui doivent en découler. Il faut fixer un prix cohérent avec l’objectif de réduction de 40 % des émissions de CO2 à l’horizon 2030, le volume des certificats d’émission pouvant être modulé d’une année sur l’autre en fonction de la croissance économique européenne, de façon à éviter un effondrement complet du prix du carbone comme ce fut le cas lors de la récession de 2009, qui a conduit à la destruction du système européen. L’objectif est que ce prix carbone oriente les décisions d’investissement des opérateurs vers des technologies décarbonées. Cela renchérirait inévitablement le prix du charbon pour les consommateurs, qui opteraient alors pour le gaz, ce qui permettrait de rétablir au niveau européen une hiérarchie des énergies plus conforme à la transition énergétique. C’est en tout cas la position que je défendrai à New York la semaine prochaine lors de la réunion préparatoire à la COP, où je dirai également un mot des green bonds.

Nous sommes partisans d’une cohabitation entre le chèque énergie et les tarifs sociaux, le chèque constituant à la fois un complément et une option pour les consommateurs préférant cette solution à celle des tarifs sociaux. Dans cette optique, les objections avancées par Denis Baupin tombent. Ma crainte toutefois est que le chèque ne perde de son efficacité, en cas d’inadvertance ou de négligence des bénéficiaires.

M. Bruno Benasson. L’accès aux données est un sujet sensible. Les données appartiennent aux consommateurs, et toute donnée nominative ne peut être diffusée qu’avec leur accord explicite, et non tacite. Cela étant, il faut parvenir, en matière d’accès aux données, à trouver une position d’équilibre qui convienne aussi bien aux gestionnaires de réseau, qui possèdent l’information, qu’aux distributeurs d’énergie, qui ont besoin de cette information pour innover en matière d’efficacité énergétique.

M. Gérard Mestrallet. Le power to gaz ou technologie de conversion d’énergie en gaz combustible peut constituer une solution de stockage qui s’ajoute aux procédés développés à partir de l’hydrogène évoqués par le président Brottes. Nous pensons que l’hydrogène a un rôle à jouer dans la transition énergétique, mais nous ne savons pas encore lequel. Il est certain en tout cas qu’il est voué à être massivement utilisé pour le stockage de l’énergie.

Aujourd’hui, lorsque le vent est fort et la consommation d’électricité modérée dans le nord de l’Europe, l’énergie éolienne excédentaire abaisse le prix de l’électricité à des niveaux négatifs ; cela s’est déjà produit en Allemagne, plus rarement en France. On peut alors utiliser l’excédent d’électricité pour produire à la fois de l’oxygène et de l’hydrogène par électrolyse de l’eau. Cet hydrogène renouvelable peut ensuite être transformé en électricité, mais le rendement énergétique est pour l’instant assez faible. On peut également l’injecter dans les réseaux, à hauteur de 10 à 15 %, comme nous le faisons actuellement à titre expérimental à Dunkerque. Grâce à des électrolyseurs, l’hydrogène est mélangé à du méthane pour produire de l’hythane, qui alimente les bus de la communauté urbaine et est utilisé comme énergie domestique dans un éco-quartier de Dunkerque. Quant aux piles à combustible, elles permettent de produire de l’électricité, par un mouvement inverse à l’hydrolyse, à partir de l’hydrogène et de l’oxygène. Elles restent réservées à certains usages et sont encore assez peu utilisées. Il y a enfin le power to gaz complet, qui consiste à provoquer une réaction chimique entre l’hydrogène et le CO2 pour produire du CH4 – du méthane – et de l’eau. Nous sommes là au cœur de l’économie circulaire, puisque l’électricité produite à partir de gaz naturel est recyclée en gaz. Et, comme le gaz se stocke, contrairement à l’électricité, c’est là une piste intéressante pour résoudre ce problème du stockage devenu crucial dans un système dérégulé où une proportion de plus en plus importante d’énergies renouvelables intermittentes circule sur le réseau. Il ne se posait pas du temps de l’opérateur unique…

M. le président Brottes. Voulez-vous dire que cela marchait mieux avant ?

M. Gérard Mestrallet. Le problème ne se posait pas dans les mêmes termes. Mais le système marchait bien, il faut le reconnaître…

La France possède un réel savoir-faire en matière d’hydroélectricité, comme en témoigne le Centre national de l’énergie hydraulique en Savoie. À travers EDF ou GDF-Suez – qui a repris Coyne et Bellier, l’une des meilleures sociétés d’ingéniérie au monde –, la France est présente partout dans le monde dans la filière de la grande hydraulique. Il reste peu de capacités à exploiter dans notre pays – nous souhaiterions rajouter un barrage sur le Rhône – mais GDF-Suez a construit au Brésil de très grands barrages.

En ce qui concerne les transports propres, nous travaillons surtout avec les constructeurs sur la motorisation. Séoul, Rio, Buenos Aires, Barcelone et bientôt les villes chinoises ont des flottes de bus au gaz qui leur ont permis de diminuer les émissions de particules. La chose est relativement facile sur le plan logistique pour un véhicule de transport urbain revient systématiquement à son point de départ ; pour les bus intercités, l’emplacement des réservoirs, par nature plus volumineux, pose un problème de répartition des masses, et il nous faut encore progresser.

Nous souhaitions construire un réacteur ATMEA dans la vallée du Rhône, estimant qu’il serait plus facile de l’exporter si nous avions un démonstrateur. Cela ne s’est pas fait, ce qui n’a pas empêché AREVA et Mitsubishi de remporter le plus grand appel d’offre nucléaire mondial de ces cinq dernières années, contre les Coréens – qui nous avaient battus à Abu Dhabi – et les Chinois, pour la construction de quatre centrales nucléaires en Turquie.

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. En zone sismique !

M. Gérard Mestrallet. Toutes les zones sont plus ou moins sismiques et il est toujours possible de changer l’emplacement du site en cas de risque trop élevé. Par ailleurs, les Japonais savent gérer les risques sismiques pour leurs centrales nucléaires : Fukushima avait résisté à la secousse sismique ; ce sont les organes de refroidissement qu’il aurait fallu mieux protéger contre les tsunamis…

L’unification du marché gazier nécessiterait à la fois des changements réglementaires et des investissements.

La position du groupe Magritte sur les énergies renouvelables et la CSPE n’est en rien contradictoire. Si nous préconisons de réduire le rythme de développement des énergies renouvelables pour le rendre soutenable, nous y sommes néanmoins favorables. Comment pourrait-il en être autrement, puisque nous accueillons dans nos rangs les leaders mondiaux dans ce domaine ? Le gaz et les énergies renouvelables sont très complémentaires. Tandis que les EnR sont intermittentes, le gaz est d’un usage extrêmement flexible et il est très aisé de faire fonctionner les centrales à gaz en cas d’absence de vent ou de soleil. Ce que dénonce le groupe Magritte, c’est la prépondérance du charbon américain sur le marché, qui a contraint l’Europe à fermer plusieurs de ses centrales à gaz, pour une capacité de 70 gigawatts, soit l’équivalent en puissance de soixante-dix centrales nucléaires. L’énergie nucléaire servant d’énergie de base et ne pouvant être mobilisée lors des pics de consommation, il y a là un risque pour notre approvisionnement si un tel pic devait survenir à un moment où les conditions climatiques empêchent de recourir à l’éolien ou au photovoltaïque.

Il faut donc réfléchir à un système de rémunération des capacités qui permette de maintenir les centrales à gaz en activité. À défaut de restaurer la rentabilité du capital, au moins faudrait-il que ce système couvre les frais variables négatifs générés par le fonctionnement de ces centrales. Nous essayons pour ce qui nous concerne de les maintenir « sous cocon », sans les fermer définitivement, mais il faut toujours plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour les remettre en service. Sur ce point-là, quoi qu’il en soit, le groupe Magritte n’est guère entendu par les autorités françaises et européennes.

Le peu de place accordée par le projet de loi au gaz est le reflet d’un travers français. La France se distingue en cela de nombreux pays, comme la Chine, qui ont largement misé sur le gaz pour réussir leur transition énergétique.

En ce qui concerne le biogaz, nous jugeons le tarif de rachat satisfaisant. En revanche, il est indispensable de simplifier les procédures. L’ordonnance de simplification permet actuellement à plusieurs régions pilote d’expérimenter l’autorisation unique, mais le délai d’obtention des permis de méthanisation reste trois fois plus long chez nous qu’en Allemagne, ce qui explique les difficultés de cette technologie à décoller.

Ce projet de loi va autoriser les ajustements nécessaires à la réussite de notre transition énergétique. Cela étant, au regard de ce qui s’est passé en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Portugal, ou des tâtonnements de l’Angleterre, qui hésite entre le renouvelable et le nucléaire, et qui semble vouloir revenir au gaz, nous n’avons pas à rougir de ce que nous avons déjà accompli.

Le nouveau système de tarification du gaz fonctionne depuis le début de l’année 2013. Les tarifs sont modulés automatiquement tous les mois, hors de toute considération politique, selon une formule qui prend en compte l’évolution des coûts réels, notamment les coûts d’approvisionnement, et reflète l’état des négociations des contrats à long terme, dans lesquels la part indexée sur le pétrole est désormais limitée à 40%, la part indexée sur le marché du gaz représentant 60%. Je considère, pour ma part, qu’il ne faut pas aller plus loin en matière d’indexation sur les marchés du gaz, car le marché est volatile, et les prix, en baisse depuis dix-huit mois, amorcent aujourd’hui une remontée à l’approche de l’hiver et compte tenu des tensions internationales. La formule actuelle couvre les coûts, rien de plus ; au moins a-t-elle le mérite de fonctionner correctement, et d’une façon relativement automatique, et d’avoir dans une certaine mesure dépolitisé la question.

Contrairement aux États-Unis où le gaz de schiste joue un rôle essentiel dans leur révolution énergétique, la France a décidé de ne pas se lancer dans son exploitation. On peut le regretter, mais nous respectons la décision des autorités publiques. GDF-Suez a acheté sept licences de gaz de schiste en Grande-Bretagne, et nous menons en Louisiane, aux États-Unis, un projet non pas d’exploitation, mais de liquéfaction pour l’exportation, pour lequel nous venons d’obtenir les autorisations. Il s’agit d’un projet de 12 milliards de dollars implanté sur le site d’un ancien terminal d’importation de gaz. Nous allons y réaliser trois trains de liquéfaction, l’un pour nous, d’une capacité de quatre millions de tonnes, le deuxième pour Mitsui et le troisième pour Mitsubishi. Ce gaz sera destiné d’abord à l’Asie – sachant que l’Europe, pour l’heure, ne connaît aucun problème d’approvisionnement, en dépit de la crise russo-ukrainienne.

M. le président François Brottes. Est-il vrai que vos concurrents allemands se sont reconvertis dans le gaz de schiste au Etats-Unis ?

M. Gérard Mestrallet. À ma connaissance, les Allemands n’investissent pas dans la production de gaz de schiste. Quant aux débouchés à l’exportation, il s’agit surtout des pays asiatiques, car les plus gros consommateurs de gaz sont aujourd’hui les pays émergents. L’Europe pour sa part en consomme de moins en moins, ce qui la met à l’abri, à moyen et long termes, des problèmes de sécurité d’approvisionnement. Le gaz russe ne représente que 15 % de l’approvisionnement de la France, qui se fournit également en Norvège, en Algérie, en Hollande et ailleurs. Cette diversification nous met à l’abri en cas de conflit : en janvier 2009, quand les Russes ont interrompu leurs livraisons, nous n’avons eu à déplorer, malgré les records de froid et de consommation de gaz, aucun problème de fourniture aux usagers. Tout dépendra donc de l’évolution du conflit russo-ukrainien. S’il évoluait vers un conflit russo-européen, il faudrait revoir nos positions, mais je n’y crois guère.

Le biogaz s’obtient à partir de trois sources : la partie fermentescible des déchets ménagers, les boues de station d’épuration et les déchets agricoles. L’avantage des déchets ménagers, c’est que leur volume est plus stable que celui des déchets agricoles. Or pour fonctionner correctement, un méthaniseur doit être alimenté régulièrement, et les ordures ménagères permettent de compenser les variations en volume des déchets agricoles.

Cela étant, je constate, qu’après avoir fait l’objet d’un fort engouement chez les partisans de l’économie circulaire, la méthanisation suscite aujourd’hui des réserves. C’est le cas à Ivry où, au moment de l’appel d’offres pour la rénovation de la grande usine d’incinération remporté par notre filiale SITA, les élus réclamaient un méthaniseur ; ils se montrent aujourd’hui beaucoup plus critiques.

M. le président François Brottes. Ils doivent tenir compte de l’opposition des riverains.

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Il y a également la question de la taille des projets.

M. Jean-Yves Caullet. C’est un problème d’acceptabilité sociale.

M. Gérard Mestrallet. Il est vrai que le développement de ces grands projets en zone urbaine est plus compliqué en termes d’acceptabilité que celui des petites unités de méthanisation agricoles. Mais, grâce au dialogue et à force de pédagogie, nous espérons pouvoir vaincre les résistances et convaincre que le gaz a un avenir.

M. le président François Brottes. Il me reste à vous remercier, monsieur le président-directeur général pour vos recommandations que nous avons écoutées avec beaucoup d’intérêt.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Réunion du jeudi 18 septembre 2014 à 11 h 30

Présents. - M. Julien Aubert, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. Philippe Bies, M. Christophe Borgel, M. Christophe Bouillon, M. François Brottes, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Françoise Dubois, Mme Cécile Duflot, M. Daniel Fasquelle, M. Claude de Ganay, M. Guy Geoffroy, Mme Bernadette Laclais, M. Jean Launay, M. Jean-Luc Laurent, M. Alain Leboeuf, Mme Frédérique Massat, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, Mme Béatrice Santais, Mme Catherine Troallic, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Jean-Michel Clément, M. Franck Reynier

Assistaient également à la réunion. - M. Laurent Kalinowski, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Hervé Pellois