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Commission spéciale pour l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Jeudi 18 septembre 2014

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 20

Présidence de M. François Brottes Président

– Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Philippe Monloubou, président du directoire d’ERDF ; de Mme Sandra Lagumina, directeur général de GrDF ; de Mme Denise Saint-Pé, seconde vice-présidente déléguée de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) ; de M. Guillaume Tabourdeau, délégué général de l’Association nationale des régies de services publics des organismes constitués par les collectivités locales ou avec leur participation (ANROC) ; et de M. Sylvain Waserman, directeur général de Réseau Gaz Distribution Services (GDS) et vice-président du syndicat professionnel des entreprises gazières non nationalisées (SPEGNN)

M. Jean-Yves Caullet, président. Je saurai gré aux intervenants, qu’il s’agisse des participants à la table ronde ou des députés, de faire preuve de la plus grande concision possible.

Mme Denise Saint-Pé, seconde vice-présidente déléguée de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Sur les territoires, la distribution d’électricité, de gaz ou de chaleur constitue le dernier et le plus proche maillon de la chaîne énergétique. Il s’agit de l’activité qui conditionne directement l’approvisionnement de ces territoires en énergie, tant du point de vue quantitatif que qualitatif – activité qui se trouve en interface immédiate avec le consommateur raccordé au réseau. La FNCCR, qui représente notamment les autorités organisatrices de la distribution d’énergie (AODE), considère que cette activité devrait se voir reconnaître un statut et des missions spécifiques dans le cadre de la transition énergétique à laquelle elle peut et doit concourir très directement.

En même temps, il ne faut pas perdre de vue que la distribution d’énergie est un élément important voire déterminant de l’équilibre territorial. Les réseaux mettent en relation les zones denses et les zones peu denses, les zones excédentaires en énergie et les zones déficitaires : ils seront un élément essentiel des territoires à énergie positive.

Il nous semble donc fondamental de préserver un équilibre entre, d’une part, le rôle des réseaux de distribution d’énergie pour l’aménagement du territoire et, d’autre part, leur contribution à la transition énergétique.

Dans cette perspective, je m’arrêterai plus particulièrement sur trois points qui nous semblent essentiels : d’abord, les AODE doivent avoir la possibilité de concourir efficacement à l’adaptation des réseaux à la transition énergétique ; ensuite, la coordination des trois réseaux – électricité, gaz, chaleur ou froid – doit être mise en place ; enfin, les AODE doivent être mieux associées à la gouvernance des opérateurs dès lors que ceux-ci se voient reconnaître le bénéfice de droits exclusifs conformément à la directive européenne sur les concessions de services du 26 février 2014.

Le premier point implique de prévoir l’association ou, pour le moins, la consultation des AODE dans le cadre de certaines procédures prévues par le projet de loi. Par exemple, l’expérimentation de « services de flexibilité locaux », prévus par l’article 58, qui impliquera les gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité (GRD), devra également associer, au moins à titre consultatif, les autorités concédantes de ces gestionnaires de réseaux.

Autre exemple : en matière de maîtrise de la demande d’énergie, si l’article 54 prévoit le principe selon lequel le « GRD met en œuvre des actions d’efficacité énergétique et favorise l’insertion des énergies renouvelables sur le réseau », il serait nécessaire de préciser que ces actions doivent être organisées dans le cadre des concessions et de leur cahier des charges, de façon à permettre à l’AODE de veiller à une bonne adaptation de ces initiatives aux caractéristiques et aux besoins de son territoire et, par cohérence, de soumettre aussi sa propre activité de maîtrise d’ouvrage à des objectifs d’efficacité énergétique et de bonne insertion des énergies renouvelables sur le réseau.

Enfin, les AODE devraient être systématiquement consultées par les collectivités ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) chargés de l’élaboration des plans climat-énergie territoriaux (PCET), au moment de l’élaboration de ces plans, dans le souci d’une bonne coordination entre les hypothèses retenues par les plans et chartes d’engagement plan climat air énergie territoriaux (PCAET) en matière de production et de consommation d’énergie, et les programmes de développement des réseaux dont les AODE ont la responsabilité.

Ce même souci de coordination doit d’ailleurs se décliner entre les trois réseaux eux-mêmes, et c’est mon deuxième point.

Nous avons fait ces dernières années des progrès significatifs en matière de programmation des investissements sur les réseaux de distribution d’électricité ou de gaz grâce aux conférences départementales instituées par la loi de décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME), en étant conscients que pour le gaz il convenait de redonner une impulsion pour guider les acteurs locaux à l’instar de ce que l’on a fait en concertation avec ERDF. Actuellement, nous continuons de travailler ce sujet avec GRDF.

Toutefois, ces conférences, qui ne concernent pas actuellement la chaleur, n’appréhendent pas la façon dont le développement des différents réseaux doit être mis en cohérence. Il s’agit pourtant d’une nécessité si l’on veut, d’une part, rationaliser l’utilisation des ressources énergétiques locales, en orientant l’alimentation énergétique d’un territoire vers la minimisation des émissions de gaz à effet de serre ; et si l’on veut, d’autre part, mieux orienter la dépense publique lorsqu’elle est affectée au développement de ces réseaux.

C’est la raison pour laquelle nous proposons la possibilité, pour les collectivités et les AODE qui le souhaitent, de créer des pôles territoriaux énergétiques, sous forme de syndicats mixtes ayant vocation à élaborer – à la demande des territoires – des schémas de coordination des trois réseaux et à organiser la coopération entre les territoires excédentaires en énergie et les territoires déficitaires, dans une logique globale de territoires à énergie positive.

Troisième et dernier point, le débat national sur la transition énergétique, qui s’est tenu l’année dernière, a fait émerger l’idée que cette transition va requérir de la part des collectivités locales, la mise en place de politiques locales, qui nécessiteront que ces collectivités maîtrisent au mieux les différents outils de ces politiques.

Dans cette perspective, la FNCCR estime qu’il est nécessaire de donner aux AODE les moyens de mieux assurer leur fonction de régulateurs locaux de la distribution d’énergie, en leur attribuant des moyens de travail en commun plus directs et plus efficaces avec les GRD – avec lesquels nous travaillons de façon tout à fait positive –, tout en garantissant le maintien de la solidarité territoriale, qui s’incarne par la péréquation et par les droits exclusifs dont bénéficient ERDF et GrDF.

Nous regrettons à cet égard qu’à son article 38, le projet de loi supprime la possibilité, pour les AODE, de percevoir du GRD des pénalités en cas de mauvaise qualité de l’électricité distribuée. Nous demandons le maintien de cette possibilité, qui ne fait pas obstacle à ce que la commission de régulation de l’énergie (CRE) opère sa propre régulation incitative.

La FNCCR souhaite également que les AODE soient davantage intégrées à la gouvernance d’ERDF. Les modalités de cette association peuvent être diverses : entrée d’élus au conseil de surveillance, création d’instances de suivi des investissements… Nous sommes ouverts au dialogue sur ces diverses hypothèses. L’essentiel pour la FNCCR est que soient respectés quelques principes : l’association des élus à la gouvernance d’ERDF devra être réelle et les représentants qui pourraient y siéger devront vraiment disposer d’un pouvoir délibératif et non pas seulement consultatif. La logique de la concession devra être soigneusement préservée, ce qui implique que les attributions des AODE en termes de contrôle soient respectées et que la propriété des réseaux publics de distribution d’énergie électrique, qui leur est reconnue par la loi, ne soit en aucun cas remise en cause. Sous ces réserves, il nous semble possible et même souhaitable de profiter de ce projet de loi pour progresser de manière significative.

Pour conclure, les collectivités et groupements de collectivités représentés par la FNCCR considèrent que le meilleur facteur de réussite de la transition énergétique sera le réalisme avec lequel elle sera mise en cohérence avec les contraintes économiques, financières et sociales fortes auxquelles nous sommes tous confrontés. Nous sommes convaincus que l’efficacité et la solidarité ne se contredisent pas, mais qu’elles sont au contraire en synergie ; et nous formons le vœu que la représentation nationale le prenne pleinement en compte au moment de faire des choix décisifs pour notre avenir.

M. Philippe Monloubou, président du directoire de ERDF. Le fait que les représentants des réseaux de distribution terminent ce cycle d’auditions n’est probablement pas un hasard et traduit la place que les réseaux de distribution vont prendre dans la mise en œuvre de la transition énergétique. La contribution du réseau est en effet essentielle à la réalisation des objectifs fixés par le projet de loi : « favoriser les énergies renouvelables pour diversifier nos énergies », poursuivre une « stratégie nationale bas carbone ». Certains n’ignorent d’ailleurs pas que 95 % des énergies renouvelables sont raccordées aux réseaux de distribution, pour environ 13 000 MW, à savoir l’équivalent de dix tranches nucléaires.

Le projet de loi vise également à maîtriser la demande d’énergie et à favoriser l’efficacité énergétique. Il ne vous aura pas échappé que le compteur communicant issu du projet Linky sera un des outils majeurs de cette politique en ce qu’il permettra à chaque client d’être responsable de son environnement énergétique personnel. La ministre de l’écologie, le 4 septembre dernier, a défni les rôles de chaque acteur : « Les consommateurs auront accès à de nouveaux services sur le portail d’ERDF : suivre sa consommation au jour le jour, disposer d’alertes en cas de consommations anormales, se comparer avec des situations proches [avec des] fournisseurs [qui] auront l’obligation de convertir en euros les données de consommation. »

La troisième grande ambition du texte est de développer les transports propres : il reste 7 millions de points de charge à raccorder au réseau, ce qui nécessite anticipation et planification pour en maîtriser l’implantation. Ce n’est pas seulement déterminant du point de vue du développement lui-même du véhicule mais du point de vue de la capacité à maîtriser les enjeux de qualité, de performance et les enjeux de régulation énergétique associés. ERDF prendra toute sa place et on mesure qu’une telle ambition nécessitera une concertation étroite avec l’ensemble des acteurs et des collectivités.

Faciliter la transition énergétique dans les territoires rend la chaîne du système électrique de plus en plus complexe avec l’implication d’acteurs sans cesse plus nombreux, avec l’apparition de nouveaux enjeux techniques – intermittence, besoins qualitatifs –, et de nouvelles attentes de la part des clients. Ces nouveaux modes de production, intermittents et disséminés sur l’ensemble du territoire, ouvrent un champ nouveau à la circulation de l’énergie dans des flux bidirectionnels – alors qu’ils étaient historiquement mono-directionnels –, et ouvrent par conséquent la voie à des démarches plus flexibles, des perspectives d’autoconsommation. Dans cette chaîne, le maillon formé par le réseau a vocation à mieux maîtriser, observer, comprendre les flux d’énergie et à permettre le pilotage le plus anticipé possible, le plus fin, le plus précis des quelque 1,3 million de kilomètres de réseau.

C’est donc une vraie révolution technologique des réseaux de distribution qui est d’ores et déjà engagée. Sans réseau résilient, sans réseau intelligent, la transition énergétique ne produira pas son optimum technique et économique. ERDF renforcera donc son expertise en matière de conduite, de gestion du système électrique pour construire le réseau intelligent de demain. Ce que les Anglo-saxons nomment smart grid, bien plus qu’un concept, est déjà une réalité à ERDF avec le déploiement des compteurs Linky mais également avec la présence de dix-huit démonstrateurs sur l’ensemble du territoire, permettant d’anticiper, d’appréhender toutes les composantes de l’intégration d’énergies intermittentes. On évoque beaucoup le numérique ; or ERDF s’est engagé dans cette voie avec le compteur Linky, avec son système de conduite des réseaux moyenne tension.

Le modèle de distribution que vous connaissez présente de nombreux atouts qui vont nous permettre de franchir les prochaines étapes. Ce modèle est fondé, en particulier, sur la solidarité entre les territoires tout en revêtant une dimension nationale nécessaire pour réaliser le volume des investissements attendus, maîtriser les grands équilibres, définir les éléments de planification déterminants ; il s’appuie aussi sur la proximité avec les territoires.

Parmi les pistes que je suggérerais, il conviendrait de donner au distributeur assez de visibilité pour investir dans la durée. Le texte consacre un article à cette question essentielle. Dans les dix années à venir, ERDF investira environ 40 milliards d’euros dans les réseaux. Nous attendons donc du projet de loi qu’il permette de créer toutes les conditions, en matière de tarification en particulier, pour que le distributeur puisse investir durablement avec toute la visibilité nécessaire.

Il faut ensuite définir de nouvelles formes de dialogue avec les collectivités. Les investissements massifs nécessités par le déploiement des compteurs communicants, celui des bornes de recharge, par l’amélioration de l’efficacité des réseaux, la prise en compte des nouveaux territoires – métropoles émergentes, intercommunalités, grandes régions de demain – rendent indispensable le renforcement des espaces de dialogue avec les collectivités. Je souscris en tout cas à la volonté de les associer plus étroitement à la gouvernance de la distribution.

J’en viens au droit à l’expérimentation qu’il ne viendra à l’idée de personne de contester. Il convient de veiller à ce qu’il s’articule bien à l’optimisation nationale de la distribution d’électricité. Les évaluations de ces expérimentations devront être suffisamment précises pour qu’on puisse éventuellement procéder à une généralisation. Nous devons pouvoir nous appuyer en particulier sur les démonstrateurs précédemment évoqués, de manière à capitaliser sur les acquis déjà obtenus.

Accompagner les collectivités en leur fournissant des données de consommation sera un facteur déterminant de l’efficacité énergétique. Avec les évolutions numériques, les nouvelles technologies de l’information, les capteurs sur les réseaux que seront demain les 35 millions de compteurs communicants, nous serons en mesure de mettre des données à disposition dans des conditions de précision, d’efficacité, de temps, sans commune mesure avec ce que l’on connaît aujourd’hui. Je suis convaincu que la transition énergétique est à ce prix. Il est évident qu’ERDF jouera un rôle déterminant dans la gestion de ces données.

Enfin, vont se créer de nouveaux mécanismes de marché. Le distributeur a une place cruciale dans ces dispositifs, en complément évident des gestionnaires des réseaux de transport.

En conclusion, la transition énergétique est une incitation formidable pour le distributeur à préparer les réseaux qui porteront les enjeux de demain. Je suis convaincu que cette évolution doit se faire dans une relation renouvelée avec les territoires, tout en confortant le modèle de service public de la distribution, lequel a fait ses preuves. Je sais que le président de votre commission partage le souci de renforcer la place des territoires dans ce dialogue et je reste ouvert à ce débat.

M. Guillaume Tabourdeau, délégué général de l’Association nationale des régies de services publics des organismes constitués par les collectivités locales ou avec leur participation (ANROC). Je m’exprimerai au nom de l’ensemble des organisations représentatives des entreprises locales de distribution (ELD) : l’ANROC, Entreprise locales d’énergie (ELE), l’Union nationale des entreprises locales d’électricité et de gaz (UNELEG) et la Fédération nationale des sociétés coopératives agricoles. J’articulerai mon propos en trois temps : je ferai tout d’abord un bref rappel des caractéristiques des ELD ; j’évoquerai ensuite l’appréciation d’ordre général qu’elles peuvent porter sur la transition énergétique à travers le projet de loi ; et je terminerai par quelques dispositions spécifiques du texte sur lesquelles nous souhaitons plus particulièrement appeler votre attention.

Les 150 ELD qui se trouvent en France comptent de 100 à plus de 400 000 clients, couvrent environ 5 % de la consommation nationale, servent 1,8 million d’utilisateurs et 3,8 millions d’habitants répartis dans 2 800 communes et emploient un peu plus de 5 000 salariés. La diversité de ces entreprises s’exprime par la diversité de leur taille mais aussi à travers leur statut – régies, sociétés d’économie mixte (SEM), coopératives agricoles d’électricité, voire sociétés anonymes (SA). Outre la gestion du réseau sur leur zone de desserte, les ELD assurent, toujours sur leur zone de desserte exclusive, la mission de service public de fourniture d’électricité ou de gaz aux tarifs réglementés de vente, ce qui justifiera que mon propos dépasse le seul sujet des réseaux de distribution. De fait, les ELD se diversifient, certaines dans le déploiement de la fibre optique, d’autres dans les services énergétiques et d’autres encore dans la distribution d’énergie pour véhicules propres. Elles sont également de plus en plus actives dans la production d’énergie renouvelable et les réseaux de chaleur.

Les ELD s’inscrivent pleinement dans le système électrique et l’organisation actuelle de la distribution. Elles sont attachées aux missions de service public qui leur sont confiées. Et, dans le contexte de la transition énergétique, elles peuvent apporter une part d’innovation et de créativité dans les territoires où elles sont implantées.

Leur taille et leurs spécificités peuvent également être un facteur de fragilité dans un environnement économique qui prend des dimensions continentales, voire mondiales. C’est pourquoi les ELD sont toujours attentives à suivre les évolutions législatives – nombreuses au cours de ces dernières années –, et à s’y adapter ; d’où leur satisfaction s’agissant de dispositions spécifiques les concernant plus directement, telles que prévues par le présent texte. C’est le cas du recours au tarif de cession leur permettant d’assurer la fourniture du contrat transitoire de six mois prévu dans le cadre de la fin des tarifs réglementés de vente d’électricité aux professionnels à compter du 1er janvier 2016. C’est aussi le cas de la disposition facilitant le respect des obligations de capacité par un fournisseur aux tarifs réglementés de vente.

Les ELD adhérent aux principes de ce projet de loi. Elles ont participé au débat national et territorial sur la transition énergétique. Vivant sur le terrain, elles constatent au quotidien les mutations irréversibles auxquelles, à plus ou moins long terme, notre société est vouée au regard des enjeux climatiques.

Elles partagent donc l’objectif consistant à faire de l’efficacité énergétique, qui est un des piliers du texte, un relais de croissance, celui consistant à améliorer la compétitivité des entreprises en lien avec le rôle fondamental de l’énergie comme facteur discriminant dans la concurrence mondiale, celui visant à alléger la facture énergétique, ou plutôt à fournir de l’énergie à un juste prix.

À cet égard, les efforts de planification autour de la « stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone et les schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie » découlent d’une approche pertinente dont l’objectif primordial doit être la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les ELD émettent toutefois une réserve sur la différence de traitement des énergies. Il est ainsi anormal que la programmation pluriannuelle des investissements n’intègre pas le pétrole. Le projet de loi est en effet insuffisamment tourné sur les efforts nécessaires pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles.

Autre point de satisfaction : la prise en compte par le texte des dynamiques territoriales. Le développement des énergies renouvelables, l’évolution des usages, et l’implication des collectivités locales, des élus, participeront à la réussite de cette transition qui s’appuiera fortement sur les territoires.

Les ELD considèrent que les réseaux sont au cœur de la transition énergétique. J’en donnerai trois exemples :

D’abord, en ce qui concerne l’ambition affichée en termes d’électromobilité, on note non seulement des enjeux en termes d’énergie, mais également en termes d’aménagement du territoire – il est important que les gestionnaires de réseau soient associés au déploiement des bornes de recharges, disposition qui ne figure pas dans le texte. Il convient de faire attention, toutefois, à ne pas assimiler le déploiement des bornes au développement du véhicule électrique : s’il doit y avoir un amorçage pour le développement des véhicules électriques, il faudrait axer l’effort sur les flottes captives.

Ensuite, pour ce qui est du déploiement des énergies renouvelables, il convient de conforter les investissements à réaliser par les gestionnaires de réseaux à travers la construction tarifaire. Les ELD saluent les dispositions prévues en ce sens par le texte avec la sécurisation juridique du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE).

Le dernier exemple concerne les territoires à énergie positive – élément phare du texte. Cette notion, comme celle d’ailleurs d’économie circulaire en matière d’énergie ou d’autoproduction ou d’autoconsommation mérite à nos yeux d’être précisée et surtout distinguée de l’autonomie énergétique des territoires. Au-delà du nombre envisagé de deux cents territoires à énergie positive, il reviendra aux réseaux d’assurer, entre eux, la solidarité indispensable à la sûreté du système électrique.

J’en viens à certaines dispositions nous concernant plus particulièrement, en élargissant notre analyse au-delà des réseaux.

D’importantes modifications ont été apportées au dispositif de l’obligation d’achat : les ELD défendent leurs prérogatives en termes de missions de service public ; elles doivent être parties prenantes, sur leur zone de desserte, de la mutation engagée vers la commercialisation sur le marché des productions d’électricité à base d’énergies renouvelables.

Pour ce qui concerne les modalités d’organisation des appels d’offres, il nous semble utile de mieux prendre en compte les territoires. Pour permettre un développement cohérent des ENR sur les territoires, il faudrait intégrer des objectifs régionaux s’inscrivant dans le cadre de la programmation pluriannuelle des investissements.

Autre élément important : l’opportunité est donnée aux collectivités de participer au développement de la production sur leur territoire. Afin d’améliorer cette disposition dans le sens souhaité, nous pensons qu’il y aurait un intérêt à prévoir une participation indirecte par l’intermédiaire d’un EPIC.

Enfin, pour ce qui est de la transition énergétique dans les territoires, le projet de loi conforte l’échelon régional comme chef de file sur l’efficacité énergétique et il renforce le rôle des plans climat-énergie. Les ELD saluent en outre les efforts pour développer le service public de la chaleur, les réseaux de chaleur devant constituer un bon levier pour la transition énergétique dans les territoires. Le développement d’un cadre conventionnel de boucle locale doit être apprécié au regard de l’optimisation du système électrique et des coûts comparés aux bénéfices.

Je terminerai par la précarité en matière de fourniture que les ELD traitent dans le cadre de leurs missions de service public. On peut se féliciter du remplacement des tarifs sociaux par un chèque énergie – c’est un gage de simplicité. Nous émettrons toutefois deux réserves : l’une sur le fait que la transition énergétique soit uniquement financée par l’électricité et l’autre sur l’élargissement de cette utilisation pour des investissements en matière de rénovation de bâtiments. Afin d’éviter toute déperdition, nous suggérons une affectation du chèque énergie à la facture.

Mme Sandra Lagumina, directeur général de GrDF. Il était important pour les distributeurs que nous sommes d’avoir l’occasion de nous exprimer devant vous. En effet, le secteur de l’énergie évolue beaucoup aujourd’hui en France, et ce, pour trois raisons. Tout d’abord, notre système énergétique est en train de basculer d’un modèle d’offre à un modèle de demande, notamment grâce au digital. Ensuite, nous assistons à la troisième révolution gazière avec le développement du biométhane. Enfin, la transition énergétique ne se fera pas de manière dogmatique mais par la combinaison des réseaux, des usages et des énergies. Ce sont tous ces éléments que nous souhaitons voir dans ce projet de loi, d’autant que les distributeurs ont un rôle pivot à jouer dans cette transition. Ils sont à la fois à la croisée des grands équilibres et au contact de millions de consommateurs – 11 millions pour GrDF.

Si le projet de loi porte surtout sur l’électricité, le travail du Parlement peut le compléter en ce qui concerne les autres énergies.

Je présenterai d’abord brièvement GrDF afin que notre entreprise ne soit pas simplement décrite comme l’ERDF du gaz. GrDF détient 200 000 kilomètres de réseau et dessert 9 500 communes avec lesquelles il a conclu 6000 contrats de concession. La répartition géographique de nos réseaux s’adapte aux choix d’organisation des collectivités locales tout en assurant la préservation d’une péréquation nationale : sur sa zone de desserte, GrDF est en situation de monopole et applique un tarif unique fixé par un régulateur. En revanche, depuis 2008, pour les nouvelles dessertes, nous sommes en délégation de service public. GrDF finance et exploite la totalité des investissements en concession, dans la mesure où les collectivités locales n’y participent pas. Et près de la moitié de nos investissements visent à assurer la sécurité de nos réseaux. Il ne me semble d’ailleurs pas que nous ayons été critiqués quant au niveau de ces investissements, qui est resté constant. Enfin, GRDF a acquis une longue habitude de dialogue avec les collectivités locales : sont présents au sein de notre conseil d’administration un administrateur indépendant proche du monde de celles-ci, ainsi qu’un administrateur indépendant proche du monde des consommateurs. Et dans tous les travaux que nous menons, nous adoptons toujours une démarche de concertation.

GrDF, loin de rester figé sur son modèle historique, considère au contraire la transition énergétique comme une opportunité pour évoluer, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce qu’avec Gazpar, le compteur de gaz communicant, l’efficacité énergétique devient une des missions du distributeur, comme le précise explicitement le projet de loi. Ensuite, parce que nous sommes acteurs de la filière de biométhane, que nous avons portée sur les fonds baptismaux. Nous avons notamment été co-animateurs avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) du groupe de travail « injection » qui élabore la réglementation de la filière. En outre, nous agissons sur le terrain, convaincus que la transition ne peut s’opérer que grâce à des projets de territoire, en combinant des réseaux d’énergie et en recourant à des solutions innovantes telles que le pacte électrique breton. Enfin, nous sommes la seule entreprise à avoir proposé dans le débat sur la transition énergétique un scénario Facteur 4 intitulé « GrDF 2050 » qui a trouvé un certain écho.

Ce que nous attendons du projet de loi, c’est qu’il envoie des signaux positifs et offre des perspectives durables sur quatre points.

Le premier concerne le biométhane : nous sommes convaincus que le développement de cette source d’énergie constitue une grande étape dans l’histoire gazière. Nous sommes d’ailleurs habitués aux transformations du gaz puisque nous sommes passés du gaz manufacturé au gaz naturel et désormais au biométhane. La fixation d’un objectif de 10 % de gaz renouvelable dans les réseaux à l’horizon de 2030 nous semble crédible, compte tenu de nos projections, et souhaitable, puisque l’on structure aujourd’hui des projets d’économie circulaire.

Le second point concerne le gaz carburant. S’il est beaucoup question de véhicules électriques dans ce projet de loi, des voix se sont élevées pour défendre la place du gaz carburant – l’un des carburants les plus intéressants sur certains types de véhicules, notamment sur la flotte captive et les véhicules lourds qui effectuent des circuits de plusieurs centaines de kilomètres. Nous développons aujourd’hui des projets combinant le biométhane et l’utilisation de carburants et répondant aux préoccupations de recyclage des bio-déchets – enjeu majeur de demain. Il conviendrait donc d’accorder plus d’importance aux véhicules roulant au gaz naturel, et comme le préconise le Conseil économique, social et environnemental (CESE), de fixer un objectif de 20 % de véhicules GNV, GPL ou électriques en ouvrant la gamme des produits disponibles, afin de régler le problème des émissions de particules. Il faudra pour ce faire construire un écosystème en France car si notre pays dispose d’excellents spécialistes en la matière, on n’est toujours pas parvenu à les rassembler.

Le troisième point a trait à la maîtrise de la demande d’énergie et aux compteurs communicants. Le projet de loi dispose que les gestionnaires de réseaux de distribution (GRD) peuvent agir en matière d’efficacité énergétique et d’insertion des énergies renouvelables. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a exigé, pour valider le compteur Gazpar, que nous menions des actions de maîtrise de la demande d’énergie. Et la ministre de l’écologie a récemment validé la diffusion de ce compteur, ce qui va nous conduire à avoir accès à des données personnelles. Or, nous n’avons jamais été ambigus et considérons que ce type de données appartient au client. Il est donc normal que le législateur encadre la pratique de sorte que l’on puisse combiner la protection des données personnelles et les possibilités offertes au gestionnaire du réseau de distribution (GRD), notamment vis-à-vis des collectivités locales et des consommateurs.

Enfin, le dernier point porte sur la place du gaz naturel dans la transition énergétique : lors des quelques mois du débat national sur la transition énergétique, a été mise en évidence l’importance du gaz pour assurer cette transition dans tous les secteurs. Il importe donc d’envoyer les bons signaux quant à l’importance du gaz.

M. le président François Brottes m’a interrogée quant aux mauvais signaux à éviter : j’évoquerai en particulier des signaux fiscaux. Nous avons en effet découvert avec surprise que l’on allait appliquer la taxe carbone au biométhane alors qu’il s’agit d’une filière émergente. Il en va de même de la fiscalisation du GNV quand, dans le même temps, le diesel est exonéré lorsqu’il est utilisé par les taxis ou les tracteurs. Enfin, compte tenu de l’objectif de réduction de la consommation d’énergies fossiles à 30 %, on pourrait imaginer une modulation en fonction de l’impact environnemental de chaque énergie.

S’agissant de la CSPE, comme j’entends parler lors de chaque débat depuis dix ans de l’élargissement de son assiette, je vous rappellerai l’économie du système tel qu’il fonctionne aujourd’hui : le consommateur de gaz contribue à la fois au financement du tarif social du gaz et au développement des énergies renouvelables gazières. On peut concevoir que l’assiette actuelle de la CSPE pose problème. Mais si vous élargissez son assiette, cela conduira à une augmentation de près de 10 % du prix payé par le consommateur de gaz raccordé au réseau de distribution. Cela augmentera aussi de près de 8 % le montant de la taxe carbone. Or, dans une période où les volumes de gaz qui transitent dans nos réseaux sont en baisse grâce à une meilleure efficacité énergétique des bâtiments et à une meilleure maîtrise de la demande d’énergie, est-il opportun d’envoyer un tel signal politique et fiscal ? Faut-il tout arrêter ou bien laisser le gaz jouer son rôle d’énergie de transition, comme nous le pensons ? Enfin, faire basculer la CSPE d’un système de taxe affectée à un système d’impôt soulève des questions juridiques très délicates qu’il semble difficile de régler dans ce projet de loi.

Vous l’aurez donc compris, nous sommes très impliqués dans la transition énergétique et souhaitons continuer à l’être. Nous estimons qu’elle sera bénéfique à notre pays. Et soyez assurés que chacun des 12 000 collaborateurs de GRDF consacrera toute son énergie à ce grand projet.

M. Jean-Yves Caullet, président. Soyez rassurée, les parlementaires partagent votre vision.

M. Sylvain Wasserman, directeur général de Réseau Gaz Distribution Services (GDS) et vice-président du syndicat professionnel des entreprises gazières non nationalisées (SPEGNN). Je représente les 30 entreprises locales de distribution de gaz naturel et vais me faire l’écho de la position commune arrêtée hier par notre syndicat.

Nous sommes très satisfaits de voir que ce projet de loi place les territoires davantage encore au cœur de la transition énergétique. En tant qu’entreprises locales de distribution (ELD) – sociétés d’économie mixte ou régies –, nous pensons que la transition énergétique a besoin d’acteurs locaux qui, main dans la main avec les collectivités territoriales, puissent développer de nouveaux modèles et innover. Dans de nombreuses villes, telles que Grenoble, Strasbourg ou Bordeaux, des pôles territoriaux de l’énergie se sont constitués depuis plusieurs années à l’initiative d’acteurs du gaz naturel qui investissent dans trois domaines. Celui des infrastructures de réseau de gaz et de chaleur, tout d’abord. Celui de la rénovation thermique des bâtiments, ensuite : nous accompagnons en effet les collectivités pour favoriser la conclusion de contrats de performance énergétique. Enfin, dans le secteur du biométhane, nous créons des circuits courts. L’une de nos entreprises locales de distribution a ainsi posé la première pierre de la première station d’épuration qui produira du biogaz, le filtrera pour en faire du biométhane et l’injectera dans les réseaux. Pour toutes ces raisons, nous saluons cette orientation ainsi que la notion d’expérimentation.

Nous voudrions attirer votre attention sur quatre points.

Le premier concerne le gaz naturel véhicule. À Strasbourg, nous menons depuis plusieurs années une politique très volontariste en la matière, avec plus de 800 véhicules, des bennes à ordures, des bus et trois stations ouvertes au public. Nous pensons que le biométhane marque une rupture et donne un second envol à l’utilisation du gaz naturel véhicule. Reprenons l’exemple précité de la station d’épuration qui produit du biométhane pour l’injecter dans le réseau et alimenter la mobilité urbaine : je ne conçois pas d’équation écologique plus vertueuse que celle-ci. Cela n’occasionne aucune perte, contrairement à ce qui se passe sur un réseau électrique. On n’a besoin d’aucun camion, contrairement à ce que nécessite l’usage de la biomasse ou d’énergies fossiles. Et le système est fondé sur une logique de circuit court. Nous pensons donc que le bio-GNV doit jouer tout son rôle.

Le deuxième point que j’aborderai peut apparaître comme un détail au regard des enjeux nationaux mais il compte pour les entreprises locales de distribution. Le projet de loi dispose que la Commission de régulation de l’énergie pourra décider d’audits qui porteront sur tous les distributeurs, choisir les acteurs qui pourront les effectuer et enfin, envoyer la facture à ces distributeurs. Cette disposition a fait réagir tant les dirigeants d’entreprises que les collectivités actionnaires. Elle donne en effet une impression de guichet ouvert dans lequel la CRE pourrait piocher puisque le texte ne fixe aucune limite. La CRE aurait ainsi un droit de tirage pour faire financer tout audit pour une entreprise dont la structure pourrait être trop faible pour le supporter.

Le troisième point a trait à la place des GRD. Le projet de loi insiste sur le rôle de prévision que doit jouer le transporteur. Mais à notre sens, les distributeurs ont eux aussi le leur : compte tenu de notre connaissance du territoire, nous proposons que la place du distributeur soit reconnue dans la prévision du comportement des consommateurs d’énergie. Plus la transition énergétique se fera, plus les pôles de biométhane se développeront, plus il importera de disposer d’une connaissance fine des prévisions de consommation énergétique sur chaque territoire, et plus le rôle du distributeur deviendra important. Nous proposons donc à l’unanimité de nos membres, et malgré notre petite taille, de contribuer à cette prévision.

Enfin, le dernier point concerne les compteurs communicants : le projet de loi instaure un système de sanctions. Or, la CRE commence à peine à échanger avec nous sur ce point qui pose de nombreux problèmes économiques, notamment pour les petites entreprises et les nouvelles concessions. En effet, ni le ministère ni la CRE n’ont su nous répondre à la question de savoir que faire lorsque l’on a conclu avec une collectivité un contrat de concession dans lequel le coût des compteurs communicants n’est pas prévu. Il nous paraît plus important de construire un système que de se concentrer sur la question des sanctions.

En conclusion, il faut faire confiance aux territoires et aux acteurs locaux de l’énergie. Indispensable, la transition énergétique passera avant tout par cette nouvelle équation territoriale de l’énergie que l’on sent se dessiner.

M. Jean-Yves Caullet, président. Avant de céder la parole aux rapporteurs, je la passe à M. Julien Aubert qui doit nous quitter plus tôt que prévu.

M. Julien Aubert. Je vous remercie, M. le président. On entend dire qu’il ne faut pas alourdir la gouvernance d’ERDF. Dans le même temps, les collectivités territoriales souhaiteraient être associées aux choix qui sont opérés. Ainsi les conseils généraux nous ont-ils fait part de leur regret de ne pas être cités dans le projet de loi. Je propose donc que la loi prévoie l’organisation, au sein du conseil général, d’un débat sur les infrastructures d’ERDF – débat qui pourrait donner lieu à un avis consultatif ou conforme. Le conseil général n’est-il pas en effet le bon échelon, sachant que l’on s’achemine vers des départements qui seraient la somme d’intercommunalités et que certains syndicats d’électrification sont départementaux ?

M. Jean-Yves Caullet, président. Je vous remercie. Je cède à présent la parole aux rapporteurs.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V. Le nouveau mécanisme de soutien aux ENR, fondé sur la vente directe de l’énergie sur le marché assortie d’une prime, doit-il selon vous être généralisé ?

Le texte prévoit également un nouvel encadrement des sanctions en cas de manquement aux contrats d’achat de production d’ENR : avez-vous recensé beaucoup de tels manquements ?

J’ai cru comprendre que vous étiez tous favorables à la participation des collectivités locales dans le capital des sociétés anonymes pour le développement des ENR : est-ce exact ?

Je ne poserai pas la question de l’élargissement de l’assiette de la CSPE, ayant très bien compris votre position, Mme Lagumina. J’ignore cependant si les représentants des autres organisations ici présents partagent votre avis.

M. le Président du directoire d’ERDF, que pensez-vous du régime dérogatoire à la loi littoral pour le raccordement des démonstrateurs hydroliennes ?

On reproche souvent au compteur Linky, dont le déploiement est en marche, de servir davantage à ERDF qu’au consommateur. En effet, il facilite l’intégration des ENR sur le réseau et des nouveaux usages tels que le véhicule électrique – ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. S’il s’agit d’un bon outil de pilotage, est-il prévu d’en faire progresser les fonctions afin de les rendre plus utiles aux consommateurs en les aidant à gérer leur consommation ? J’ai bien entendu qu’il n’était pas de votre ressort de traduire les données de ce compteur en euros. C’est pourtant ce qui est le plus parlant pour le consommateur. Avez-vous mené des réflexions en ce sens ?

Enfin, que pensez-vous d’une éventuelle séparation entre EDF et ERDF ?

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Comme nous avons procédé à de nombreuses auditions, je ne reviendrai pas ici sur l’importance du gaz – certes insuffisamment traité dans le projet de loi mais qui peut l’être grâce à nos amendements – ni sur la nécessité de prendre en compte les différentes énergies fossiles dans les PPE. J’aborderai en revanche quatre autres sujets.

La question du statut d’ERDF, tout d’abord, se pose sous plusieurs angles. Faut-il nommer son président de la même manière que celui de RTE, et par conséquent lui accorder le même degré d’indépendance ? Faut-il contrôler la courbe d’investissements d’ERDF par la CRE, afin d’éviter que le tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE) payé par nos concitoyens ne serve à financer le cours en bourse de l’entreprise-mère ? Cela nous renvoie aussi bien à la question du plafonnement des dividendes d’EDF qu’à celle de la capacité d’endettement d’ERDF et à celle de la participation des collectivités territoriales au conseil d’administration de cette entreprise. Les collectivités auraient ainsi la capacité d’influer sur le cours de ses décisions.

Ma deuxième question concerne l’installation, prévue par le projet de loi, de 7 millions de bornes pour les véhicules électriques. Quelles conséquences cette installation aura-t-elle sur l’équilibre des réseaux ? On lit en effet dans la presse, depuis la conférence de presse de RTE, que l’on court un risque d’alimentation en électricité l’hiver prochain. Que se passera-t-il alors si l’on rajoute 7 millions de bornes au réseau ? Quel décalage par ailleurs entre l’annonce de cette mesure et ce que l’on prévoit dans le domaine des énergies renouvelables ! Pour ces dernières, qui devront en effet faire l’objet de schémas régionaux de raccordement qu’il faudra longuement négociés, tout est compliqué alors que tout devient très simple dès lors qu’il s’agit d’installer des bornes pour les véhicules électriques. Il est vrai que, selon le président d’EDF, la France est pays le plus performant en matière d’électricité. En tout cas, elle a beaucoup plus de mal que ses voisins à développer les ENR ! J’attends de savoir sur quelle étude d’impact vous vous êtes fondés pour être rassuré.

S’agissant des compteurs Linky et Gazpar, nous souhaiterions que le consommateur dispose d’informations en euros plutôt qu’en kilowattheures et que soit instauré un affichage déporté, quel que soit le fournisseur. En effet, selon le Médiateur de l’énergie, l’essentiel est que les consommateurs puissent piloter leur consommation et qu’ils sachent en temps réel quels éléments sont les plus consommateurs d’énergie.

Enfin, le projet de loi permet d’améliorer l’accès aux données, ce qui devrait permettre aux collectivités territoriales de mener leur politique de lutte contre la précarité énergétique. Il n’est bien sûr nullement question de fournir des données individuelles ni nominatives mais des données suffisamment fines – et ce, gratuitement dans la mesure où les gestionnaires de réseau sont des services publics.

M. Jean-Yves Caullet, président. Je terminerai en vous posant une question d’ordre général : avec la décentralisation et la variété des points de production, les réseaux bidirectionnels vous semblent-ils plus robustes en termes de sécurité et de sûreté que les précédents systèmes ? Présentent-ils une meilleure résistance aux défaillances, aux actes de vandalisme, aux accidents et aux catastrophes, que les réseaux mono-énergie descendants actuels ?

Mme Sandra Lagumina. S’agissant de la pertinence de l’échelon départemental, je vous répondrai que le gaz s’inscrit dans un système très « plastique ». Les contrats de concession étant plutôt conclus commune par commune, voire avec des agglomérations et demain des métropoles, ce sont les collectivités locales qui s’organisent et le contrat gazier s’adapte à leurs choix. Nous ne sommes pas du tout prescripteurs d’un système. Par contre, nous travaillons beaucoup avec les régions aujourd’hui, celles-ci étant de plus en plus architectes de leur politique énergétique. Enfin, nous travaillons parfois sur des mailles territoriales plus petites encore que les communes.

Il est certain, monsieur Baupin, que le gestionnaire de réseau de distribution (GRD) gazier compte aider les collectivités locales en leur confiant certaines données agrégées, mais à condition que nous ayons la garantie légale que cela nous est autorisé. D’où l’importance, en termes de responsabilités, de l’article du projet de loi qui le prévoit.

S’agissant de Gazpar, notre engagement à l’égard de nos clients est clair : le compteur leur donnera une consommation juste une fois par jour. Il ne me semble donc pas que l’on pilotera leur consommation de gaz de manière très précise. En revanche, l’analyse qu’a effectuée la CRE pour déterminer si l’installation des compteurs Gazpar présentait de l’intérêt pour la collectivité comprenait une étude britannique présentant la manière dont l’information fournie par les compteurs peut s’accompagner d’actions de maîtrise de la demande d’énergie. C’est cette analyse qui a fondé l’avis favorable de la CRE pour le déploiement du compteur Gazpar. C’est donc sur ce point que nous travaillons avec les associations de consommateurs : nous allons au-delà d’une simple présence et sommes à l’écoute de leurs besoins. Nous y travaillons aussi avec les collectivités locales dans le cadre des contrats de concession mais aussi dans d’autres instances. Et nous allons tester pendant deux ans les aspects techniques de Gazpar ainsi que la démarche de concertation qu’il nous faudra adopter pour pouvoir atteindre l’objectif assigné à ce compteur.

M. Sylvain Waserman. Il nous est difficile d’affirmer quel est l’échelon le plus pertinent de façon uniforme sur tous les territoires. Pour représenter des acteurs locaux qui peuvent être filiales de différents types de collectivités, je sais que la donne est forcément différente selon qu’il s’agit d’une filiale d’une euro-métropole ou d’une commune intégrée à un syndicat départemental fort. Il n’y a donc pas de réponse universelle et absolue à cette question : il convient que les territoires puissent prendre leurs responsabilités en la matière.

S’agissant d’autre part de la sécurité, la décentralisation entraîne une redéfinition du rôle des collectivités, tant en matière de biométhane que d’autres technologies, qui peuvent ainsi contribuer à l’émancipation énergétique de leur territoire.

Mme Denise Saint-Pé. Pour répondre à M. Aubert, au vu de l’incertitude pesant sur la pérennité des conseils généraux, il nous semble que ceux d’entre eux qui demeureront auront de nombreux domaines à traiter. Il serait donc dommage de remettre en cause les techniques de solidarité territoriale dont jouissent aujourd’hui les autorités organisatrices de la distribution d’électricité (AODE). C’est pourquoi il ne me semble pas opportun de confier cette compétence aux conseils généraux.

S’agissant de la séparation entre ERDF et EDF, compte tenu de notre contexte de monopole et du fait que la distribution soit une mission de service public en France, nous estimons que la gouvernance doit refléter les parties prenantes. Je ne vois donc pas d’inconvénient à ce que l’État contrôle de façon plus prégnante la nomination du président d’ERDF ni à ce que les AODE soient présentes au sein de son conseil de surveillance.

Enfin, nous sommes d’accord sur le fait que les AODE doivent avoir accès aux données de consommation, non seulement afin de pouvoir contrôler le gestionnaire du réseau mais aussi pour pouvoir définir leur politique. Si des avancées ont été accomplies en la matière, des progrès restent nécessaires. En tant qu’AODE, nous souhaiterions être associés à l’élaboration du projet de décret prévu à cet égard par le projet de loi, l’objectif étant de pouvoir disposer de données précises, suffisamment complètes sans coût supplémentaire et de façon homogène sur l’ensemble du territoire.

M. Philippe Monloubou. S’agissant des conseils généraux, la loi NOME a d’ores et déjà consacré le département comme lieu de concertation. Et je laisse le soin à d’autres de déterminer si le conseil général est un échelon adapté. Mais n’oublions pas que les schémas directeurs, mentionnés dans ce texte et dans d’autres lois, sont élaborés à des échelons supérieurs. Mme Saint-Pé ayant mentionné la dynamique qu’avaient suscitée les conférences départementales, je tiens également à le souligner pour ma part : leurs résultats étant à la hauteur de nos attentes, il convient que ces conférences se poursuivent.

Nous réfléchissons effectivement au régime dérogatoire à la loi littoral et avons élaboré une proposition visant à faciliter l’implantation de fermes pilotes hydroliennes. Nous pourrons donc en discuter avec vous.

Eu égard aux compteurs communicants, Sandra Lagumina a déjà évoqué la mise à disposition, une fois par jour au client, de ses données de consommation. S’agissant de la capacité pour le client d’être interpellé sur l’évolution de sa consommation, le compteur Linky est prêt et le portail d’ERDF fournira des données en kilowattheures. La ministre s’est par ailleurs prononcée sur leur expression en euros, demandant aux fournisseurs de mettre à disposition les données que le distributeur sera susceptible de générer et de les traduire en euros. Quant à savoir si Linky s’adresse plutôt à ERDF qu’au client, la capacité de ce dernier à lire l’empreinte énergétique de son logement s’appuie sur une facture dont la consommation est souvent estimée sur des chroniques qui ne sont pas synchrones. Or Linky permet justement au client de visualiser sa consommation sur la base de données réelles, sur des chroniques régulières par jour, par mois ou par semaine. Ce compteur nous confère ainsi la capacité de fixer des niveaux d’alerte et d’interpellation du client sur sa consommation.

M. Denis Baupin, rapporteur. Cette information ne sera-t-elle fournie qu’une seule fois par jour ?

M. Philippe Monloubou. Oui, pour la consommation.

M. Denis Baupin, rapporteur. Je croyais que le pas de temps de Linky était d’une demi-heure.

M. Philippe Monloubou. Tel est bien le cas. La possibilité sera offerte de disposer d’une courbe de charge au pas de temps de dix minutes.

L’intérêt que présente ce compteur, en termes d’empreinte énergétique, c’est qu’il permettra au particulier de disposer de données pertinentes sur son comportement et son environnement et ainsi d’engager des travaux d’amélioration de la performance énergétique de son logement. Il pourra en outre vérifier l’impact des travaux de rénovation qu’il aura effectués. Ces données seront disponibles en temps réel sur le compteur et ceux qui le souhaitent auront la possibilité de les récupérer auprès des fournisseurs.

Votre interrogation sur la séparation entre EDF et ERDF renvoie à la question de notre indépendance – qui concerne tout d’abord le comportement des agents d’ERDF. Or, la CRE a récemment indiqué qu’elle n’avait aucune observation à formuler à cet égard et en a au contraire souligné l’excellence quant au respect des règles de non-discrimination et de mise à disposition de l’énergie auprès de l’ensemble des clients. Cette indépendance concerne en outre la notoriété d’ERDF qui est à peu près au niveau de toutes les plus grandes enseignes françaises du secteur. Enfin, elle concerne la politique d’investissement de l’entreprise. Je voudrais à ce sujet remettre en question certaines affirmations que j’ai entendues ou lues dans la presse. Depuis 2007, le montant des investissements d’ERDF dans les réseaux a doublé. Aujourd’hui, nous investissons près de 3,4 milliards d’euros dans les réseaux de distribution, contre 1,7 milliard en 2007. Et ces investissements n’ont pas uniquement servi à financer des raccordements, bien qu’ils aient effectivement augmenté de façon significative. Les investissements en faveur de la modernisation et de l’amélioration du réseau ont eux aussi doublé sur la même période. Je pourrais également mettre en avant les dépenses d’exploitation en matière d’élagage qui ont elle aussi doublé depuis 2007. Par conséquent, le distributeur dispose aujourd’hui des moyens auxquels l’organisation même du système lui a permis d’accéder.

Monsieur Baupin, pour vous répondre sur les dividendes et la capacité d’endettement, vous savez aussi bien que moi quelle a été la constitution originelle de l’entreprise ERDF : une société commerciale autorisée par la loi à faire remonter des dividendes. Or le niveau de dividendes que fait remonter ERDF est tout à fait comparable à celui de toutes les entreprises du secteur. ERDF dispose des moyens lui permettant d’investir dans les conditions précitées.

M. Denis Baupin, rapporteur. À quelles entreprises pensez-vous ?

M. Philippe Monloubou. Enel Distribution, par exemple, fait remonter 100 % de ses dividendes alors qu’en 2014, ERDF n’en a fait remonter que 51 %.

M. Denis Baupin, rapporteur. Quel est le niveau d’endettement d’Enel Distribution ?

M. Philippe Monloubou. Enel s’endette également vis-à-vis de sa maison-mère. La société ERDF a été créée dès le départ sans dettes. On peut certes s’interroger sur sa capacité d’endettement mais cela remettrait en question la manière dont ERDF a été constituée. La véritable indépendance de la société réside dans la capacité d’ERDF à investir durablement pour améliorer la qualité des réseaux.

S’agissant des modalités de nomination du président, vous me permettrez de ne pas répondre. Quant à moi, j’ai été nommé dans des conditions conformes à la loi.

M. Jean-Yves Caullet, président. Vous n’êtes pas directement interrogé sur cette question, monsieur le président.

M. Denis Baupin, rapporteur. Je tiens à préciser, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, que ce n’était pas du tout une question personnelle.

M. Philippe Monloubou. Je l’ai bien compris.

M. Jean-Yves Caullet, président. Ça va sans dire !

M. Philippe Monloubou. En ce qui concerne les bornes de recharge de véhicules électriques, le chiffre des 7 millions n’a pas été discuté avec ERDF. Sur les réseaux essentiels aujourd’hui, si la cible est de 450 000 véhicules électriques, les 4 500 bornes de recharge équivalent à 500 millions d’euros. Je vous laisse donc évaluer les coûts de 7 millions de bornes ! Si ce chiffre devait être consacré par la loi, se poserait la question de l’impact de la mesure sur le réseau. Mais à ce jour, je n’ai pas de données chiffrées à vous fournir, n’ayant pas été sollicité sur le sujet.

J’ai déjà insisté dans mon propos liminaire sur la question des données agrégées issues des compteurs communicants. Elles constitueront demain un moyen déterminant pour les territoires d’améliorer durablement l’efficacité énergétique de leur patrimoine. Les données vont pouvoir être agrégées dans des constantes de temps avec une pertinence et une répétitivité sans commune mesure avec ce que l’on est capable de faire aujourd’hui. Cela confère une responsabilité aux gestionnaires des réseaux de distribution qui sont détenteurs de cet ensemble de données et qui doivent se préparer dès aujourd’hui à gérer de très grandes bases de données mais aussi à réguler ces flux de données, tant du point de vue réglementaire que de celui des formats et de la question des open data.

Enfin, vous nous avez demandé, monsieur le président, si avec la décentralisation, les réseaux bidimensionnels seront aussi robustes que les réseaux précédents : ils resteront des réseaux au sens mécanique du terme puisque nous n’avons pas encore inventé le wifi pour l’électricité. Pour autant, les évolutions numériques nous permettent d’anticiper les choses à un horizon proche. ERDF a d’ores et déjà engagé un projet numérique ambitieux car les opérations que nous devrons mener sur les réseaux, que ce soit en matière d’investissements ou d’entretien, seront de plus en plus prédictives grâce aux capteurs dont nous disposerons. Cela signifie que la robustesse des systèmes sera de plus en plus légitimée par notre capacité à disposer – presqu’en temps réel – d’une compréhension plus précise, plus efficace et plus pertinente des consommations. Cela me paraît être l’avenir des opérateurs de réseau. Nous sommes en train de préparer cette génération. La loi de transition énergétique nous aide à anticiper les évolutions nécessaires. C’est pourquoi je dirais que grâce à ces évolutions, les réseaux de demain seront sans aucun doute plus robustes que les précédents.

M. Guillaume Tabourdeau. Le mécanisme de soutien aux ENR dit « marché plus primes » vise à répondre à trois difficultés : l’exposition des ENR à l’équilibre de l’offre et de la demande, la modification du régime des aides d’État et le coût de la CSPE. Mais dans le même temps, les entreprises locales de distribution (ELD) contribuent à ce service public et souhaiteraient pouvoir continuer à le faire, au-delà de l’élaboration de la définition de la prime.

Le contrôle des contrats d’obligation d’achat apparaît comme une très bonne mesure aux yeux des praticiens que sont les ELD, acheteurs obligés. Un contrôle s’applique déjà aujourd’hui aux autorisations mais pas à la durée de vie des contrats. Or, on a affaire à des contrats de long terme, avec des problématiques tarifaires qui évoluent et des structures qui modifient la nature de la production. Il serait donc bénéfique d’instaurer un contrôle de ces contrats et de désigner l’instance chargée de les effectuer.

Enfin, en ce qui concerne les bornes, il est vrai, Monsieur Baupin, que l’objectif paraît ambitieux. Cela étant, les gestionnaires de réseau ont un rôle important à jouer et pourraient constituer une force d’équilibre en ce domaine. Cela relève tant de questions d’énergie que d’aménagement du territoire. Dans ce cadre, les réseaux doivent avoir un rôle à jouer.

M. Jean-Yves Caullet, président. Mesdames, messieurs, je vous remercie.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Réunion du jeudi 18 septembre 2014 à 18 heures

Présents. - M. Julien Aubert, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. Christophe Borgel, M. Christophe Bouillon, M. François Brottes, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Cécile Duflot, M. Guy Geoffroy, Mme Bernadette Laclais, M. Jean-Luc Laurent, M. Alain Leboeuf, M. Patrice Prat, Mme Béatrice Santais

Excusés. - M. Jean-Michel Clément, M. Franck Reynier

Assistait également à la réunion. - M. Laurent Kalinowski