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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 25 juin 2013

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 33

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition sur l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre le travail précaire, avec Mme Marie-Béatrice Levaux, présidente de la Fédération nationale des particuliers employeurs (FEPEM), et Mme Magali Nijdam, directrice du pôle affaires publiques ; Mme Manuella Pinto, responsable des relations sociales de l'Union nationale des associations de soins et services à domicile (UNA)

La délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Marie-Béatrice Levaux, présidente de la Fédération nationale des particuliers employeurs (FEPEM), Mmes Magali Nijdam, directrice du pôle affaires publiques de l'Union nationale des associations de soins et services à domicile (UNA) et Mme Manuella Pinto, responsable des relations sociales de l’UNA.

L’audition commence à 17 heures 35.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mes chers collègues, on évoque souvent les services à la personne lorsqu’on parle des « métiers de femmes ». Notre délégation s’intéresse tout particulièrement à ce secteur essentiellement féminin qui connaît souvent des horaires faibles, variables, décalés, précarité également des temps partiels non choisis, parfois incompatibles avec une autre activité.

La ministre des Droits des femmes présentera début juillet un projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, dont l’un des volets concernera l’égalité professionnelle. Nous pouvons constater quelques progrès, puisque les entreprises qui n’ont pas établi de rapport de situation comparée ou de plan d’égalité professionnelle font désormais l’objet de sanctions. Nous voudrions renforcer les dispositions consacrées à l’égalité professionnelle, mais aussi travailler sur les secteurs qui peuvent être source d’inégalité ou de précarité, en particulier pour les femmes.

Les salariés du secteur des services à la personne, qui sont essentiellement des femmes, peuvent-ils accéder à des formations ? Comment faudrait-il, éventuellement, faire évoluer la convention collective ?

Deuxièmement, le récent accord national interprofessionnel (ANI) – même si nous avons pu regretter qu’il n’aille pas plus loin – a permis de franchir un premier pas important en matière de temps partiel : sa durée hebdomadaire minimale a été fixée à 24 heures ; en dessous de 24 heures, le temps devra être regroupé pour permettre aux salariés d’avoir une activité complémentaire. Quel impact ont ces dispositions sur votre secteur ?

Mme Marie-Béatrice Levaux. Mesdames, je suis en effet présidente de la Fédération des particuliers employeurs de France. Je suis également membre du Conseil économique, social et environnemental, dans la section « travail et emploi », laquelle mène actuellement une étude sur le temps partiel en France. Je suis enfin membre du Conseil d’orientation pour l’emploi. Les sujets que vous avez évoqués sont mon quotidien depuis de très nombreuses années. Ils me tiennent particulièrement à cœur en tant que présidente de la FEPEM et représentante de la société civile. Je suis donc ravie de pouvoir vous en parler.

La Fédération des particuliers employeurs de France représente les particuliers qui emploient à domicile leurs salariés. Ils sont aujourd’hui 3,6 millions et emploient 1,7 million de salariés. Ce secteur génère à lui seul près de 11 milliards d’euros de salaires versés tous les ans par ces particuliers, et quelque 6 millions d’euros de cotisations qui sont reportées dans les caisses de l’État – pour accompagner la mise en œuvre des obligations légales, salariales et patronales. Il est aujourd’hui prioritaire dans les services à la personne, en ce sens que ce modèle d’emploi entre particuliers est celui qui est utilisé majoritairement par les ménages et les familles pour répondre à leurs besoins de vie. Nous parlons d’ailleurs d’« emplois de la famille et des ménages », et non de « services à la personne ».

Le secteur des emplois de la famille et des ménages répond donc aux besoins de vie de nos concitoyens. Ces besoins de vie sont nécessairement encadrés par leurs obligations de conciliation de vie. Pour les jeunes actifs, c’est d’abord la garde des enfants. Aujourd’hui, 1,1 million de parents emploient une assistante maternelle ou une garde d’enfant – 339 000 assistantes maternelles et 103 000 gardes d’enfant. Mais l’accompagnement des personnes vieillissantes à domicile est également un volet important de notre activité, puisqu’il concerne près d’1,1 million de personnes âgées de plus de soixante ans, et va jusqu’à l’accompagnement de la grande dépendance à domicile. Enfin, entre la petite enfance et les personnes âgées, il y a toutes les activités dites « de conciliation » : accompagnement ménager, jardinage, soutien scolaire, etc.

Tout cet environnement finit par créer un emploi à partir d’un besoin de vie. Dans l’emploi direct entre particuliers, le ménage qui crée un emploi le fait pour répondre à ce besoin de vie. Mais il ne peut pas utiliser cet emploi pour créer un profit. Il ne peut pas revendre sa main-d’œuvre, ce qui constitue un premier élément de la singularité de notre secteur.

J’observe que c’est surtout pour les femmes que ces emplois constituent un enjeu important. Dans notre secteur, ce sont essentiellement des femmes qui emploient des femmes. Ces femmes employeurs décident de l’orientation du budget familial, dont elles flèchent une partie vers la création d’un emploi déclaré – les chiffres que je vous ai donnés portant, évidemment, sur des emplois déclarés. Cela constitue un autre élément de singularité dans le champ des services à la personne.

Évidemment, nous ne créons pas d’emplois à temps plein. Il est très rare que des familles en aient besoin, sauf aux deux limites de la vie : la toute petite enfance et la grande dépendance. Certaines activités auprès de personnes en situation de handicap se font 24 heures sur 24 et sont assurées par plusieurs salariés. Je note enfin que le nombre des particuliers employeurs en situation de handicap à domicile est en augmentation. Vous trouverez les chiffres dans les rapports de branche qui viennent d’être validés par les partenaires sociaux.

La multi activité est une autre particularité de notre secteur. En effet, la plupart de nos salariés ont plusieurs employeurs. C’est l’inverse de tous les autres modèles économiques actuels qui créent de l’emploi, où une seule structure emploie plusieurs salariés. Dans notre secteur, la moyenne nationale est aujourd’hui de 2,3 employeurs particuliers par salarié – cf. le rapport de branche. Or ce temps partiel en multi activité n’est pas drainé par les statistiques. À l’Urssaf et à l’ACOSS, notamment, on ne peut pas déterminer combien le salarié a de contrats de travail.

On peut avoir une situation de temps partiel avec plusieurs particuliers employeurs et une situation de temps partiel avec plusieurs activités sur un territoire donné. Ainsi, un certain nombre de nos salariés travaillent dans la grande distribution. Mais si le salarié combine une activité dans la grande distribution et un complément d’activité auprès d’un particulier, cela ne se traduit pas par des statistiques stabilisées. J’attire votre attention sur un point : pour avoir de vraies statistiques, il faudrait pouvoir recouper les informations grâce au numéro de sécurité sociale des salariés, et non pas par le biais de l’employeur. Comme notre situation est à l’inverse de celle des autres, il nous reste beaucoup à faire pour obtenir de la part des politiques publiques, de l’ACOSS et de tous les acteurs qui travaillent autour de notre secteur, les moyens d’identifier mieux la réalité de nos salariés et de nos employeurs.

Le meilleur élément d’information dont nous disposons est le chèque emploi service universel (CESU), avec la partie qui tient lieu de déclaration trimestrielle à l’Urssaf. Mais le CESU ne donne pas toutes les indications dont nous aurions besoin pour faire évoluer les statistiques et les affiner. Il est donc toujours très compliqué d’avoir des résultats précis et fiables dans notre secteur.

Pour faire nos rapports de branche et nos études, nous utilisons les enquêtes emploi qui sont faites régulièrement. Malheureusement, la notion même de temps partiel diffère selon les salariés, ce qui pose problème. Par exemple, un tiers des assistantes maternelles se déclarent à temps partiel, et la plupart d’entre elles considèrent qu’elles travaillent moins de 35 heures. Il faut dire que la durée conventionnelle des assistantes maternelles en France est de 45 heures hebdomadaires.

Nous disposons également des données de l’ACOSS et de l’IRCEM, notre caisse de protection sociale – caisse de retraite et caisse de prévoyance obligatoire. Mais celles-ci ne permettent pas de saisir la diversité des professions occupées par les salariés des particuliers employeurs dans d’autres secteurs d’activité : elles regroupent uniquement les cotisations payées par les particuliers. Si notre salarié travaille dans un autre secteur d’activité, il leur échappe.

Nous pouvons utiliser les données issues des enquêtes nationales, comme celles de la DREES, qui nous permettent aujourd’hui d’apprécier les temps travaillés par les salariés des particuliers employeurs. Enfin, les enquêtes que nous avons réalisées au sein de notre Observatoire national apportent un certain nombre d’éléments complémentaires.

Ainsi, nous sommes dans un secteur atypique, qui est parfois amalgamé dans les enquêtes et ne nous permet pas toujours de donner des éléments fiables. Malgré tout, de nombreuses études sociologiques peuvent également aider à comprendre si ce temps partiel est choisi, subi, ou si notre secteur est une variable d’ajustement d’autres temps partiels dans d’autres secteurs d’activité.

Je terminerai sur le temps partiel des personnes retraitées. Nous avons aujourd’hui dans notre secteur un pourcentage non négligeable de salariés en retraite, qui complètent leur revenu de retraite par une activité qu’ils ne veulent surtout pas exercer à temps plein – activité auprès des enfants, auprès de seniors ou jardinage. J’observe que le jardinage, l’accompagnement des personnes âgées vieillissantes et des personnes en situation de handicap sont les trois champs où l’activité des hommes progresse – 1 % l’année dernière.

La réalité de nos secteurs est complexe et difficile à appréhender : formes particulières de gestion de l’activité, avec plusieurs emplois au domicile de particuliers employeurs ; 55 % des salariés ayant plusieurs particuliers employeurs ; des salariés pour qui l’activité au domicile des particuliers employeurs n’est pas toujours la source principale de leurs revenus ; une difficulté à collecter la totalité des revenus multi activités, et pas uniquement dans notre champ ; une organisation du travail qui fait que c’est le besoin de vie de nos concitoyens qui crée l’emploi et qui fabrique le temps – quand on n’a pas besoin de 35 heures par semaine mais de 15, on crée un contrat de travail de 15 heures. La complexité de cette réalité est telle qu’il faut se garder de toute position doctrinale en la matière.

Je vous répondrai ensuite, Madame la présidente, que le minimum de 24 heures prévu par l’ANI ne concerne pas le particulier employeur. Celui-ci n’est d’ailleurs pas non plus concerné par les 35 heures. Nous ne rentrons pas dans le champ des entreprises de services à la personne, et nous ne sommes pas prestataires. Pour autant, nous sommes exigeants, s’agissant de l’accompagnement de nos salariés.

Deux conventions collectives couvrent la totalité des salariés du particulier employeur en France. La première concerne les salariés du particulier employeur. Elle a été signée en 1999 et étendue en 2000 après avoir été modifiée. La seconde est la convention collective des assistantes maternelles, qui n’exercent pas de façon totalement indépendante, comme on a tendance à le penser. Nos 339 000 assistantes maternelles sont salariées par des parents employeurs dans le cadre d’un contrat de travail qui est géré à la fois par le statut et la convention collective des assistantes maternelles, laquelle a été signée et étendue en 2005.

Nous avons attaché à ces deux conventions collectives un accord de prévoyance obligatoire, qui est traité par notre caisse professionnelle, l’IRCEM.

Nous avons également passé deux accords de formation professionnelle très innovants, « co construits » à partir du plan de formation et du droit individuel à la formation – ou DIF. Chaque salarié de notre secteur a droit à 20 heures de formation par an, gratuites, à l’initiative de l’employeur et à l’initiative du salarié. Trois titres professionnels sont inscrits au répertoire national de la certification professionnelle de niveau V : « assistant maternel/garde d’enfants », pour les deux publics ; « assistant de vie/dépendance » et « employé familial ».

Nous travaillons actuellement sur un accord inter branches « santé au travail » pour les salariés et les assistants maternels du particulier employeur. C’est un accord très engageant pour l’avenir. Nous avons par ailleurs terminé la mise au point, dans les deux branches, d’un accord de dialogue social territorial, complété par la mise en place du Conseil national du dialogue social dans notre secteur. Ces accords viennent d’être signés par l’ensemble des partenaires sociaux.

Nous avons beaucoup travaillé, par le dialogue social, à la création de droits et devoirs dans notre secteur, la loi nous excluant souvent d’un certain nombre de règles : soit celles-ci ne s’appliquaient pas et ne pouvaient pas s’appliquer au domicile privé et au statut de particulier employeur ; soit elles ne renvoyaient pas à la notion de particulier employeur, mais plutôt à celle de structure et d’entreprise.

Mme Manuella Pinto. Je représente l’UNA, qui est une fédération du secteur associatif, à but non lucratif, intervenant dans le domaine médico-social, et plus globalement, dans le domaine des services à la personne. Elle regroupe environ 1 000 structures : associations, CCAS et 80 000 salariés.

L’UNA est aussi un mouvement qui milite pour que toutes les personnes, quels que soient leur situation de fragilité et leur état de dépendance, puissent rester à domicile si elles le souhaitent.

L’UNA est enfin un syndicat employeur, une des quatre fédérations employeurs de la branche professionnelle de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile. C’est la première fédération en termes de salariés. Elle a donc participé à la négociation de la convention collective de branche qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2012.

À la différence de la FEPEM, nous représentons les structures prestataires. Les structures, les associations que nous fédérons emploient des salariés et concluent ensuite des contrats de prestations avec des bénéficiaires : personnes âgées, familles, personnes en situation de handicap.

Qui sont les salariés de notre branche ? Majoritairement des femmes : 98 % pour l’ensemble des salariés, et près de 100 % sur le secteur de l’intervention. La moitié des femmes ont plus de 45 ans. C’est un métier dans lequel on arrive souvent en seconde partie de carrière, soit après avoir élevé des enfants, soit après avoir été licencié pour motif économique. Nous comptons très peu de jeunes : moins de 8 % des salariés ont moins de 26 ans.

La précarité existe dans notre branche, à deux titres :

Premièrement, il s’agit majoritairement de salariés à temps partiel – même si on observe que le temps de travail augmente avec la qualification – qui interviennent essentiellement dans des actes d’aides à la personne : aide au lever, aide aux repas et aide au coucher, trois moments de la journée qui ne peuvent guère être déplacés.

Deuxièmement, les rémunérations sont faibles. Notre secteur étant financé par les pouvoirs publics, notre politique salariale est encadrée par l’État. Pour vous donner un exemple, la valeur du point n’a pas bougé depuis le 1er avril 2009. Avant le 1er janvier 2013, presque la moitié des salariés étaient payés au SMIC. Nous avons réussi à faire évoluer cette situation en signant un avenant qui a été agréé et étendu pour corriger un peu les bas niveaux de salaire. Malgré tout, la situation reste très insatisfaisante.

Bien sûr, la branche n’a pas été inactive face à ces préoccupations. Par exemple, notre « contribution formation », qui est de 2,07 %, est supérieure au taux légal, qui est de 1,60 %. Cela nous assure une collecte de 63 millions d’euros par an, qui permet de faire partir, tous les ans, environ la moitié des salariés en formation. Nous avons donc une vraie politique de professionnalisation et de formation.

Dans notre convention collective, nous avons construit le système suivant : vous entrez dans la branche généralement sans qualification, en catégorie A ; dès que vous entamez une démarche de formation, vous passez automatiquement en catégorie B ; dès que vous avez un diplôme, notamment le diplôme phare de la branche, qui est le diplôme d’État d’« auxiliaire de vie sociale », vous accédez automatiquement à la catégorie C.

Cela génère un coût pour les structures. Les financeurs freinent donc la formation des salariés pour ne pas avoir à payer ce coût de la professionnalisation. Cela a un double impact négatif : d’une part, on ne permet pas au salarié d’évoluer ; d’autre part, on ne lui permet pas de travailler davantage. En effet, l’Observatoire de la branche nous a permis de mesurer que plus le taux de qualification de la salariée augmentait, plus son temps de travail augmentait. Ainsi, le temps de travail d’une personne non qualifiée tourne autour de 58 %, tandis que celui de la personne qui a un DEVS – qui n’est qu’un diplôme de niveau V – est en moyenne de 75 %. Notre ambition est néanmoins de poursuivre cette politique de professionnalisation, malgré les contraintes budgétaires.

Je voudrais aborder un autre point lié aux contraintes budgétaires : l’emprise du travail dans notre branche. En effet, ce n’est pas parce que des salariées sont embauchées pour 25 heures par semaine qu’elles ne sont à la disposition de l’employeur que pendant ces 25 heures. Les structures ne rémunèrent pas certains temps, parce qu’elles n’en ont pas les moyens – c’est le cas des temps de déplacement entre les interventions non consécutives. L’amplitude de la journée de travail est très large. Tout cela conduit à la précarité. Les conditions de travail se dégradent et la pénibilité s’accroît.

Nous avons signé aujourd’hui un accord sur la pénibilité et la prévention des risques psychosociaux. Nous travaillons par ailleurs dans le cadre d’un EDEC – engagement de développement de l’emploi et des compétences – à la mise en place d’actions concrètes destinées à diminuer la pénibilité des métiers. Mais en raison des contraintes budgétaires qui pèsent sur nos structures, la situation ne s’améliore pas. On peut avoir toutes les ambitions politiques que l’on veut, les plans d’aide diminuent, les interventions sont de plus en plus courtes, ce qui augmente les déplacements, rend le travail plus pénible, etc.

Se pose également, comme le disait Mme Levaux, la question des retraites. En effet, les femmes qui arrivent en fin de carrière après avoir travaillé à temps partiel pour de petits salaires ont une retraite très faible. Cela explique que de nombreuses salariées reviennent dans nos structures en cumulant emploi et retraites. Mais elles ne tiennent pas, et une majorité d’entre elles finissent par être licenciées pour inaptitude.

Je terminerai sur l’ANI. Nous sommes en effet concernés par la fixation du seuil minimal de 24 heures hebdomadaires. Notre branche est tout à fait désireuse d’augmenter le temps de travail, mais il faut bien reconnaître qu’il lui sera difficile d’appliquer cette nouvelle règle. Imaginez des salariées travaillant en milieu rural ou en montagne et ne pouvant pas se déplacer dans la commune voisine ! Dans certains cas, on y arrivera très bien. Dans d’autres, ce sera impossible, à moins de sortir la salariée du système prestataire pour la faire passer dans un système de gré à gré – ce qui n’est pas satisfaisant non plus pour nous.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous avons souhaité que l’ANI vise la grande distribution, qui abuse du temps partiel. De fait, dans ce secteur, on préfère faire travailler deux personnes à temps partiel : elles sont plus productives qu’une personne à temps plein, tout en étant corvéables à merci. Elles sont souvent embauchées à 15 ou 16 heures, mais doivent rester disponibles pour leur employeur, ce qui les empêche de travailler ailleurs. Cela dit, ailleurs, la situation est loin d’être exemplaire dans d’autres secteurs – par exemple, dans certaines cliniques privées.

Mme Barbara Romagnan. Madame Levaux, vous nous avez dit qu’il vous était difficile de faire le point sur la situation de vos salariées. Si j’ai bien compris, comme elles peuvent avoir plusieurs contrats, y compris dans un autre secteur que le vôtre, vous n’êtes pas forcément en mesure de savoir si, en cumulant plusieurs activités, elles travaillent à temps plein ?

Mme Marie-Béatrice Levaux. C’est bien cela.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Que va-t-il se passer au moment de la retraite de ces salariées ? Qui collecte les informations qui les concernent ? Je suppose qu’une fois retraitées, ces personnes sont polypensionnées.

Mme Marie-Béatrice Levaux. Effectivement. Au moment de la retraite, on procède à une reconstitution de leur carrière. Voilà d’ailleurs pourquoi il faudrait que, pour nos études, nous puissions avoir accès au seul endroit où sont rassemblés tous les éléments de la carrière du salarié, à savoir la caisse de retraite. Le problème est que nous ne pouvons pas interpeller les caisses de retraite ou utiliser les données dont elles disposent à d’autres fins que celle de la retraite.

J’observe, pour ma part, que derrière toutes vos questions, s’en cache une autre : comment concilier les temps des femmes, sachant que pour y parvenir, celles-ci ont accès à d’autres temps de femmes ? On améliorera globalement la situation quand la femme qui emploie une autre femme se demandera comment est gardé l’enfant de la femme qu’elle emploie. C’est un sujet qui me tient à cœur. Mais fermons la parenthèse…

Près d’un tiers de nos 339 000 assistants maternels, qui constituent le premier mode de garde d’enfants en France, seront à la retraite en 2020, soit demain matin ! Que faire ?

Nous rencontrons deux sortes de difficultés. D’abord, l’assistante maternelle doit avoir un logement agréé pour pouvoir accueillir des enfants à son domicile. Mais les problématiques de logement – en particulier le fait que les jeunes générations quittent de plus en plus tard leur famille – n’incitent pas les femmes – ou les hommes – à s’engager dans le métier d’assistant maternel. Ensuite, la moyenne d’âge des assistants maternels est aujourd’hui supérieure à 45 ans.

Comment accroître l’attractivité de ce secteur, surtout quand on sait que les pouvoirs publics prévoient d’augmenter le nombre des crèches ou des structures collectives ? Déjà, sur certains territoires, certaines assistantes maternelles sont au chômage.

De nouvelles formes d’accueil apparaissent. D’abord, les maisons d’assistants maternels, dont l’implantation est cependant difficile ; j’observe toutefois qu’elles ont plus de succès dans les régions de l’Ouest que de l’Est. Vous pourrez consulter la carte des maisons d’assistants maternels en France, qui figure dans le rapport d’activité que je vous ai apporté. Ensuite, la garde d’enfants partagée au domicile de deux employeurs. Vous constaterez, dans les rapports, que ce qui était un phénomène très urbain, très parisien, s’est beaucoup déplacé depuis plusieurs années. Aujourd’hui, en milieu rural, certaines salariées préfèrent garder des enfants au domicile de leurs parents plutôt que d’être assistante maternelle à leur domicile. Ainsi, de vraies mutations, que nous n’arrivons pas encore à appréhender, sont en train de se produire.

Je terminerai sur cette question : comment arriver à intégrer les activités des autres employeurs ?

C’est aussi une difficulté pour le particulier employeur. Je vous rappelle que l’Europe oblige à ne pas dépasser 45 heures de travail hebdomadaire. Or un particulier employeur ne sait pas s’il emploie au-delà du temps légal un salarié qui ne le tiendrait pas au courant, puisqu’il n’a pas accès à ses autres activités.

De notre côté, nous avons des faisceaux d’indicateurs, nous pouvons croiser certaines données – et l’Observatoire des emplois de la famille le fait en permanence – mais nous ne disposons pas d’éléments statistiques fiables et précis sur le « multi emploi ». Nous ne pouvons donc pas connaître le nombre d’heures cumulées par ces salariés.

Certains de nos salariés, qui travaillent uniquement dans notre secteur, dépassent les 45 heures. Quand on sait que la moyenne d’ancienneté y est de treize ans, on se dit qu’il faut y regarder à deux fois avant de parler de précarité. Travailler dans ce secteur est une bouée de sauvetage pour les personnes qui n’ont plus les moyens d’aller dans les entreprises ou dans la fonction publique ou, plus généralement, d’exercer des métiers où l’on demande de plus en plus de diplômes et de qualification professionnelle. N’oublions pas non plus que dans les grands milieux urbains, nous intégrons de très nombreuses personnes issues de l’immigration.

C’est l’histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide : tout dépend du prisme à travers lequel on regarde. Pour notre part, nous voyons un verre à moitié plein. Nous essayons d’améliorer la compétence de nos salariés et de sécuriser leur parcours, tout en maintenant un équilibre entre la capacité des particuliers à assumer les droits nouveaux accordés aux salariés et la volonté de ces derniers à être déclarés.

Un autre élément doit enfin être pris en considération : la frontière entre les aides et le travail. Le RSA n’a pas vraiment pris dans notre secteur, mais on voit bien qu’il y a des arbitrages de part et d’autre, qui nous amènent à penser qu’une partie du problème nous échappe.

Mme Barbara Romagnan. Comment vos salariées sont-elles organisées entre elles ? J’ai cru comprendre qu’elles étaient beaucoup moins syndiquées que dans d’autres secteurs. De ce fait, elles se font sans doute un peu moins entendre qu’ailleurs.

J’observe par ailleurs que dans la plupart des secteurs, quels que soient leur engagement, leurs qualités ou leur formation, les femmes se voient confier moins de responsabilités que les hommes et sont donc moins bien payées qu’eux. Dans les vôtres, le problème n’est pas là puisque les femmes constituent la quasi-totalité des salariées. Pour autant, on sous-estime la difficulté et la pénibilité des métiers qu’elles exercent. Leurs compétences sont considérées comme plus ou moins innées, et donc gratuites. Comment faire en sorte que le travail de ces femmes soit davantage valorisé ? S’il est important pour la société, il devrait être mieux payé.

Enfin, avez-vous constaté une détérioration de l’état de santé de vos salariées ? Si oui, comment le mesurez-vous ? J’ai été frappée de constater que chez les hommes, les accidents du travail et maladies professionnelles avaient baissé en moyenne de 20 %, alors que chez les femmes, ils avaient augmenté de 120 %.

Mme Brigitte Bourguignon. Madame Pinto, les personnes qui assurent des soins à domicile ont souvent des problèmes de dos, qui finissent par être invalidants. Leur travail est difficile, elles l’assurent seules et malgré certaines améliorations, le matériel médical est souvent peu adapté. Un reclassement est-il prévu, comme c’est le cas dans certains centres communaux d’action sociale (CCAS) ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. Pensez-vous que l’on puisse traiter de ces sujets lorsque l’on discutera de la pénibilité ? Lorsque l’on parle de pénibilité, c’est très rarement à ces métiers que l’on pense. Or ce sont des métiers qui génèrent des maladies musculo-squelettiques.

Mme Conchita Lacuey. Nous devons prendre la question à bras-le-corps ! La pénibilité de ces métiers doit absolument être reconnue et prise en compte au moment de la retraite.

Mme Marie-Béatrice Levaux. Je voudrais revenir sur le taux de syndicalisation. Pour la première fois cette année, les entreprises de moins de dix salariés et les particuliers employeurs ont été concernés par la représentativité syndicale des salariés. La direction générale du travail a organisé les élections directes dans les entreprises de moins de dix salariés ; ces élections étaient aussi ouvertes aux salariés du particulier employeur. Pour moi, c’est une révolution. Il n’y a plus qu’à faire en sorte que les employeurs particuliers soient le quatrième acteur du « hors champ » pour être pris en compte dans la représentativité patronale, et tout ira bien. Mais nous n’en sommes pas là.

Au cours de ces élections, le taux de participation des salariés du particulier employeur et des assistants maternels a été largement supérieur au taux de participation des salariés des entreprises de moins de dix salariés.

Cela signifie que les syndicats de salariés touchent plus qu’on ne le pense nos salariés sur les territoires. Pour information, le syndicat représentatif des assistants maternels a fait près de 48 % de l’ensemble des organisations syndicales interprofessionnelles ; il est arrivé le premier, devant la CGT, la CFDT, la CFTC et FO. Pour les salariés du particulier employeur, c’est la CGT qui est arrivée la première, devant la FGTA-FO et la CFDT.

Un tel score a redonné une certaine fierté à nos partenaires sociaux, qui sont souvent considérés comme les derniers de la classe dans les organisations syndicales – dans la mesure où ils représentent les femmes de ménage, les bonnes à tout faire et les salariés du gré à gré – et jeté une certaine lumière sur ce secteur.

Je vous ai parlé tout à l’heure de notre accord de dialogue social territorial, qui vient d’être signé et sera étendu, du moins je l’espère, dans les prochains mois. C’est une avancée exceptionnelle en raison de l’importance qu’a aujourd’hui, dans notre branche, le dialogue social territorial. En effet, les 5 millions de personnes concernées, employeurs et salariés, sont dispersés sur l’ensemble du territoire. Nous sommes d’ailleurs souvent le premier employeur des départements sans que personne ne le sache. Quoi qu’il en soit, la santé au travail, la prévention des risques, le travail illégal, l’emploi et la formation professionnelle sont au cœur de cet accord de dialogue social territorial.

Cet accord se mettra en place dans le cadre des centres que nous avons créés il y a quelques années et que l’on retrouve pratiquement dans chaque région : les relais « particulier emploi » et les centres de ressources et d’information. Ceux-ci informeront le particulier employeur, le salarié, comme le demandeur d’emploi ou le futur particulier employeur, sur l’ensemble des droits et devoirs du secteur, et qui permettront l’installation d’un paritarisme sur les territoires.

Cet accord nous a demandé plus de deux ans de négociations. Nous en retirons une certaine fierté parce qu’il n’y a pas encore beaucoup d’accords nationaux sur le dialogue social territorial – je citerai celui de l’Union professionnelle des artisans (UPA).

N’oubliez pas que dans notre secteur, le domicile privé devient le lieu de travail. Or la cuisine d’un particulier n’est pas l’endroit où l’on installe le tableau d’affichage du personnel et ce ne le sera jamais. Il faut donc construire sur le territoire, grâce à ce dialogue social, des espaces de médiation pour traiter au plus près des territoires les problèmes soulevés par les salariés, les syndicats de salariés ou les particuliers employeurs et leurs organisations. C’est dans cet esprit que les partenaires sociaux ont signé cet accord. Celui-ci devrait, en outre, contribuer à rendre plus visibles les organisations syndicales auprès de l’ensemble de la population salariée de notre secteur.

Mme Manuella Pinto. Je voudrais insister sur un point positif que je n’ai pas relevé tout à l’heure : bien qu’à temps partiel, les contrats que nous passons sont, à 96 %, des CDI.

J’en viens maintenant à l’intégration des personnels sans qualification. Depuis longtemps, nous avons à cœur de lutter contre l’image de domesticité qui a été attachée à nos métiers. Ce sont de vrais métiers qui exigent des compétences, des formations, des qualifications. Mais puisqu’il s’agit d’emplois occupés par des femmes, on considère que le salaire qu’ils assurent n’est qu’un complément de salaire. Cela explique sans doute la faiblesse des rémunérations. Je ne sais pas si c’est parce que les rémunérations sont faibles qu’il n’y a que des femmes pour occuper ces emplois, ou si c’est parce que ce sont des femmes qui les occupent qu’on considère qu’il n’est pas très grave que les rémunérations soient faibles.

Ensuite, tout en étant une structure associative, nous avons une direction, un encadrement intermédiaire, avec des responsables de secteurs qui sont chargés de planifier et de suivre les interventions, faire des visites à domicile et servir de relais pour les intervenants à domicile. Nous tenons beaucoup à ce qu’il y ait des temps d’échanges. En effet, nos salariés, qui se déplacent d’un domicile à l’autre, sont isolés. Il est donc très important de prévoir des réunions d’analyses de pratiques, d’échanges sur le travail. Mais ces temps d’échanges ne sont pas reconnus par les financeurs, dans la mesure où, pour eux, ils sont improductifs. Face aux contraintes budgétaires, les structures réduisent donc de plus en plus ces temps, ce qui accentue le sentiment de pénibilité des salariées, qui ne se rencontrent pas et ne peuvent pas échanger sur leurs difficultés.

Enfin, les organismes assureurs de prévoyance – nous avons un organisme de prévoyance et de complémentaire santé dans la branche – constatent une détérioration de l’état de santé des salariées. De même, la CNAM ayant récemment modifié la grille des maladies professionnelles, des salariées de plus en plus nombreuses sont reconnues comme étant en maladie professionnelle. Il faut dire que les déplacements se multiplient parce que les interventions sont plus courtes, et que les plans d’aide établis par les financeurs se traduisent, sur le terrain, par une incroyable pression sur les salariées. Si on leur demande de faire une toilette en un quart d’heure, non seulement elles maltraitent la personne à qui elles la font, mais elles se sentent elles-mêmes maltraitées en tant que professionnelles.

Ainsi, aujourd’hui, les salariés sont en très grande détresse dans l’exercice de leur profession, alors qu’au niveau de la branche, nous faisons le maximum – formation conventionnelle, régime de complémentaire santé, actions contre la pénibilité, etc.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Quels sont ces financeurs ?

Mme Manuella Pinto. Essentiellement les conseils généraux via l’APA.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Et pour l’enfance ?

Mme Manuella Pinto. Pour l’enfance, la situation est différente. Mais notre activité est majoritairement tournée vers les personnes âgées.

Je reviendrai sur la problématique de la pénibilité : il y a beaucoup de licenciements pour inaptitude, ce qui n’est pas une solution. Très peu de salariées arrivent à exercer jusqu’à la retraite. À partir de 2004, nous avons beaucoup travaillé, au niveau de la branche, sur la formation professionnelle. Maintenant, nous commençons à travailler davantage sur la pénibilité et l’évolution professionnelle, c’est-à-dire sur la problématique du reclassement.

Sur la pénibilité, un engagement de développement de l'emploi et des compétences (EDEC) de branche a été signé et nous examinons, avec les partenaires sociaux, les actions concrètes qu’il conviendrait de mener. Par ailleurs, nous avons signé aujourd’hui un accord-cadre sur la prévention de la pénibilité et la prévention des risques psychosociaux.

Enfin, que fait-on des salariées qu’on licencie pour inaptitude à 50 ans, voire à 40 ou 30 ans ? Quel parcours leur proposer ? Comment valoriser les compétences qu’elles ont acquises ? Quel secteur serait prêt à les embaucher ? Nous y travaillons également dans le cadre de l’EDEC de branche.

Mme Barbara Romagnan. Ces salariées sont inaptes ou ne sont plus aptes ?

Mme Manuella Pinto. Elles ne sont plus aptes, en raison de leur état de santé – troubles musculosquelettiques et, aujourd’hui, multiples dépressions.

Nous avons à cœur d’avancer sur ces sujets-là, mais le contexte budgétaire fait que nous manquons de moyens. L’accord sur la pénibilité que nous avons signé aujourd’hui pourrait se traduire par des actions permettant au salarié de partir un peu plus tôt à la retraite, avec une compensation de l’employeur sur la base de cotisations. Or ce n’est pas possible, car les structures ne sont pas capables de l’assumer financièrement. Nous sommes vraiment en contradiction avec nos convictions.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Quels sont les signataires de l’accord de branche sur la pénibilité ? Si je vous pose la question, c’est que j’ai l’exemple d’un accord sur une nouvelle convention collective et de nouveaux horaires, qui avait bien été signé par l’Aide à domicile en milieu rural (ADMR), mais pas par les conseils généraux. C’est tout le problème de ce genre d’accords, qui sont signés par les employeurs et les salariés de fédérations ou de centres sociaux ; sauf que le principal financeur n’est pas autour de la table, ce qui complique les choses par la suite.

Mme Manuella Pinto. C’est en effet compliqué.

De notre côté, nous passons des accords collectifs au niveau de la branche. Ainsi, nous avons signé la convention collective de 2010. Étaient concernées les quatre fédérations d’employeurs : l’ADMR, l’UNA, la FNAAFP- CSF et Adessadomicile ; et, en face, les cinq fédérations syndicales – les centrales que vous connaissez.

Pour qu’un accord entre en vigueur, il doit être agréé. Il est donc soumis à l’agrément des pouvoirs publics. Il passe en Commission nationale d’agrément, sous la présidence de la Direction générale de la cohésion sociale. Les financeurs siègent dans cette commission d’agrément : un représentant de la CNAV, un représentant de la CNAF et un représentant de l’Assemblée des départements de France.

Nous avons obtenu un avis favorable à l’agrément de notre convention collective. Mais l’Assemblée des départements de France est une tête de réseau qui n’a aucun pouvoir de coercition sur les conseils généraux. Le résultat est qu’il y a des politiques complètement différentes sur le territoire : certains conseils généraux acceptent de prendre en charge le vrai coût de la convention collective, alors que d’autres refusent de prendre en charge l’augmentation du SMIC ou demandent aux structures de se « dé fédérer » et d’arrêter d’appliquer la convention collective pour revenir au code du travail. Cela a des conséquences sur les structures et, en dernier ressort, sur les salariées qui pâtissent d’une organisation du travail de plus en plus hachée, et ce malgré toute la bonne volonté que nous manifestons au niveau de la branche.

Je suis désolée de vous avoir brossé un tableau quelque peu négatif…

Mme Marie-Béatrice Levaux. Nous ne sommes évidemment pas dans la même situation. D’abord, parce qu’il n’y a pas de contrat de travail d’un quart d’heure pour la toilette. Ensuite parce que la relation contractuelle qui s’établit entre un particulier employeur et son salarié est nécessairement issue d’une négociation de libre choix. Le salarié peut refuser si les horaires et les jours ne lui conviennent pas – tout le monde autour de cette table a dû en faire l’expérience. La relation est plus équilibrée, dans la mesure où aucune structure n’intermédie le temps de travail.

Le temps de travail n’est pas intermédié, il est au contrat. Si l’employeur particulier a besoin de dix heures par semaine, le contrat portera sur dix heures, que le salarié acceptera ou n’acceptera pas. De ce fait, les risques dus à la pression ne se vivent pas de la même manière que dans l’intermédiation.

J’en viens à la question de la santé au travail. Nous avons une caisse de protection sociale des emplois de la famille, l’IRCEM, qui gère également une caisse de retraite complémentaire.

Pour votre information, cette caisse de retraite met tous les ans 380 millions d’euros à la compensation des caisses de retraites. Cela s’explique par le fait que la retraite complémentaire des femmes de ménage, qui a été créée à l’initiative des partenaires sociaux, ne date que de 1973. C’est donc une jeune caisse, où les actifs sont plus nombreux que les retraités. Et elle sert une retraite à près de 500 000 retraités de notre secteur, y compris à l’étranger. En effet, nous employons une nombreuse population issue de l’immigration, qui rentre chez elle au moment de la retraite.

Ensuite, nous avons passé deux accords de prévoyance qui nous permettent de faire des études et des analyses sur l’état de la santé de nos salariés. Nous avons fait évoluer l’année dernière les garanties de notre accord prévoyance/assistant maternel, afin de prendre en charge davantage de situations, y compris dans des maladies un peu plus rares.

J’observe enfin que, depuis plusieurs années, le taux de cancer du sein chez les assistants maternels est largement supérieur au taux moyen de cancer du sein des femmes en France. Nous ne nous l’expliquons pas.

Mme Barbara Romagnan. Il me semble qu’on a dit la même chose des femmes qui travaillent la nuit.

Mme Marie-Béatrice Levaux. Ces femmes ne travaillent pas la nuit, mais elles vivent des ruptures : elles reçoivent des enfants, s’y attachent, les enfants partent, etc. Il y a de nombreuses idées sur le sujet. Pour ma part, je reste prudente.

Dans le cadre de l’action sociale que nous menons au sein de cette caisse de protection sociale, nous avons mis en place des systèmes d’écoute gratuits pour les salariées – situations à risque, pression, problèmes personnels, etc. Ils fonctionnent de façon satisfaisante et sont bien utilisés.

Pour rompre l’isolement des assistants de vie des personnes âgées, nous avons mis au point, depuis trois ans, avec la CNSA, la Caisse nationale solidarité autonomie, un grand programme d’installation de relais « assistants de vie » sur l’ensemble des territoires. Ces relais, qui commencent à bien fonctionner, offrent aux assistants de vie des dispositifs d’écoute et de mise en commun de pratiques professionnelles. Se créent ainsi des communautés de travail au sein des territoires. Il en est fait mention dans les rapports de branche.

Enfin, nous sommes en pleine discussion sur l’accord « santé au travail/médecine du travail ». Je vous rappelle que jusqu’à l’année dernière les salariés du particulier employeur étaient exclus de la médecine du travail. Le programme est donc énorme, sachant qu’il n’y a pas suffisamment de médecins du travail. Toutes les structures de médecine du travail ne peuvent nous accueillir et refusent pour l’instant nos salariés, sauf ceux qui travaillent à temps plein pour un même employeur. Il faudrait près de 1 000 médecins du travail supplémentaires pour pouvoir absorber les 1 700 000 salariés du secteur.

Mme Barbara Romagnan. Au-delà de vos observations sur le nombre des cas de cancer du sein, avez-vous le sentiment qu’en raison de la pression, l’état de santé de vos salariés se soit dégradé depuis dix ou quinze ans ?

Mme Marie-Béatrice Levaux. Comme ma collègue de l’UNA, je pense que les troubles musculo squelettiques posent un vrai problème.

J’observe que la pression subie par les salariés est plus grande quand ils assurent une activité prestée en fonction d’un certain nombre d’obligations issues de financeurs publics. C’est plus rare chez nous, même si certaines de nos actions sont intermédiées par les financements publics. Cela dit, nous travaillons aussi beaucoup sur les restes à charge. Il faut savoir qu’aujourd’hui, une personne âgée qui a accès à l’APA devra débourser entre 1 000 et 1 200 euros si elle veut rester à domicile. De la même façon, les parents employeurs d’une assistante maternelle doivent supporter un reste à charge qui a notablement augmenté.

Mais revenons à l’évolution des risques au cours de ces dernières années. Nous nous sommes aperçus qu’une femme qui ne fait que du ménage ou qui ne fait que de la garde d’enfant se trouve dans une situation à risque. Nous nous intéressons donc de plus près maintenant à la polyvalence d’activité : une salariée peut, par exemple, s’occuper d’une personne âgée le midi et au moment du coucher, et assurer, sur un même territoire, du périscolaire ou des activités ménagères. Cette polyvalence d’activité pose d’autres problèmes en matière de qualification, mais elle évite la répétition de gestes et de situations qui entraîne des risques professionnels plus importants.

Mme Conchita Lacuey. Comment organisez-vous la formation ? Comment faites-vous avec les personnes qui travaillent chez les particuliers ? Y a-t-il pour elles des possibilités d’évolution de carrière ? Vous avez dit tout à l’heure que vous essayiez de construire des espaces de médiation. Est-ce que vous aidez la personne qui a acquis une qualification supérieure à trouver un autre emploi, un autre employeur ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. Madame Levaux, 55 % de vos salariés ont plusieurs employeurs. Faudrait-il favoriser les groupements employeurs, à condition qu’ils soient simples et accessibles ? Est-ce le moyen d’assurer des temps pleins ?

Madame Pinto, nous avions commencé, au cours de la précédente législature, à réfléchir à des temps pleins sur des horaires moins décalés. Cela concerne, par exemple, les services de ménage dans les administrations, qui se font traditionnellement très tôt le matin ou très tard le soir pour ne pas mélanger les différentes activités. À Nantes, on expérimente un système dans lequel le ménage serait assuré dans la journée. À l’Assemblée même, les horaires de ménage sont maintenant plus tardifs. Vos grands prestataires et donneurs d’ordre réfléchissent-ils à cette question ?

Plus généralement, les horaires décalés sont-ils en train de s’étendre ? Y a-t-il une augmentation des demandes d’horaires décalés de la part de parents qui travaillent eux-mêmes en horaires décalés ?

Mme Barbara Romagnan. L’idéal serait que ces femmes ne soient pas obligées de travailler à ces heures-là. Ne pourrait-on pas envisager de rendre ces heures plus coûteuses, comme c’est le cas pour les heures effectuées le week-end ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’observe tout de même que les heures effectuées le week-end ne sont pas toujours payées plus cher.

Madame Levaux, les employeurs particuliers signent-ils des contrats de travail ? Le régime au réel et la base forfaitaire ont-ils eu des influences sur le travail au noir ?

Mme Marie-Béatrice Levaux. Je répondrai d’abord sur la formation professionnelle. Il nous a fallu dix ans, nous nous sommes battus comme des chiens, mais le système fonctionne.

Pour les assistants maternels du particulier employeur, nous avons dépassé la collecte d’un million d’euros auprès d’AGEFOS-PME qui est notre organisme pariteur collecteur agréé (OPCA). Et cette année, les départs en formation ont augmenté de 130 %.

Pour les salariés du particulier employeur, nous avons fabriqué un accord qui a été jugé totalement innovant.

Dans la mesure où nous devons abandonner l’idée du groupement d’employeurs, qui ne constitue pas la bonne formule, nous avons plus particulièrement travaillé autour du salarié multi-employeur. Nous avons construit un plan de formation national des partenaires sociaux, qui est décliné sur toute la France auprès de 350 organismes de formation partenaires. Aujourd’hui, environ 2 000 dates, sur une soixantaine de modules de formation continue, sont proposées comme étant un plan de formation d’entreprise. Mais c’est un plan de formation de secteur, qui est bien sûr porté par les commissions nationales paritaires de l’emploi et de la formation.

Comme, dans notre secteur, le salarié est autant demandeur de formation que son employeur, nous avons fait travailler le plan et le DIF : le salarié peut donc avoir accès à la formation professionnelle continue soit par son DIF, soit par le plan. C’est en sens qu’on a pu parler de « co-construction » de l’accord.

Ensuite, nous faisons intervenir un « employeur porteur » : c’est celui des employeurs de la salariée qui accepte son départ en formation et prend à sa charge tous les contrats de travail de la salariée.

Mme Conchita Lacuey. Et si aucun n’accepte ?

Mme Marie-Béatrice Delvaux. C’est très rare. Le problème que nous rencontrons aujourd’hui tient au fait que l’on ne sait pas que cela existe.

Pour remédier à ce manque d’information, nous avons mis en place, depuis le début de cette année, un grand programme avec la direction de la sécurité sociale et l’ACOSS, pour créer l’espace numérique du particulier employeur et de son salarié, qui se mettra progressivement en place à la fin de cette année. Il y aura ainsi, à côté du « net entreprises », un « net employeurs particuliers ». À l’intérieur de cet espace numérique, chacun pourra trouver la totalité des informations et des accès, sur la protection sociale, les droits et devoirs, la formation professionnelle et l’ensemble des dispositifs existants.

Les salariées disposent d’ores et déjà d’une plate-forme téléphonique et numérique : Iperia. Elles peuvent l’utiliser si elles veulent partir en formation. L’objectif de la branche est de ne laisser aucun salarié sur le bord du chemin et de trouver des solutions pour toutes celles qui ont un projet de formation professionnelle. Depuis que nous avons mis en place ce dispositif, il y a presque deux ans, les départs en formation ont augmenté de 30 %.

L’année dernière, nous avons compté 2 800 départs en formation de salariés du particulier employeur et 2 000 ont obtenu une qualification. Ces chiffres sont évidemment très modestes, comparés à nos 1 700 000 salariés. Pour autant, nous progressons.

Nous avons besoin d’être accompagnés par les politiques publiques, mais nous avons du mal à faire financer nos programmes de formation par les conseils régionaux et Pôle emploi. C’est pour cela que nous avons mis en place une convention partenariale entre la FEPEM et Pôle emploi, qui nous permettra de former et de qualifier 30 000 demandeurs d’emploi. Nous qualifions d’ailleurs, tous les ans, dans notre secteur, plus de 2 500 demandeurs d’emploi.

Si vous êtes intéressés par le sujet, je vous invite à consulter le site Iperia. Vous verrez qu’il est très facile maintenant, pour le particulier employeur, de proposer une formation à son salarié, et pour le salarié de faire prendre en charge sa formation, y compris en cas de résistance des employeurs.

Quelles sont les filières de carrière ? Nous sommes en train de travailler sur des diplômes de niveau IV, correspondant à de nouveaux métiers – accompagnement des sorties d’hospitalisation, coordinateur sur un territoire, gouvernante.

La gouvernante n’est évidemment pas celle du XIXe siècle. Elle apporte son expérience professionnelle et sa compétence, notamment à des personnes en perte d’autonomie. Elle peut assurer, par exemple pour le compte de familles éloignées, l’accompagnement de leur parent âgé à domicile, dans le cadre d’un contrat de travail spécifique. C’est plus qu’une assistante de vie. Ce peut être une assistante de vie qui se forme pour pouvoir assurer cette fonction, ou une personne qui, dans son activité, a déployé cette compétence et la met au service d’un certain nombre de particuliers ou de familles employeurs.

Nous travaillons donc sur des filières qui tournent autour de l’emploi entre particuliers. Bien sûr, les personnes peuvent toujours repartir vers l’extérieur. Notre secteur est d’ailleurs très souple, puisque nous comptons, tous les ans, 20 % d’entrées et de sorties. En même temps, la durée moyenne de travail de nos salariés est de treize ans, comme je vous l’ai déjà précisé.

Vous m’avez également interrogée sur le forfait et le réel. Je précise d’abord que le CESU n’est pas un contrat de travail, et que la loi permet de ne pas établir de contrat de travail dans le cadre du CESU pour huit heures maximum par semaine ou un mois consécutif dans l’année. Pour toutes les autres situations, le contrat de travail est obligatoire à la première heure de l’emploi.

Ensuite, lorsque la loi Borloo sur les services à personne a été mise en place en 2006, nous avons obtenu 15 points d’allègement de charges sur les cotisations de sécurité sociale patronales pour les particuliers qui passaient du forfait au réel. La plupart des particuliers employeurs l’ont fait. Le ministre François Baroin ayant supprimé cet allègement, ces employeurs sont presque tous retournés au forfait. L’année dernière enfin, le forfait a été supprimé.

En tant que fédération, nous avons porté la suppression du forfait comme étant une démarche allant dans le sens de la progression de notre secteur. Mais nous avons alerté les pouvoirs publics sur le fait que le coût de l’emploi pour un particulier employeur est le même que pour une entreprise du CAC 40 en termes de cotisations patronales et salariales. Nous avons été entendus par l’Assemblée nationale, en particulier par M. Christian Eckert, qui a fait passer, par amendement, pour les particuliers employeurs, une baisse de 75 centimes d’euros des charges patronales par heure déclarée. Ceux qui étaient restés au réel ont obtenu un véritable allègement de charges. Pour ceux qui étaient passés du forfait au réel, l’augmentation du coût de l’emploi a été quelque peu limitée. Néanmoins, et vous le verrez dans le rapport de branche, nous avons constaté une baisse générale des heures déclarées – mais pas une baisse générale des emplois et des employeurs. Cela prouve bien que les ménages font un arbitrage et s’interrogent sur la capacité de leur budget à assumer le coût des heures déclarées. Et je me permets de dire dans cette instance toute l’importance qu’il y aurait à ne plus toucher à la réduction fiscale et au crédit d’impôt si nous ne voulons pas voir notre secteur disparaître.

Quand le coût de l’emploi non déclaré devient inférieur au coût de l’emploi déclaré, le recours au travail informel est irrémédiable. Nous aurons mis vingt ans pour doubler les chiffres de ce secteur. Vous pouvez mettre six mois à un an pour les détruire. Dans un contexte de crise comme celui que nous connaissons, notre situation est très fragile. Je tenais à vous le dire.

Mme Manuella Pinto. Je vous répondrai d’abord sur les horaires décalés. Il faut savoir que 88 % de nos structures interviennent auprès de personnes dépendantes. C’est cela notre cœur de métier. Ce ne sont pas les services à la personne, même si certaines structures ont pu développer leur activité vers les services à la personne.

L’activité du salarié est donc généralement une aide à la personne – lever le matin, toilette, petit-déjeuner, déjeuner, dîner, coucher. Ces temps-là ne sont pas déplaçables. À l’hôpital, il est possible de faire une toilette à midi. Quand on intervient au domicile de la personne bénéficiaire, c’est plus compliqué à faire entendre.

Il est vrai que les structures essaient de compléter ces temps par des prestations « de confort » comme le ménage, etc. Des expérimentations sont actuellement menées au sein du réseau UNA pour voir si on ne pourrait pas constituer des équipes du matin et des équipes du soir. Mais il semble qu’il n’y ait pas suffisamment de prestations « de confort » pour permettre un temps de travail suffisant. De ce fait, le salarié qui veut travailler 35 heures par semaine doit travailler le matin et le soir, ce qui entraîne de grandes amplitudes horaires. Si on intervient auprès de ce genre de public, il n’y a pas vraiment de solution.

Le travail du dimanche est nécessaire, puisqu’il porte sur des actes essentiels de la vie quotidienne. Ce travail du dimanche est majoré de 45 %. Pour le travail de nuit, il n’y a pas de majoration de salaire conventionnelle, parce que ce serait trop lourd pour les structures. J’observe que même le travail du dimanche n’est pas forcément reconnu.

La loi de sécurisation de l’emploi va nous obliger à réfléchir à l’organisation du travail et à un regroupement des horaires sur des journées ou des demi-journées. Mais cela ne va pas être facile, compte tenu de l’activité même de nos structures. Certains temps peuvent être déplacés, mais pas le petit-déjeuner, le lever et le coucher. Ce sont toujours les mêmes créneaux horaires qui sont demandés par les bénéficiaires.

Mme Barbara Romagnan. Le bien-être des salariés est potentiellement en contradiction avec celui des personnes dont on est censé prendre soin.

Mme Manuella Pinto. N’oubliez pas non plus que dans notre secteur, le domicile est le lieu de travail. Or le domicile du bénéficiaire est inviolable. Ainsi, l’employeur est responsable des risques professionnels auquel est exposé le salarié sur son lieu de travail, qui est le domicile du bénéficiaire sur lequel on n’a aucune prise. On ne peut pas aménager le lieu de travail du salarié. Il y a de nombreuses contradictions de ce type, mais nous devons faire avec.

Cela dit, comment satisfaire le bénéficiaire qui ne peut pas se lever en fin de matinée, et le salarié dont il serait légitime de réduire l’amplitude horaire de son travail ? C’est une question redoutable.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Connaissez-vous la situation dans les autres pays européens ? Enfin, que souhaiteriez-vous que l’on mette dans la loi ?

Mme Marie-Béatrice Levaux. La Fédération européenne des emplois de la famille a été installée la semaine dernière à Bruxelles. Elle est constituée d’un certain nombre d’États membres qui se préoccupent de ces enjeux au plan européen. Le Commissaire européen à l’emploi a en effet estimé à 18 millions le nombre d’emplois déclarés dans ce secteur.

Je rappelle que le modèle français est l’un des modèles les plus aboutis en matière d’emplois à domicile et de ce que l’on appelle les « emplois domestiques », qui n’ont pas la même connotation en Europe qu’en France.

L’OIT a ratifié une convention sur « travail domestique, travail décent » qui vient d’être ratifiée par l’Europe et pourra donc l’être par les États. Pour l’instant, la France ne l’a pas ratifiée.

Le modèle d’emploi entre particuliers reste le phénomène le plus adapté pour répondre aux besoins des concitoyens à domicile. Bien sûr, à côté de lui, il y a le modèle presté dans les situations qui le nécessitent. Je rejoins Mme Pinto quand elle dit qu’on ne peut pas considérer aujourd’hui que la réponse aux besoins de nos concitoyens passe par la mise en organisation de la totalité des heures dont on a besoin. C’est juste impossible.

Il faut bien que, d’un côté, l’emploi entre particuliers soit modélisé par les partenaires sociaux et qu’il participe aux programmes que vous avez engagés et que, de l’autre, les situations dans lesquelles l’emploi presté est important soient davantage valorisées. Mais il n’y a pas de contradiction et d’opposition entre les deux. Il y a une complémentarité.

En Europe, aujourd’hui, la vraie difficulté tient à l’emploi illégal. En Allemagne, par exemple, 90 % du secteur dit des emplois des familles et des ménages n’est pas déclaré. Il n’existe que le « minijob ». De nombreux États, de nombreux acteurs regardent donc avec intérêt ce que nous avons fait pour structurer ce qui est pour eux un secteur informel. Bien sûr, toutes les missions d’activité qui sont celles de Mme Pinto sont déjà largement engagées au plan européen. Le dernier secteur à émerger est celui des emplois de la famille et des ménages, qui commence à prendre consistance.

Enfin, je vous signale que nous avons fait des études sur le plan européen, qui peuvent vous intéresser.

Maintenant, que souhaiterions-nous mettre dans la loi ? Je répéterai ce que je vous ai dit au début : comment faites-vous pour permettre à la femme qui vient travailler chez vous de concilier sa propre vie ? C’est un de mes leitmotivs.

Finalement, il existe des offres publiques, qui peuvent être fléchées vers les personnes qui en ont le plus besoin ; je pense aux places de crèche. La classe moyenne peut, quant à elle, assumer un rôle d’employeur à domicile, à condition qu’on ne considère pas qu’elle l’assume par défaut et qu’on admette que cet écosystème puisse être un acteur important de la complémentarité. La politique publique ne pourra pas financer tous les besoins de nos concitoyens, on le sait. Mais arrêtons de penser que tous les modèles que nous avons présentés aujourd’hui n’ont pas vocation à contribuer à la politique publique.

Il convient d’accompagner cet écosystème en le simplifiant, en en renforçant la professionnalisation et en en assurant la solvabilisation. Il faut proposer ce modèle de l’emploi entre particuliers comme une des alternatives possibles aux besoins de nos concitoyens en matière de conciliation de vie.

Gardons-nous de flécher des dispositifs comme le CESU uniquement sur des structures marchandes. En revanche, questionnons-nous sur les personnes qui travaillent aujourd’hui dans notre secteur, et qui sont elles aussi confrontées à des enjeux de conciliation de vie.

C’est mon avis. Je ne sais pas comment on peut le traduire dans la loi. Mais je dis que nous sommes prêts à continuer à travailler dans ce sens.

Mme Manuella Pinto. Au niveau de la branche, les partenaires sociaux ont déjà négocié un certain nombre d’actions pour améliorer les conditions de travail des femmes qui exercent ces métiers. Mais il faut que la branche ait les moyens de les mettre en œuvre, que nos structures aient les moyens de mettre en application les accords signés au niveau national, et que les accords agréés soient financés. Et je crains fort que la loi ne puisse y faire grand-chose.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je tiens à vous livrer cette anecdote : le 8 mars, dans une mairie, un prestataire de services à la personne s’est félicité d’employer 3 % d’hommes… en précisant qu’ils étaient, bien sûr, mieux payés que les femmes. Parce que c’étaient des hommes, ils devaient être mieux payés !

Mme Marie-Béatrice Delvaux. Vous trouverez dans les rapports de branche le niveau moyen des salaires de notre secteur. En net, il est largement supérieur au SMIC. C’est que les salariés des particuliers employeurs négocient leur taux horaire.

Mme Barbara Romagnan. Il n’est pas commun que le rapport direct entre le salarié et l’employeur soit favorable au salarié. Généralement, on estime qu’il vaut mieux que le salarié ne se retrouve pas seul face à son employeur.

Mme Marie-Béatrice Delvaux. Il est assez fréquent, à Paris mais aussi en province, que l’heure d’activité ménagère se négocie à 12 euros nets – reportez-vous au rapport de branche, où sont indiqués les taux moyens par région.

Mme la présidente Catherine Coutelle. À Paris, où l’on manque d’assistantes maternelles, ce sont elles qui font la loi, et leur tarif est élevé. En revanche, dans certaines zones périurbaines, elles n’ont pas beaucoup d’enfants à garder. L’une d’elle m’a raconté qu’elle avait accepté un enfant de six heures du matin à quatorze heures et un deuxième, qui arrivait dans la matinée, jusqu’à 21 heures. Elle donc occupée de six heures du matin à 21 heures.

Mme Marie-Béatrice Delvaux. Aujourd’hui, les conseils généraux ne peuvent pas s’opposer à l’agrément d’un assistant maternel si les critères présentés dans le dossier sont positifs. Pôle emploi trouvant tous les jours des milliers de demandeurs d’emploi, notamment des femmes de quarante ans, avec un logement ouvert, leur propose de devenir assistantes maternelles. Celles-ci arrivent sur le marché et entrent en concurrence avec les assistantes maternelles déjà déclarées, alors même que les besoins sont en train de se rééquilibrer. En effet, en période de crise, certains parents ne font plus garder leurs enfants. Et lorsqu’un membre de la famille est au chômage, c’est lui qui s’en occupe.

Vous retrouverez sur ces cartes la rémunération des assistants maternels en France et les taux moyens, par département, de l’ensemble des salariés du particulier employeur. Vous constaterez qu’il n’y a pas que l’Île-de-France où les assistantes maternelles se font payer 12 euros de l’heure. Un certain nombre de salariées nous disent d’ailleurs qu’elles veulent rester en emploi direct parce qu’elles sont libres de leurs horaires, de leur contrat et de leur salaire. De fait, celles dont la compétence est reconnue refusent des « clients ».

Mesdames, ce que je dis est très mesuré. Mais j’entends aussi ce que vous dites. On peut considérer que le verre est à moitié plein ou à moitié vide. Mais je crois que dans les prochaines années, il serait judicieux de prendre en considération ce modèle d’emploi.

Je vous remercie en tout cas d’avoir accepté cette confrontation, que j’ai trouvée vraiment intéressante.

Mme Manuella Pinto. Je vous transmettrai par mail le profil de branche et le rapport de branche.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie.

L’audition s’achève à 19 heures 10.