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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 16 juillet 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 38

Présidence de Mme Monique Orphée, Vice-présidente

– Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, consacrée aux femmes créatrices d’entreprise : Mme Elisabeth Kimmerlin, membre du Comité de direction de Paris Pionnières ; Mme Chantal Mainguené, fondatrice de Môm’artre ; Mme Anne Cécile Mailfert, responsable du développement au sein du Mouvement des entrepreneurs sociaux (Le Mouves) ; Mme Bella Borromei, responsable de l’accompagnement régional Île-de-France et Mme Edith Daurier, responsable des partenariats privés de l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie)

La délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition, sous forme d’une table ronde, ouverte à la presse, sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, consacrée aux femmes créatrices d’entreprise réunissant : Mme Elisabeth Kimmerlin, membre du comité de direction de Paris Pionnières, Mme Chantal Mainguené, fondatrice de Môm’artre et Mme Anne-Cécile Mailfert, membre de Môm’artre et responsable du développement au sein du Mouvement des entrepreneurs sociaux (Le Mouves) ; Mme Bella Borromei, responsable de l’accompagnement régional Île-de-France de l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie) et Mme Edith Daurier, responsable des partenariats privés de cette association.

L’audition commence à 17 heures.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, présenté le 3 juillet dernier par Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, comporte un volet relatif à l’égalité professionnelle. Nous avons souhaité approfondir ce thème en prévision de l’examen de ce projet de loi par l’Assemblée nationale à la rentrée, et Mme Barbara Romagnan a été désignée rapporteure d’information sur cet aspect du projet.

Nous avons trouvé important d’aborder en premier lieu la question de la santé des femmes au travail, thème souvent occulté alors qu’il existe des risques spécifiques et importants d’atteinte à leur santé et de maladies professionnelles. Nous abordons également la question de l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle, sujet qui m’intéresse tout particulièrement dans la mesure où je suis à l’origine de la création, à Poitiers, en 2000, de la première agence des temps. Nous avons essayé de faire connaître cette politique initiée au niveau européen et de la populariser en France. Aujourd’hui, il existe un réseau territorial assez étendu, avec des agences des temps qui, dans les collectivités, œuvrent à une meilleure harmonisation des temps de vie.

Dans le cadre de ce travail, nous recevons donc aujourd’hui :

–– Mme Élisabeth Kimmerlin, membre du Comité de direction de Paris Pionnières, structure lancée en 2005 pour accompagner les femmes dans la création d’entreprises innovantes. « Entreprendre au féminin » constitue, il faut le souligner, une préoccupation de la ministre des Droits des femmes : elle a consacré plusieurs déplacements à ce sujet et entend encourager la création d’entreprise par les femmes, qui rencontre encore beaucoup de difficultés et reste faible. J’ai reçu la semaine dernière une trentaine de femmes cheffes d’entreprise du Poitou-Charentes qui m’ont fait part des difficultés que rencontrent les femmes dans la création d’entreprises mais également dans la conciliation de leur vie de cheffes d’entreprise avec leur vie familiale ;

–– Mme Chantal Mainguené, fondatrice de Môm’artre, entreprise sociale qui offre des services de garde d’enfants à des horaires décalés, sujet de préoccupation récurrente pour de nombreuses femmes au travail ;

–– Mme Anne-Cécile Mailfert, responsable du développement au sein du Mouvement des entrepreneurs sociaux (Le Mouves) et qui travaille également au sein de Môm’artre ;

–– Mme Bella Borromei, responsable de l’accompagnement régional Ile-de-France et Mme Édith Daurier, responsable des partenariats privés de l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie), association qui – chacun le sait – distribue des microcrédits. Il est avéré que les femmes éprouvent de plus grandes difficultés que les hommes dans l’accès aux prêts bancaires pour la création d’entreprise et qu’elles sont souvent confrontées à une discrimination masquée mais bien réelle.

Je donne la parole tout d’abord à Mme Kimmerlin. Pourriez-vous nous présenter votre structure et l’accompagnement que vous offrez aux femmes, les obstacles auxquels elles se heurtent et les réponses que nous pouvons apporter ? Notre but est d’alimenter le projet de loi – éventuellement par des amendements – et en tout cas de nourrir la réflexion politique car tout ne passe pas par la loi.

Mme Élisabeth Kimmerlin, membre du Comité de direction de Paris Pionnières. Paris Pionnières est une structure qui accompagne des femmes dans la création d’entreprises dont le caractère innovant est remarquable – le concept d’innovation étant entendu dans une acception très large. Cette structure a été fondée en 2005 à Paris mais a essaimé depuis puisqu’elle forme désormais une fédération, avec des structures d’accompagnement implantées dans un certain nombre de régions et dans les DOM-TOM (une première structure vient d’être ouverte en Martinique) ainsi que dans des pays étrangers (Belgique, Luxembourg, Maroc et bientôt en Tunisie).

Le but de Paris Pionnières est d’accompagner les femmes dans l’ensemble de leurs démarches entrepreneuriales, de la matérialisation de leur projet aux premières années d’exploitation de l’entreprise. Nous n’aidons pas seulement les femmes dans la genèse de leur projet mais également jusqu’à ce que l’entreprise se développe et crée des emplois.

Depuis 2005, date de la création de Paris Pionnière, plus de 963 projets ont été présentés pour sélection ; 266 projets ont été accompagnés – avec des femmes de toutes générations, y compris des femmes d’une cinquantaine d’années ayant déjà un passé professionnel –, parmi lesquels une centaine a abouti à la création d’entreprises possédant une activité opérationnelle et des clients, créant au total 700 à 800 emplois. La caractéristique des entreprises ainsi accompagnées est qu’il doit y avoir une femme à leur tête. Cela étant, une entreprise peut se créer à plusieurs et il n’est pas question de dire : « Interdit aux hommes ! ». L’équipe de direction peut être mixte, cette situation étant la plus propice à la croissance de l’entreprise puisque la mixité est le reflet de notre société.

S’agissant de la question des spécificités que pourraient présenter les entreprises créées par les femmes, en tant qu’objets économiques et personnes morales, on ne note pas de différences fondamentales par rapport à celles créées ou dirigées par un homme. Les entreprises doivent présenter une offre innovante qui trouve son marché. La façon de diriger l’entreprise peut comporter quelques différences mais il existe des traits invariants, nonobstant le sexe de la personne qui dirige. En revanche, dans un certain nombre de cas – il s’agit sans doute d’un trait de génération –, les femmes que nous interrogeons indiquent être confrontées à des freins dans leur démarche de création d’entreprise.

Le premier obstacle tient au poids des représentations qui entourent le statut de femme cheffe d’entreprise ou l’exercice de fonctions de direction – aspect qu’aborde le projet de loi-cadre. Celles qui ont franchi la porte de Paris Pionnières ont dépassé cet obstacle : dès lors qu’elles ont un projet qui exprime un désir d’entreprendre, c’est qu’elles se projettent déjà dans le rôle de cheffe d’entreprise. En revanche, pour ce qui est de prendre des risques, de se mettre en danger, notamment d’un point de vue financier, beaucoup de facteurs – l’éducation, la culture et les stéréotypes sociaux – conduisent les femmes à une plus grande frilosité. Elles portent des projets qui manifestent la volonté de gains progressifs plutôt que l’ambition de gains d’emblée spectaculaires qui nécessiterait la mobilisation de moyens financiers importants. Il y a donc là la nécessité d’un accompagnement, en particulier dans la recherche de financements, qui – me semble-t-il – constitue un besoin spécifique. Cela ne signifie pas que cet accompagnement n’est pas également nécessaire pour les hommes créateurs d’entreprises mais ils abordent la question d’une manière tout à fait différente. Chez les femmes, on observe encore – second frein – le « syndrome de la bonne élève » qui, estimant devoir être reconnue au titre de la qualité de son travail, a moins l’habitude de se vendre à propos de choses qui ne sont pas encore réelles et qui, en conséquence, possède une moindre capacité d’entraînement parce qu’elle souhaite attendre que tout soit « au carré » avant de commencer à se vendre.

S’agissant de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, dans un « incubateur » où l’on trouve une majorité de femmes, il est plus facile pour elles d’aborder cette question, d’évoquer des problèmes de garde d’enfants. Tel n’est pas le cas dans des environnements plus masculins où l’on occulte plus volontiers des considérations relatives à la répartition des tâches ménagères. Dans la phase de la création d’entreprise, la question de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée devient plus floue dans la mesure où les femmes consacrent une partie de leur vie privée à la réalisation de leur projet, lequel est souvent considéré comme un enfant à naître. D’ailleurs, comme dans d’autres carrières professionnelles, certaines femmes sont amenées à faire un choix entre la création de leur entreprise et la maternité. La frontière entre vie privée et vie professionnelle s’estompe ainsi quelque peu : les femmes ne se lèvent pas afin d’aller travailler pour quelqu’un ; elles viennent travailler pour leur projet. Cela dit, elles ont quand même besoin de temps pour se consacrer à tout ce qu’elles doivent gérer. Les femmes disposent de plus de latitude dans le cadre de la création d’une entreprise que lorsqu’elles possèdent un emploi salarié en ce qu’elles jouissent d’une relative maîtrise de leur emploi du temps. Cela peut représenter néanmoins un volume d’heures de travail considérable.

Dans ces conditions, on peut aider les femmes en développant les structures d’accompagnement, les structures de garde pour la petite enfance, ainsi que toute structure susceptible de leur offrir de la souplesse dans la gestion de leur emploi du temps.

En ce qui concerne la santé des femmes au travail, je ne possède pas d’éléments particuliers. Les structures d’accompagnement, à l’exemple de celle dans laquelle j’interviens, sont extrêmement sensibles à cette problématique, en particulier à la question du stress. Sur ce point, l’accompagnement dans la création d’entreprise ne doit pas porter uniquement sur les aspects commerciaux. Il doit permettre aux femmes de conserver un certain équilibre dans leur vie. La création d’entreprise n’a pas besoin de martyres !

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie. Madame Mainguené, les femmes créatrices d’entreprises parviennent-elles à mobiliser leurs compagnons ou leurs époux afin d’assurer un partage des tâches domestiques équivalent à ce qu’il serait s’ils se trouvaient eux-mêmes dans la position du créateur d’entreprise ?  

Mme Chantal Mainguené, fondatrice de Môm’artre. Je peux répondre sur ce sujet à plusieurs titres. Je suis une femme entrepreneuse, de surcroît dans le domaine social. J’ai fondé mon projet précisément parce que je devais moi-même élever seule mes enfants. À cette époque, j’étais salariée et je n’envisageais pas la création d’une entreprise.

Mon entreprise a pour objet la conciliation des temps, qui constitue un véritable enjeu. Nous assurons l’accueil de 775 familles. Nous allons chercher les enfants tous les soirs, à la sortie de 42 écoles, jusqu’à la fin de l’école primaire. Nous avons mis en place un système de prise en charge globale de la sortie de l’école à 20 heures chaque soir : nous servons un goûter aux enfants à leur arrivée ; nous les aidons à faire leurs devoirs ; nous réalisons un projet éducatif autour de l’art comme moyen de réussite des enfants, notamment dans les quartiers défavorisés. L’âge moyen des enfants pris en charge est de 7 ans. Nous avons 30 % de mères élevant seules leurs enfants, proportion identique au taux de familles monoparentales en Ile-de-France. Je tiens ici à souligner que le fait d’être à la tête d’une cellule familiale monoparentale représente une difficulté supplémentaire lorsqu’une femme désire entreprendre. C’est un parcours du combattant ! Personnellement, j’ai attendu d’avoir reconstruit ma vie personnelle et d’avoir trouvé une stabilité pour me lancer.

Il faut bien évidemment permettre la conciliation des temps de vie par le développement de services. On parle beaucoup des crèches et de la petite enfance. Nous nous occupons de la prise en charge des enfants après l’école. La vie des femmes ne s’arrête évidemment pas à 16 heures ou 16 heures 30. Dans le milieu de l’entrepreneuriat, il y a souvent des rendez-vous après. Dès lors, il faut réfléchir aux horaires, aux conditions de prise en charge et pas seulement aux capacités. Nous fermons à 20 heures. Si nous fermions plus tôt, notre service ne présenterait pas d’utilité sociale et nous perdrions bon nombre de familles. Depuis douze ans, d’après les statistiques, l’heure à laquelle s’achève leur journée est en moyenne 19 heures 15. Si tous les services de garde fonctionnaient jusqu’à 19 heures 15 ou 19 heures 30, nous fournirions une vraie réponse. Le développement des modes de garde apparaît comme une nécessité mais il faut de la souplesse – ce qui revient très souvent dans les demandes exprimées par les parents. Les situations professionnelles et « l’organisation » du cercle familial sont très diverses. Jusqu’à 9 et 10 ans, les parents ont besoin de solutions qui les rassurent.

Il faut donc de la souplesse et cette nécessité vaut pour les modalités d’inscription. J’ai cru comprendre que dans le texte du projet de loi-cadre pour l’égalité entre les femmes et les hommes, il était prévu d’accorder aux femmes cheffes d’entreprise une même priorité d’accès aux crèches et aux structures périscolaires que les salariées. J’attire votre attention sur la nécessité de faire en sorte que par-delà l’égalité des droits, il y ait une égalité d’accès : des femmes cheffes d’entreprise ne peuvent parfois inscrire leurs enfants parce qu’elles ne peuvent fournir les trois derniers bulletins de salaire. L’activité des entreprises ne suit pas un cours linéaire. Il faudrait que les femmes cheffes d’entreprise puissent inscrire leur enfant dans des moments où elles doivent davantage s’investir et qu’elles ne peuvent pas nécessairement compter sur le soutien d’un compagnon ou d’un mari.

J’ai participé, pour terrafemina, à un groupe de travail consacré à la perception de l’entrepreneuriat, avec un groupe d’hommes d’un côté et un groupe de femmes de l’autre. Il en ressort l’idée que les femmes qui entreprennent le font pour s’occuper, se donner un loisir alors que les hommes sont davantage perçus comme des patrons, des hommes d’affaires. Les termes employés ne sont pas les mêmes pour décrire la représentation des femmes cheffes d’entreprise.

Dans le projet de loi, il est question de faciliter l’usage du compte épargne temps. Or, les femmes cheffes d’entreprise ne sont pas salariées et ne sont pas concernées. Quelles sont les réflexions engagées afin d’adapter ce dispositif à la situation spécifique des femmes cheffes d’entreprise, des travailleurs indépendants ?

Je tiens par ailleurs à signaler que le financement du périscolaire relève d’un véritable parcours du combattant. Cela fait douze ans que je me bats. Il faudrait revaloriser les conditions d’accueil dans le secteur. À titre d’illustration, le barème de la Caisse d’allocations familiales donne droit à quarante-neuf centimes d’euros par enfant et par heure, ce qui pour nous ne couvre que le coût du goûter servi aux enfants. Ce montant ne permet pas de financer nos actions et nos salaires. Si l’on veut développer l’articulation des temps de vie, il faut assurer le financement de la prise en charge de la petite enfance mais également du périscolaire.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Votre intervention prouve qu’il n’y a pas de systèmes de garderie à la sortie des écoles ?

Mme Chantal Mainguené, fondatrice de Môm’artre. Oui, tout à fait ! À Paris, tout s’arrête à 18 heures. Nous travaillons en étroite collaboration avec la Ville afin de répondre à des besoins non satisfaits. Pour aller chercher les enfants à 18 heures, il faut souvent partir bien plus tôt, le temps moyen de transport s’élevant à quarante minutes entre le travail et la maison. Travailler pour un employeur qui laisse partir ses salariés à 17 heures 15 n’est pas évident.

Au-delà des solutions de garde, je tiens à parler du financement. Nous partageons le diagnostic livré par Paris Pionnières. La question de la prise de risques n’est vraiment pas abordée de la même manière par les femmes entrepreneurs. Il faut réaliser un grand travail de facilitation du financement. Il existe en effet beaucoup de stéréotypes dans les banques. Devant un banquier – je ne sais pourquoi –, les femmes paraissent moins crédibles. Or, en accompagnant des femmes entrepreneurs, je n’ai jamais pu constater qu’elles possèdent moins de compétences que les hommes. Il n’y a donc aucune raison pour que subsistent des barrières à l’accès aux prêts bancaires. Il faudrait sensibiliser les milieux bancaires à ces réalités. Le fait d’avoir des enfants ne rend pas moins efficace ! Nous sommes au contraire plus efficaces car nous n’avons pas le choix et nous avons moins le temps.

Je souhaiterais revenir sur la question des horaires. La fermeture tardive des structures d’accueil permet d’impliquer davantage les hommes dans la garde des enfants. Si nous fermions avant 19 heures, nous verrions très peu de pères venir chercher leurs enfants. Dans ces conditions, les femmes peuvent demander aux hommes d’aller les chercher. C’est peu le cas dans d’autres structures de garde.

Je suis également administratrice du Mouvement des entrepreneurs sociaux, dont le conseil d’administration a été renouvelé et au sein duquel un très grand effort de parité a été réalisé. Je crois qu’il est important de revaloriser ou simplement de valoriser l’image de la femme cheffe d’entreprise car la culture de l’entrepreneuriat reste très masculine. Les réseaux, tels que le Mouves, ont un très grand rôle à jouer. Ils peuvent faire comprendre qu’être une femme et diriger une entreprise sont deux choses parfaitement compatibles.

Les femmes créent peut-être moins d’emplois que les hommes mais elles en sont tout à fait capables. Il faut simplement dépasser certains obstacles. J’ai une entreprise de trente-deux salariés qui accueille également des engagés du service civique, des personnes bénévoles. Au total, cinquante personnes travaillent sur notre projet. L’entreprise emploie également des femmes et tout le monde peut prendre ses semaines de congés. C’est vraiment une question d’organisation et de conciliation.

Voilà ce que j’avais à dire. En ce qui concerne le projet de loi, j’insiste : il faut travailler ses dispositions afin qu’elles s’appliquent en dehors du champ des salariés.

Mme la présidente Catherine Coutelle. On nous a déjà fait remarquer que le projet de loi comportait des insuffisances, notamment pour ce qui est de la situation des professions libérales et des métiers qui ne confèrent pas la qualité de salarié. Mais tous les salariés ne bénéficient pas d’un compte épargne temps.

Si j’ai bien compris, vous allez chercher les enfants pour les emmener dans huit structures ?

Mme Chantal Mainguené, fondatrice de Môm’artre. Nous possédons en effet huit centres : cinq à Paris, trois en province. Nous essayons de développer le réseau dans toutes les villes où nous pouvons être utiles et, surtout, dans les quartiers très mixtes.

Je voudrais dire également que nos tarifs sont parfaitement adaptés aux revenus. Cela va de dix centimes à dix euros l’heure. La moyenne des tarifs acquittés par les familles s’élève à trois euros vingt. Nous avons affaire à des familles aux revenus très modestes. N’oublions pas que souvent, les chefs d’entreprise ne se rémunèrent qu’au bout de la troisième année de leur activité. Les tarifs doivent également tenir compte de cela. On croit que les chefs d’entreprise sont riches. Ce n’est pas vrai !

Mme la présidente Catherine Coutelle. Tous ne sont pas cotés au CAC 40, c’est certain.

Mme Anne-Cécile Mailfert, responsable du développement au sein du Mouvement des entrepreneurs sociaux (Le Mouves). Il est intéressant de noter que cela fait quarante-huit ans et trois jours que les femmes ont le droit d’entreprendre sans l’autorisation de leur père ou de leur mari. Ce droit leur a en effet été reconnu le 13 juillet 1965. Même si les femmes ont aujourd’hui le droit et la volonté d’entreprendre, on se rend bien compte qu’elles créent moins d’entreprises que les hommes.

Le Mouvement des entrepreneurs sociaux existe depuis trois ans. Il fédère et représente les entrepreneurs sociaux, soit les dirigeantes et dirigeants d’entreprises sociales. Une entreprise sociale a une finalité sociale et environnementale extrêmement forte et a des pratiques qui garantissent que l’activité et le profit économiques sont placés au service de l’intérêt général et de la satisfaction des besoins sociaux et environnementaux.

Le Mouves travaille beaucoup sur l’entreprenariat social. Nous avons participé aux assises de l’entreprenariat. Nous sensibilisons beaucoup de jeunes à l’économie sociale et solidaire et à l’entreprenariat social. En 2012, notre action a touché 12 000 jeunes. Depuis l’an dernier, nous avons fait le choix de nous attaquer sans détour à la question de l’entreprenariat des femmes et des inégalités entre les hommes et les femmes en la matière. Il y a là une forte volonté de notre conseil d’administration, renouvelé le mois dernier et aujourd’hui composé de façon presque paritaire.

Dans la mesure où nous agissons pour l’entreprenariat social, on pourrait penser que nous nous intéressons à des métiers « féminisés » relatifs, par exemple, à l’offre de soins. On pourrait donc imaginer que l’entreprenariat social est un milieu où les femmes sont majoritaires, eu égard à la nature des activités en question. On constate pourtant que les caractéristiques de l’entreprenariat social ne sont pas tellement éloignées de celles de l’entreprenariat classique. Au Mouves, nous avons essayé de mener une étude sur nos entrepreneurs et avons pu dégager quelques éléments statistiques. 21 % des répondants sont des femmes, ce qui est moins que le nombre des créatrices d’entreprise (29 %). On se rend compte également que plus l’entreprise comporte de salariés, moins il y a de femmes. Aussi, plus la structure est importante, plus la probabilité qu’un homme la dirige est élevée.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Pensez-vous que ce phénomène s’observe au fur et à mesure que l’entreprise embauche car elle se développe, ou que le phénomène existe dès la création de l’entreprise ?

Mme Anne-Cécile Mailfert. Il me semble que les femmes sont plus susceptibles de créer des entreprises – de services par exemple – ayant moins vocation à « grossir ». Par ailleurs, il apparaît que les femmes appartiennent moins à des réseaux, qui aident pourtant beaucoup au développement des structures.

Ce que l’on peut lire dans les publications de France Active, du Centre d’analyse stratégique, du Laboratoire de l’Égalité ou encore de votre délégation confirment que les réseaux sont importants – ce qui nous conforte dans l’idée que notre action est utile. Nous sommes utiles à double titre : d’une part, nous pouvons mettre en contact nos entrepreneurs avec des financeurs ; d’autre part, nous travaillons sur la mise en valeur de la figure de l’entrepreneur et de l’entrepreneure. Nous travaillons notamment beaucoup sur la figure de l’entrepreneur social et essayons d’être pédagogue sur la question.

Nous avons fait le choix de faire un travail important sur l’accessibilité de notre réseau et avons donc cherché à définir de bons formats et horaires de réunion. Nous allons aussi organiser une journée de sensibilisation aux inégalités de genre afin que nos entrepreneurs sociaux aient la possibilité de réfléchir ensemble à cette importante question.

En ce qui concerne nos préconisations dans le cadre du projet de loi, Mme Mainguené les a déjà bien évoquées.

Mme Édith Daurier, responsable des partenariats privés de l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie). Nous existons depuis vingt-cinq ans et sommes présents en France métropolitaine et en outre-mer. Nous comptons 450 salariés et 1 500 bénévoles répartis dans 130 antennes sur le territoire. Le cœur de notre métier est d’apporter des financements et d’accompagner des entrepreneurs. Nous comptons également des permanences chez des partenaires qui travaillent à la création d’entreprise. Ce sont les bénévoles – souvent des personnes à la retraite offrant leur temps et leurs compétences – qui accompagnent les entrepreneurs.

Nous finançons des très petites entreprises (TPE), le plan de financement ne pouvant pas excéder 10 000 euros. À l’Adie, la moyenne de prêt pour une création d’entreprise est de 3 000 euros. Nous avons affaire à des personnes qui n’ont pas accès au crédit bancaire, parce qu’elles sont souvent au chômage où bénéficiaires des minima sociaux, ce qui explique qu’elles s’adressent à nous. Ces personnes souhaitent modifier leur quotidien parce qu’elles ne se satisfont pas de leurs conditions d’existence. Elles ont l’audace de tenter leur chance dans la création d’entreprise et nous leur apportons une aide financière. L’accompagnement que nous réalisons dure tout le temps de la période de remboursement.

Nous constatons qu’à l’Adie, il y a plus de femmes qui créent des entreprises qu’à l’échelle nationale. Elles représentent 42 % des personnes à qui nous apportons une aide financière contre 32 % à l’échelle nationale. Les femmes sont très sensibles à l’accompagnement : 58 % des créateurs d’entreprise que nous accompagnons sont des femmes. Comme cela a été rappelé, les femmes sont parfois moins sûres d’elles, ont des difficultés à prendre l’initiative, à combattre les préjugés dont elles sont la cible… Peut-être se sentent-elles plus fragiles, ce qui explique qu’elles soient très preneuses d’accompagnement et de formation.

En règle générale, les femmes empruntent un peu moins que les hommes que nous aidons – 2 700 euros en moyenne – et remboursent de manière plus fiable. Leur taux d’impayés est en effet inférieur à celui des hommes même si la différence n’est pas énorme : 6 % contre 6,9 %. Leur niveau de formation est légèrement inférieur à celui des hommes mais cela ne les empêche pas de se lancer dans la création d’entreprise.

68 % des entreprises créées auxquelles nous avons apporté une aide financière existent toujours au bout de deux ans. Jusqu’à présent, nous accompagnions indistinctement des hommes et des femmes. Nous nous sommes toutefois aperçus que les freins étaient plus importants pour les femmes et nous réfléchissons sérieusement aux moyens de modifier notre communication à leur égard. Nous croyons beaucoup à l’exemplarité ; nous finançons des personnes issues de tous les milieux, ayant des parcours très divers, des jeunes et des moins jeunes. Ces personnes ont un point commun : elles ont, à un moment ou à un autre, perdu leur emploi et n’en ont pas toujours retrouvé un, mais ont souhaité se lancer dans un projet de création d’entreprise.

Pour les femmes, s’ajoute l’obligation de s’occuper des enfants et, plus généralement, des tâches ménagères. Beaucoup d’entre elles, en Île-de-France, vivent sans conjoint – et doivent donc s’occuper seules des enfants. Beaucoup sont multi-salariées mais cela ne suffit pas. Elles profitent de leur temps libre (le week-end notamment) et de leur réseau pour mettre en place ce que nous appelons des activités génératrices de revenus. Nous réfléchissons aux moyens, pour elles, de déclarer leurs activités afin de les faire entrer dans un cadre légal.

Nous voulons faire la démonstration que la création d’entreprise par les femmes est possible. D’ici la fin de l’année 2013, nous allons communiquer différemment et mettre davantage en avant les femmes qui ont bénéficié de nos financements, à travers l’organisation de journées « portes ouvertes », de rencontres, de témoignages…de façon à ce que les femmes qui ont de l’expérience dans ce domaine puissent en parler. Même si la création d’une entreprise est un processus complexe, il faut y croire car cela permet aux personnes concernées de retrouver une place dans la société et de ne plus être « invisibles ».

À l’Adie, nous avons un dispositif dédié aux jeunes de dix-huit à trente-deux ans, qui accueille 51 % de femmes souhaitant créer leur entreprise. En 2014, l’objectif est de mettre en place une cellule de veille économique destinée à renseigner sur les secteurs économiques les plus porteurs, mais aussi un fonds de prêt d’honneur (à taux zéro) dédié aux femmes afin de simplifier les montages financiers existants. Nous voulons également développer la mise en réseau.

Mme Barbara Romagnan. Merci beaucoup, mesdames, pour vos interventions. Vous n’avez pas toujours dit ce qu’il vous semblerait utile de faire figurer dans la loi. Il conviendrait de rappeler aux banques que les femmes ne remboursent pas moins bien leur crédit que les hommes. J’ai noté aussi qu’il faudrait que les femmes cheffes d’entreprise puissent bénéficier, à l’instar des salariées, de places en crèche pour leurs enfants. Il faudrait en tout état de cause accroître les places disponibles en crèche.

Je me demande dans quelle mesure le service du remplacement dans le secteur agricole – qui organise le remplacement des agriculteurs lorsque ceux-ci tombent malades par exemple – pourrait servir de modèle à un dispositif facilitant le remplacement des cheffes d’entreprise. Avez-vous réfléchi à cette question ?

Mme Elisabeth Kimmerlin. Dans le cadre de l’entreprise, il s’agirait de favoriser les offres – qui existent d’ailleurs sur le marché du travail –  liées au management de transition pour des fonctions basiques et transverses. Il s’agit ici de remplacer un manager en cas de crise. La fonction de chef d’entreprise est plus spécifique et différente de celle de chef d’exploitation agricole. Tout cela serait donc à organiser. Le point clé est le financement car durant les premières années d’existence de l’entreprise, le chef d’entreprise ne se rémunère pas. Il faudrait donc un remplacement mais dans un cadre de mutualisation. J’insiste d’ailleurs sur la nécessité absolue pour le chef d’entreprise de prendre toutes les assurances, notamment sociales, adéquates, car son environnement juridique est différent de celui du salarié.

Il faut être conscient que les femmes cheffes d’entreprises n’accumulent pas de trimestres en vue de leur retraite. C’est vrai pour les hommes entrepreneurs aussi, mais comme les femmes ont plus souvent des carrières hachées, ce phénomène est aggravé pour elles.

Mme Anne-Cécile Mailfert. Mettre en place un fonds de garantie pour l’entreprenariat serait une mesure intéressante pour l’accès au financement et pour rassurer les banques un peu frileuses. Actuellement, il n’est pas possible de créer son entreprise durant le congé parental. Ne pourrait-on pas envisager de pouvoir au contraire profiter de ce congé pour créer son entreprise dont le démarrage est long? Par ailleurs, je crois que se faire remplacer dans son entreprise est faisable quand on a un salarié qui peut être formé pour cela : la mise en place de binômes pourrait être promue.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Durant le congé parental, il est parfois difficile de se voir attribuer une place de crèche pour son enfant, ce qui peut aussi être un obstacle. Les entreprises sont très différentes : aussi un système de remplacement est-il difficile à mettre en œuvre.

M. Jacques Moignard. Pouvez-vous préciser la spécificité de l’entreprenariat « au féminin » ? J’ai siégé de nombreuses années dans une instance d’accompagnement à la création d’entreprise et je ne vois pas quelle particularité s’attache à ces entreprises « au féminin ». Peut-on dresser une typologie de ces entreprises, concernent-elles un champ économique particulier ?

Mme Edith Gueugneau. Le service de remplacement joue un rôle important en milieu rural dans les entreprises agricoles et constitue une bonne réponse. J’observe malheureusement, que souvent dans les très petites entreprises, où la patronne est seule à la tête de son entreprise, lorsqu’elle tombe malade, l’entreprise ferme car on ne trouve pas de remplaçant. Il faudrait inventer une solution pour ces cas, car l’enjeu est tout simplement la survie de l’entreprise.

Mme Marie-Noëlle Battistel. J’ai moi-même une expérience de cheffe d’entreprise puisque j’ai créé, il y a 16 ou 17 ans, une entreprise de transport de voyageurs, dans un milieu très masculin. Je n’ai pas rencontré de difficulté particulière avec les banques ; en revanche, il faut obtenir une capacité de transport et embaucher des femmes comme conductrices d’autocar ce qui était inédit à l’époque. Sur les cent candidats qui se sont présentés à l’examen pour conduire ces autocars, toutes les femmes–peu nombreuses– ont été reçues. Pendant les premières années, je n’ai effectivement pas pu prendre de salaire et je n’ai pas non plus validé, pendant deux ans, de trimestres en vue de ma retraite. Il a fallu six ou sept ans pour stabiliser mon entreprise ; aussi je confirme qu’il n’est pas facile de compenser cette perte de salaire et de cotisation en vue de la retraite.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il aurait été possible de racheter des trimestres. Il semble que les hommes rachètent beaucoup plus de trimestres que les femmes.

Mme Elisabeth Kimmerlin. Pour répondre à M. Moignard, je dirais que les femmes créent tous types d’entreprises, dans tous les secteurs d’activités mais en trop faible proportion. J’accompagne pour ma part des femmes qui ont créé leur entreprise dans le secteur de l’économie numérique. Évidemment, l’entreprise créée par une femme est la même que celle créée par un homme en termes d’offre et d’impératifs économiques, mais le cheminement du projet puis le financement seront appréhendés différemment, avec une prise de risque différente. L’ambition pour l’entreprise sera différente du fait de l’éducation reçue et du poids des stéréotypes. Le chemin poursuivi par les femmes est néanmoins sûr et permet de créer de belles entreprises, bien qu’il ne corresponde pas au stéréotype de l’entrepreneur, du « business man ». Pour certains, si une femme crée une entreprise, c’est qu’elle a terminé son congé de maternité et cherche à s’occuper…ça n’en fait pas une « business woman ».

Concernant la relation avec les banques, je remarque que souvent, la première question du banquier à qui vous soumettez votre projet est : « et que fait votre mari, quel est son salaire ? »

Pour de nombreuses raisons, y compris l’image qu’elles ont d’elles-mêmes, le cheminement des femmes créatrices d’entreprises est différent de celui des hommes. Les femmes entrepreneurs sont confrontées comme les salariées à la problématique de la conciliation des temps : vie professionnelle – très remplie – et vie familiale, avec, en plus, un risque sur la rémunération.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Dans le Poitou, des hommes ont aussi créé des entreprises dans le numérique, et j’ai pu constater qu’ils ne se posaient pas du tout la question de l’articulation des temps. Ce sont toujours les femmes qui doivent gérer cette question et faire des choix. Parfois, et c’est triste à dire, en cas de divorce et de garde partagée une semaine sur deux, les hommes prennent conscience du problème.

Mme Bella Borromei, responsable de l’accompagnement régional Île-de-France de l’ADIE. En Île-de-France, beaucoup d’entreprises créées par les femmes interviennent dans le secteur des services aux entreprises ou à la personne. Pour ce qui concerne le remplacement, la réglementation dans de nombreux secteurs – le métier de coiffeur, par exemple – impose au remplaçant d’être également diplômé. L’ADIE aide à la création d’entreprise à partir d’un apport de 2 000 euros.

Mme Elisabeth Kimmerlin. Les femmes créent des entreprises dans tous les domaines d’innovation. Toutefois, comme il n’y a que 15 à 20 % de filles dans les études scientifiques, il y a seulement 10 % de femmes dans la création d’entreprises innovantes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous retrouvons cette question de l’orientation des jeunes filles dans les études supérieures, où elles investissent beaucoup moins que les garçons les champs scientifiques. Il est indispensable de parvenir à diversifier les choix des filles quant à leur futur métier, et à parvenir à une meilleure parité dans les disciplines.

L’audition s’achève à 18 heures 15.