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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 17 septembre 2013

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 39

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Examen du rapport d’information de Mme Maud Olivier sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel

– Information relative à la Délégation

La délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a examiné le rapport d’information présenté par Mme Maud Olivier sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel.

La réunion commence à 16 heures.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous parvenons aujourd’hui à la conclusion de notre travail, commencé en novembre 2012, sur la question de la prostitution et sur les moyens de renforcer la lutte contre ce que nous appelons le système prostitutionnel, afin de mieux accompagner et aider celles et ceux qui en sont les victimes.

Je vous rappelle que la logique du travail décidé par la Délégation aux droits des femmes a été de s’inscrire dans le prolongement de la mission d’information conduite en 2010 et 2011 par Mme Danielle Bousquet, présidente, et M. Guy Geoffroy, rapporteur, au sein de la commission des Lois de l’Assemblée nationale. Cette mission d’information avait abouti à un rapport très complet présenté en 2011, dont nous avons d’ailleurs demandé la réimpression car il était épuisé : il demeure en effet un élément d’information et de réflexion essentiel sur cette question.

À la suite de la mission d’information, une résolution avait été adoptée à l’unanimité, en décembre 2011, par l’Assemblée nationale, qui rappelait la position abolitionniste de notre pays.

Enfin, je rappelle aussi qu’une proposition de loi avait été déposée par les auteurs du rapport mais n’avait pas pu être inscrite à l’ordre du jour, car la législature touchait à sa fin.

Le travail que nous avons conduit depuis novembre dernier a été mené à la fois en Délégation, avec six réunions consacrées à ce sujet, et au sein du groupe de travail que nous avons constitué à cet effet, qui a été animé par Mme Maud Olivier en sa qualité de rapporteure. Le groupe de travail a ainsi tenu dix-huit réunions et auditions sur les différents aspects du système prostitutionnel. Nous arrivons aujourd’hui au terme de ce travail avec ce rapport qui vous sera présenté par Maud Olivier.

Je soulignerai que la rapporteure et les membres du groupe de travail ont souhaité privilégier une approche concrète du sujet, par des contacts directs avec des personnes prostituées, avec les acteurs concourant à la prise en charge et l’accompagnement de ces personnes, mais aussi avec les autorités publiques chargées de lutter contre la prostitution et ses formes organisées. Notre but a été que les personnes prostituées victimes de traite et de proxénétisme puissent être accompagnées pour sortir de la prostitution et se réinsérer.

Le groupe de travail a en outre effectué cinq déplacements, se rendant à Rennes, à Strasbourg, dans le 18ème arrondissement de Paris, à Poitiers. Des réunions de travail ont également eu lieu à Évry avec le Conseil général de l'Essonne, à l’initiative de Mme Maud Olivier. Dans ces différents lieux, des tables rondes ont été organisées, réunissant tous les intervenants locaux associés à la lutte contre la prostitution. Nous avons constaté lors de ces échanges un manque de coordination entre les différents acteurs impliqués

Enfin, la rapporteure s’est rendue en Suède, à Stockholm, pour mieux connaître le bilan de la loi relative à la prostitution en vigueur dans ce pays. Les autorités ont un recul suffisant sur cette loi adoptée en 1998 pour en apprécier les conséquences tant pour la situation des personnes prostituées que sur la criminalité organisée.

Je donne la parole à Mme Maud Olivier qui va nous présenter ses principales constatations et les conclusions de son rapport assorti de quarante recommandations. Nous souhaitons que ce travail soit complété par le dépôt prochain d’une proposition de loi complète, et non limitée à la seule abrogation du délit de racolage. Lorsqu’elle sera déposée, je soutiendrai la demande de constitution d’une commission spéciale au sein de l’Assemblée nationale pour l’examiner, afin que des députés de différentes commissions puissent participer à ce travail.

Mme Maud Olivier. Je vous présente aujourd’hui la conclusion d’un travail qui s’est déroulé sur une année et pour lequel j’ai souhaité dès le début qu’il s’inscrive dans le prolongement de celui accompli par Danielle Bousquet et Guy Geoffroy en 2010 et 2011, afin d’en être en quelque sorte la concrétisation, avec le dépôt et l’examen d’une proposition de loi globale comportant de nombreuses mesures répondant aux différents aspects du phénomène prostitutionnel.

Je vous donne quelques statistiques qui fixent le cadre dans lequel se situe notre débat. Si dans les années 1990, 20 % seulement des personnes prostituées étaient étrangères, cette proportion est aujourd’hui de 90 %, Le phénomène prostitutionnel est donc en très grande partie la conséquence de l’activité de réseaux de traite des êtres humains bien organisée, qui font venir les personnes prostituées sur notre territoire comme dans d’autres pays européens pour les exploiter.

Il faut s’ôter de la tête les merveilleux articles de presse et interviews présentant la prostituée de 23 ans riche et heureuse, car cette situation si elle existe concerne 0,02% des personnes prostituées.

Nous mettons en évidence, dans le rapport, les constats très défavorables qui sont dressés dans les pays qui ont règlementé l’exercice de la prostitution : l’exemple de l’Allemagne y figure, qui compte aujourd’hui 3 500 maisons closes. On y constate que la gestion de ces établissements est devenue un « business » comme un autre, que l’excès de l’offre génère une concurrence entre les établissements et une surenchère de « sensations inédites » auprès du client et, en fin de compte, des conditions de travail et des conditions sanitaires dégradées pour les personnes prostituées. En outre, la prostitution de mineurs y a explosé.

La loi française actuelle protège les mineurs en prévoyant que le recours à la prostitution sur un mineur ou une personne vulnérable est sanctionné de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, ce qui représente un message très clair, Nous devons aller au-delà en énonçant aussi clairement que tout achat d’acte sexuel même sur une personne majeure est un acte répréhensible à pénaliser.

Notre rapport d’information comporte quatre axes : mieux lutter contre les réseaux de traite et de proxénétisme, accompagner globalement les personnes prostituées, notamment en les aidant à sortir de la prostitution, renforcer l’éducation à la sexualité et la prévention, et, enfin, responsabiliser les clients et pénaliser l’achat d’actes sexuels. Il est suivi de quarante recommandations pour des actions dans ces différents domaines.

Le premier axe est le renforcement de la lutte contre la traite et le proxénétisme. L’exploitation sexuelle, sur le territoire français, des personnes victimes des réseaux de traite, s’exerce de plus en plus à la faveur d’Internet. L’action des services de police et de gendarmerie contre le proxénétisme peut évidemment se prolonger sur Internet, avec l’identification des sites offrant des services sexuels et de leur lieu d’hébergement et la poursuite de leurs responsables. Cependant les services se heurtent vite à des difficultés lorsque les sites sont hébergés à l’étranger, dans des pays où le proxénétisme n’est pas interdit.

Or nous devons faire respecter notre droit, et pour cela nous doter des outils appropriés pour intervenir à l’encontre de ces sites, c'est-à-dire en pratique obtenir des fournisseurs d’accès Internet le blocage de l’accès du public aux sites qui portent à la connaissance du public des activités prostitutionnelles organisées par un proxénète ou rendues possible par un réseau de traite. De telles dispositions existent déjà pour les sites illégaux de jeux en ligne et pour les sites diffusant des images pédopornographiques.

Il conviendrait ensuite de renforcer l’action diplomatique de notre pays en matière de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, en obtenant des pays d’origine des victimes et des auteurs de traite la signature d’accords d’entraide bilatérale et l’application de ces accords quand ils existent. Au plan de l’Union européenne, la coopération en matière de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains devrait être prévue dans le cadre de tous les accords de partenariat conclus avec des pays tiers.

J’aborderai ensuite l’axe de notre travail relatif à la politique préventive, car notre ambition est de changer les représentations tant chez les adultes que chez les jeunes, et, à terme, changer les comportements.

Nous estimons nécessaire de mener une campagne nationale d’information et de sensibilisation sur la violence inhérente à la prostitution et au proxénétisme, et leur lien avec la traite des êtres humains. C’est pourquoi nous proposons qu’un délai de six mois soit laissé entre la promulgation de la loi pénalisant le recours à la prostitution et l’entrée en vigueur, pour des actions de pédagogie. C’est ainsi que des temps d’information sur les chaînes et radios publiques pourraient être prévus après la promulgation de la loi pour informer les citoyens sur les réalités de la prostitution et déconstruire les idées reçues.

L’autre forme de prévention à instaurer est celle à destination des jeunes. Notre connaissance de l’ampleur de la prostitution impliquant des mineurs est très faible : il y a donc lieu de conduire une enquête sur ce phénomène comme sur l’efficacité des dispositifs de prise en charge de ces mineurs.

Je veux citer une enquête conduite à ma demande en avril 2013 par le Conseil général de l’Essonne, visant à mesurer l’ampleur du phénomène prostitutionnel dans les deux universités de ce département. Un questionnaire a été envoyé aux étudiants inscrits dans les universités d’Évry et de Paris XI (Orsay). Le nombre de réponses exploitables (843) correspondait à 2,5 % de l’effectif des deux universités. Il est ressorti de cette enquête que 2,7 % des répondants déclarent avoir déjà eu un rapport sexuel contre argent, biens ou services. La quasi-totalité des personnes déclarant avoir recours à des pratiques prostitutionnelles rencontrent des difficultés financières, le plus souvent chroniques.

L’éducation à la sexualité obligatoirement dispensée dans les établissements scolaires, qui fait d’ailleurs l’objet d’une mise en œuvre inégale, doit inclure au niveau du lycée un volet de mise en garde et d’explication sur la prostitution et les conduites qui peuvent y être apparentées, et de même sur la notion de proxénétisme. Ainsi qu’en ont témoigné les inspecteurs de l’Inspection générale des affaires sociales, entendus par la Délégation, le comportement de certains jeunes, conduisant leurs amies à avoir des relations sexuelles tarifées en échange d’argent ou de cadeaux, s’apparente à un début de proxénétisme, même si ces faits ne sont qu’occasionnels. Il y a donc lieu d’être très vigilant sur les représentations qu’ont les jeunes de la prostitution. La prévention des relations sexuelles tarifées est donc une dimension indispensable de l’éducation apportée en milieu scolaire.

J’attire votre attention sur le fait que sur 40 recommandations, 25 touchent à l’accompagnement global que nous voulons mettre en place pour aider les personnes prostituées à se réinsérer dans une vie normale.

Lors de nos déplacements en région, nous avons constaté, comme l’IGAS l’a fait aussi d’ailleurs, un défaut de coordination entre les services de l’État pour les actions de lutte contre le proxénétisme et la traite et l’aide aux personnes prostituées. C’est pourquoi nous préconisons la mise en place d’une sous-commission chargée de la lutte contre la prostitution au niveau départemental, au sein du comité de prévention de la délinquance ou de la commission de lutte contre les violences faites aux femmes. Cette sous-commission suivrait la mise en place de parcours de sortie pour les personnes prostituées désireuses de sortir de la prostitution.

Pour ces personnes, nous proposons un parcours social de sortie de la prostitution, dans le cadre d’un contrat entre la personne prostituée, l’association habilitée à l’accueillir dans ce parcours et le représentant du préfet. La sous-commission que je viens de mentionner aurait un rôle important dans l’ouverture des différentes aides qui seraient attribuées à la personne bénéficiaire.

Dans le cadre de cet accompagnement global que nous proposons, seraient prévus, selon les besoins, l’attribution d’un titre de séjour, l’attribution de l’allocation temporaire d’attente, l’accès à la formation, l’accès à un hébergement d’urgence ou au logement social en tant que public prioritaire. Pour que cet accompagnement soit mis en œuvre suffisamment longtemps, il faut stabiliser les crédits alloués aux associations afin de leur permettre de bâtir ces parcours de sortie et renforcer leur présence et leur intervention. Cette intervention en direction des personnes prostituées devra se faire de plus en plus à la suite d’une entrée en contact via Internet, où les sites d’annonces se sont multipliés comme point de contact entre la personne prostituée et le client.

J’en viens à la responsabilisation des clients, qui nous paraît être la suite logique des législations que nous avons déjà adoptées au cours des dernières années, comme celle relative au harcèlement sexuel par exemple.

La prostitution contrevient au principe d’égalité entre les sexes, car les clients sont à 99 % des hommes. Elle heurte les principes fondamentaux de notre société, comme la non patrimonialité du corps humain qui fait obstacle à ce que le corps humain soit considéré comme une source de profit. En outre, les agressions sexuelles, physiques et psychologiques qui accompagnent souvent la prostitution, et la répétition fréquente d’actes sexuels non désirés, portent atteinte à l’intégrité du corps des personnes prostituées.

Notre dispositif admet donc la pénalisation, dans le sens d’une pédagogie : ce n’est pas respecter les droits de l’être humain que d’acheter un acte sexuel.

L’achat d’acte sexuel serait puni d’une contravention de 5ème classe. Cette condamnation pourra être accompagnée d’une peine complémentaire consistant en un stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution, sur le modèle des stages de sensibilisation à la sécurité routière ou aux dangers de l’usage des produits stupéfiants. S’il y a récidive, la contravention deviendrait un délit puni au maximum de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.

J’insiste sur le fait que notre objectif n’est pas de mettre les gens en prison, mais de faire avancer la prise de conscience qu’acheter un acte sexuel n’est pas respectueux des droits humain et de la dignité de la personne humaine. Les clients ne mesurent pas à quel point la vie des personnes prostituées est difficile et côtoie bien souvent la violence, et il est souhaitable qu’ils commencent à en prendre conscience.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous avez donc à votre disposition ce travail important et complet réalisé par la rapporteure, ainsi que le rapport de la mission « Geoffroy-Bousquet » de 2011 ; j’insiste sur le fait que ces travaux sont complémentaires.

M. Guy Geoffroy. Le travail de Mme Maud Olivier est excellent à la fois parce qu’il constitue un approfondissement de la réflexion qui a été menée, sous la précédente législature, dans le cadre de la mission d’information sur la prostitution en France, dont j’ai été le rapporteur, et aussi parce qu’il constitue en lui-même un apport qui s’inscrit dans la parfaite continuité de ce qui a été fait.

Sous la précédente législature, un consensus positif, et pas seulement a minima, avait animé nos travaux. Je constate avec satisfaction et sans surprise que cette même dynamique continue, sous la présente législature, à caractériser notre réflexion. Je me réjouis de ce que ce rapport comporte des compléments et des éléments d’actualisation que j’approuve et qui permettent de préciser certaines des propositions qui avaient été formulées dans mon rapport de 2011. Le groupe UMP, que je représente ici avec ma collègue Marie-Jo Zimmermann, continuera à aller dans la même direction.

Je tiens cependant à vous alerter sur le risque auquel nous faisons face de voir les médias rendre la présentation du travail de Mme Maud Olivier biaisée, parce que raccourcie. La seule question qui va nous être posée, c’est : « Alors, vous voulez punir le client ? ». Oui, mais la pénalisation de la prostitution n’est pas une fin en soi et ce n’est pas la seule conclusion du travail mené par Mme Maud Olivier. Ce travail d’ensemble prend à bras-le-corps l’ensemble des problématiques liées à la prostitution, en l’envisageant sous tous les angles, pour tenter d’apporter des réponses dans la durée, à travers toutes les politiques publiques possibles, et pour tenter de susciter des modifications dans l’état d’esprit de nos concitoyens, en particulier du sexe masculin.

Je suis sensible au fait que les propositions de Mme Maud Olivier sur la responsabilisation des clients soient graduées, proposant d’abord une contravention avec éventuellement une peine complémentaire pouvant consister en un stage de responsabilisation, puis un délit en cas de récidive du client.

Toutefois, je tiens à souligner qu’il n’y a aucun sens à ce que la pénalisation du client soit envisagée sans l’ensemble des autres recommandations de ce rapport. Je ne voudrais pas qu’une certaine presse et tous ceux qui, à ses côtés, ont un intérêt objectif à le faire, regardent le travail de Mme Maud Olivier par le petit bout de la lorgnette. Ce serait inconvenant et injuste au regard de l’ampleur du travail effectué, et cela ne permettrait pas d’avancer sur la voie de l’abolition de la prostitution.

Les « modernes » sont du côté de l’abolition de la prostitution. Ils ne sont pas du côté de ceux qui pensent que la modernité est celle d’une liberté sublimée permettant à toute personne de jouir de son corps comme elle l’entend, y compris en vendant des services liés à son corps. La prostitution est un drame qui touche des êtres humains dont 90 % font l’objet d’une véritable traite et de violences. Il faut lutter avec toujours plus de vigueur contre ceux qui sont à la tête de ces réseaux de traite des êtres humains et contre tous ceux qui font, d’une manière ou d’une autre, œuvre de proxénétisme. Il faut également avancer dans le sens de la responsabilisation de tous les acteurs de la société, et aussi protéger et accompagner les prostituées.

Je vote en faveur de l’adoption de ce rapport avec toute ma conviction, et je salue une nouvelle fois son excellente qualité.

Plus tard, dans le cadre de la commission spéciale qui va se constituer pour examiner une proposition de loi sur la prostitution, nous avons une belle œuvre à accomplir. Nous devons affirmer que la modernité et la liberté sont du côté de ceux qui prônent l’abolition de la prostitution. La modernité n’est pas du côté de ceux qui veulent faire croire que la prostitution serait une liberté qu’il faudrait défendre. Je n’ai jamais entendu de prostitué qui soit heureux, car la prostitution constitue, en soi, une violation absolue des fondamentaux de la dignité humaine.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie pour cette prise de position. Nous avons eu, au sein du groupe de travail, une discussion sur la recommandation n° 31 de ce rapport qui préconise d’abroger le délit de racolage public prévu par l’article 225-10-1 du code pénal, délit qui sanctionne et stigmatise les personnes prostituées. Pourriez-vous, M. Guy Geoffroy, m’indiquer quelle est votre position et quelle pourrait-être celle du groupe UMP sur cette recommandation ?

M. Guy Geoffroy. Compte tenu de l’évolution des normes européennes et, en particulier, des orientations de la directive européenne de 2011 sur la traite des êtres humains que nous venons de transposer en droit interne il y a quelques semaines, toute pénalisation des personnes en situation de prostitution deviendrait obsolète. Afin de maintenir et de garantir le consensus républicain qui nous avait réunis au cours de la précédente législature, il nous semble préférable d’attendre qu’une loi pénalisant les clients de la prostitution soit adoptée et qu’elle produise ses premiers effets avant d’envisager l’abolition des délits de racolage, et notamment le délit de racolage passif. Il serait regrettable que la question de l’abolition des délits de racolage soit une source de difficultés entre la majorité et l’opposition.

Il faudra écrire une proposition de loi sur la prostitution de telle façon qu’elle soit une déclinaison de la transposition de la directive européenne sur la traite des êtres humains. Ainsi, de manière ouverte et transparente, nous serons en totale cohérence avec ce que nous nous sommes dit jusqu’ici.

Il faut que notre réflexion chemine sans posture dogmatique. Le contexte de la transposition de la directive européenne sur la traite des êtres humains devrait nous permettre d’aller en douceur et en cohérence jusqu’au bout de notre démarche.

Jamais il n’a été question de stigmatiser les personnes prostituées. Dans le passé, on n’a jamais osé poser la vraie question : « Messieurs les clients, quelle est votre responsabilité dans tout cela ? » Le faire me semble aller de pair avec l’abolition du délit de racolage public et la suppression de la pénalisation des personnes prostituées.

Il serait vraiment dommage qu’il y ait quelques grains de sable qui, au cours de l’examen d’une prochaine proposition de loi sur la prostitution, du fait de la crispation de certains, gênent le travail parlementaire allant dans le sens de l’abolition de cette pratique. C’est à nous d’écrire un texte de loi de qualité qui montre qu’une fois la prostitution abolie, la pénalisation du racolage deviendra obsolète.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je voterai ce rapport sans aucune hésitation, y compris sa recommandation n° 31. Chacun d’entre vous connaît l’esprit d’indépendance qui m’anime ; l’abolition du délit de racolage est, pour moi, une nécessité. Je tiens par ailleurs à remercier la rapporteure pour l’acte de courage dont elle vient de faire preuve ici, à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas une question qui se traite avec facilité, et vous l’avez fait avec beaucoup de dignité. Je tiens à le souligner et à vous en remercier.

En outre, en ce qui concerne l’éducation, point auquel je suis très sensible, il est absolument indispensable que les questions relatives à l’égalité entre les hommes et les femmes soient abordées très tôt. Tous les rapports qui concernent ces questions devraient comporter de telles recommandations. C’est trop souvent une notion que l’on estime entrée dans les mœurs. Or tel n’est pas le cas, comme en témoigne ce que vous avez relaté aujourd’hui.

Mme Édith Gueugneau. La prostitution est un sujet difficile. Je me satisfais de ce que la rapporteure préfère le terme de « responsabilisation » à celui de « pénalisation ». En effet, la pénalisation ne fera pas disparaître la prostitution, mais accentuera sa clandestinité. La pénalisation des clients, mise en œuvre dans d’autres pays, ressort parfois de la politique de l’autruche…

Pour reprendre les conclusions du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, il existe bel et bien des prostitutions, aux réalités contrastées. Nous le constatons d’ailleurs dans nos territoires.

Protéger ces femmes est une nécessité. Néanmoins, il faut que les pouvoirs publics définissent une stratégie pour assurer le pilotage et la cohérence de cette politique. Un réel cadre pour l’action éducative dans ce domaine se révèle nécessaire aujourd’hui. La politique en matière de prostitution, comme en matière de violences faites aux femmes, ne peut se faire sans moyens financiers. L’accompagnement vers la sortie de la prostitution, comme la formation de l’ensemble des acteurs, me semblent intéressants, à condition que des moyens y soient affectés par le Gouvernement.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je constate, pour la regretter, notre méconnaissance de l’ampleur du phénomène prostitutionnel et des différentes prostitutions. Nous demandons que des études y soient consacrées, notamment à l’université, et que des statistiques soient réalisées. La question des moyens est importante, il faudra la suivre dans le cadre du projet de loi de finances.

Mme Maud Olivier. Nous espérons que le budget 2014 prévoira une progression de ces crédits pour mener à bien des actions efficaces contre la prostitution. Comme vous le verrez, le rapport comporte 25 recommandations consacrées à l’accompagnement social, sous différents aspects, des personnes qui veulent sortir de la prostitution. La sous-commission que je propose de réunir régulièrement au niveau du département serait le lieu du suivi des cas particuliers de ces personnes accompagnées vers la sortie de la prostitution.

Mais ce travail d’accompagnement suppose aussi de tarir la demande ou de la réduire : évoquer la responsabilisation, faire ce travail de pédagogie, doivent aider à une prise de conscience. Même si la prostitution ne s’arrêtera pas, il faut poser un interdit et donc créer une sanction.

Je m’oppose totalement à cette allégation du risque de développement d’une prostitution cachée et plus précarisée si la pénalisation du client est instituée. Ce n’est constaté dans aucun des pays, Suède, Norvège, Islande, qui ont instauré la pénalisation du client.

Je suis allée en Suède pour interroger les autorités et les associations à ce sujet. Les rapports d’évaluation successifs indiquent clairement qu’aucune augmentation de la prostitution clandestine n’est constatée. La loi est en application depuis quatorze ans dans ce pays, ce qui donne aux constats un recul suffisant.

Au contraire, le fait que ce ne soit plus la personne prostituée qui soit pénalisée mais le client donne à la personne prostituée plus de force pour porter plainte en cas d’agression ou de violences, pour refuser plus facilement au client des pratiques qu’elle ne souhaite pas ou l’absence de préservatif par exemple. La prostitution est toujours cachée dans une certaine mesure. Aucune violence n’est rapportée en Suède.

Les associations pourront accéder de la même façon aux personnes prostituées. La pratique suédoise est intéressante. Lorsque la police intervient pour interpeller le client, elle se fait accompagner par un travailleur social, qui prend contact à cette occasion avec la personne prostituée pour lui proposer une aide sociale ou sanitaire. Il faut souligner que le travailleur social propose de même une aide, à caractère psychologique, au client.

Mme Marie-George Buffet. Je veux d’abord saluer l’excellent travail réalisé. C’est un acte de courage que de s’attaquer à la question de la prostitution et d’oser porter la question de la liberté et de la dignité des femmes et des hommes victimes de ce fléau.

Je pense que la réunion d’une commission spéciale pour travailler sur cette proposition de loi est la bonne méthode en la matière. J’ai un souvenir extrêmement positif des travaux que la commission spéciale constituée dans le cadre du projet de loi sur les violences faites aux femmes avait conduits. Cela nous avait permis de parvenir à un vote fort et de donner un véritable sens politique et une réelle autorité à la loi en question. Cela n’aurait peut-être pas été le cas sans la réunion d’une commission spéciale.

Je pense par ailleurs que les observatoires ou commissions contre les violences faites aux femmes sont d’une grande importance. Il y en a un depuis des années en Seine-Saint-Denis, qui a permis de faire connaître à un très large public la réalité de ce qu’est la prostitution. Il y a par exemple eu une enquête tout à fait utile sur les violences faites aux filles au sein de leur famille. Ces éléments d’information sont nécessaires pour casser l’image véhiculée par certains médias, selon laquelle la prostitution pourrait être un métier « épanouissant ».

Il conviendrait aussi de répondre au texte portant sur le lien entre pénalisation de la prostitution et sida que nous avons reçu de la part d’un certain nombre de structures associatives – Act Up, AIDES, Médecins du monde…

Il faut penser aussi à l’information des personnes prostituées. Il y a de toutes jeunes prostituées qui, parfois, ne parlent pas français et n’évoluent que dans l’entourage de proxénètes. Comment leur faire parvenir l’information sur le contenu des mesures susceptibles d’être adoptées ?

Il faut répéter sans relâche le fait que 90 % des prostituées étrangères sont victimes de traite des êtres humains. Il est évident que la délivrance de cartes de séjour et la mise en place d’un accompagnement efficace au bénéfice de ces personnes vont jouer un rôle fondamental dans le processus que nous engageons. Nous nous étions d’ailleurs heurtés à des réticences sur ce point lorsque nous avions débattu de la loi sur les violences faites aux femmes. Il me semble qu’il faut passer le cap de l’accompagnement par la délivrance de titres de séjour.

Je suis d’accord sur la question de la responsabilisation des clients et la pénalisation telle qu’elle est envisagée dans la recommandation n° 39. Je pense aussi qu’il faut aller vers l’abrogation du délit de racolage.

La question des moyens doit être posée. Il faut attirer l’attention du Gouvernement sur ce point. Il est de la responsabilité publique de mettre les moyens adéquats au service de notre ambition. Nous ne pouvons pas décevoir. On se heurte d’ailleurs à la question des moyens dans le cadre de l’application de la loi sur les violences faites aux femmes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faudra effectivement des moyens car ce que nous proposons constitue un changement culturel important.

Mme Ségolène Neuville. Bien entendu, je voudrais saluer ce travail et dire que je suis entièrement d’accord avec les conclusions et recommandations du rapport. Je souhaiterais apporter des précisions qui ne sont pas d’ordre idéologique mais bien pragmatiques et concrètes. Pour ce faire, je m’appuierai sur mon point de vue de médecin spécialiste du VIH.

Je suis extrêmement surprise que des associations aussi sérieuses que l’association Élus locaux contre le sida, AIDES ou Act Up, tentent de nous dissuader de légiférer au moyen d’un argumentaire pauvre, sans chiffres pertinents, et truffé de contradictions flagrantes. Je voudrais d’ailleurs souligner qu’il n’y a, à l’heure actuelle, aucune étude dans le monde démontrant qu’il y aurait plus de risques, pour les prostituées, d’être contaminées par le VIH dans un pays abolitionniste que dans un pays réglementariste. Il n’y a aucune étude comparant la prévalence de la séropositivité VIH des prostituées dans les établissements ou dans la rue dans les pays réglementaristes (par exemple les Pays-Bas, l’Allemagne ou l’Espagne). Nous n’avons aucune donnée sur ce sujet. Le rapport de 2010 du CNS en est une illustration : s’il y a bien quelques chiffres sur la prostitution en France, il n’y en a aucun sur la séroprévalence des prostituées dans quelque pays que ce soit, et il n’y a pas non plus de comparaisons chiffrées sur le taux de séroprévalence en fonction du lieu de travail. Je ne vois donc pas comment on peut imaginer qu’en légiférant, il y aura une augmentation ou une diminution de la séroprévalence.

Je veux terminer en soulignant que dans une étude récente réalisée par des sociologues à La Jonquera – village situé à la frontière espagnole –, il n’y a aucune trace d’un quelconque suivi sanitaire des prostituées officiant dans les établissements de la ville. Cela montre que l’idée selon laquelle il y aurait un suivi sanitaire dans les pays réglementaristes abritant des établissements spécialisés n’est pas fondée. Je pense qu’il est de notre rôle de répondre à ce genre d’idées reçues et d’allégations.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je propose que Ségolène Neuville rédige un argumentaire que nous enverrons aux organismes et associations nous ayant fait parvenir le document en question. Nous le communiquerons à l’ensemble des membres de notre délégation ainsi qu’aux groupes politiques. Je signale tout de même que les membres du Planning familial sont très divisés sur le sujet.

Mme Conchita Lacuey. Je veux féliciter la rapporteure pour le travail réalisé ; c’est un acte de courage. Les vingt-cinq recommandations sur l’accompagnement social des prostituées sont porteuses de progrès. Je trouve en particulier que la recommandation n° 8 est très pertinente : raccrocher une sous-commission à la commission départementale de lutte contre les violences faites aux femmes permettra de lever certains tabous. On n’aborde par exemple jamais la question de la violence lorsque l’on parle de prostitution.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous propose d’adopter le rapport de Mme Maud Olivier et d’autoriser sa publication.

La Délégation adopte le rapport d’information de Mme Maud Olivier et autorise sa publication.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous rappelle par ailleurs que la Délégation avait décidé d’étudier le projet de loi portant réforme des retraites afin d’en examiner les principaux points et d’en connaître l’impact sur la situation des femmes. Ce travail devra être fait dans un délai excessivement bref, puisque le projet de loi est examiné en séance publique le 7 octobre.

La réunion s’achève à 18 heures 15.

Information relative à la Délégation

La Délégation a désigné Mme Catherine Coutelle, rapporteure d’information sur le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.