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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 18 décembre 2013

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 13

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Hélène Conway–Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des Affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger, sur l’action du Gouvernement contre les mariages forcés

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des Affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger, sur l’action du Gouvernement contre les mariages forcés.

La séance est ouverte à 16 heures 30.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je suis très heureuse de vous accueillir, Madame la ministre, pour examiner un sujet que nous avons déjà eu l’occasion d’aborder et auquel je sais que vous-même et la ministre des Droits des femmes accordez beaucoup d’importance. Un certain nombre d’actions de lutte contre les mariages forcés sont recensées dans le plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes. Vous nous avez en outre transmis un document relatif à la mobilisation des ambassades et des consulats sur cette question.

Pouvez-vous nous indiquer quels sont les pays les plus concernés par le phénomène des mariages forcés ? Disposez-vous de statistiques sur le nombre de mariages forcés ? Comment renforcer notre législation pour combattre ce fléau ? Nous savons que vous menez des actions auprès de l’Éducation nationale car il arrive que des lycéennes ou des collégiennes soient envoyées en vacances dans le pays d’origine de leur famille pour être mariées de force et ne jamais revenir en France.

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des Affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger. Il s’agit en effet d’un sujet important, sur lequel la ministre des Droits des femmes et moi-même avons ressenti l’obligation morale d’agir rapidement, à la suite d’une rencontre avec des victimes de mariages forcés organisée par l’association « Voix de femmes ». Cette rencontre nous a alertées sur le sort de ces femmes et sur les violences qu’elles ont subies.

On ne parle pas du fléau que représentent les mariages forcés, bien qu’il s’agisse d’une réalité. Seule une dizaine de cas par an est habituellement signalée au ministère des Affaires étrangères. À la suite de l’envoi d’un télégramme diplomatique à l’ensemble du réseau consulaire il y a quelques mois, seize cas ont été signalés. En fait, il existe très probablement des centaines voire des milliers de cas. L’UNICEF estime à 400 millions le nombre de femmes mariées alors qu’elles étaient enfants. Or, nous considérons qu’une mineure est toujours mariée de force car, même si elle accepte de se marier pour obéir à ses parents, elle n’a pas pris la mesure de ce que le mariage représente.

Mon action s’inscrit en complémentarité de celles de mes collègues du ministère des Affaires étrangères qui mènent des actions multilatérales. Il s’agit d’apporter, en s’appuyant sur notre réseau diplomatique et consulaire, une réponse aux mariages forcés de jeunes filles et de jeunes garçons – qui sont aussi concernés, le mariage pouvant par exemple être utilisé par la famille afin de cacher leur homosexualité.

Les postes diplomatiques et consulaires ont été sollicités pour signaler les cas de mariages forcés, identifier les personnes et permettre leur retour en France. Je leur ai adressé à cette fin un télégramme diplomatique leur demandant de dresser un état des lieux des mariages forcés et de leur traitement. Une typologie des pays à risque a ainsi pu être élaborée, elle est utilisée pour renforcer la vigilance de certains postes. Une brochure rassemblant des informations pratiques et juridiques a été mise au point. J’ai également sollicité les consulats pour identifier localement des associations qui pourraient être des relais dans la prise en charge des victimes.

Il n’existe pas de profil-type des victimes de mariages forcés. Chaque histoire est différente mais toutes sont tragiques et incluent des violences très graves, d’ordre psychologique et parfois physique, pouvant aller jusqu’au viol conjugal menant à des naissances non désirées, ou à la séquestration.

Nous souhaitons donc agir en amont en mettant en œuvre des actions de prévention. Dans cette perspective, nous menons un travail d’information auprès de l’Éducation nationale, car, comme vous l’avez indiqué, Madame la présidente, des lycéennes et des collégiennes sont envoyées en vacances dans leur pays d’origine puis mariées de force ; il serait parfois possible de détecter des cas avant le départ.

Toujours dans cet objectif de prévention, un module de formation a été introduit dans la formation obligatoire préalable au départ des agents du ministère des Affaires étrangères affectés dans les services consulaires à l’étranger. Une page dédiée sur le site France Diplomatie, dans la rubrique « Assistance aux Français », va être créée. Enfin, un dépliant sur ces questions sera disponible dans toutes les salles d’attente des consulats.

Je rappelle que la loi n°2013-711 du 5 août 2013, qui a transposé plusieurs directives européennes et conventions internationales, prévoit que le fait de contraindre une personne à se marier est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Le mariage forcé peut être attaqué par le ministère public. Le procureur de la République de Nantes peut être saisi par le service de l’état civil du ministère des Affaires étrangères lorsqu’un mariage forcé a été détecté par un service consulaire français à l’étranger. La détection des cas peut se faire au moment de l’accomplissement des formalités administratives liées au mariage ou lors de la célébration. Dans cet objectif, les agents consulaires ont la possibilité d’avoir des entretiens séparés avec les deux époux. Dans 80 % des saisines, le procureur s’oppose à la célébration du mariage.

Comme je vous l’ai dit, nous souhaitons favoriser une approche pragmatique. Nous nous considérons comme un maillon dans une grande chaîne. En même temps, nous parvenons maintenant à fédérer tous ceux qui ont une expérience en ce domaine.

Nous sommes en train d’élaborer une « fiche-réflexe » destinée aux agents consulaires, c'est-à-dire à ceux qui, en tout premier lieu, sont en contact avec les victimes. La fiche doit les aider à accompagner les victimes si elles restent sur place. Car les victimes peuvent rester dans les pays où elles ont été mariées sans leur consentement. Elles peuvent aussi revenir en France. Pour leur suivi en France, nous sommes en contact avec les associations. Nous étudions aussi la possibilité de faire intervenir un Fonds de solidarité.

Je voudrais également m’inspirer des bonnes pratiques en usage au Royaume-Uni. Ce pays a mis en place un organisme d’État pour lutter contre le mariage forcé : le Forced Marriage Unit. Nous pourrions reprendre certains dispositifs qui ont fait leurs preuves, encore que la psychologie des victimes puisse être distincte. Ainsi, en Grande-Bretagne, les victimes sont plutôt originaires des Indes ou du Pakistan. En France, en revanche, nous avons affaire à des victimes originaires des pays du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne.

Madame la présidente, vous m’avez posé tout à l’heure une question sur le nombre des victimes. Pour l’année en cours, nous avons traité dix-neuf signalements. Sept d’entre eux correspondent à des personnes qui ont été rapatriées. Deux indiquent que les victimes sont revenues en France avec le père. Deux signalements sont intrafamiliaux. Enfin, trois victimes se sont rétractées. Quand les victimes sont très jeunes, ce qui arrive fréquemment, elles tendent à se rétracter, même en faisant l’objet d’un signalement. Elles restent fidèles à la famille.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci beaucoup, Madame la Ministre. J’apprécie vivement que les pouvoirs publics, et que vous-même, plus particulièrement, vous vous préoccupiez de cette question. Je n’ose imaginer que le fait que le ministre soit une femme y soit pour beaucoup.

Ma première question sera de savoir si vous êtes en relation avec une organisation non gouvernementale appelée « Plan ». Je l’ai en effet reçue à plusieurs reprises et je la rencontre, chaque année, le 10 octobre, pour la journée qu’elle organise, consacrée aux jeunes filles. Cette ONG m’a remis récemment un livre de témoignages sur les mariages forcés dans le monde. Les descriptions y étaient particulièrement émouvantes, montrant des jeunes filles enfermées du jour au lendemain et perdant tout contact avec le monde extérieur. Cette organisation me paraît très motivée et très active.

Ma deuxième question est liée au fait que le Parlement sera bientôt saisi du projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale. Je n’ai rien vu dans le projet de loi qui concerne l’aide de la France aux adolescentes en passe de subir un mariage forcé. Dans l’action de votre département ministériel, bien sûr, c’est l’aide aux ressortissants français à l’étranger qui est privilégiée. Néanmoins, on pourrait réfléchir à ce système.

Vous avez dit aussi que vous cherchiez à sensibiliser les proviseurs des lycées et des collèges. En effet, ce sont eux qui peuvent remarquer si, après les vacances scolaires, des jeunes filles sont portées manquantes, alors qu’elles étaient parties rendre visite à une partie de leur famille à l’étranger.

Mme la ministre. Nous avons très largement diffusé la brochure dont j’ai parlé, qui a été réactualisée. Il est vrai qu’il existe une coopération à tous les niveaux. Je voudrais préciser que mon action est complémentaire de celle de mes collègues du Quai d’Orsay même si je m’occupe des personnes de nationalité française, et notamment de celles qui sont contraintes de demeurer à l’étranger après avoir été mariées de force.

Notre objectif est de rappeler, avant chaque période de vacances, que les signalements doivent remonter s’il s’avère que des jeunes filles ne rentrent pas en France. Dans ce cas-là, nous contactons les postes consulaires situés dans les pays où les personnes se sont rendues pour leur signaler que ces personnes ne sont pas retournées en France. Nous avons donc aussi la possibilité d’effectuer des recherches localement afin de tenter d’identifier les personnes et, le cas échéant, de les aider.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous avez signalé dans le document intitulé Les bons réflexes – document indiscutablement utile car il est vrai qu’on ne sait pas toujours qui contacter lorsque l’on est confronté à une situation de mariage forcé – que lorsqu’une personne est ressortissante française mais détient une autre nationalité et qu’elle est contrainte de se marier dans le pays dont elle a aussi la nationalité, l’aide des autorités consulaires françaises peut s’avérer limitée. Pouvez-vous nous expliquer cela ?

Mme la ministre. La bi-nationalité n’est pas reconnue partout. Dès lors, une personne disposant d’une double nationalité sera considérée comme Française pour les autorités de notre pays mais pas nécessairement pour les autorités de l’autre État dont elle a la nationalité – le Maroc par exemple. Nous n’avons, dans ce cas, pas la possibilité d’agir auprès des autorités du pays en question pour qui la personne n’a pas d’autre nationalité que celle de ce pays.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Si cette personne se rend au consulat…

Mme la ministre. Si elle se rend au consulat français, elle peut être aidée mais il n’en reste pas moins que vis-à-vis des autorités marocaines, la personne n’a pas d’autre nationalité que la nationalité marocaine, par exemple.

M. Christophe Sirugue. Je me réjouis, madame la Ministre, que le sujet des mariages forcés fasse l’objet d’une préoccupation particulière. Je rappelle d’ailleurs que ces mariages peuvent avoir lieu sur notre territoire.

Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai dialogué avec un couple pour lequel nous suspections que le mariage avait été forcé. La difficulté posée par ce type de situations est néanmoins beaucoup plus importante lorsque la jeune fille quitte la France pour un autre pays.

Je souhaiterais poser deux questions. Tout d’abord, y a-t-il une forme d’organisation structurée avec les pays étrangers qui traiterait de cette question ? En d’autres termes, existe-t-il des conventions signées avec les autres pays et qui vous permettent d’échanger et de faire davantage que signaler les problèmes ? Il y a là un enjeu qui me semble particulièrement important.

Ensuite, existe-t-il des structures pour aider les personnes mariées de force qui dénoncent le mariage et qui sont, souvent, rejetées par leur famille ? Les structures pour femmes victimes de violences conjugales ne me semblent pas du tout appropriées en la matière. Aussi, il est difficile de trouver des lieux d’hébergements adaptés. Par conséquent, existe-t-il des parcours d’aide aux jeunes filles et s’ils existent, quels sont les interlocuteurs ? Certes, il y a la déléguée aux droits des femmes dans les départements mais force est de constater que les moyens sont un peu faibles.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’ai moi-même été confrontée au cas d’une jeune fille rentrée en France dans un état de désarroi et d’abandon qui lui faisait presque regretter sa décision. Au-delà du retour en France – qui est un motif de satisfaction pour la personne –, il faut reconnaître qu’elle peut se retrouver complètement démunie et rejetée par son entourage. Elle peut même s’interdire de retourner dans son quartier en raison des risques qui pèsent sur elle.

Je ne sais si les associations – Voix de Femmes, GAMS, Planning familial, par exemple – ont la capacité et les moyens d’accompagner ces femmes.

Mme la ministre. S’agissant des points de contact et d’information, le Centre national d’information sur le droit des femmes et des familles fédère un réseau d’associations d’aide aux victimes, spécialisées dans la prise en charge des femmes victimes de toutes sortes de violences – cela est plus large que les seuls mariages forcés.

Le Planning familial – dont j’ai rencontré certains représentants récemment – et Voix de Femmes sont, par exemple, des associations bien structurées qui peuvent « récupérer » la victime au moment de son retour en France. Se posent tout de suite, il est vrai, la question de l’hébergement de la personne ainsi que celle de sa réinsertion sociale car elle se trouve isolée de sa famille. Nous avons eu connaissance d’un cas où la jeune fille a préféré quitter la France et retourner dans le pays où elle avait été mariée malgré les violences qu’elle y subissait ; cela lui a toutefois permis de renouer avec sa famille.

Les victimes doivent être traitées au cas par cas. Il n’est pas possible d’établir un profil type de la victime du mariage forcé. Nous essayons de donner les bons réflexes aux personnels de nos consulats afin de leur permettre d’appréhender ces situations de la meilleure des façons. C’est une première étape importante. Nous ne constituons toutefois qu’un maillon de la chaîne et avons absolument besoin des structures constituées localement pour accompagner les personnes. Il n’est pas possible que la personne ne soit pas aidée au moment de son retour en France.

Nous avons quelques possibilités d’hébergement géré par le comité d’entraide aux Français rapatriés où les personnes peuvent séjourner plusieurs mois. Je me suis d’ailleurs rendue dans le centre de Vaujours.

S’agissant des conventions, cela est un peu plus compliqué. Il y a la convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, celle sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des mariages, et celle du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique qui prévoit, notamment, l’annulation des mariages forcés.

M. Christophe Sirugue. Y a-t-il une reconnaissance du problème des mariages forcés dans les pays où ils ont lieu ? Si tel est le cas, y a-t-il une action organisée à l’échelle internationale ?

Mme la ministre. Il n’y a pas de conventions bilatérales. En revanche, cinquante-quatre États sont parties à la convention précitée des Nations unies sur le consentement au mariage, adoptée en 1964, ce qui signifie qu’ils reconnaissent le fait qu’un mariage précoce – avec un mineur notamment – va à l’encontre de leur législation.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains, nous savons que certains pays coopèrent – comme la Roumanie, ainsi que nous l’a dit le ministre de l’Intérieur – mais pas d’autres. La coopération avec le Nigéria, pays pourvoyeur de personnes prostituées, est par exemple insuffisante.

Mme la ministre. Certains pays – comme le Sénégal – ont une législation contre le mariage forcé. Il existe des lois et des dispositions locales qui permettent de lutter contre les mariages forcés. C’est notamment le cas dans ce pays.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faut souligner la mention, dans la plaquette d’information, du numéro « 3919 », qui est le numéro général donnant accès à l’ensemble des services offrant une écoute et un soutien aux femmes victimes de violences. Ce numéro est plus qu’une simple écoute, puisqu’il permet une orientation de la personne qui appelle vers le service le mieux à même de répondre à ses attentes. De même, il apparaît important de mieux lutter contre toutes les formes de violences sexuelles.

Mme la ministre. Le ministère des Affaires étrangères, avec la coopération de M. Pascal Canfin, ministre chargé du Développement, va organiser un événement pour réfléchir à une meilleure lutte contre l’excision. En ce qui concerne la prise en charge des victimes, le ministère s’est efforcé de former les personnels des consulats pour assurer à ces victimes une meilleure prise en charge. Le ministère travaille efficacement avec la ministre des Droits des femmes. Le travail interministériel est une priorité dans ce domaine pour le Gouvernement.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il est probable que nous connaissons peu de cas parmi tous les mariages forcés qui ont lieu. Si on établit un parallèle avec les violences faites aux femmes, il faut garder à l’esprit que les violences dénoncées sont estimées à 10 % seulement du total.

La lutte contre ces actes de violence à l’égard des mineures doit, comme vous le soulignez, être conduite de manière interministérielle, ce qui est plus efficace. La Délégation veut mener une action complémentaire à la vôtre dans tous ces domaines. Je vous remercie, Madame la Ministre, pour vos initiatives et l’action indispensable que vous menez.

La séance est levée à 17 heures 05.