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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 22 janvier 2014

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 16

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Table ronde réunissant Mme Sylvie Brunet, vice-présidente de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) et vice-présidente de la délégation aux droits des femmes du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Mme Françoise Fillon, consultante en égalité et représentante des associations territoriales « Retravailler », et Mme Garance Yverneau, fondatrice et dirigeante de 5A Conseil, société de conseil en gestion de carrière au féminin, sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale (n° 1721)

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l’audition, sous forme de table ronde, de Mme Sylvie Brunet, vice-présidente de l’ANDRH et vice-présidente de la délégation aux droits des femmes du CESE, Mme Françoise Fillon, consultante en égalité et représentante des associations territoriales « Retravailler », et Mme Garance Yverneau, fondatrice et dirigeante de 5A Conseil, société de conseil en gestion de carrière au féminin sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale (n° 1721).

La séance est ouverte à quatorze heures cinq.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci, mesdames, d’avoir répondu à notre invitation.

Madame Brunet, que pensez-vous du projet de loi relatif à la formation professionnelle – qui transcrit l’accord national interprofessionnel (ANI) du 14 décembre 2013 – du point de vue de l’égalité professionnelle entre femmes et hommes, à laquelle vous avez consacré une étude ? Quels sont selon vous les freins à la formation professionnelle des femmes ? Les formations leur sont-elles adaptées ? À quelles conditions les femmes peuvent-elles accéder à des formations qualifiantes afin de retrouver du travail après une interruption ou de progresser dans leur carrière ?

Mme Sylvie Brunet, vice-présidente de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Dans le cadre de mes fonctions au CESE, j’ai en effet rédigé en 2012, avec Maryse Dumas, un rapport qui dresse le bilan de l’application des dispositifs promouvant l’égalité professionnelle entre femmes et hommes et aborde dans ce cadre l’accès à la formation professionnelle. Je suis par ailleurs chargée, au sein de l’ANDRH, de la commission emploi, compétences et formation, récemment réactivée. Enfin, ancienne directrice des affaires sociales du groupe Onet, j’ai conduit les négociations sur la formation professionnelle pour la branche propreté, dont les salariés sont majoritairement des femmes travaillant à temps partiel.

Au fil des études, et notamment à la lumière du rapport du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq) sur la formation professionnelle, on constate des disparités d’accès à la formation. Ce sont elles, d’ailleurs, qui ont motivé la négociation de l’ANI et sa transcription dans la loi. Or les victimes de ces inégalités sont les salariés les moins qualifiés – particulièrement les ouvriers –, les salariés des plus petites entreprises et les femmes.

Si les hommes et les femmes accèdent globalement à la formation continue dans des proportions assez semblables – en 2009, 45 % des hommes et 43 % des femmes –, l’écart se creuse d’autant plus que la catégorie socioprofessionnelle est moins élevée. Ainsi, alors que, chez les cadres, 62 % d’hommes se forment contre 57 % de femmes, l’écart atteint 9 points parmi les ouvriers. En outre, il se creuse nettement lorsqu’une qualification ou un diplôme est en jeu, puisque les hommes déclarent que 21 % des formations qu’ils ont suivies visaient cet objectif, contre 13 % pour les femmes.

Par ailleurs, comme le souligne l’étude menée par Françoise Milewski au nom de la section du travail et de l’emploi du CESE, les salariés travaillant à temps partiel, très majoritairement des femmes, sont moins nombreux à se former – 37 % – que les salariés à temps complet – 45 %.

De plus, le fait d’avoir des enfants de moins de six ans freine considérablement l’accès à la formation des femmes, alors qu’il ne l’affecte quasiment pas chez les hommes.

Enfin, les salariés des plus petites entreprises ont, eux aussi, davantage de difficultés à se former.

L’étude du CEREQ montre également que l’espérance annuelle de formation est moins élevée chez les femmes que chez les hommes, surtout parmi les catégories socioprofessionnelles les moins qualifiées.

De ce point de vue, quels leviers l’ANI et le projet de loi permettent-ils de mobiliser ? Il convient tout d’abord d’être particulièrement attentif à l’utilisation du compte personnel de formation, qui peut être très intéressante à condition d’être suffisamment accompagnée. Car il est très difficile d’inciter des personnels non qualifiés à se former. Les femmes, en particulier, pourront accumuler des heures de formation, mais pour en faire quoi ? Il faudra donc mener des actions incitatives soutenues, surtout au niveau des branches professionnelles où les femmes sont majoritaires et travaillent essentiellement à temps partiel – propreté, commerce de détail, etc.

Il faudra également articuler les nouvelles dispositions aux accords sur l’égalité professionnelle, lesquels devront systématiquement inclure un volet sur la formation professionnelle, en particulier lorsqu’elle est qualifiante, voire diplômante, puisque c’est notamment là que le bât blesse. Les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) seront en première ligne car les branches ont un rôle essentiel à jouer dans ce domaine, même compte tenu de la réforme et de la réduction des financements.

L’entretien professionnel, que le texte systématise tous les deux ans ainsi qu’à l’issue d’un congé de maternité ou d’un congé parental, devra également insister sur cet aspect. Mais il est difficile à mettre en œuvre dans certains secteurs. Il faudrait que, à tout le moins, les femmes – car ce sont elles qui prennent le plus souvent un congé parental, même si le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes doit inciter les hommes à y recourir davantage – restent en contact avec l’entreprise et ses actions de formation lorsqu’elles interrompent leur activité, afin de se mettre à jour plus facilement à leur retour. Car ce sont ces interruptions de leur parcours professionnel qui limitent ou ralentissent leur progression et leur accès aux postes les plus qualifiés.

N’oublions pas le cas des femmes seniors qui ont arrêté de travailler, parfois très longtemps, le plus souvent pour s’occuper de leurs enfants. J’en ai rencontré beaucoup lorsque j’étais, il y a peu encore, responsable de l’antenne marseillaise de l’association Force Femmes, qui favorise le retour à l’emploi des femmes de plus de 45 ans. Il convient de passer le relais à Pôle Emploi ainsi qu’au Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) afin d’abonder le compte personnel de formation de ces femmes, particulièrement touchées par le chômage et qui ont besoin de se former pour retrouver un emploi. Si j’ai créé, en partenariat avec Orange, des ateliers de remise à niveau en bureautique et numérique, c’est parce que Pôle Emploi ne proposait pas assez rapidement à ces femmes les formations requises pour postuler à des emplois à pourvoir immédiatement.

Il faut également inciter les employeurs à abonder le CPF, en lien avec les accords qu’ils concluent sur l’égalité professionnelle. Pourquoi ne le créditeraient-ils pas systématiquement de quelques heures après chaque congé de maternité ou congé parental ?

Il serait également intéressant de développer la formation à distance – elle aussi évoquée dans l’ANI – en recourant à un tutorat, afin d’éviter une coupure trop brutale aux femmes en congé parental, par exemple lorsqu’un nouveau logiciel de gestion est adopté par l’entreprise en leur absence.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’aimerais savoir si les femmes concernées ont pâti d’une mauvaise orientation initiale ou – notamment dans le secteur du nettoyage – d’une orientation par défaut. Dans ce cas, la formation professionnelle continue leur permet-elles d’obtenir une qualification au sein de leur secteur d’activité ou de se réorienter dans un autre ?

Mme Garance Yverneau. Je dirige pour ma part deux entreprises. La première, 5A Conseil, cabinet de gestion de carrière au féminin, compte 12 consultants répartis entre cinq sites à Paris. Nous aidons chaque année 300 à 400 femmes à réaliser un bilan de compétences en vue d’une reconversion professionnelle. Nous travaillons particulièrement sur les mécanismes d’autocensure résultant des stéréotypes de genre, mécanismes auxquels j’ai consacré une recherche et qui, au-delà des freins conjoncturels et structurels au travail féminin, constituent des freins psychologiques qui peuvent engendrer des blocages très difficiles à surmonter. La seconde société que j’ai créée, Happy Families, propose aux parents un lieu multiservices de 450 mètres carrés, au pied de Beaubourg, dont un espace qui permet de réaliser un bilan de compétences tout en faisant garder son enfant sur place. Car les freins sont aussi d’ordre organisationnel : si les femmes en congé de maternité subissent des ruptures professionnelles, ce peut être faute d’un mode de garde adapté.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les femmes qui s’adressent à vous vous sont-elles envoyées par Pôle Emploi ?

Mme Garance Yverneau. Non, le bilan de compétences est pris en charge par les OPCA. Mais cette prestation, qui existe pourtant depuis plus de vingt ans, est très peu connue des demandeurs d’emploi et des salariés, notamment des femmes. Le bilan que propose Pôle Emploi – anciennement bilan de compétences approfondi (BCA) –, en recourant à des prestataires, est beaucoup plus succinct et de moindre qualité.

Mme Françoise Fillon, consultante en égalité et représentante des associations territoriales « Retravailler ». Ce qui est particulièrement grave s’agissant des femmes, vis-à-vis desquelles il y a beaucoup à faire. Je précise que je représente ici les associations territoriales Retravailler, qui ont survécu à la mise en liquidation de l’union nationale Retravailler, intervenue fin 2012.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’ai en effet constaté que le bilan proposé par Pôle Emploi ne semblait guère satisfaire les femmes.

Mme Françoise Fillon. La qualité de la prestation dépend des intervenants, eux-mêmes inégalement formés : sont entrées sur ce marché des personnes dont ce n’était pas le métier. En outre, le BCA, conçu comme un moyen d’aller à l’emploi sans se préoccuper des conditions dans lesquelles on le fait, ne convient pas du tout aux femmes, car il ne permet pas de réfléchir avec elles à la manière de lever l’autocensure qui, jointe aux discriminations, entrave leur accès à la formation. En outre, l’approche individuelle n’est pas toujours la plus appropriée.

Mme Garance Yverneau. Il faut que les consultants eux-mêmes soient convenablement formés.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Votre métier est-il reconnu ?

Mme Garance Yverneau. Oui, mais tous les consultants présents sur le marché n’y sont pas bien préparés, a fortiori lorsque les besoins spécifiques des femmes sont en jeu.

Mme Françoise Fillon. D’une manière générale, les acteurs de l’orientation nient la sexuation des conduites de carrière et le monde de la formation ne reconnaît pas les problèmes d’égalité et de mixité professionnelles. Or, pour parvenir à l’égalité, il est indispensable d’agir dans ces deux domaines de la formation et de l’orientation, qui sont indissociables. Mais pour cela, c’est-à-dire pour que les femmes en viennent à viser des formations qualifiantes et diplômantes, souvent organisées loin de chez elles, il faut travailler sur les freins, l’autocensure, voire les politiques d’entreprise, qui peuvent offrir de nouvelles perspectives de carrière.

Mme Garance Yverneau. Pour en revenir au bilan de compétences, il pourra apporter une aide précieuse aux salariés et demandeurs d’emploi qui souhaitent mobiliser leur compte personnel de formation, puisqu’il permet de choisir une formation adaptée à la personne concernée comme au marché du travail.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Peut-il être compris dans les 150 heures de formation du CPF ?

Mme Garance Yverneau. Oui : il correspond à une prestation de 24 heures.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Peut-il être financé par le CPF, ou est-ce un préalable à la mobilisation du compte ?

Mme Garance Yverneau. Il s’agit d’un préalable. Les sources de financement du bilan sont multiples : les OPCA pour les salariés, et parfois Pôle Emploi, bien que cela soit remis en question.

Mme Françoise Fillon. Le bilan de compétences est en effet un outil clé. Toutefois, mieux vaut parler plus généralement d’orientation.

Mme Sylvie Brunet. À cet égard, l’ANI mentionne le conseil en évolution professionnelle, concept nouveau et encore un peu flou.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Madame Yverneau, au-delà de l’accès à la formation, décelez-vous également, une fois le bilan engagé, des freins à l’orientation ou à la réorientation professionnelles des femmes ?

Mme Garance Yverneau. Oui, en permanence. Par exemple, les femmes ne savent pas parler d’argent – se vendre, négocier leur salaire – ni de leurs compétences. J’attribue ce phénomène à la prégnance des stéréotypes de genre ancrés depuis l’enfance.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Votre public est-il de tous niveaux ?

Mme Garance Yverneau. Oui.

Mme Sylvie Brunet. Les problèmes d’orientation se manifestent très en amont de l’entreprise, dès l’école.

Mme Françoise Fillon. Et au sein de la famille !

Mme Sylvie Brunet. Puis ils perdurent tout au long de la vie professionnelle, souvent à cause d’une méconnaissance des métiers qui recrutent et du marché du travail. Je me souviens d’une secrétaire que j’ai rencontrée à Force Femmes et qui est devenue soudeuse, aidée par un conseiller Pôle Emploi dans le cadre d’un bilan ; elle a dû surmonter beaucoup d’obstacles pour y parvenir.

Mme Garance Yverneau. Dans le contexte actuel de fragmentation des carrières et de multiplication des réorientations, le savoir-être et l’adaptabilité prennent une importance nouvelle, au-delà des seules compétences liées à un métier. Les femmes doivent apprendre à gérer les incertitudes, les ruptures, l’échec, que nous les aidons à valoriser pour mieux rebondir. Ces savoirs, moins palpables que les compétences dites techniques, n’en sont pas moins essentiels.

Mme la présidente Catherine Coutelle. D’une manière générale, le problème des qualifications, sur lequel travaillent actuellement les branches, est lié au genre. Les métiers considérés comme féminins sont décrits en termes beaucoup plus vagues – on parlera par exemple de « compétence d’accueil » – que les métiers dits techniques.

Mme Françoise Fillon. Je parlerais de freins psychosociologiques, plutôt que seulement psychologiques. Les femmes sont aujourd’hui victimes à la fois de l’autocensure et des discriminations, voire du sexisme. D’où la division actuelle du travail en métiers « féminins » et « masculins ». Je vous renvoie au rapport de Brigitte Grésy, auquel j’ai participé, sur les relations de travail entre les femmes et les hommes.

Le conseil en orientation et la formation doivent jouer un rôle stratégique dans la lutte contre cette division genrée du travail. Celle-ci nuit aux femmes – en témoigne l’écart de 27 % entre leurs rémunérations et celles des hommes, temps partiel inclus – et n’est plus compatible avec une société où de plus en plus de femmes vivent seules et élèvent seules leurs enfants, où il n’est plus question de salaire d’appoint et où les femmes ont autant besoin que les hommes de sécuriser leur avenir professionnel. Le plan de formation doit leur offrir des perspectives de mobilité promotionnelle et fonctionnelle.

Les femmes travaillent dans des métiers et des secteurs moins bien rémunérés que ceux qui emploient les hommes. Pour rétablir l’égalité, il faut par conséquent promouvoir la mixité des métiers et des professions, donc celle de l’orientation et des conduites de carrière. Ce chantier a été ouvert au niveau ministériel. J’y œuvre également pour le conseil général de Seine-Saint-Denis dans le cadre d’un projet lancé par Martin Hirsch : nous avons travaillé pendant trois ans avec tous les conseillers en formation, insertion et orientation des jeunes, afin de permettre à ces derniers, garçons et filles, de sortir des sentiers battus.

En matière de mobilité ascensionnelle – qui a légèrement progressé dernièrement –, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est un formidable outil pour étudier la pyramide des âges, les besoins en qualifications techniques, etc., afin de promouvoir les femmes grâce aux différentes méthodes existantes – « assertivité », mentoring, tutorat... – et de les orienter vers des filières techniques mieux rémunérées. Les entreprises qui l’ont fait en constatent les effets positifs sur le climat social, le développement des compétences, l’exercice des métiers.

Mme Ségolène Neuville. Les entreprises font souvent valoir qu’elles n’ont pas de vestiaires pour femmes.

Mme Françoise Fillon. On invoque souvent, en effet, l’obligation de prévoir des vestiaires et sanitaires séparés, liée à la division genrée du travail. Mais les entreprises peuvent financer leur installation en faisant appel à la délégation régionale aux droits des femmes et à l’égalité, dans le cadre du contrat de mixité. Cette objection masque donc d’autres résistances, que la formation, appuyée sur des arguments chiffrés, peut vaincre. Encore faut-il assurer la formation générale, qui fait défaut : c’est un vaste chantier de plus.

Mme la présidente Catherine Coutelle. A-t-on les moyens de mesurer la compétitivité des entreprises où prévaut la mixité ?

Mme Garance Yverneau. Une étude de McKinsey montre que la présence de femmes au sein des organes de direction accroît les bénéfices de l’entreprise.

Mme Françoise Fillon. On a bien vu lors de la crise financière que les entreprises qui ont pris le moins de risques étaient celles dont les états-majors comptaient la plus forte proportion de femmes. Contrairement à un stéréotype de genre, les femmes ont ainsi montré qu’elles pouvaient être de fines stratèges en matière financière.

Pourtant, pour avoir travaillé sur le rapport des femmes à l’argent dans le cadre d’un programme européen, je confirme que le salaire ne fait pas partie des critères de choix professionnels des femmes, et que les conseillers – hommes ou femmes – qui les accompagnent ne sont pas formés à appeler leur attention sur cet aspect.

Mme Sylvie Brunet. Je doute que le comportement managérial des femmes soit aussi différent de celui des hommes que vous le dites. C’est la manière d’exercer le pouvoir dans l’entreprise qu’il faut réformer, plutôt que la proportion de femmes et d’hommes.

Au demeurant, pourquoi vouloir s’appuyer sur des indicateurs d’efficacité économique pour défendre le droit à l’égalité ? Il s’agit tout simplement d’un droit humain. On ne doit pas être écarté de certains métiers ou de certaines compétences parce que l’on est une femme. C’est encore trop souvent le cas.

L’essentiel est d’agir en amont, sur les stéréotypes. Il faut également passer par la loi, sans quoi ce combat est voué à l’échec. Mais, comme par hasard, c’est depuis l’adoption de la loi introduisant des quotas de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance que l’on a vu apparaître des formations d’administrateur !

S’agissant du temps partiel, on utilise dans certaines branches le passeport formation pour garantir une forme de traçabilité aux femmes « multi-employeurs », qui peinent à organiser un parcours de formation, surtout en vue d’une qualification.

Mme Ségolène Neuville. La lutte contre les stéréotypes sexués est engagée dès l’école maternelle. Notre Délégation devrait en recommander l’extension au service public de l’éducation et de la formation. La tâche est moins aisée s’agissant des OPCA. Les syndicats n’ont pas pu me dire quelle part de leur budget était consacrée aux femmes.

Mme Françoise Fillon. Pourtant, Agefos PME et Opcalia ont inscrit l’égalité et la mixité professionnelles dans leur stratégie de développement, et Retravailler a formé tous les conseillers des Fonds de gestion des congés individuels de formation (FONGECIF) afin que ces derniers promeuvent ces objectifs auprès de leurs adhérents.

Mme Ségolène Neuville. Vous jugeriez donc raisonnable que la loi impose cette obligation aux OPCA ?

Mme Françoise Fillon. Tout à fait.

Mme Ségolène Neuville. Alors que les salariés à temps partiel ont davantage besoin d’être formés puisqu’ils sont généralement moins qualifiés que les autres, le CPF n’est abondé qu’à proportion du temps de travail. Ne devrait-il pas l’être également pour tous les salariés ?

Mme Françoise Fillon. Il me semble que l’on pourrait appliquer la même règle qu’en matière de retraite pour ce qui concerne la durée d’assurance. En effet, le temps partiel ne joue pas sur la durée d’assurance, mais seulement sur le montant de la pension.

Mme Ségolène Neuville. Je regrette par ailleurs qu’à propos de l’entretien professionnel prévu tous les deux ans, l’ANI et le projet de loi n’assignent à l’employeur ou à la directrice ou au directeur des ressources humaines (DRH) aucun objectif d’égalité entre salariés ni de lutte contre les stéréotypes. Les perspectives d’évolution professionnelle risquent de demeurer très stéréotypées. Certains syndicats m’ont objecté que le principe d’égalité était déjà inscrit dans le droit. Qu’en pensez-vous ?

Mme Garance Yverneau. Pour que la mention soit utile, il faudrait d’abord que les DRH soient conscients des stéréotypes qu’ils véhiculent.

Mme Françoise Fillon. Mieux vaudrait parler de conduite de carrière plutôt que de stéréotypes, en précisant que les entretiens doivent ouvrir des perspectives aussi attrayantes aux femmes qu’aux hommes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cette formulation me paraît bienvenue.

Mme Françoise Fillon. Par ailleurs, la systématisation de l’entretien tous les deux ans est une bonne chose, mais un salarié qui a envie de changement doit être encouragé à interpeller son DRH à tout moment.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Alors que c’est généralement la dernière personne à qui il en parle !

Mme Françoise Fillon. En réalisant des bilans de compétences, nous commençons par étudier la faisabilité du projet au sein même de l’entreprise, quitte à nous charger ensuite de la médiation.

Mme Garance Yverneau. Nous le faisons aussi ; mais, sur les 400 femmes que nous accompagnons chaque année, 70 font leur bilan de compétences en dehors du temps de travail et sans en avertir leur employeur, ce qui est leur droit le plus strict.

Mme Françoise Fillon. J’insiste sur la nécessité de former les acteurs de la formation eux-mêmes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Notamment les élus des régions, lesquelles deviennent chefs de file de l’orientation et de la formation professionnelle.

Mme Ségolène Neuville. Pour ma part, j’ai organisé des formations sur les stéréotypes pour tous les élus du conseil général et de la région.

Mme Françoise Fillon. C’est également une bonne idée de diversifier les dispositifs de formation ouverte et à distance, car, au-delà du phénomène d’autocensure, les femmes ont parfois de véritables difficultés à quitter leur foyer.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Elles peuvent être hébergées dans un centre AFPA – Association pour la formation professionnelle des adultes.

Mme Françoise Fillon. Il y a eu des cas de violence dans ces centres.

Mme Ségolène Neuville. Et les enfants n’y sont pas hébergés. De sorte que 16 % des hommes vont se former à l’extérieur de leur région, contre 6 ou 7 % de femmes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faut que le père garde les enfants pendant que la mère suit une formation.

Mme Françoise Fillon. De plus en plus d’hommes y sont disposés.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La GPEC ne concerne que les entreprises de plus de 300 salariés. Qu’en est-il des très petites entreprises (TPE) ?

Mme Françoise Fillon. L’Agefos PME a dans son portefeuille de très petites entreprises, en deçà de 10 salariés – un seuil au-delà duquel la tâche est plus aisée. À leur intention, j’ai rédigé un guide qui doit leur permettre de faire le point sur leur situation en matière d’égalité, mais aussi d’étudier leur pyramide des âges et de réaliser des prévisions en termes de ressources humaines ; j’y propose en outre quelques pistes d’action. Elles peuvent par exemple se regrouper dans des zones industrielles pour y ouvrir une crèche d’entreprise.

Mme la présidente Catherine Coutelle. À Lyon, l’Agefos PME a joué un rôle moteur dans un projet sur l’articulation des temps de vie auquel j’ai participé avec l’association Tempo territorial. Nous avons aussi fait un travail considérable à Poitiers, où nous avons créé l’Agence des temps, dans le cadre de l’opération « Temps et territoires ». Mais les petites entreprises n’avaient aucune idée de leurs perspectives d’embauche un an plus tard. Et c’était avant la crise ! Comment pourraient-elles avoir une idée de leurs besoins aujourd’hui, alors qu’elles ne savent rien de ce que sera leur carnet de commandes dans les six mois à venir ?

Mme Garance Yverneau. Je puis témoigner de la difficulté de la tâche pour les TPE, même lorsque leurs dirigeants sont très engagés sur ces questions. En outre, ces entreprises sont très peu consultées sur leurs besoins.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faut organiser des rencontres très efficaces dont l’initiative doit venir de l’extérieur, notamment de la collectivité : les chefs d’entreprise, qui manquent de temps, ne se concerteront pas spontanément.

Mme Ségolène Neuville. C’est le rôle des régions…

Mme la présidente Catherine Coutelle. Plutôt de l’agglomération, à ce niveau.

Mme Ségolène Neuville. Des régions, pourvu que la décentralisation soit suffisante ; c’est en tout cas le rôle de la puissance publique.

Mme Garance Yverneau. N’oublions pas que ce sont les PME et les TPE qui recrutent.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Et qui réunissent la majorité des salariés !

Merci, mesdames.

La séance est levée à quinze heures cinq.

Membres présents ou excusés

Présentes. - Mme Catherine Coutelle, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Ségolène Neuville.