Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la délégation aux droits des femmes |
La séance est ouverte à 17 heures.
Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
La Délégation procède à l’audition sous forme de table ronde, sur le projet de loi relatif à la santé (n° 302), de :
– Mme Sophie Eyraud, médecin généraliste, coprésidente de l'Association nationale des centres d’interruption volontaire de grossesse et de contraception (ANCIC), et Mme Laurence Danjou, gynécologue et coprésidente de l’ANCIC ;
– Mme Sophie Gaudu, gynécologue-obstétricienne, cheffe de service à la maternité des Bluets, présidente du réseau entre l’hôpital et la ville pour l’orthogénie (REHVO) et coordinatrice pédagogique à Paris V du diplôme interuniversitaire (DIU) « Régulation des naissances : socio-épidémiologie, contraception, IVG, prévention des risques liés à la sexualité » ;
– Mme Béatrice Gaultier, secrétaire générale du Syndicat national des infirmier-e-s conseiller-e-s de santé (SNICS), et M. Christian Allemand, secrétaire général adjoint ;
– Mme Sophie Guillaume, sage-femme cadre supérieur à l’hôpital Necker, présidente du Collège national des sages-femmes de France (CNSF), et M. Adrien Gantois, du CNSF.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Mesdames et messieurs, soyez les bienvenus. La Délégation aux droits des femmes s’est saisie du projet de loi relatif à la santé qui devrait être examiné en séance publique au cours des prochains mois.
Je vous précise que, dans le cadre de la Délégation, nous n’avons pas l’intention de rédiger un rapport d’information sur l’ensemble des questions relatives à la santé des femmes. Nous nous appuierons, notamment, sur les rapports existants, comme celui de Mme Dominique Hénon, ancienne membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) – que nous avons précédemment auditionnée – qui s’intitule « La santé des femmes en France ».
Nous souhaitons aujourd’hui aborder avec vous deux aspects du projet de loi, qui figurent dans deux articles, à savoir la contraception pour les mineures et l’interruption volontaire de grossesse (IVG) médicamenteuse. Plus généralement, selon vous, quels points de ce projet de loi mériteraient d’être approfondis ou complétés ?
Mme Sophie Eyraud, coprésidente de l’Association nationale des centres d’interruption volontaire de grossesse (ANCIC), médecin généraliste. L’ANCIC est une association de professionnels de santé s’occupant des interruptions de grossesse et de la contraception. Créée en 1979, peu de temps après la loi Veil, l’ANCIC regroupe des médecins, des sages-femmes, des infirmières, des secrétaires, des conseillères conjugales et familiales et des psychologues.
Nous sommes ravis que l’article 3 du projet de loi relatif à la santé lève les restrictions à la contraception d’urgence des élèves du second degré auprès de l’infirmière scolaire, à savoir notamment les cas de « détresse caractérisés ». En revanche, nous avons remarqué que par manque de formation, les infirmières – et notamment les infirmières scolaires – n’usaient pas du droit de prescrire une contraception. Pour cette raison, des jeunes se retrouvent en rupture de contraception. Il faudrait donc vraiment que les infirmières soient formées.
Ensuite, en matière d’IVG, le délai de réflexion part du moment où la femme en a fait la demande à un médecin. Or cela ralentit le parcours de soins. Nous estimons que la première demande pourrait être recueillie par n’importe quel professionnel travaillant dans un centre d’orthogénie. Le premier rendez-vous de consultation en vue d’une IVG pourrait même faire partir le délai de cette période de réflexion.
Enfin, il y a très longtemps que nous sommes favorables à ce que l’IVG médicamenteuse puisse être assurée par les sages-femmes. Cela permettra d’améliorer l’accès aux soins. Mais j’ai lu aussi que cela permettrait de réduire le nombre d’IVG (instrumentales) pratiquées dans les établissements de santé. Or l’objectif est tout de même que les femmes aient le choix de la méthode. Il n’est pas question de faire du tout médicamenteux, comme les tutelles semblent le souhaiter. L’IVG médicamenteuse ne convient pas à toutes les femmes. D’abord, celles qui sont dans le secret ou connaissent des conditions sociales difficiles ont absolument besoin d’aller à l’hôpital, dans un établissement de santé, pour rencontrer une assistante sociale et bénéficier d’un accompagnement. Ensuite, les IVG médicamenteuses ne sont possibles que jusqu’à sept semaines d’aménorrhée, c’est-à-dire cinq semaines de grossesse. Enfin, vivre une IVG médicamenteuse n’est pas toujours facile. Pourtant, des gynécologues obstétriciens ne souhaitant pas faire d’IVG instrumentales, certains services pratiquent des IVG médicamenteuses jusqu’à quatorze semaines, ce qui peut constituer une véritable maltraitance pour les femmes.
Nous pensons donc qu’il faut continuer à faire des IVG instrumentales et à former des généralistes à cette fin ; actuellement, les centres d’IVG fonctionnent essentiellement avec eux, car les gynécologues obstétriciens répugnent à pratiquer cette méthode. Nous pensons également qu’il faudrait permettre aux sages-femmes de pratiquer des IVG instrumentales, car elles sont tout à fait compétentes.
S’il n’y a plus de gens formés à l’IVG instrumentale (par aspiration), les femmes n’auront plus le choix. Aujourd’hui, nous rencontrons déjà des problèmes de recrutement. Mais ce n’est pas parce les jeunes ne veulent pas en faire, c’est parce que la vacation est très mal rémunérée.
Mme la présidente Catherine Coutelle. J’ai cru comprendre que Mme Marisol Touraine avait revalorisé l’acte d’IVG, dont le tarif était inférieur à celui d’une fausse couche, au point que certaines unités d’IVG avaient fermé.
Mme Sophie Eyraud. Le forfait hospitalier a en effet été réévalué. Mais le problème porte ici sur le niveau de rémunération des praticiens de l’IVG. Lorsque les médecins sont payés à la vacation, ils refusent le poste. Pour que ce soit intéressant, il faudrait qu’ils aient le statut de praticien hospitalier contractuel. Mais cela suppose qu’ils passent au moins 40 % de temps à l’hôpital. Or la plupart des médecins qui font des IVG sont des médecins libéraux qui ne peuvent pas se le permettre. La vacation est d’ailleurs un frein à l’ensemble de la médecine sociale, qu’il s’agisse d’alcoologie, d’IVG ou d’autres domaines.
Par ailleurs, la clause de conscience est un vrai problème. Selon nous, il faudrait la supprimer de la loi, dans la mesure où elle s’applique déjà à tout acte médical.
Je voudrais maintenant revenir sur le délai de réflexion de sept jours, qui constitue un frein à l’accès à l’IVG pour toutes les femmes, en particulier celles qui arrivent à 14 semaines d’aménorrhée. En fait, l’important est que les femmes puissent réfléchir et assister à un entretien où elles bénéficient d’une écoute particulière, s’agissant d’un acte qui peut leur poser problème.
Certaines femmes sont ambivalentes et ne sont pas certaines de leur décision tout de suite, tandis que d’autres le sont. J’observe d’ailleurs que ce délai de réflexion varie selon les pays européens : en France il est de sept jours, dans d’autres pays il est de trois jours, et parfois il n’y en a pas.
Nous voudrions également que la loi soit appliquée. Quand une femme arrive à 13 semaines plus cinq jours d’aménorrhée, il faudrait que des procédures d’urgence soient mises en place dans les établissements de santé pour que l’IVG soit pratiquée dans les temps – et que la femme ne soit pas obligée d’aller à l’étranger. Or ce n’est pas encore le cas partout.
Enfin, je pense que l’on pourrait faire des IVG instrumentales hors des établissements de santé. Des expérimentations sont en cours, sous anesthésie locale. Cela se fait beaucoup en Belgique. C’est une voie intéressante à explorer.
Mme Laurence Danjou, gynécologue et coprésidente de l’ANCIC. Il faut se battre sur tous les terrains, pour que toutes les possibilités restent ouvertes aux femmes et que les structures disposent des moyens suffisants.
Comme l’a dit Sophie Eyraud, l’ANCIC est une association de professionnels qui remplit plusieurs missions. Elle combat pour l’application du droit à l’IVG. Elle fait de la formation. Nous organisons tous les deux ans une journée de formation pour tous les professionnels que l’on a cités. Nous produisons des documents de formation sur les IVG médicamenteuses hors hospitalisation, et sur les IVG sous anesthésie locale. Nous venons de rénover notre site internet qui propose maintenant une entrée « grand public », une entrée « professionnels » et une entrée « vie de l’association ».
Nous avons fait un travail sur l’homme et l’IVG, parce que nous pensons utile que celui-ci puisse s’impliquer, s’il le souhaite. Nous allons travailler sur l’hymen, à la suite de nombreuses demandes de jeunes filles. Nous nous battons avec nos associations pour le maintien du droit à l’avortement, pour le maintien des structures, pour que les professionnels aient leur place et que ce droit soit exercé dans de bonnes conditions. Or ce n’est pas simple. Les difficultés ne manquent pas. Certains hôpitaux fonctionnent un peu n’importe comment, et je pense qu’en matière d’IVG, la maltraitance des femmes perdure.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Quelle est votre représentativité ?
Mme Laurence Danjou. Nous n’avons pas beaucoup d’adhérents réguliers, sans doute 170 à 180. Mais lorsque nous organisons des journées, nous réunissons facilement 400 personnes.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Votre association serait-elle capable de dresser un tableau de la situation actuelle dans les hôpitaux ?
Mme Laurence Danjou. Pas objectivement dans toutes les régions. Nous pouvons signaler des dysfonctionnements dans certains endroits que nous connaissons bien. Mais nous n’avons pas la capacité de faire une étude point par point.
Mme Sophie Eyraud. Même les agences régionales de santé (ARS) n’y parviennent pas !
Mme Laurence Danjou. Même en Île-de-France, où nous sommes très présents, nous n’avons pas de visibilité partout.
Mme Sophie Gaudu, gynécologue-obstétricienne, cheffe de service à la maternité des Bluets et présidente du réseau entre l’hôpital et la ville pour l’orthogénie (REHVO). J’ai plusieurs casquettes : médecin hospitalier, cheffe de service de la maternité des Bluets, qui est une grosse maternité et un important centre d’IVG (1 200 par an) ; coordinatrice du diplôme inter-universitaire (DIU) « Régulation des naissances » à Paris, qui a été le premier diplôme universitaire de contraception et d’avortement ; présidente du réseau REHVO, un réseau de santé financé par l’ARS d’Île-de-France, chargé de faciliter l’accès à l’IVG médicamenteuse sur l’ensemble des sept départements de la région, l’accès à la contraception et le travail en partenariat avec des professionnels de santé en ce domaine.
Ce réseau, créé il y a dix ans, réunit 23 établissements de santé, principalement publics – un seul privé –, environ 350 médecins qui exercent soit en libéral, soit comme salariés dans une soixantaine de centres de santé et de planification. Parmi ces praticiens qui réalisent des IVG dans leur cabinet, on compte 50 % de généralistes et 50 % de gynécologues. Enfin, les praticiens du réseau font chaque année environ 7 000 IVG hors établissement de santé. Actuellement, en Île-de-France, les IVG hors établissement de santé représentent entre 20 et 25 % des IVG de la région – soit 12 000 en 2012, sur 56 000 IVG.
Le réseau REHVO développe aussi des outils à destination des patientes. En 2013, nous avons lancé un site internet permettant, à partir de son code postal et de la méthode choisie, de trouver le praticien le plus proche de chez soi – praticien dont les coordonnées ont été vérifiées. Nous venons de développer ce site à la demande du ministère des Droits des femmes. Nous l’avons lancé le 26 novembre 2014 sur cinq régions, et nous espérons rapidement pouvoir l’étendre à l’ensemble du territoire.
Mme la présidente Catherine Coutelle. C’est la date du vote, par l’Assemblée nationale, de la résolution réaffirmant le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse en France et en Europe.
Mme Sophie Gaudu. Il est utile de se laisser porter par l’actualité !
Le sens même de la mission du REHVO est de faciliter l’accès aux soins dans le domaine de l’IVG et de la contraception. En ce sens, les axes fondamentaux du projet de loi relatif à la santé sont porteurs pour l’IVG et la contraception. Ce texte vise en effet à réduire les inégalités d’accès aux soins, favoriser la prévention auprès des jeunes, faciliter le parcours de soins et l’exercice de pratiques avancées pour les personnels de santé qui ne sont pas médecins. À de nombreux articles du texte, nous pourrions intercaler certaines de nos propositions.
Je vais commencer – et je m’exprime ici en tant que médecin hospitalier – par la clause de conscience. La maternité des Bluets étant gérée dans un esprit favorable à l’émancipation des femmes, il est clair que je n’engage aucun médecin refusant de pratiquer des IVG. Cela fait partie du cahier des charges.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Quand la clinique embauche un médecin, a-t-elle le droit de lui demander s’il va ou non appliquer cette clause de conscience ? Celui-ci a-t-il le droit de ne pas répondre ?
Mme Sophie Gaudu. Cela fait partie des missions de son contrat. S’il signe le contrat, il fera des IVG. Cela étant, tout médecin a le droit de refuser un soin, pour autant qu’il confie le patient ou la patiente à un confrère.
À la réflexion, l’IVG étant une mission de service public – la maternité des Bluets est elle-même un établissement participant au service public –, pour assurer aux femmes une égalité d’accès aux soins, un hôpital public ne devrait pas pouvoir recruter un praticien hospitalier qui refuse de pratiquer des IVG. Si ce médecin ne veut pas faire d’IVG, qu’il aille ailleurs, en clinique privée.
Ce serait un signal fort qui protégerait mes collègues chefs de service. Personnellement, je peux me permettre d’agir ainsi, car je suis soutenue par ma direction. Mais mes collègues chefs de service qui travaillent en banlieue parisienne ont vraiment du mal à recruter.
La loi pourrait donc disposer que pour travailler dans les hôpitaux publics, on ne peut pas faire jouer la clause de conscience pour s’abstenir de pratiquer des IVG, dans la mesure où les IVG font partie de l’offre de soins. Le médecin qui est embauché à l’hôpital Saint-Joseph, à Paris, s’engage, quant à lui, à ne pas pratiquer d’IVG : il s’agit en effet d’un hôpital confessionnel participant au service public, au conseil d’administration duquel siège toujours un représentant de l’archevêque de Paris. À l’inverse, le médecin embauché dans un hôpital de la République française comme gynécologue s’engagerait à faire des IVG. Cette proposition est sans doute un peu hardie, mais je vous la soumets.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Quels services seraient concernés ?
Mme Sophie Eyraud. Les services de gynécologie obstétrique et les services de chirurgie faisant des IVG.
Mme Sophie Gaudu. L’IVG est l’acte de chirurgie ou de soins le plus fréquemment pratiqué sur les femmes. Cela signifie que lorsque l’on est gynécologue à l’hôpital, on est amené à en faire. Or, à l’heure actuelle, en Île-de-France, à certains endroits, il est difficile d’accéder à l’IVG. Une telle disposition protégerait les patientes.
Après la clause de conscience, j’en viens au recueil de la première demande. Dans la loi de 1975 revalidée en 2001, cette demande doit être faite auprès d’un médecin. Or dans le projet de loi relatif à la santé, à l’article 31, il est prévu d’ajouter, après le mot « médecin », les mots « ou une sage-femme ».
Que ce soit dans le chapitre consacré à l’exercice avancé des personnels paramédicaux, dans le chapitre relatif à l’autonomie des patients ou dans le chapitre portant sur la démocratie sanitaire, il me semble que l’on pourrait préciser que les infirmières des centres de planification et des centres de santé, ainsi que les personnels de certaines associations, comme les centres de planning familial ou les centres de santé associatifs, sont à même – dans la mesure, bien sûr, où ce sont des gens formés – de recueillir la première demande.
Que la première demande ne soit pas forcément recueillie et signée par un médecin ou une sage-femme faciliterait et accélèrerait grandement l’accès aux soins. En effet, dans le domaine de l’IVG, la lecture de la loi et des contraintes est à géométrie variable, et il y a des abus de pouvoir à toutes les étapes du parcours. Pour avoir été pendant plus de dix ans responsable de plusieurs centres d’IVG à l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris), j’ai constaté qu’à certains endroits, les patientes étaient envoyées chez le médecin de proximité pour obtenir ce document de première demande. Cela n’a aucun sens quand on sait que la conseillère conjugale qui avait reçu la patiente avait déjà commencé à lui expliquer les méthodes et que, dans les faits, elle avait très clairement recueilli une demande de sa part. D’ailleurs, dans de nombreux services, la demande formulée auprès d’un personnel du centre fait démarrer le délai de réflexion ; cela fait partie du protocole.
Passons à la contraception déléguée, sujet sur lequel nous travaillons depuis plusieurs années. Le projet de loi relatif à la santé prévoit en effet un exercice en pratique avancée pour certaines professions paramédicales, et notamment les infirmières.
J’observe que nous n’avons rien inventé en la matière : nos collègues et amis canadiens ont en effet mis en place depuis longtemps « l’ordonnance collective », qui permet à des infirmières d’initier des contraceptions – après une formation – dans le cadre d’un partenariat avec des médecins, pharmaciens, etc. Le système est très structuré. Les Américains ont également commencé à travailler sur la question. À l’heure où nous renforçons les contrôles pour la prescription de pilule, l’Association des gynécologues obstétriciens américains recommande la vente libre de la pilule. Nous sommes très en retard dans cette réflexion.
Quoi qu’il en soit, cette contraception déléguée permettrait de faciliter l’accès aux soins. Elle concernerait des praticiens installés sur la totalité du territoire, qu’il s’agisse des infirmières, des pharmaciens ou des sages-femmes – lesquelles ont déjà un droit de primo prescription. Je précise que dans nos centres, les infirmières initient les premières contraceptions, dans le cadre d'une pratique structurée, sur la base d’un protocole de soins. Ce serait plus particulièrement bénéfique pour la classe d’âge 18-24 ans, chez qui on observe un recul d’accès à la contraception à cause de la première consultation médicale.
Dès 2005, j’avais ouvert le DIU aux sages-femmes, persuadée que cela faisait partie de leurs missions et qu’elles seraient amenées à délivrer cette prescription. Je pense que l’extension à d’autres professionnels de santé volontaires et formés serait vraiment un plus. D’ailleurs, au sein de notre réseau, nous avons développé un volet contraception, et nous essayons de mettre en rapport les professionnels de ce domaine.
Voilà pourquoi je pense que la contraception déléguée fait partie des sujets qui pourraient être clairement exprimés dans la future loi, sous la rubrique « Exercice en pratique avancée ».
Enfin, ce pourrait être l’occasion d’une grande révolution. Je vous ai dit que nos confrères américains s’étaient prononcés pour la vente libre de la pilule et des oestroprogestatifs. Actuellement, en France, la pilule de la contraception d’urgence est en vente libre, suite à une initiative de Mme Ségolène Royal. C’est une molécule qui s’appelle le lévonorgestrel, exactement la même que celle des pilules microprogestatives. Ces dernières sont absolument sans danger et n’ont absolument pas besoin d’être délivrées sur prescription médicale. Le « délistage », c’est-à-dire le retrait de la liste des médicaments à prescription médicale obligatoire, et la vente libre des microprogestatifs faciliteraient énormément l’accès aux soins et à la contraception pour les jeunes et les moins jeunes.
Actuellement, les seuls contraceptifs gratuits sans ordonnance sont le retrait et le préservatif qui est une contraception masculine. Il n’y a aucune contraception féminine en vente libre, à part les préservatifs féminins, très peu utilisés, et les ovules. Les microprogestatifs sont sans danger et très peu chers (3,50 euros les trois plaquettes).
Mme la présidente Catherine Coutelle. Ne pourrait-on pas nous objecter que les jeunes filles ont d’abord besoin d’être informées ?
Par ailleurs, certains ont envisagé la mise en vente libre des pilules dans les supermarchés. Je suppose que vous pencheriez plutôt pour la pharmacie ou la parapharmacie ?
Mme Sophie Gaudu. Vous voulez connaître le fond de ma pensée ? Je pencherais plutôt pour le supermarché. Mais je n’irai pas jusqu’à le proposer.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Cette micro pilule est souvent la première pilule. En tant que professionnels, imaginez-vous que la jeune fille puisse y recourir elle-même, sans autre information ni conseil ?
Mme Sophie Gaudu. Je pense que la pilule est d’usage plus facile quand on débute sa vie amoureuse. En outre, l’efficacité du préservatif est directement corrélée à l’expérience de l’opérateur. Plus il est jeune, plus les accidents sont nombreux.
Mme Sophie Eyraud. Et surtout, l’usage du préservatif est très difficile à négocier.
Mme Sophie Gaudu. Avec le préservatif, le taux d’échec est de 14 grossesses par an pour 100 femmes. Avec un microprogestatif, il tombe à 2 : c’est tellement mieux que rien, et mieux que le préservatif ! Et surtout, le microprogestatif renforce l’autonomie des femmes. Bien entendu, il existe des pilules plus efficaces. Mais la question n’est pas là. Ce serait un vrai progrès que le microprogestatif soit en vente libre en pharmacie – avec un support papier explicatif, bien sûr.
S’il est en vente libre en pharmacie, il sera aussi accessible en « e-pharmacie ». Ce serait apprécié par les patientes qui n’ont pas accès à la pharmacie ou qui habitent en zone rurale ou dans les petites villes et ont du mal à se rendre chez le pharmacien local pour acheter leur pilule. En outre, il est beaucoup moins dangereux que l’ibuprofène ou le paracétamol, qui sont en vente libre. Vous ne pouvez pas vous suicider avec 22 plaquettes de microprogestatifs – vous serez juste malade – mais c’est tout à fait possible avec du paracétamol !
La mise en vente libre de ce médicament, qui est sans danger et donnerait de l’autonomie et de la liberté aux femmes, marquerait votre mandature.
Mme Béatrice Gaultier, secrétaire générale du Syndicat national des infirmiers conseillers de santé (SNICS). Le SNICS est un syndicat national, majoritaire, représentant les infirmiers conseillers de santé qui travaillent dans l’éducation nationale. Près de 64 % de nos collègues ont voté pour nous, avec un taux de participation de près de 70 %. Sur un corps de 7 500 infirmières, nous comptons environ 2 000 adhérents.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Et vous pouvez compter sur mon soutien indéfectible ! Je demande qu’il y ait des infirmières scolaires partout. Je pense que lorsque l’on crée des postes dans l’éducation nationale, on devrait puiser, sur ce contingent, des postes d’infirmiers et d’infirmières. En effet, ceux-ci jouent un rôle essentiel en matière d’éducation et de prévention, et leur présence permet d’améliorer les résultats scolaires.
M. Christian Allemand, secrétaire général adjoint du SNICS. Je pense que vous avez raison. On compte 7 400 infirmières pour 7 800 établissements du second degré. Mais il faut savoir que les infirmières de l’éducation nationale travaillent aussi dans le premier degré et dans l’enseignement supérieur.
Mme Béatrice Gaultier. Il y a 55 000 écoles et deux millions d’étudiants.
M. Christian Allemand. Le soin infirmier est en lien direct avec la réussite scolaire des élèves. Mais n’oublions pas que le premier interlocuteur d’un enfant, c’est un autre enfant, et pas l’infirmière scolaire comme on l’entend souvent. Si une jeune fille de quatrième a peur d’être enceinte, toutes ses copines ont peur aussi. Et si l’on ne peut pas lui apporter une réponse immédiate, ses amies en pâtiront de la même façon.
Ma collègue va intervenir sur des propositions à peu près similaires à celles des autres intervenants. Pour ma part, je pense que nous devons avoir le souci de répondre plus vite aux élèves, de les insérer dans un processus de réussite scolaire et, en même temps, dans une démarche d’éducation. Tout à l’heure, vous parliez d’accompagnement, d’éducation et d’information. Je pense que l’infirmerie de l’éducation nationale est un lieu où ce qui y est dit y reste. On a trop tendance à penser que l’éducation à la santé à titre collectif peut remplacer l’éducation à la santé à titre individuel. Mais ce n’est pas la même chose, ce ne sont pas les mêmes règles, ni les mêmes objectifs.
Dans l’enseignement public, chaque enfant devrait avoir au moins droit à cela. Parce que dans l’enseignement privé sous contrat, et ma collègue en parlera, il en va autrement. Je pense en particulier à la contraception d’urgence et à l’éducation à la sexualité.
Mme Béatrice Gaultier. Je voudrais revenir sur un des combats du SNICS : la contraception d’urgence. En raison de fortes résistances, les rédacteurs du texte de loi de l’époque avaient posé des conditions – une détresse caractérisée, pas de médecin à proximité, etc. – pour que l’on autorise les infirmières de l’éducation nationale à délivrer ce type de contraception.
Nous en étions les fervents défenseurs parce que nous connaissions les problématiques des jeunes en matière de sexualité – rapports non protégés, rupture du préservatif ... Nous sommes des interlocuteurs pour les jeunes – après leurs pairs, bien sûr – et nous pouvons leur apporter des réponses, dans un cadre protégé, sous couvert du secret professionnel. Je remercie d’ailleurs les intervenants précédents pour leurs propos, qui m’ont fait du bien. Il y a encore bien des réserves vis-à-vis de la contraception d’urgence.
Nous nous réjouissons que l’article 3 du projet de loi relatif à la santé corrige une rédaction par trop « ringarde ». Certes, les statistiques sont décevantes, le suivi est imparfait et nous voudrions pouvoir procéder à des évaluations. Malgré tout, on a pu démontrer que dans les collèges et les lycées, l’infirmière de l’éducation nationale était sollicitée par les jeunes souhaitant avoir recours à la contraception d’urgence. Et c’est bien sûr l’occasion pour elle de faire de l’information et de l’éducation à la sexualité.
Mme la présidente Catherine Coutelle. L’article 3 du projet de loi prévoit d’ores et déjà de supprimer de l’article L. 5134-1 du code de la santé publique les mots : « si un médecin, une sage-femme ou un centre de planification ou d’éducation familiale n’est pas immédiatement accessible, » ainsi que les mots : « à titre exceptionnel et » et les mots : « et de détresse caractérisés ».
Mme Béatrice Gaultier. Nous y sommes favorables, en revanche, au sujet du renouvellement de la contraception orale, on est au milieu du gué et les choses ne se mettent pas en place.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Ce que je comprends du texte du projet de loi, c’est que vous ne seriez utilisées, vous les infirmières scolaires, que pour la contraception d’urgence.
M. Christian Allemand. Il y a eu un battage médiatique avec bien des fantasmes sur la sexualité des enfants qui a beaucoup freiné les choses dans le domaine de la contraception d’urgence. Depuis, les infirmières ont le droit de renouveler une prescription. Aujourd’hui, n’importe quelle famille, n’importe quel enseignant et bien des élèves savent que l’accès à la contraception d’urgence est libre en infirmerie. Mais le renouvellent de la contraception orale par les infirmières est peu ou pas connu et peu ou pas médiatisé ; de plus, il doit être accompagné d’une formation. Cela, ni le ministère de l’éducation nationale, ni le ministère de la santé et encore moins la direction générale de l’offre de soins (DGOS), ne l’ont proposé. Il en va de même pour la pilule microprogestative.
Les autotests de dépistage pourraient également être mis à disposition dans les infirmeries. Nous avons d’ores et déjà des tests de grossesse. En fait, cela a été alourdi par des procédures, même si, finalement, les choses ne se sont pas mal passées. Mais cela pourrait être mieux, pour les enfants, pour leurs partenaires et, aussi, en termes de réussite scolaire. Car tout le monde ne peut bénéficier de l’anonymat des grandes villes et choisir d’aller dans une pharmacie sans être reconnu. Pour ma part, j’exerce dans un petit collège situé aux pieds du mont Ventoux, dans un village de 1 200 habitants et tous les enfants du plateau d’Albion y sont scolarisés. Or les enfants ont besoin d’ombre pour se construire ; permettons-leur de se construire dans une certaine part d’ombre mais en les accompagnant.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Qu’en est-il des établissements privés sous contrat ?
M. Christian Allemand. La loi dite Debré prévoit la rémunération des personnels enseignants par l’éducation nationale ; pour les personnels non enseignants, un forfait est alloué et l’établissement choisit d’embaucher ou non des personnels de santé ou d’éducation. Les infirmiers de l’éducation nationale, eux, sont des fonctionnaires ayant vocation à exercer dans les établissements publics locaux d’enseignement. Aujourd’hui, tout ce qui a trait à l’éducation à la sexualité ou à la contraception d’urgence n’est pas obligatoire dans les établissements privés sous contrat. On imagine facilement les pressions dont pourrait faire l’objet une infirmière de l’éducation nationale qui voudrait délivrer ce type d’information dans certains de ces établissements. La loi pourrait élargir cette obligation.
Mme la présidente Catherine Coutelle. . Nous souhaitons ouvrir des fronts mais petit à petit.
M. Christian Allemand. Cependant, cela pose de vrais problèmes dans les milieux ruraux. Je prendrais pour exemple deux académies, celles de Nantes et de Rennes ; dans cette dernière, la moitié des élèves relèvent de l’enseignement privé sous contrat.
Mme Laurence Danjou. J’ai entendu dire par des fonctionnaires travaillant dans le domaine de la contraception en milieu scolaire que les moyens étaient nettement insuffisants.
M. Christian Allemand. Le budget pour ces moyens existe, il y a une ligne budgétaire pour les médicaments en milieu scolaire sur laquelle sont imputés les produits concernés. Au tout début, la difficulté rencontrée par des collègues a été le refus de certains pharmaciens de délivrer les prescriptions, ou des chefs d’établissement refusant l’acquisition. Cela n’est pas vraiment le sujet. La question de fond est de rendre obligatoire tout ce qu’il y a autour de l’éducation à la sexualité et d’offrir un soignant, une présence derrière une porte.
Mme Laurence Danjou. Dans le cadre de l’ANCIC, nous avons travaillé avec des personnels de l’éducation nationale au sujet des mineures en situation de demander une IVG et de la possibilité de les accompagner dans leur démarche. Savez-vous si les autorités de tutelle ont évolué dans leur réflexion à ce sujet ?
Mme la présidente Catherine Coutelle. Lorsque les jeunes filles viennent vous voir, évoquent-elles la question de l’IVG ? Êtes-vous l’une des premières entrées ?
M. Christian Allemand. Nous sommes sollicités. Mais l’éducation nationale, particulièrement la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) ont préféré considérer que, si une infirmière souhaite assumer le rôle d’adulte référent, elle ne peut le faire qu’à titre individuel. En effet, sa position statutaire ne lui permet pas de faire sortir un élève de l’établissement sans un ordre de mission ; se pose aussi la question de la substitution partielle à l’autorité parentale. Cette façon de voir, strictement administrative, a occulté la vraie question de l’accompagnement qui est la levée du secret. La situation demeure inchangée à ce jour.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Dans ce contexte et au titre d’une démarche effectuée à titre individuel, les parents ne peuvent-ils pas se retourner contre vous ou êtes-vous couverts ? Aucun de vos collègues n’a fait l’objet de poursuite de la part de familles ?
Mme Sophie Gaudu. Sauf dans les lieux où, par abus de pouvoir institutionnel, on note le nom de l’accompagnant majeur, nous ne notons pas ce nom, nous nous bornons à attester que l’intéressée était bien accompagnée par un majeur.
M. Christian Allemand. Même dans les bassins d’habitation les plus reculés, je n’ai jamais été témoin de plaintes émanant d’une famille. Les problèmes rencontrés relèvent plus du domaine administratif et de couverture, comme toujours dans l’éducation nationale.
Mme Sophie Gaudu. Il existe une importante inégalité territoriale dans la réalisation des IVG médicamenteuses dans les centres de planification départementaux. Un système compliqué veut qu’une décision du conseil général soit prise à cet effet. Ce dernier est le responsable juridique des centres de planification, c’est donc lui qui signe les conventions et mandate les salariés pour la réalisation de l’acte. Si je prends l’exemple de l’Île-de-France, les centres de planification départementaux réalisent des IVG médicamenteuses dans les départements de Paris et de Seine-Saint-Denis et pas du tout dans les Yvelines et les Hauts-de-Seine. La couleur politique du conseil général influe sur la décision. Ce qui est vrai en Île-de-France se vérifie sur l’ensemble du territoire national. Cette inégalité concerne l’accès aux centres de planification ou aux centres de santé avec le tiers payant ou en pleine gratuité.
Mme Sophie Eyraud. En ce qui concerne les centres de santé, ce sont les maires qui sont responsables, donc la décision est prise par le conseil municipal.
Mme Sophie Gaudu. Il faudrait que la réalisation des IVG médicamenteuses puisse être imposée aux départements, j’ignore dans quel article du projet de loi cette proposition pourrait prendre place mais cela constituerait un réel progrès.
Mme Maud Olivier. Vous avez oublié de mentionner l’Essonne, département pionnier dans ce domaine, dont je suis conseillère générale. À l’époque où j’étais maire, l’ARS nous avait imposé la présence d’un échographe dans les centres de santé où des IVG médicamenteuses devaient être effectuées. Nous nous en sommes dotés avec un financement partiel de la région mais je m’interroge toujours sur le bien-fondé de cette exigence. Il serait souhaitable que cette ambiguïté soit levée, quitte à modifier la circulaire, car cela est très coûteux et risque de limiter les initiatives.
Mme Sophie Eyraud. Si tel était le cas, tous les médecins de ville devraient se doter d’un échographe, ce qui est impossible.
Il est vrai que l’Essonne est très pionnière et nous avons signé beaucoup de conventions ensemble. Le réseau a formé la totalité des personnels des centres de planification du département, y compris ceux qui ne souhaitaient pas pratiquer d’IVG afin qu’ils soient en mesure d’accompagner et de répondre aux patientes en demande. Cela a permis d’augmenter considérablement l’offre de soins dans un département où les choses étaient particulièrement difficiles.
Mme Laurence Danjou. Si l’échographie est utile, aucun texte ne l’impose dans la pratique de l’IVG médicamenteuse.
Mme Maud Olivier. Donc vous considérez que l’absence d’échographe ne pose pas de problème de sécurité ?
Mme Sophie Eyraud. J’ai pratiqué des IVG à l’hôpital Béclère de Clamart pendant vingt-cinq ans sans échographe, il n’y en a eu qu’à partir de l’an 2000.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie, nous allons maintenant laisser parler les représentant-e-s du Collège national des sages-femmes.
Mme Sophie Guillaume, sage-femme cadre supérieur à l’hôpital Necker, présidente du Collège national des sages-femmes de France (CNSF). Créé en 2001, le CNSF est la société savante de la profession et regroupe l’ensemble des modes d’exercice de la profession. Je partage tout ce que j’ai entendu jusqu’à présent. Le collège s’est emparé de la problématique de l’accès aux soins et, depuis 2002, le numerus clausus des sages-femmes a été augmenté dans la perspective de l’élargissement du champ de compétence de notre profession. La loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (loi HPST) du 22 juillet 2009 prévoit le suivi gynécologique de prévention par les sages-femmes. Malgré cette augmentation de nos effectifs, beaucoup de femmes et de jeunes filles ignorent qu’elles peuvent avoir recours à nous. Nous nous sommes mobilisés contre cette invisibilité des sages-femmes sans recevoir une écoute favorable. Cela est d’autant plus regrettable que le collège est un interlocuteur des pouvoirs publics, des sociétés savantes et des autres professions de santé du champ de la santé de la femme et du nouveau-né puisque nous sommes l’interface entre les deux.
M. Adrien Gantois, sage-femme, membre du CNSF. Je suis membre du collège, sage-femme à l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis à mi-temps et sage-femme dans une maison de santé pluridisciplinaire au Pré-Saint-Gervais dans le département de Seine-Saint-Denis. Je veux remercier les intervenants pour leur engagement dans l’accompagnement vers l’accès des jeunes femmes à l’IVG. J’ai entendu parler d’anesthésie locale et d’autres méthodes que l’IVG médicamenteuse, pourquoi ne pas englober l’ensemble des pratiques sous le nom d’IVG ambulatoire afin de ne pas restreindre le choix de la femme souhaitant recourir à l’IVG ?
Je prends l’exemple d’une patiente. Elle est étudiante à Sciences Po, elle a vingt-quatre ans et vient dans une maison de santé pluriprofessionnelle pour y rencontrer son médecin traitant au sujet d’un petit rhume. Elle fait état de trois IVG ; le réflexe du médecin est de l’envoyer voir la sage-femme qui se trouve au bout du couloir. L’entretien laisse apparaître chez la jeune femme une méconnaissance de la contraception mais aussi des angoisses et des incertitudes quant à ses désirs propres et sa construction sexuelle ainsi que son autonomie de femme. Cette histoire est révélatrice de la société d’aujourd’hui. Le recours à l’interruption volontaire de grossesse stagne depuis 2006 malgré une augmentation constante de la couverture contraceptive : 222 000 IVG par an ont été pratiquées en France dont 27 pour 1 000 chez les femmes de vingt à vingt-quatre ans. De plus, le recours à l’IVG concerne plus fréquemment les femmes âgées de moins de vingt-cinq ans ou mineures avec 13 500 IVG en 2009.
On observe un réel problème lié à l’observance des moyens de contraception puisque 75 % des femmes déclarent y avoir recours mais les échecs demeurent fréquents ; sans compter qu’une femme sur dix utilise un moyen de contraception naturel, ce chiffre date de 2014. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 23 % des filles françaises âgées de quinze ans ont déjà connu un rapport sexuel et seulement 41 % des adolescents utilisent un préservatif lors de leur premier rapport sexuel. Ses chiffres sont consternants, et nous interrogent. Que faisons-nous ? Donnons-nous les bonnes informations à ces jeunes filles ? Connaissent-elles vraiment les moyens de contraception ? À ce sujet, je partage l’avis des infirmières scolaires : elles devraient être plus nombreuses afin que ces jeunes femmes puissent être autonomes.
Notre stratégie de prévention doit donc être repensée puisque le taux d’IVG demeure constant malgré les dispositifs mis en place. Nous proposons donc une consultation gynécologique personnalisée pour l’information des jeunes filles dès l’âge de quinze ans. Il s’agit de les amener à la conscience de leur santé sexuelle. Ce dernier concept, défini par l’OMS, est proche de celui de santé reproductive. Il s’agit de la capacité à contrôler le comportement sexuel et reproductif en accord avec l’éthique personnelle et sociale et d’une délivrance de la peur, la honte et la culpabilisation, des fausses croyances et de tout autre facteur psychologique susceptible d’inhiber ou d’interférer sur les relations sexuelles. La santé reproductive, de son côté, nécessite une absence de troubles, de dysfonctions organiques, de maladies ou d’insuffisances susceptibles d’interférer avec la fonction sexuelle et reproductive.
Si la notion de santé sexuelle était incluse dans nos stratégies de prévention, on donnerait plus d’autonomie aux individus et cela limiterait les violences faites aux femmes. Il s’agit de faire de la sexualité quelque chose de positif, un sujet sans tabou dont on peut parler avec des professionnels aguerris comme les médecins, les infirmières scolaires et les sages-femmes. Il faut ensuite améliorer la connaissance de la contraception qui est encore aujourd’hui balbutiante. Les jeunes femmes doivent pouvoir bénéficier d’une consultation en dehors de toute contrainte familiale ou pécuniaire, c’est pourquoi nous demandons la prise en charge à 100 % à l’instar du bilan bucco-dentaire effectué chez les adolescents.
Mme la présidente Catherine Coutelle. La contraception est remboursée à 100 % sauf la visite médicale, cette question serait réglée si la vente libre en supermarché était autorisée.
Mme Sophie Guillaume. Ces propositions sont recevables mais cela reviendrait à laisser les gens conduire sans avoir reçu les leçons de conduite. Ce qui importe, c’est d’éclairer le choix des jeunes filles.
Formée dans les années 1990, j’ai participé pendant de longues années à des formations dans des collèges et toute notre approche consistait à présenter la sexualité de façon positive. Certes, il est possible d’axer la prévention sur les risques de grossesse non désirée ou les maladies sexuellement transmissibles et le SIDA, au risque de faire peur. Or le goût du risque, caractéristique de l’adolescence, ne doit pas être oublié. Depuis 2006, nous nous sommes livrés à un matraquage préventif, par voie d’affiches notamment et nous constatons que le nombre d’IVG stagne. Nous devons travailler avec des sexologues afin de répondre aux situations de violence car aujourd’hui l’acte sexuel est banalisé et il y a beaucoup de grossesses non désirées. Certes, l’accès libre ou les actions telles l’accompagnement par un majeur sont des démarches positives mais nous devons conduire en amont une réflexion globale allant au-delà.
M. Christian Allemand. Je m’interroge sur la nécessité d’opposer éducation, information, accompagnement, prise en charge et soins. Je me souviens que, lors de mes premières années de formation en sexologie, des questions posées à des participants montraient, de leur part, une méconnaissance de leur propre anatomie. Ainsi, éducation n’est pas synonyme d’appropriation et, plutôt que de segmenter et créer des prés carrés, il faut conjuguer les approches, même si j’ai bien entendu les propos de Mme Gaudu.
Aujourd’hui, un enfant, un adolescent ou un jeune adulte doit disposer autour de lui d’un réseau au sein duquel il va trouver ce qui lui correspond. S’agissant de la stagnation du nombre d’IVG, Mme Gaudu nous expliquera la règle de trois.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous évoquez une consultation vers l’âge de quinze ans. Rafraîchissez-moi la mémoire, dans le cadre de la médecine scolaire obligatoire, il fut un temps où il y avait une visite en maternelle et une en primaire. Cela se termine-t-il avec le collège ?
M. Christian Allemand. Depuis l’après-guerre jusqu’à l’amendement dit « Pécresse », il n’y avait qu’une seule visite obligatoire à l’âge de six ans. L’amendement a prévu des visites aux âges de six, neuf, douze et quinze ans ; cela n’a jamais été appliqué puisque la visite de six ans n’était déjà pas réalisée. En revanche, la loi de refondation de l’école propose des choses intéressantes. Pour l’enfant de six ans, période de latence, il serait procédé à une visite susceptible d’être faite même par un médecin de ville. À douze ans est prévu un examen de dépistage, examen infirmier en fait, correspondant à l’âge d’entrée au collège. Entre-temps, des suivis seront effectués par les professionnels de santé. Des discussions sont toujours en cours entre l’éducation nationale et le ministère de la santé. Mais, après le collège, plus rien n’est prévu jusqu’au statut d’étudiant ou d’élève orienté.
Mme Sophie Eyraud. La loi HPST prévoyait qu’une consultation de prévention anonyme et gratuite serait prise en charge à 100 %, à l’adolescence, cela n’a jamais été appliqué. En tant que généralistes, nous utilisons les visites destinées à délivrer des certificats pour la pratique sportive pour faire de la prévention auprès des adolescents.
Mme Sophie Gaudu. Au sujet de la consultation à l’adolescence, l’article 16 du projet de loi relatif à la santé concerne le parcours coordonné de l’enfant et la prévention de l’obésité et des addictions ; à cela pourrait être ajoutée la préentrée dans la sexualité. Aujourd’hui, lorsque l’enfant a treize ans, la sécurité sociale envoie aux parents une proposition de bilan bucco-dentaire pris en charge à 100 %, pourquoi ne pas proposer la même chose pour l’entrée dans l’adolescence ?
Au sujet de la règle de trois, on constate que le nombre d’IVG pratiquées reste stable mais le nombre des femmes ne cessant pas d’augmenter, le nombre d’IVG par femme diminue de façon constante depuis un certain nombre d’années, cela en particulier chez les plus jeunes depuis 2006. Les âges concernés sont de vingt ans, puis vingt-quatre à trente ans. Dans la mesure où l’âge de la première maternité ne cesse pas de reculer, et que les motivations sociales de ce recul évoluent, le nombre des IVG pratiquées ne diminue pas.
Mme Sophie Eyraud. Nathalie Bajos, sociologue, a montré que, socialement, une femme est aujourd’hui plus libre de choisir l’interruption d’une grossesse imprévue qu’il y a trente ans.
Mme Laurence Danjou. Il n’y a pas lieu de privilégier un moyen plus qu’un autre. La contraception microprogestative peut apporter une réponse à une situation ponctuelle d’urgence et la femme peut, par la suite, prendre le temps de s’informer et faire ses choix.
M. Adrien Gantois. Il s’agit juste de proposer un service de plus, à l’instar de ce qui existe pour le soin bucco-dentaire. Cela serait une bonne chose pour les jeunes femmes comme pour les jeunes hommes.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Lors de l’examen du projet de loi HPST, Mme Bérengère Poletti, sage-femme de formation, qui avait fait un rapport sur les grossesses précoces, avait déposé un amendement proposant que les sages-femmes puissent procéder à l’IVG médicamenteuse. Cela avait déclenché des réactions violentes de la part de membres de la profession. Pouvez-vous me dire si ce débat a évolué ?
M. Adrien Gantois. De fait, cinq sages-femmes sur 20 000 avaient créé un groupuscule pro-life bénéficiant de beaucoup d’argent et de moyens de communication et ont donné une fausse image de la profession. Le rejet de cet amendement a constitué une énorme déception pour les sages-femmes.
Mme Sophie Guillaume. Dans le cadre du suivi gynécologique de prévention, très peu de jeunes femmes viennent consulter les sages-femmes qui, du fait de l’augmentation du numerus clausus, connaissent le chômage. Situation absurde puisque trop de femmes restent sans accès aux premières visites ni aux soins.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Je connais le cas d’une jeune sage-femme qui s’est installée dans une petite commune, à trente kilomètres de la première ville et du premier hôpital et dont le rôle est considérable. Elle pratique les visites pré et postnatales, elle évite des déplacements et rassure ses patientes. Mais il a fallu qu’elle accepte de s’installer en milieu relativement isolé.
Mme Sophie Guillaume. Je rappelle que nous sommes la seule profession qui a accepté des mesures de régulation. Je souhaite citer l’exemple de la mère d’une aide-soignante du service dans lequel j’exerce et dont le gynécologue est parti en retraite. Au détour d’une grève et d’un manque de médecins dans le service, cette personne a découvert la sage-femme et s’en est trouvée pleinement satisfaite. Cela illustre bien qu’il faut privilégier la pluri professionnalité ; or sans vouloir tenir de propos corporatistes, il existe des ressources non exploitées.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Cela montre qu’il y a un problème de non information alors que bien des services sont à rendre.
Mme Laurence Danjou. Il faut rappeler que l’installation de sages-femmes ne suffit pas et que, dans le cas d’une IVG médicamenteuse, en situation d’urgence, la patiente ne doit pas se trouver à plus d’une heure d’un centre de soins. Il faut maintenir un maillage territorial et ne pas fermer trop de petites structures.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Je ne partage pas complètement votre opinion. Un plateau technique suffisant est nécessaire et l’expérience a montré qu’un chirurgien qui n’opère que deux fois dans le mois est dangereux. Je suis défavorable au maintien des petites maternités sous-équipées.
Je souhaitais vous interroger sur le délai de réflexion de sept jours pour une interruption volontaire de grossesse : est-il toujours d’actualité, est-il toujours pertinent ?
Mme Sophie Eyraud. Le temps nécessaire à la décision est variable, certaines femmes sont décidées très tôt, d’autres non. L’enjeu est de laisser le temps à la réflexion et à l’information, en aucun cas il ne faut précipiter les choses. En revanche, la durée standard de sept jours est infantilisante.
Mme Sophie Gaudu. Je souhaiterais me faire l’avocat du diable des mauvaises pratiques institutionnelles en rappelant que, dans beaucoup d’endroits, ces sept jours sont comptés à partir de la première rencontre avec le médecin du centre, même s’il y a eu une consultation préalable en ville. L’interruption volontaire de grossesse est une pratique extrêmement réglementée et la lecture institutionnelle de cette réglementation est très coercitive.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous avons indiscutablement un problème de délais qui, d’ailleurs, se trouve à l’origine de bien des départs à l’étranger ; questions de coordination, délais d’attente involontaires ou non… Les situations sont très différentes d’un centre à l’autre.
M. Adrien Gantois. En ce qui concerne l’installation d’échographes, il est vrai que la datation a son utilité et que, dans les zones sous-dotées, une incitation pourrait être imaginée pour leur installation dans les centres, par le biais d’une aide du conseil général par exemple. Bientôt les maisons de santé professionnelles vont se multiplier et devront financer cet équipement. Il faudra songer à les aider.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Quelle est votre position sur la clause de conscience, même si nous ne voulons pas nécessairement rouvrir un débat comme cela s’est produit lorsque nous avons supprimé la notion d’état de détresse – ce qui m’a ramenée quarante ans en arrière. Nous ne souhaitons pas nous entendre dire que nous forçons les médecins. Nous savons tous pourtant qu’il y a redondance et que tous les personnels médicaux jouissent de cette clause de conscience. Le film récent sur Simone Veil montre comment et pourquoi elle a été conduite à introduire ces termes dans la loi, elle n’avait pas le choix. Faut-il aujourd’hui les supprimer alors que certains voudraient revenir sur cet acquis – on a vu ce qui s’est passé en Espagne ? Je souhaiterais avoir votre sentiment à ce sujet.
M. Adrien Gantois. La décision revient au législateur, si le retrait risque de faire capoter la loi, nous préférons le maintien, dans le cas contraire, le retrait a notre préférence.
Mme la présidente Catherine Coutelle. J’ai discuté avec une collègue qui souhaitait déposer un amendement en ce sens. Dans le contexte du débat sur l’IVG tel qu’il se déroule actuellement, un amendement de suppression de la clause de conscience, alors que celle-ci demeurerait de toute façon, risquerait d’être très visible, voire d’être vécu comme une provocation. Le cas échéant, nous prendrions nos responsabilités. Je vous demande donc votre avis : une telle suppression vous paraît-elle utile ?
Mme Sophie Gaudu. Si vous me donnez le choix entre rouvrir le front de la clause de conscience et la vente libre des microprogestatifs, je préfère la vente libre des microprogestatifs. L’adoption de votre amendement serait un plus. L’IVG est un acte dont le statut a été rendu exceptionnel par la déclaration obligatoire, le paiement au forfait et la soumission à la clause de conscience, avec cette redondance, et donc un acte auquel on pourrait spécifiquement se soustraire alors que l’on peut se soustraire à tout. Cette clause devient à géométrie variable : des confrères acceptent d’aller jusqu’à huit semaines, d’autres jusqu’à dix semaines, d’autre jusqu’à quatorze. Par ailleurs, certains, jusqu’à huit ou dix semaines, pratiquent l’aspiration et, entre douze et quatorze semaines, refont du médicamenteux.
Cette double clause de conscience fait que certains se permettent de faire n’importe quoi dans le domaine de l’interruption volontaire de grossesse ; sa suppression constituerait une réelle avancée.
Mme la présidente Catherine Coutelle. L’Assemblée nationale a adopté quasiment à l’unanimité, ce qui n’était pas évident, une résolution, en faisant référence à tous les textes en vigueur, y compris la loi de 2014, et réaffirmant que l’IVG est un droit fondamental. Il y a eu débat cependant, car cette notion n’est pas encore acceptée par tous.
Mme Maud Olivier. Les esprits sont frileux ; la fin de vie a été évoquée récemment et la loi dispose que les directives anticipées s’imposent aux médecins. Ainsi, la volonté du patient s’impose au corps médical. Le parallèle pourrait être fait pour dire que le corps appartient à la femme et que sa volonté s’impose donc dans les mêmes conditions, particulièrement pour un acte tel que l’interruption volontaire de grossesse.
Mme Sophie Gaudu. J’appelle votre attention sur le fait que, pour certains praticiens, si une échographie pratiquée à la douzième semaine de la grossesse met en évidence un doute sur la normalité du fœtus, la patiente est obligée de passer par un centre de diagnostic prénatal et n’a plus le droit de demander une IVG, même si elle est avant quatorze semaines. Certes, en tant que praticiens, nous ne pouvons que souhaiter que ces patientes puissent disposer de l’ensemble des investigations nécessaires liées au doute sur la normalité du fœtus qu’elles portent. Cependant, on conçoit mal à quel titre on accorderait une IVG à une femme qui s’est engagée dans ce parcours alors qu’on la refuserait à une femme qui la demande pour cause d’anormalité manifeste du fœtus.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous dites que cette situation est due au fait que la patiente n’a pas manifesté sa volonté d’avorter avant d’avoir eu connaissance du doute d’anormalité du fœtus et que certains médecins en déduisent qu’elle ne peut plus le faire, y compris à douze semaines ?
Mme Sophie Gaudu. En revanche, si le centre de diagnostic prénatal conclut à un risque d’une particulière gravité, l’intéressée aura le droit à une IVG mais dans le cadre d’une interruption médicale de grossesse. On se trouve là à la frontière de l’autonomie des femmes à décider de leur corps et de leur avenir – la suppression de la clause de conscience irait à cet égard dans le bon sens. Ce débat a beaucoup agité la communauté médicale. D’ailleurs, les actes récents d’un colloque du collège des gynécologues obstétriciens évoquent encore la notion d’interruption volontaire de grossesse illégale. Je me suis insurgée contre cette notion, on entre dans le cadre du refus de soin.
Mme Maud Olivier. Quels seraient les textes à modifier pour mettre un terme à de telles situations ?
Mme Sophie Eyraud. Cela ne relève pas de textes existants ; il s’agit d’une exégèse faite par certains praticiens.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Donc le droit existe mais il est mal appliqué.
Mme Sophie Guillaume. Pour travailler dans un centre de diagnostic anténatal, je peux dire que, si une échographie montre un risque d’anormalité, les choses deviennent très compliquées pour la patiente. Certaines se rendent alors dans un centre d’IVG et nous ne leur demandons pas si elles viennent d’un centre de diagnostic prénatal.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous avons reçu de nombreux témoignages faisant état d’abus de pouvoir : pressions , accusations ou culpabilisation. On demande à la femme si elle a bien réfléchi ou on lui montre l’échographie. Tout cela n’est pas dans la loi.
Mme Laurence Danjou. Les médecins des centres de diagnostic prénatal qui se livrent à ce genre de pratiques se mettent en dehors de la loi. S’ils peuvent émettre des réserves au titre de l’éthique et demander à la patiente de réfléchir, ils n’en sont pas moins tenus d’adresser celle-ci à un confrère pour pratiquer l’IVG. Aux termes de la loi, la femme n’a pas à justifier son choix ; ces praticiens créent donc une notion d’interruption volontaire de grossesse illégale.
Mme la présidente Catherine Coutelle. On constate donc que des femmes candidates à l’IVG subissent encore des pressions, on assiste à des phénomènes de régression.
Mme Sophie Guillaume. Cela s’est vu à l’occasion du débat relatif à l’allongement du délai. La France a un délai de quatorze semaines, certains pays comme la Hollande ont un délai qui s’étend jusqu’à vingt-deux semaines.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Une réflexion devrait-elle être menée sur l’allongement du délai ?
Mme Sophie Eyraud. Pourquoi pas ? Nous serions déjà satisfaites si le délai légal de quatorze semaines était correctement appliqué.
Mme Sophie Gaudu. Dans ces conditions, nous pourrions établir l’échelle de nos préférences, d’abord les microprogestatifs, ensuite la clause de conscience et enfin les délais !
Mme la présidente Catherine Coutelle. La question de la formation des médecins reste posée. Nous avons reçu le témoignage d’une femme qui avait dépassé les délais car son généraliste n’avait pas su lui donner les bonnes informations. Nous avons pensé qu’il faudrait imposer dans tous les cabinets médicaux une fiche récapitulative comportant notamment ce type d’information.
Mme Sophie Gaudu. Cette fiche existe, elle est obligatoire et réactualisée, c’est la loi.
Mme Maud Olivier. En Essonne, nous avons mené une expérimentation concernant des jeunes femmes qui avaient des grossesses précoces, avec des stages de trois à quatre semaines, non seulement sur la procréation, mais aussi sur les droits etc., et nous nous sommes aperçus que ces femmes ne savaient pas comment elles étaient faites, et en particulier comment est fait leur appareil reproducteur. Cela ne m’étonne donc guère que des grossesses précoces puissent survenir dans ces conditions. Dès lors, comme nous évoquions tout à l’heure la question des infirmiers scolaires, ne pourrait-il y avoir aussi une formation pour ces jeunes filles en milieu scolaire, concernant notamment l’éducation à l’anatomie ? Cette question se pose notamment dans les banlieues populaires.
Mme Sophie Eyraud. Normalement, les textes prévoient trois interventions par an dans les classes d’âge et par an. Mais dans les faits, depuis la loi de 2001, il n’y a rien. Quand je faisais des interventions en milieu scolaire, en lien avec l’infirmière scolaire mais nous nous n’étions pas assez nombreux et on ne touchait qu’une seule classe d’âge, en quatrième ou troisième. En Canada et en Hollande, ils commencent en primaire.
Mme Maud Olivier. Et pendant ces séances, on parle plus des maladies sexuellement transmissibles (MST) que de sexualité, sinon de plaisir.
M. Christian Allemand. Le problème vient de ce qu’on n’a pas créé de droit opposable dans ce domaine. Des enseignants de sciences de la vie et de la terre (SVT) participent parfois à des séances d’éducation à la sexualité, mais comment fait-on pour intérioriser l’information délivrée ? C’est une vraie question. Il faut certes des apprentissages de savoirs mais il faut aussi passer au savoir-être et au savoir-faire. L’apprentissage collectif ne peut remplacer l’apprentissage individuel à l’école ou à l’extérieur. Une porte doit être ouverte pour accompagner de manière professionnelle mais sans médicaliser.
La circulaire sur l’éducation sexuelle à l’école est formidable, il faut la rendre véritablement obligatoire, l’intention n’est pas suffisante. Le problème est : comment faire pour inclure cette éducation dans les enseignements, l’emploi du temps ? Un droit opposable éviterait certains positionnements.
Mme Maud Olivier. On peut aussi faire intervenir des associations.
M. Christian Allemand. Certes, mais le problème ne porte pas sur les intervenants mais sur l’emploi du temps des élèves et les différents enseignements.
Mme Catherine Coutelle. Y-a-t-il des réticences des parents ?
M. Christian Allemand. Il peut y avoir des approches différentes selon les établissements et la sociologie. Le parcours peut être un peu compliqué mais apporte des garanties, avec des associations agréées notamment. Si on crée un droit opposable, on lèverait ces problèmes.
Mme Laurence Danjou. En matière d’IVG chirurgicale, un protocole d’expérimentation va être mis en place à la Pitié-Salpêtrière pour permettre aux sages-femmes de le pratiquer.
M. Adrien Gantois. Pour l’IVG médicamenteux, cela est acquis. Nous proposons de parler d’IVG ambulatoire.
Mme Catherine Coutelle. En pratique, la femme choisit-elle vraiment la méthode ?
Mme Sophie Eyraud. Sincèrement, non, c’est induit par le centre qui fait l’intervention, le choix se fait en fonction de la porte d’entrée – si elles s’adressent à un médecin de ville ou à un établissement, etc.– et de la méthode pratiquée dans l’établissement. Cela était d’ailleurs ressorti d’une étude qui avait été réalisée par une sociologue de l’INSERM, dans le cadre du réseau REHVO dont je suis également vice-présidente.
De la même manière, la prescription d’un dispositif intra-utérin (stérilet) chez les nullipares, c’est-à-dire les femmes qui n’ont jamais eu d’enfant, est encore peu fréquente.
Mme Laurence Danjou. Il faut néanmoins tendre à cela, au choix de la méthode. Le centre dans lequel j’exerce propose d’ailleurs quatre méthodes d’IVG (par voie médicamenteuse avec les femmes à domicile, d’autres où elles sont hospitalisées, sous anesthésie locale et IVG chirurgicales).
Mme la présidente Catherine Coutelle. Mesdames, messieurs, nous vous remercions pour vos interventions fort intéressantes sur ces questions.
La séance est levée à 18 heures 50.
——fpfp——
Membres présents
Présentes.- Mme Catherine Coutelle, Mme Maud Olivier.