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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 18 mars 2015

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 21

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition de M. François Chérèque, inspecteur général des affaires sociales, président de l’Agence du service civique, sur l’évaluation de la mise en œuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté et les dispositifs de soutien aux travailleur-se-s modestes.

La séance est ouverte à 14 heures.

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l’audition de M. François Chérèque, inspecteur général des affaires sociales, président de l’Agence du service civique, sur l’évaluation de la mise en œuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté et les dispositifs de soutien aux travailleur-se-s modestes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation, monsieur le président. Notre délégation a souhaité vous entendre à propos du rapport d’évaluation que vous avez remis et publié en janvier 2015, en votre qualité d’inspecteur général des affaires sociales, sur la deuxième année de mise en œuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale adopté par le Gouvernement. Vous y formulez un certain nombre de conclusions et de préconisations. À cet égard, les mesures que vient d’annoncer le Gouvernement dans le cadre de sa feuille de route pour les années 2015 à 2017 correspondent-elles à vos attentes ?

Christophe Sirugue, vice-président de notre délégation, suit ce dossier avec attention. Il a notamment été l’auteur d’un rapport remarqué sur la composante « activité » du revenu de solidarité active (RSA) et sur la prime pour l’emploi (PPE).

Dans la synthèse de votre rapport, vous constatez que la pauvreté n’a pas nécessairement augmenté en France, mais qu’elle a évolué : il y a aujourd’hui davantage d’enfants pauvres, notamment parce que le nombre de familles monoparentales qui vivent sous le seuil de pauvreté s’est accru. Or les parents des familles monoparentales sont, à 85 %, des femmes. D’où notre intérêt particulier pour cette question.

Pour réaliser votre évaluation, avez-vous pu recourir à des indicateurs sexués ?

En ce qui concerne la mise en œuvre du plan au niveau territorial, vous relevez que l’élan initial s’est quelque peu essoufflé. Ce point m’a interpellée.

Qu’en est-il du renoncement aux soins dû à l’absence de couverture complémentaire ? Nous savons que ce phénomène touche particulièrement les femmes. Notre délégation s’est d’ailleurs prononcée en faveur de la généralisation du tiers payant.

D’autre part, les personnes dont les ressources dépassent le plafond d’attribution de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) peuvent bénéficier de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS). Cependant, ce dispositif est très peu utilisé. Cela tient-il au fait qu’il est mal connu ? Est-ce parce que le reste à payer est trop important ? Pourtant, l’ACS n’est-elle pas de nature à permettre à des personnes qui disposent de ressources modestes, notamment à des femmes, de mieux se soigner ?

M. François Chérèque, inspecteur général des affaires sociales, président de l’Agence du service civique. Je vous remercie de votre invitation, madame la présidente. Je ferai une présentation synthétique de ce rapport, que j’ai établi avec deux autres collègues de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

Lorsque le Gouvernement a adopté le plan pluriannuel contre la pauvreté, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault m’a demandé, par lettre de mission, de rédiger un rapport annuel, non seulement pour s’assurer de la bonne mise en œuvre du plan, mais aussi dans un souci d’objectivité et de transparence à l’égard du monde associatif, qui s’était engagé dans ce cadre. Le Premier ministre actuel, Manuel Valls, a souhaité poursuivre selon la même méthode. Celle-ci me paraît originale : on met en place une politique publique, puis on commande un rapport que l’on soumet à la discussion, au vu de laquelle on adapte le plan initial – ce que vient de faire le Premier ministre. La lettre de mission, je le rappelle, me chargeait de réaliser une évaluation de la mise en œuvre du plan et de définir, à cette fin, des indicateurs de suivi.

Vous avez soulevé le problème des indicateurs, madame la présidente : ils ne sont en effet pas toujours sexués. Surtout, il n’est pas encore possible de mesurer l’impact du plan au regard de ces indicateurs, car les derniers chiffres relatifs à la pauvreté dont nous disposons concernent l’année 2012, laquelle est antérieure au lancement du plan, au début de l’année 2013. Nous n’aurons donc d’éléments plus précis sur la mise en œuvre du plan qu’à la fin de cette année.

J’ai élaboré le rapport d’évaluation de la première année de mise en œuvre du plan avec mon collègue de l’IGAS Simon Vanackere, qui avait travaillé sur le RSA activité et la PPE avec M. Sirugue. Notre mission était double : outre la rédaction du rapport, nous devions présenter le plan dans l’ensemble des régions et veiller à sa mise en œuvre au niveau territorial. Nous avions ainsi tenu trente réunions régionales, y compris dans les départements d’outre-mer, en présence des préfets de région, qui avaient souvent suivi l’intégralité des débats. Nous avions rassemblé au total 6 000 personnes, ce qui avait créé une dynamique assez forte autour du plan.

À l’issue de cette première année de mise en œuvre, l’animation territoriale a été transférée à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Or celle-ci a tardé à adresser ses instructions aux préfets pour la deuxième année de mise en œuvre. Dans notre premier rapport, nous avions proposé un pilotage territorial à deux niveaux, avec un comité stratégique placé sous l’autorité du préfet de région, en lien avec les présidents de conseils généraux, et un comité opérationnel dans chaque département. La circulaire relative au dispositif de gouvernance et de suivi territorial n’a été diffusée aux préfets qu’au mois de juillet 2014, leur demandant un retour dès le 31 octobre suivant. Bien sûr, cela ne signifie pas que les préfets étaient restés sans rien faire entre-temps.

Pour la troisième année de mise en œuvre du plan, nous avons recommandé que l’animation territoriale soit confiée à une personnalité qui suive le travail des préfets de région, lesquels sont très impliqués depuis l’origine. Il est en effet un peu dommage qu’il y ait eu une certaine perte de dynamisme.

Dans chacun de nos deux rapports, nous avons évalué les sept volets du plan : accès aux droits et aux biens essentiels ; emploi, travail et formation professionnelle ; logement et hébergement ; santé et accès aux soins ; famille, enfance et réussite éducative ; inclusion bancaire et lutte contre le surendettement ; gouvernance des politiques de solidarité.

Commençons par un bilan global de la mise en œuvre du plan. Notre analyse est plutôt positive : dans l’ensemble, le Gouvernement respecte sa feuille de route, même si l’on peut toujours estimer que celle-ci est insuffisante ou qu’il faut l’approfondir, ce que le Premier ministre vient d’ailleurs de faire. Conformément aux engagements pris, les minima sociaux ont tous été revalorisés : non seulement le RSA et l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), mais aussi le complément familial et l’allocation de soutien familial (ASF), que de nombreuses familles monoparentales touchent. De même, les grandes mesures symboliques du plan ont toutes été mises en place : rendez-vous des droits, garantie jeunes, financement de l’insertion par l’activité économique, accompagnement des personnes vers et dans l’emploi, accès au compte. Plusieurs textes législatifs ont été adoptés à cet égard, en particulier la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR).

En revanche, nous avons émis des critiques concernant un certain nombre de retards, outre celui que j’ai déjà mentionné concernant la mobilisation au niveau territorial. Ainsi, les États généraux du travail social, étape importante de réflexion avec les travailleurs sociaux sur le terrain, qui doit notamment déboucher sur une refonte de leur formation, ont avancé moins vite que prévu. D’autres chantiers ont été mis en attente ou modifiés, en particulier celui du dossier simplifié.

Cette idée, avancée par M. Ayrault, était généreuse : les demandeurs devaient pouvoir solliciter le bénéfice de plusieurs prestations au moyen d’un seul dossier. Cependant, l’expérimentation en Seine-et-Marne et en Loire-Atlantique a montré qu’il n’était guère possible de simplifier sans harmoniser au préalable les critères d’attribution des différentes prestations. Le dossier auquel on a abouti n’était, en réalité, qu’une compilation des dossiers préexistants : il comportait trente pages pour six ou sept prestations ! Il y aurait un travail législatif considérable à accomplir pour déterminer les ressources – professionnelles ou autres, individuelles ou familiales – à prendre en compte. C’est d’ailleurs un des aspects du débat sur la fusion du RSA activité et de la PPE.

Deux mesures ont été décidées pour remplacer le dossier simplifié. D’une part, un simulateur des droits en ligne va être mis en place. Il est prêt et a été testé avec des personnes en situation de pauvreté.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je le confirme : j’ai essayé le simulateur avec deux personnes qui sont venues à ma permanence. Il fonctionne assez bien et fournit des informations utiles sur les droits.

M. François Chérèque. En effet. Cela étant, une fois que les intéressés ont connaissance des prestations auxquelles ils ont droit, encore faut-il qu’ils en fassent la demande, ce qui est un autre sujet.

D’autre part, un coffre-fort numérique permettra à ceux qui le souhaitent, en particulier aux personnes sans domicile fixe, de numériser tous leurs documents personnels : carte d’identité, carte de sécurité sociale, etc. Auparavant, lorsque les intéressés perdaient leurs documents, ils pouvaient perdre aussi leurs droits. Tel ne sera plus le cas. En outre, les documents seront ainsi prêts pour faire une simulation des droits.

Ces deux mesures, somme toute positives, compensent l’échec du dossier simplifié. On s’en sort par le haut, si je puis dire.

Nous avons constaté un retard important sur l’ensemble du volet « logement et hébergement », en particulier en matière de construction de logements sociaux. Nous avons fait un certain nombre de préconisations à ce sujet. S’agissant du volet « famille », nous insistons particulièrement sur l’accueil des enfants de moins de trois ans dans les structures collectives, notamment les crèches.

J’en viens à une appréciation plus détaillée de la mise en œuvre du plan, en commençant par le volet « accès aux droits ». L’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) a évalué à environ 6 milliards d’euros le montant des droits sociaux non utilisés. Cet argent n’est pas mis de côté au cas où les intéresserés réclameraient le versement des prestations : le budget de l’État est construit en intégrant une estimation du non-recours. Cela peut paraître choquant au premier abord, mais on ne peut guère faire autrement et il s’agit en réalité d’une mesure de bonne gestion.

Dans le cadre du plan, une démarche importante a été engagée pour améliorer l’accès aux droits. D’une part, il a été demandé aux caisses d’allocations familiales (CAF) d’organiser 100 000 rendez-vous des droits chaque année. En 2014, elles en ont tenu 140 000. En pratique, elles convoquent les personnes à l’occasion de difficultés particulières – décès d’un proche, divorce, rupture, perte d’emploi – afin de calculer leurs droits et de les ouvrir. Nous ne connaîtrons que l’année prochaine la quantité de nouveaux droits ouverts au cours de la première année grâce à cette mesure. Il est utile d’évaluer cette montée en charge, car elle peut entraîner des dépenses supplémentaires.

D’autre part, il a été décidé de simplifier le dispositif en fusionnant le RSA activité et la PPE. Cette mesure est bienvenue. Quelles sont les raisons des difficultés que nous constations dans l’accès au RSA activité ? Selon moi, il y en a principalement trois. D’abord, la complexité du dispositif. Le RSA activité s’adresse par définition à des personnes en situation de précarité, qui peuvent entrer dans le dispositif ou en sortir assez rapidement « par le haut » comme « par le bas ». Ainsi, les bénéficiaires sont souvent des personnes qui touchaient le RSA socle et qui trouvent du travail. Cet emploi peut être stable, mais il est plus souvent précaire. S’ils le perdent, les intéressés reviennent alors au RSA socle. Or les droits ne sont pas calculés une fois pour toutes, mais sur une base trimestrielle, ce qui est source d’indus que les personnes concernées doivent rembourser.

Deuxième raison, que je tiens à mentionner : les effets négatifs du débat sur l’assistanat. Dans le cadre de l’expérimentation conduite en Loire-Atlantique et en Seine-et-Marne, j’ai assisté à des débats de groupe et rencontré des personnes qui refusaient de demander le RSA activité. Il s’agissait notamment de chômeurs en fin de droits qui entraient dans le dispositif « par le haut » après avoir retrouvé un emploi précaire. Ils déclaraient notamment : « je ne suis pas pauvre », « je n’ai pas besoin d’être assisté » ou encore « je ne veux pas être au RSA ». À cet égard, il y a eu une confusion entre le RSA activité, prestation d’assistance destinée à des personnes qui travaillent, et le RSA socle, qui a hérité de l’image négative du revenu minimum d’insertion (RMI), véhiculée notamment par le débat politique sur l’assistanat. Ce phénomène n’est pas négligeable.

Troisième raison : le manque d’information, certaines personnes ne connaissant tout simplement pas l’existence de ce droit.

S’agissant de la PPE, il y avait notamment un problème d’éparpillement : un nombre non négligeable de personnes la touchaient alors qu’elles n’étaient pas du tout dans une situation de pauvreté. Tel était notamment le cas des jeunes qualifiés qui finissaient leurs études pendant l’été, commençaient à travailler en septembre ou octobre et percevaient un revenu inférieur à 2 000 euros avant la fin de l’année : ils avaient droit à la PPE l’année suivante, alors qu’ils étaient en réalité en voie d’insertion. Certains s’émeuvent qu’ils sortent du dispositif avec la réforme en cours, mais la PPE n’était pas faite pour eux.

Dans notre rapport, nous avons recommandé de procéder à la fusion de la PPE et du RSA activité – elle était déjà acquise, mais on a tardé à la faire – en tenant compte de la situation des personnes les plus fragiles par rapport à l’emploi, en particulier des familles pauvres. En effet, si l’on n’avait pris en considération que la situation individuelle au regard de l’emploi, les familles les plus pauvres, en particulier les femmes seules avec enfants, auraient risqué d’y perdre par rapport à l’ancienne prestation. En revanche, si l’on n’avait tenu compte que de la situation du foyer, il n’y aurait plus eu d’incitation à reprendre le travail, ce qui est pourtant l’un des objectifs de la fusion. L’équilibre qui a été trouvé me semble plutôt positif.

Quant à l’intégration des moins de vingt-cinq ans dans le dispositif, elle me semble un élément de justice sociale. On peut toujours avoir un débat sur l’opportunité de rendre le RSA socle accessible aux jeunes appartenant à cette tranche d’âge. En revanche, je m’étonne que ce débat existe à propos du RSA activité : j’entends parfois dire que leur accorder cette prestation serait les pousser vers l’oisiveté. Or il n’en est rien : s’ils la touchent, c’est justement parce qu’ils travaillent ! Il est logique qu’ils en bénéficient de la même façon que les autres. Sur ce point, le projet de loi va donc dans le bon sens.

La principale mesure du volet « emploi » est la garantie jeunes. Très originale, elle allie accompagnement, engagement du jeune et prestation sociale, ce qui est, selon moi, une bonne chose. La problématique rejoint celle du RSA : l’objectif est que les jeunes qui sont en situation d’extrême pauvreté, n’ont aucun revenu et sont en dehors de tout cadre familial et de tout circuit de formation, puissent entrer dans un dispositif d’accompagnement vers l’emploi. Ils signent une sorte de contrat avec la mission locale : en échange d’une indemnité du même montant que le RSA socle, ils s’engagent dans un parcours de formation et d’intégration. La montée en charge de la mesure a été lente, car elle impliquait un changement de pratiques professionnelles de la part des missions locales. En effet, les jeunes concernés ne viennent pas d’eux-mêmes dans les missions locales : pour pouvoir les accompagner, il faut les orienter vers ces missions, notamment avec l’aide des travailleurs sociaux. Je rencontre d’ailleurs la même difficulté pour le service civique : il faut « aller chercher » les jeunes qui en ont le plus besoin, et le leur présenter. La montée en charge est désormais satisfaisante : le Premier ministre souhaite passer de 10 000 à 50 000 garanties jeunes en 2015 et étendre le dispositif à plusieurs dizaines de territoires supplémentaires.

En ce qui concerne le volet « logement et hébergement », outre ce que j’ai indiqué précédemment, je souhaite soulever le problème de l’hébergement en hôtel des familles qui sont à la rue, notamment des femmes seules avec enfants. Nous avons demandé une action urgente en la matière. En effet, plusieurs rapports, en particulier ceux du SAMU social de Paris et de Médecins sans frontières, ont dénoncé des conditions d’hébergement qui rappellent les camps de réfugiés, notamment du point de vue sanitaire. Ils demandent de mettre fin à ces situations précaires et d’héberger ces personnes dans des logements stables. Lorsque les intéressés ne remplissent pas les conditions pour avoir accès à un logement social, il est possible de recourir aux associations qui pratiquent l’intermédiation : celles-ci prennent en location des appartements, y compris des logements sociaux, et les « sous-louent » aux personnes concernées, dont certaines, notons-le, ont un travail.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’avais reçu le SAMU social, qui m’avait exposé le contenu de son rapport. Les conditions de vie dans les hôtels sont souvent scandaleuses, alors que ce type d’hébergement coûte très cher : des dizaines de millions d’euros, voire davantage. Avez-vous évalué ce montant ? Ne pourrait-on pas utiliser tout ou partie de cet argent pour loger les familles en faisant appel aux associations qui pratiquent l’intermédiation ? C’est sans doute très difficile à Paris, où les loyers sont très élevés.

M. François Chérèque. L’hébergement en hôtel coûte en effet très cher. De plus, les personnes concernées sont éparpillées dans des hôtels qui, dans les grandes agglomérations telles que Paris ou Lyon, sont souvent situés à la périphérie, ce qui rend l’accompagnement social très difficile. Passer par des associations qui pratiquent l’intermédiation permet de réaliser une économie certes modeste sur l’hébergement – cela coûte moins cher de louer un appartement que de payer des nuits d’hôtel –, mais cette différence est réinvestie dans l’accompagnement social, ce qui est fondamental. Avec un même montant, on peut donc à la fois héberger les familles et les suivre, l’objectif étant qu’elles ne se retrouvent pas de nouveau sans domicile.

Cependant, il existe une limite, sur laquelle nous avons appelé l’attention dans nos deux rapports : les personnes hébergées en hôtel sont souvent des déboutés du droit d’asile qui ne sont pas régularisables – ce qui les empêche d’avoir accès au logement social –, mais pas non plus expulsables, parce qu’ils ont des enfants français. Cette zone grise crée une situation de blocage.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les « ni-ni » n’ont en effet pas accès au logement social, mais les associations qui pratiquent l’intermédiation peuvent mettre un logement à leur disposition. Dès lors, je ne comprends pas pourquoi on ne passe pas de l’hébergement en hôtel, très onéreux en plus d’être souvent inhumain, à cette solution, dont le coût est équivalent, voire moindre ? Quels sont les freins ?

M. François Chérèque. Ce qui a freiné jusqu’à présent, c’est l’absence de reconnaissance de la situation des « ni-ni ». Le plan proposé par le Gouvernement va dans le bon sens : il prévoit d’utiliser provisoirement au profit de l’intermédiation une partie des fonds dédiés à l’hébergement en hôtel. La situation est paradoxale : les associations se plaignent que le Gouvernement restreigne les moyens pour financer les nuitées d’hôtel, qui sont déjà insuffisants par rapport à la demande, alors que, en réalité, les fonds consacrés globalement à l’hébergement d’urgence augmentent d’année en année. Le Gouvernement a d’ailleurs rempli tous ses objectifs en termes de création de places supplémentaires. Cependant, plus il dépense pour créer des places, plus la demande s’accroît. À un moment donné, il devient nécessaire de trouver une solution, non seulement pour des motifs humanitaires ou de santé publique, mais aussi pour des raisons financières évidentes.

Mme Maud Olivier. Le département de l’Essonne, où je suis conseillère générale, s’est beaucoup engagé en matière d’hébergement, en particulier pour les familles avec enfants. Or nous constatons que le SAMU social propose de plus en plus fréquemment des hébergements de court séjour, c’est-à-dire de moins de vingt-huit jours, ce qui rend l’accompagnement social et le suivi des enfants très difficile. Avez-vous des informations sur cette notion de court séjour ?

M. François Chérèque. Je n’ai pas de précisions à vous apporter sur ce point, que je n’ai pas examiné dans le cadre du rapport. En tout cas, votre propos rejoint le mien : les hébergements de court séjour, notamment les nuitées d’hôtel, ne permettent pas de faire un accompagnement social efficace.

Les préfectures sont en train de réaliser un diagnostic à 360 degrés en matière d’hébergement d’urgence et de logement. Il s’agit d’évaluer concrètement la situation, département par département. Les résultats seront connus dans les mois qui viennent. Je ne suis pas hostile à ce que l’on recoure à l’hébergement en hôtel, y compris de manière massive, dans des régions très urbanisées telles que l’Île-de-France ou Rhône-Alpes. En revanche, dans d’autres territoires, c’est bien souvent une solution de facilité, par ailleurs coûteuse, alors qu’il existe des logements sociaux vides et qu’il est possible de faire appel à l’intermédiation.

S’agissant du volet « santé », les plafonds d’attribution de la CMU-C et de l’ACS, ont été relevés de 7,5 % au début de la mise en œuvre du plan. La mesure a été efficiente : environ 600 000 personnes en ont bénéficié sur 750 000 éligibles, ce qui est appréciable. En outre, le panier de soins a évolué pour les personnes éligibles à la CMU-C.

Dans notre premier rapport, nous avions fait un certain nombre de remarques concernant la prise en charge de malades mentaux. Au cours des rencontres que nous avions organisées, beaucoup d’intervenants étaient revenus sur le lien entre maladie mentale et difficultés sociales, ainsi que sur les problèmes d’articulation entre la politique sanitaire mise en œuvre par les agences régionales de santé (ARS) et l’action sociale qui relève des conseils généraux. Sur le terrain, les préfets et les ARS se critiquent mutuellement. Il me semble intéressant d’avoir intégré cette problématique dans le projet de loi relatif à la santé. Nous verrons ce qu’il en ressortira sur le plan opérationnel.

Dans notre deuxième rapport, nous avons exprimé notre soutien à la généralisation du tiers payant prévue par le projet de loi. Dans le débat, on entend que cette mesure ne devrait profiter qu’aux plus pauvres. Mais, à ce moment-là, où placer le curseur ? Car il y a toujours un problème de seuil : lorsque l’on fixe un plafond de revenus pour l’attribution d’une prestation telle que l’ACS, le risque est d’exclure les populations dont les revenus oscillent autour de ce plafond. À certaines périodes, elles auront droit à la prestation, mais à d’autres, non. Globalement, elles n’en bénéficieront pas. La généralisation du tiers payant est donc une mesure de simplification bienvenue, même s’il est probable que la population la plus aisée n’en a pas vraiment besoin. Pour de fausses raisons de justice sociale, on en viendrait à fixer des seuils qui excluraient de fait les plus pauvres.

Autre élément du débat : certains craignent que la généralisation du tiers payant ne conduise à une augmentation des dépenses de soins. Or les explications des responsables du Fonds CMU-C sont très claires à cet égard. Lorsque des personnes qui n’avaient pas droit initialement à la CMU-C entrent dans le dispositif, on observe, dans un premier temps, une augmentation des dépenses de santé, qui correspond à un décalage temporel dans l’accès aux soins : ces personnes, qui ne se soignaient pas auparavant en raison de difficultés financières, le font désormais parce qu’elles ont une couverture sociale. Si l’on estime que ces dépenses supplémentaires ne sont pas légitimes, c’est que l’on a une vision financière qui n’est guère compatible avec les objectifs de santé publique ! Dans un second temps, toujours selon les responsables du Fonds CMU-C, on assiste à une stabilisation : une fois que ces personnes se soignent régulièrement, elles ne consomment pas davantage de soins que les autres, bien qu’elles bénéficient de la gratuité totale. Je tenais à rappeler ce point important.

Quelles sont les raisons du faible taux de recours à l’ACS ? D’abord, cette prestation a été mise en place récemment – il y a un peu moins de dix ans – et n’est pas encore très connue. En outre, il y a, là aussi, un problème de seuil : les personnes qui sortent du dispositif de la CMU-C ne demandent pas toujours à bénéficier de l’ACS, dont l’attribution est moins automatique que celle de la CMU-C. Enfin, jusqu’à récemment, les bénéficiaires de l’ACS, même les personnes en situation de pauvreté stable, devaient en demander le renouvellement chaque année.

Dans notre premier rapport, nous avions demandé que les bénéficiaires de l’ASPA – qui a remplacé le minimum vieillesse – aient automatiquement accès à l’ACS. On peut en effet penser que ces personnes continueront à toucher l’ASPA jusqu’à la fin de leurs jours. Dès lors, pourquoi leur demander de présenter une nouvelle demande chaque année ? Nous avons obtenu non pas l’accès direct à l’ACS, mais son renouvellement automatique : lorsque les allocataires de l’ASPA demandent l’ACS, ils le font désormais une fois pour toutes. Or c’était là une des raisons du non-recours : plus les personnes avançaient en âge, moins elles avaient le réflexe de faire leur demande. D’autant qu’il n’est pas aisé de rassembler les documents nécessaires à la constitution du dossier : il faut s’adresser à plusieurs organismes, c’est-à-dire à ses propres caisses de retraite de base et de retraite complémentaire si l’on a travaillé, ainsi qu’à la caisse de son ex-conjoint si l’on touche une pension de réversion – la plupart des bénéficiaires de l’ASPA sont des femmes. De surcroît, ces personnes ont souvent eu une vie assez pénible et elles ne disposent pas toujours des connaissances administratives nécessaires pour accomplir ces démarches.

D’autre part, nous avons proposé que les allocataires du RSA socle aient un accès automatique à la CMU-C. Actuellement, ils doivent en faire la demande, ce qui est source de complexité. Et la difficulté est réelle : le taux de recours des bénéficiaires du RSA socle à la CMU-C s’établit seulement à un peu plus de 60 %. La mesure que nous proposons aurait le mérite de simplifier le dispositif tout en améliorant l’accès aux droits. Pour le moment, elle est en discussion. Elle aurait certes un coût, mais je ne suis pas certain qu’il soit considérable.

Dans d’autres rapports, j’avais proposé que l’on évalue le coût du non-accès aux droits. Par exemple, certaines personnes qui ne bénéficient pas de la CMU-C renoncent à faire soigner les caries de leurs enfants. Or cela coûte beaucoup plus cher le jour où il devient indispensable de faire enlever une dent. Si l’on chiffrait ces phénomènes, on se rendrait probablement compte que l’accès automatique aux droits représente certes un coût supplémentaire une année donnée, mais que tel n’est pas nécessairement le cas sur plusieurs années.

Concernant le volet « famille et enfance », nous avons choisi de suivre, comme l’année dernière, l’évolution des taux de pauvreté, qui sont des indicateurs importants. Dans le rapport de cette année, j’ai souhaité mettre l’accent plus particulièrement sur la situation des enfants pauvres.

D’après les chiffres dont nous disposons, le taux de pauvreté des plus de soixante-cinq ans a diminué de 0,9 point en un an pour atteindre 8,4 % – il n’est donc pas supérieur à 10 % comme j’ai pu l’entendre hier à la radio. Ce taux baisse de manière sensible et continue depuis trente ans. Cela tient, pour une part, au bon fonctionnement de notre système social : les politiques sociales mises en place pour sortir les personnes âgées de la pauvreté ont été efficaces, en particulier l’augmentation de l’ASPA de 25 % sur cinq ans. Surtout, les générations qui arrivent aujourd’hui à la retraite ont des carrières de plus en plus complètes, y compris les femmes.

En revanche, le taux de pauvreté des moins de dix-huit ans a augmenté de manière constante depuis dix ans pour atteindre aujourd’hui 19,6 %. Dès lors, la question qui se pose est la suivante : peut-on avoir une politique sociale qui réponde à l’enjeu actuel, à savoir la pauvreté des enfants ? J’ai constaté qu’il était beaucoup question de la pauvreté des personnes âgées dans les médias, ce qui est positif, mais qu’on parlait très peu de celle des enfants, y compris dans les rapports des associations caritatives. Il y a une difficulté à aborder ce problème. L’expression « pauvreté des enfants » est d’ailleurs impropre, car les enfants, cela va de soi, ne vivent pas seuls et ne perçoivent pas de revenus : il s’agit d’enfants qui vivent au sein de familles pauvres, notamment de familles monoparentales, qui sont souvent, vous l’avez dit, madame la présidente, des femmes seules avec enfants. En un an, la part des familles monoparentales en situation de pauvreté est passée de 34,6 à 36 %. Cela tient à la crise économique : les emplois précaires sont les premiers à être supprimés ; et, lorsqu’un couple se sépare, les enfants restent généralement avec leur mère, laquelle occupe souvent un emploi plus précaire que le père.

Le plan contient plusieurs mesures positives à cet égard. D’une part, la garantie contre les impayés de pension alimentaire, expérimentée dans vingt départements, semble bien fonctionner : lorsque le parent qui doit verser la pension ne le fait pas – il s’agit, dans la très grande majorité des cas, du père –, la CAF verse au parent qui devait en bénéficier un montant de 95 euros par mois et par enfant, à charge pour elle de se faire rembourser ensuite par le mauvais payeur. Nous avons recommandé la généralisation de la mesure. D’autre part, la revalorisation des minima sociaux, de près de 50 % sur la durée du plan, aura un effet important.

Néanmoins, il nous semble nécessaire de dépasser la politique actuelle. Plusieurs études récentes ont montré que les mères seules avec enfants étaient d’autant plus touchées par la pauvreté que leur niveau de qualification était faible. Nous proposons donc de compléter la revalorisation des prestations par une action d’accompagnement renforcé de ces personnes vers la formation et vers l’emploi. Le plan de lutte contre le chômage de longue durée présenté par M. Rebsamen s’inspire des réflexions sur ce point.

Nous recommandons, en outre, de faciliter l’accès aux structures d’accueil collectif. Cette mesure figure déjà dans le plan, mais il s’agit d’accélérer sa mise en œuvre. Il y a notamment eu un débat sur les cantines, qui sont de plus en plus nombreuses à n’accueillir que les enfants dont les deux parents travaillent.

Mme la présidente Catherine Coutelle. L’Assemblée nationale a adopté jeudi dernier en première lecture une proposition de loi obligeant les communes à accueillir tous les enfants dans les cantines, y compris ceux dont les parents sont chômeurs.

M. François Chérèque. Cette évolution législative va dans le bon sens. Ainsi que le plan le prévoit, il faut que le nombre d’enfants issus de familles modestes accueillis par les structures collectives – non seulement les cantines, mais aussi les crèches, les assistantes maternelles et, surtout, les écoles, s’agissant notamment des enfants de moins de trois ans – soit représentatif de leur part dans la population du même âge sur un territoire donné. Avec les moyens supplémentaires qui lui ont été attribués, l’éducation nationale fournit un gros effort pour ouvrir l’accès à l’école maternelle aux enfants de deux ans, dès qu’ils sont propres. À ce stade, reconnaissons-le, les familles qui étaient visées en priorité par cette mesure amènent moins leurs enfants à l’école que les parents des classes moyennes, qui ont une meilleure connaissance du droit. Il faut donc aller dans ces familles, avec les travailleurs sociaux, pour les convaincre que l’intérêt de leur enfant est d’aller à l’école, même si eux-mêmes ne travaillent pas et qu’il fait froid, parce que c’est un élément de socialisation et d’intégration. La reproduction sociale, on le sait, commence très tôt.

Je récapitule les cinq recommandations principales de notre rapport : à l’intention des familles pauvres, mettre en place un accompagnement renforcé vers l’emploi pour les parents et améliorer l’accueil des enfants dans les structures collectives ; fusionner le RSA activité et la PPE ; instaurer un accès automatique à la CMU-C pour les allocataires du RSA socle ; préférer l’intermédiation locative à l’hébergement en hôtel ; mener à bien les États généraux du travail social. Le Gouvernement a plutôt suivi ces propositions.

Mme Maud Olivier. La scolarisation des enfants de moins de trois ans est le problème non seulement des parents, mais aussi des municipalités : certaines d’entre elles refusent de scolariser les enfants de deux ans, parce qu’elles estiment que cela leur coûte trop cher, mais aussi parce que les parents sont souvent des demandeurs d’asile ou des personnes bénéficiant de l’hébergement d’urgence. Il faut que les préfets jouent leur rôle en la matière.

M. François Chérèque. Vous soulevez là un véritable problème. Conformément à ce qui était prévu dans le plan, les préfets ont été chargés d’élaborer un schéma territorial de la parentalité et de la petite enfance. La circulaire correspondante a été diffusée au mois de janvier. Or on se heurte à la complexité administrative, tant les acteurs sont nombreux : l’État, avec l’éducation nationale ; les CAF, avec les mesures de soutien à la parentalité ; les conseils généraux, avec la protection maternelle et infantile (PMI) ; les responsables de crèches, etc. On ne sait pas qui doit être le chef de file dans le cadre de ces schémas, et c’est au préfet qu’il revient de mettre tout le monde d’accord.

M. Christophe Sirugue. Je vous remercie pour votre travail, monsieur le président. Des plans de toute nature, nous en avons connu ! Or, pour la première fois, un véritable suivi est mis en place : l’évaluation très fine et très sérieuse que vous réalisez chaque année est très utile pour tous ceux qui participent à un titre ou à un autre – associations, élus, etc. – à la politique de lutte contre la pauvreté, mais aussi pour les publics concernés.

Je suis très préoccupé par la précarité croissante des femmes. Elle résulte notamment de trois phénomènes qui se sont cumulés ces quinze ou vingt dernières années : les femmes sont les principales concernées par l’augmentation de la monoparentalité ; les femmes touchent souvent les pensions de retraite les plus faibles, parce qu’elles ont eu des carrières plus hachées ; les femmes sont celles qui subissent les diminutions de niveau de vie les plus importantes à la suite des ruptures familiales. À cela s’ajoute une précarité professionnelle très importante, liée au développement de certains métiers dans lesquels – malheureusement, si je puis dire – les femmes sont souvent très représentées : commerce en grande surface, nettoyage, services à la personne, etc.

Dans le cadre de l’évaluation de la mise en œuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté, pourrions-nous disposer, l’année prochaine, d’une analyse plus fine des situations de précarité et de pauvreté que connaissent les femmes ? Certes, les femmes bénéficient des dispositifs généraux de lutte contre la pauvreté, mais certaines problématiques qui leur sont propres mériteraient d’être davantage soulignées. Nous pourrions alors envisager des textes qui permettent d’avancer sur ces questions.

M. François Chérèque. Je n’ai pas encore de feuille de route pour les années qui viennent en ce qui concerne l’évaluation du plan ! En revanche, j’en ai une bien fournie pour ce qui est du service civique.

Vous avez abordé, monsieur Sirugue, un sujet très important. On a cherché à répondre à cette situation notamment en fixant à vingt-quatre heures la durée hebdomadaire minimale du travail à temps partiel. Cette disposition a été très critiquée après la conclusion de l’accord national interprofessionnel qui la contenait, y compris par un certain nombre de signataires. La préoccupation des organisations syndicales était que l’on ne puisse pas descendre au-dessous d’un certain niveau d’emploi. Cependant, j’observe que de nombreuses branches signent des accords dérogatoires, en particulier dans les secteurs que vous avez cités. C’est une difficulté. Notre système économique a certes besoin de variables d’ajustement, mais pas nécessairement de celle-là.

D’une manière générale, selon moi, on ne peut plus lutter contre la pauvreté uniquement par des mesures monétaires. Celles-ci sont utiles, mais il faut aller au-delà, en proposant des services et une aide aux personnes pour sortir de la pauvreté. S’agissant des familles monoparentales, il s’agit de faciliter l’accès à la qualification et à l’emploi. Ce type de mesures est non seulement plus efficace dans la durée, mais aussi mieux accepté socialement. À cet égard, il faut être conscient qu’une partie de plus en plus importante de la population est en train de prendre ses distances avec les politiques de solidarité. Selon une enquête annuelle réalisée depuis trente-cinq ans par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC), que nous avons citée dans notre rapport, le taux d’acceptabilité de notre système social n’a jamais été aussi bas en France. La pression de l’opinion devient d’ailleurs inquiétante en la matière.

Votre remarque sur le calcul des pensions est juste, monsieur Sirugue. D’autre part, si la pauvreté baisse actuellement chez les personnes âgées, elle augmentera à nouveau dans une quinzaine d’années, compte tenu du nombre de personnes qui touchent le RSA socle et ne sont pas en situation de cotiser. Notre système social a très bien fonctionné pendant plusieurs années, notamment du fait de l’accès des femmes à l’emploi. Mais cette tendance favorable est en train de s’inverser en raison du chômage de longue durée et de la pauvreté. À l’âge de la retraite, les personnes qui sont dans ces situations seront les premières touchées.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Lors de l’examen de plusieurs textes de loi, notamment de la réforme des retraites, nous avons constaté que les dérogations au code du travail s’appliquaient majoritairement aux femmes. D’autre part, nous subissons aujourd’hui les conséquences de l’explosion du temps partiel dans les années 1990, que nous avons nous-mêmes favorisée avec certaines dispositions.

M. Jacques Moignard. Vous avez évoqué la multiplicité des acteurs qui interviennent dans le champ social, monsieur le président. Je me réjouis d’ailleurs que les départements conservent leurs compétences en la matière. Cependant, les personnes en situation de pauvreté sont confrontées à un dédale administratif insupportable ! Nous recevons dans nos mairies des gens désorientés, et nous le sommes nous-mêmes car les réponses des différents organismes à nos questions ne sont pas toujours cohérentes ! Ainsi, une personne en situation de pauvreté extrême, ne disposant plus d’aucune ressource, s’est récemment adressée à moi. Elle a atteint l’âge de la retraite après avoir très peu cotisé. Pendant six mois, elle a perçu à tort l’allocation aux adultes handicapés (AAH), soit au total 5 500 euros que la CAF lui demande de rembourser, ce qu’elle n’a pas les moyens de faire. Je l’ai orientée vers le centre communal d’action sociale (CCAS), en lui suggérant de demander le RSA. J’ignore comment nous allons pouvoir l’aider. Comment faciliter la tâche des travailleurs sociaux, des caisses de sécurité sociale et, surtout, des demandeurs ? La simplification est peut-être pour demain, mais, en tout cas, elle n’est pas pour aujourd’hui !

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le nouveau système issu de la fusion du RSA activité et de la PPE sera-t-il plus simple que l’ancien ? Une critique que j’ai lue dans la presse à ce sujet m’a inquiétée. Auparavant, il était tenu compte des revenus de la famille pour le calcul du RSA activité, mais pas pour celui de la PPE, qui était une prime personnelle.

M. François Chérèque. La simplification du système est l’un des enjeux du débat parlementaire. Pour certaines prestations, la CAF a mis en place un mécanisme de « droits glissants » : dès lors qu’une personne a droit à une prestation au début d’un trimestre, elle la conserve jusqu’au trimestre suivant. Il s’agit d’une simplification qui évite les indus, la situation du bénéficiaire n’étant réexaminée que quatre fois au cours de l’année.

Vous avez soulevé une vraie question concernant l’AAH, monsieur Moignard. Dans un rapport que j’ai remis en 2014 sur les liens entre handicap et pauvreté, j’ai recommandé, d’une part, que l’AAH soit renouvelée non pas tous les ans, mais tous les cinq ans lorsque la situation de handicap le justifie et, d’autre part, que l’on examine simultanément l’éligibilité à l’AAH et au RSA, afin que les personnes qui n’auraient plus droit à l’AAH « basculent » immédiatement dans le dispositif du RSA. Ces propositions devraient en principe être retenues.

L’étalement des renouvellements dans le temps soulagera partiellement les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), qui commencent à être engorgées. Ainsi, les MDPH pourront accorder l’AAH pour dix ans si elles estiment que la situation de handicap a peu de chances d’évoluer. C’est une mesure de simplification : actuellement, il arrive que l’on demande à des personnes qui resteront handicapées toute leur vie de solliciter chaque année le renouvellement de l’AAH. En fait, les règles en vigueur résultent d’un accord « donnant donnant » entre les pouvoirs publics et les associations compétentes en matière de handicap : on avait relevé le montant de l’AAH de 25 % – comme celui de l’ASPA –, mais, en contrepartie, on avait augmenté la fréquence des renouvellements afin d’éviter les dérives. Cependant, ce n’est pas nécessairement sur ce point que les dérives sont les plus importantes.

Là encore, si l’on souhaite vraiment simplifier le dispositif, il faudra se mettre d’accord sur les ressources à prendre en compte (base ressources). Mais nous devrons alors assumer collectivement le fait que certaines personnes y gagneront et d’autres y perdront provisoirement.

Mme Catherine Quéré. Dans ma circonscription, j’ai eu à connaître du dossier d’une femme qui était en situation de très grande précarité : elle avait perdu son emploi et on lui avait enlevé la garde de ses enfants. Je l’avais orientée vers une assistante sociale. J’ai rencontré récemment cette dernière et lui ai demandé des nouvelles de cette femme. Elle m’a répondu que les assistantes sociales recevaient les personnes qui venaient les voir, qu’elles les aidaient et leur donnaient des conseils, mais qu’elles n’avaient plus le temps ni les moyens d’assurer un suivi, contrairement à ce qu’elles faisaient autrefois. En outre, alors qu’elles avaient auparavant un rôle assez général, il y a désormais des puéricultrices, des conseillères familiales, etc. Or ces différents intervenants ne se parlent pas. C’est dramatique pour les demandeurs : on a recherché cette femme, elle s’était mise à boire...

Mme la présidente Catherine Coutelle. Ainsi que vous l’avez indiqué, monsieur le président, il est indispensable de tenir les États généraux du travail social. Ce sont les conseils généraux qui organisent le travail des assistantes sociales et leur donnent des instructions. Autrefois, celles-ci se rendaient en effet dans les familles, ce qui leur permettait de se rendre compte du contexte et des conditions de vie. Désormais, conformément à ce qui leur a été demandé, elles font venir les familles. Peut-être est-ce là une évolution normale, mais cela les a beaucoup éloignées du terrain.

M. François Chérèque. Le système est très complexe, car il existe des professionnels pour chaque prestation : l’État est compétent en matière de logement et d’hébergement, le département l’est pour telle allocation, la CAF pour telle autre, etc. Lorsque nous avons tenu nos réunions au niveau territorial, les personnes en situation de pauvreté nous ont indiqué qu’elles avaient un interlocuteur différent pour chaque problème. Il s’agira en effet d’un sujet central pour les États généraux du travail social. Ne pourrait-on pas envisager que le suivi d’une personne donnée soit confié au premier interlocuteur auquel elle s’adresse ?

Dans la feuille de route pour les années 2015 à 2017, le Premier ministre a repris la notion d’accompagnement, qui ne figurait pas dans la première feuille de route. Faut-il aller jusqu’à créer un droit à l’accompagnement ? En la matière, le droit au logement opposable a un peu traumatisé tout le monde. En tout cas, il faut mettre en place un système qui permette d’accompagner les personnes dans la durée. D’autant qu’elles sont obligées de raconter leur vie à chaque nouvelle démarche, ce qui est parfois très dur psychologiquement, ainsi que plusieurs d’entre elles nous l’ont fait remarquer. Elles préféreraient que les services se mettent d’accord entre eux plutôt que d’invoquer le secret professionnel ! Nous allons tenter de répondre à ces difficultés en travaillent sur la notion d’accompagnement, mais c’est plus facile à dire qu’à faire.

Mme Catherine Quéré. Dans ma circonscription très rurale, les assistantes sociales ne travaillent souvent qu’un ou deux ans avant de partir s’installer en ville, notamment à La Rochelle. C’est un vrai problème : les personnes se plaignent de ne jamais avoir affaire à la même assistante sociale, et elles doivent en effet raconter leur histoire chaque fois, essayer de la faire comprendre. De plus, comme les assistantes sociales ne se déplacent plus dans les familles, on oblige les demandeurs à se rendre dans les mairies, ce qui n’est pas toujours aisé compte tenu des difficultés de transport.

M. François Chérèque. Plusieurs mesures récentes sont susceptibles de faciliter l’accès aux droits, notamment dans les milieux ruraux : la création des maisons de services au public, que La Poste est d’ailleurs prête à héberger dans ses bureaux et points d’accueil – il y en a encore 17 000 sur le territoire national –, mais aussi la mise à disposition du simulateur des droits, que l’on pourrait très bien installer dans ces mêmes locaux. Nous pourrions d’ailleurs y déployer des jeunes en service civique pour aider les personnes à saisir leur demande, car celles-ci ont parfois du mal à suivre les évolutions informatiques.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie, monsieur le président, pour votre intervention passionnante. Ainsi que l’a relevé Christophe Sirugue, la méthode employée est exemplaire : votre rapport d’évaluation est très utile au législateur, notamment en vue d’améliorer la loi.

La séance est levée à 15 heures 05.

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Membres présents

Présents. - Mme Catherine Coutelle, M. Jacques Moignard, Mme Maud Olivier, Mme Catherine Quéré, Mme Maina Sage, M. Christophe Sirugue.