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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 24 mars 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 22

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition de Mme Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), et de Mme Marie Becker, cheffe de projet au CSEP, sur le sexisme dans le monde du travail et sur la négociation collective sur l’égalité professionnelle dans les entreprises de 50 à 300 salariés.

La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.

La Délégation procède à l’audition de Mme Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), et de Mme Marie Becker, cheffe de projet, sur le sexisme dans le monde du travail et sur la négociation collective sur l’égalité professionnelle dans les entreprises de 50 à 300 salariés.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Madame la secrétaire générale, la Délégation aux droits des femmes est heureuse de vous recevoir pour vous entendre présenter deux rapports fort intéressants que le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) vient de publier, l’un portant sur le sexisme dans le monde du travail, l’autre sur la négociation collective sur l’égalité professionnelle dans les entreprises de 50 à 300 salariés.

Les travaux du CSEP tout comme ceux du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) permettent à la délégation d’aller plus vite et plus loin dans l’examen des textes de loi, que vous accompagnez par la suite d’évaluations. Notre collaboration est extrêmement performante. Elle donnera, je l’espère, des résultats très efficaces en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.

Nous allons d’abord vous entendre à propos du rapport sur le sexisme dans le monde du travail, sujet insuffisamment pris en compte et qui ne recouvre que partiellement les agissements visés dans la loi sur le harcèlement sexuel du 6 août 2012.

Nous aimerions que vous nous présentiez ses grandes lignes et que vous mettiez en avant la façon dont la lutte contre le sexisme peut trouver une traduction juridique. Faut-il définir le sexisme dans la loi ? Comment faire en sorte que les femmes qui en sont victimes puissent se défendre ?

À ce propos, je rappellerai que lorsqu’il a été récemment question de renforcer la lutte contre les discriminations, notamment pour des faits d’antisémitisme ou d’homophobie, Yvette Roudy m’a immédiatement appelée pour me demander de reprendre les dispositions de lutte contre le sexisme qu’elle n’avait pas pu faire passer en 1983. Nous tenons peut-être une autre occasion d’avancer sur ce sujet.

Mme Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP). Madame la présidente, mesdames les députées, c’est la première fois que je suis auditionnée à l’Assemblée nationale en tant que secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP). Je suis très heureuse de rendre compte du travail de cette instance, créée en 1983 par la loi « Roudy », et dont la rénovation en 2013 a été marquée par la création de la fonction de secrétaire générale. Même si nos moyens ne sont pas à la hauteur de nos espérances, nous comptons bien nous développer pour vous proposer encore plus de rapports et vous faire encore plus de suggestions concernant les politiques publiques à mettre en œuvre dans les lois.

Le CSEP s’est attaqué dès sa rénovation à la question du sexisme. Une enquête menée auprès de neuf grandes entreprises françaises nous a permis de recueillir les réponses de 15 000 salariés, femmes et hommes, à un questionnaire couvrant divers aspects de la vie au travail, des réunions jusqu’aux interactions devant la machine à café, des situations de gouvernance aux périodes de grossesse. Il s’agissait pour nous de mettre au jour ce qui, dans les relations entre femmes et hommes, était ressenti comme du sexisme. Les résultats sont impressionnants : plus de 80 % des femmes salariées considèrent qu’elles sont régulièrement confrontées à des attitudes ou à des décisions sexistes, 56 % des hommes salariés ont déclaré en avoir été témoins et 90 % des femmes victimes de sexisme estiment que ces attitudes ont eu un effet négatif sur leur sentiment d’efficacité personnelle. Autrement dit, le sexisme a un impact direct sur le bien-être des salariés et donc sur leur performance au travail.

Fort de ces résultats, le Conseil supérieur a publié un avis, à la suite duquel il a été décidé d’aller plus loin. C’est ainsi que nous avons rédigé ce rapport sur le sexisme dans le monde du travail, remis le 6 mars dernier à Mme la ministre des affaires sociales et à Mme la secrétaire d’État en charge des droits des femmes.

Ce rapport, j’insiste sur ce point, est innovant. Nous avons trouvé très peu d’éléments sur le sexisme au niveau de l’Union européenne, exception faite de la Belgique, dans le domaine de la psychologie sociale, les informations venant principalement des États-Unis. D’une façon générale, ce sujet demeure largement inexploré. Ce qui prévaut dans le monde du travail, c’est la loi du silence. Le mot « sexisme » est un mot tabou : on parle de « misogynie », de « machisme », alors que les mots de « racisme » et « homophobie » ont droit de cité.

Nous nous sommes posé la question de savoir pourquoi le sexisme se heurtait à tant de résistances et faisait l’objet d’une telle euphémisation dans le monde du travail.

C’est d’abord, nous semble-t-il, parce qu’il prend place dans le tissu des relations quotidiennes entre femmes et hommes, qui supposeraient humour et distanciation. C’est ensuite que ce terme est mal défini : il désigne aussi bien des actes clairement visés dans notre droit, comme la discrimination, le harcèlement, les agressions sexuelles voire le viol, que des actes plus anodins, qui se manifestent de manière plus subtile et insidieuse, que l’on pourrait ranger dans la catégorie du sexisme ordinaire – on parle même de « minutie du sexisme » –, incidents mineurs et micro-agressions qui, additionnés, créent de la souffrance au travail.

Tout cela pose une question très délicate : où se situe la limite entre le caractère acceptable et le caractère blessant dans les actes, les propos, les attitudes de la vie quotidienne en entreprise ? La grande difficulté qu’il y a à la saisir exige de s’entourer de précautions.

La notion de sexisme est née aux États-Unis dans les années soixante, par analogie avec le mot « racisme » apparu trente ans plus tôt, pour désigner un déséquilibre hiérarchique entre femmes et hommes, et un phénomène d’exclusion et de concentration du pouvoir dans les mains de ceux qui le détiennent déjà.

Cette notion renvoie bien évidemment aux systèmes de représentation. Elle repose sur la construction sociale des rôles de sexe à travers une valence différentielle qui accorde au masculin un coefficient symbolique positif par rapport au féminin. Elle a à voir avec les stéréotypes qui, rappelons-le, ne créent pas les inégalités mais les légitiment en les naturalisant et en les rendant invisibles.

Le mot sexisme se réfère, d’une part, à une idéologie, qui proclame la supériorité d’un sexe sur l’autre, d’autre part, à des actes et des pratiques s’inscrivant dans un continuum des violences, de la plus anodine jusqu’à la plus grave.

Trois étapes ont marqué l’histoire du sexisme. D’un sexisme ouvertement hostile mettant en avant de prétendues qualités naturelles des femmes en les privant d’accéder à certains espaces pour mieux les confiner dans d’autres, nous sommes passés dans les années soixante-dix à un sexisme masqué : à une époque où les luttes féministes ont commencé de produire leurs effets tant dans le domaine du droit que des politiques d’accompagnement, il est devenu politiquement incorrect de se dire sexiste, et ce phénomène a pris des formes subtiles. Aujourd’hui, prévaut ce que l’on pourrait appeler un sexisme ambivalent : en apparence bienveillant, il consiste à attribuer aux femmes des qualités prétendument positives, tout en les maintenant dans un statut de subordonnées et dans une logique de protection. Ce faisant, il reproduit une division des qualités, des aptitudes et des comportements dans laquelle les femmes sont considérées comme complémentaires des hommes et non comme leurs pairs. Il se manifeste dans la mise en avant d’un modèle androgyne de l’entreprise qui attribue certaines compétences et certains postes aux femmes – direction des ressources humaines, communication – et d’autres aux hommes – le leadership, la finance et la stratégie. Cette forme de sexisme renoue avec une division sexuelle des fonctions et une naturalisation des compétences de l’ordre de la discrimination.

Je n’entre pas dans le détail des différentes manifestations du sexisme : blagues, incivilité, police des codes sociaux de sexe, interpellations familières, fausse séduction. Je soulignerai avant tout la façon dont les femmes façonnent des stratégies de réponse au sexisme. Le plus souvent, elles adoptent une attitude de déni, de contournement ou d’euphémisation. L’affrontement est assez rare : le coût en est plus lourd pour elles que l’acceptation. Elles préfèrent faire comme si elles n’avaient rien vu, ce que les Anglo-Saxons appellent la stratégie de coping, une logique de protection mise en œuvre pour se préserver de la menace ou de l’agression : notre enquête a ainsi montré qu’à peine 8 % des femmes ont fait appel à leur supérieur hiérarchique ou aux syndicats pour dénoncer le sexisme. Ou alors elles déploient des stratégies de blanchiment à travers lesquelles le sexisme est repeint avec des couleurs qui le rendent acceptable aux yeux de celles qui en sont victimes, ce qui va jusqu’au déni, à l’évitement, voire au retrait et au désengagement du travail.

Le sexisme n’a rien d’anodin. Il crée de la souffrance. C’est une entorse au bien-être et à la qualité de la vie au travail. Isabelle Boni a ainsi montré comment les femmes en situation de gouvernance mettaient en place des stratégies de passing pour surmonter les injonctions paradoxales auxquelles elles sont soumises : montrer leur appartenance à la catégorie des femmes tout en devant se comporter comme un homme. Ces mécanismes, que la psychologie sociale s’attache à mettre au jour, il s’agit de mieux les cerner pour apporter des éléments de réponse.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’aimerais savoir si les 15 000 personnes qui ont répondu à l’enquête constituent un panel représentatif.

Mme Brigitte Grésy. Les 15 000 salariés – deux tiers de femmes, un tiers d’hommes – consultés dans notre enquête sont des cadres appartenant à neuf grandes entreprises françaises, ce qui implique des biais. Nous comptons compléter cette étude par une consultation auprès de non-cadres dans les PME. Si les résultats mis en évidence avaient avoisiné les 50 % ou les 40 %, nous aurions pu nous interroger sur la pertinence de notre procédure, mais des proportions telles que 90 % ou 80 % ne laissent aucun doute sur l’existence du phénomène : les biais sont de facto lissés.

J’en viens à la deuxième partie du rapport : le sexisme dans le droit.

Certains actes sexistes sont d’ores et déjà visés dans notre droit, qu’il s’agisse de l’agression sexuelle, du harcèlement moral, du harcèlement sexuel, et des discriminations en tous genres. Toutefois, la notion de sexisme, a fortiori de sexisme ordinaire, n’a pas trouvé sa place dans les normes juridiques. Le sexisme en tant que tel n’est pas une catégorie juridique et le droit du travail ou les dispositions légales s’appliquant au contexte du travail n’en disent rien.

En droit international, que ce soit dans la convention sur 1’é1imination de toutes les formes de discrimination à 1’égard des femmes (CEDEF) des Nations-unies, dans les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) ou encore dans la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes et la violence domestique, aucune mention n’est faite du sexisme en tant que tel. On assiste à la montée en puissance des instruments juridiques de la discrimination et des violences. Or le terme de « violences » peut donner l’impression que seuls les actes perçus comme très graves sont visés et renforcer le sentiment d’impunité face à des comportements de sexisme ordinaire. Le seul signe positif, c’est que la stratégie 2014-2017 en matière d’égalité entre les femmes et les hommes publiée par le Conseil de l’Europe a fixé comme objectif n° 1 le fait de combattre les stéréotypes de genre et le sexisme.

Le droit de l’Union européenne est marqué par une timide émergence de la prise en compte du sexisme ordinaire à travers deux notions : la discrimination indirecte à raison du sexe et le harcèlement fondé sur le sexe, défini comme une situation dans laquelle un comportement non désiré, lié au sexe d’une personne, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. Il s’agit toutefois d’une notion très peu connue, n’ayant pas fait l’objet d’une interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne (CJCE). Seule la Belgique a récemment adopté une loi incriminant le sexisme mais cette démarche reste à ce jour isolée parmi les États membres.

Dans notre législation nationale, on peut discerner un début de caractérisation du sexisme ordinaire. Toutefois, l’absence de jurisprudence interdit toute définition claire de la notion.

En matière pénale, trois incriminations ont retenu notre attention. Cependant les agissements relevant du sexisme ordinaire demeurent particulièrement difficiles à établir du fait de l’obligation qui pèse sur la victime d’apporter la preuve matérielle de ces agissements et de celle de l’intentionnalité de l’auteur.

Il s’agit, premièrement, des délits d’injures, de diffamation, de provocation à la haine et à la violence fondées sur le sexe ou sexistes, introduits par la loi de 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE). Membre d’un cabinet ministériel à cette époque, je peux vous dire comme il m’a été difficile de faire intégrer le caractère sexiste des propos discriminatoires dans la loi, dans la lignée de la loi défendue par Yvette Roudy. On me répondait que seule la répression des propos homophobes était importante et qu’il ne valait pas la peine d’évoquer celle des propos sexistes ! À ce jour, ces délits n’ont pas donné lieu à des condamnations par la Cour de cassation et un flou juridique continue d’entourer la définition de l’injure sexiste.

Il s’agit, deuxièmement, du délit de harcèlement sexuel dont la définition a été élargie aux « propos et comportements sexistes », à l’occasion de l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2012. Une circulaire d’application précise que le délit peut viser les propos et comportements sexistes. Nous ne savons cependant pas encore quelles interprétations en feront les juges.

Il s’agit, troisièmement, du délit de harcèlement moral. Très souvent mobilisé par les personnes qui sont la cible de comportements sexistes, il présente l’inconvénient d’être insensible au mobile sexiste.

En matière de droit du travail, qui demeure la voie privilégiée pour contester les discriminations à raison du sexe du fait de l’application du principe de l’aménagement de la charge de la preuve, trois outils peuvent être mobilisés : le harcèlement moral ; le harcèlement sexuel – nous espérons que la circulaire d’application de la loi du 6 août 2012 permettra de prendre en compte certains propos comme constitutifs de ce délit ; une nouvelle disposition prohibant tout agissement à raison d’un critère prohibé, dont le sexe, depuis la loi du 27 mai 2008, loi de transposition du droit communautaire.

Vous nous avez demandé, madame la présidente, la mesure qui nous semblait la plus importante à mettre en œuvre. C’est celle qui correspond à la recommandation 18 de notre rapport : codifier la notion d’agissement à raison du sexe. On nous a reproché de vouloir ajouter du droit au droit ; or il ne s’agit pas de créer une nouvelle disposition mais de codifier une disposition existante. On le sait, la loi du 27 mai 2008 n’a pas été codifiée et la loi de 2012 sur le harcèlement sexuel qui, elle, l’a été est venue se juxtaposer vis-à-vis de la définition du harcèlement moral et sexuel que cette dernière établissait.

Nous proposons donc de codifier la disposition relative à l’agissement à raison du sexe contenue dans l’article 1er de la loi de 2008 sous la dénomination d’« agissement sexiste ». Nous avons choisi de l’intégrer au code du travail, pour des raisons de facilitation de la charge de la preuve, plus précisément dans la partie dédiée à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, pour des raisons de lisibilité.

Pourquoi « agissement » et non « harcèlement » ? Les directives européennes retiennent le mot de « harcèlement », traduction de harassment, termes reposant tous deux sur l’idée d’actes répétés. Le terme « agissement », lui-même retenu par le législateur français dans la loi de 2008, nous a semblé plus intéressant.

Pourquoi le terme « sexiste » ? Nous aurions pu reproduire la formulation de la loi de 2008 : « agissement à raison d’un critère prohibé » ou même « agissement à raison du sexe ». Toutefois, inscrire le mot « sexiste » permet de rendre visible le sexisme dans le code du travail, de façon que les femmes puissent identifier plus facilement ce qui leur arrive, les juges apprécier de façon plus sûre les faits qui leur sont soumis, et les inspecteurs du travail disposer de meilleurs outils pour saisir ce phénomène. Le choix de ce terme est pour nous un instrument de mise en visibilité de ce sexisme trop souvent occulté, euphémisé, dénié.

Pourquoi avoir choisi la partie consacrée à l’égalité professionnelle dans le code du travail ? L’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes fait d’ores et déjà l’objet d’un traitement spécifique dans la Constitution. Le code du travail lui consacre un chapitre et il nous est apparu que ce choix permettait d’assurer une meilleure visibilité, de nature, là encore, à donner un moyen d’agir plus sûr à ceux qui ont la charge de juger et de contrôler les manifestations de sexisme.

Nous avons presque réussi à ce que les pouvoirs publics nous soutiennent, mais à la dernière minute, cela n’a pas été possible. Nous savons les résistances de certaines parties prenantes, qui ne souhaitent pas modifier le droit au motif que les changements créent une insécurité juridique supplémentaire pour les entreprises, qui auraient déjà beaucoup de mal à s’y retrouver. Nous prétendons que cette codification contribuerait, au contraire, à créer de la sécurité juridique.

Les femmes peuvent reconnaître ce que recouvre un agissement sexiste, et notamment s’il est particulièrement lourd, grave ou répété. Évidemment, il faudra trouver un faisceau d’indices. Évidemment, il faudra se faire aider par la jurisprudence pour parvenir à le qualifier correctement. Pour la notion de harcèlement moral, il a bien fallu arriver à construire une jurisprudence cohérente. Il y aura de la même manière une phase d’acclimatation. Mais nous estimons que la notion d’ « agissement sexiste » serait un tremplin formidable pour rendre visible ce phénomène. Vous savez bien qu’il faut d’abord une reconnaissance dans le droit pour parvenir à une sensibilisation, à des actions de formation et à un accompagnement par les politiques publiques.

L’idée qu’avec le temps, on parviendrait à lutter contre ce phénomène, ou que la neutralisation des politiques publiques est le meilleur outil pour ce faire est un leurre. Le sexisme fait l’objet d’un tel déni qu’il faut agir par le droit. Et je précise que le sexisme n’est pas seulement le fait des hommes. Nous sommes tous tombés dans la même marmite dès l’enfance et les femmes ne sont pas plus vertueuses.

Au-delà de la codification juridique, il importe de prendre en compte la prévention en matière de sécurité et de santé au travail. La sécurité et la santé au travail constituent une dimension nouvellement prise en compte par la loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, laquelle prévoit que les entreprises doivent produire des statistiques « genrées » et tenir compte de l’impact différencié des risques sur les femmes et les hommes  dans le document unique d’évaluation des risques. Nous recommandons que figurent dans le plan de prévention une définition très claire et extensive du harcèlement moral et du harcèlement sexuel et une mention de la notion d’agissement à raison du sexe.

Par ailleurs, il importe de s’appuyer sur les instruments de régulation internes à l’entreprise : le règlement intérieur, outil de régulation des comportements au sein de l’entreprise qui impose des règles générales et permanentes, et les chartes d’éthique, inspirées des États-Unis. Or ces documents prennent actuellement très peu en compte les éléments relevant du sexisme. Nous préconisons que l’employeur précise lui-même ce qu’il entend par comportement sexiste dans le règlement intérieur. Nous recommandons, en outre, au législateur d’intégrer dans les dispositions du code du travail relatives au règlement intérieur des éléments précis sur l’agissement à raison d’un critère prohibé, dont le sexe.

Pour reconnaître une existence légale au sexisme, nous avons mis en avant plusieurs axes de travail.

Nous proposons de nommer le sexisme, en lui donnant deux définitions : l’une portant sur le sexisme au travail au sens large, qui prend en compte tous les éléments, du plus anodin jusqu’au viol, et rappelle qu’il renvoie à une croyance mais aussi à des actes ; l’autre portant sur le sexisme ordinaire.

Nous préconisons de rendre visible le sexisme. Pour cela, il faut introduire des questions sur le sexisme dans les enquêtes de ressenti portant sur les conditions de travail car, actuellement, elles ne comportent aucun élément de cette nature, exception faite d’une petite question sur les blagues, dans une enquête en cours sur les risques psycho-sociaux.

Nous suggérons de former non seulement les salariés, les employeurs et les partenaires sociaux, mais aussi les juges et les avocats.

Nous invitons les entreprises à organiser des circuits de remontée, via des procédures d’alerte, et à mettre en place une culture organisationnelle prenant en compte la lutte contre le sexisme.

Enfin, nous encourageons la mise en place d’un traitement des situations de sexisme au travail.

Tout cela passera par différentes actions que Mme la ministre nous a demandé de mettre en place. Elle va envoyer une directive à la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et à la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) pour intégrer des questions sur le sexisme dans les enquêtes générales. Elle a donné son accord pour que nous organisions à la fin de l’année un grand colloque sur le sexisme, associant partenaires sociaux, entreprises, chercheurs, représentants des pouvoirs publics et élus – vous y serez bien sûr conviées. Elle souhaite surtout que le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle crée assez rapidement un kit pour les entreprises, formé d’un exemple de règlement intérieur intégrant la question du sexisme et d’un exemple d’action de prévention du sexisme ordinaire dans le document unique d’évaluation des risques, exemples non contraignants destinés à aider les employeurs à mieux prendre en compte ce phénomène.

Par ailleurs, le label Égalité, qui fait l’objet en ce moment d’un travail de refonte avec le label Diversité, va intégrer dans de brefs délais dans son cahier des charges des éléments de prise en compte du sexisme. Les pouvoirs publics vont multiplier les conventionnements avec de grandes entreprises autour des questions de l’emploi et de la mixité mais également du sexisme.

Mme la présidente Catherine Coutelle. S’agissant du choix du terme « agissement » plutôt que celui de « harcèlement », j’ajouterai une précision. Lors de l’examen du projet de loi relatif au harcèlement sexuel, après de longues discussions, nous avons réussi à intégrer dans le texte que le harcèlement pouvait renvoyer à un acte isolé alors qu’il est généralement associé à des actes répétés. Il n’y a toutefois pas encore de jurisprudence.

Par ailleurs, je souhaiterais savoir quelle loi vous aurait permis d’intégrer la notion d’agissement sexiste.

Mme Brigitte Grésy. Il n’y avait pas encore de vecteur législatif mais nous avons failli avoir un accord sur ce principe.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La loi sur le dialogue social, qui sera bientôt examinée, pourrait peut-être s’y prêter.

Mme Barbara Romagnan. J’aurai quatre séries de questions.

Premièrement, dans l’enquête que vous avez lancée auprès des 15 000 salariés, quelles questions étaient destinées aux hommes : leur a-t-on demandé s’ils étaient victimes du sexisme, s’ils avaient été témoins ou encore acteurs ?

Deuxièmement, vous avez cité des mots visant à euphémiser le sexisme comme le terme « misogynie ». Pour ma part, je ne vois pas en quoi il serait plus faible.

Troisièmement, je me suis interrogée sur la façon dont je réagissais au sexisme. Certes, le cadre dans lequel nous évoluons en tant qu’élus n’est pas à strictement parler un milieu professionnel, mais il s’en approche et il est loin d’être exempt de manifestations de sexisme. Considérez-vous que de ne pas les dénoncer revient à les atténuer ? Je dois dire que je ne vis pas les remarques sexistes comme exagérément violentes, même si elles sont répétées. En général, j’y réponds par la moquerie. Sinon, j’évite les spécimens connus pour en être familiers en me disant que mieux vaut ne pas croiser tel ou tel malveillant.

Quatrièmement, je soulignerai cette réaction répétée chez certains de nos collègues masculins qui consiste à nous renvoyer à notre statut de femme lorsque nous présentons certaines propositions de loi et appelons l’attention sur certains sujets, comme si c’étaient nos problèmes à nous, qui ne nécessitaient pas qu’ils interviennent autrement qu’en faisant des petites blagues. Tout se passe comme si l’égalité entre hommes et femmes ne devait concerner que les femmes, autrement dit une seule des deux parties en jeu, attitude que bien entendu ils s’interdiraient d’avoir s’il s’agissait du racisme. Vous faites une réunion toutes les semaines sur la lutte contre le Front national, vous êtes considéré comme un champion de la démocratie ; vous faites une réunion par an consacrée à l’égalité entre femmes et hommes, vous êtes une odieuse féministe.

Mme Conchita Lacuey. Madame Grésy, votre Petit traité contre le sexisme ordinaire a fait date, révélant l’état de notre société, du monde du travail en particulier, face à ce phénomène. La médiatisation dont il a fait l’objet a permis de mettre cette question sur la place publique.

Toutefois, le constat que dresse le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) de la Gironde, avec lequel je travaille depuis de nombreuses années, reste préoccupant. L’entrée des femmes dans les métiers dits masculins – métiers de la propreté, du bâtiment, de la SNCF – n’a rien d’anodin, alors même que celles-ci réunissent toutes les conditions requises en termes de motivation, de compétences et de formation. Leur accueil et leur intégration durable sont déterminants. Ils renvoient à une organisation collective de tous les acteurs de l’entreprise et à une politique publique forte et visible. Or, actuellement, l’intégration des femmes n’est pas suffisamment pensée et réfléchie. Il n’est qu’à prendre l’exemple des sanitaires, cité de manière récurrente. Lorsque les femmes ne dépassent pas 30 % des effectifs, elles restent dans une position minoritaire et sont souvent isolées. Le sexisme bienveillant peut également poser problème et être contre-productif. Les femmes sont maintenues dans une posture dite féminine, ce qui complique leur pleine insertion dans le métier. Pour les fonctions d’encadrement, elles se heurtent parfois carrément au refus des hommes d’être dirigés par des femmes et souvent à une résistance passive se manifestant sous forme de discrimination. La posture des cadres doit être très claire, ce qui suppose, comme vous l’indiquiez, des actions de formation adaptées.

Ne pensez-vous pas qu’il serait nécessaire d’aller plus loin dans la parité en l’étendant à toutes les instances dirigeantes du monde du travail afin de lutter efficacement contre les stéréotypes et les préjugés tenaces ?

Nous préconisons la mise en œuvre de l’expertise féministe à tous les niveaux. Je sais que tel est votre combat.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous avez proposé, madame Grésy, de lancer une campagne de communication dans les médias. Pour souligner toute l’importance de telles actions, je citerai le cas d’une femme que j’ai rencontrée hier à ma permanence. Depuis dix ans qu’elle subit la violence de son mari et après huit tentatives de suicide, ce qui lui a fait prendre conscience de ce dont elle était victime, c’est un spot télévisé. Et elle est venue spécialement me voir pour me dire le rôle fondamental qu’avait joué pour elle cette campagne.

Mme Édith Gueugneau. Madame la secrétaire générale, je vous remercie pour votre exposé. Que seules 8 % des femmes osent dénoncer le sexisme parmi les cadres des grandes entreprises montre toute l’importance de votre travail.

J’aimerais savoir quelle sorte de lien il est possible d’établir entre situations de burn-out et sexisme, qui n’est finalement qu’un des aspects du harcèlement auquel les femmes sont exposées dans une entreprise. Avez-vous des éléments statistiques mettant en évidence le fait que le sexisme a pu être le point de départ d’une situation de détresse ?

Dans votre rapport, vous faites le point sur les différents acteurs conduits à intervenir dans la lutte contre le sexisme, citant les services de médecine et de prévention au travail, qui devraient être la pierre angulaire du dispositif de lutte contre le sexisme. Or dans de nombreuses entreprises, notamment les plus grandes, se pose la question de leur proximité avec les employeurs, car ils n’ont pas toujours tendance à agir dans un sens favorable aux salariés. Est-ce une réalité dont vous avez connaissance ? Si oui, comment y remédier ?

L’égalité entre femmes et hommes est un combat permanent et le chemin à parcourir reste long. Je pense que le kit que vous destinez aux entreprises pourrait également être distribué, sous une forme adaptée, dans les collectivités publiques. Le sexisme se manifeste aussi dans nos communes, nos communautés de communes et nos régions. Ce serait un premier pas important. Les élus doivent montrer l’exemple.

Mme Brigitte Grésy. Le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle (CSEP) couvrant seulement le marché du travail privé, il revient au Conseil supérieur de la fonction publique d’État et au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale de se saisir de ces questions, madame Gueugneau.

Madame Romagnan, dans notre enquête, nous avons demandé aux femmes si elles avaient été les victimes ou les témoins d’agissements sexistes ; aux hommes, seulement s’ils en avaient été les témoins. Et la psychologie sociale montre qu’être témoin ou être victime crée quasiment le même type de dégâts. On peut souffrir du sexisme passif, à l’instar du tabagisme passif.

Misogynie, machisme, sexisme sont des termes qui recouvrent un même phénomène, mais ce qui est important, c’est de disposer d’un terme juridique. Sexisme en est un, comme le racisme. Nous visons la reconnaissance d’un concept juridique, ce qui nous fait éliminer tous les termes qui ne font que désigner des relations difficiles entre femmes et hommes.

Les stratégies des femmes face au sexisme sont très différentes. Elles dépendent des milieux, or le monde politique est le pire en la matière car il ne connaît pas de mécanismes de régulation interne, le sexisme s’y exprime de manière sauvage. Dans une organisation de travail, que ce soit une entreprise ou la haute fonction publique – où, je peux vous le dire d’expérience, le sexisme sévit –, des autorégulations se mettent en place à travers la chaîne hiérarchique. Le sexisme se manifeste de manière beaucoup plus insidieuse et détournée que dans le monde politique, où il n’y a de comptes à rendre qu’à ses électeurs. Et ce caractère dissimulé du sexisme ordinaire au travail est source d’une grande souffrance qui affecte non seulement les victimes mais aussi les témoins, et donc la performance globale de l’entreprise.

Le seuil de tolérance au sexisme est très différent suivant les femmes : certaines semblent être invincibles quand d’autres sont mises à terre par une simple remarque. Le rôle des pouvoirs publics est de donner la plus grande visibilité possible au phénomène du sexisme pour venir en aide aux plus faibles, aux plus fragiles.

Vous avez raison, madame Lacuey, les deux milieux où les femmes souffrent le plus du sexisme sont les métiers majoritairement masculins, comme les métiers du bâtiment, et les postes de gouvernance. C’est quand les femmes sont les moins nombreuses, et quand, historiquement, elles n’ont pas encore fait la preuve de leur légitimité, qu’elles sont contestées et agressées. Nous voyons bien quelle sauvagerie se déchaîne contre celles qui se portent candidates à des postes à pourvoir dans des enceintes que nous connaissons toutes. Même si les aides européennes permettent de créer des sanitaires distincts, si les femmes ne sont pas accompagnées et ne sont pas en effectifs suffisants, elles partiront de l’entreprise au bout d’un an ou de deux ans, les ailes souvent brisées. Il faut nommer ce sexisme-là dans ces milieux majoritairement masculins. Seules quelques-unes pourront déclarer que ces manifestations sexistes tenaient davantage du bizutage, la majorité renoncera. Je vous renvoie à l’un des derniers numéros de la publication Bref du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) consacré aux femmes dans les métiers d’hommes.

Renforcer la parité, dites-vous encore, madame Lacuey. Je suis « Madame objectifs chiffrés » car je considère qu’on ne peut parvenir à créer de l’égalité qu’en mettant en tension les organisations : l’égalité, ça se mesure et ça se contraint. La parité est à développer. Il faut le faire avec doigté et cela passera par des objectifs chiffrés de progression.

Quant au burn-out et aux situations de détresse, nous ne disposons pas de données permettant d’établir un lien avec le sexisme, précisément parce que rien n’est sexué dans les plans de prévention et les documents uniques de sécurité. Faire émerger la notion d’agissement sexiste, parvenir à ce que le sexisme soit mentionné dans les règlements intérieurs, les plans de prévention, les chartes d’éthique, voilà qui permettra de mener des enquêtes susceptibles de montrer qu’il existe une telle causalité. Nous avons tous l’intuition que l’usure professionnelle, la difficulté à se projeter dans le lendemain, le burn-out, sont liées à des phénomènes de non-reconnaissance de ce que l’on est et d’atteinte à son identité au travail.

Enfin, la proximité des médecins du travail avec les employeurs est une critique répandue, mais je crois qu’ils sont de plus en plus sensibilisés au sexisme même si leurs missions ne comprennent pas sa prise en compte.

Mme Marie Becker, cheffe de projet au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP). La nouvelle définition du harcèlement sexuel établie dans la loi du 6 août 2012 vise deux formes de harcèlement : les faits répétés et le fait isolé, lorsque s’exerce une pression grave. Reprise dans le code du travail, elle a donné lieu à une circulaire qui prend en compte les propos ou comportements sexistes ou grivois, mais met en avant la connotation sexuelle, ce qui la rend à notre sens difficile à appliquer.

Les femmes ont du mal à dire qu’elles sont victimes de harcèlement sexuel. Les dossiers reçus par le Défenseur des droits et traités par l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) montrent que, bien souvent, il faut que le stade de l’agression sexuelle soit atteint pour que le harcèlement sexuel soit dénoncé. Peu de femmes savent que cette incrimination couvre aussi des gestes et des propos qui ne sont pas de l’ordre de l’agression.

Les notions de harcèlement lié du sexe dans la législation européenne et d’agissement fondé sur le sexe présentent l’intérêt de cerner une discrimination entre femmes et hommes sans que la connotation sexuelle soit nécessairement en jeu. C’est la raison pour laquelle codifier la notion d’agissement sexiste nous paraît essentiel. Elle permettrait à un grand nombre de femmes victimes du sexisme ordinaire dans les entreprises de dénoncer ce qu’elles subissent.

Mme Brigitte Grésy. Sans compter que nombre de femmes font appel à la notion de harcèlement moral parce qu’il leur est extrêmement difficile de parler de harcèlement sexuel. La notion d'agissement sexiste collerait parfaitement aux réalités vécues.

Mme Marie Becker. Lorsque je travaillais pour le Défenseur des droits, nous nous étions interrogés sur les blocages dans les métiers majoritairement masculins, en particulier s’agissant de l’absence de sanitaires et de vestiaires séparés. Il faudrait analyser précisément les dispositions légales.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Oui, l’obligation a même conduit à l’exclusion des femmes de certains métiers. J’ai pu le constater dans le secteur du transport : des entreprises se refusaient à embaucher des femmes pour ne pas avoir à construire des sanitaires et des vestiaires séparés.

Mme Brigitte Grésy. Certaines aides du Fonds européen de développement régional (FEDER) sont fléchées vers la construction de ces équipements.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Et s’agissant de parité, l’actualité nous offre de quoi réfléchir. Alors même que nous avons voté une loi pour assurer une représentation paritaire dans les assemblées départementales, nous avons pu constater dimanche dernier, à l’occasion du premier tour des élections départementales, que les plateaux de télévision étaient remplis d’hommes. On a retiré la parole aux femmes ou elles se la sont retirées elles-mêmes. Comme vous dites, madame Grésy, la parité, ça se compte et ça se contraint.

Nous vous remercions pour cette présentation de votre passionnant rapport qui porte sur un sujet largement méconnu. Nous aurons à cœur de voir si la notion d’agissement sexiste peut trouver rapidement un vecteur législatif. La prochaine loi sur le dialogue social nous offrira peut-être l’occasion de l’inscrire dans nos codes. Il faudra veiller à préciser avec vous sa définition. Le délit de harcèlement sexuel, vous vous en souvenez, avait fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité et le Conseil constitutionnel l’avait abrogé, considérant que sa définition n’était pas assez précise. A l’occasion de l’examen de la loi sur le harcèlement sexuel, nous avions ensuite eu de nombreux débats sur les adjectifs à intégrer dans la définition, certains considérant qu’ils étaient redondants.

Nous en venons au rapport du CSEP consacré à la négociation collective sur l'égalité professionnelle dans les entreprises de moins de 300 salariés. Instaurée par la loi Roudy de 1983, la négociation collective sur l’égalité professionnelle a été renforcée par divers textes. Depuis la loi d’août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, elle s’impose aux petites et moyennes entreprises (PME) et figure parmi les conditions requises pour pouvoir accéder aux marchés publics.

Je me félicite que vous ayez pu en faire une évaluation, car il faut absolument que des progrès réels soient enregistrés. Des contraintes ont été instaurées, notamment à travers le décret de 2012 qui renforce certaines exigences. L’augmentation des plans d’action est notable. Toutefois, soulignez-vous, la qualité n’est pas au rendez-vous de la quantité. Quelles sont les voies d’amélioration possibles ? Quels leviers activer pour aider les PME dans leurs démarches ? Et surtout, comment simplifier ? Les entrepreneurs déplorent tous la complexité des normes et l’illisibilité du code du travail.

Mme Brigitte Grésy. Ce rapport a pour objet de faire état de la négociation collective dans les entreprises de 50 à 300 salariés.

On note une évolution très positive de la signature des accords d’entreprise depuis le décret de 2012. Aujourd’hui, 36 % des entreprises assujetties sont couvertes contre 7,5 % des entreprises ayant déclaré un délégué en 2009. Toutefois, ce taux recouvre une réalité disparate selon la taille des entreprises : il atteint 79 % pour les entreprises de plus de 1 000 salariés mais reste inférieur à 30 % pour celles de moins de 300. Il y a eu 1 346 mises en demeure adressées, dont 91 % ont toutefois été régularisées très rapidement, ce qui prouve que les entreprises arrivent à s’en sortir lorsqu’elles sont accompagnées, notamment par les administrations du travail. Par ailleurs, quarante-cinq décisions de pénalités ont été prises.

La loi fait obligation aux entreprises d’inclure dans la négociation au moins trois domaines, lorsqu’elles ont moins de 300 salariés, et quatre, au-delà. Sur cette base, elles doivent signer un accord ou, à défaut, présenter un plan unilatéral reprenant le plan nouveau intégré dans le rapport de situation comparée (RSC), pour les entreprises de plus de 300 salariés, ou le rapport de situation économique (RSE) pour les moins de 300.

L’analyse de plusieurs séries d’accords a fait apparaître que la plupart des entreprises se focalisent sur les mêmes indicateurs : la rémunération, critère obligatoire, la formation professionnelle, l’articulation entre l’activité professionnelle et l’exercice de la responsabilité familiale. La qualification, la classification, les conditions de travail, sont des indicateurs très peu choisis car ils sont très mal compris, même dans les grandes entreprises.

Par ailleurs, ces plans et ces accords sont extrêmement mal libellés. La loi veut que les indicateurs soient assortis d’objectifs de progression dûment identifiés et d’actions pour accompagner ces évolutions. Qui dit progression, dit point de départ et point d’arrivée. Or, très souvent, les accords se contentent de reprendre la loi de manière tautologique. L’objectif est identique à l’action : « diminuer les écarts de rémunération », par exemple. Les plans et accords tiennent trop souvent de la pétition de principe, les actions concrètes restant très peu identifiées.

Nous envisageons d’ouvrir une rubrique spécifiquement destinée aux PME sur le site www.ega-pro.femmes.gouv.fr. Il s’agirait, par exemple, d’expliquer qu’un objectif de progression suppose de déterminer un point p et un point p+1, et que le champ lexical employé doit rendre concrète l’idée de progression  – « augmenter », « enrichir », « développer », « multiplier ». Il consisterait, en outre, à expliciter les différences entre objectifs, plans et actions.

Au-delà des précisions apportées par décret en Conseil d’État, nous voulons aussi aider les entreprises à donner de la chair aux indicateurs.

Les grandes entreprises se débrouillent assez bien dans l’élaboration de leurs rapports de situation comparée, d’autant que les indicateurs qui doivent y figurer sont dûment identifiés dans un décret. La loi du 4 août 2014 a toutefois ajouté de nouveaux domaines à prendre en compte dans le RSC : la sécurité et la santé au travail, l’évaluation des écarts de rémunération et du déroulement de carrière, en fonction de l’âge, de la qualification et de l’ancienneté. Le groupe de travail « indicateurs » que nous avons créé au sein du CSEP est en train de mettre au point des indicateurs pertinents dans le domaine de la sécurité au travail.

Pour les entreprises de moins de 300 salariés, les indicateurs ne sont pas obligatoires. Il faut les laisser libres de se saisir de ces questions car elles disposent de beaucoup moins de moyens que les grandes entreprises. Toujours sur le site www.ega-pro.femmes.gouv.fr, nous comptons leur fournir des exemples très précis de ce que peut être un indicateur de promotion, un indicateur de qualification ou un indicateur d’écart de rémunérations.

Enfin, nous voulons rendre plus lisible le droit de la négociation collective en matière d’égalité professionnelle. Les différentes lois, depuis la loi Roudy de 1983, forment un millefeuille particulièrement complexe : loi Génisson de 2001, loi sur l’égalité salariale de 2006, loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes de 2014.

Nous avons dans notre rapport insisté tout particulièrement sur la notion de plan d’égalité professionnelle. Le code du travail en prévoit trois types différents : le plan pour l’égalité professionnelle, à l’article L. 1143-1, négocié pour mettre en œuvre des mesures d’actions positives temporaires, et valable pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille ; le plan d’action intégré dans le RSE ou le RSC, ces deux rapports devant désormais non seulement présenter des objectifs chiffrés mais aussi un plan d’égalité professionnelle – je vous renvoie aux articles L. 2323-47 et L. 2323-57 ; le plan unilatéral de l’employeur, prévu à l’article R. 2242-2, qui intervient en cas d’échec des négociations.

Or le plan pour l’égalité professionnelle, valable pour toutes les entreprises, ne fait aucune allusion aux deux autres plans. Il serait donc judicieux que l’article L. 1143-1 précise la manière dont ils s’articulent entre eux.

S’agissant de l’articulation des deux autres plans, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et la direction générale du travail (DGT) considèrent que deux cas se présentent, une fois le plan d’action soumis à négociation : soit la négociation aboutit à un accord, qui enrichit ce plan d’action ; soit elle aboutit à un échec, et le plan d’action du RSE ou du RSC devient le plan unilatéral de l’employeur. Est-ce à dire qu’il n’est pas nécessaire d’élaborer un plan unilatéral spécifique ?

Pour éliminer cette incertitude, nous souhaiterions que, dans le rapport de situation comparé, il ne soit pas question de « plan d’action » mais de « programme d’action », qui serait soumis à négociation. En cas d’accord, ce programme serait retenu ; en cas d’échec, l’employeur devrait prendre appui sur ce document pour rédiger un plan unilatéral. Il nous paraît en effet aberrant qu’un plan unilatéral puisse être identique au plan d’action du RSE ou du RSC, alors même que les négociations ont échoué. Il faut s’assurer que l’employeur ajoute de nouveaux éléments. C’est ce plan unilatéral qui serait déposé auprès de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), qui dispose déjà des RSE et des RSC.

Cela permettrait aux entreprises de mieux s’y retrouver et d’échapper à l’enchevêtrement des dispositions digne d’un mikado qui prévaut actuellement.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les partenaires sociaux ne semblent pas s’investir dans ces plans, soit qu’ils aient du mal à s’y retrouver, soit qu’ils aient d’autres priorités. La loi sur le dialogue social sera bientôt débattue. Peut-on parvenir à une simplification ? Une clarification serait-elle facilitée par l’inscription dans la loi du principe de la parité des représentants des salariés, point d’achoppement lors de l’examen de la loi de sécurisation de l’emploi ?

Nous devons réfléchir les uns et les autres à trouver une solution à cet empilement de textes qui rend la législation illisible.

Mme Brigitte Grésy. La loi de mars 2006 a introduit un autre élément d’ambiguïté en intégrant la suppression des écarts de rémunération dans les négociations annuelles obligatoires (NAO). S’il n’y a pas eu d’accord sur ce point dans le cadre de la négociation professionnelle au sens large, alors un accord doit être prévu dans le cadre des NAO, ce qui n’est pas source de clarté juridique.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il me semble que, lors de l’examen de la loi de sécurisation de l’emploi, notre assemblée a adopté un amendement qui est venu simplifier ces discussions, à la demande des partenaires sociaux.

Ne craignez-vous pas que ces plans d’égalité professionnelle ne soient purement formels ? Vous semblent-ils porteurs de réelles avancées ?

Mme Brigitte Grésy. L’intégration de l’égalité des rémunérations dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire a constitué une avancée. Elle visait à coincer les entreprises qui n’avaient pas conclu d’accord dans le cadre de la négociation sur l’égalité professionnelle. En réalité, elle a manqué son but car le système de remontée des accords est particulièrement complexe. Il est très difficile de faire la part entre les accords portant sur la rémunération et les accords portant sur l’égalité professionnelle au sens large, sans parler des accords de branches.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Avez-vous des exemples d’accords de rattrapage qui ont permis une réduction sensible des écarts de salaires ? Les entreprises ont-elles recours dans ce cas à une enveloppe supplémentaire ?

Mme Brigitte Grésy. Beaucoup d’entreprises, notamment les grandes entreprises, s’affranchissent de leurs obligations en matière de suppression des inégalités de salaires par une enveloppe de rattrapage salarial. La plupart du temps, elle s’intègre dans l’enveloppe générale, et le rattrapage intervient au moment où toutes les augmentations sont distribuées, ce qui est très mal perçu par les salariés masculins.

De surcroît, le rattrapage contribue à réduire les écarts de rémunération mais sans s’attaquer aux problèmes de fond. Si bien que tous les trois ans, au gré des négociations, on retrouve les mêmes problèmes. Il faudrait poser beaucoup plus clairement le principe de ce que doit être un accord de rattrapage au sein de l’entreprise, en cernant bien en quoi consistent les inégalités qui provoquent les écarts de salaires.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie, mesdames, pour vos réponses. Sachez que vos passionnants travaux contribuent toujours à enrichir la réflexion de la délégation.

La séance est levée à dix-huit heures dix.

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Membres présents

Présentes. - Mme Catherine Coutelle, Mme Edith Gueugneau, Mme Conchita Lacuey, Mme Barbara Romagnan.