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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 19 janvier 2016

Séance de 13 heures 45

Compte rendu n° 11

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Table ronde réunissant Mme Maryvonne Bin-Heng, présidente de la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF), Mme Dominique Guillien, vice-présidente, et Mme Priscillia Fert, chargée de mission justice à la FNSF, Mme Eléonore Stévenin-Morguet, représentante de l’association Osez le féminisme, Mme Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), et Mme Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), sur les violences faites aux femmes

La séance est ouverte à 13 heures 45.

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

La Délégation procède à l’audition de Mme Maryvonne Bin-Heng, présidente de la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF), de Mme Dominique Guillien, vice-présidente, et de Mme Priscillia Fert, chargée de mission justice à la FNSF, de Mme Eléonore Stévenin-Morguet, représentante de l’association Osez le féminisme, de Mme Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), et de Mme Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), sur les violences faites aux femmes

Mme la présidente Catherine Coutelle. À la lumière d’événements récents, en particulier l’affaire Jacqueline Sauvage, notre délégation souhaite aborder notamment la question de la légitime défense pour les femmes victimes de violences répétées de la part de leur conjoint. Une femme qui tue son conjoint parce qu’il l’a violentée pendant quarante-sept ans ne bénéficie pas de la légitime défense, alors qu’un policier qui tue une personne dans le dos obtient la clémence de la justice au nom de la légitime défense. Je rappelle qu’en droit français la légitime défense est fondée sur trois éléments : le fait que la personne ait été victime d’une atteinte injustifiée envers elle-même, l’usage de moyens de défense proportionnés, ainsi que la concomitance de l’attaque et de l’acte commandé par la nécessité de la légitime défense.

Nous nous interrogeons également sur le « féminicide », qui ne figure pas dans le code pénal français, contrairement à d’autres pays, en particulier d’Amérique latine. En la matière, nous n’envisageons pas de déposer une proposition de loi, dont le cheminement risquerait d’être trop long, mais plutôt d’amender un projet de loi en discussion.

Mesdames, êtes-vous favorable à l’introduction du féminicide dans le code pénal ? Avez-vous des propositions à nous faire pour modifier les conditions de la légitime défense ?

Nous aborderons ensuite d’autres points, si vous le souhaitez.

Mme Maryvonne Bin-Heng, présidente de la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF). Notre fédération regroupe 63 associations sur le tout le territoire, y compris en outre-mer. Nous gérons le service téléphonique national d’écoute 3919 « Violences Femmes Info », qui a traité 50 000 appels l’année dernière. Les associations font de l’accueil, de l’écoute, de l’accompagnement et de l’hébergement spécifiques. Nous insistons sur le terme « spécifiques », car nous aidons les femmes victimes de violences conjugales, mais plus généralement toutes les femmes victimes de violences parce qu’elles sont femmes.

Mme Dominique Guillien, vice-présidente de la FNSF. La FNSF ne se positionne pas en faveur d’une révision de la législation sur la légitime défense. En effet, une telle révision pourrait avoir un effet boomerang, autrement dit donner la possibilité à certaines personnes de justifier un crime en raison d’événements antérieurs. Par contre, s’agissant des violences faites aux femmes, notamment des violences conjugales et intrafamiliales, la question de la légitime défense se pose, car les tribunaux ne sont pas suffisamment avertis de la particularité du crime commis par une femme victime de violences conjugales pendant des années, comme Jacqueline Sauvage. Peut-être faudrait-il s’inspirer du modèle canadien qui, à la suite de la modification d’un article du code criminel en 2013, permet de prendre en compte la spécificité de la situation des femmes qui tuent leur conjoint violent. Il s’agit donc là d’une question de société, qui tient plus à la méconnaissance par les tribunaux de la spécificité des violences conjugales, qu’à la nécessité d’un article de loi qui miraculeusement résoudrait tout.

S’agissant du féminicide, la recherche réalisée par notre chargée de mission montre que, dans la plupart des législations où le terme « féminicide » est retenu, notamment au Chili, au Pérou, en Espagne et en Italie, il s’agit de souligner la demande d’aggravation des peines en cas de meurtre d’une femme par son conjoint. Pour un certain nombre d’autres pays, notamment l’Argentine, le Guatemala et le Mexique, il s’agit de prévoir une circonstance aggravante en cas de crime commis à raison de l’identité de la victime – donc de l’identité de genre. En France, les circonstances aggravantes sont prévues en cas d’infraction commise par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité (PACS), mais pas en cas de féminicide à proprement parler. Aussi, la FNSF se prononce-t-elle pour l’introduction du terme « féminicide » dans la loi, comme circonstance aggravante à raison du genre de la personne tuée. Cette circonstance aggravante spécifique pourrait ainsi être ajoutée à l’article 221-4 du code pénal en cas de meurtre à raison de l’identité de la victime.

Mme Éléonore Stévenin-Morguet, représentante de l’association Osez le féminisme. Osez le féminisme a mené deux campagnes, l’une contre le viol, intitulée « La honte doit changer de camp ! », et l’autre sur le féminicide. Sur cette deuxième question, nous constatons que les choses bougent peu, puisque le nombre de femmes mortes sous les coups de leur conjoint – 134 en 2014 – ne diminue guère par rapport aux années précédentes. De surcroît, pour 40 % de ces femmes décédées sous les coups de leur conjoint, la justice savait qu’elles étaient victimes de violences, puisqu’elles avaient déjà porté plainte ou déposé une main courante. Ces deux constats nous poussent à nous interroger sur la responsabilité de l’État, dont on a l’impression qu’il ne protège pas assez les femmes victimes de violences conjugales.

Par conséquent, s’agissant de la légitime défense, l’État est d’une certaine manière complice de l’assassinat des femmes par leur mari – ou des hommes par leur femme – à l’issue de plusieurs années de violences. Certes, la présomption de légitime défense – selon laquelle toutes les femmes victimes de violences conjugales seraient en situation de légitime défense – est une question assez compliquée. En revanche, comme la FNSF, nous sommes d’accord avec la notion d’antériorité de la menace, introduite par le législateur canadien. Cette antériorité de la menace parmi les facteurs de présomption de la légitime défense conduirait à prendre en compte durant le procès les violences conjugales subies par une femme pendant des années, comme c’est le cas pour Jacqueline Sauvage, victime de violences durant quarante-sept ans.

Sur le féminicide, notre campagne de 2014 se voulait spécifique, puisque le meurtre d’une femme à raison de son sexe est une spécificité : les 134 femmes qui meurent chaque année sous les coups de leur conjoint sont tuées parce qu’elles sont femmes. Au demeurant, la violence machiste dans le monde est la première cause de mortalité des femmes de seize à quarante-quatre ans : meurtres de filles à la naissance, crimes d’honneur, femmes tuées par leur conjoint ou par des inconnus dans la rue. Plusieurs pays proches de nous, dont l’Italie et l’Espagne, ont choisi de reconnaître le féminicide pour plusieurs raisons : c’est un meurtre spécifique, un crime ignoré ou banalisé, et qui peut être évité. Pour nous, le féminicide doit donc être reconnu dans la loi comme facteur aggravant, d’autant qu’il permettrait aussi de mettre en place des dispositifs spécifiques en termes de prévention.

J’ajoute qu’à la lumière d’affaires récentes, on a l’impression que le fait pour un homme de tuer sa femme est plus un facteur atténuant qu’aggravant – Bertrand Cantat a écopé d’une peine très faible, comparée à celle de Jacqueline Sauvage, condamnée à dix ans de prison, par exemple. C’est pourquoi nous préconisons une étude comparée des peines entre les hommes et les femmes.

Enfin, nous pensons que la formation des professionnels, au premier rang desquels les magistrats, doit être développée. En Espagne, par exemple, une loi contre les violences conjugales a permis la création de tribunaux spécialisés dans ces violences spécifiques.

Mme la présidente Catherine Coutelle. En France, la notion de tribunal spécialisé n’a pas été retenue par le législateur. Par contre, nous sommes tout à fait favorables à une formation spécifique des magistrats. D’ailleurs, la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) organise une formation auprès de l’École nationale de la magistrature (ENM) en direction des futurs magistrats.

Pour me rendre sur le terrain régulièrement, je peux vous dire que l’accueil des femmes victimes de violences conjugales s’est amélioré, que ce soit au niveau de la justice, de la police ou de la gendarmerie, ce que nous confirment les associations. On ne peut donc pas dire que l’État ne fait rien. Certes, on ne peut se satisfaire de la situation actuelle – le nombre de femmes tuées sous les coups de leur compagnon ne baisse pas –, mais la loi du 9 juillet 2010, renforcée par la loi du 4 août 2014, a constitué une très grande avancée, en particulier avec l’ordonnance de protection.

Mme Éléonore Stévenin-Morguet. Effectivement, ces progrès doivent être notés.

Mme Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV). Je tiens avant tout à rappeler deux choses.

D’abord, la question de l’opportunité des poursuites pose problème dans les affaires que nous défendons. En effet, lorsque nous signalons des excisions dans le cadre de la protection maternelle et infantile (PMI), les affaires peuvent être classées sans suite. Ou lorsque des personnes portent plainte pour viol – et elles sont pourtant peu nombreuses à le faire –, les affaires sont classées pour un grand nombre d’entre elles, faute d’éléments de preuve suffisants ou parce que la victime n’est pas crédible, ou que sais-je encore.

Ensuite, les violences faites aux femmes sont très sous-évaluées. Si 134 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint l’année dernière, il faut savoir que sur les 32 hommes morts sous les coups de leur compagne chaque année, les trois quarts étaient violents avec celle-ci. En outre, le nombre de femmes tuées ne tient pas compte des celles qui sont mortes en réanimation quinze jours après leur agression, ni de celles qui se sont jetées du quatrième étage par désespoir.

J’en viens aux deux points de la législation.

Sur la légitime défense, le CFCV ne s’est pas prononcé, mais comparé au jugement très récent sur l’affaire de Bobigny, la peine infligée à Jacqueline Sauvage – dix ans de prison – est sidérante ! D’ailleurs, j’ai vu des maris condamnés seulement à deux ans de prison avec sursis pour avoir tué leur femme, et des pères condamnés à trois ans de prison avec sursis pour avoir violé leurs filles ! On peut donc parler d’une justice machiste, puisque les femmes paient toujours plus cher que les hommes en matière de violences conjugales. Néanmoins, les moyens de notre justice – dans un état de misère absolue à Bobigny ! –, expliquent la légèreté des peines pour violences faites aux femmes. Dans ce contexte, il est difficile de parler d’égalité de traitement et de justice de qualité.

Sur le féminicide, le CFCV persiste à dire que les violences faites aux femmes restent peu visibles. Aussi la reconnaissance du crime de féminicide donnerait-elle une visibilité à ce meurtre spécifiquement sexué.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous avez raison, une étude comparée entre les peines serait très utile – j’ai encore lu récemment qu’un mari très violent avait obtenu un sursis. D’une façon générale, les statistiques sexuées font défaut. En matière de cyberviolences, les femmes ne semblent pas identifiées dans les statistiques. En 2000, l’enquête ENVEFF (Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France) a montré qu’une femme mourait tous les trois jours sous les coups de son conjoint, ce qui a permis une prise de conscience dans notre pays des violences faites aux femmes. Près de quinze ans après, l’enquête VIRAGE (Violences et rapports de genre) entend actualiser la connaissance statistique des violences faites aux femmes et son champ d’investigation a été étendu à la population masculine.

Mme Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Avant de s’interroger sur l’introduction du féminicide dans le code pénal, il serait intéressant de remettre à plat la question des circonstances aggravantes inscrites dans le code pénal à raison de l’identité ou de caractéristiques des personnes.

Il est en effet plus grave aujourd’hui de tuer un homme parce qu’il est homosexuel, juif, catholique ou musulman, que de tuer une femme parce qu’elle est une femme. Le législateur a profité de la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, votée au bénéfice des femmes, pour aggraver le crime d’homicide volontaire à raison, non du sexe, mais de l’identité de genre. Ainsi, tuer une femme parce qu’elle est une femme n’est pas puni de la réclusion criminelle à perpétuité, contrairement aux crimes prévus à l’article 221-4 du code pénal : meurtre d’une personne à raison de son orientation sexuelle ou de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion, notamment.

Les peines prévues pour d’autres crimes et d’autres délits sont alourdies en raison de ces circonstances aggravantes, à l’exception du sexe : le vol, la séquestration, les actes de torture et de barbarie.

Plus grave : tous les délits et crimes à caractère sexuel sont aggravés à raison de l’orientation et de l’identité sexuelle, de l’appartenance ou de la non-appartenance vraie ou supposée de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Mais le viol et l'agression sexuelle ne sont pas aggravés à raison du sexe.

En clair, le législateur français nie le principe même du délit ou du crime sexiste, puisque les femmes, qui sont les premières concernées, ne bénéficient pas des circonstances aggravantes à raison du sexe. Notre association a développé cette analyse depuis 2004, après la présentation par M. Raffarin d’un projet de loi visant à aggraver les injures et les diffamations à raison de l’orientation sexuelle, et non à raison du sexe.

Douze ans plus tard, cette analyse des circonstances aggravantes du code pénal est toujours d’actualité.

Cette discussion est assez désagréable pour les féministes que nous sommes car le législateur nous met en position de revendiquer un alignement des droits des femmes sur ceux d’autres catégories de personnes, alors que les femmes sont les premières victimes des délits et des crimes sexuels. Les circonstances aggravantes constituent donc pour nous une question de politique majeure. Faut-il rajouter une circonstance aggravante à raison du sexe pour aligner les droits des femmes sur ceux d’autres catégories de personnes ? La question est encore ouverte pour l’AVFT. Ne faudrait-il pas plutôt supprimer toutes les circonstances aggravantes afin de mettre tout le monde sur un pied d’égalité ? Ce serait peut-être une solution raisonnable.

Sur le féminicide, nous nous interrogeons. En effet, créer ce crime spécifique ne réglera pas la question des circonstances aggravantes pour les infractions autres que le meurtre. En outre, introduire ce crime spécifique ne présente un intérêt juridique que si les peines sont aggravées. Par ailleurs, cela augmenterait le travail de la partie civile en termes de preuves : la condamnation d’un homme pour féminicide nécessiterait de prouver tous les éléments constitutifs de l’infraction initiale, en plus du meurtre de la femme parce qu’elle est une femme. Cette question est donc, de notre point de vue, assez délicate.

Sur la légitime défense, on s’intéresse à cette question en cas de meurtre ou d’assassinat, mais il est intéressant de replacer ce débat de manière plus large. En effet, la question de la légitime défense se pose parfois dans les dossiers de notre association, qui défend les femmes victimes de violences à caractère sexuel dans le cadre du travail. Récemment, nous sommes intervenus aux côtés d’une femme qui avait jeté une bouteille de vin sur la tête de son chef cuisinier qui l’agressait sexuellement – il lui touchait les seins, tentait de l’embrasser de force. Tous deux ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel : lui a été condamné pour agression sexuelle, elle pour violences volontaires. Ainsi, la question de la légitime défense ne se pose pas seulement en cas de meurtre.

Pour nous, compter sur l’évolution de la société et la prise en considération de la question des violences faites aux femmes par les magistrats, c’est encore renvoyer cette question aux calendes grecques. En définitive, on fait toujours payer aux femmes le fait de se défendre : la définition de la légitime défense, telle qu’elle est prévue dans le code pénal français, ne permet pas de les protéger contre des condamnations. Par conséquent, l’AVFT préconise une réforme de la définition de la légitime défense, en s’inspirant du modèle canadien, très clair et très opérationnel.

Mme Pascale Crozon. Lors de la discussion de la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, nous avons prévu de faire une évaluation de l’application de la loi. Nous aurons donc l’occasion de vous rencontrer pour en discuter.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Que pensez-vous de l’application de la loi de 2010, améliorée en 2014, et plus particulièrement, de l’ordonnance de protection, du téléphone grand danger et de l’extension du dispositif 3919 ?

Quelles améliorations peuvent être envisagées pour faire reculer les violences faites spécifiquement aux femmes ?

Mme Dominique Guillien. La loi de 2010 sur les violences faites spécifiquement aux femmes était très attendue. Malheureusement, s’agissant de l’ordonnance de protection, nous observons une grande disparité dans son application par les tribunaux de grande instance. En effet, dans certains tribunaux de grande instance (TGI), les avocats en viennent à ne plus demander l’ordonnance de protection au motif que la procédure prendrait des mois et des mois. Dans d’autres, comme celui de Strasbourg où je travaille à SOS Femmes solidarité, nos avocates sont enclines à demander les ordonnances de protection, car celles-ci sont la plupart du temps octroyées, le suivi réalisé de façon correcte et l’écoute tout à fait favorable. Il nous paraît donc important qu’une évaluation soit réalisée par TGI sur le nombre d’ordonnances délivrées et les délais de délivrance par rapport au nombre d’ordonnances de protection demandées.

En ce qui concerne le téléphone grand danger, il est délicat de se prononcer. En effet, le nombre annoncé de téléphones grand danger – 400 déployés sur tout le territoire – peut sembler insuffisant. Par contre, le nombre de ces téléphones d’alerte qui nous a été octroyé à Strasbourg, où nous avons été précurseurs, comme en Seine-Saint-Denis, dans ce domaine grâce au procureur Patrick Poirret, est tout à fait suffisant. En outre, il ne faudrait pas que ce dispositif devienne une réponse à la non-délivrance des ordonnances de protection, comme nous le disent nos avocates.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faut une ordonnance de protection pour délivrer le téléphone grand danger.

Mme Dominique Guillien. Certes, mais il y a parfois une confusion : des téléphones grand danger sont demandés au motif que l’ordonnance de protection n’est pas délivrée.

Concernant l’évaluation du nombre de téléphones grand danger délivré par région, les comités de pilotage (Copil) en charge du dispositif de téléprotection seraient plus à même de vous donner des informations.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le numéro d’écoute 3919 est-il utilisé partout ? J’ai l’impression que le numéro local est encore utilisé dans certains endroits.

Mme Maryvonne Bin-Heng. Celui-ci est encore utilisé, en raison des habitudes notamment. Par contre, l’utilisation du 3919 a considérablement progressé, les appels ayant doublé depuis quelques années. Nous avons mis en place un pré-accueil, pour orienter les victimes, certaines associations n’ayant pas de ligne directe pour répondre aux femmes victimes de violences. Je pense au GAMS (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants) et à l’AVFT. Nos collègues des associations avec lesquelles nous avons passé des conventions ont, en effet, accepté de former nos écoutantes, qui étaient formées aux violences conjugales, mais pas aux autres types de violences. Après cette première écoute au 3919, nos écoutantes indiquent donc aux femmes à qui elles peuvent s’adresser.

Vous le voyez, le 3919 est extrêmement utile, et je pense que les femmes sont plus nombreuses à nous appeler aujourd’hui parce qu’elles retiennent le numéro. Il faut rappeler l’intérêt des campagnes d’information, du gouvernement et de notre fédération. À chacune de nos campagnes, à chaque émission de télévision, les appels « Violences Femmes Info » explosent – cela peut aller jusqu’à 400 appels en une heure ! Ce service national d’écoute fonctionne tous les jours de l’année de 8 heures à 22 heures – mais pas 24 heures sur 24, faute de financement.

Mme Maud Olivier. Je m’étonne que vous soyez favorable à l’introduction du féminicide dans le code pénal, mais pas à l’évolution de la loi sur la légitime défense. En effet, dans la mesure où le code pénal prévoit une circonstance aggravante lorsque le meurtre est commis par le conjoint – homme ou femme –, les femmes qui tuent leur conjoint violent sont lourdement condamnées.

Mme Édith Gueugneau. Il faut rappeler que 93 % des enfants résident au domicile où s’exercent les violences conjugales et que 21,5 % sont maltraités. Comment améliorer la protection de l’enfant en lien avec le 3919 ?

Mme Maryvonne Bin-Heng. Les écoutantes ont conscience de ce problème et un rapprochement est fait avec le 119, le service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger. Néanmoins, nous ne pouvons pas amalgamer les deux problèmes, violences faites aux femmes et enfance maltraitée. L’enfant dont la mère est violentée est un enfant victime, mais nous ne pouvons pas dire que la mère ne le protège pas. Nos écoutantes sont très attentives et tentent de déceler si la mère est protectrice ou pas, et lorsqu’elles pressentent un souci, elles le disent à la femme et lui proposent d’appeler les services à même de l’aider. D’ailleurs, un certain nombre de femmes demandent de l’aide. Lors d’une première écoute, l’important est que la femme soit entendue et crue, pour qu’elle sache qu’elle peut être aidée par des associations de terrain, qui font un énorme travail en lien avec la protection de l’enfance. Ainsi, les choses avancent positivement.

Mme Dominique Guillien. Le 3919 n’est pas un numéro d’urgence – en cas d’urgence, il faut appeler la police ou la gendarmerie. Il s’agit d’un numéro national d’écoute des femmes en grande détresse, mais aussi des familles, des voisins et des personnes proches qui peuvent se retrouver démunis. Je le précise car l’urgence est souvent très mauvaise conseillère s’agissant des enfants – réagir trop rapidement peut amener à penser qu’il faut enlever les enfants aux parents. La situation des enfants est prise en compte localement, au niveau des associations vers lesquelles les femmes se tournent.

Pour nous, le féminicide étant une circonstance aggravante, il doit être reconnu comme un homicide aggravé à raison du genre de la victime. Cela ne remet pas forcément en question la loi sur la légitime défense.

Je précise que notre commission justice travaille actuellement sur ces questions.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le président du TGI de Poitiers m’a indiqué que les statistiques sur les ordonnances de protection n’existent pas en raison de leur faible nombre. Nous pourrions interpeller à ce sujet les présidents de TGI au moment des audiences solennelles.

Mme Éléonore Stévenin-Morguet. Pour Osez le féminisme, l’ordonnance de protection et le téléphone grand danger sont des dispositifs très importants. On peut avoir l’impression qu’ils sont utilisés de manière inégale, si bien que des statistiques en la matière seraient effectivement très utiles.

L’arsenal juridique est désormais important. Plus que voter des lois supplémentaires, faire de la lutte contre les violences faites aux femmes une priorité affichée serait préférable. La lutte contre ce fléau a certes été grande cause nationale en 2010, mais on n’en a pas beaucoup entendu parler à l’époque.

Sur le cyberharcèlement, nous allons mener une campagne prochainement, à la faveur de l’examen au Parlement du projet de loi pour une République numérique.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les textes ne suffiront pas : il faut des campagnes fortes.

Mme Éléonore Stévenin-Morguet. En plus d’un engagement politique fort, il faut communiquer davantage sur les violences faites aux femmes, ainsi que sur le revenge porn, le cyberviol, etc., mais aussi prévoir une prévention accrue auprès des jeunes.

Par ailleurs, les femmes victimes de violences subissent un traumatisme, qui pourrait être indemnisé, d’autant qu’une procédure contre un mari violent engendre d’importantes dépenses. Faut-il imaginer une aide juridictionnelle élargie à toutes les victimes de violences, sans condition de ressources ? C’est une question que nous nous posons.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Une des recommandations de mon rapport d’information sur le projet de loi pour une République numérique est de généraliser l’emploi de termes français pour mieux traduire la réalité des cyberviolences : « vengeance pornographique » pour revenge porn, « vidéo-lynchage » pour happy slapping, « harcèlement sexuel par textos » pour sexting.

Mme Éléonore Stévenin-Morguet. Ou « sextos », à la place de sexting. Dans le cadre de notre campagne, nous parlons de cyber viol, plutôt que de revenge porn.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Littéralement, revenge porn signifie vengeance pornographique : un ex-partenaire diffuse sur internet des photos intimes sans le consentement de la victime.

Mme Emmanuelle Piet. Les enfants sont également victimes des violences conjugales. Un homme violent est toxique avec sa femme, mais également toxique avec ses enfants – dans 30 % des cas, il a d’ailleurs tapé sur le ventre de sa compagne pendant la grossesse. Par conséquent, protéger la mère, c’est protéger les enfants. Les juges aux affaires familiales ne sont pas assez attentifs à ce problème. Pourquoi prononcer la garde alternée quand le père est violent ? Lorsque Madame emmène l’enfant au commissariat et que Monsieur la frappe devant les agents de police, ceux-ci ne peuvent rien faire en cas de garde alternée ! On ne mesure pas la dangerosité de ces situations !

En Seine-Saint-Denis, nous testons la mesure d’accompagnement protégé (MAP), qui est une mesure formidable. Elle n’empêche pas Monsieur de voir ses enfants, mais l’empêche de rencontrer Madame, et donc de faire pression sur elle, de continuer à la terroriser par l’intermédiaire des enfants !

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous sommes d’accord.

Le législateur a introduit une autre amélioration : le versement de la pension alimentaire sur un compte en banque. En revanche, nous devrons être vigilants sur la médiation, que les juges souhaitent développer, en raison notamment d’un manque de moyens.

Mme Emmanuelle Piet. En Seine-Saint-Denis, je constate que des pères peuvent empêcher que leurs enfants reçoivent des soins médicaux !

Cela fait trente-cinq ans que nous demandons des statistiques sexuées en matière de justice, sur les victimes comme sur les agresseurs, ce qui contribuerait à la visibilité des violences faites aux femmes.

Mme Marilyn Baldeck. Pour l’AVFT, le bilan de la loi du 4 août 2014 a été traumatique. En effet, une peine d’indemnisation plancher pour les victimes de discrimination, et donc de harcèlement sexuel, avait été votée – vous aviez déposé cet amendement, madame Coutelle –, mais elle a été abrogée par le Conseil constitutionnel pour non-respect de la procédure législative. Nous tenons énormément à cette mesure, extrêmement importante en ces temps de loi Macron qui a eu plutôt tendance au plafond qu’au plancher en matière d’indemnisation des salariés ayant perdu leur travail… Il est donc très important que votre amendement soit déposé à nouveau dans le cadre d’un autre texte.

Le législateur devra également être attentif, dans le cadre du projet de loi sur la justice du XXIe siècle, à la question du recours collectif en matière de discriminations, duquel les associations de défense des droits des femmes ne devront pas être exclues.

Quant aux idées d’amélioration de la loi, ce n’est pas ce qui manque, je pense en particulier à la question de l’harmonisation des règles en matière de preuves. En effet, les textes actuels sont un réel embrouillamini, les règles de preuve en matière de discrimination n’étant pas identiques à celles en matière de harcèlement sexuel, à tel point que certains juristes tendent à penser que la France transgresse le principe d’équivalence. Comme vous le savez, sur un même sujet, en l’occurrence toutes les discriminations, les règles de preuves doivent être identiques ; or les règles de preuve en matière de harcèlement sexuel sont beaucoup moins favorables que celles tendant à prouver une discrimination à raison de l’orientation sexuelle ou du handicap.

C’est d’ailleurs la loi de modernisation sociale qui a rendu plus compliquée la preuve du harcèlement sexuel – les débats parlementaires de 2002 montrent une volonté consciente du législateur de rendre plus compliqué l’établissement de la preuve d’un harcèlement sexuel que celui d’autres types de discriminations. Les avocats de la défense viennent de s’en rendre compte, si bien que dans nos procédures, on commence à nous opposer cette différence en matière de règles de preuves. De notre point de vue, il s’agit là d’une violation du principe de non-régression du droit interne au regard du droit communautaire.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les condamnations pour harcèlement sexuel sont très rares.

Mme Marilyne Baldeck. Les choses sont beaucoup plus simples en matière civile qu’en matière pénale. Mais cela pourrait l’être encore plus si les règles de preuves étaient identiques à celles d’autres contentieux.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci beaucoup, mesdames.

La séance est levée à 15 heures

——fpfp——

Membres présents

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Catherine Coutelle, Mme Pascale Crozon, Mme Sophie Dessus, Mme Edith Gueugneau, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Conchita Lacuey, M. Jacques Moignard, Mme Maud Olivier, Mme Cécile Untermaier.