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Délégation aux Outre-mer

Mardi 20 novembre 2012

Séance de 18 heures 00

Compte rendu n° 4

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président

– Audition de M. Jérôme Fournel, directeur général des douanes et des droits indirects, et de M. Henri Havard, sous-directeur des droits indirects

La séance est ouverte à dix-huit heures quinze.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir à présent M. Jérôme Fournel, directeur général des douanes et des droits indirects, et M. Henri Havard, sous-directeur des droits indirects, pour les entendre sur l’octroi de mer et avoir leur sentiment sur la bataille que devra mener la France au niveau européen pour maintenir ce régime après l’échéance de 2014.

M. Jérôme Fournel, directeur général des douanes et des droits indirects. L’octroi de mer est l’une des plus anciennes taxes du système fiscal français, et il est spécifique à quatre DOM. Cet impôt visait initialement à protéger les productions locales des importations. En 1993, il a été étendu aux produits locaux, mais il a fait l’objet de plusieurs réformes, dont la dernière en 2004 a créé des différentiels de taux en faveur de certains produits locaux.

Le montant des ressources procurées par l’octroi de mer est très important. En 2011, il s’élevait à 146 millions pour la Guyane, à 250 millions pour la Martinique et la Guadeloupe, et à 380 millions pour la Réunion. Le produit de l’octroi de mer est affecté principalement aux communes. Une part est attribuée aux régions. Il constitue donc une ressource essentielle des collectivités territoriales outre-mer.

Aujourd’hui, la question qui se pose aux autorités françaises est de savoir comment justifier la reconduction de ce dispositif à l’horizon 2014, échéance fixée par la Commission européenne.

Premièrement, du point de vue économique, deux questions se posent. D’abord, l’octroi de mer a-t-il rempli son rôle d’appui au développement économique en favorisant les productions locales et, en l’absence de celles-ci, en ne décourageant pas les importations de marchandises ? Ensuite, l’octroi de mer a-t-il un impact sur les prix et donc sur le pouvoir d’achat des populations domiennes ?

S’agissant du rôle de l’octroi de mer, l’étude demandée au cabinet Louis Lengrand & Associés (LL&A) par le ministère des Outre-mer prouve de façon pertinente que ce dispositif n’a pas desservi le développement économique local, bien au contraire. Elle montre en effet que l’octroi de mer a permis le développement des productions locales sans pour autant empêcher la progression des échanges avec l’extérieur. Autrement dit, la production locale n’est pas évincée par les importations, et celles-ci ne sont pas découragées, d’où l’absence de renchérissement des ressources et des intrants. De ce point de vue, l’octroi de mer est plutôt une réussite.

S’agissant de l’impact sur les prix, les chiffres montrent que ce dispositif ne déclenche pas une spirale inflationniste dans les départements d’outre-mer. Les tensions sur les prix qui peuvent exister dans certaines filières, comme les carburants, ne sont pas directement liées à l’octroi de mer, qui représente une toute petite part de la constitution des prix, notamment par rapport au coût de l’importation, même en cas de différentiels significatifs. Ce sont très souvent les structurations des circuits de distribution et les comportements de marge des différents acteurs – importateurs et distributeurs locaux ou étrangers – qui jouent un rôle. Certes, comme toute fiscalité, cette taxe a une incidence, mais elle n’a pas d’effet nocif sur les prix. Au final, le bilan est plutôt favorable.

Deuxièmement, du point de vue du fonctionnement de l’octroi de mer, deux sujets s’imposent. Le premier porte sur l’adaptation du dispositif dans la durée, en particulier sur la capacité à faire évoluer les listes de produits. Le second a trait au champ couvert par le dispositif, qui ne pèse que sur les marchandises, non sur les services, sachant que les entreprises qui sont en dessous des seuils n’entrent pas dans le dispositif et que d’autres ont l’obligation de s’identifier même si elles sont exonérées de l’octroi de mer, leur chiffre d’affaires étant inférieur à 550 000 euros.

S’agissant de l’adaptation de l’octroi de mer, les dispositifs issus de la réforme de 2004 permettent de faire évoluer les listes de produits, mais ils ont été très peu utilisés. Il faut reconnaître qu’ils sont assez complexes et qu’une mécanique plus simple pourrait être envisagée. Cet aspect est très important au regard de l’efficacité économique du dispositif : un secteur où naît une production locale devrait pouvoir bénéficier d’un différentiel de taux ; un autre qui souffre d’une pénurie de marchandises devrait obtenir un ajustement de l’octroi de mer pour favoriser l’importation de marchandises. En définitive, toutes les possibilités n’ont pas été utilisées pour ajuster le régime.

S’agissant du champ du dispositif, certaines entreprises, comme je viens de le dire, ont l’obligation de se déclarer, mais cette formalité administrative présente peu d’intérêt pour celles qui sont exonérées. Par conséquent, notre connaissance statistique est insuffisante dans la mesure où certaines entreprises ne se déclarent pas. Une solution serait que le seuil s’applique en termes à la fois d’exonération et de déclaration et, éventuellement, qu’il soit plus bas pour éviter des formalités aux entreprises ne dépassant pas ce seuil.

Troisièmement, du point de vue juridique et du fonctionnement interne de l’administration des douanes, un problème lié au principe de légalité se pose. En effet, dans certains cas, les délibérations des conseils régionaux sur la fixation des taux et des différentiels sont prises avec effet rétroactif, ce qui n’est pas légal. Dans d’autres, les dispositifs ne respectent pas les plafonds de taux et les différentiels. Il faut reconnaître que le dispositif est complexe. Une des difficultés tient au fait que l’émergence d’une nouvelle production, par exemple, modifie la situation par rapport à celle qui prévalait lors de la délibération initiale. En effet, les règles diffèrent selon l’existence ou non de productions locales. Ainsi, même si un conseil régional a pris une délibération en toute bonne foi, le différentiel de taux peut présenter in fine une fragilité juridique. Nous avons observé ce type de situation à de multiples reprises dans le passé. La douane joue un rôle d’assistance auprès des conseils régionaux, mais ne leur fournit peut-être pas suffisamment d’éléments en matière de contrôle de légalité.

Je précise que le marché unique antillais présente des particularités. En effet, selon que la marchandise entre en Guadeloupe ou en Martinique, les effets fiscaux ne sont pas forcément identiques puisque des comportements d’optimisation fiscale sont à l’œuvre à l’intérieur de ce marché, via l’octroi de mer. Pour l’heure, il n’existe pas de mécanisme de convergence qui permette d’éviter ce type de comportements que l’Union européenne connaît bien.

Voilà pour les dysfonctionnements.

La Direction des douanes et des droits indirects envisage de se doter, à l’horizon 2013-2014, d’outils de gestion informatisés plus performants que ceux dont elle dispose actuellement pour l’octroi de mer. L’objectif est double : il s’agit d’améliorer la capacité de suivi de l’octroi de mer et la capacité d’identification de la ressource affectée aux collectivités d’outre-mer. Ce système informatique nous permettra de mieux répondre aux attentes de l’Union européenne et des élus.

J’en viens au bilan du dispositif, aux discussions entre les autorités françaises et l’Union européenne et aux options qui s’offrent à nous.

Globalement, l’octroi de mer n’a pas présenté de défaillances majeures au cours des dernières années. Certes, un certain nombre de collectivités jugent la recette de l’octroi de mer insuffisamment dynamique, mais elles peuvent faire des choix en matière de modulations des taux et d’accroissements de recettes.

Une remise en cause de l’octroi de mer est-elle possible ? Existe-t-il un risque majeur que la Commission européenne refuse la reconduction de ce dispositif ?

Je pense que si les autorités françaises parviennent à démontrer à la Commission européenne que l’octroi de mer remplit son rôle en permettant à la production locale de se développer sans décourager les importations – et le rapport du cabinet LL&A est clair sur ce point –, elles auront réussi à prouver la pertinence du dispositif en termes de développement économique. Certes, les failles que j’ai évoquées, qui ont trait à la légalité de certaines dispositions et au champ des entreprises, ne vont pas échapper à la Commission. Néanmoins, la France est capable de la rassurer en lui démontrant sa capacité à améliorer à l’avenir les règles de fonctionnement interne et, éventuellement, à ajuster les taux et à faire évoluer les listes de produits dans la durée.

Pour en avoir parlé avec des collègues de Bruxelles, je sais que l’octroi de mer ne revêt pas un caractère problématique pour la Commission dans la mesure où il est très spécifique, comme dans d’autres pays où il porte un nom différent, par exemple à Madère ou aux Canaries. La Commission a pris en compte ces situations particulières. Tant qu’elle peut les justifier sur le fond et faire en sorte qu’elles restent autonomes pour éviter tout effet de contagion notamment au plan communautaire, elle est souvent prête à franchir le pas de la reconduction, voire d’une forme de pérennisation. Tous ces éléments plaident en faveur d’une reconduction fort probable du dispositif.

Une des – rares – alternatives à l’octroi de mer serait une taxe sur la valeur ajoutée régionalisée, évoquée dans plusieurs rapports. Si l’objectif d’une telle taxe est d’accroître la recette, cela implique une assiette plus large. Cela suppose donc d’intégrer dans celle-ci des livraisons de biens ou de services qui n’y figurent pas aujourd’hui. Or, cette mesure aurait un impact immédiat sur le pouvoir d’achat des populations outre-mer.

Une telle taxe sur la valeur ajoutée régionalisée aurait-elle plus de chances d’être acceptée par la Commission européenne que l’octroi de mer ? La question est ouverte. Certes, une taxe sur la valeur ajoutée régionalisée est possible dans le cadre de notre droit national. Néanmoins, mes discussions avec les collègues de Bruxelles m’ont donné le sentiment que plus l’on s’oriente vers des dispositifs qui sont soumis à une réglementation communautaire transversale, plus il est difficile de justifier un régime particulier. En outre, un tel dispositif risquerait d’imposer des contraintes plus fortes que celles de l’octroi de mer, y compris en termes de choix des taux et des produits pour les autorités régionales.

En conclusion, l’octroi de mer, à condition d’être perfectionné, est un pari qui fait sens au regard de l’échéance de 2014.

M. Mathieu Hanotin. J’approuve totalement votre conclusion.

Selon vous, une taxation différenciée en fonction de l’origine des produits et, éventuellement, des conditions de production des marchandises, est-elle envisageable ? Dans le cadre des discussions avec l’Union européenne, une différenciation entre produits provenant de l’UE et produits provenant de pays non-membres de l’UE vous paraît-elle intéressante ?

M. Boinali Said. Les études d’impact dont vous avez fait état ont-elles été menées à Mayotte, où l’octroi de mer n’est pas encore applicable ? Quels avantages présente l’octroi de mer par rapport au système douanier actuellement en vigueur à Mayotte ?

M. Bernard Lesterlin. La difficulté pour nous est de convaincre l’Union européenne de nous accorder la prorogation d’un dispositif auquel les élus ultramarins sont attachés au regard de l’importance de cette ressource dans le budget des collectivités territoriales.

Monsieur le directeur général, toutes les situations ne présentent pas le risque de distorsion de concurrence. Je prendrai l’exemple du poulet, très consommé outre-mer. Pour sa consommation de mabawa, Mayotte fait acheminer les ailerons de poulet depuis le Brésil : ce sont des bas morceaux congelés qui arrivent à un prix très concurrentiel. Cette situation n’est pas de nature à inciter des productions locales dans le secteur de l’aviculture.

En Guyane, les communes du fleuve, dépourvues de route et où le transport aérien est limité, doivent faire acheminer les produits agroalimentaires par le fleuve. D’où la préoccupation récemment exprimée par les élus, auprès notamment de la gendarmerie, d’équiper les pirogues de dispositifs de congélation afin d’acheminer les ailes de poulet vers les communes situées au-delà de Maripasoula.

Ces deux situations montrent qu’il n’y a pas de risque réel de distorsion de concurrence, mais témoignent d’une inhibition de l’initiative économique locale. La loi sur la vie chère, que nous avons adoptée récemment, illustre notre volonté d’agir sur la chaîne de formation des prix des produits.

Monsieur le directeur général, comment la fiscalité spécifique que représente l’octroi de mer pourrait-elle inciter l’initiative locale, tout en préservant les ressources des collectivités locales ?

M. Jérôme Fournel. On peut effectivement défendre l’idée d’une plus grande flexibilité des différentiels de taux de taxation. Cependant la Commission européenne, même si elle fait preuve d’une grande mansuétude, ne nous autorisera jamais à instaurer un différentiel pour créer une activité économique, ce qui reviendrait à anticiper sur le comportement des acteurs. En effet, si elle peut admettre que l’on soutienne une activité locale, elle refuse que cela constitue un obstacle pour les nouveaux entrants. Elle pourrait en revanche accepter que l’on favorise l’émergence d’un produit local en l’inscrivant sur l’une des listes, y compris la liste C. Jusqu’à présent, il est vrai, les listes n’ont que rarement été révisées. Pour reprendre votre exemple de l’élevage de poulets, il faudrait, pour ajouter les produits concernés à la liste C, convaincre le conseil régional, lequel devrait convaincre l’État qui devrait à son tour convaincre la Commission !

Si je reste confiant sur la reconduction de l’octroi de mer, toute demande consistant à revendiquer davantage de pouvoirs en l’absence d’un droit de regard accru de Bruxelles me semble pour le moins délicate : en 2004, ne l’oublions pas, la Commission avait refermé tous les verrous. Dix ans plus tard, à la faveur d’un bilan économique défendable, on peut essayer de rouvrir certains d’entre eux. Il est néanmoins possible que la Commission accepte une plus grande souplesse entre les listes A, B et C, mais qu’elle exige un droit de regard sur l’ajout de nouveaux produits à l’une d’elles. Nous pourrions alors plaider une certaine subsidiarité en la matière, sous réserve que l’on démontre à la Commission, par exemple un an plus tard, que l’ajout d’un produit n’a pas contrarié les objectifs économiques visés, c’est-à-dire que la production locale s’est développée sans affecter sensiblement les importations. Nous pourrons d’ailleurs tirer argument de ce que, au cours de la décennie écoulée, le droit de modification des listes n’a été que peu utilisé. Le dispositif gagnerait ainsi en souplesse et en en dynamisme, pour autant que les acteurs économiques locaux, les conseils régionaux et l’État fassent preuve de rapidité dans leur gestion.

M. Henri Havard, sous-directeur des droits indirects. La Commission est très attentive à la neutralité fiscale des dispositifs que nous lui soumettons – même si cette neutralité ne peut évidemment jamais être totale –, tous les pays de l’Union étant au demeurant attachés au principe d’égalité. Les négociations porteront assurément sur la possibilité de réviser plus rapidement les listes ; quant à soutenir une activité par la mise en place ab initio d’un différentiel, c’est un argument qui nous mettrait plutôt en difficulté.

M. Jérôme Fournel. Pour Mayotte, la projection est difficile, y compris en termes d’impact sur les acteurs économiques et sur les échanges avec les pays alentour, car la mise en place du dispositif n’en est qu’à ses débuts. Au reste, la question s’était posée du choix entre l’octroi de mer, en faveur duquel nous plaidions, et des solutions alternatives.

M. Henri Havard. Les simulations que nous avons adressées au ministère des Outre-mer, à partir des bases de données connues d’importations, sont forcément imparfaites puisque le comportement des acteurs varie en fonction des systèmes de taxation. De surcroît, la crise a évidemment affecté les importations dans les DOM en 2009 et 2010 ; or il est difficile de redresser les données en prenant ce facteur en compte. Moyennant ces limites méthodologiques, nous nous sommes efforcés de mesurer l’écart entre le produit du futur octroi de mer et celui de l’actuelle taxe à l’importation, écart qui apparaît moins grand que nous ne l’imaginions – même s’il est évidemment difficile de prédire le comportement économique des acteurs. Je me suis néanmoins engagé à réactualiser cette évaluation tous les ans, pour permettre au ministère des Outre-mer et à la Direction générale des collectivités locales de mesurer l’éventuel impact sur le budget de la collectivité de Mayotte. La seule certitude est que les effets de seuil joueront beaucoup, car les très petites entreprises sont nombreuses sur cette île.

M. Jérôme Fournel. L’effet de seuil a aussi un fort impact, qu’il s’agisse du rendement de la taxe ou du nombre d’assujettis, dans les autres collectivités d’outre-mer.

M. Henri Havard. Vaut-il mieux une assiette large ou resserrée afin d’exempter un plus grand nombre d’entreprises de charges ? Où placer le curseur ? Par ailleurs, l’obligation de déclaration se justifie par le souci de « tracer » tous les contribuables, y compris ceux qui sont exemptés de l’impôt ; mais il est évidemment difficile de les poursuivre lorsqu’ils ne répondent pas à cette formalité administrative.

M. Jérôme Fournel. C’est d’ailleurs l’une des raisons de nos lacunes statistiques.

M. Henri Havard. Reste que le seuil est une véritable question, y compris pour la Commission européenne.

M. Bernard Lesterlin. Pour les non-assujettis, au vu de la nature du produit et du chiffre d’affaires, la déclaration pourrait être allégée tout en restant obligatoire, de sorte que ces informations n’échappent pas à votre contrôle.

M. Jérôme Fournel. Les déclarations des contribuables exonérés sont d’ores et déjà plus simples.

On peut concevoir, monsieur Hanotin, des différenciations géographiques, sociales ou environnementales, ou d’autres encore combinant ces critères entre eux : l’octroi de mer pourrait ainsi devenir un instrument d’innovation fiscale ! Il n’y a pas de raison, a priori, pour que la Commission rejette l’idée d’une différenciation entre les produits, selon qu’ils sont importés de pays appartenant ou non à l’Union, à condition que cela ne contrevienne pas à certains accords commerciaux signés par cette dernière. Un tel dispositif reviendrait en effet à instaurer une forme de tarif extérieur commun qui en l’occurrence n’aurait rien de commun puisqu’il serait spécifique aux outre-mer. La question est donc sensible.

S’agissant de la différenciation par pays, le risque est le même que pour la différenciation par critères sociaux ou environnementaux : la Commission pourrait objecter que cela change l’objectif de l’outil fiscal, dont les spécialistes disent qu’il doit précisément se limiter à un seul objectif. En d’autres termes, la Commission pourrait nous demander les motifs de cette compensation par rapport à tel ou tel pays – sachant qu’à La Réunion, les importations chinoises arrivent en troisième position, avec 305 millions d’euros –, et au regard de l’objectif sous lequel nous défendons l’octroi de mer auprès d’elle, à savoir le développement économique local. Bref, la Commission pourrait nous reprocher de « broder » autour du dispositif des éléments qui lui sont étrangers.

Lorsque le produit importé répond à certaines normes, notamment sociales ou environnementales, sa labellisation est mise en avant avec la déclaration à l’importation. Or l’octroi de mer est déjà très complexe : si l’on accroît encore cette complexité, en introduisant des critères géographiques, sociaux ou environnementaux – tels que le mécanisme d’inclusion carbone –, il est à craindre que les redevables comme les bénéficiaires y perdent leur latin. L’idée n’est donc pas inenvisageable au plan juridique, mais elle risque de créer de la complexité et de la confusion sur les objectifs.

M. Henri Havard. Les importations chinoises, par exemple, représentent 6 % du total des importations à La Réunion : on ne pourrait prédire les effets économiques d’un renchérissement de ces produits. De plus, l’octroi de mer est applicable à des produits : l’ajout de critères géographiques rendrait les effets économiques moins prévisibles encore. Si d’ailleurs les produits visés sont ceux de première nécessité, il n’est pas exclu qu’une taxation différenciée plus forte favorise les importations chinoises.

Enfin, nous sommes à un an et demi du terme des négociations. En ajoutant des éléments de complexité, nous pourrions mettre en péril un calendrier contraint et donner le sentiment que nous poursuivons plusieurs objectifs à la fois, dont certains apparaissent de surcroît peu lisibles. En tout état de cause, une étude d’impact détaillée serait nécessaire.

M. Mathieu Hanotin. Je n’ignore pas l’impératif du délai ; au demeurant ma réflexion ne porte que sur la différenciation entre production locale et production étrangère, non sur l’octroi de mer en général. En outre, la prise en compte des conditions de production dans le pays d’origine répond tout à fait à l’un des deux objectifs de l’octroi de mer, qui est de favoriser la production locale.

M. Jérôme Fournel. Ainsi formulée, l’idée apparaît en effet plus conforme à l’objectif ; reste le problème de la complexité. La Commission n’a pas encore présenté de véritable projet sur le renchérissement de produits justifié par des distorsions de concurrence ou le non-respect, par exemple, de critères environnementaux. Le risque est donc qu’elle écarte l’idée dont vous faites état, non pour des raisons juridiques, même si celles-ci ne sont pas exclues, mais parce qu’un tel sujet ne relève pas d’une fiscalité aussi spécifique que l’octroi de mer. La Commission voudra sans doute éviter de créer un précédent en ce domaine.

M. le président Jean-Claude Fruteau. C’est en effet, pour elle, une question de philosophie.

Il s’agit d’obtenir la prolongation d’un dispositif ancien, qui concerne un petit nombre de régions européennes. Pour avoir été député européen pendant huit ans, je sais que la Commission souhaite la disparition des taxes et des barrières douanières, selon la logique du marché unique européen qu’elle aimerait voir étendre à l’ensemble du monde. Michel Rocard, Kader Arif et moi avions d’ailleurs publié une tribune dans Le Monde pour nous élever contre cette idée ambiante, selon laquelle la libéralisation totale des échanges permettrait de résorber la pauvreté. Mais c’est bien, hélas, la philosophie de l’Union !

Nous devons être prudents, comme l’ont souligné M. Fournel et M. Havard. En matière de clauses sociales et environnementales, l’Union européenne n’est pas parvenue, pour l’instant, à obtenir de résultats tangibles auprès de l’Organisation mondiale du commerce. Remettre pour la énième fois ces propositions sur la table, sur un sujet aussi précis que l’octroi de mer, me semble donc voué à l’échec ; il faudra résister à la tentation, mon cher collègue, même si elle est forte.

M. Mathieu Hanotin. J’en suis conscient, monsieur le président ; je souhaitais seulement profiter de nos échanges pour faire avancer la réflexion.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Messieurs, je vous remercie.

La séance est levée à dix-neuf heures vingt.