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Délégation aux Outre-mer

Mardi 18 décembre 2012

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 8

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président

– Audition de Mme Anne Bolliet, inspectrice générale des Finances, référent outre-mer à l’Inspection générale des Finances, co-auteur de plusieurs rapports de mission sur les politiques publiques outre-mer

La séance est ouverte à 18 heures 20.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président.

M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation. Nous accueillons ce soir Mme Anne Bolliet, Inspectrice générale des finances, agrégée d’histoire, que nous connaissons pour ses travaux sur les politiques publiques menées outre-mer dans divers domaines comme le financement du logement social, la desserte aérienne, la défiscalisation, les exonérations de charges, l’indemnité temporaire de retraite ou encore la TVA non perçue récupérable. Mme l’Inspectrice générale a également analysé l’impact de la révision générale des politiques publiques (RGPP) dans les outre-mer et plus récemment elle a étudié la situation de la Polynésie.

Je suis heureux de vous accueillir, madame l’Inspectrice générale, et vous remercie d’avoir accepté l’invitation de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale qui, après avoir étudié l’impact de la loi de régulation économique dans les outre-mer, s’est penchée sur la question de l’octroi de mer dans la perspective de sa reconduction par la Commission européenne. La Délégation a désigné deux rapporteurs pour conduire cette mission : Mathieu Hanotin, député de Seine-Saint-Denis, qui n’est pas présent ce soir, et Jean-Jacques Vlody, député de la Réunion.

La Délégation aux outre-mer est composée de députés des outre-mer mais également de l’hexagone de façon à sensibiliser l’ensemble de l’Assemblée nationale aux problématiques spécifiques des outre-mer et aux solutions qu’il serait souhaitable de leur apporter.

Madame l’Inspectrice générale, faut-il selon vous reconduire l’octroi de mer en l’état ou lui apporter quelques modifications ? Quels éléments nous faut-il prendre en considération ? Convient-il d’en élargir l’assiette ?

Mme Anne Bolliet, inspectrice générale des finances. Je suis heureuse d’être parmi vous et vous indique que je ne m’exprimerai pas au nom de telle ou telle administration ou de tel ou tel ministère mais en mon nom personnel, donc librement.

Je suppose que vous ne m’entendez pas ce soir en qualité de technicien de l’octroi de mer. Pour cela, vous avez auditionné les représentants de la Direction générale des douanes et de la Délégation générale à l’outre-mer (DéGéOM) qui vous ont certainement apporté les éclairages nécessaires sur le mécanisme de l’octroi de mer – qui, au demeurant, est très complexe.

Le produit de l’octroi de mer s’élève à un milliard d’euros. Si, depuis le XVIIe siècle, il représentait un impôt de rendement pour les collectivités locales – communes, conseils régionaux, département de la Guyane –, il est devenu, du fait des mécanismes qui lui ont été ajoutés au fil du temps, un outil protectionniste.

Un certain nombre d’études, en particulier le rapport Lengrand – dont l’intérêt a été si souvent salué – soulignent que l’assiette de l’octroi de mer, à savoir la marchandise, du fait de sa caractéristique et de son ancienneté, est nécessairement peu dynamique. S’agissant d’un impôt de rendement, cet aspect est préoccupant.

J’ai moi-même eu l’occasion de saluer le travail accompli dans le rapport Lengrand. Lors de mes travaux sur les conséquences de la RGPP dans les outre-mer, j’avais vivement préconisé la mise en place par la DéGéOM d’un service d’évaluation autonome consacré aux politiques publiques outre-mer. Cette mission d’évaluation a été mise en place, mais elle a mis beaucoup de temps avant d’être opérationnelle – pas moins de quatre responsables sont venus me consulter pour cela. Le rapport Lengrand fut le premier travail d’évaluation commandité par la nouvelle DéGéOM, dont il convient de saluer la faculté d’adaptation.

Selon ses propres termes, le rapport Lengrand n’a pas pour objet de procéder à une évaluation générale de l’octroi de mer mais de répondre à une commande de l’ancien gouvernement soucieux de présenter des arguments en vue de la reconduction en 2014 du dispositif par la Commission européenne – sachant que celle-ci avait déjà douté de son bien-fondé en 2008 au vu d’un certain nombre d’arguments peu convaincants présentés dans les rapports intermédiaires.

L’évaluation de la DéGéOM répondait parfaitement à cette commande visant à évaluer le mécanisme de différenciation s’appliquant à l’octroi de mer ainsi que les différentes aides à finalité régionale destinées à compenser un certain nombre de handicaps.

Le rapport Lengrand porte donc essentiellement sur la différenciation. Il n’étudie pas l’impact de l’octroi de mer en outre-mer en général et n’apporte aucune information, sauf peut-être à la marge, concernant son impact sur les finances des collectivités locales, les prix et le pouvoir d’achat dans les outre-mer. Ces trois points devront être étudiés ultérieurement.

Il serait intéressant de disposer d’une étude sur le niveau des prix, sachant qu’une telle étude nécessitera beaucoup de temps. Lors des travaux des états généraux de l’outre-mer, en 2009, dont j’étais l’un des rapporteurs, nous avions entendu les consommateurs des départements d’outre-mer, notamment de la Guyane et des Antilles. Selon eux, l’octroi de mer était un facteur d’augmentation des prix et il suffirait de le supprimer pour que les prix baissent. Je précise que les choses ne sont pas aussi simples et qu’à l’évidence, si l’octroi de mer disparaissait, on lui substituerait un autre impôt.

L’autorité de la concurrence, dans le cadre des travaux qu’elle a menés en 2009 sur les Antilles, a indiqué que l’octroi de mer n’était que l’un des éléments de renchérissement du coût de la vie.

L’octroi de mer doit donc faire l’objet d’investigations complémentaires.

Le rapport Lengrand a emprunté beaucoup de ses informations à l’INSEE, mais il a basé son analyse sur la nomenclature douanière, n’étudiant par conséquent que les produits. Il a tenté d’analyser les conséquences de l’octroi de mer sur l’activité des services des entreprises, mais la nomenclature étant très différente, le croisement des fichiers n’était pas toujours concluant. Les auteurs du rapport expliquent longuement la difficulté de leurs travaux méthodologiques et reconnaissent que les estimations proposées n’étaient pas parfaitement fiables.

Indépendamment de ces problèmes statistiques et des limites de l’exercice, propres à toute analyse macro-économique, les auteurs du rapport indiquent que le mécanisme de l’octroi de mer compense la faible production dans les départements d’outre-mer, qu’il n’a aucun effet inflationniste et n’entraîne aucune distorsion de concurrence ou de rente sur les produits protégés par la différenciation tarifaire – ce dernier point étant un argument important pour la Commission européenne.

En revanche, et c’est un point tout aussi important, le rapport note que le mécanisme de différenciation ne produit pas d’effet protectionniste parce que le volume des importations n’a cessé d’augmenter, y compris pour les produits bénéficiant d’une différenciation tarifaire élevée. Les éléments qui ont été ajoutés au cours des dix dernières années n’ont donc pas produit les effets attendus en matière de protection des productions locales.

À cet égard, nous pouvons nous demander si, à l’aube du XXIe siècle, l’assiette basée sur les marchandises est parfaitement adaptée, tant à la nécessité d’un produit fiscal significatif qu’au mode de consommation de la population. En effet, la population des départements d’outre-mer s’est enrichie – même si d’importantes inégalités de revenus persistent – et consomme des produits de plus en plus sophistiqués qui ne sont pas fabriqués localement. Les jouets, par exemple, sont importés de pays à faible coût de production. Le mode de consommation de la population ne correspond plus aujourd’hui à la production qui est censée être protégée par l’octroi de mer.

Cette évolution doit nous amener à réfléchir sur l’avenir du dispositif à long terme. J’ai eu l’occasion d’étudier avec l’INSEE la problématique des œufs à la Réunion. Les œufs produits localement, qui sont naturellement plus frais et de meilleure qualité, sont protégés par la mécanique de différenciation, tandis que les œufs importés, qui supportent un octroi de mer plus élevé, sont plus chers. Mais les productions locales se sont alignées et le prix des œufs est devenu globalement plus élevé, ce qui incite les populations dont les revenus sont très modestes à consommer des œufs réfrigérés. Cette situation nécessite un arbitrage politique car il s’agit de trouver un équilibre entre deux nécessités : préserver l’emploi local et offrir aux populations à faibles revenus des produits peu chers. Il est clair que nous ne pourrons, à moyen terme, faire l’impasse sur des études complémentaires.

Le rapport Lengrand est allé au-delà de la commande en proposant des améliorations techniques. Il suggère notamment que la liste des produits soit adoptée localement ou par la Commission européenne et il évoque la possibilité d’étendre l’octroi de mer aux services. Cette extension a fait l’objet de rares expertises, mais une étude complémentaire a été demandée et devrait aboutir prochainement.

Il est parfaitement légitime de s’interroger sur l’intégration des services dans l’assiette de l’octroi de mer et l’assujettissement à l’impôt des prestations de service, non seulement parce que l’assiette actuelle n’est pas évolutive mais également parce que les services représentent une part croissante de la valeur ajoutée.

Selon les chiffres de l’INSEE pour 2007, les services marchands, en excluant les services administratifs et de santé, représentent 36 % de la valeur ajoutée en Guadeloupe et en Martinique, 27 % en Guyane et 32 % à la Réunion. Il faut y ajouter la valeur ajoutée de services répertoriés comme tels par l’INSEE, à savoir les prestations de service du commerce, les transports, les postes et les télécommunications, qui représentent, selon les départements, entre 15 et 18 % de la valeur ajoutée. Les services marchands représentent donc aujourd’hui près de 50 % de la valeur ajoutée des activités de production et de services dans les départements d’outre-mer, et cette valeur ajoutée n’entre pas dans la fiscalité des collectivités territoriales.

Il convient d’ajouter à ce constat la tertiarisation croissante des économies ultramarines. À la Réunion, par exemple, plus de la moitié des salariés travaillent dans les services marchands. Le problème ira donc en s’accroissant.

Mais l’extension de l’octroi de mer aux services n’a jamais été expertisée par la Direction de la législation fiscale (DLF). Quant à la Douane, si elle connaît bien la marchandise d’importation, elle ne connaît rien aux services. Leur intégration à l’assiette de l’octroi de mer obligerait la Direction générale des finances publiques (DGFiP) à s’emparer de la question. Dans la mesure où les négociations auront lieu dans les mois qui viennent, je ne vois pas comment nous pourrions proposer une telle innovation à la Commission européenne. Cette extension me semblerait totalement déraisonnable en l’absence de toute étude d’impact et sans avoir expertisé la façon dont le dispositif pourrait être mis en place.

À l’évidence, le fait d’ajouter un produit fiscal sans en retrancher un autre pourrait avoir un effet inflationniste, dont il convient de se prémunir. Faudrait-il imposer tous les services, les petites entreprises autant que les grandes ? Faudrait-il préserver les TPE, comme on le fait pour l’octroi de mer appliqué à la production ? Faudrait-il prévoir une différenciation tarifaire ? Ces questions n’ont pas été étudiées.

Il serait difficile à la France de proposer à la Commission européenne la différenciation tarifaire sur les services, car nous l’avions incitée, en 2004, à accepter la différenciation sur les productions locales comme étant susceptible de compenser un certain nombre de handicaps. Or, taxer plus lourdement un cabinet d’ingénierie métropolitain qu’un cabinet local dans le but de compenser un handicap serait difficile à plaider.

La différenciation tarifaire sur les services se heurte à la question de la déductibilité de l’octroi de mer, celui-ci étant déjà payé par le prestataire de services. Ainsi un artisan qui poserait des portes et des fenêtres dans la maison d’un de ses clients paierait l’octroi de mer sur ces produits, qu’il les ait importés ou achetés à un producteur local, mais ne pourrait le facturer deux fois à son client.

En étendant l’octroi de mer aux prestations de services, nous ferions de la TVA sans le dire, tout comme M. Jourdain fait de la prose. Cette disposition nécessite de sérieuses études d’impact.

L’extension de l’octroi de mer aux services s’apparente à une taxe locale sur les activités locales. Cette TVA locale, qui ne saurait être mise en place dans un avenir proche, ne doit pas nous faire peur. En Nouvelle-Calédonie, territoire doté de l’autonomie fiscale, les autorités ont mis en place un dispositif inspiré de la TVA et visant, après une expertise de trois ans, à supprimer cinq taxes pour les remplacer par une taxe locale sur les activités (TLA) comportant des droits à déduction. Ce dispositif aurait dû s’appliquer au 1er janvier 2013, mais il a été reporté pour des raisons politiques.

Nous ne pourrons donc que plaider auprès de la Commission la reconduction du dispositif actuel, moyennant quelques améliorations suggérées dans le rapport Lengrand. Mais il serait intéressant d’expertiser pendant deux ou trois ans l’intégration des services dans l’assiette de l’octroi de mer ou – ce qui revient au même – l’instauration d’une taxe locale sur les activités, en maintenant la faculté accordée aux conseils régionaux d’en fixer le taux.

Je rappelle qu’en Guyane la TVA ne s’applique pas, même si ce dispositif est temporaire. Pourquoi ne pas nous baser sur ce département d’outre-mer pour engager une réflexion concrète sur un dispositif qui dépasserait le cadre de l’octroi de mer ? Ce serait d’autant plus opportun que, lors des états généraux de l’octroi de mer, la Guyane avait souhaité que lui soit appliquée la TVA.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous sommes satisfaits d’avoir pu recueillir votre sentiment, madame l’Inspectrice générale, car il nous invite à de nouveaux questionnements.

M. Jean-Jacques Vlody, rapporteur de la Délégation. Je vous remercie à mon tour, madame, de vous être exprimée en votre nom propre.

Selon le rapport Lengrand, l’octroi de mer ne protégerait pas la production locale. Qu’en pensez-vous ? Le fait que la fiscalisation des produits importés ne protège pas les produits locaux devrait satisfaire l’Union européenne, qui avait jugé l’octroi de mer contraire aux règles du commerce européen. Faut-il évoquer cet argument lors des négociations ?

Quant à la TVA régionale, ne disposant pas d’éléments techniques fiables, nous ne pouvons la proposer à la Commission.

M. Boinali Said. L’octroi de mer ne s’applique pas à Mayotte, pourtant les produits locaux y sont extrêmement chers par rapport aux produits importés, malgré la barrière douanière qui est censée les protéger. L’extension de l’octroi de mer apporterait de la valeur ajoutée à l’économie locale.

Quant à l’instauration d’une TVA locale, pourquoi ne pas profiter des spécificités de Mayotte pour y situer l’expérimentation ?

M. Bernard Lesterlin. Je retiens de vos propos, madame, que l’octroi de mer ne protège pas la production locale. Or nous attendons de la fiscalité qu’elle instaure les conditions d’une plus grande justice fiscale, qu’elle utilise les atouts de l’outre-mer et apporte une réponse aux chiffres dramatiques du chômage, en particulier celui des jeunes.

Vous avez pris l’exemple des œufs, je prendrai celui des poulets. Lors d’un récent déplacement en Guyane, j’ai noté que les élus des territoires bordant le fleuve envisageaient d’installer des congélateurs à bord des pirogues pour livrer des poulets congelés aux collectivités. Or, il s’agit de poulets achetés à l’extérieur, alors même que les collectivités disposent de suffisamment d’espaces déboisés pour implanter des élevages avicoles – actuellement la production locale ne couvre que 2 % des besoins. Cet exemple édifiant doit nous convaincre de la nécessité de mettre en place une fiscalité dynamique, propre à contribuer au développement local et à l’emploi.

L’outre-mer a vocation à devenir un terrain d’expérimentation : pourquoi ne pas nous inspirer de l’exemple de territoires comme la Nouvelle-Calédonie, qui dispose de l’autonomie fiscale, pour expérimenter de nouveaux dispositifs fiscaux comme l’instauration d’une TVA inversée par exemple ?

Je m’explique : l’enjeu essentiel de demain est l’avenir de la planète et, à cet égard, les outre-mer représentent un formidable potentiel écologique. Sachant que les conditions politiques ne sont pas réunies pour le faire au niveau européen, pourquoi ne pas profiter de nos régions ultrapériphériques pour expérimenter non pas une taxe à la valeur ajoutée, mais une taxe à la valeur soustraite ? Cette taxe, qui s’appliquerait à toutes les activités ayant un impact sur notre patrimoine écologique et dont le produit serait destiné à une utilisation strictement locale et adaptée aux besoins du territoire, donnerait à nos régions les moyens de financer du capital risque et d’engager des investissements vertueux dans le domaine de l’énergie et créateurs d’emplois.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. L’octroi de mer alimente en effet les collectivités locales et, bien qu’il ne protège pas la production locale, je m’étais résignée à sa reconduction. Mais en écoutant une experte comme Mme Bolliet, je me demande s’il ne serait pas opportun pour les ultramarins de choisir la solution la plus satisfaisante en termes de développement économique et qui nous permettrait de sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons.

Peut-être faudrait-il donc, au lieu de reconduire l’octroi de mer sur de mauvaises bases, créer une taxe locale sur les activités dont l’assiette serait élargie aux services.

On nous parle de développement endogène, de solidarité, mais n’est-ce pas à nous, élus des outre-mer, de prendre nos responsabilités, au risque de provoquer des changements institutionnels ? Pour cela, nous devons savoir précisément ce que nous rapporte l’octroi de mer et choisir les solutions les plus adaptées à nos territoires respectifs. Mes propos peuvent vous paraître choquants, monsieur le président…

M. le président Jean-Claude Fruteau. Aucun discours ne saurait choquer la Délégation, madame, et chacun a le droit d’exposer les idées qui lui tiennent à cœur.

Je suis aussi perplexe que vous quand j’entends Mme Bolliet dire que nous ne pouvons que plaider pour la reconduction du dispositif, même si ce n’est pas une position satisfaisante. Il convient d’expertiser dans les meilleurs délais l’extension de l’octroi de mer aux services et la taxe locale sur les activités, en laissant aux collectivités régionales le soin d’en déterminer le taux. Mais, en tout état de cause, nous sommes contraints par les échéances du calendrier européen, et tout particulièrement de la Commission.

M. Ibrahim Aboubacar. J’ai écouté avec beaucoup d’attention vos propos, madame, en tant que parlementaire de Mayotte, d’une part, et en tant qu’ancien premier vice-président du conseil général en charge des finances de cette collectivité, d’autre part.

J’apprends avec intérêt l’expérimentation par la Nouvelle-Calédonie d’une taxe qui viendrait en remplacement de cinq taxes existantes. Pour les Mahorais, le temps presse. La semaine dernière, une habilitation a été accordée au Gouvernement pour étendre par ordonnance un dispositif d’octroi de mer qui viendra se substituer à trois ou quatre taxes douanières en vigueur, alors même qu’aucune étude d’impact n’a été engagée.

À douze mois de l’échéance européenne, faut-il, selon vous, étendre à Mayotte le dispositif en vigueur dans les quatre DOM, ou enrichir le dispositif transitoire déjà mis en place ?

Mme Anne Bolliet. Je ne suis pas en mesure de répondre à votre dernière question, monsieur Aboubacar.

Le recours aux ordonnances pour mettre en place le dispositif qui entrera en vigueur au 1er janvier 2014 produira sans nul doute des effets positifs. Je note qu’il existe à Mayotte des taxes et des droits à l’importation qui ne sont pas prévus par le code général des impôts.

Nos marges de manœuvre sont faibles, mais elles existent. D’une part, parce qu’en matière de TVA, le droit communautaire ne s’applique pas dans les départements d’outre-mer. Il ne s’opposera donc pas à certaines adaptations, conformément à l’article 73 de la Constitution qui dispose que « dans les régions et départements d’outre-mer les lois et règlements peuvent faire l’objet d’adaptations ». Ainsi le code général des impôts prévoit, à titre temporaire, l’absence de TVA en Guyane.

Toutefois, nous ne pourrons, l’année prochaine, que demander la reconduction du dispositif. Mais n’attendons pas, comme nous avons coutume de le faire, la prochaine échéance pour agir. Votre Délégation pourrait fort bien suggérer de mettre en place un mécanisme plus proche du mode de consommation des habitants et qui, à l’instar de ce qui a été fait en Nouvelle-Calédonie, n’alourdirait pas la pression fiscale. Quoi qu’il en soit, vous ne pourrez agir sans étude d’impact.

Il est également possible que la Commission européenne reconduise le dispositif pour cinq ans, ce qui représente une autre marge de manœuvre.

Monsieur Vlody, entre le protectionnisme et l’ouverture sur l’extérieur, il ne m’appartient pas de dire quelle est la bonne approche.

Je participais hier à une commission sur les agréments fiscaux en Nouvelle-Calédonie. Le directeur d’une usine fabriquant du papier toilette nous a adressé une demande de défiscalisation en vue du remplacement de ses machines. Sachant que l’entreprise couvre 75 % du marché, nous lui avons refusé l’agrément, considérant qu’il n’améliorerait en rien la situation concurrentielle et ne ferait que conforter une entreprise déjà bien installée. Mais quelle qu’ait été notre décision, faut-il encore produire en Nouvelle-Calédonie du papier toilette qui coûte très cher ou l’importer à bas prix ? Il ne m’appartient pas de répondre à cette question, mais c’est bien celle-ci qu’il convient de se poser. Faut-il continuer à fabriquer des produits à valeur ajoutée faible, qui génèrent peu d’emplois compte tenu de l’automatisation des chaînes de production, ou importer des produits, de Malaisie ou de pays similaires, dont les coûts resteront inférieurs ? Je n’ai pas la réponse à cette question. Elle relève d’arbitrages qui sont de la responsabilité des élus.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Monsieur le président, si nous proposons de reconduire l’octroi de mer, nous devons poursuivre notre réflexion en auditionnant un certain nombre d’experts.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je suis d’accord avec vous, mais nous avons de nombreux travaux en cours et il serait difficile d’augmenter le nombre de nos réunions.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. N’attendons pas de nous trouver au pied du mur. Nos enfants nous reprocheraient de n’avoir pas agi.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je prends note de vos réflexions.

Je vous remercie et vous adresse à tous mes meilleurs vœux pour les fêtes de fin d’année ainsi qu’une très bonne année 2013.

La séance est levée à 19 heures 25.