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Délégation aux Outre-mer

Mardi 15 janvier 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président

– Audition de M. Jean-Raymond Mondon, président du Conseil économique, social et environnnemental de La Réunion (CESR)

La séance est ouverte à dix-sept heures dix.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Messieurs, le président Jean-Claude Fruteau, retenu sur son territoire par ses obligations, m’a chargée de vous présenter ses excuses, ainsi que les vœux de la Délégation aux outre-mer. J’espère, pour ma part, que nous serons, en 2013, plus nombreux encore à porter la cause de l’outre-mer et à assurer l’égalité et la continuité de la République au sein de nos territoires.

M. Jean-Raymond Mondon, président du Conseil économique, social et environnemental régional de la Réunion. Le CESER de La Réunion, tout comme l’ensemble des CESER d’outre-mer, se félicitent de la création, par l’Assemblée nationale, de cette Délégation, qui témoigne de votre intérêt pour l’outre-mer. Nous nous associons bien évidemment au souhait que vous avez formulés de voir l’outre-mer mieux reconnu au niveau national. Pour avoir assumé durant quelques années, au titre de l’outre-mer, la vice-présidence de l’Association des conseils économiques et sociaux régionaux de France, je suis conscient de la réalité et de la nécessité de faire passer certains messages.

Il est rare qu’une Délégation de l’Assemblée nationale ou du Sénat auditionne les CESER, qui représentent pourtant les forces vives du monde de l’économie et du monde syndical et associatif. Le CESER de La Réunion se distingue d’ailleurs des autres CESER : le premier collège, celui des représentants du monde patronal, est structuré, non pas en fonction des délégations, mais des activités – et notamment des activités d’avenir – de la région. Cela nous permet d’être à l’écoute des uns et des autres.

Je suis accompagné de mon vice-président, M. Abdoullah Lala, qui préside la Commission du développement économique du Conseil et dont les précédentes fonctions étaient en relation étroite avec le monde de l’entreprise et de l’économie.

Notre Conseil s’est fortement impliqué dans la vie économique et sociale de La Réunion, en participant à la rédaction de différents documents stratégiques – Stratégie régionale d’innovation, Schéma régional de développement, Plan régional de développement économique. Il a rendu plusieurs rapports, par exemple sur les accords de partenariat économique (APE). J’ai moi-même rendu un rapport, en tant que président du CESER, sur le devenir de la Commission de l’océan indien (COI) et le développement des échanges avec les pays de la zone. Nous sommes donc au cœur du sujet.

L’octroi de mer, dont il me semble inutile de retracer l’historique, a fait l’objet de nombreux rapports.

L’un, portant sur l’ensemble de l’outre-mer, a été commandé par le ministère. Un autre, portant spécifiquement sur l’octroi de mer, son utilité et son impact sur le coût de la vie à La Réunion, a été demandé par la région, en accord avec le CESER, après les événements de 2009. J’ai eu le plaisir de transmettre à votre Délégation la première partie de ce rapport, dont nous recevrons la deuxième partie – relative aux évolutions de l’octroi de mer – mardi prochain. Le ministère et la région s’étant adressés au même cabinet, à savoir le cabinet Louis Lengrand et Associés, il ne faut pas s’attendre à de grandes divergences.

La première partie de notre rapport a été appréciée par l’ensemble des socioprofessionnels, qu’ils viennent du monde patronal ou du monde syndical. En effet, il convenait de faire preuve de pédagogie, après les événements de 2009, où l’existence même de l’octroi de mer avait été remise en cause.

D’autres rapports ont été réalisés au niveau local sur un sujet connexe, à savoir le Fonds régional pour le développement de l’économie et de l’emploi (FRDE), par la Chambre régionale des comptes et par le CESER.

Le dossier de l’octroi de mer ne peut pas non plus être séparé de celui de la nouvelle programmation européenne 2014-2020, au moment où s’engagent des discussions avec Bruxelles. En effet, une partie de cette négociation concerne la problématique de l’éloignement et de l’insularité. Or, il semblerait que Bruxelles ait l’intention de diminuer la dotation tenant compte de ces contraintes spécifiques. Nul n’ignore que l’octroi de mer est lié au développement économique et social de nos régions d’outre-mer. Ces régions ultrapériphériques sont confrontées à un certain nombre de problèmes, dont celui des échanges avec les pays de la zone. Sur ce point, je reconnais que le rapport de M. Solbes fournit, au Gouvernement français comme aux socioprofessionnels, des arguments en faveur de la défense de l’octroi de mer.

À La Réunion, nous ne pouvons pas négliger le fait que certains pays, notamment Maurice, ont avancé que l’octroi de mer était un droit de douane, ce qui n’est pas le cas. Mais – je le sais pour en avoir discuté dernièrement avec le secrétaire général de la Commission de l’océan indien (COI) – la situation a beaucoup évolué.

L’existence de l’octroi de mer avait été remise en cause dans le cadre des discussions sur les APE. Le CESER de La Réunion, qui était en discussion avec les fonctionnaires européens, avait joué un rôle important en établissant les listes dites « offensives » et « défensives » en matière d’APE.

La Réunion n’a pas d’APE définitifs, mais intermédiaires, qui ne concernent que les produits de consommation. Les discussions sur les services s’ouvriront dans les semaines ou les mois qui viennent. On ne peut pas faire l’impasse sur le sujet, d’autant que certains sont favorables à l’extension de l’octroi de mer aux services. Mais cela risque de créer des tensions au moment des négociations avec les pays de la zone et avec la Commission européenne.

M. Abdoullah Lala, vice-président. Comme l’a rappelé en préambule le président Mondon, avant d’être président de la Commission de développement économique au CESER de La Réunion, j’ai occupé pendant quatre ans les fonctions de Président des experts-comptables de l’île de La Réunion. C’est également à ce titre que je vais m’exprimer. De fait, l’expert-comptable est un observateur privilégié du terrain socio-économique, car il est aux côtés des petites entreprises et au plus près de leurs préoccupations quotidiennes.

Dans ce cadre, nous avons développé à Paris, la cellule INFODOM. Celle-ci a été mise en place en 2009, au moment du vote de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM). Concernant les Antilles, la Guyane et à La Réunion, elle a pour objectif de soutenir nos régions et de leur expliquer la fiscalité ultramarine. Nous avons pu ainsi constater que nos instances nationales, tout comme les chefs d’entreprise, connaissaient mal les dispositifs applicables outre-mer.

Par ailleurs, au sein de la Commission de développement économique, qui regroupe les socioéconomiques, mais aussi les représentants de la société civile, syndicats et représentants des consommateurs, nous avons beaucoup travaillé sur le dossier de l’octroi de mer. Je suis donc en mesure aujourd’hui de vous présenter les constats que nous avons faits et les pistes d’évolution que nous avons dégagées.

Premier constat : l’octroi de mer est un outil qui permet à notre économie et à nos entreprises de compenser les handicaps liés à l’éloignement et à l’étroitesse du marché. Ce n’est pas le seul, mais il nous aide beaucoup.

Deuxième constat : grâce à l’octroi de mer, nous avons pu développer à La Réunion une politique économique qui a permis l’essor de filières de productions locales – industrie agroalimentaire, usines produisant des chauffe-eau solaires. De véritables filières à l’export ont été soutenues grâce à l’exonération de l’octroi de mer sur les intrants.

Troisième constat : l’octroi de mer a permis de financer le développement économique. À La Réunion, 380 millions d’euros ont été récoltés en 2011.

À partir de ces constats, notre Commission a évoqué quelques pistes de réflexion.

D’abord, et le Conseil est unanime sur ce point, il faut maintenir l’octroi de mer, en conservant le même dispositif et les différentiels de taux – listes A, B et C – applicables. C’est fondamental si l’on veut protéger les filiales locales de production, notamment les filières d’avenir qui se développent rapidement.

Nous avons l’appui non seulement des industriels, mais aussi des représentants des syndicats et des consommateurs. Pour assurer le développement de l’industrie et des emplois locaux, le dispositif actuel de l’octroi de mer doit être préservé. Si quelqu’un prétend que l’octroi de mer freine les échanges, il suffit de lui opposer les chiffres de La Réunion, dont le taux de couverture est de 7 %. Il se trouve que notre région importe, grosso modo, quatorze fois plus qu’elle n’exporte. L’octroi de mer n’a donc pas été pénalisant.

Mais avant de se réjouir, il convient tout de même de porter à l’attention de votre Délégation les éléments suivants :

La Commission a soulevé le problème de la lisibilité du dispositif et, au-delà, de son acceptabilité par les populations ultramarines. Nous proposons d’aller vers un peu plus de transparence. Celle-ci pourrait passer par la simplification de l’échelle des taux, qui sont différents selon les catégories de produits. Pourquoi ne pas adopter un mécanisme simple, avec trois taux ?

Il faudrait informer le consommateur sur l’utilisation des fonds récoltés dans le cadre de l’octroi de mer. Des débats ont eu lieu à ce propos au sein de la Commission. Certains ont même évoqué l’éventualité d’un fléchage.

Il faudrait également apporter des assouplissements en adaptant les listes des produits qui supportent l’octroi de mer, et en adaptant le dispositif aux réalités et à l’évolution des facteurs de production. Une trop grande rigidité a en effet tendance à freiner les collectivités. C’est du moins ce que l’on a constaté sur nos territoires, en particulier à La Réunion.

Par ailleurs, doit-on étendre la base de l’octroi de mer aux services ? L’avis de la Commission a été unanime : c’est une fausse bonne idée. Comme l’a rappelé le président Mondon, le problème de la concurrence avec les pays avoisinants se posera nécessairement. Or, nous n’avons pas encore mené à terme la négociation sur les APE de notre région.

Ensuite, frapper les services d’octroi de mer pénalisera des secteurs qui ne sont pas délocalisables et donc qui répercuteront fortement leurs surcoûts sur l’emploi local. Il est, en effet, plus facile de délocaliser la production de biens industriels que de services, comme la coiffure ou l’esthétique.

Enfin, une telle extension aurait un impact direct sur les prix. Elle aboutirait à accroître le coût de la vie dans nos régions, d’autant que les services tendent à y prendre une part de plus en plus importante par rapport à celle des biens consommés. Cela irait à l’encontre de la politique conduite aujourd’hui par les pouvoirs publics.

M. Jean-Raymond Mondon. Je considère, pour ma part, que, dans un monde de concurrence et en perpétuelle évolution, on ne peut pas décider de mettre en place, pour dix ans, un système dont l’organisation générale et surtout la structure des taux ne seraient modifiables qu’au bout de cinq ans. Aujourd’hui, il est possible de faire évoluer les dispositifs ou les taux de manière beaucoup plus rapide.

Je voudrais citer cet exemple : dans le cadre des APE, sur les biens de consommation courante, et compte tenu des accords passés dans notre région, l’Union européenne avait institué une clause de sauvegarde. Pour l’application de cette clause, il a fallu faire preuve d’innovation. En partenariat avec l’ambassadeur de France pour les pays de la zone, les services de l’État, les services du Conseil régional, mais aussi les socioprofessionnels ont mis en place un service de veille qui permet de mieux comprendre les importations qui se font à La Réunion, et de nous alerter si certaines productions tendent à être en péril. Pourquoi ne pas procéder de la même façon avec l’octroi de mer ? Nos pays sont en pleine évolution. Nous pouvons nous attendre à des créations de nouveaux secteurs d’activité et à des changements de productions : nous avons donc besoin d’être beaucoup plus réactifs.

Nous avons également besoin de suivre et d’évaluer le dispositif de l’octroi de mer. Mais on ne saurait demander aux régions d’établir un rapport tous les ans sur le sujet, puisque les services statistiques ne peuvent pas fournir de données fiables sur l’année précédente – seulement des données provisoires au bout de six mois et des données fiables au bout de deux ans. Il conviendrait d’y remédier.

À l’occasion des États généraux de l’outre-mer, nous avons réclamé une véritable évaluation des politiques publiques de nos régions. Les Délégations du Sénat et de l’Assemblée nous ayant demandé quelles mesures devaient être prises pour La Réunion, nous avons mis l’accent sur cette nécessité. Et je vous renvoie aux propos que le Président de la Cour des comptes a prononcés à ce sujet lors de la cérémonie des vœux adressés au Président de la République.

J’ajoute que le dossier de l’octroi de mer demande toute notre attention, car il s’agit de ne pas commettre d’erreurs. Prenons garde aux propositions que nous pourrions faire. En effet, les fonctionnaires européens voient d’un mauvais œil les régions ultrapériphériques, consacrées par l’article 299-2 du traité des Communautés européennes, devenu l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Notre CESER aura très prochainement l’occasion de s’entretenir, à La Réunion, avec M. Serge Letchimy qui a été chargé d’une mission sur l’article 349 du TFUE ; il aura également l’occasion de rencontrer un représentant de la Cour des comptes qui viendra faire une étude sur les services de l’État en région. Il y a bien des choses à dire en matière d’évaluation et de suivi. Je pense tout particulièrement aux insuffisances du service des douanes, que nous avons relevées lorsque nous avons travaillé sur le dossier des APE.

Comme on peut le lire dans le rapport Louis Lengrand, l’octroi de mer vise à défendre et à promouvoir les économies locales. Mais d’autres dispositifs y concourent. C’est le cas des exonérations de charges sociales. Avant la fin de l’année, notre Commission devrait rendre un avis et le CESER un rapport sur l’impact des exonérations de charges sociales sur l’emploi à La Réunion, rapport qui viendra compléter celui du cabinet d’études.

En conclusion, nous avons été heureux de la mise en place de votre Délégation. Nous serons à votre disposition sur tout sujet intéressant l’outre-mer. Je pense aussi bien aux contrats de génération, en raison de notre expérience en matière de congés de solidarité, qu’à la Banque publique d’investissement, sur laquelle nous avons commencé à travailler avec nos députés, l’Agence française de développement (AFD) et la Caisse des dépôts et consignations. Tous ces sujets, comme l’octroi de mer, sont en rapport avec le développement économique de La Réunion et de l’outre-mer. On ne doit pas faire n’importe quoi. Notre développement économique dépend de plusieurs éléments. Nous devons faire preuve de réactivité dans tous les domaines et adresser nos propositions à l’ensemble du Gouvernement et de la représentation nationale, Assemblée nationale ou Sénat.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Vous prouvez que les CESER sont à même d’aborder tous les domaines liés au développement économique. Vous avez dit que l’extension de l’octroi de mer aux services pourrait avoir un effet peut-être inverse à celui souhaité. Votre position est-elle définitive ? Une modulation serait-elle possible ?

M. Jean-Jacques Vlody, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le vice-président, nous nous connaissons de longue date et nous apprécions le sérieux du travail que vous accomplissez au sein du CESER de La Réunion.

Vous avez indiqué que l’élargissement de la base de l’octroi de mer aux services pourrait créer des tensions, vous référant aux discussions menées avec les pays de la zone. Pourriez-vous nous donner des détails par rapport à l’environnement géographique ? En dehors de ce problème, pensez-vous que cet élargissement soit totalement à exclure pour l’instant ? Et si l’on y recourait, quelles précautions faudrait-il prendre ?

Par ailleurs, comment justifier l’efficacité économique de la différenciation des taux ? Cette différenciation a-t-elle eu un impact positif, soit sur le maintien de l’activité, soit sur son développement ? A-t-elle eu un impact sur le maintien des filières locales ?

Vous avez développé l’argument selon lequel l’octroi de mer n’avait pas été un frein aux importations, la part de la production locale ayant plutôt baissé par rapport aux importations. Certes, mais il faut faire valoir nos arguments de manière irréfutable. Or, nous ne disposons pas de statistiques ou d’éléments fiables. Et c’est d’ailleurs bien parce que la Commission européenne n’avait pas été convaincue, en 2008, par la façon dont on avait justifié la différenciation des taux que l’on a commandé un rapport au cabinet Lengrand.

Vous avez dit que l’octroi de mer était destiné à pallier certains handicaps, à favoriser le développement des filières locales et à soutenir l’export. J’aimerais que vous nous donniez des éléments chiffrés, plus concrets.

Enfin, nous travaillons aujourd’hui sur une piste consistant à abaisser de 550 000 à 250 000 euros le seuil du chiffre d’affaires des entreprises soumises à l’octroi de mer. En dessous de 250 000 euros, les entreprises seraient complètement exonérées. Quel est votre point de vue ?

M. Mathieu Hanotin, rapporteur. Je pense, moi aussi, que nous avons besoin de précisions sur la partie différenciée de l’octroi de mer. Vous avez dit que celui-ci était mal perçu : il serait bon, en conséquence, de montrer ce qu’il a pu apporter ces dernières années – en préservant, par exemple, certaines productions locales. Si l’on veut qu’il soit maintenu, il faut faire en sorte qu’il ne soit pas contesté, ni par les populations, ni par les autorités de l’Union européenne.

Mme Éricka Bareigts. Je souhaiterais obtenir des précisions sur l’échelle des taux, que M. Lala suggérait de simplifier, et sur le fléchage de la recette de l’octroi de mer, qui donnerait davantage de transparence au dispositif. Qu’entendez-vous par fléchage ? Dans quels domaines ? Ce fléchage devrait-il concerner certaines activités économiques prometteuses en termes d’emploi ?

Mme Monique Orphé. À La Réunion, pendant les événements, les populations ont dit que l’octroi de mer contribuait à la cherté de la vie. D’où cette idée reçue : si l’on supprime l’octroi de mer, les prix baisseront et tout ira mieux. Un effort de clarification et de transparence me semble donc nécessaire. Mais comment, en tant qu’élus, justifier cette disposition ? Comment mieux communiquer ? Le CESER nous y aiderait-il ? Nous pouvons toujours mettre en avant le fait que l’octroi de mer coûte moins cher que la TVA, ou qu’il participe au développement économique. Mais même ainsi, on risque de nous répondre que ce sont les entreprises, les élus ou les collectivités qui sont les principaux bénéficiaires.

M. Jean-Raymond Mondon. Il nous faut faire preuve de pédagogie. Je connais le dossier de l’octroi de mer depuis 1984, moment où, issu du syndicalisme, j’ai commencé à participer à un certain nombre de discussions avec les organisations patronales sur le thème de la vie chère à La Réunion. C’est grâce à ces discussions que nous avons pris conscience – en 1984, puis en 1989, en 1992, etc. – du problème posé par l’octroi de mer.

Premièrement, nous devons systématiquement expliquer à la population, en particulier à celle de La Réunion – la situation peut être différente dans d’autres départements – que, sur les produits de première nécessité, l’octroi de mer est à taux zéro et qu’il n’impacte donc pas les prix. Encore dernièrement, le vice-président du Conseil régional se demandait comment faire passer le message. Au moment où l’ensemble des produits est étiqueté de manière informatique dans les grandes surfaces ou dans les centrales d’achat, ne pourrait-on pas trouver un moyen simple d’indiquer sur les emballages des produits de première nécessité – avec une pastille de couleur ou un symbole – que le taux d’octroi de mer est de zéro ? Il faudrait faire des propositions concrètes en ce sens.

Deuxièmement, vous avez sans doute remarqué que la problématique de l’utilisation de l’octroi de mer par les collectivités territoriales a été totalement mise de côté. Pourtant, si l’on se base uniquement sur le budget de fonctionnement des communes, combien d’emplois seraient menacés ? Le pouvoir d’achat ne dépend pas que du niveau des prix. Faut-il plutôt accorder des subventions à un chômeur et maintenir des prix assez bas, ou lui procurer un emploi qui lui permettra de payer ce dont il a besoin ? Là encore, il faut faire preuve de pédagogie. Au CESER, nous nous y employons depuis des années.

Troisièmement, des manifestations ont eu lieu l’année dernière en outre-mer et à La Réunion. J’ai été contacté par le préfet de La Réunion – sans pouvoir aller au bout de cette mission – pour mettre en place un groupe de travail sur la consommation et les prix. L’objectif était de faire en sorte que les organismes de défense des consommateurs jouent un rôle important, ce qui supposait qu’on leur donne les moyens de travailler – chez nous, il n’y a pas d’UFC comme dans l’hexagone – et qu’on les forme. Au sein même de l’association de consommateurs relevant de mon organisation syndicale, je dois répondre à ceux qui proposent de remplacer l’octroi de mer par la TVA qu’une telle décision serait immédiatement suivie d’une augmentation des prix. Je rappelle que l’addition des taux d’octroi de mer et de TVA à La Réunion est inférieure au taux de TVA appliqué dans l’hexagone.

Revenons aux services et aux APE. Au CESER, nous avons travaillé sur les APE marchandises. Dans le cadre de mon travail sur le devenir de la Commission de l’océan indien (COI), nous avons également discuté avec les pays de la zone. Le message que l’on nous a fait passer – émanant notamment de Maurice – consistait à dire que l’octroi de mer était un droit de douane et qu’il fallait le supprimer. Si, aujourd’hui, nous disons aux pays de la zone que l’extension de l’octroi de mer aux services est l’avenir de La Réunion, nous risquons fort de nous mettre en difficulté lors des prochaines négociations. Et je peux vous assurer que Bruxelles écoutera davantage les pays ACP – compte tenu des accords OMC – que nous-mêmes. En outre, c’est Bruxelles qui décide en matière d’APE. Je vous rappelle que toutes les interventions en ce domaine, qu’elles émanent du Parlement ou du Gouvernement français, n’ont jamais été suivies d’effet.

Faut-il fixer le seuil de taxation à 250 000 euros de chiffre d’affaires ? Pourquoi pas ? Mais comment réagiront les chefs d’entreprise ? Des discussions que nous avons eues en début d’année avec les services du Conseil régional, il ressort que les entreprises de La Réunion sont en très grande difficulté, qu’elles ne peuvent pas accéder aux prêts bancaires et que les banques elles-mêmes rencontrent des problèmes parce que leur argent remonte vers Paris.

Enfin, notre position sur l’extension de l’octroi de mer aux services n’est pas définitive. On peut en discuter, mais je ne suis pas sûr qu’il faille le faire maintenant. Au moment où l’on commence à développer les échanges avec les pays de la zone, cela risquerait de mettre La Réunion en grande difficulté. Je vous renvoie aux propos que j’ai tenus devant le ministre des Outre-mer au moment de la Conférence sur la coopération régionale.

M. Ary Chalus. Je compte poser demain une question au Gouvernement sur les difficultés des entreprises. Vous avez évoqué celles de La Réunion. Mais je crois que c’est tout l’outre-mer qui est concerné. Rien qu’en Guadeloupe, 6 000 entreprises risquent de déposer leur bilan au mois de mai.

M. Jean-Raymond Mondon. On peut constater les difficultés de l’outre-mer en général, et celles de La Réunion en particulier. Mais ne comptez pas sur moi pour faire passer des messages qui ne seraient que pessimistes. Car nous avons des potentialités.

Comme je l’ai rappelé en fin de semaine dernière devant un autre public, La Réunion a connu des moments bien plus difficiles entre 1939 et 1942, quand elle a dû vivre en totale autarcie. Et aujourd’hui comme alors, nos chefs d’entreprise sont capables de faire preuve d’innovation. Ils pourront s’en sortir, à condition qu’on mette à leur disposition certains outils. C’est la raison pour laquelle je vous ai parlé de la Banque publique d’investissement, des exonérations de charges sociales et du FRDE, qui pourraient les aider.

M. Abdoullah Lala. Premièrement, je vous donnerai quelques chiffres sur les services. Certains de mes confrères experts-comptables sont tentés de délocaliser une partie de la saisie du traitement des comptabilités des entreprises à l’île Maurice ou à Madagascar, où le salaire moyen varie de 50 à 100 euros. Aujourd’hui, le coût de production horaire tourne autour de 100 euros à La Réunion et de 10 euros à Madagascar. Si l’on y rajoute un octroi de mer, par exemple de 10 %, le coût de production sera majoré de 10 euros à la Réunion et celui de mon confrère qui produit à Madagascar et qui importe le même service ne sera majoré que d’un euro. Imaginez donc vers quelle catastrophe sociale nous nous orientons !

Deuxièmement, qu’est-ce que la différenciation des taux apporte aux entreprises, sur le plan pratique ? J’ai parlé d’un client qui avait installé une usine de chauffe-eau solaires. S’il importait des chauffe-eau d’Australie, d’Inde ou d’ailleurs, cela lui reviendrait à 95 dollars pièce. Avec les coûts de production de La Réunion, il peut les proposer à 95 ou 100 dollars. Cela étant, ce n’est pas uniquement l’octroi de mer qui le protège, mais les différentes mesures dont il a pu bénéficier – aide fiscale à l’investissement, exonérations sur les charges sociales, notamment dans les secteurs bonifiés… Ainsi, en étant suffisamment innovant et imaginatif, il est possible d’avoir des coûts de production compétitifs. Ce chef d’entreprise a d’ailleurs créé une trentaine d’emplois, ce qui n’est pas négligeable.

Troisièmement, l’extension de l’octroi de mer aux services posera un problème de recouvrement. Aujourd’hui, le recouvrement de l’octroi de mer sur les produits de consommation se fait essentiellement à l’entrée du territoire – à La Réunion, au port de la Pointe des Galets et à l’aéroport. Comment faire pour les services ? Nous chargerons certaines personnes de procéder à une collecte auprès des entreprises ? Nous créerons un imprimé spécifique ? Cela ne fera qu’augmenter encore la complexité des procédures qui s’imposent aux petites entreprises. Et, si l’on abaisse de 550 000 à 250 000 euros le seuil de taxation, on ajoutera encore d’autres charges qui viendront grever leur comptabilité ; à La Réunion, 10 000 chefs d’entreprise sont en situation de dépôt de bilan virtuel. Je ne pense donc pas que ce soit le bon moment.

Quatrièmement, vous vous êtes interrogés sur l’échelle des taux. Je remarque que la TVA est un impôt simple, avec trois taux – demain, au niveau national, 5, 10 et 20 %. La transparence passe par des taux faciles à mémoriser.

Enfin, le fléchage aurait comme avantage de montrer à nos concitoyens que grâce à ces mécanismes qui soutiennent l’activité, nous avons pu créer des entreprises et des emplois à La Réunion.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Merci, messieurs.

La séance est levée à dix-huit heures dix.