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Délégation aux Outre-mer

Mardi 26 mars 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, sur la taxe de l’octroi de mer, la défiscalisation et l’agriculture outre-mer

– Informations relatives à la délégation

La séance est ouverte à 17 heures.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président.

M. le président Jean-Claude Fruteau. L’ordre du jour appelle, tout d'abord, la désignation de deux rapporteurs sur la défiscalisation des investissements outre-mer.

Comme vous le savez, l'article 79 de la loi de finances initiale pour 2013 prévoit – mais pour un an seulement – le maintien de la défiscalisation des investissements outre-mer, défiscalisation qui concerne notamment les investissements industriels et le logement social.

D’autre part, le Parlement avait étendu le plafonnement de la défiscalisation à 18 000 euros plus 4 % du revenu imposable – mais le Conseil constitutionnel a supprimé la disposition des 4 % à la fin de l'année 2012.

À la suite de cela, deux rapports ont été demandés, le premier, pour le mois de mai, à Bercy, qui doit traiter de l'évaluation de la défiscalisation, et le second à l'Inspection générale des finances (IGF), qui doit étudier les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel.

Cette situation fait naître une certaine inquiétude dans nos départements d’outre-mer notamment : nous avons donc souhaité rédiger un rapport sur ce sujet.

Je précise que M. Larcher, président de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, procède de la même manière, puisqu'il a créé un groupe de travail commun à la Délégation et à la commission des Affaires économiques du Sénat.

Pour réaliser ce rapport, je vous propose, comme nous en avons pris l'habitude, de désigner deux parlementaires, l'un issu de l'outre-mer et l’autre de l'hexagone. Je vous suggère la candidature de M. Patrick Ollier, ancien président de l'Assemblée nationale et rapporteur spécial du budget de l’outre-mer, ainsi que de moi-même.

Mme Annick Girardin. Monsieur le président, vous êtes tout à fait légitime dans ce rôle, d’autant que vous êtes membre de la commission des Finances, tout comme M. Ollier, ce qui a son importance sur un tel sujet.

Cela m’aurait également intéressée, mais le Gouvernement m’a demandé de faire partie du groupe de réflexion qu’il a mis en place dans ce domaine.

M. le président Jean-Claude Fruteau. S’il n’y a pas d’opposition, il en est ainsi décidé.

***

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous allons maintenant entendre M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, que je remercie de sa présence. Son audition portera en premier lieu sur l’octroi de mer, à la suite du rapport réalisé par la Délégation sur ce sujet. Nous souhaiterions, monsieur le ministre, que vous fassiez le point de la réflexion du Gouvernement et que vous nous indiquiez vos conclusions ainsi que les demandes formulées dans les négociations avec Bruxelles.

Nous aborderons ensuite la défiscalisation des investissements outre-mer et l’agriculture – un volet spécifique sur l’outre-mer étant prévu dans le projet de loi que le Gouvernement a l’intention de présenter dans ce domaine. Nous avons d’ailleurs désigné deux rapporteurs sur ce dernier sujet : Mme Chantal Berthelot et M. Hervé Gaymard.

M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. C’est moi qui vous remercie de votre accueil.

En ce qui concerne l’octroi de mer, nous faisons nôtres toutes les conclusions de votre rapport : elles correspondent globalement aux demandes que nous avons transmises à Bruxelles début février dans le cadre du mémoire que nous lui avons communiqué en vue de reconduire le dispositif existant – ce qui n’est pas évident, compte tenu de la position de la Commission européenne.

Je rappelle que l’octroi de mer constitue une ressource essentielle pour les départements d’outre-mer : un peu plus d'un milliard d'euros par an – 1 milliard et 32 millions d’euros précisément en 2011.

De plus, il s'agit d'un dispositif de soutien important pour les entreprises de production. Il a en effet contribué depuis une dizaine d'années au maintien et au développement de certaines activités de production, permettant ainsi de créer un nombre significatif d'emplois pérennes dans les départements et régions d’outre-mer (DROM).

L'évaluation conduite par le cabinet Langrand, un organisme indépendant – j’insiste sur ce terme, les institutions européennes vérifiant la qualité des audits réalisés – conclut à l'absence de surcompensation, de surprotection, ou d'effet de rente. L'octroi de mer ne crée donc pas de distorsion de concurrence mesurable.

Or la permanence de plusieurs handicaps structurels conduit à solliciter le renouvellement de ce dispositif.

Les propositions que nous avons transmises à Bruxelles sont de cinq ordres.

D’abord, nous proposons de modifier le champ d'application de l'octroi de mer en l’étendant à Mayotte dès le 1er janvier 2014, date à laquelle le texte permettant à ce territoire d’accéder au statut de RUP – région ultra-périphérique – entre en vigueur. Cette particularité va nécessiter l’adoption d'un texte spécifique pour cette collectivité afin de couvrir la période du 1er janvier au 1er juillet 2014 – lorsque le dispositif actuel arrive à échéance. Les commissaires européens sont d’accord pour prendre d’ici la fin de l’année les deux décisions nécessaires à cette fin, l’une du Conseil, l’autre de la Commission.

Notre deuxième demande porte sur les conditions d’assujettissement et les redevables : elle tend à exclure du champ d'application de la taxe les entreprises réalisant un chiffre d'affaires inférieur à un seuil de 300 000 euros. Je rappelle qu’aujourd’hui, seules les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 550 000 euros par an sont assujetties. Nous aurons à voir avec les élus locaux, notamment les présidents de région, comment le surplus de recettes devra être affecté.

Troisièmement, s’agissant des taux, il est proposé la création d'un différentiel temporaire de taxation pour les nouvelles productions non listées de 15 % maximum. Pour mémoire, le dispositif actuel comporte trois listes de produits, avec un différentiel de taxation allant jusqu’à 10 %, 20 % et 30 % respectivement pour les listes A, B et C. Reste néanmoins à vérifier si un tel différentiel est suffisant pour permettre de faire émerger une production nouvelle, sachant que Bruxelles est réticente à aller au-delà de 5 ou 7 %. Nous devons en effet affronter la concurrence de produits n’ayant pas nos problèmes de coûts salariaux et pouvant bénéficier de dévaluations monétaires.

En quatrième lieu, nous souhaitons une meilleure flexibilité de l'encadrement juridique du dispositif, en assouplissant les modalités de révision de l'annexe relative aux listes de produits pouvant être exonérés ou taxés à un taux réduit.

Enfin, deux autres mesures sont proposées : l’extension des possibilités d'exonération en faveur de certaines activités – les infrastructures de développement économique, la recherche ou le tourisme – et la modernisation des systèmes informatiques de collecte et de traitement de données par l'administration fiscale française afin de rendre davantage fiable le suivi des données statistiques.

Je me suis rendu à la Commission européenne : les commissaires ont été francs tout en manifestant leur bienveillance ; ils sont conscients qu’on ne peut remettre en cause fondamentalement le dispositif.

Cela étant, le commissaire chargé de la fiscalité, M. Semeta, m’a fait part d’une certaine méfiance de la Commission vis-à-vis de la philosophie de l'octroi de mer, vue en quelque sorte comme une entrave à la libre circulation. Il a souligné le caractère dérogatoire de ce régime – fondé sur l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – et estimé fondamental de justifier la nécessité de son maintien.

Il a également indiqué son souci de veiller à l'absence de toute finalité « protectionniste » de ce régime et invité la France à bien démontrer le caractère proportionné de l'aide.

Cela supposait donc que, pour chaque produit bénéficiant d'un taux réduit d'octroi de mer, notre pays justifie l'existence d'une production locale, d'importations significatives et de surcoûts de production. La Commission a besoin de ces éléments aussi rapidement que possible pour pouvoir instruire la demande française dans les meilleurs délais. Je me suis d’ailleurs engagé à les lui communiquer avant la fin du mois d’avril.

En effet, les délais sont contraints : l'octroi de mer est régi par un double encadrement communautaire – une décision du Conseil et une décision de la Commission.

Le calendrier est le suivant : l’examen par la direction générale TAXUD, chargée de la fiscalité, jusqu'à la fin du premier semestre 2013 de notre demande de renouvellement et des listes A, B et C actualisées de produits bénéficiant du différentiel – des instructions ont été données aux préfets et des demandes formulées aux présidents de région à cet égard afin d’arrêter la position française – ; puis la proposition législative de la Commission au Conseil ; la saisine pour avis du Parlement européen ; et l’adoption par le Conseil de la décision par un vote à la majorité qualifiée.

Parallèlement, à partir de septembre 2013, est prévue la notification du dispositif d'exonération d'octroi de mer auprès de la direction générale de la concurrence (COMP).

Enfin, le Parlement français devra, dans le cadre d’un projet de loi, transposer la décision de l'Union européenne dans le droit national afin de permettre une entrée en vigueur du nouveau dispositif pour le 1er juillet 2014.

La consultation des régions concernées – y compris Mayotte – est déjà engagée – au travers des préfets, des collectivités locales et des socioprofessionnels – sur la base d'un tableau commun qui permettra pour chaque produit de justifier les raisons pour lesquelles un différentiel de taxation est demandé. Je devrais être destinataire de leurs propositions d’ici la mi-avril. L'harmonisation de la base de données permettra également de faire des comparaisons, de manière plus aisée, d'un territoire à l'autre et d'éviter dans les bassins régionaux des concurrences entre territoires du fait de différentiels de taxation inexpliqués. Je rappelle qu’on a tenté, il y a quelques années, de régler ce type de problème entre la Guadeloupe et la Martinique pour éviter des différentiels de taxation susceptibles de créer des détournements de trafic indus.

Il faut donc que le différentiel de taxation fasse l’objet d’une analyse rigoureuse et argumentée.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Quelles sont précisément les modifications réclamées en termes d’assujettissement ?

M. le ministre. Nous avons demandé d’abaisser le seuil d’assujettissement de 550 000 à 300 000 euros. Nous avions proposé que jusqu’à 80 000 euros, les entreprises ne soient pas assujetties et que de 80 000 à 300 000, elles le soient mais bénéficient d’une exonération : cependant, les services fiscaux et les douanes avaient expliqué que c’était compliqué. Il est donc préférable de faire une césure à 300 000 euros.

Cela n’empêche pas un débat avec les élus locaux. Les représentants socio-professionnels ne manqueront pas de dire que cette mesure est inflationniste, mais c’est une question d’équité : certaines entreprises peuvent aujourd’hui bénéficier de certaines exonérations, avoir directement ou indirectement des aides tirées de l’octroi de mer, sans participer à l’effort commun. Il faut voir comment elles pourraient participer.

Mais au-delà de ce point, Bruxelles devrait faire porter son analyse sur la hiérarchisation des listes et le différentiel de taux, en fonction des éléments qui lui seront communiqués. La discussion portera également sur le différentiel applicable aux produits nouveaux – sachant que les révisions des listes sont assez lourdes et justifient un dispositif simplifié. Elle devrait s’appuyer sur des études de statistique économique objectives.

Une chose n’a pas été réclamée – même si j’ai demandé à l’IGF et au service de législation fiscale de poursuivre la réflexion – : l’extension aux services. Aujourd’hui, l’octroi de mer est recouvré par les douanes, et non les services fiscaux. Une telle mesure supposerait un changement d’organisation et des redéploiements entre ces deux administrations dont on nous a fait comprendre qu’ils seraient trop compliqués à mettre en œuvre pour le moment.

L’autre point non demandé, mais évoqué par beaucoup, consisterait à transformer l’octroi de mer en TVA – ou son équivalent – gérée par les régions. Si le mécanisme de déduction de la TVA est intéressant, il y a tellement d’incertitudes sur le produit fiscal attendu qu’on ne peut changer de système sans avoir fait des simulations sérieuses ou une expérimentation préalable. Mais les institutions européennes sont-elles disposées à accepter une expérimentation ? Par ailleurs, où celle-ci serait-elle menée ?

Un autre débat pourrait être engagé avec les présidents de région et d’association des maires sur la question de l’affectation du surcroît des recettes attendues : les plus-values seraient-elles affectées en faveur du fonctionnement, comme aujourd’hui, ou, partiellement, des investissements ?

Peut-on par ailleurs demander aux régions de baisser les taux sur les produits de consommation courante ou de première nécessité ? Cette question nécessitera un accord préalable avec les élus régionaux et les maires, car il s’agit de leur dotation globale garantie.

M. Serge Letchimy. Les frais de recouvrement représentent 2,5 % des recettes : ils constituent des sommes très élevées, qui pourraient être mieux partagées. À plusieurs reprises, nous avons demandé d’ouvrir un débat sur ce point afin de faire le lien entre le coût de recouvrement et les recettes correspondantes : cela pourra-t-il être le cas ?

Deuxièmement, une étude d’impact sur l’abaissement du seuil d’imposition à 300 000 euros ne serait-elle pas utile pour voir quelles seraient les entreprises concernées et les conséquences de cette mesure sur elles ?

Je suis heureux que vous ayez pu obtenir la réaffirmation de l’application de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, car, lors de ma dernière visite à Bruxelles, il a fallu beaucoup batailler pour que ce soit le cas.

La question de la transformation de l’octroi de mer en TVA est pertinente : elle mérite d’être expertisée, notamment au regard des conséquences en termes de stratégie économique, d’accompagnement de la production, de relance de la consommation, ainsi que sur le plan fiscal. Certains considèrent en effet que cette mesure pourrait être un moyen de relancer la consommation par des mécanismes de déduction.

M. le ministre. Les frais de recouvrement permettent de rémunérer les services de l’État mais aussi de servir des indemnités aux douaniers. Il s’agit, il est vrai, de sommes importantes, qui donnent lieu à un débat récurrent. Certains ont d’ailleurs estimé qu’une proportion d’1 ou 1,5 % pourrait largement suffire sans remettre en cause le régime indemnitaire des douaniers. Cela permettrait en outre d’engendrer un surcroît de recettes non inflationniste pour les collectivités locales. Mais nous avons du mal à convaincre le ministère chargé des finances sur ce point.

Sur l’abaissement du seuil, j’ai demandé la réalisation d’une étude d’impact avant l’entrée en vigueur du nouveau dispositif : nous l’attendons. Cet abaissement peut gêner les entreprises si elles n’en répercutent pas le coût, mais si elles le font, cela peut être inflationniste. Il est utile à cet égard de connaître l’impact selon les produits et leur volume de consommation.

Le texte de juillet 2004 prévoit un mécanisme de déduction proche de celui de la TVA, mais qui ne semble pas bien marcher. Deux ou trois grandes entreprises l’utilisent, notamment EDF, qui a un régime d’imputation et de crédit d’impôt proche de la TVA, lequel fonctionne d’ailleurs différemment en Martinique et en Guadeloupe. À ce sujet, nous avons eu il y a quelques années des différends – non tranchés – sur le mécanisme comptable utilisé par EDF pour rendre éligible certains produits, comme les véhicules importés.

L’octroi de mer s’applique à l’électricité et tous les clients le paient. Or il se trouve qu’EDF ne l’acquitte pas en Guadeloupe – en Martinique cela est légèrement différent – et un crédit d’impôt est reversé. Il faut élucider cette question et voir comment le mécanisme actuel pourrait fonctionner efficacement avant d’en changer. J’ai demandé à approfondir ce point. En tout cas, si on devait retenir un mécanisme proche de la TVA, il faudrait qu’il soit maîtrisé par les régions – aucun élu n’accepterait que ce ne soit pas le cas.

Pour pallier le caractère inflationniste de l’octroi de mer, on peut aussi recourir, au-delà du mécanisme de déduction de la TVA, au régime des droits d’accise, notamment sur les alcools – un régime qui, pour l’entreprise, constitue un coût fixe, en principe non répercuté sur les prix. J’ai demandé que l’on voie dans quelle mesure il serait transposable.

Toutes ces réflexions se situent dans le prolongement de la loi relative à la régulation économique outre-mer. Il s’agit que la fiscalité se combine avec la lutte contre la vie chère. On peut avoir sur ce point un partenariat intelligent avec les régions et les communes. Si l’on arrive à leur donner un surcroît de ressources, se pose la question de savoir comment en répercuter une partie en faveur des produits de première nécessité ou de consommation courante.

Nous nous sommes donnés, avec la loi de régulation économique, un arsenal de moyens pour baisser le coût de la vie. La loi comporte une disposition – issue d’un amendement de M. Serge Letchimy – sur la répétition de l’indu qui pourrait être utilisée le cas échéant : si une collectivité demande à baisser ou accepte de réduire des taux sur des produits de consommation courante, il ne faut pas que la différence soit gardée au profit des importateurs, des distributeurs ou des intermédiaires, mais qu’elle soit répercutée sur le consommateur final.

Mme Chantal Berthelot. Si entre 2004 et 2013, un nouveau produit a fait son apparition et qu’une région souhaite l’introduire dans les listes, faut-il passer par la procédure de justification économique ?

Par ailleurs, qu’en est-il du marché unique Antilles-Guyane ?

Mme Monique Orphé. Il existe un vrai malaise au sein de la population au sujet de l’octroi de mer et de son utilisation. Se posent en effet les problèmes de la vie chère, du chômage et des revenus, qui sont très faibles. Certains militent pour la suppression de cette taxe, qui est vue comme la cause du coût de la vie. Il y a deux jours, le président de la chambre de commerce de la Réunion a d’ailleurs dit qu’elle était injuste et qu’il fallait y mettre un terme.

Je voudrais donc qu’il y ait aussi un débat sur ce sujet avec la population, qui nourrit de grandes réticences vis-à-vis de cette taxe, qu’elle trouve injuste, alors même que sa recette est utile aux collectivités locales et permet la création d’emplois – 30 000 à la Réunion. Nous risquons, à défaut, si nous ne faisons pas preuve de plus de transparence, d’être très vite totalement incompris, notamment par les élus locaux.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Cette question a été longuement débattue au sein de la Délégation et le rapport du cabinet Langrand y apporte une réponse. Quand on discute de l’éventuelle suppression de l’octroi de mer – mesure catastrophique à mes yeux –, on oublie qu’elle entraînerait l’application d’un taux normal de TVA, qui est sans doute plus inflationniste.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Il faut aussi rappeler l’importance de l’octroi de mer pour les régions et les communes. Cela justifie que nous nous battions pour la reconduction du régime en vigueur.

M. le ministre. L’octroi de mer représente en effet 40 % des ressources des collectivités locales. Le fonds régional pour le développement de l'emploi (FRDE) qu’il alimente est d’ailleurs une précieuse ressource pour financer des équipements.

Que l’octroi de mer n’existe pas à Saint-Martin pose à cet égard la question de savoir si l’on peut mettre au point une taxe équivalente dans ce territoire pour rattraper son retard structurel en équipements. J’aimerais que le service de législation fiscale et l’IGF m’aident à y répondre.

On n’a pas non plus résolu le problème du département de la Guyane, qui est le seul bénéficiaire de l’octroi de mer. J’ai reçu d’ailleurs une demande de parlementaires, à la faveur de la création de la collectivité unique, en vue de régler cette affaire en donnant aux communes les 27 millions d’euros octroyés au département.

Madame Berthelot, la procédure pour les nouveaux produits est extrêmement lourde : c’est la raison pour laquelle on veut l’assouplir au travers d’un dispositif plus simple et rapide.

Quant au marché unique antillo-guyanais, on l’a fait avec la Martinique – sachant qu’on n’a pas fini d’harmoniser les taux –, mais pas suffisamment avec la Guyane. En Martinique, il y a eu des problèmes lors de la discussion de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) : Mme Berthelot et un autre député de la Guyane avaient refusé la pression concurrentielle de la Martinique et de la Guadeloupe. La question s’était encore posée lorsque ces deux régions ont accepté la péréquation en matière de transport des hydrocarbures pour aider à baisser les prix de ceux-ci en Guyane. On avait alors été étonné d’entendre qu’on acceptait la pression concurrentielle de la métropole et de l’Europe mais pas de ces régions !

Il faudra que les présidents de région reprennent la discussion dans le cadre de l’Union régionale Antilles-Guyane (URAG), où toutes ces questions d’intérêt commun sont débattues. Il serait utile d’harmoniser les conditions de la concurrence dans la zone : nous serons forts si nous sommes tous ensemble et un marché d’un million d’habitants est plus solide qu’un marché de 400 000 habitants en Martinique ou en Guadeloupe, ou encore de 300 000 habitants en Guyane.

Il doit en être de même entre Mayotte et la Réunion demain : il faudra engager une discussion sur ce point, même s’il peut paraître nécessaire d’envisager une période de transition pour Mayotte.

Madame Orphé, le malaise au sein de la population que vous évoquez est entretenu par les socio-professionnels, qui disent que l’octroi de mer est inflationniste. D’ailleurs, le rapport de la Délégation montre bien que cela n’est pas si vrai : au total, il représente entre 2,3 et 5,2 % de la hausse des prix sur une longue période et les rapporteurs relèvent qu’il ne joue pas un rôle majeur à cet égard.

Cela étant, il serait bon de répondre aux demandes qui sont exprimées, au moins sur les produits de première nécessité. Cela ne sera pas simple car si, dans ce que l’on appelle le « bouclier qualité/ prix », on a toutes sortes de produits, ils ne correspondent pas forcément aux nomenclatures douanières. Il faudra faire une cote mal taillée pour prendre en compte les produits les plus consommés dans les régions concernées : cela demandera de la bonne volonté de toutes parts. Puis, après une longue concertation, le Gouvernement prendra ses responsabilités.

M. le président Jean-Claude Fruteau. L’essentiel est de conserver cet outil que constitue l’octroi de mer, à la fois comme ressource des collectivités locales et comme moyen de protection de la production locale. Il a été démontré que, s’il y avait eu une augmentation de la production locale d’un certain nombre de secteurs protégés, il y avait eu aussi un accroissement des importations dans les mêmes secteurs, ce qui veut dire que, s’il n’y avait pas eu l’octroi de mer pour protéger cette production, les importations l’auraient sans doute tuée.

Je vous propose de passer maintenant au sujet de la défiscalisation des investissements. Lors de la discussion de la loi de finances initiale, nous avons réussi à conserver le dispositif en vigueur d’une défiscalisation plafonnée à 18 000 euros plus 4 % du revenu net global imposable, le Gouvernement devant présenter au Parlement un rapport d’évaluation de l’efficacité de ce dispositif dans le courant du premier semestre de cette année. Puis le Conseil constitutionnel a supprimé les 4 %, éveillant, dans nos départements, des craintes au regard du financement des investissements et du logement social. Le Président de la République a alors apporté des apaisements en garantissant que le financement de ce dernier pourrait passer par des subventions directes. Toutefois, ce ne sera pas chose facile compte tenu de l’importance des sommes que la défiscalisation procurait au logement social comme aux investissements productifs. Que pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, sur cette question essentielle, à la fois pour les entreprises, les acteurs économiques et les acteurs du logement social dans nos départements ?

M. le ministre. Les engagements du Président de la République ont été respectés mais ils ont été pour partie censurés, notamment la part variable de 4 %. Il est vrai que le dispositif avait été adopté sous réserve de conduire une réflexion visant à le rationaliser. J’ai été désigné comme pilote de l’évaluation de la défiscalisation et je dois en présenter, le 2 avril, en comité interministériel de modernisation de l’action publique, dit CIMAP, les grandes orientations. C’est la raison pour laquelle je suis très attentif à toutes les propositions.

Le dispositif en question remonte à 1986 et il est efficace quoi qu’on en dise. En dépit de ses défauts, c’est l’un des rares instruments sur lesquels l’outre-mer peut s’appuyer pour soutenir son développement. L’État est donc conscient à la fois qu’il ne peut pas se désengager, de manière subite, de la défiscalisation, mais qu’il est nécessaire d’entendre les critiques.

Une part de la dépense fiscale actuelle rémunère le contribuable et les intermédiaires, ce qui est parfois perçu comme une évaporation. Moi-même, quand j’étais député, j’avais du mal à croire qu’on pouvait atteindre de tels taux. On entend également dire que le dispositif bénéficie mécaniquement et trop souvent aux seuls revenus élevés, ce qui n’est pas toujours juste ; que son efficacité sur la croissance et l’emploi n’est pas démontrable ; que sa lisibilité est faible en raison de la dispersion des aides et de la complexité et de l’instabilité des textes qui ont été modifiés cinq fois au cours des cinq dernières années ; enfin, que l’ensemble des règles de droit applicables en ce domaine est mal maîtrisé par les différents intervenants.

Entre 2004 et 2012, la dépense fiscale a représenté en moyenne 1 milliard d’euros. Dans le projet de loi de finances pour 2013, elle est fixée à 1,1 milliard, dont 885 millions pour les trois dispositifs relatifs à l’impôt sur le revenu et 180 millions pour la défiscalisation de l’impôt sur les sociétés. Ce milliard est un levier pour déclencher et solvabiliser 2 à 3 milliards d’investissements chaque année dans nos territoires. La défiscalisation a permis un bond décisif dans la construction de logements sociaux, qui est passée de 4 800 unités neuves à 7 500 par an. Il convient donc de maintenir ce dispositif, quitte à le contrôler et à le moraliser davantage.

Les modifications que je vais présenter le 2 avril s’appuient sur quelques principes clairs et forts. Le premier est le maintien de l’effort. Le Président de la République et le Premier ministre l’ont dit, la ressource bénéficiant aux projets d’investissement dans les outre-mer ne doit pas être inférieure à celle allouée au titre des mécanismes actuels. Compte tenu de la conjoncture, je peux vous dire que ce n’est pas simple. Les discussions avec Bercy ont commencé pour l’élaboration du budget 2014, et chacun doit faire des efforts et des économies sans augmenter les prélèvements obligatoires. Deuxième principe, l’efficience, qui commande de privilégier les options présentant le plus faible coût et permettant un gain équivalent ou supérieur. Ce n’est pas la quadrature du cercle, c’est possible. Le troisième principe est la continuité, au titre de laquelle la réforme ne doit pas entraîner d’année blanche dans les investissements outre-mer. Lisibilité et sécurité sont les piliers du quatrième principe, tant il est vrai que les investisseurs doivent pouvoir se reposer sur des dispositifs simples, stables et efficaces. Enfin, le cinquième principe est la concertation. Un débat, que je souhaite ouvert, doit être engagé pour permettre à toutes les approches et à toutes les sensibilités de s’exprimer. C’est la raison pour laquelle il m’intéresse vraiment de vous entendre.

En termes de méthode, un travail interministériel est engagé, le Gouvernement devant présenter un rapport au Parlement dans le courant du mois de mai. Tout ce travail est supervisé par un comité de pilotage composé des parlementaires des deux assemblées. Ces travaux nourriront l’évaluation menée dans le cadre du CIMAP qui aura lieu le 2 avril prochain, en présence du Premier ministre. Une instance de concertation large et ouverte se réunira régulièrement pour faire avancer la réflexion.

Le calendrier est le suivant : le 2 avril, le CIMAP fera un point sur l’avancement des évaluations sans retenir encore de solution – jusqu’à cette date, je suis très demandeur d’éléments susceptibles d’enrichir ma réflexion ; le 9 avril, première réunion de l’instance de concertation au ministère des Outre-mer ; entre le début du mois de mai et la mi-mai, remise du rapport gouvernemental au Parlement ; courant juin, troisième réunion de l’instance de concertation avec arbitrages budgétaires ; enfin, courant juillet, avant le débat d’orientation budgétaire, communication en CIMAP des termes de la réforme, avec peut-être, en conclusion des travaux, l’adoption de cette dernière. D’ici-là, il sera donc encore possible d’enrichir les propositions qui auront été formulées.

Je peux déjà vous faire part des grandes orientations, même si j’attends d’autres éléments de votre part. D’abord, nous réfléchissons au maintien des mécanismes de défiscalisation à l’impôt sur le revenu et à l’impôt sur les sociétés, en en faisant des dispositifs mieux encadrés et mieux contrôlés. On peut aller assez loin dans le contrôle et la moralisation. Sont susceptibles de participer à la moralisation des mesures telles que l’abaissement du seuil pour les projets éligibles à la défiscalisation de plein droit, l’imposition d’un agrément dès le premier euro pour les projets supposant un agrément, le renforcement de la réglementation de la profession d’intermédiaire financier, pour lequel un décret était prêt mais n’est jamais sorti, ou la restriction de l’accès à cette profession. On peut aussi augmenter les taux de rétrocession, mieux définir les plafonds pour les contribuables, recentrer l’aide sur les secteurs prioritaires, réduire ou plafonner la déduction à l’impôt sur les sociétés.

Ensuite, nous pourrions envisager de budgétiser l’aide fiscale en faveur du logement social, c’est-à-dire de l’inscrire sur la ligne budgétaire unique (LBU) gérée par le ministère des Outre-mer, et de substituer un crédit d’impôt à la défiscalisation des investissements productifs. Cela présente des avantages et des inconvénients dont on peut discuter. Ainsi, il faudra mettre en place des mécanismes de remboursement si le crédit d’impôt excède la contribution due, des mécanismes de préfinancement et des paramètres de taux et d’assiette suffisamment attractifs. Ces dispositions ne s’appliqueraient pas aux collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution, contrairement à la pratique actuelle qui leur permet de bénéficier d’une défiscalisation locale et d’une défiscalisation nationale.

Une autre grande orientation pourrait consister dans le couplage d’une défiscalisation mieux encadrée sur le logement social et d’un mécanisme alternatif pour l’investissement productif. Le logement social est le secteur où le taux de rétrocession est le plus élevé, celui dans lequel les résultats de la défiscalisation sont les plus spectaculaires puisqu’elle contribue également à soutenir l’emploi non délocalisable. Ces mécanismes peuvent être mieux maîtrisés et encadrés, et c’est une piste que l’on peut explorer. Concernant les investissements productifs, il ne faut pas s’interdire de réfléchir à un dispositif de remplacement tel que le crédit d’impôt, s’il est efficace et applicable aux collectivités régies par l’article 74. En la matière, je sollicite la créativité des parlementaires, qui pourrait venir enrichir les nombreuses propositions que nous recevons déjà des socioprofessionnels.

M. le président Jean-Claude Fruteau. La budgétisation de l’aide fiscale au logement social n’est pas compatible avec notre proposition de garder la défiscalisation dans le secteur du logement, piste que ma nature prudente inclinerait à suivre. Dans mon département de La Réunion, l’aide directe apportée par l’État à la construction de logements sociaux passe pour un tiers par la LBU et pour deux tiers par l’effort de défiscalisation. Dans le contexte budgétaire actuel, est-il possible d’imaginer la multiplication de la LBU par trois d’un coup ? La substitution d’un mécanisme à un autre n’est envisageable qu’à condition de maintenir le niveau de construction, donc d’investissement, dans le logement social, tant il est vrai que nous sommes encore bien loin de satisfaire à toutes les demandes.

Cela est d’autant plus important que c’est dans ce secteur, disiez-vous, que la défiscalisation est la plus morale puisque le taux de rétrocession y est le plus important, de l’ordre de 80 à 90 %. Ce mécanisme fonctionne, il est attractif et exempt des reproches habituellement attachés à la défiscalisation. La prudence commande de le conserver en l’état, de peur de perdre une ressource très importante qu’on aura du mal à retrouver sur le plan strictement budgétaire.

M. Serge Letchimy. Nous avons entendu de bonnes nouvelles et le calendrier est respecté, mais permettez-moi de vous taquiner un peu, monsieur le ministre. Vous entendez conserver la défiscalisation au niveau du budget de 2013, or elle est en diminution depuis plusieurs années. Nous avons été nombreux à nous battre dans l’hémicycle contre le rabotage, même si nous sommes bien conscients que chacun doit faire des efforts.

J’ai quelques inquiétudes sur le fonctionnement d’un mariage LBU-défiscalisation sur le plan local. En matière de logement social, le financement peut être assuré à travers soit la LBU, soit la défiscalisation, soit une combinaison LBU-défiscalisation. Là, les choses se compliquent puisque, en fonction des interprétations respectives de la direction générale des finances publiques (DGFiP), de la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL) et de la préfecture, les investissements peuvent être considérablement freinés. J’ai pu constater que la simple résolution de ces tracasseries techniques a permis de construire 900 logements de plus en 2013. Je vous suggère de travailler sur ce point pour débloquer certaines situations.

Si je soutiens le couplage LBU et défiscalisation pour financer le logement social, je souhaiterais aussi qu’une analyse fine soit effectuée pour le logement intermédiaire. Aujourd’hui, c’est grâce au BTP, notamment dans le logement, que nous tenons le coup. En Martinique, on est passé de 274 logements sociaux à 800 l’an dernier et on atteindra 1 750 cette année, ce qui est le signe que le dispositif commence à fonctionner. Seulement, le logement intermédiaire est en panne. Certes, le Duflot DOM va arriver mais il diffère tout de même quelque peu du  Girardin intermédiaire. Puisque vous attendez des propositions, je vous suggère de revisiter les dispositifs en faveur du logement intermédiaire, car, entre le logement social et le logement de luxe, il n’y a rien. Cela pourrait relancer la machine.

Je pense également qu’il faut revoir les investissements productifs dont la palette n’est pas suffisante et qui ne s’inscrivent pas dans une logique de filière ou d’activité économique. La défiscalisation pourrait participer au financement de la viabilisation de zones d’activité économique, de même qu’elle pourrait être intégrée de manière globale, pas seulement par entreprises, dans une filière que l’on souhaite dynamiser. Le tourisme, l’agro-pharmacie, l’agro-transformation, toutes ces filières pourraient être aidées de A à Z, depuis l’étude jusqu’à la concrétisation d’une entreprise et à l’exportation.

Mme Annick Girardin. Le logement intermédiaire est aussi un besoin à Saint-Pierre-et-Miquelon. Les intermédiaires en défiscalisation ont tendance à porter des gros projets et à exclure les petits parce que c’est compliqué. Or, sur mon territoire, nous n’avons que de petits projets et, de ce fait, nous avons bien du mal à trouver des intermédiaires. Il faudrait veiller à ce que tous les types de projet puissent bénéficier de la défiscalisation, peut-être en mettant des quotas.

Pour les petits territoires, la réflexion sur la filière pourrait avoir une pertinence. Ainsi, la pêche est une problématique à Saint-Pierre-et-Miquelon mais aussi dans presque tous les départements et territoires d’outre-mer. Raisonner en termes de filière pourrait véritablement relancer un développement économique du secteur.

Mme Chantal Berthelot. Il est vrai que le calendrier que vous avez indiqué est de nature à rassurer.

Je suis d’accord avec le président sur la nécessité de garder le couplage LBU-défiscalisation pour pouvoir faire de nouvelles opérations de logement social et maintenir le rythme des constructions. La situation de la LBU, vous l’avez dénoncée en votre temps et malheureusement vous en héritez aujourd’hui. Elle se caractérise par l’insuffisance des crédits pour faire face aux dossiers. Vous avez adressé un courrier aux opérateurs immobiliers de Guyane pour les rassurer. Effectivement, la filière du BTP, non seulement soutient nos économies, mais répond au besoin de logement de nos concitoyens. C’est pourquoi il faut l’accompagner. Ne dit-on pas que quand le BTP va tout va ?

Je partage tout à fait l’idée de filière. Si nous ambitionnons de faire de l’agriculture la locomotive du développement d’une production locale sur nos territoires, il faudra bien fournir un effort important d’accompagnement financier. La dépense fiscale doit également accompagner la filière de la pêche. Pour combattre la vie chère, réduire les émissions de CO2 en même temps que les coûts de transports et être en cohérence avec la démarche voulue par le ministre de l’agriculture de productions de proximité et de circuits courts, il faudra bien s’inscrire dans une logique de filière, notamment agricole.

M. Daniel Gibbes. J’interviens pour affirmer ma solidarité avec mes collègues puisque l’article 74 confère à Saint-Martin la compétence fiscale. Je n’oublie pas que, lors de la discussion du texte contre la vie chère, nous avions défendu ensemble la partie défiscalisation qui peut être un levier pour le logement social et intermédiaire, plus approprié à nos localités, ainsi que pour les équipements structurants.

M. Jean-Philippe Nilor. Chacun ici ne peut qu’adhérer aux options présentées. Maintenir le niveau tout en moralisant, en encadrant et en contrôlant mieux, n’est-ce pas ce que souhaitent, depuis des années, beaucoup de parlementaires, et pas seulement des parlementaires non ultramarins ? Nous aussi, nous souhaitons la moralisation ; elle ne nous est pas imposée, nous en avons pris l’initiative et voulons l’accompagner. Il me paraît important de communiquer sur ce point.

Le logement social et le logement intermédiaires sont cruciaux pour répondre aux besoins objectifs de nos populations. Il faut les soutenir par la défiscalisation, le cas échéant en rendant celle-ci encore plus efficace. Ce n’est toutefois pas grâce à ces deux segments que nous sortirons d’une logique d’importation au profit d’une logique de production locale. Le bon sens commande donc de consacrer la défiscalisation en priorité à l’investissement productif dans les filières et la recherche, par exemple dans le développement d’une agriculture propre à travers des alternatives à l’épandage aérien. En permettant de sortir d’un mode de production peu écologique, qui ne présente pas toutes les garanties en termes de santé publique, ce dispositif prendrait tout son sens.

Y aura-t-il un lien entre la défiscalisation des investissements dans les secteurs productifs et la future Banque publique d’investissement (BPI), qui peut, elle aussi, apporter un accompagnement à travers des financements, ou les choses se feront-elles de manière déconnectée ?

M. le ministre. Parmi vos nombreuses suggestions, je retiens celle relative au logement intermédiaire. Celui-ci bénéficiait du dispositif Girardin, qui a été supprimé il y a deux ou trois ans et dont ne subsistent que quelques crédits résiduels, de l’ordre de 265 millions en 2013. Le taux est meilleur que dans l’hexagone – 29 % sur une assiette de 300 000 euros – avec une obligation de location de neuf ans, comme ici. Ce type de dispositif avait bien marché en son temps. Il faudra donc surveiller très attentivement le nouveau dispositif, quitte à l’améliorer par le travail parlementaire.

Je peux entendre la demande du président Fruteau de maintenir la défiscalisation du logement social. Elle est frappée au coin du réalisme puisque, de toute évidence, le dispositif fonctionne. Je ne vous cache pas que, malgré les engagements pris au plus haut niveau, la censure du Conseil constitutionnel et la nécessité de faire des économies nous causent quelques embarras, auquel s’ajoute, pour moi, un souci d’efficacité. Aujourd’hui, il faudrait construire 10 000 logements pour répondre aux besoins sociaux. La combinaison « un tiers LBU – deux tiers défiscalisation », soit à peu près 500 millions contre 250 millions pour la défiscalisation, serait le dispositif le plus efficace et le plus rapide. Reste à analyser comment le maintenir tout en respectant nos contraintes budgétaires et de redressement des finances publiques.

Serge Letchimy veut connaître le montant des défiscalisations. J’ai pris la précaution de citer une moyenne, mais je peux préciser les chiffres : en 2011, le montant total de la défiscalisation était de 1,298 milliard ; en 2012, de 1,225 milliard ; en 2013, il est prévu 1,065 milliard. Sont compris les trois dispositifs liés à l’impôt sur le revenu (IR), à savoir ce qui reste du Girardin locatif pour 265 millions, le Girardin industriel pour 410 millions, le Girardin logement social pour 210 millions, ainsi que la défiscalisation liée à l’impôt sur les sociétés (IS), qui comprend aussi une part de logement social et de l’investissement productif pour un total de 180 millions. En résumé, 885 millions pour les trois dispositifs à l’IR et 180 millions pour la défiscalisation à l’IS, dont 500 millions à peu près sont dédiés au logement social.

Dans les arbitrages ministériels, c’est le seuil de départ qui déterminera les éventuelles économies, et c’est ce qui fait débat entre la commission des Finances, Bercy et moi-même. En accord avec Bercy, nous partons sur une épure de 1,1 milliard.

Sachant que chacun doit contribuer à l’effort de redressement, dans le contexte actuel de gel et de « surgel » des dotations budgétaires, mon souci de ministre des outre-mer, c’est de conserver aussi l’avance de 5 % que nous avons obtenue pour 2013 et de 13 % sur le triennal 2014-2016. Faire mieux avec moins, c’est ce que nous devons nous attacher à rechercher. Même si j’ai obtenu des assurances qu’il n’y aurait pas d’économies sur les outre-mer, il faut être honnête, il y a des incertitudes sur les montants.

La coordination entre les différentes autorités – préfecture, services fiscaux, DEAL – est un vrai sujet. J’ai proposé ce matin que les directions régionales des finances publiques (DRFiP) des outre-mer, qui sont gérées dans quatre villes différentes – Lyon, Marseille, Orléans et Paris –, soient rassemblées de manière à offrir à Bercy et au ministère des Outre-mer une vision plus globale des finances de ces territoires. Sur le plan local, il faut véritablement améliorer la coordination entre les projets qui sont éligibles de plein droit et ceux qui relèvent des agréments et définir qui délivre quoi. Il faudra trouver aussi un haut responsable pour le fonds d’initiative locale pour l’agriculture (FILA), une personne bien assurée, qui sache réduire les temps d’instruction des dossiers, car des durées trop longues sont préjudiciables aux investissements. Ce sera un élément de la nouvelle organisation.

Organiser des filières peut être pertinent, à condition de flécher. La LODEOM avait prévu une organisation, soit en filières, soit en zones géographiques, avec notamment les zones franches d’activité (ZFA). La Martinique, la Guadeloupe et La Réunion ont choisi les zones. J’ai demandé une évaluation de cette loi pour éventuellement réactiver des dispositifs encore bons. Or, la réforme de la taxe professionnelle a fait perdre tout intérêt à la ZFA. Du reste, celle-ci ne concernait pas la défiscalisation mais les exonérations de charges patronales de sécurité sociale pour les entreprises de plus de onze salariés. Il y a là un reprofilage à faire au bénéfice des entreprises. Je crains que cibler la défiscalisation sur l’agroalimentaire, le BTP ou l’agriculture n’empêche, en cette période d’économies, de financer aussi le tout-venant ; ou encore que l’on ne puisse pas financer à la fois la globalité, le polyvalent et la filière. Il y aura nécessairement concentration et je me méfie des concentrations thématiques, comme on en trouve en Europe et dont on veut sortir aujourd’hui, parce que, dans le cadre de ces concentrations, il n’y a pas de crédits pour tout le monde.

Pour le moment, la défiscalisation s’adresse à tout promoteur qui propose quelque chose. Les élus souhaitent un ciblage sur une activité locomotive pour le développement de la production locale. C’est là un point intéressant que, dans l’attente d’une évaluation, je n’ai pas encore tranché. Je suis preneur de toute information supplémentaire.

Annick Girardin a plaidé pour les petits projets de logements intermédiaires à la taille de son territoire. C’est vrai qu’il ne faut pas les négliger. Nous allons prendre des ordonnances qui devraient améliorer les choses et permettre à la défiscalisation de s’appliquer à des petits projets à taille humaine.

Saint-Martin, comme les collectivités du Pacifique, ont la compétence fiscale. Le problème avec notre réforme, c’est que les solutions qui pourraient être efficaces très rapidement ne peuvent pas s’appliquer dans les collectivités de l’article 74. Il faut trouver un dispositif général qui réponde aux spécificités de chaque territoire, y compris de ces collectivités et notamment de Saint-Martin.

La moralisation a commencé depuis longtemps, monsieur Nilor, à l’initiative d’Alain Richard, après que M. Séguéla a baptisé son yacht « Merci Béré ! » Même si cela remonte à plus de vingt ans, c’est l’image qui est malheureusement restée gravée dans les esprits, et c’est cette anecdote que rappellent les médias. Pourtant, aujourd’hui, il n’est plus possible pour la nomenklatura ou pour les privilégiés d’acheter en défiscalisation des biens à des fins de loisirs personnels sous les cocotiers. La seule chose qui n’ait pas été faite par nos prédécesseurs, alors pourtant qu’un décret était prêt, est la moralisation des sociétés de défiscalisation, dites « monteurs », pour éviter que certains n’accaparent une part essentielle des ressources collectées. Ce sera l’une des dernières étapes pour finaliser la moralisation, mais il faudra toutefois veiller à ne pas rendre inefficace le dispositif. Pour autant, même si cela contribue à une meilleure acceptation par l’opinion publique, ce n’est pas là que réside la solution.

La défiscalisation doit effectivement servir au développement des productions locales, d’où l’utilité des schémas de développement économique. Si l’on n’arrivait pas à placer le curseur pour le développement de filières, il y aurait moyen, à travers un partenariat avec les régions et les départements, d’associer à la défiscalisation des incitations pour diriger l’investissement productif, même porté par des promoteurs privés, vers une filière ou une autre. Demain soir, vous allez voter sur un dispositif nouveau concernant l’accès au marché de la restauration collective, dispositif qui n’avait pas été intégré dans la loi contre la vie chère par erreur. Nul besoin de loi, cependant, pour que, en amont, l’État s’entende avec les collectivités sur des plans d’action pour développer l’agriculture et l’agroalimentaire. En même temps qu’un gain en produits frais ou une plus-value consistant en de moindres émissions de CO2, on devrait ainsi, tout en respectant les législations européenne et nationale, pouvoir prioriser la production locale, en particulier l’agriculture et l’agro-transformation. C’est considérable ! Si l’on arrive à flécher une défiscalisation accompagnée d’aides incitatives des régions, on pourra donner une vraie impulsion aux filières choisies par les élus. C’est une voie qui pourrait passer par le fameux contrat territorial de développement dont je discute actuellement avec les uns et les autres.

Enfin, il pourrait y avoir un lien entre défiscalisation et BPI à travers le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), ce crédit d’impôt étant un bon moyen pour favoriser les investissements et la BPI intervenant en préfinancement. Le crédit d’impôt est refusé par les entreprises au motif que toutes ne paient pas d’impôt. Mais ce n’est pas pour autant qu’elles n’y sont pas assujetties. Elles pourraient donc bénéficier du crédit d’impôt sous la même forme que les personnes physiques reçoivent la prime pour l’emploi : un chèque du Trésor. La difficulté du crédit d’impôt, c’est qu’il est perçu ex post, ce qui pose un problème de financement ex ante. La réflexion est en cours pour trouver les dispositifs appropriés pour financer la trésorerie. De même, l’organisation de la présence de la BPI dans les régions est en discussion. En particulier, n’est pas encore tranchée la question de savoir qui, de l’Agence française de développement, d’OSÉO, de la Caisse des dépôts ou de la BPI elle-même, fera office de correspondant. Nous avons déjà quelque idée sur cette question et nous rencontrerons prochainement les parlementaires et les présidents de région pour choisir la formule définitive

M. le président Jean-Claude Fruteau. Sachant que le sujet vous est cher, nous avons réservé le meilleur pour la fin : l’agriculture.

M. le ministre. En la matière, le ministère des Outre-mer devait porter un texte spécifique. Or, le calendrier parlementaire ne permettait pas de trouver une fenêtre pour le discuter. Je me suis donc entendu avec M. Stéphane Le Foll pour qu’un volet outre-mer soit attaché à sa loi d’avenir pour l’agriculture. Je vise deux objectifs opérationnels : adapter la gouvernance du développement économique de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt dans nos territoires ; définir des pratiques agro-écologiques adaptées à chaque territoire.

Le calendrier est difficile. Un travail interne à l’administration est engagé depuis quelque temps déjà pour identifier les grandes orientations et les sujets de nature législative qui pourraient être traités dans le titre « Outre-mer ». Je travaille avec M. Stéphane Le Foll à en définir le cadre général. J’ai également engagé une concertation locale avec les socioprofessionnels et les élus. Je suis très attentif à ce que vous faites de votre côté, et j’attends les propositions que la Délégation ne manquera pas de faire dans son rapport. La date de présentation du texte en Conseil des ministres a été repoussée à septembre et le Parlement devrait pouvoir l’examiner à la fin du second semestre ou au début du premier semestre 2014. Je n’ai pas de date plus précise.

Les réflexions en cours concernent la territorialisation de la gouvernance du développement agricole. Aujourd’hui, les régions n’ont pas beaucoup de responsabilités dans ce domaine, c’est une compétence plutôt communautaire et encore un peu nationale. On ne sollicite les régions que pour des subventions, pas pour peser sur des orientations. Il faut leur donner plus de responsabilités réelles sans pour autant faire disparaître l’État. Il y a là un équilibre à trouver, peut-être en partie dans l’acte III de la décentralisation.

Le dossier considérable de la décentralisation des fonds communautaires fait l’objet d’une réflexion. Le Président de la République, en recevant l’Association des régions de France et l’Association des départements de France, a très clairement indiqué que, dès le 1er janvier, si les régions le demandaient, elles pourraient gérer les fonds communautaires. Aucune ne l’a demandé et la seule expérimentation qui s’est déroulée en Alsace n’a pas été généralisée. À partir de l’adoption de l’acte III, deux ou trois solutions seront envisageables : le transfert, la délégation ou une sorte de cogestion avec l’État, que La Réunion expérimente un peu par le biais de l’AGIL, l’Agence de gestion des initiatives locales. Il est envisagé de décentraliser et réformer l’action des programmes opérationnels et du futur FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) pour l’agriculture. Certains posent la question pour le POSEI, Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, le premier pilier de la PAC, pour mieux coller aux problématiques locales.

En tout état de cause, il faudra conserver un rôle à l’État, ne serait-ce que de soutien, par exemple au cas où, à la suite d’erreurs, la commission interministérielle de coordination des contrôles demanderait un remboursement qui pourrait ruiner une région. Si une région demande le transfert plein et entier, elle assumera ses responsabilités. Si elle opte pour une délégation, la région aura prééminence mais l’État sera présent à travers les préfets et pourra faire entendre ses orientations sur le FEADER. Je ne parle pas de l’affectation du CASDAR, compte d’affectation spéciale pour le développement agricole et rural, qui présente un problème d’adaptation et pourrait faire l’objet d’un programme spécifique.

Pour le développement de leur agriculture, les outre-mer disposent d’outils comme l’Office de développement de l’économie agricole des départements d’outre-mer (ODEADOM) et les chambres d’agriculture. L’ODEADOM gère les fonds européens. Si ces derniers étaient décentralisés, ce qui resterait à l’office reviendrait à FranceAgriMer. Quant aux chambres d’agriculture, elles sont partout en difficulté. Sans les régions, elles ne tiendraient pas, d’où la proposition, parmi d’autres, d’en faire des établissements publics régionaux. Je comprends l’émoi des socioprofessionnels s’agissant d’instances élues au suffrage universel. Ce serait un coup dur pour la démocratie de proximité. Sur cette question du statut des chambres, on pourrait peut-être s’inspirer de la pratique dans les collectivités de l’article 74. Les régions doivent aussi mettre en œuvre un plan d’action par territoire, fondé sur le POSEI et le FEADER, et qui définisse des programmes coordonnés.

Une réflexion va être lancée sur les nouvelles pratiques culturales, tant en ce qui concerne les modalités de leur mise en œuvre que l’identification de celles qui sont les plus adaptées à la reconquête des marchés intérieurs, ainsi que sur les moyens de mieux peser sur la demande ou de proposer une offre répondant mieux aux attentes des consommateurs. La facilitation des signes de qualité ou les groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE), dont la fonction reste à préciser, peuvent constituer des outils utiles. Un travail réel sur la qualité est le meilleur moyen pour diversifier l’offre de produits transformés, obtenir des signes de qualité reconnus et conquérir des marchés.

Le soutien et le développement de l’agriculture familiale sont une autre piste de réflexion. Elle aurait dû être la première, d’ailleurs, en raison de l’inadaptation à nos territoires du modèle transposé de développement agricole spécifique aux zones tempérées. Il faut repenser la philosophie du développement dans une perspective de territoires d’excellence biologique et agro-écologique.

Autre sujet, la réorientation du financement. Aujourd’hui, deux secteurs  préemptent 81 % du financement : la banane pour 53 % et la filière « canne-sucre-rhum » pour 28 %. Autant dire qu’il ne reste pas grand-chose pour la diversification animale et végétale. La question suscite des crispations mais il est indispensable de la soulever. Ce sera aux élus de prendre leurs responsabilités pour réorienter les ressources vers un développement plus localisé, plus axé sur la conquête du marché local. C’est la raison pour laquelle le marché de la restauration collective est éminemment important pour le développement agricole.

La commercialisation directe locale est un enjeu, et elle est au cœur du texte que porte Mme Hélène Vainqueur, intitulé « Garantir la qualité de l’offre alimentaire ». Dépassant la simple problématique du sucre ou des produits surdosés en sucre, cette proposition de loi introduit deux nouveautés : à travers la date limite de consommation, elle égalise les conditions de concurrence ; en définissant un environnement juridique plus précis, elle favorise la conquête du marché local et ouvre des possibilités de développement à nos agricultures et à notre transformation agroalimentaire.

Seront également abordées l’installation des jeunes et les retraites, ces dernières constituant une question très prégnante. Les temps sont difficiles mais on ne peut pas faire l’impasse sur ce dossier et sur les efforts que chacun doit être prêt à consentir.

En matière de foncier, la remise à niveau des terres agricoles insuffisamment exploitées est un serpent de mer qu’il faut reprendre. Citons aussi les différents problèmes connexes : la définition d’un périmètre agricole sur les terres de l’État, les conditions de l’aménagement foncier sur les terres inexploitées aux fins d’exploitation et le code du domaine public en Guyane ; la révision de certains articles du code général de la propriété publique ; l’agriculture sur abattis ; les procédures de défrichement ; la révision du statut départemental ou domanial aux Antilles comme à La Réunion ; les problèmes de nue-propriété et de droit d’usage sur les anciens domaines de la colonie passés sous statut en 1948.

Je terminerai ce panorama avec l’industrie agroalimentaire, pour laquelle nous prévoyons d’organiser des assises. Sur ce dossier, vous pourriez m’aider à enrichir le texte.

Mme Chantal Berthelot. Comme vous, monsieur le ministre, je regrette que les agricultures des outre-mer ne puissent pas être traitées dans une loi spécifique. Après vos explications, nous en comprenons les raisons.

Dans le cadre de la Délégation, nous avons défini cinq thèmes sur lesquels travailler : les structures agricoles et le foncier ; le renforcement des productions locales ; la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » ; l’installation des jeunes agriculteurs ; le statut social des agriculteurs et la situation des retraités agricoles outre-mer. Puisque notre rapport aura vocation à vous fournir des éléments dans l’élaboration de votre projet de loi, nous souhaiterions, d’abord, avoir quelques précisions sur le calendrier auquel nous-mêmes devrons nous tenir. Ensuite, outre les sujets que je viens d’indiquer, peut-être en est-il d’autres que nous pourrions aborder, qui vous sembleraient plus directement en rapport avec le texte.

Parmi les thématiques que nous avons en commun, il y a les structures agricoles. À ce sujet, vous avez parlé d’agriculture familiale ; je précise que l’on parle plutôt d’agriculture traditionnelle.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Il nous revient de déterminer notre calendrier en fonction de la date butoir que nous a indiquée M. le ministre. Notre rapport n’aura d’intérêt que s’il est livré bien avant la présentation du texte en conseil des ministres.

M. Jean-Philippe Nilor. Je ne vois pas d’inconvénients à ne pas avoir de loi spécifique pourvu que la loi générale soit construite autour de bonnes orientations et pourvu qu’elle prenne nos intérêts en considération. Plutôt que de flatter notre égo, mieux vaut privilégier le fond, et les orientations que vous avez présentées, monsieur le ministre, m’ont paru excellentes. Espérons que, d’ici à 2014, elles ne s’infléchiront pas sous diverses pressions. Par esprit de provocation, je dirais que nous avons retrouvé, à la tête du département ministériel, le fougueux jeune député utopiste qui voulait changer les choses en profondeur, et je m’en réjouis. Je dirais même plus : ces orientations, Hugo Chávez ne les aurait pas reniées ! Derrière ces idées de développer les pratiques culturales et de soutenir l’agriculture familiale, je sens les vraies valeurs du socialisme, d’un socialisme qui n’est pas du tout superficiel.

Je n’ai rien entendu sur le chlordécone. Vouloir développer les productions locales, c’est très bien, mais si ce que l’on sert à nos enfants ne présente pas toutes les garanties sanitaires, à quoi bon ? J’espère que nous ne manquerons pas l’occasion de légiférer une fois pour toutes sur la question de l’épandage aérien des pesticides. Sachez que si le texte n’aborde pas ce sujet de santé publique, nous présenterons des amendements pour le régler définitivement. Pour le reste, les orientations présentées me paraissent relever d’une excellente politique.

M. Boinali Said.  Je suis, moi aussi, satisfait de la richesse des thématiques abordées et j’espère que les projections se réaliseront.

Je souhaite attirer l’attention sur deux aspects propres à Mayotte : l’insertion et le foncier, notamment agricole, dont la gestion est problématique.

M. Serge Letchimy. Notre Délégation a ceci d’intéressant qu’elle nous permet de nous impliquer dans les textes très en amont grâce à la production de rapports. La politique agricole est un sujet central et je regrette, même si je me range à vos arguments, monsieur le ministre, qu’un texte spécifique ne traite pas celle de l’ensemble des régions ultramarines. Malgré votre bonne volonté et votre détermination, il faut s’attendre à ce que le volet outre-mer du texte de M. Le Foll subisse un effet de rétrécissement lié à la discussion législative.

Vous avez posé une série de problèmes que je ne conteste pas, excepté pour ce qui relève des fonds européens : la Martinique a demandé la gestion directe de ces fonds, de même, me semble-t-il, que la Guyane. Dans notre lettre au préfet, nous avons demandé l’ensemble des fonds transférables. Au regard de la gouvernance et du pilotage des politiques agricoles locales, c’est un élément central pour éviter que, dans le patchwork des responsabilités, la politique agricole du département de la Martinique perde toute cohérence, diluée entre la direction départementale de l’agriculture (DDA) pour les aspects scientifiques et techniques, la chambre d’agriculture pour certaines orientations, la région pour les financements, parfois le département pour le foncier, et j’en passe. D’autant que, avec l’acte III de la décentralisation et l’évolution vers la compétence de la collectivité unique en matière de politique agricole, un pas extrêmement important va être franchi. C’est pourquoi le risque de voir cette question noyée dans le débat national, subissant, en quelque sorte, un traitement « d’assimilation législative », me paraît difficilement acceptable.

Je suis très satisfait de l’amendement concernant l’accès à la restauration collective. La loi d’avenir pour l’agriculture nous permettra d’aller beaucoup plus loin par un ajout au code des marchés qui me semble très utile. De même que pour l’accès à la restauration collective, les aides publiques, à l’hôtellerie par exemple, sont soumises, et doivent continuer à être soumises, à conditions. Nous signons également, avec les centres commerciaux, des conventions qui garantissent l’accès des productions locales.

Nous avons un vrai problème de structuration des interprofessions en filières à l’image de celle de la banane, qui est organisée du pied de bananier jusqu’à Rungis. Sans être pro-banane, je salue cette réussite, même si elle est entachée du problème des pesticides et du chlordécone. Pour ne pas être dépendants d’un seul produit, il me semble utile de réfléchir à des filières d’excellence labellisables, qu’elles soient nouvelles ou à relancer. Le café martiniquais, par exemple, pourrait fort bien concurrencer le café d’excellence de La Réunion, très cher et fort prisé des Japonais. Mais on peut également penser au cacao, au manioc, à la vanille.

Toujours dans une logique de filière, l’agro-transformation doit être soutenue, à travers notamment la possibilité d’importer des intrants de pays tiers non européens, et l’exportation doit être accompagnée. Il faut trouver le moyen de protéger a minima la production locale, notamment de diversification agricole, car la banane accapare toutes les compensations européennes. Je serais d’avis de copier le modèle de la banane, qui sort d’un espace européen pour rentrer dans un autre espace européen sous un régime de quota. La clause de sauvegarde de la Communauté européenne, appliquée de manière exceptionnelle, permettrait, pendant une durée comprise entre trois et six ans, d’assurer l’éclosion d’une production de base. C’est peut-être une forme de protectionnisme mais comment faire autrement ? Puisque nous avons retrouvé notre Hugo Chávez à nous, osons naître pour être concurrentiels ! Créez des incubateurs économiques en Guadeloupe et en Martinique, monsieur le ministre, et vous verrez comme l’agriculture va décoller !

M. le ministre. J’ai appris à être pragmatique et réaliste : jamais une loi spécifique à l’agriculture des outre-mer n’aurait pu passer dans un délai raisonnable. En revanche, pour éviter sa dilution dans un texte répondant plutôt aux besoins d’une agriculture de zone continentale et tempérée, je serai sur le banc du Gouvernement avec mon collègue, M. Stéphane Le Foll, pendant la discussion au Parlement. Plutôt qu’une loi d’orientation et de modernisation, ce sera une loi d’une nouvelle catégorie juridique, une loi d’avenir qui sera porteuse de dispositifs opérationnels.

Au-delà d’une loi spécifique, ce qui nous manque, c’est un texte de codification à législation constante qui permettrait de réunir les textes aujourd’hui dispersés dans plusieurs codes : le code civil, le code de l’environnement, le code rural et le code de l’urbanisme. Avec un tel code, nous pourrions faire valoir nos particularités.

Je serai très attentif aux réflexions de votre Délégation que Mme Chantal Berthelot et M. Hervé Gaymard reprendront dans leur rapport.

Je ne rêve plus à l’autosuffisance alimentaire, tout au plus à une certaine autonomie. Cela nécessite de mettre au point, en amont, un système et des itinéraires techniques, toutes précisions qui ne figureront pas dans la loi. Celle-ci pourra affirmer la volonté de faire de nos îles et de la Guyane des territoires d’excellence écologique, mais jamais elle ne précisera que les seuls systèmes désormais tolérés dans les outre-mer seront la fertilisation croisée ou les pratiques biologiques et écologiques.

Comment passer de l’exploitation familiale à plusieurs unités de travail humain (UTH), intensive et productiviste, à l’agriculture raisonnée, biologique et écologique, dans des régions tropicales qui ne bénéficient pas des vertus de l’hiver ? Sous nos latitudes, il suffit d’intensifier quelque peu la production pour favoriser les maladies. En l’absence de solutions permettant de gagner en efficacité tout en respectant certains principes fondamentaux, l’épandage aérien s’est imposé comme une réponse. Il est temps de se tourner vers des systèmes agro-écologiques. C’est le moment ou jamais de parler de l’épandage aérien, des pesticides, des plans d’action à engager sur le chlordécone, notamment pour répondre aux réglementations de minimis que l’Union européenne veut imposer aux pêcheurs martiniquais et guadeloupéens à cause de la pollution des eaux dont ils ne sont pas responsables.

Le département de Mayotte est en effet confronté à un problème lié aux structures foncières, que ce soit les structures foncières en général ou les structures agricoles, et à des difficultés concernant aussi bien le cadastre que le plan local d’urbanisme (PLU), les règlements d’urbanisme ou encore les normes fixant la destination des sols et des zones agricoles protégées. C’est vrai chez nous aussi. Les SAR, schémas d’aménagement régionaux, devront en tenir compte en définissant des objectifs réalistes, des plans d’action dans la durée.

La conditionnalité peut commencer à travers les donneurs d’ordre que sont les maires en matière de cantine scolaire, les directeurs d’hôpitaux, les directeurs de maisons de retraite, les grandes entreprises qui proposent une restauration collective. L’agriculture doit s’organiser pour y répondre.

La structuration des filières soulève le problème des interprofessions. En Martinique et à La Réunion, l’interprofession, qui paie une redevance sur les importations de viande, tente d’organiser la filière de l’élevage en regroupant les éleveurs, les bouchers, les importateurs, les frigoristes. L’ARIBEV à La Réunion, l’AMIBEV à la Martinique, ça marche ! Il faut encourager ces groupements de producteurs, ces coopératives, ces mutuelles, qui ont, dans nos régions, un cycle de vie d’une quinzaine d’années, ce qui nécessite de les renouveler sans cesse. Entêtons-nous, poursuivons inlassablement ce travail de structuration ! La filière de la banane fonctionne parce qu’il s’agit d’un produit d’exportation. La banane produite en Martinique ne pourrait jamais être consommée localement, sauf si elle y était transformée, par exemple en petits pots pour bébé ou en jus.

Il faut maintenant chercher à développer des marchés intérieurs, en particulier celui de la restauration collective qui est considérable par sa permanence et sa régularité. C’est à cette seule condition que le maraîchage et la transformation auront suffisamment de débouchés. Quand les donneurs d’ordre, les maires, ajoutent à leurs critères d’attribution de marchés une clause de performance visant la fraîcheur et les émissions de CO2, ils contribuent à mettre en place l’agro-écologie et l’excellence, à travailler à la sauvegarde de la planète.

La loi qui pose les grands principes doit être accompagnée de plans d’action. Ainsi, parallèlement à la loi de lutte contre la vie chère, des régions, des départements, des villes, des chambres consulaires, notamment à Pointe-à-Pitre et à Saint-Pierre-de-La-Réunion, ont créé des plates-formes logistiques, des centrales d’achat. Et cela fonctionne ! Je suis convaincu que si les petits commerçants de proximité se regroupaient aussi, ils arriveraient à faire baisser les prix dans les campagnes, tout en préservant leurs marges. Ce n’est pas de la loi qu’il faut attendre cela, il faut le décider, le vouloir. La structuration réclamée par M. Serge Letchimy, c’est l’affaire des professionnels. D’où l’importance d’avoir des chambres consulaires offrant un encadrement de qualité, des instituts de recherche compétents, ainsi que le courage politique de redéfinir et de réorienter les financements sur d’autres filières que la seule banane, sans que cela nuise à ce type de production. Le temps est venu de récolter les dividendes de l’argent public qui a été mis dans les mûrisseries, de regarder en toute transparence si les investissements sont payés de retour. C’est un dossier qui demandera un énorme travail.

Monsieur Letchimy, je vais vérifier où en est la demande de gestion directe des fonds européens par la Martinique.

Nous avons entamé la transposition, dans la loi de modernisation agricole (LMA), du texte relatif à la restauration collective qui sera examiné demain. Les critères de performance, qui n’étaient qu’optionnels, deviendront obligatoires dans les appels d’offres. Évidemment, en l’absence de production locale, ce critère ne sera pas pris en considération dans le marché.

Introduire la conditionnalité est séduisant, mais il faut s’assurer qu’elle ne sera pas censurée, en tant que mesure protectionniste, par les lois nationales et le droit communautaire. Les critères d’émission de CO2, les obligations de fournir des produits frais et relevant d’une agriculture de proximité, ont déjà passé l’épreuve de la censure de différents organismes, y compris le Conseil constitutionnel. Quant à soumettre l’obtention d’un marché à des conditions telles que l’embauche de jeunes de la commune, le respect de l’environnement ou d’un cahier des charges – un itinéraire technique en agriculture –, cela existe déjà. Pour cela non plus, il n’y a pas besoin de loi.

Les nouvelles filières en Martinique et en Guadeloupe en sont au démarrage. Dans le café, elles s’appuient sur des cultivars très connus, comme le jamaïcain, meilleur que le Blue Mountain. Il y a très longtemps, on nous avait demandé de renforcer la protection du café en fixant l’octroi de mer à 25 %, alors que le café consommé en Guadeloupe vient de Colombie. Pourtant, nous avons une petite production locale, de grande qualité, qui travaille un cultivar rare, et que nous pourrions relancer à travers une démarche de développement impliquant une très haute qualité environnementale et une labellisation. L’avenir de notre agriculture, comme de notre tourisme, est dans la très haute qualité.

S’agissant de l’accompagnement à l’exportation vers les pays voisins et de la protection a minima de la production agricole, dans une logique d’économies d’échelle et d’étendue de marché, il est incontestable que les pays voisins peuvent constituer de vrais débouchés dans la réciprocité. Mais je fais remarquer à M. le président Fruteau que certains responsables de La Réunion m’avaient reproché d’exposer à la ruine la production locale avec l’ouverture aux pays voisins dans la loi sur la régulation économique outre-mer. C’est pourquoi une condition de réciprocité avait été posée. Or, certains accords de partenariat économique ne comportent pas une telle condition, ce qui pose problème. Pendant une période d’asymétrie, les produits de l’Afrique, des Caraïbes et du pacifique (ACP) peuvent entrer chez nous, mais l’inverse n’est pas vrai. Je vais tâcher de rééquilibrer les termes de l’échange.

Comment, tout en restant dans le territoire douanier européen, sous le statut de région ultrapériphérique (RUP), s’ouvrir aux pays voisins ? Comment déroger aux normes européennes et importer, par exemple, du pétrole du Venezuela, du Brésil ou de Curaçao – du brut uniquement pour ne pas risquer la disparition de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA) ? J’ai déjà demandé à Shell si le pétrole guyanais qui sera exploité dans dix ans pourra être en partie raffiné à la Martinique. A priori, il irait à Trinidad, mais tout dépendra de l’importance du gisement. Il faudra être très vigilant.

Sur la protection a minima, le seul instrument dont nous disposions aujourd’hui est constitué par l’octroi de mer dont il faudrait pouvoir moduler les taux selon les cycles de production. En pleine saison de l’igname en Guadeloupe et en Martinique, par exemple, il n’est pas normal de faire entrer dans ces départements les ignames du Costa Rica, à des prix cassés et sans garantie de traitement sans chlordécone. Or, l’Europe ne nous permet pas d’aller au-delà de 30 %. C’est, là encore, un sujet que nous aurons à creuser lorsque le projet de loi arrivera.

À ce sujet, je vous indique, et je finirai là-dessus, que le texte sera soumis au Conseil d’État au mois de juin. Il vous reste donc deux mois pour formuler vos propositions, car c’est en amont qu’il faut apporter des enrichissements. Toute modification ultérieure devra passer par voie d’amendement, ce qui, vous le savez, est plus compliqué.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, monsieur le ministre, de nous avoir consacré autant de temps. Nous y avons été très sensibles. Soyez persuadé que nous vous solliciterons encore.

M. le ministre. Je suis à la disposition de la Délégation.

La séance est levée à 19 heures 50.

Informations relatives à la Délégation

La Commission a désigné M. Patrick Ollier et M. Jean-Claude Fruteau, rapporteurs sur la défiscalisation des investissements outre-mer.