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Délégation aux Outre-mer

Mardi 9 juillet 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 23

Présidence de Mme Chantal Berthelot, vice-présidente

– Table ronde, ouverte à la presse, sur l’agriculture outre-mer, avec la participation de :

– FNSEA : M. Pascal Ferey, vice-président, Mme Sophie Galard, en charge des relations avec l’outre-mer, et Mme Nadine Normand, chargée des relations avec le Parlement ;

– Confédération paysanne : M. Alex Bandou, membre du comité national pour la Guadeloupe et secrétaire général de l’Union des producteurs agricoles de Guadeloupe (UPG), M. Pascal Fricker, membre du comité national pour la Guyane, M. Claude Cellier, secrétaire national ;

– Jeunes agriculteurs : M. Sébastien Bellemene, président de Jeunes agriculteurs outre-mer, M. Antoine Fesneau, délégué régional, M. Cédric Coutellier, administrateur de Jeunes agriculteurs outre-mer et de Jeunes agriculteurs Guadeloupe ;

– Coordination rurale : M. François Lucas, vice-président, M. Juvénal Remir, secrétaire général pour la Martinique, Mme Adeline Gachein, coordinatrice au développement syndical

La séance est ouverte à 17 heures 05.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président.

La délégation aux Outre-mer reçoit à l’occasion d’une table ronde, ouverte à la presse, sur l’agriculture outre-mer : M. Pascal Ferey, vice-président, Mme Sophie Galard, en charge des relations avec l’outre-mer, et Mme Nadine Normand, chargée des relations avec le Parlement  (FNSEA) ; M. Alex Bandou, membre du comité national pour la Guadeloupe et secrétaire général de l’Union des producteurs agricoles de Guadeloupe (UPG), M. Pascal Fricker, membre du comité national pour la Guyane, M. Claude Cellier, secrétaire national (Confédération paysanne) ; M. Sébastien Bellemene, président de Jeunes agriculteurs outre-mer, M. Antoine Fesneau, délégué régional, M. Cédric Coutellier, administrateur de Jeunes agriculteurs outre-mer et de Jeunes agriculteurs Guadeloupe (Jeunes agriculteurs) et M. François Lucas, vice-président, M. Juvénal Remir, secrétaire général pour la Martinique, Mme Adeline Gachein, coordinatrice au développement syndical (Coordination rurale).

Mme Chantal Berthelot, présidente. Chers collègues, Mesdames, Messieurs, permettez-moi, tout d’abord, d’excuser notre président, M. Jean-Claude Fruteau, retenu à La Réunion où il accompagne, dans le cadre de ses fonctions, le Président des Seychelles en visite officielle, ainsi que Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique. Il m’a demandé de présider à sa place la table ronde de cet après-midi, car, outre le fait d’être vice-présidente, je suis, avec M. Hervé Gaymard, co-rapporteure des travaux que notre Délégation conduit actuellement sur les agricultures des outre-mer. Ces travaux nous permettront d’alimenter la future loi d’avenir pour l’agriculture.

Après une rapide présentation des uns et des autres, M. Hervé Gaymard introduira les différentes thématiques sur lesquelles nous souhaitons entendre nos invités. Puis chacun pourra exprimer ses préoccupations et préconisations concrètes qui nourriront notre réflexion et que nous nous attacherons à relayer auprès des instances compétentes si nous les approuvons.

Nous accueillons donc le vice-président de la FNSEA en charge des outre-mer, M. Pascal Ferey ; sont également présentes à ses côtés Mme Sophie Galard, chargée des relations avec l’outre-mer, et Mme Nadine Normand, chargée des relations avec le Parlement ; pour la Confédération paysanne, nous avons le plaisir de recevoir M. Alex Bandou, secrétaire général de l’Union des producteurs agricoles de Guadeloupe, M. Pascal Fricker, du Groupement régional des agriculteurs de Guyane, et M. Claude Cellier, secrétaire national ; pour les Jeunes agriculteurs, nous recevons M. Sébastien Bellemene, président de Jeunes agriculteurs outre-mer, M. Antoine Fesneau, délégué régional, et M. Cédric Coutellier, administrateur de Jeunes agriculteurs outre-mer et de Jeunes agriculteurs Guadeloupe ; enfin, pour la Coordination rurale, sont présents M. François Lucas, vice-président, M. Juvénal Remir, secrétaire général pour la Martinique, et Mme Adeline Gachein, coordinatrice au développement syndical.

M. Hervé Gaymard, co-rapporteur. Je suis heureux de retrouver certains d’entre vous, croisés dans une autre vie. Mme Chantal Berthelot et moi-même avons grand plaisir à travailler sur ce dossier des agricultures des outre-mer en raison de la diversité des sujets qu’il recouvre, qu’il s’agisse des structures agricoles, du foncier, des productions locales ou des productions destinées à l’export, dont la politique a une forte dimension européenne. Le moment est important puisque la politique agricole commune est en cours de réforme et qu’une loi d’avenir pour l’agriculture est en préparation. Notre rapport, qui sera publié à l’automne, a pour objet de paver le chemin de notre réflexion.

M. Pascal Ferey, vice-président de la FNSEA. Mesdames, Messieurs les députés, merci de votre invitation. C’est une heureuse initiative que de profiter de la préparation de la loi d’avenir pour l’agriculture pour jeter un regard particulier sur les agricultures des départements d’outre-mer. Je suis moi-même agriculteur sur la presqu’île du Cotentin où l’eau est un peu moins chaude et l’agriculture plus continentale, mais je m’intéresse, depuis 1992, à l’évolution des agricultures des départements d’outre-mer.

Qu’elles soient pratiquées dans l’océan Indien ou sur la côte atlantique, ces agricultures se caractérisent par des points d’ancrage importants. Outre-mer, on distinguera, d’une part, le pôle sucre, qui est très important à La Réunion et en Guadeloupe, et où la restructuration, dans les années 1990, de la sucrerie Gardel, à laquelle nous avons participé avec l’ODEADOM, a été l’occasion de mettre en place, à travers une organisation forte des producteurs, une politique très structurée et structurante sur les deux îles. Par ailleurs, en Martinique, le sucre est surtout transformé en rhum dont la qualité est renommée. Et on distinguera, d’autre part, le pôle banane, qui est très encadré, très structuré et bien accompagné par l’Union européenne aux Antilles. Aujourd’hui, ces deux productions essentielles représentent plusieurs milliers d’emplois non délocalisables qui gravitent autour de l’agriculture.

Ces deux points forts de l’agriculture s’accompagnent d’éléments de faiblesse. Les expérimentations conduites avec nos collègues agriculteurs d’outre-mer ont montré que, en matière d’élevage et de maraîchage notamment, il fallait repenser le modèle de développement. Bien sûr, cela passe par la formation des hommes, en particulier des jeunes, mais aussi des salariés. Le Fonds national d’assurance formation des salariés des exploitations et entreprises agricoles (FAFSEA) s’investit beaucoup dans ce dossier. C’est ainsi qu’après les différents cyclones, le fonds a fait en sorte d’éviter le chômage aux salariés d’exploitations agricoles en les prenant en charge. Nous avons alors collectivement décidé que, quel que soit le budget, toutes les demandes seraient satisfaites.

Le volet économique suscite beaucoup d’amertume, sauf, peut-être, à La Réunion qui apparaît comme un modèle en matière d’encadrement et d’organisation de la production, de formation des agriculteurs et de performance des outils agroalimentaires. Cette île est devenue, pour certaines productions animales ou végétales, exportatrice nette, ce qui n’est pas toujours simple, alors qu’on sent quelques crispations dans les échanges avec nos amis mahorais. Les Antilles, en revanche, donnent moins de satisfaction en ce qui concerne les secteurs animal, végétal et de maraîchage. Sur 160 000 tonnes consommées, seules 15 000 à 20 000 tonnes sont produites localement, le reste étant importé. Toutes les expériences lancées dans le cadre de l’ODEADOM ont échoué. L’échec le plus criant, en Martinique, a concerné la production d’ananas au Morne-Rouge ou au Gros-Morne : malgré une production existante et un outil industriel moderne, l’offre n’était pas structurée.

Si la loi d’avenir revient sur les fondamentaux, le volet accompagnement des agriculteurs doit comporter des mesures d’aide à la structuration de l’offre. On ne peut pas continuer à investir dans des outils inadaptés, comme cet abattoir en Martinique financé il y a trois ans, qui était censé traiter 65 000 poulets par jour mais qui atteint péniblement les 35 000. Il faudra faire preuve d’audace. Cette agriculture, en bien des endroits, ressemble à celle de métropole. Pourquoi, en matière de productions animales, telles que le porc et la volaille, ne pas favoriser les plans de modernisation des bâtiments d’élevage pour le secteur hors-sol ? Structurer les bâtiments, c’est aussi pérenniser les outils de production après les dégâts occasionnés par les cyclones et les ouragans. Trop de bâtiments agricoles tombent en désuétude après ces catastrophes naturelles, malgré l’intervention très forte des collectivités et de l’État. Un premier point serait donc de permettre aux agriculteurs d’accéder aux aides à la modernisation. En contrepartie, les filières devront être organisées. On ne peut pas continuer d’injecter des centaines de milliers d’euros au titre du particularisme insulaire sans les assortir d’obligations. En métropole, les aides sont conditionnées à la structuration de la production. Sur ce point, il nous faut nous organiser collectivement.

Troisième sujet, l’avenir. Alors que la France vient de signer son engagement sur le budget de l’Europe et sur la PAC, on peut se demander si les deux éléments structurants financiers que sont les organisations communes de marché (OCM) de la banane et du sucre pourront perdurer. Plaide en leur faveur la volonté politique forte de maintenir de l’emploi dans l’agriculture et l’agroalimentaire, qui sont les premières richesses après le tourisme. Toutefois, nous sommes de plus en plus isolés sur l’échiquier européen : l’Espagne et le Portugal, ayant réglé leurs problèmes, considèrent que l’éloignement et l’insularité ne sont plus des questions européennes mais purement françaises et ne sont plus disposés à nous accompagner sur la banane. La renationalisation des politiques serait extrêmement dangereuse, non seulement pour les deniers de l’État, mais aussi pour l’insertion de l’agriculture domienne dans l’Union européenne.

Il faudrait avoir un jeu d’avance. Je ne pense pas qu’on maintiendra très longtemps le principe du couplage des aides financières et de la production. On le voit sur l’OCM sucre, qui est aujourd’hui préservé parce que la France ne remplit pas son quota de sucre blanc. Le sucre roux étant contingenté dans le même volume, on a pu sauver cette particularité française. Il nous faut anticiper selon la périodicité budgétaire de l’Union européenne et regarder à l’horizon 2020-2026 pour déterminer quels seront les grands enjeux. Selon que le couplage restera la règle ou non, les réponses seront différentes. La FNSEA propose d’avoir une politique volontariste pour produire et manger local. Il n’est pas supportable d’avoir aujourd’hui des dizaines de milliers d’hectares de terres inutilisés alors qu’en organisant la production maraîchère et les marchés locaux, on pourrait créer de l’emploi et se donner pour ambition de produire au moins 50 % des légumes ou des végétaux nécessaires à l’équilibre alimentaire de nos départements d’outre-mer. Il faut néanmoins bien distinguer entre légumes, tubercules et autres, en raison des particularités très fortes de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion.

J’insiste encore sur la nécessité absolue de formation des jeunes agriculteurs, mais aussi d’un accompagnement et d’un encadrement de qualité, qui ne s’évalue pas en nombre de techniciens et d’ingénieurs, mais en niveau d’expérience de l’insularité. J’appelle l’INRA et le CIRAD à continuer à chercher activement des techniques alternatives aux produits chimiques, des méthodes permettant à l’agriculture de ces départements d’entrer dans le XXIe siècle.

M. Alex Bandou, secrétaire général de l’Union des producteurs agricoles de la Guadeloupe. Je précise que mon organisation est affiliée à la Confédération paysanne. Je suis agriculteur en Guadeloupe où le secteur agricole est en train de s’organiser sur d’autres productions que les deux piliers que sont la canne et la banane. Historiquement, l’agriculture a été structurée selon des modèles qui ne correspondaient pas à la réalité du territoire. La charrue a très souvent été mise avant les bœufs. En Guadeloupe aussi, nous avons des abattoirs surdimensionnés qui n’ont jamais atteint les volumes de porcs et de volailles abattus pour lesquels ils avaient été conçus. La réflexion lancée aujourd’hui est une opportunité de remettre le système à plat et d’envisager une agriculture véritablement adaptée aux outre-mer.

Autonomie et souveraineté alimentaires sont des notions que nous avons très souvent mises en avant, que la désorganisation de notre agriculture ne permettait pas d’atteindre. Aujourd’hui, les filières s’organisent, tant au niveau de la viande que du végétal : des interprofessions se sont mises en place, l’IGUAVIE pour la viande, l’IGUAFLORE, pour les fruits et légumes. Si des réglages restent à faire, ces organismes fonctionnent bon an mal an. Reste que nous avons aujourd’hui l’opportunité de jeter de nouvelles bases pour une agriculture adaptée à la réalité du pays.

Les échos qui nous sont parvenus des réflexions du commissaire européen Ciolos sur le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI) ont fait naître des réactions aux niveaux national et local. En Guadeloupe, l’inquiétude grandit pour nos deux piliers que sont la banane et la canne. Au fond, c’est grâce à la canne qu’il y a de la diversification sur le territoire guadeloupéen. Le dernier recensement a montré qu’en dix ans, la Guadeloupe a perdu près de mille hectares de terres agricoles par an au profit de l’urbanisation. Pour autant, la production de canne s’est maintenue à 14 000 hectares. C’est dire si elle a le pouvoir de préserver le foncier.

Quelle que soit la production qui remplacera la canne, il faut bien penser qu’on sera très rapidement en surproduction, ce qui conduira à une dérégulation du marché. Selon les derniers rapports, nous avons atteint dans le secteur maraîcher – tomate, laitue, concombre et autres – pratiquement 100 % d’autonomie. On prétend qu’en production porcine nous sommes aussi en autosuffisance. Alors que nous n’en sommes qu’aux prémices de l’organisation, nous arrivons à atteindre aujourd’hui des tonnages assez intéressants. Le souci, pour la Guadeloupe, c’est que si l’on touche trop à la structure du POSEI, on va déstabiliser la production agricole de manière générale. Pour caricaturer, on dit dans le pays que si la canne venait à être affaiblie, c’est l’agriculture qui disparaîtrait. Nous apprécions d’être consultés de manière à alimenter la réflexion dont seront issues les décisions qui se prendront à Bruxelles ou à Paris.

Autres éléments d’importance, les accords signés par l’Europe avec les pays ACP, l’Uruguay et bientôt, peut-être, les États-Unis. Si l’on peut comprendre la stratégie de l’Europe, force est de constater que ces accords ont gravement handicapé nos agricultures outre-mer. Nous produisons, en effet, les mêmes produits que ces pays voisins mais dans des conditions différentes. Notamment, le plan Écophyto, issu du Grenelle de l’environnement, prévoit la disparition, d’ici à 2018, de plus de 50 % des molécules que nous utilisons. S’il est très positif d’aller vers une agriculture propre, les accords contiennent une negative list par laquelle l’Europe s’engage à ne pas livrer dans ces pays des produits qu’eux-mêmes cultivent. Autrement dit, elle s’engage à ne livrer ni igname ni tubercule d’aucune sorte. Par contre, ces pays sont libres de déverser leur production sur le territoire européen, dont la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane constituent des postes avancés. Nous subissons les conséquences de cet accord de manière frontale, sachant que les coûts de production et les conditions de travail ne sont pas les mêmes et que les molécules qui nous sont désormais interdites sont utilisées par nos concurrents. Cette concurrence déloyale dont nous sommes les victimes, de même que La Réunion, il faudrait pouvoir y remédier par des aménagements spécifiques.

Pour finir, et pêle-mêle, nous espérons une politique de formation adéquate, tant il est vrai que les jeunes sont formés à une agriculture métropolitaine, de zone tempérée.

Il faut également travailler sur le foncier. Aujourd’hui, et de façon fort dommageable, on raisonne en termes de foncier agricole mis à disposition dans le cadre de la réforme foncière. La société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) propose, au titre de la réforme foncière, 11 000 hectares quand l’agriculture de la Guadeloupe occupe entre 35 000 et 40 000 hectares. Il faudrait raisonner sur l’agriculture de manière globale, sur tout le territoire.

Selon une étude, une autre source de difficulté d’accès au foncier réside dans la faiblesse des retraites, qui incite les agriculteurs à rester en activité, empêchant les jeunes de s’installer. Or, la Guadeloupe a un potentiel foncier de 10 000 hectares non cultivés mais qui sont bloqués dans des indivisions familiales. Dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, peut-être pourrait-on trouver le moyen de récupérer ce foncier.

M. Pascal Fricker, membre du Groupement régional des agriculteurs de Guyane. Les conditions complexes d’installation font de moi un agriculteur pluriactif, c’est-à-dire que, parallèlement à un emploi salarié, je m’installe progressivement, depuis une demi-douzaine d’années, dans l’élevage bovin et le maraîchage.

Je vais compléter les observations des intervenants précédents en mettant l’accent sur les réalités guyanaises, à commencer par l’installation, qui ne se caractérise pas par la reprise mais par la conquête de terres sur la forêt domaniale de l’État. Cela demande des investissements considérables pour la déforestation et l’aménagement des réseaux, à la charge des agriculteurs et des collectivités. La Guyane est riche en ressources foncières qui ne sont malheureusement pas facilement accessibles. On espère que la loi d’avenir permettra d’allier les besoins en conquêtes foncières et la production d’électricité par la biomasse issue de la déforestation. Les procédés font l’objet, depuis plusieurs années déjà, de réflexions qui mériteraient d’être approfondies et de trouver un aboutissement.

Nous n’avons pas, comme nos collègues, de cultures traditionnellement dédiées à l’exportation. Tous nos efforts sont consacrés à nourrir notre population. En raison de taux de couverture assez faibles – moins de 1 % pour la volaille, par exemple –, l’essentiel des efforts porte sur l’organisation des producteurs en vue de répondre aux besoins du marché local. Notre population croît de 4 % par an et l’économie agricole a de quoi fournir du travail.

Dans cette tâche, l’agriculteur guyanais n’a malheureusement pas accès au crédit bancaire. Même s’il bénéficie d’aides – qui peuvent être significatives – de l’Union européenne ou de l’État, le préfinancement qu’il doit apporter lui-même est souvent un facteur bloquant. Des dispositifs devraient faciliter l’accès au crédit bancaire et au financement des projets agricoles et de développement de nos structures.

Compte tenu de la jeunesse de notre tissu agricole, l’encadrement technique et administratif des agriculteurs, qui ont déjà beaucoup à faire sur le terrain, est fondamental. La formation initiale existe : nous avons un lycée et des maisons familiales rurales (MFR) qui permettent de répondre aux besoins sur un territoire très étendu. En revanche, les besoins importants de formation continue sont difficiles à satisfaire en raison de l’éloignement des exploitations, parfois accessibles seulement par pirogue ou par avion. L’agriculteur pouvant très difficilement venir à la formation, c’est la formation qui devrait aller à lui. Ce volet, s’il était développé dans la loi d’avenir, contribuerait à améliorer les niveaux de production et le taux de couverture du marché, ce qui est l’objectif premier.

Partie intégrante du continent sud-américain, nous avons une carte à jouer avec la coopération. Notamment, les solutions techniques qui existent chez nos voisins mériteraient d’être étudiées et adaptées chez nous. En matière d’élevage, la piste des produits vétérinaires nous intéresse tout particulièrement, dans la mesure où ils sont produits dans ces pays avec les mêmes molécules, à des coûts nettement moindres, et sans la contrainte de dispositions légales qui ne nous permettent pas de les obtenir. En matière de grandes cultures, des projets en recherche-action, lancés depuis 2005, ont servi de cadre à des expériences d’introduction en Guyane de cultures nouvelles, en particulier la culture du maïs et du soja. Nous entretenons également une collaboration étroite avec des instituts techniques régionaux, qu’ils se situent sur le continent ou bien au sein de la Caraïbe. C’est ainsi que nous avons créé récemment, avec les collègues des interprofessions martiniquaises et guadeloupéennes, un institut technique dédié à l’élevage, institut qui doit nous aider à dégager des solutions convenant à nos climats. En fait, tout est dans la recherche de solutions permettant l’adaptation de dispositifs globaux à chacune des facettes de nos agricultures.

Je termine par la réforme annoncée du POSEIDOM. Alors que nous avons commencé à mobiliser les crédits de ce dispositif depuis trois ans à peine, nous avons des inquiétudes sur les moyens qui lui resteront alloués. Contrairement à d’autres agricultures, nous avons encore besoin du couplage à la production parce qu’elle doit croître. Nous avons besoin d’une telle impulsion pour créer des filières dynamiques et les accompagner jusqu’à ce qu’elles puissent se prendre en charge par elles-mêmes, à horizon de dix ou vingt ans.

M. Claude Cellier, secrétaire national de la Confédération paysanne. Les thèmes sur lesquels vous avez demandé notre contribution – l’installation, le foncier, l’enseignement – sont, pour la Confédération paysanne, des sujets qui engagent l’avenir : la façon dont nous les traiterons sera significative de l’agriculture que nous voulons pour demain.

L’orientation vers plus d’autonomie de l’économie des DOM rejoint la notion que nous défendons, au niveau global, de la souveraineté alimentaire, qui se décline aussi bien au niveau de la France, que de l’Europe ou de la planète. Il faut donc favoriser les marchés locaux.

La production de canne et de banane sont bien des locomotives de développement pour les Antilles et La Réunion, mais, contrairement à ce que disait M. Ferey, elles sont tout à fait délocalisables sur une partie du continent américain ou en Afrique. Ces deux productions ne doivent pas être gérées de la même façon. Si toutes deux sont porteuses d’emplois, de développement et de richesses, et spécialement pour les DOM, l’une le doit à l’encadrement du marché par l’OCM sucre, qui bénéficie directement aux fermes, alors que l’autre le doit principalement à des fonds publics européens, fonds destinés à apporter une aide à tous les acteurs de la filière. Par ailleurs, pour être le représentant, en tant que betteravier, de la Confédération paysanne à FranceAgriMer, je connais un peu la problématique du sucre. La politique d’accompagnement de l’OCM sucre devra veiller à ce que le travail à façon effectué, depuis quelques années, en métropole, avec de la betterave, pour remplir les quotas non produits dans les DOM, ne devienne trop systématique. Je pense en effet que ces pratiques pourraient avoir des effets pervers.

M. Ferey a présenté La Réunion comme un modèle économique. Je me permets ce petit coup de griffe que la chambre d’agriculture y est gérée par un syndicat affilié à la Confédération paysanne, qui n’est pas beaucoup aidé par l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), mais qui a, malgré tout, une bonne connaissance de tous les secteurs économiques.

Nous serons très attentifs à l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis. Il serait incompréhensible qu’un simple accord puisse anéantir les efforts consentis en matière d’environnement, de qualité des produits ou de structuration des filières, par le Gouvernement ou par l’Europe à travers la PAC.

M. Sébastien Bellemene, président de Jeunes agriculteurs outre-mer. Pour notre part, pour être de plain-pied dans l’installation, nous avons des revendications plus techniques, car nous voyons les problèmes au cas par cas.

M. Claude Cellier. Voulez-vous dire que ce n’est pas notre cas ?

Mme Chantal Berthelot, présidente. Monsieur Bellemene fait sans doute référence aux assises régionales de l’installation qui ont apporté de la matière à une réflexion dans laquelle il se sent particulièrement impliqué en tant que jeune agriculteur.

M. Sébastien Bellemene. Excepté sur l’île de La Réunion dont je suis originaire, nous constatons que les jeunes ne bénéficient pas suffisamment des prêts à moyen terme spéciaux jeune agriculteur (MTS-JA). En Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, ils n’ont pas non plus accès, à l’heure actuelle, aux autres prêts bonifiés, en l’absence de cautions et de garanties financières – ce que nous avons à La Réunion. Les établissements bancaires ne s’intéressent pas aux projets d’installation en agriculture. En son temps, M. Michel Barnier avait essayé de convaincre les banques de faciliter les prêts MTS-JA, mais cela ne fonctionne pas bien aujourd’hui. Nous proposons que le socle financier de la dotation jeunes agriculteurs (DJA) et des prêts bonifiés MTS-JA soit assez important pour accompagner tous les porteurs de projet éligibles dans leur installation. Compte tenu de l’inflation, le montant de la DJA, inchangé depuis sa création, devrait également être revalorisé.

Nous demandons en outre la création d’un fonds de cautionnement géré par l’État, qui permettrait aux jeunes d’emprunter un peu plus aux banques. Selon Jeunes agriculteurs outre-mer, l’État a sa part de responsabilité dans la non-application de la politique agricole puisque les porteurs de projet ultramarins font l’objet d’un traitement non équitable par rapport à ceux de l’hexagone. Les banques ne prêtent quasiment pas dans les trois départements mentionnés plus haut, ou alors à des taux exorbitants ne permettant pas aux jeunes de s’installer.

Nous voudrions également introduire la possibilité d’acheter du matériel d’occasion, qui n’existe pas actuellement. Un tel matériel se trouve en quantité en métropole, ce qui n’est pas le cas outre-mer.

Par ailleurs, nous souhaitons que les collectivités fournissent un accompagnement financier aux plus de quarante ans, à la condition toutefois que le point info installation (PII) ait donné un avis favorable, et que le plan de professionnalisation personnalisé (PPP) et le plan de développement de l’exploitation (PDE) aient été réalisés. Nous estimons que les plus de quarante ans également ont besoin d’un suivi – un suivi aussi important et rigoureux que celui des jeunes agriculteurs – mais sous tutelle des collectivités.

La mise en place d’un répertoire des aides permettrait au PII d’être un peu plus performant et aux jeunes d’y trouver des renseignements sur toutes les aides dont ils peuvent bénéficier. Actuellement, en l’absence de telles informations au point dédié, les jeunes sont contraints d’aller se renseigner à droite et à gauche.

M. Pascal Ferey. Il appartiendrait à la chambre d’agriculture de La Réunion de le tenir.

M. Sébastien Bellemene. Nous préférerions qu’il reste sous la tutelle de l’Agence de services et de paiement (ASP) ou, à tout le moins, que la gestion en revienne à un établissement neutre qui prendrait des décisions impartiales.

M. Claude Cellier. Nous tenons le même discours sur 99 % des départements !

M. François Lucas. C’est un point de débat très intéressant dont il faut parler.

M. Pascal Ferey. À titre de président de chambre d’agriculture, je me sens autorisé à intervenir. En métropole, l’État a délégué aux chambres d’agriculture toutes les missions d’installation. Celles-ci se font donc au nom de l’établissement public, mais sans le budget correspondant. Aujourd’hui, ce sont les chambres d’agriculture et l’impôt foncier des compatriotes qui servent à accompagner tous les souhaits d’installation, l’information étant rassemblée au sein d’un guichet unique qui est le PII. Je conseillerais aux départements d’outre-mer d’essayer de garder ce particularisme, s’ils le peuvent, qui consiste à laisser à l’ASP l’ensemble des moyens humains nécessaires à l’information et à l’encadrement pour l’installation des jeunes agriculteurs. Dans mon département, rien que sur le point info, je consacre un budget de 200 000 euros par an. Encore l’ai-je bloqué, parce qu’il devenait exponentiel avec les normes de suivi prévues par la circulaire du mois de décembre 2012.

Sur un sujet aussi fondamental que l’agriculture des départements d’outre-mer, je ne répondrai pas au coup de griffe de tout à l’heure : que la chambre d’agriculture de La Réunion soit gérée par une autre majorité ne me perturbe pas. Les agriculteurs ont fait un choix, qu’on le regrette ou pas n’est pas le sujet. Ce qui me navre, c’est que le développement agricole et l’installation des jeunes agriculteurs soient plus particulièrement portés par la Fédération régionale des coopératives agricoles.

J’ai eu la naïveté de penser qu’il n’y aurait qu’un seul intervenant par structure. Je m’aperçois qu’il y en a trois, sauf pour la FNSEA. Je m’autoriserai un peu plus de temps de parole selon les réponses que j’aurai à donner.

M. François Lucas, vice-président de la Coordination rurale. Il est difficile de revendiquer l’installation de tel ou tel effectif d’agriculteurs. L’assistance des agriculteurs n’est pas seulement le fait de la science ou des structures. Outre-mer, l’ASP est sans doute la structure la plus apte à gérer la question de l’installation, plus que les chambres d’agriculture qui sont souvent démunies de moyens.

M. Alex Bandou. Je suis d’accord pour qu’une structure telle que l’ASP puisse porter le travail d’aide à l’installation des jeunes agriculteurs. Pour autant, nous souhaiterions ne pas limiter ce travail aux seuls jeunes agriculteurs, compte tenu du nombre de personnes ayant plus de quarante ans qui cherchent à s’installer aujourd’hui. Afin de ne pas créer d’inégalités, ces exploitants de plus de quarante ans doivent aussi bénéficier du dispositif.

S’agissant de l’acquisition de matériel d’occasion, on assiste aujourd’hui à une dérive de la défiscalisation en Guadeloupe. Nous avons établi que le seuil de rentabilité d’une récolteuse de canne est de 16 000 tonnes. Or, nous avons sur le territoire cinquante-cinq récolteuses pour 600 000 tonnes de cannes. Nous sommes donc suréquipés, mais cela ne signifie pas que ce soit la même chose ailleurs.

M. Cédric Coutellier, administrateur de Jeunes agriculteurs outre-mer et de Jeunes agriculteurs Guadeloupe. Quelle que soit l’organisation gestionnaire pour l’installation des agriculteurs, nous nous sommes inquiétés du transfert de mission à la chambre d’agriculture, non pas tant à cause des questions de neutralité, mais surtout à cause du manque de moyens, sachant que, de toute façon, pour ce qui a trait à la neutralité, l’ASP serait la mieux à même de respecter ce devoir.

Nous sommes d’accord pour aider les personnes à s’installer au-delà de quarante ans, mais il ne faut pas que cela devienne une habitude. Si les agriculteurs s’installent tard, c’est parce qu’il y a des problèmes préalables. Mieux vaut travailler sur ces problèmes plutôt que de favoriser les installations tardives qui ont pour conséquence des durées de vie d’exploitation relativement courtes – moyennant quoi il faut arriver à prouver qu’on peut rembourser des emprunts contractés à partir de quarante ans. Nous regrettons sincèrement que la moyenne d’âge pour l’installation outre-mer soit de trente-neuf ans et demi. En exagérant à peine, à la commission départementale d’orientation agricole (CDOA), on joue parfois contre la montre, car c’est tout juste si l’anniversaire de la personne n’est pas le lendemain du jour de l’examen de son dossier. À quelques heures près, les droits n’auraient pas été les mêmes.

M. Sébastien Bellemene. Une autre de nos demandes porte sur la mise en place d’un comité régional d’installation (CRI) qui se chargerait des politiques régionales, ainsi que sur celle d’une instance de concertation et d’échanges entre les régions, les partenaires sociaux, l’État et, éventuellement, les jeunes agriculteurs, cette instance étant valable uniquement pour les territoires outre-mer.

Nous souhaitons également la mise en place d’un dispositif de gestion des risques et d’indemnisation des aléas climatiques. L’année dernière, La Réunion a subi une forte sécheresse, suivie, au début de l’année, par deux cyclones. Or, il faut un an pour que le conseiller de la direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF) vienne expertiser les pertes sur les exploitations, et le cumul des pertes en cas d’aléas climatiques successifs n’est pas pris en compte. Ce cumul des aléas climatiques est un vrai souci et il faudrait pouvoir y remédier.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Quels seraient l’objet et la composition du CRI ?

M. Sébastien Bellemene. Il déterminerait les orientations politiques au niveau régional. Aujourd’hui, la CDOA concentre un peu tous les types d’actions. Nous voudrions qu’elle conserve ses fonctions les plus techniques, mais qu’elle laisse les orientations politiques au CRI. L’autre instance serait plutôt un lieu d’échanges entre les territoires d’outre-mer, où les uns et les autres pourraient mutualiser leurs expériences.

Il faudrait également abonder l’enveloppe PIDIL (programme pour l’installation des jeunes en agriculture et le développement des initiatives locales) – ce qui permettrait notamment de réaliser une meilleure communication auprès des agriculteurs. À l’heure actuelle, cette enveloppe est exclusivement consommée par l’ASP. Les projets des jeunes agriculteurs sont examinés simplement au regard de l’enveloppe et non de la pertinence des actions proposées.

Dans le cadre du renforcement du point info installation – qui sera appelé désormais point accueil installation – les 500 euros consacrés au suivi pré-installation et post-installation devront être conservés. Cette somme peut aider à l’organisation de réunions d’échanges.

Très importante aussi serait l’harmonisation, entre nos départements, des productions référencées à l’AMEXA (assurance maladie des exploitants agricoles) afin de disposer d’une base commune. Par exemple, à la Martinique, la filière caprine n’existe pas. Pour pouvoir élever des cabris, il faut faire de la canne-banane. À La Réunion, c’est la production équine qui n’est pas reconnue, de même que l’escargot et beaucoup d’autres petites filières qui demandent à être homologuées comme productions à part entière. Ce qui existe dans l’hexagone doit pouvoir être adapté outre-mer.

Mme Ericka Bareigts. Pourquoi cela ? On a estimé que ces filières ne pouvaient pas se développer sur ces territoires ?

M. Sébastien Bellemene. C’est la question que nous posons à l’État.

M. Pascal Ferey. C’est un vieux débat qui perdure, tout simplement parce qu’on n’a pas refait les modèles. Le ministère avait la hantise que quelques têtes de bétail, quelles qu’elles soient, puissent donner le statut d’agriculteur, mais sans permettre d’en vivre. Dans le cadre de la loi d’avenir, sur ce sujet particulier des petites productions, il faudra déterminer les conditions minimales pour avoir le statut d’agriculteur, sans qu’elles soient exclusives. C’est là un vrai sujet de fond qu’il faudra régler une fois pour toutes ; sinon, tel que c’est parti, dans dix ans, il n’y aura plus de production de cabris dans les départements d’outre-mer ! Il faut vraiment se servir de cette loi pour corriger cette inégalité vis-à-vis de la métropole.

M. Sébastien Bellemene. L’essentiel est que le maraîchage, l’élevage, l’arboriculture soient considérés comme des productions à part entière. Il ne faut plus devoir faire impérativement de la banane-canne pour pouvoir faire le reste.

M. Cédric Coutellier. Nous ne nous attendons pas à obtenir des solutions législatives immédiates aux sujets que nous abordons. Nous vous les soumettons pour que vous puissiez y réfléchir.

Comme je me retrouve assez dans tout ce qui a été dit, je m’appuierai sur mon cas personnel pour aborder la pluriactivité subie. Subie, oui, car elle ne relève pas de ma volonté : la difficulté d’accès au foncier m’a obligé à avoir une activité par ailleurs, et ma durée d’installation s’en est trouvée rallongée. Nous sommes plusieurs dans ce cas, à nous interroger sur le bon moment pour demander la DJA. Pour ma part, je préfère attendre de voir le nouveau dispositif, mais cela retarde encore l’installation. Quoi qu’il en soit, je ne veux pas entendre, comme a pu le suggérer un rapport rendu par l’ASP, que les pluriactifs s’en sortent mieux que les autres. Nous ne sommes pas d’accord pour promouvoir l’agriculture à mi-temps qui permettrait de mieux s’en sortir, et pour inciter tous les agriculteurs à être pluriactifs : la pluriactivité, on la subit.

L’installation pâtit également des carences de la SAFER qui, n’ayant plus de sources de financement, ne fait pas son travail de préemption. Aujourd’hui, dans les opérations d’installation, il faut un apport considérable et immédiat pour acquérir des terres de la SAFER, d’où une discrimination financière forte.

L’installation est plus affaire de création que de transmission, parce que les anciens ne veulent pas partir à la retraite : la pension est si ridicule qu’ils préfèrent garder le foncier pour continuer à produire. Cette faiblesse des transmissions est une autre cause de retard à l’installation.

N’ayant pas pu acquérir de foncier de la SAFER, j’ai dû me rabattre sur la location de concessions de l’Office national des forêts (ONF) pour faire de l’agroforesterie. De ce fait, je me retrouve en phase avec une des orientations importantes de la loi d’avenir consacrée à la forêt et à l’agro-écologie, et cela ne se passe pas si mal que cela. En tout cas, pour nombre de jeunes, il a été beaucoup plus simple de s’installer dans ces conditions. Sans l’avoir cherché, nous nous sommes retrouvés dans la mouvance actuelle. Tant mieux ! Notre but est de nous installer : agroforesterie, agro-écologie ou autre, tous les moyens sont bons pour promouvoir le métier d’agriculteur. De surcroît, nous nous inscrivons tout à fait dans le plan Écophyto-DOM puisque le cahier des charges de l’ONF est encore plus restrictif que le cahier des charges « bio ». Faire labelliser des parcelles peut apporter de la valeur ajoutée à la production, ce qui est intéressant quand, comme moi, on exploite de petites surfaces.

M. François Lucas. Merci de nous permettre, en amont de la réflexion sur la loi d’avenir pour l’agriculture, d’évoquer de façon approfondie la question des DOM. En général, elle est plutôt traitée en accessoire.

Si cette loi d’avenir recèle beaucoup de bonnes intentions, on ne pourra pas se contenter de quelques réglages pour adapter les dispositifs aux outre-mer. Si tel était le cas, la loi d’avenir pour l’agriculture des DOM resterait à faire. La première des choses est de changer de logique, d’avoir la volonté de développer l’agriculture des départements d’outre-mer pour créer des emplois, de la richesse et pour aller vers l’autosuffisance. Jusqu’à présent, on partait du postulat qu’en fournissant au consommateur, y compris des DOM, l’alimentation la moins chère possible, payée au moindre coût au producteur, on libérerait du pouvoir d’achat pour d’autres biens – importés bien sûr ! Pour peu qu’on change de paradigme, on pourra trouver dans la loi d’avenir les moyens de protéger les marchés locaux des importations qui découragent les productions locales, tout autant que ceux qui permettront de baisser les prix demandés aux agriculteurs pour acquérir du matériel agricole. Il faut en finir avec les rigidités qui empêchent les exploitants de développer leurs productions.

M. Juvénal Remir. La situation de l’agriculture martiniquaise est très contrastée. D’abord, le foncier agricole est sous-utilisé. Pour des raisons aussi diverses que des héritages ou des indivisions non réglés, 13 000 hectares de friche ont été récupérés par l’État et l’ONF qui, en les classant en zones boisées, les ont soustraits du potentiel agricole. Aucune des démarches entreprises, tant par les syndicats agricoles que par la chambre d’agriculture, pour obtenir une analyse sérieuse de cette situation et un plan d’action de retour à l’agriculture de ces surfaces n’a abouti positivement.

Alors que de plus en plus de terres sont classées inconstructibles, se poursuit le développement d’un habitat diffus, construit anarchiquement en dehors de tout plan d’urbanisme et très souvent sans permis de construire. C’est ainsi qu’est advenu le mitage complet des terres agricoles avec la complicité de nombreux élus – de manière incidente, je regrette d’ailleurs qu’aucun député de la Martinique ne soit présent aujourd’hui. Hormis la SAFER, à laquelle l’État et les collectivités ne donnent pas les moyens financiers de jouer son rôle de garde-fou, il n’y a pas de structure dédiée à la gestion du patrimoine agricole.

Depuis deux ou trois ans, à défaut d’herbicide efficace, la canne, le rhum et le sucre souffrent de fortes chutes de rendement agricole. La production de canne est passée de 175 000 tonnes en 2012 à 165 000 tonnes en 2013, le rendement tombant à moins de 60 tonnes à l’hectare. Si de nouveaux herbicides sont en cours d’homologation, leur efficacité est toutefois connue pour être médiocre. Cette situation extrêmement préoccupante est révélatrice de l’insuffisante prise en compte par le Gouvernement et l’exécutif de nos régions de la spécificité d’un climat tropical humide qui interdit toute vision angélique d’une agriculture sans pesticide. La référence permanente à la production bio n’est pas une option réaliste en climat tropical, ni pour la culture de la canne ni pour toute autre culture.

L’insuffisante évolution du prix de la tonne de canne a eu des conséquences directes sur le revenu des planteurs qui ne n’en sortent plus. Elle est à l’origine de la disparition de nombre de petits exploitants et d’un désintérêt de plus en plus marqué pour la culture de la canne, conduisant à une raréfaction préoccupante du produit. Plusieurs distilleries manquent déjà cruellement de canne, tandis que l’usine à sucre du Galion a traité moins de 50 000 tonnes pour la saison 2013. Quant au rhum, Bruxelles l’expose actuellement à de graves difficultés en remettant en cause son système de protection fiscale, pourtant essentiel face à la concurrence. Le sucre se résume à la production de l’usine du Galion, que la forte diminution de la production de canne a transformée en gouffre financier. Une politique plus attentive à l’avenir de la filière canne devrait déterminer si cette unité de production doit être maintenue ou encore s’il faut privilégier une meilleure alimentation des distilleries.

S’agissant du maraîchage et de la culture vivrière, les chiffres pour la Martinique sont assez fantaisistes. Selon un récent document d’évaluation du POSEI, la consommation est de 80 000 tonnes tous fruits et légumes confondus, et l’importation de 59 000 tonnes. De leur côté, les douanes estiment l’importation en Martinique à 24 000 tonnes. Retenons néanmoins les chiffres d’évaluation du POSEI qui concordent avec ceux de la consommation globale de la Guadeloupe, elle aussi de 80 000 tonnes, et qui permettent de penser que la production locale en Martinique serait de 21 000 à 30 000 tonnes, certains produits comme le ti-nain ayant du mal à être quantifiés, et de 50 000 tonnes en Guadeloupe.

Il existe bien en Martinique une marge de développement, même si la consommation reste conditionnée par les habitudes des habitants, plus tournés vers les produits européens. Quoi qu’il en soit, la stagnation de ces produits est directement liée à l’absence d’une politique claire de la part des pouvoirs publics.

Au cours des cinq dernières années, plus de 250 millions d’euros ont été mis à la disposition de la diversification des cultures outre-mer. Pourtant personne, et surtout pas les chambres d’agriculture, n’a jamais pris la peine de mettre en évidence ce montant faramineux. L’enveloppe du Conseil interministériel de l’outre-mer (CIOM), mise en place en 2010 pour les années 2010 à 2013, s’élevait à elle seule à 155 millions d’euros, mais pour quels résultats, en termes d’emplois et de volumes produits ?

Pourtant ces importants soutiens financiers ont donné des résultats très positifs dans l’agriculture réunionnaise, ce qui nous amène à nous interroger sur la situation dans les Antilles, et particulièrement en Martinique. La réponse est que ni l’État, ni les collectivités publiques n’ont clairement défini de règles obligeant les producteurs qui souhaitent bénéficier de fonds publics à adhérer à des organisations compétentes et structurées et à respecter un cahier des charges, celui-ci comportant des obligations en matière d’utilisation des produits phytosanitaires, de traçabilité alimentaire, de commercialisation et de mise sur le marché de la production.

En Martinique, nous avons un certain nombre d’organisations de producteurs dont la coopérative SOCOPMA, mais celle-ci, jusqu’à une date récente, pratiquait une gestion peu scrupuleuse, au profit de quelques-uns, sous l’œil impuissant sinon complice des autorités régionales et nationales. La situation des producteurs a conduit les chambres d’agriculture à proposer un assouplissement des conditions d’accès au POSEI à ceux qui ne sont membres d’aucune organisation.

L’importation de produits vivriers et maraîchers provenant des pays de la zone Caraïbe ne fait l’objet d’aucun contrôle phytosanitaire et d’aucune exigence de traçabilité alimentaire, alors même que le laxisme de ces pays est notoirement connu. La pollution par le chlordécone a diminué de 15 à 20 % la surface des terres exploitables, pourtant aucune réflexion n’a été engagée sur la possibilité d’y développer d’autres activités qui n’auraient pas à craindre la contamination.

La filière animale a connu, au cours des dernières années, une évolution très positive liée à la création de MADIVIAL. Cette union des coopératives d’élevage, qui regroupe l’ensemble des organisations de producteurs de viandes de Martinique, organise et contrôle l’abattage et la transformation des produits sur l’île et elle est un interlocuteur crédible de la grande distribution. En 2012, nous avons produit 2 000 tonnes de volailles, 500 tonnes de porc et 400 tonnes de bovin, ce qui représente une augmentation de 15 % par rapport à 2011. Cette réussite a été obtenue en mettant un peu de discipline et d’organisation dans le fonctionnement de la filière, de la production à la mise sur le marché.

Mais beaucoup reste à faire. Les produits congelés représentent une grande part des 22 000 tonnes de produits consommés à la Martinique, et la production locale ne peut rien contre la concurrence de ces produits importés.

Le point faible de la filière réside incontestablement dans les difficultés liées à l’alimentation animale, mais ce problème est difficile à résoudre car l’étroitesse du marché ne laisse pas de place à un deuxième provendier. Il est clair que l’unique provendier de l’île, Martinique nutrition animale (MNA), ne prend pas ses responsabilités en matière de développement des filières d’élevage. La qualité des produits et leur prix entraînent de vives confrontations entre MNA et les éleveurs. La solution serait de conditionner les aides versées à MNA et aux éleveurs au respect de modes de fonctionnement prenant en compte les besoins des élevages et les contraintes du provendier. Il y a trois ans, un protocole d’accord a été signé mais il n’a jamais été mis en œuvre, l’administration n’ayant pas usé de sa légitime autorité pour le faire appliquer.

Le préfinancement des aides directes POSEI constitue l’une des difficultés majeures pour les filières de diversification car les aides qu’elles pourraient percevoir sont liées au volume de la production et non à l’adhésion des producteurs à une organisation professionnelle. Il est donc impossible pour ces filières de connaître au préalable le montant des aides qui leur seront attribuées, tandis que les producteurs de la filière banane perçoivent des aides basées sur des références historiques, ce qui leur permet d’établir un dossier de préfinancement en cours d’année. Cette impossibilité de préfinancer les aides POSEI conduit les producteurs à limiter leurs investissements et leurs achats d’intrants, ce qui est préjudiciable à la régularité et à la qualité de leur production.

J’en viens à l’activité recherche et développement. Depuis longtemps les relations entre les agriculteurs et les organismes de recherche – le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), l’Institut de recherche pour l’ingénierie de l’agriculture et de l’environnement (CEMAGREF) – n’étaient pas satisfaisantes du fait d’un manque de coordination entre la recherche et les besoins du monde agricole. La création, en 2010, de l’Institut technique tropical (IT2), dirigé par les producteurs des filières végétales de la Guadeloupe et de la Martinique, a permis à la recherche de satisfaire les besoins réels, à court et moyen terme, du monde agricole.

Je regrette que l’Office de développement de l’économie agricole (Odeadom) n’ait pas de représentant efficace à la Martinique et que le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) manque d’une vision globale lorsqu’il procède à l’attribution de ses aides. En effet, toutes les filières et les organisations professionnelles déposent leurs propres demandes de subvention sans tenir compte des priorités et de l’intérêt général. De ce fait, certaines enveloppes sont indisponibles pour des projets prioritaires et des sommes importantes sont dépensées de façon inefficace alors que, bien utilisées, elles auraient pu servir efficacement la filière. Ce devrait être à l’administration, qui seule a une vision globale du développement agricole, d’arbitrer toutes ces demandes, pourtant elle reste en retrait.

La filière banane est un bon exemple d’organisation et d’efficacité, tant en termes de production que de mise sur le marché, et ce résultat est reconnu dans le monde entier. Le plan « banane durable » a permis à la production de Guadeloupe et de Martinique d’atteindre la première place mondiale eu égard à la maîtrise de l’environnement et à l’utilisation raisonnée de pesticides.

Pourtant une menace pèse sur cette production, actuellement contaminée par la cercosporiose, maladie qui exige un traitement par voie aérienne. Fortement combattu par différentes associations écologistes – qui bénéficient de la clémence des instances judiciaires – le traitement aérien est sérieusement remis en cause, mais son arrêt menacerait directement la production bananière, mettant en péril 10 000 à 15 000 emplois directs et indirects, soit 75 % des emplois salariés permanents dans l’agriculture antillaise. Les efforts de recherche et développement en agriculture tropicale étant essentiellement soutenus par la filière banane, c’est à une menace globale de démembrement de notre agriculture que nous pourrions être confrontés à court terme.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Il ressort de vos propos, Messieurs, que les problèmes sont essentiellement liés à la structuration des filières et à la mise à disposition du foncier pour l’agriculture. Que nous proposez-vous, concrètement, pour y remédier ? Comment, selon vous, la France peut-elle s’approprier l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ? Que pensez-vous de la proposition de notre collègue, M. Serge Letchimy, qui, dans un rapport récent rendu au Premier ministre, propose la prise en compte de la notion de territoire ultrapériphérique dans l’établissement des normes ?

M. Pascal Ferey. Le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové de Mme la ministre de l’Égalité des territoires et du logement devra comporter un codicille dédié aux départements d’outre-mer. Il existe un outil qui fonctionne très bien en métropole et pourrait fort bien être utilisé dans les départements d’outre-mer, à l’exception naturellement de Mayotte. Il s’agit de la commission départementale de consommation des espaces agricoles (CDCEA) qui donne au préfet son avis sur tous les documents d’urbanisme que lui soumettent les collectivités territoriales. En métropole, un certain nombre de schémas de cohérence territoriale (SCOT) et de plans locaux d’urbanisme (PLU) ont été rejetés par le préfet après avis négatif de la CDCEA. Nous avons appris avec plaisir que Mme Duflot entend redonner toute sa place à cette commission.

M. Alex Bandou. Je précise que si elle n’a qu’un rôle consultatif en métropole, dans les départements d’outre-mer elle intervient dans la délibération. Je regrette simplement qu’elle ne compte pas parmi ses membres de représentants de syndicats agricoles.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Le ministère est très conscient de ce problème et fera des propositions pour améliorer le dispositif.

M. Pascal Ferey. La gestion de l’eau d’irrigation est une question fondamentale pour l’agriculture vivrière dans tous les départements d’outre-mer et elle nécessite une réponse financière. Je suggère que nous présentions un dossier structurant en vue d’obtenir des aides du POSEI, étant entendu que nous ne pouvons pas continuer à injecter dans l’économie des départements d’outre-mer des sommes conséquentes sans nous assurer de leur efficacité.

Je regarde avec beaucoup d’envie l’organisation mise en place à La Réunion. Mais les Réunionnais n’ont jamais mis la charrue avant les bœufs : avant de créer un abattoir ou d’ouvrir un atelier de conditionnement pour les fruits et légumes, ils s’assurent que ces installations correspondent à la production locale. Pour cela, ils ont structuré les filières et obligé tous les producteurs à adhérer à une organisation professionnelle. Dans les autres départements d’outre-mer, malheureusement, nous créons des structures qui mettent les producteurs en concurrence face au supermarché du chef-lieu de canton. Nous devons mettre fin à ce système.

Les producteurs des filières animales et horticoles ne peuvent continuer à construire des bâtiments qui s’effondrent à chaque tempête. Leurs investissements doivent comporter un volet stratégique dédié à la construction.

L’obligation pour les producteurs d’adhérer à une organisation professionnelle doit être accompagnée d’importants efforts financiers. Je rappelle que si les agriculteurs ont des droits, ils ont aussi des devoirs vis-à-vis de la collectivité qui met à leur disposition des sommes conséquentes.

L’économie domienne doit affronter le danger rampant que représente le mitage urbain du milieu rural – par des constructions qui n’ont pas toutes reçu l’autorisation administrative. Promouvoir le développement du photovoltaïque est une bonne chose, mais prenons garde à ne pas le mettre en concurrence avec la production alimentaire. C’est un point important que je rappellerai lors de la Conférence environnementale qui se tiendra les 20 et 21 septembre en présence du nouveau ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie.

Le salariat est un élément fondamental de notre économie. C’est pourquoi nous devons poursuivre nos efforts en faveur de la formation des hommes aux métiers de l’agriculture, en particulier le maraîchage et la diversification qui créent de nombreux emplois. Nous devons également améliorer l’enseignement initial – lycées agricoles, maisons familiales rurales – et développer les formations dispensées dans les centres de formation professionnelle et de promotion agricole pour adultes (CFPPA) ou financées par le fonds d’assurance formation des chefs d’entreprises artisanales (FAFCEA).

M. Alex Bandou. Le dernier recensement réalisé en Guadeloupe et en Martinique montre que 70 % des exploitations ne dépassent pas 5 hectares. Il est difficile, dans un tel schéma, de raisonner ou de rationnaliser l’agriculture comme on peut le faire sur un territoire grand comme la France hexagonale.

La notion de filière, dans le cadre de la monoculture, pose de sérieux problèmes en Guadeloupe et en Martinique. Ceux qui cultivent de la canne ont de la chance car elle constitue un fonds intéressant pour la rotation des cultures et elle permet d’obtenir des crédits de la part des banques, qui sont très frileuses lorsqu’il s’agit de financer des projets agricoles basés sur la diversification. Souvent, les personnes qui s’installent se retrouvent avec un lopin de terre dépourvu de système d’irrigation et de voierie, ce qui les pousse, malheureusement, à s’orienter vers la facilité, à savoir la monoculture locale.

Le système de production s’oriente actuellement vers la polyculture et l’élevage, ce qui permet à l’agriculteur de cumuler différents revenus. Le cadre qui nous est proposé se situe dans une logique de filière, mais plutôt que de procéder à des adaptations, il faudrait raisonner ou organiser véritablement l’agriculture en accord avec la réalité des territoires.

En Guadeloupe, des structures se mettent en place en polyculture et élevage, et l’INRA s’intéresse enfin à ce concept. C’est également ce que fait l’éducation nationale puisque le lycée agricole propose maintenant des enseignements de la part d’intervenants qui ont étudié les systèmes de production. Mais nous devons prendre garde à ne pas créer une politique d’exclusion. En Guadeloupe, un agriculteur doit posséder une quarantaine de truies-mères pour être considéré comme un éleveur de porc. Auparavant, beaucoup d’agriculteurs possédaient 5 ou 6 porcs, mais ils ont disparu car nous les avons exclus de tous les dispositifs. Une agriculture raisonnée doit correspondre à la réalité du territoire, d’ailleurs une petite exploitation, dès lors qu’elle est performante, peut parfaitement créer de la richesse et de la valeur ajoutée.

M. Pascal Fricker. La structuration des filières a permis à l’économie agricole réunionnaise de prendre pied et de devenir tout à fait performante. En Guyane, nos besoins d’organisation sont immenses. Nous n’avons, par exemple, qu’un seul technicien-conseil pour le suivi de la production de viande de toute la région.

Le maître mot, pour nous, est de produire pour nourrir nos populations, mais pour augmenter notre production il faut que nous soyons accompagnés et formés. Accompagnés et formés, parce que, face à toutes nos contraintes, notamment le coût des intrants, nous ne gagnerons en compétitivité et en efficacité qu’en améliorant nos techniques. Concrètement, nous souhaitons que l’encadrement des producteurs dans les filières végétales et animales soit totalement financé, et de façon pérenne, sur une période de 10 à 20 ans. L’agriculture en Guyane piétine depuis 25 ans parce que l’accompagnement du développement agricole manque de visibilité et de continuité et que notre production ne génère pas suffisamment de richesse pour nous permettre de nous autofinancer.

M. Cédric Coutellier. Lors du congrès des Jeunes Agriculteurs, qui s’est tenu en juin, nous avons insisté sur l’intérêt pour les jeunes d’intégrer les coopératives, mais il leur arrive parfois d’être considérés comme des stagiaires à qui l’on demande de faire leurs preuves, ce qui ne les incite pas à entrer dans ces structures. En outre, une petite exploitation dégage souvent plus de valeur ajoutée en choisissant la vente directe. Personnellement, je produis de la vanille. Ce produit bénéficiant très peu des aides du POSEI, je gagne plus en transformant la vanille sur mon exploitation, hors cadre coopératif.

M. Juvénal Remir. Nous créons trop de structures agricoles qui ne profitent pas assez aux agriculteurs. En Martinique, où il n’existe pas de véritable politique de développement agricole, nous avons deux coopératives de porcs et trois coopératives maraîchères. Je m’interroge sur l’opportunité des plans de développement de l’agriculture.

En ce qui concerne l’eau d’irrigation, beaucoup d’associations syndicales autorisées (ASA) ont été créées en Martinique, mais les grands réservoirs se trouvent sur les exploitations privées et les petites exploitations n’en profitent pas. L’eau fait l’objet d’un gaspillage incessant, qui pourrait être réduit grâce à la création de retenues collinaires. De nombreux terrains sont très pentus. Pour réduire la pénibilité du travail, il suffit de créer des terrasses, comme je l’ai fait sur mon exploitation.

S’agissant du foncier, l’arrivée de la société Chiquita en Martinique a entraîné le déboisement de nombreuses exploitations. Après son départ, les arbres ont repoussé et les terres boisées ont été récupérées par l’ONF. Ne pourrait-on mettre ces exploitations à la disposition des jeunes agriculteurs et leur permettre de les défricher ?

Enfin, s’agissant du photovoltaïque, il faut mettre fin aux installations anarchiques de panneaux photovoltaïques sur des terres rentables, comme cela s’est produit à Sainte-Marie et à Grand-Rivière, et les installer dans des bâtiments.

On demande aux jeunes agriculteurs qui s’installent des factures acquittées, mais ils n’en ont pas, faute de moyens. Par ailleurs, il ne suffit pas d’accorder des aides aux agriculteurs. Il faut les accompagner et vérifier ce qu’ils font de ces aides. Je connais des jeunes qui ont reçu une dotation pour financer l’achat d’un véhicule utilitaire bâché, mais à la place ils ont acheté une Toyota 5 places ! La Direction de l’agriculture doit regarder de plus près comment sont utilisées les aides, en particulier celles versées aux maraîchers.

Mme Monique Orphe. L’accès au foncier est un vrai souci dans nos territoires, notamment à La Réunion puisque seuls 20 % des terres de l’île sont exploitables. Pour vous, les Jeunes Agriculteurs, la création du Parc national est-elle un frein à l’installation des jeunes ? Que pensez-vous de la politique menée par l’État en matière d’énergie photovoltaïque ? L’installation de panneaux sur les terres agricoles vous satisfait-elle, sachant que les agriculteurs font ce choix pour des raisons de rentabilité ? Ne faudrait-il pas prendre des mesures susceptibles de les inciter à exploiter leurs terres ?

Les problématiques du foncier sont-elles liées au manque de vision globale d’aménagement du territoire des responsables politiques et de la DAAF ?

Qui, depuis la loi de décentralisation, est le chef de file en matière d’agriculture, le département ou la région ? Il semble que ce soit le département. Pourtant, c’est bien la région qui élabore le schéma d’aménagement régional (SAR) et ce schéma contient un certain nombre de mesures ayant un impact sur l’agriculture, comme le reclassement de terrains agricoles en espaces boisés, reclassement qui n’aurait peut-être pas lieu de la même manière si la compétence en matière agricole était attribuée en totalité à la région. Ne pensez-vous pas que la région bénéficie d’une meilleure vision de l’aménagement du territoire et est plus à même d’accompagner les jeunes agriculteurs, d’autant qu’elle est déjà compétente en matière d’économie et de formation ?

Comment encourager les agriculteurs à la retraite à transmettre leurs terrains aux jeunes agriculteurs ? Les contrats de génération sont-ils suffisants pour les y inciter ?

Enfin, l’objectif assigné à La Réunion de parvenir à l’autonomie alimentaire est-il réaliste ? Les Réunionnais ont envie de « manger pays », mais les produits locaux coûtent plus cher que les produits importés, or le revenu moyen des ménages est bas – 52 % de la population vit avec moins de 800 euros par mois. Peut-on atteindre cet objectif ? Comment rendre les produits locaux compétitifs ?

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Notre collègue vient de soulever trois questions importantes : la gouvernance – département, région, État – le foncier et sa transmission, et le coût des productions locales.

M. Alex Bandou. Autonomie alimentaire ne veut pas dire autarcie. Le prix des produits locaux est lié, en principe, à leur coût de production. Malheureusement, nous établissons très souvent nos prix, non par rapport aux coûts de production, mais par rapport aux prix des produits importés. C’est ainsi que la population se plaint des prix des produits locaux en les comparant au prix des produits importés. En même temps, beaucoup de grosses voitures circulent aussi dans les départements d’outre-mer et leurs propriétaires en ont accepté le prix parce qu’ils savent que nous n’en produisons pas sur place.

Le foncier relève sans doute d’un problème de gouvernance, mais pour moi il fait l’objet d’un contrat passé entre l’agriculture et la société. Raisonner « pays » nous permettrait de nous projeter et de comprendre que la Guadeloupe a besoin d’un certain nombre d’hectares pour développer le réseau routier et construire des écoles. Mais nous naviguons beaucoup à vue et nous réagissons au cas par cas, ce qui a conduit au mitage du foncier agricole au profit de l’urbanisation et de la voierie.

M. Sébastien Bellemene. Lors de la création du Parc national, l’association des Jeunes Agriculteurs avait souhaité faire partie du comité de pilotage mais cela lui a été refusé. Le comité ne compte donc aucun agriculteur et tous ceux qui vivent sur le périmètre du Parc n’ont aucun droit sur leur terrain. Récemment, les acteurs économiques présents dans la zone de Saint-Benoît ont créé un collectif pour devenir des acteurs à part entière du Parc.

Concernant la transmission des exploitations, il existait auparavant un dispositif pré-retraite qui fonctionnait très bien puisqu’il est à l’origine des deux tiers des installations des jeunes agriculteurs. Mais il a été supprimé et, depuis, il n’y a plus aucune installation. Il serait intéressant de remettre en place un contrat de génération ou de pré-retraite qui intègre cette notion de reprise de l’exploitation par un jeune agriculteur.

Quant à la gouvernance, elle doit être assurée par l’État, en complémentarité avec la région, et ne pas incomber uniquement aux collectivités.

M. Cédric Coutellier. En Guadeloupe, le Parc national a eu un effet totalement inverse : les Jeunes Agriculteurs ont été consultés, lors de l’élaboration de la Charte de territoire, afin de définir une agriculture plus propre ou alternative. D’ailleurs, je considère, en tant qu’agriculteur, que le fait de produire dans une zone labellisée est un atout.

Nous avons créé en Guadeloupe le Relais pour l’emploi agricole (REA) avec des services de remplacement sur les exploitations qui manquent en Martinique et en Guyane. Je peux vous citer le cas d’un jeune qui, dans la perspective de remplacer un agriculteur âgé en congé maladie, a travaillé avec lui pendant un certain temps. Ce rapprochement a permis de créer de la valeur ajoutée et a amené la personne âgée à accepter la transmission. Nous faisons la promotion de cette démarche.

M. Juvénal Remir. Pourquoi ne pas accorder aux agriculteurs une enveloppe suffisamment conséquente pour les inciter à louer leurs terres ?

De nombreuses normes, c’est vrai, ne sont pas adaptées à nos régions.

Enfin, il faut multiplier les contrôles sur les produits d’importation, comme les ignames, dont nous savons qu’ils ont été cultivés dans des pays, dont le Costa Rica, qui utilisent des produits très toxiques.

M. François Lucas. Le prix élevé de la production locale n’a pas une explication unique. Permettre l’utilisation de produits phytosanitaires pour les usages orphelins, c'est-à-dire pour des besoins qui concernent des marchés trop petits pour que les firmes s’intéressent à la recherche, soutenir l’investissement pour rendre les productions plus compétitives et imposer les mêmes contraintes aux produits importés et aux produits locaux : voilà ce qui permettrait à la production locale d’être compétitive. Mais nous pourrions aussi nous demander pourquoi les produits importés arrivent moins chers sur le marché que les produits autochtones. Par ailleurs, en ce qui concerne la protection phytosanitaire des cultures, il n’est plus question de s’interroger : nous sommes forcés de reconnaître que les normes de l’Union européenne ne sont généralement pas adaptées aux contraintes des départements d’outre-mer.

Mme Adeline Gachein, coordinatrice au développement syndical au sein de la Coordination rurale. Dans les DOM, nous n’avons de solutions sanitaires que pour seulement 21 % des maladies. Pour le café, par exemple, nous n’avons pas de produit à notre disposition, et c’est également le cas pour plusieurs centaines de productions.

M. Claude Cellier. Avez-vous procédé à un recensement exhaustif de tous les parasites ?

Mme Adeline Gachein. Je m’appuie sur différents rapports nationaux.

M. Pascal Ferey. Certes, nos départements font partie de l’Europe et sont soumis aux mêmes règles que tous les pays européens, mais les maladies tropicales supportent très mal les règlements communautaires.

Permettez-moi de citer quelques maladies qui poseront nécessairement des problèmes dans les départements d’outre-mer car nous n’avons pas les moyens de lutter contre leur développement : la maladie du greening, qui touche les agrumes, la bactérie de Ralstonia sur les pastèques, celle transmise par la mouche mineuse du melon, et le très redoutable tomato yellow leaf curl virus qui pourrait réduire à néant la production de tomates dans les départements d’outre-mer.

Si l’État ne change pas de paradigme, s’il n’accepte pas de nous accorder des dérogations et s’il ne nous permet pas de trouver des traitements locaux dans la zone Caraïbe ou en Amérique du Sud, nous allons tout droit vers la catastrophe.

L’État doit également faire cesser les importations non homologuées de plans. Car la mouche mineuse du melon et le virus de la tomate proviennent exclusivement de l’importation de plants contaminés qui n’auraient jamais dû arriver sur notre sol.

Nous avions proposé, dans le cadre des débats sur le Grenelle de l’environnement, que la spécificité domienne soit reconnue en tant que telle. J’insiste sur ce que je considère comme une hérésie : les associations environnementales de Guadeloupe ont attaqué l’arrêté préfectoral dérogeant à l’interdiction des épandages aériens pour le traitement des bananeraies. L’arrêté a donc été annulé. Nous travaillons, avec les ministères de l’agriculture et de l’écologie, pour rétablir la règle selon laquelle seul le Gouvernement français peut faire appel d’une décision de la cour administrative. S’il ne se passe rien, il n’y aura plus de traitement aérien et donc plus de production de bananes. J’ajoute que j’aurais souhaité, sur ce dossier, que les organisations syndicales tiennent des propos mesurés.

L’autonomie alimentaire n’est qu’un slogan, mais je ne peux tout de même pas me résigner en constatant le fait que nous ne consommons, dans les départements d’outre-mer, que 12 % de produits locaux par rapport à l’ensemble de notre consommation. Si le prix de certains produits locaux fait fuir les consommateurs, qui se pressent au supermarché pour acheter des produits importés, je maintiens qu’une organisation structurée devrait nous permettre d’offrir aux consommateurs des produits locaux à un prix acceptable.

Nous sommes tous d’accord sur les différentiels de production s’agissant des productions végétales, mais il n’en va pas de même pour les productions animales, mis à part la production d’œufs, qui est excédentaire à La Réunion, tout comme celle de la viande blanche et du porc. Si nous ne prenons pas les décisions qui s’imposent pour libérer le foncier en faveur des agriculteurs et organiser la production, nous ferons le même constat dans dix ans. Il faut agir sur ce point et ne pas laisser le temps s’écouler inutilement.

Quant à l’octroi de mer, il a été créé pour rendre service mais il pose de vrais problèmes. Ainsi, dans le domaine de l’alimentation animale, il serait plus judicieux d’acheter la matière première dans la zone géographique, au lieu de la faire venir de Bretagne ou de Normandie.

Les représentants de la FNSEA se tiennent à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous pouvez vous poser dans le cadre de la préparation du projet de loi d’avenir pour l’agriculture.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Nous ne pouvons pas aborder tous les sujets dans le cadre de cette table ronde. Nous sommes, M. Gaymard et moi-même, intéressés par tous les documents qui pourraient alimenter notre réflexion en vue d’établir notre rapport.

M. Juvénal Remir. Il n’est pas envisageable de voir disparaître la culture de la banane en Guadeloupe et en Martinique. Je produis moi-même des bananes sur une exploitation de 125 hectares. Sachez que, quand un bananier n’a que trois feuilles, et non les 14 feuilles prévues dans le règlement, le régime n’est pas commercialisable. Les rendements diminuent, et, à l’heure actuelle, j’envisage de licencier. En l’absence de traitement aérien, je n’aurai pas d’autre alternative. C’est dramatique car la banane est très pourvoyeuse d’emplois – 50 hectares de canne nécessitent deux ouvriers tandis que 50 hectares de bananes emploient 45 ouvriers.

M. Gabriel Serville. Je conclurai sur une inquiétude. N’étant pas un spécialiste de l’agriculture, si j’assiste à cette table ronde, c’est pour écouter les acteurs de terrain dans le but de faire des propositions lors de l’examen du projet de loi d’avenir.

J’étais perplexe mais je le suis encore davantage devant les problématiques auxquelles vous êtes confrontés. Comment faire en sorte que le Gouvernement prenne en compte nos territoires dans le projet de loi d’avenir ? Ce texte comprendra-t-il un volet dédié aux outre-mer ? Il semble que ce n’est pas si sûr, ce qui risque de rendre les choses plus difficiles pour nous ; mais nous défendrons les intérêts de nos populations.

Compte tenu de l’éloignement des outre-mer, les normes définies en métropole sont très souvent en décalage avec la réalité vécue sur le terrain. Il nous faut amener le Gouvernement à comprendre nos particularités.

Nous devons nous attacher à définir des dénominateurs communs – éloignement, gouvernance, eau, normes phytosanitaires, retraites – et nous rassembler autour de ces problématiques communes, en évitant surtout de nous disperser sur des sujets qui ne nous sont pas communs. Je suis élu de Guyane. La terre y est abondante, mais pas toujours fertile, et les agriculteurs se plaignent des difficultés qu’ils rencontrent pour accéder au foncier, tandis que de leur côté, les services de l’État invoquent des dossiers mal montés. Cette situation montre que nous devons renforcer l’accompagnement des agriculteurs.

Je vous invite, Messieurs, à garder le contact avec nous pour nous aider, lors de l’examen du projet de loi d’avenir, à défendre les intérêts de vos territoires.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Le projet de loi d’avenir pour l’agriculture comprendra un volet outre-mer, mais tous les problèmes que rencontrent nos territoires ne relèvent pas du législatif et ce n’est pas une loi qui les règlera. Cela dit, tous les textes exigent que nous soyons attentifs, c’est pourquoi je vous demande de nous alerter lorsque le Gouvernement nous soumet un texte susceptible de répondre à vos interrogations – je pense au projet de loi ALUR qui nous sera présenté en septembre par Mme la ministre chargée du logement. Nous comptons sur votre vigilance. Je vous remercie.

La séance est levée à 19 heures 35.